Dossier Zep Education Magazine n° 8

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Dossier ÉDUCATION PRIORITAIRE

Trente ans de ZEP et après ? Créées au départ comme un dispositif transitoire en faveur des établissements concentrant difficultés sociales et scolaires, les ZEP vont fêter leurs trente ans. L’occasion de faire un bilan à l’heure où la politique d’éducation prioritaire pourrait prendre un nouveau tournant.

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Initiée en 1981 afin d’apporter plus d’équité au système éducatif et tenter de réduire l’échec scolaire dans les zones les plus défavorisées, la politique d’éducation prioritaire concerne actuellement un élève sur cinq. Crédits pédagogiques spécifiques, enseignants et assistants pédagogiques supplémentaires, effectifs allégés avec, en moyenne, deux élèves en moins par classe, partenariats avec l’extérieur, développement de projets éducatifs… l’éducation prioritaire consiste à « donner plus à ceux qui ont moins ». Depuis trois décennies, elle est régulièrement l’objet de débats et de critiques. Principal reproche, la superposition des dispositifs sans réelle articulation entre eux. En cause également, l’effet stigmatisant pour les établissements du classement ZEP et le coût élevé des mesures sans que leur efficacité soit avérée. Aujourd’hui, l’éducation prioritaire se décline en réseaux, comprenant chacun un collège à sa tête et les écoles primaires qui lui sont rattachées. En 2009, le territoire comptait 254 réseaux ambition réussite (RAR) – considérés comme particulièrement prioritaires – et 821 réseaux de réussite scolaire (RRS). La Politique de la ville, avec le volet « Éducation » de la dynamique « Espoir Banlieue » lancée en 2008, comprend également une série de mesures à destination des établissements difficiles.

Par Estelle Levresse

Des résultats mitigés, un coût mal évalué Selon un rapport d’information du Sénat sur l’éducation en banlieue publié en mars dernier, en fin de collège, un élève sur deux issus de l’éducation prioritaire ne maîtrise pas les compétences de base en français, contre un sur cinq en dehors de celle-ci. Les auteurs du rapport, Gérard Longuet et Philippe Dallier, estiment que le coût de l’éducation prioritaire s’est élevé en 2009 à 1,192 milliard d’euros avec une répartition des moyens pas toujours optimale. Ils mettent en cause l’empilement des dispositifs et leur application aléatoire, ainsi que le manque d’évaluation. « Les interventions éducatives en direction des quartiers sensibles sont difficiles à évaluer compte tenu d’une part, de la complexité et de l’instabilité des dispositifs et d’autre part, de la faiblesse des évaluations engagées qui ne permettent en aucun cas de prouver de manière sûre la valeur ajoutée des dispositifs », peut-on lire dans le document. Selon Marc Douaire, président de l’OZP (Observatoire des zones prioritaires), « le problème réside dans le fait que la politique d’éducation prioritaire n’a jamais connu de continuité, ni bénéficié du soutien permanent de la part des responsables politiques. » Du coup, les dispositifs et plans de relances se sont succédé, l’éducation prioritaire prenant plus ou moins d’importance suivant l’intérêt du ministre en place pour la question. Pour le président de l’OZP, ce constat

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« L’éducation prioritaire a besoin d’une double réponse : pédagogique et sociale. Cela demande une vraie volonté politique à la fois dans les discours et dans les actes. » Sébastien Sihr

ne doit toutefois pas être un argument pour remettre en cause le bien-fondé de l’éducation prioritaire. « Ce serait malhonnête de dire que c’est un échec, alors qu’on ne s’est pas donné tous les moyens nécessaires pour obtenir des résultats, proteste-t-il. L’éducation prioritaire a permis de garder le droit à l’éducation dans certains territoires où l’école est le seul service public qui subsiste. » Le secrétaire général du SNUipp, principal syndicat du primaire, Sébastien Sihr partage cette analyse : « Si l’éducation prioritaire n’avait pas existé, ce serait sans doute pire. Il y a des choses qui marchent, il faut les analyser et en tirer parti », indique-t-il. CLAIR, l’avenir de l’éducation prioritaire ? Alors que les contrats de réseaux arrivent à échéance cette année, de nombreuses voix demandent une analyse formelle et une complète remise à plat de l’éducation prioritaire. Rue de Grenelle, le bilan semble déjà réalisé. « Dans bien des endroits, le remède est devenu pire que le mal », déclarait Luc Chatel le 21 septembre dernier. Pour réformer l’éducation prioritaire, il a choisi d’expérimenter, depuis la rentrée, le programme CLAIR (collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite) dans 105

