CAHIER CENTRAL
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NOTATION
L’INSPECTION DES PROFS EST-ELLE PERTINENTE… ET UTILE ?
© Robert Kneschke
L’évaluation des enseignants est un domaine particulièrement sensible au ministère de l’Éducation nationale. Critiqués par de nombreux professeurs, les inspecteurs sont aujourd’hui sur la sellette. Les enseignants peuvent-ils se passer de cette évaluation ? Où en sont les réflexions sur le sujet ?
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SPÉCIAL ENSEIGNANTS
Par Jean-Philippe Bay
À
l’heure où l’on s’interroge sur la mise en place d’un examen d’entrée en sixième, l’évaluation des enseignants est également au cœur de nombreuses interrogations. Un article sur le site AgoraVox (http:// tinyurl.com/inspecteursfinlande) met même les pieds dans le plat en évoquant les excellents résultats aux tests PISA d’un pays comme la Finlande qui ne pratique plus l’inspection des professeurs depuis une quinzaine d’années. Plusieurs réflexions sont menées aujourd’hui par les inspecteurs euxmêmes, sur la pratique de leur métier et les objectifs de l’évaluation des enseignants. Ces derniers ne sont pas non plus en reste pour émettre des critiques sur ce que beaucoup considèrent comme une épreuve stressante et sans réel intérêt pour leur carrière ou leurs pratiques. Avant d’étudier en détail ces éléments, revenons sur l’organisation du corps des inspecteurs et sur ce que disent les textes à ce propos. Créé en 1852 par Napoléon III, le métier d’inspecteur a beaucoup évolué et il est aujourd’hui caractérisé par… son hétérogénéité. Les IEN – inspecteurs de l’Éducation nationale – sont les plus nombreux (2 300 selon les chiffres du ministère). Parmi eux, on trouve les inspecteurs officiant dans le premier cycle, mais aussi les inspecteurs responsables de l’enseignement technique, ceux chargés de l’information et de l’orientation, ou encore des conseillers pour le recteur d’académie. D’autres IEN sont spécialisés dans l’information et l’orientation. Dans le secondaire, ce sont les IA-IPR (inspecteurs d’académie – inspecteurs pédagogiques régionaux) qui procèdent à l’évaluation des professeurs. Ces derniers sont spécialisés par discipline. Tous les inspecteurs n’ont donc pas la charge d’évaluer des enseignants et les métiers sont assez différents. En ce qui concerne leurs missions, l’article R241-19 du Code de l’éducation indique que « les corps d’inspections sont chargés de veiller à la mise en œuvre dans les classes, les écoles et établissements, de la politique éducative définie par le ministre de l’Éducation nationale et des lois et règlements relatifs à l’action éducatrice de l’État ». Les inspecteurs mettent aussi en place la formation continue des enseignants, gèrent leur carrière, les évaluent et donnent des conseils pédagogiques. Ils participent enfin à l’amélioration des pratiques en mutualisant les connaissances avec
leurs collègues, grâce aux rapports d’inspection et aux évaluations des élèves. À quoi servent les inspections ? L’inspection a deux objectifs principaux : vérifier que l’enseignant respecte les programmes et lui apporter une expertise tant sur les supports de cours que sur les méthodes d’enseignement. L’inspection est notamment régie par une note de service de 1983 (www.ac-besancon.fr/IMG/pdf/doc-t1-Note_ de_service_inspection.pdf) qui précise entre autres que chaque inspection doit être annoncée à l’avance, doit faire l’objet d’un entretien approfondi avec l’enseignant et que les notes sont harmonisées soit à un niveau national, académique ou départemental. En pratique, l’inspection se déroule en deux temps : une phase d’observation où l’inspecteur analyse et évalue les acquis des élèves au regard des programmes, les situations d’apprentissages (pertinence des choix pédagogique et relations de l’enseignant avec les élèves, gestion du groupe classe). L’évaluation se porte aussi sur l’utilisation des dispositifs d’aides, la prise en compte des besoins de certains élèves, les relations avec l’ensemble de la communauté éducative (parents, équipe enseignante, etc.). La seconde phase prend la forme d’un entretien sur les points à améliorer pour optimiser les apprentissages des élèves. Comme pour tout ce qui concerne l’Éducation nationale, il est difficile de décrire la réalité vécue par des milliers de professeurs. Même pour un corps qui est censé être le point normatif des pratiques pédagogiques, les inspecteurs ont diverses façons de travailler. Pour les enseignants, l’élément le plus marquant des inspections est le stress qu’elles provoquent. La plupart du temps, l’annonce d’une inspection est suivie d’un « bachotage » intensif et le cours délivré le jour de l’évaluation ne correspond que rarement à la pratique quotidienne. Ce biais n’est pas le seul. La brièveté des inspections fait également partie des points relevés par la majorité des professeurs. En une matinée voire en une heure, l’enseignant est évalué. Même si ce dernier a répondu à un questionnaire préliminaire, il est difficile d’imaginer que l’ensemble des qualités et des défauts d’un enseignement puisse être pris en compte dans ce laps de temps. Enfin, l’objectif des inspections – améliorer les pratiques d’enseignement – est très rarement atteint. Bon nombre d’enseignants n° 08 - éducation magazine - 37
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CAHIER CENTRAL dénoncent des conseils pédagogiques impossibles à mettre en place sur le terrain ou trop génériques. Sur ce point, les chercheurs de l’ERGAPE de Marseille ont estimé, lors d’une table ronde en avril 2009, que les inspecteurs devaient accepter de remettre en cause leur expérience au regard des enseignants qu’ils inspectent et de construire, en collaboration avec ces derniers, des gestes professionnels, sans quoi « les conseils de bonnes pratiques risquent de ne pas être entendus ».
ET AILLEURS
Souvent montrées en exemple dans l’argumentaire politique, les solutions d’inspection à l’étranger correspondent à quatre modèles détaillés par Anton de Grauwen, membre de l’institut international de planification de l’éducation à l’UNESCO : le modèle classique (comme en France), l’inspection centrale où le public est associé à une inspection, laquelle est réalisée par des autorités autonomes (RoyaumeUni), le modèle d’appui de proximité (Pays-Bas, Chili) où l’inspection s’effectue uniquement dans les zones difficiles et enfin un modèle de contrôle et de soutien sur le site de l’école (Finlande) où c’est la communauté qui contrôle l’établissement.
Retombées pécuniaires Même si elle ne se réduit pas à cet aspect, l’évaluation des enseignants revêt aussi un enjeu financier. En effet, selon la note attribuée, un professeur peut accéder à l’échelon supérieur avec plus ou moins de rapidité. Et le système en vigueur est loin d’être simple et idéal. En premier lieu, la note donnée par l’inspecteur doit correspondre à un échelon. Pour schématiser, un professeur à l’échelon 7 obtiendra une note comprise entre 13 et 15/20, ni plus ni moins. Comme l’explique Michel Gonnet, secrétaire général du SNPI-FSU, « la grille de notation des enseignants ne vise pas à comparer tous les enseignants, mais à classer ceux qui sont dans le même échelon, pour déterminer leur passage à l’échelon supérieur. À l’intérieur de l’échelon, il existe toujours une distribution sur une échelle qui peut aller de l’insuffisance à l’excellence. […] Cela constitue sans doute une limite à la notation, mais pas à l’inspection car on ne peut pas réduire celle-ci à la note. » En pratique, ce système aboutit à un problème récurrent. Les enseignants « trop » bien notés n’ont aucun intérêt à une nouvelle inspection puisque, même s’ils ont progressé, l’inspecteur ne pourra pas leur donner de points supplémentaires. À l’inverse, la réduction de note reste très rare : « D’un point de vue réglementaire, la réduction de note est assimilée à une sanction disciplinaire. Elle doit donc être étayée par des faits qui s’apparentent à une faute caractérisée. Or, on se trouve très rarement dans ce cas de figure », ajoute Michel Gonnet. L’inspection, un corps menacé ? L’évaluation des enseignants n’est pas le seul problème auquel sont confrontés les inspecteurs. Deux éléments assombrissent leur quotidien. Le premier est le malaise de plus en plus flagrant qui existe entre les professeurs et les inspecteurs. Le second est la réorganisation de l’école qui pourrait les faire disparaître. Difficile de le nier, les inspecteurs sont peu appréciés par le corps enseignant. Associés de