©DR

POINT DE VUE Repères

20 % des élèves sont établissements du territoire considérés comme particulièrement difficiles. CLAIR « a vocation à se substituer aux dispositifs préexistants » et devrait être étendu dès la rentrée 2011, a indiqué le ministre. Trois domaines sont mis en avant : le champ pédagogique encourageant un large recours aux innovations, la vie scolaire avec la nomination d’un préfet des études et les ressources humaines, offrant la possibilité aux chefs d’établissement de recruter leurs équipes sur profil. Toutefois le projet, présenté à l’issue des États généraux sur la sécurité en avril 2010, est accueilli avec beaucoup de scepticisme. « Clair s’attache à un discours sécuritaire et aux problèmes de discipline et de violence. Ce n’est pas une réponse satisfaisante à l’objectif de réussite de l’ensemble des jeunes des quartiers », affirme Marc Douaire. « Il ne faut pas opposer la question de la sécurité à celles de la vie scolaire et de la pédagogie, il y a des interactions entre ces trois composantes, rétorque le Directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Notre objectif est d’améliorer le climat scolaire mais aussi de prendre en compte le plus possible la personnalisation du parcours des élèves dans toutes ses dimensions : enjeux pédagogiques, vie scolaire, dimension sociale… Le rôle du préfet des études est d’articuler ces différentes composantes. » D’autres aspects du programme CLAIR sont critiqués, notamment le fait qu’il se concentre uniquement sur les établissements du second degré. De nombreuses études montrent que le primaire

scolarisés dans un établissement de l’éducation prioritaire.

254 collèges et 1 725

écoles publiques constituent les réseaux ambition réussite (RAR).

821 collèges et 4 928

écoles publiques constituent les réseaux de réussite scolaire (RRS).

62 % des collèges RAR sont classés en zones urbaines sensibles (ZUS).

Source : ministère de l’Éducation nationale (chiffres de 2009).

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RAR : UN PUBLIC DÉFAVORISÉ Trois-quarts des collégiens des réseaux ambition réussite sont d’origine sociale défavorisée avec des parents inactifs ou ouvriers. Hors RAR et RRS (réseau de réussite scolaire), ils ne sont qu’un tiers. Autre caractéristique, le retard dans la scolarité. 27 % des élèves issus des écoles RAR sont en retard à l’entrée en sixième contre 12 % hors éducation prioritaire. Source : ministère de l’Éducation nationale (chiffres de la rentrée 2009)

© Ignatius Wooster

est déterminant pour la suite du parcours scolaire et qu’il doit faire l’objet d’une attention particulière. Sur ce point, le ministère affirme qu’il n’est pas question de remettre en cause la notion de réseau, justement l’un des points forts du dispositif RAR, et que chaque collège CLAIR continuera à travailler avec les écoles de son secteur. En attendant, difficile d’en savoir plus sur les modalités d’extension du programme l’année prochaine. Les réseaux ambition réussite et réseaux de réussite scolaire vont-ils être complètement abandonnés ? La carte des ZEP va-telle être modifiée ? Les moyens seront-ils redistribués ? Le Directeur général de la DGESCO reste très vague : « Nous souhaitons mettre fin à l’enchevêtrement des dispositifs existants et travaillons à la clarification de l’éducation prioritaire, qui est réclamée par tous. » Concrètement, comment cela va-t-il se traduire ? « Il est trop tôt pour le dire. Nos objectifs sont fi xés : plus de clarté et plus de cohérence, mais le contenu et le périmètre ne sont pas encore définis », indique

Jean-Michel Blanquer. Il précise que le ministère souhaite impulser un nouvel état d’esprit à l’éducation prioritaire autour d’équipes motivées et stimulées par un projet commun. Le tournant de l’éducation prioritaire Quelles que soient les intentions, la politique de suppression de postes dans l’Éducation nationale n’envoie pas de signaux très positifs et les sources d’inquiétudes sur le terrain sont nombreuses. « L’éducation prioritaire est laissée en jachère, l’école primaire est totalement abandonnée, on n’a aucune certitude sur le devenir des RASED et le nombre de places en formation d’enseignement spécialisé diminue d’année en année », déplore Sébastien Sihr, qui réclame à la fois davantage d’encadrement mais aussi un meilleur accompagnement des équipes et un véritable pilotage pédagogique. Autre sujet de préoccupation, la suppression de la carte scolaire qui accentue l’effet de ghettoïsation de certains établissements alors qu’une certaine hétérogénéité de niveaux est nécessaire pour tirer les moins bons élèves vers le haut. « L’absence de pilotage d’ensemble ne facilite pas la lutte contre ce phénomène », indiquent Rémi Rouault et Patrice Caro, chercheurs au CNRS ESO-Caen et auteurs de l’Atlas des fractures scolaires en France. « Les collèges de ZEP se vident et les décisions d’affectations ne sont plus prises dans une transparence totale. La suppression de la carte scolaire déstabilise toute la structure des établissements d’une zone et accentue les inégalités. » Si l’avenir de l’éducation prioritaire est aujourd’hui incertain en attente des décisions ministérielles, il semble que la volonté politique soit de réduire son périmètre avec une concentration des moyens et un recentrage sur quelques opérations. Le président de l’OZP s’inquiète des conséquences d’une telle démarche. « Les dispositifs comme les partenariats avec sciences-po ou les internats d’excellence servent d’alibi à l’éducation prioritaire, mais ils reposent sur une exfiltration de quelques bons éléments, sans viser la réussite de tous les élèves. Dans cette optique, que deviennent les moins bons ?, s’interroge Marc Douaire. On ne peut pas construire une politique d’éducation prioritaire sur ce principe. » ■

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Trente ans de ZEP et après ?

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ÉDUCATION PRIORITAIRE : LES GRANDES ÉTAPES Depuis ses débuts, il y a trente ans, l’éducation prioritaire a connu plusieurs plans de relance et des appellations diverses. Retour sur les dates clés qui ont marqué cette politique. 1981 Création des zones prioritaires (ZP) Dans un contexte de massification de l’enseignement et devant le constat que l’école n’est pas à même d’assurer l’égalité des chances, le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary décide qu’il faut donner des moyens supplémentaires et accorder une attention particulière aux zones les plus défavorisées, où se conjuguent échec scolaire et difficultés socio-économiques. Pour la première fois, la notion d’équité remplace le principe d’égalité. On compte au départ 363 zones prioritaires, rurales ou urbaines, qui deviendront ZEP en 1988.

1990 Première relance de la politique

d’éducation prioritaire Menée sous Jospin, elle a pour objectif d’articuler la politique d’éducation prioritaire avec celle de développement social des quartiers (DSQ). Le nombre de ZEP est étendu (557) et leur carte recentrée sur les zones urbaines. Chaque entité doit nommer un coordonnateur de zone, élaborer un projet de zone d’éducation prioritaire, favoriser les partenariats extérieurs, etc.

1999 Création des réseaux

d’éducation prioritaire La carte de l’éducation prioritaire est redéfinie une fois de plus avec la création d’une nouvelle entité : les réseaux d’éducation prioritaire (REP) dont le nombre atteint 869. Chaque réseau doit élaborer un contrat de réussite, où sont formalisées les dix orientations prioritaires de son projet. Les pôles d’excellence sont créés peu après.