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fait à l’application des décisions politiques du ministère, ils sont souvent entre le marteau et l’enclume. C’est l’avis que développe Georges Gauzente, dans un article L’avenir des IEN paru sur le site du CRDP de Reims (www.crdp-reims.fr/ien/). Selon cet inspecteur, « les IEN sont pris dans le tourbillon des mesures à faire appliquer, des résultats à recenser selon les dispositifs informatiques donnés, des dispositions incohérentes à faire accepter, des réquisitions destinées à exercer des contrôles de conformité (il est même question de contrôle qualité) selon le modèle managérial, voire inquisitorial. » Cet avis est partagé par Pierre Frackowiak, autre inspecteur qui est allé plus loin dans une tribune parue sur le site du Café pédagogique (http://tinyurl.com/pfrackowiak) où il explique que l’inspection court à sa perte si elle ne rétablit pas son image et ne modifie pas en profondeur les pratiques d’évaluation : « L’image du corps, son impact, sa crédibilité sont devenus si faibles que bien des spécialistes s’interrogent sur son avenir et se demandent même si les mesures prises depuis quelques années, mettant les inspecteurs sciemment dans les pires difficultés de leur histoire, ne sont pas inscrites dans la perspective d’une mort annoncée, parfaitement cohérente avec le contexte de réduction de la dépense publique et de libéralisation du système. » L’existence des inspecteurs pourrait aussi être remise en cause par la nouvelle fonction des directeurs d’établissements scolaires qui seraient chargés du recrutement des professeurs. Dans un rapport remis à la Présidence de la république en mars 2007, Xavier Darcos avait déjà donné les indices d’une réduction drastique des fonctions d’évaluation des inspecteurs en expliquant que « le chef d’établissement serait dans ce cadre le principal évaluateur des personnels. Les corps d’inspection n’interviendraient dans l’évaluation de personnels que dans quelques cas précis : manquement graves, excellence et promotion. » Autre élément qui témoigne d’un amoindrissement de la fonction d’évaluation des inspecteurs : l’accroissement régulier de leurs tâches administratives. Les IEN sont de plus en plus sollicités pour remplir des fonctions administratives d’élaboration de statistiques, de gestion des personnels. Malgré tout cela, plusieurs réflexions continuent d’être menées sur la pratique des inspections. Elles portent notamment sur la relation entre l’enseignant et l’inspecteur, mais aussi sur l’objet même de l’inspection. Aujourd’hui, l’accent est mis sur la prise en compte des résultats des élèves dans l’évaluation des professeurs. Dans le même rapport
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SPÉCIAL ENSEIGNANTS de 2007, Xavier Darcos alors ministre de l’Éducation avait déjà insisté sur ce point : « Les professeurs dont les élèves auront progressé ou réussi leurs examens ou certifications, les professeurs qui auront conduit avec succès à leur terme des projets pédagogiques ou éducatifs pourront bénéficier de primes. » Cette façon d’aborder l’évaluation est contestée à plusieurs niveaux. Pour Pierre Frackowiak, l’évaluation de l’enseignant centrée sur les résultats est un « mirage ». Selon lui, ce n’est pas en expliquant à un enseignant que ces élèves ont des difficultés qu’on provoquera un changement de pratique. La solution réside à ses yeux dans un changement radical de l’objet de l’inspection : elle ne doit plus se focaliser sur les résultats ou sur le travail de l’enseignant mais sur les situations d’apprentissage. L’observation doit se porter sur les activités des élèves en situation et les interactions avec l’enseignant : « L’activité réelle, physique, non verbale, verbale, sensorielle, intellectuelle, mentale [des élèves]. Quelles situations et quelles tâches le maître a-t-il prévues pour les élèves pour que ceux-ci travaillent, agissent, analysent, comparent, classent, rangent, expriment de vraies pensées, décrivent leurs essais, raisonnent, démontrent, expérimentent, produisent, induisent, dédui-
sent, posent de vraies questions, cherchent ? Comment exploite-t-il les réactions, représentations, procédures des élèves ? Comment programme-t-il les situations suivantes pour multiplier les rencontres avec un même objectif dans des contextes différents ? » Les résultats obtenus ne doivent cependant pas être ignorés : « Il est impossible de continuer à ne pas mettre en relation les résultats des élèves avec les pratiques qui les produisent », ajoute Pierre Frackowiak. La carotte budgétaire ne semble pas non plus convaincre Alain Chaptal, chercheur à Paris VIII, qui a étudié ce point dans l’enseignement américain. Pour lui, les difficultés commencent lorsqu’on cherche à définir ce fameux mérite de l’enseignant. L’étude du modèle américain, où cette paye au mérite est appliquée (20 % ou plus du salaire), montre que ce principe est très difficile à mettre en place. Il ne faut pas non plus oublier que le modèle français expérimente depuis des années cette paye au mérite avec notamment des primes pour les enseignants de ZEP. Une piste d’autant moins convaincante qu’aucune étude scientifique n’a prouvé à ce jour que ce salaire au mérite avait un réel impact positif sur les résultats des élèves. ■
INTERVIEW DE MICHEL GONNET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SNPI-FSU Avez-vous des éléments de réflexion à apporter sur la prise en compte des résultats des élèves dans l’évaluation des enseignants ? La prise en compte des évaluations des élèves ne doit pas faire oublier que ces notes ne rendent compte qu’imparfaitement du niveau de maîtrise d’une compétence. Il est donc nécessaire ensuite, lors de l’entretien ou d’un conseil de maîtres, de mener une analyse conjointe quant aux formes et aux modalités d’évaluation que les enseignants pratiquent au regard des connaissances et des compétences attendues dans les programmes. L’examen des résultats aux évaluations nationales est, pour sa part, plus lié au pilotage des établissements et de la circonscription qu’à l’inspection proprement dite. Aussi, il convient d’étudier ces résultats avec la
prudence qui convient à ce type d’exercice. Nous savons bien que les résultats des élèves sont très corrélés au milieu et au contexte dans lesquels évoluent les écoles. Dans certains endroits, il faut beaucoup d’engagement et de réflexion de la part des équipes pédagogiques et des maîtres pour obtenir des résultats tous justes médiocres. Dans d’autres, de très bons résultats peuvent être observés sans que l’acte pédagogique en soit le déterminant principal. L’apprentissage scolaire ne peut pas être réduit au paradigme processus/ produit. Bien d’autres dimensions, notamment psychologiques et sociales, doivent être prises en considération dans l’analyse de l’efficacité d’un enseignement. C’est pourquoi nous préférons le concept d’acquis, qui est plus représentatif du processus d’apprentissage que la notion de résultat.
Alors qu’on parle de payer les enseignants au « mérite », on voit de plus en plus de cas où la note ne garantit plus du tout un passage au grand choix. Aujourd’hui, ce système a-t-il encore un intérêt financier pour l’enseignant ? Avec la note d’inspection, nous sommes depuis plusieurs décennies déjà sur une forme de rémunération au mérite. La différence de traitement peut représenter, en fin de carrière, jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros pour les meilleurs enseignants. Si le système tend à bloquer des progressions, c’est surtout parce que l’État s’est lui-même fixé des contingents de progression très stricts de manière à limiter les progressions de rémunérations en proportion des fonctionnaires. n° 08 - éducation magazine - 39
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