2006 Troisième relance de l’éducation prioritaire L’objectif est de renforcer les dispositifs d’aide pédagogique et de recentrer les moyens sur un nombre plus limité d’établissements, en distinguant plusieurs niveaux d’action : EP1 où les difficultés sociales et scolaires sont les plus importantes, puis EP2 et EP3. 249 réseaux ambition réussite (RAR) sont constitués

1997 Deuxième relance Suite au rapport Moisan-Simon, qui analyse les déterminants de la réussite scolaire, la deuxième relance met l’accent sur les objectifs pédagogiques et le pilotage. Dans la foulée, les Assises académiques et nationales de l’éducation prioritaire, organisées à Rouen l’année suivante, réunissent tous les acteurs de terrain. Il existe alors 563 ZEP.

Extrait de l’Atlas des fractures scolaires en France, de Rémi Rouault et Patrice Caro, Éditions Autrement.

initialement, comprenant pour chacun, un collège et les écoles du secteur, afin de favoriser la continuité pédagogique entre premier et second degré.

2007 Les RAR et les RRS Les réseaux ambition réussite et les réseaux de réussite scolaire deviennent les seules dénominations officielles. Les appellations EP2 et EP3 sont abandonnées. 2008 La dynamique « Espoir

Banlieues » La dynamique « Espoir Banlieues » comporte un volet « Éducation » avec près d’une dizaine de mesures : cordées de la réussite (partenariat avec des établissements de l’enseignement scolaire), décrochage scolaire, internats d’excellence, accompagnement éducatif dans les écoles élémentaires de ZEP, sites d’excellence, fermeture des collèges les plus dégradés, etc.

2010 Collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite (CLAIR) CLAIR est expérimenté depuis la rentrée 2010 dans 105 établissements (60 collèges et 45 lycées) concentrant le plus de difficultés en matière de climat scolaire et de violence. 49 d’entre eux étaient déjà classés réseaux ambition réussite. Caractéristiques de ce programme : des innovations pédagogiques, une plus grande autonomie laissée au chef d’établissement en termes de recrutement, la nomination d’un préfet des études à chaque niveau de classe en collège et en seconde, assurant un rôle de pivot entre le domaine pédagogique et la vie scolaire. Enfin, des actions en faveur de la sécurité, notamment de sécurisation et de prévention. n° 08 - éducation magazine - 27

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Dossier

LA PAROLE AUX ACTEURS DE TERRAIN

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alorisant et enrichissant. » C’est ainsi que Florence Guittard décrit son métier d’enseignante en zone d’éducation prioritaire dans la banlieue parisienne. Professeur de lettres et histoire géographie depuis douze ans au lycée Eugène Ronceray à Bezons (Val d’Oise), exercer dans cet établissement difficile est un choix. « J’ai le sentiment d’aider des enfants qui en ont vraiment besoin, de les réconcilier avec le système scolaire », déclare-t-elle. L’enseignante apprécie également les

rapports individuels qu’elle réussit à établir avec ses élèves et le fait de pouvoir mettre en place des projets au-delà de la classe. Vincent Maurin, directeur de l’École Charles Martin à Bordeaux, partage cette vision et dit se sentir utile. « En éducation prioritaire, le rôle de l’enseignant est très important. Ici, j’ai l’impression que mon métier sert à quelque chose, c’est une grande satisfaction », indique le directeur, qui habite dans le quartier de Bacalan, où il enseigne et exerce également des responsabilités associatives et politiques. Mais tout n’est pas rose pour autant. Enseigner en éducation prioritaire demande une vraie vocation et beaucoup de motivation pour ne pas laisser la place au découragement. Une certaine persévérance aussi quand il faut légitimer l’école et faire comprendre aux élèves pourquoi il est important d’étudier. « En plus des questions de discipline, on doit toujours justifier ce qu’on fait, expliquer à quoi ça sert. Les élèves ne sont pas du tout motivés. Ils se lassent très vite : il faut varier les approches et trouver constamment de nouvelles façons de les intéresser », déclare Florence Guittard. L’une des méthodes consiste à se raccrocher à des choses qu’ils connaissent, faire des liens avec leur vie et leur quotidien. Professeur de lettres et anglais au lycée Joliot Curie de Sète,

QUAND DIFFICULTÉS SOCIALES ET SCOLAIRES SE CONJUGUENT

L’éducation prioritaire en France - Extrait de l’Atlas des fractures scolaires en France de Rémi Rouault et Patrice Caro, Éditions Autrement.

Deux professeurs de géographie sociale et chercheurs membres du laboratoire ESO-CAEN, Rémi Roulaut et Patrice Caro, viennent de publier un Atlas des fractures scolaires en France, aux Éditions Autrement. Leur démarche : montrer le décalage existant entre les discours officiels sur l’égalité de l’école et la réalité. En décortiquant l’ensemble du système scolaire, de la maternelle à l’entrée dans les études supérieures, les deux auteurs montrent les nombreuses inégalités à différents niveaux qui symbolisent une école à plusieurs vitesses. Concernant l’éducation prioritaire, l’atlas précise que « 60 % des collèges ambition réussite sont concentrés dans les académies des DOM, d’Aix-Marseille, de Lille, de Versailles et de Créteil, celles où les quartiers de grands ensembles paupérisés sont nombreux. Des académies plus rurales, comme celle de Limoges, ne possèdent à l’inverse qu’un seul collège de ce type. »

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Laëtitia Statari utilise, par exemple, leur intérêt pour les armes pour aborder la prohibition aux États-Unis dans les années trente, ou encore leur passion pour le foot pour étudier l’Afrique du Sud. « Malgré tout, je ne fais pas toujours des choses qui les intéressent, ils doivent comprendre qu’ils sont là pour apprendre », précise l’enseignante qui a exercé pendant six ans dans des établissements difficiles du Val d’Oise. Les acteurs de l’éducation prioritaire estiment qu’il n’est pas toujours simple de s’y retrouver dans tous les dispositifs qui sont mis en place et que le caractère facultatif de certaines mesures pose parfois problème. « Quand ce n’est pas obligatoire, les élèves se montrent réfractaires, indique Florence Guittard, car ils calculent toujours les heures supplémentaires que cela va ajouter à leur emploi du temps. » Beaucoup s’inquiètent également de la baisse de moyens observée depuis quelques années et estiment que la différence entre ZEP et non ZEP, en termes notamment d’effectifs allégés et de postes supplémentaires, n’est plus aussi significative qu’auparavant. Même constat concernant la garantie de scolarisation des enfants de moins de 3 ans, pourtant jugée comme un facteur de réussite pour les enfants issus de milieux défavorisés. « Les suppressions de postes touchent autant les

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ZEP que les autres, alors que nos besoins sont énormes. Quand on a des classes où un tiers, voire la moitié des élèves ont de grandes difficultés scolaires, il faut qu’on puisse travailler en effectifs réduits pour personnaliser et différencier les solutions », déclare Vincent Maurin. Le rôle complexe des enseignants Les établissements classés en ZEP répondent à des critères bien précis : faibles résultats aux examens, catégorie socioprofessionnelle des parents défavorisée, retard scolaire, part élevée de parents non-francophones, etc. Outre des difficultés scolaires, les élèves ont souvent des problèmes de comportements – disciplinaires voire violents –, d’absentéisme ou de retards en cours. Ce contexte demande aux enseignants d’endosser différentes casquettes, souvent loin de la définition théo-

En termes de résultats, les évaluations de CE2, CM2 ou sixième sont sans appel : les écarts de réussite sont très grands et fortement liés à la catégorie socioprofessionnelle des parents et au type d’établissement fréquenté. Les recherches des deux géographes montrent la corrélation entre difficultés scolaires et environnement socio-économique. « Quand on étudie la carte des collèges prioritaires, ce sont les mêmes zones où l’on observe le record de familles monoparentales, le plus grand nombre de bénéficiaires de minima sociaux, le plus grand nombreux d’inactifs et les niveaux de diplôme les plus faibles », explique Patrice Caro. Pour les deux chercheurs, les nombreuses évolutions dans l’organisation et le périmètre de l’éducation prioritaire ainsi que les nombreux changements d’appellation cachent mal le manque de résultats obtenus par l’État. « En presque trente ans, l’échec scolaire n’y a pas régressé : violence, décrochage et absentéisme se sont développés, compliquant les cursus scolaires et l’insertion professionnelle des jeunes de ces quartiers urbains. » © AVAVA

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choses pour une seule personne. Heureusement, la solidarité entre collègues existe. « En ZEP, il y a peu d’individualisme, on se soucie de ses collègues et personne n’a honte de dire qu’il a eu un problème avec une classe ou un élève », explique Florence Guittard. Les incidents faisant partie du quotidien, les équipes essaient de trouver des solutions ensemble sans juger ou stigmatiser leur collègue. Laëtitia Statari regrette cependant de ne pas du tout avoir été préparée à cette réalité : « On est jeté dans l’arène sans aucune préparation. J’ai appris plein de choses très intéressantes à l’IUFM, mais jamais rien sur comment gérer une classe ou faire face à des comportements de violence. » Aucune formation spécifique ne prépare en effet les profs destinés à enseigner en ZEP, où il faut savoir s’imposer et se faire respecter pour parvenir à faire cours. Finalement, l’enseignante a appris sur le tas. « L’éducation prioritaire est une école très formatrice, on apprend beaucoup de choses sur l’humain, mais au début on se sent vraiment seul », relate-t-elle. Les enseignements des évaluations en sixième. Extrait de l’Atlas des fractures scolaires en France de Rémi Rouault et Patrice Caro, Éditions Autrement.

rique du métier : « En discutant avec des collègues, j’ai l’impression qu’on ne fait pas du tout le même métier, analyse Laëtitia Statari. On est à la fois prof, parent, psy, policier. » Beaucoup de

LES RÉSEAUX AMBITION RÉUSSITE DANS LE DÉTAIL En créant les réseaux ambition réussite, le ministère de l’Éducation nationale a voulu concentrer les moyens de l’éducation prioritaire sur un nombre plus limité d’établissements scolaires. Au total, 1 000 enseignants supplémentaires et 3 000 assistants pédagogiques ont été affectés dans les RAR. La fonction d’enseignant référent a été créée, qui doit faciliter la prise en charge des difficultés d’apprentissages, au sein de la classe ou dans des dispositifs d’aide et de soutien comme les programmes personnalisés de réussite éducative (PPRE). Assurant un mi-temps en classe, l’enseignant référent doit consacrer l’autre partie de son horaire à mettre en place les projets, coordonner les partenariats extérieurs ou encore assurer une meilleure continuité entre école et collège. Outre la réduction des écarts de réussite scolaire avec le reste du territoire, les objectifs des réseaux ambition réussite sont l’acquisition du socle commun de compétences par tous les élèves et l’orientation.

Pédagogie et travail en équipe Autre difficulté rencontrée en ZEP : le manque de stabilité des équipes. C’est l’un des effets pervers du système d’affectation par points qui fait que les enseignants débutants se retrouvent le plus souvent dans les établissements les plus difficiles. Ils n’ont alors qu’une seule envie : demander leur mutation. S’ils sont incités à rester un minimum de cinq ans, avec un bonus de points à la clé et une prime mensuelle spécifique, il n’en demeure pas moins que les problèmes de recrutement restent nombreux. On fait alors appel à des contractuels ou des vacataires, avec pour conséquence un turn-over des équipes très élevé : 30 % en Seine-Saint-Denis dans l’académie de Créteil, celle qui concentre le plus d’établissements prioritaires de toute la France et où plus d’un tiers des profs sont en poste depuis deux ans ou moins. C’est d’autant plus dommageable que le travail en équipe est justement primordial en éducation prioritaire et que les programmes incitent à le mettre en valeur au travers de projets pluridisciplinaires et de partenariats avec les collectivités

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Trente ans de ZEP et après ?

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LIENS UTILES

Site officiel de l’éducation prioritaire www.educationprioritaire. education.fr

territoriales ou les associations locales. Pour les mettre en place, l’impulsion donnée par le chef d’établissement est alors déterminante. En ZEP, la place des parents est également à valoriser. Dans un environnement socio-économique difficile, il n’est pas toujours simple de donner du sens à l’école et de gagner la confiance. « Le contenu des apprentissages compte – ici comme ailleurs –, mais les moments de convivialité avec les familles et les élèves doivent aussi être développés », analyse Vincent Maurin. L’école Charles Martin se veut ainsi très ouverte sur l’extérieur et multiplie les projets de quartier, afin de créer une véritable dynamique autour de l’école. « C’est primordial car cela favorise aussi la mixité sociale », indique le directeur de l’établissement, où se côtoient enfants du voyage et fi ls ou fi lles d’enseignants et de cadres. L’établissement de quartier accueille également dans ses murs la fédération du sport scolaire (USEP), qui propose aux élèves des activités sportives deux soirs par semaine et le mercredi. « Le fait que l’association soit directement liée à l’école rassure les parents. En outre, le sport permet une éducation à la citoyenneté, au respect des règles, au vivre ensemble », poursuit Vincent Maurin. C’est une réussite : plus de la moitié des élèves de l’école sont adhérents à l’association. L’étiquette ZEP toujours stigmatisante Pour Laëtitia Statari, les élèves issus de l’éducation prioritaire restent malheureusement marqués au fer rouge. « Dans le lycée professionnel où j’enseignais à Paris, les candidatures des élèves à des offres d’emploi ou d’apprentissage étaient systématiquement refusées tant la réputation de l’établissement était mauvaise », dé-

plore l’enseignante. Reste que les ZEP ont, pour beaucoup, permis d’éviter le pire dans certains quartiers, où l’école a pris une place centrale. Si les résultats des élèves aux examens restent faibles, l’éducation prioritaire a limité les faits de violence. « Avec la flambée du chômage, les années 2000 ont été marquées par une nouvelle forme de désespérance dans les banlieues. Sans l’éducation prioritaire, la situation aurait été catastrophique et ingérable, analyse Vincent Maurin. Aujourd’hui, l’école est malmenée, stigmatisée, les enseignants sont critiqués et les moyens réduits. Il faut trouver les ressorts pour que l’école conserve sa place de premier plan, car l’institution perd du crédit, ce qui ne contribue pas à la confiance et au bout du compte à la réussite. » ■

Centre Alain Savary, Institut national de recherche pédagogique. Centre national de ressource sur les pratiques éducatives dans les établissements et territoires confrontés à d’importantes difficultés sociales et scolaires http://centre-alain-savary. inrp.fr/CAS Observatoire des zones prioritaires (OZP). Association qui vise à développer la réflexion et l’information sur l’éducation prioritaire www.association-ozp.net/

ENQUÊTE : LA SOUFFRANCE DES ÉLÈVES DES QUARTIERS POPULAIRES Publié en septembre dernier par l’AFEV (Association de la fondation des étudiants pour la ville), le Baromètre annuel du rapport à l’école des enfants de quartiers populaires met en évidence « les souffrances à l’école » des élèves issus de milieux défavorisés. Selon cette enquête, près des trois-quarts (73,3 %) des élèves « aiment peu, voire pas du tout aller à l’école ou au collège », près d’un quart (23,7 %) s’ennuie « souvent, voire tout le temps ». Plus de la moitié (52,8 %) déclare avoir été victime de violences (moqueries, insultes, violences physiques, vols ou rackets) entre élèves dans l’enceinte de leur établissement. Et si, note positive, 57,2 % des élèves interrogés ont le sentiment que leurs enseignants s’intéressent à eux, la plupart déclarent cependant ne pas toujours comprendre ce qu’on leur demande de faire (68,9 % certaines fois et 17,4 % souvent) et pensent qu’ils n’arriveront pas. Enquête réalisée d’avril à juin 2010 par Trajectoires-Reflex auprès de 760 écoliers et collégiens en difficulté scolaire, suivis par un étudiant de l’AFEV.

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