Rav Yossef-’Haïm SITRUK vision juive
AUTEUR Rav Yossef-’Haïm SITRUK • ADAPTATION & RELECTURE Rav Emmanuel BOUKOBZA • BIOGRAPHIE Rivka GRUNBERG • COUVERTURE Zelda LEOTARDI • COORDINATION Moshé-Haïm SEBBAH • DIRECTION Binyamin BENHAMOU Publié et distribué par les
EDITIONS TORAH-BOX France Tél.: 01.80.91.62.91 Israël Tél.: 077.466.03.32 contact@torah-box.com www.torah-box.com © Copyright 2017 / Torah-Box
• Imprimé en Israël Ce livre comporte des textes saints, veuillez ne pas le jeter n'importe où, ni le transporter d'un domaine public à un domaine privé pendant Chabbath.
Note de l’éditeur Les Editions Torah-Box ont la joie de vous présenter le troisième livre de Torah émanant de celui qui fut le grand-rabbin de France pendant 21 ans, Rav Yossef-’Haïm Sitruk. Dans une société en perte de valeurs, dans un monde où les événements s’entrechoquent mais où les mots manquent pour les énoncer, voici un livre qui propose une vision juive sur les évènements et l’actualité. A travers ses cours, le Rav s’attache à rappeler que la seule lecture véritable du monde passe par celle de la Torah, cette loi « que D.ieu consulta avant de créer le monde ». A travers le prisme de cette sagesse inépuisable, même des évènements tels que des élections ou d’autres, plus douloureux, tels la guerre, prennent un sens. En abordant des thèmes aussi riches que variés, ce livre répond aux questions que la communauté juive se pose sur des sujets d’actualité : • Pour qui voter en France ? • Israël est-il un Etat véritablement juif ? • Quelle attitude adopter en période de guerre ? • Comment gagner sa subsistance en conformité avec la loi juive ? Dans cet ouvrage, nous retrouvons cette proximité avec le « grandrabbin Sitruk », lui qui fut l’éclaireur du judaïsme français. Par son humour légendaire, sa capacité à nous transmettre avec brio les messages les plus profonds de notre tradition, le Rav Sitruk nous a guidés et a su insuffler en nous un esprit de Torah véritable.
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Que ce livre contribue à la réussite du
Collel « Vayizra’ Itshak »
Centre d’étude de Torah pour Francophones à Jerusalem
sous l’enseignement du rav Eliezer FALK à la mémoire de M. & Mme Jacques -Itshak- BENHAMOU au Roch-Collel : Rav Eliezer FALK aux Rabbanim : Rav Tséma’h ELBAZ Rav ‘Haïm BENMOCHÉ Rav Tsvi BREISACHER Rav Eliahou UZAN
et à leurs chers étudiants assidus et dévoués pour la Torah : Rabbi Michael ABITBOL Rabbi Yaakov ADLER Rabbi Moché AVIDAN Rabbi Binyamin BENHAMOU Rabbi David BRAHAMI Rabbi Yaron COHEN Rabbi Anthony COOPMANS Rabbi Menahem Moché GOLDBERGER Rabbi Binyamin JAMI
Rabbi Moché KRAKOVITCH Rabbi Nethanel OUALID Rabbi Mikhael RIMOKH Rabbi Nathan SABBAH Rabbi Raphael SABBAH Rabbi David SITBON Rabbi Itshak ZAFRAN Rabbi Emmanuel ZAOUI Rabbi Yonathan LUMBROSO
Que ce livre contribue à la réussite du
Collel « Torat Yé’hia »
Centre d’étude de Halakha pour francophones à la mémoire de M. & Mme Yé’hia TEBOUL au Roch-Collel : Rav ‘Haïm BENMOCHÉ
et à leurs chers étudiants assidus et dévoués pour la Torah : Rabbi Lionel SELLEM Rabbi Mikhaël MATÉ Rabbi Shlomo AFLALO Rabbi Mordékhaï STEBOUN
Qu’ils puissent grandir ensemble dans la Torah et la Crainte du Ciel.
TABLE DES MATIÈRES 1 - Clivage et quête identitaire
p.9
2 - La Shoah
p.19
3 - La terre d’Israël
p.31
4 - L’alliance éternelle
p.43
5 - Le mariage pour la génération Facebook
p.53
Une nouvelle majorité en Israël
Pourquoi ?
Une terre d’élection
Les trois alliances
Pourquoi se marier ?
6 - Le rav, conscience, guide, référence
p.65
7 - Le travail, les affaires et la Torah
p.75
8 - Les signes messianiques
p.87
9 - L’état juif
p.97
10 - Mal, violence, droit et moral
p.107
11 - Politique, votez pour D.ieu
p.117
La relation qui unit le Rav à ses élèves
Le labeur : bénédiction ou malédiction ?
Qu’en disent les textes ?
L’Etat d’Israël, Etat laïque ou Etat juif ?
Haïr ou ne pas haïr… ?
Exil et fidélité
12 - Pour entrer en Israël
p.127
13 - Voir les miracles
p.137
14 - Etre juif en été
p.149
15 - Jérusalem La libération de Jérusalem
p.161
16 - La mixité Amour pour soi, amour pour l’autre
p.173
17 - Rav ‘Haïm Its’hak Chajkin
p.185
Biographie
p.197
« Envoie pour toi des hommes explorer le pays… »
La gestation messianique
Les trois semaines, soleil ou obscurité ?
Qui était Rav Chajkin ?
Préface de l’auteur defidèles l'auteur Depuis des années, dePréface nombreux souhaitaient disposer par écrit des cours donnés à la grande synagogue de la Victoire. Bien que Depuis desprojet, années,jeden’avais nombreux souhaitaient essentiellement disposer par favorable à ce pas fidèles pu le concrétiser écrit des cours donnés à la grande synagogue de la Victoire. Bien que pour trois raisons : favorable à ce projet, je n'avais pas pu le concrétiser essentiellement
1) Ilpour fallait, troisparmi raisonsprès : de 200 cassettes audio et CD, sélectionner certains cours. 1) Il fallait, parmi près de 200 cassettes audio et CD, sélectionner
2) Lacertains mise par écrit littérale donnait une matière considérable (chaque cours. cours correspondait à plus de 30 pages dactylographiées). 2) La mise par écrit littérale donnait une matière considérable
3) « (chaque L’Oral cours » me correspondait paraissait beaucoup intéressant que l’écrit, et à plus de plus 30 pages dactylographiées). j’éprouvais des réticences à me lancer dans cette aventure coûteuse en 3) et« L'Oral» me paraissait beaucoup plus intéressant que l'écrit, et temps en énergie. j'éprouvais des réticences à me lancer dans cette aventure coûteuse
Le projet restait à l’état de projet. C’est là qu’intervient l’association en temps et donc en énergie. « Torah-Box » qui accomplit par ailleurs un travail remarquable dans Le projet donc l'état de projet. C'est là suggéré qu'intervient la diffusion de restait la Torah. Lesà responsables m’ont donc certains l'association « Torah-Box » qui accomplit par ailleurs un travail cours, et surtout, m’ont proposé un résumé accessible des cours en remarquable dans la diffusion de la Torah. Les responsables m'ont question. donc suggéré certains cours, et surtout, m'ont proposé un résumé
Leuraccessible enthousiasme a achevé de me convaincre, nous avons décidé des cours en question. de commencer ensemble. Si cette initiative reçoit un bon accueil, enthousiasme de meplusieurs convaincre, noustoujours avons décidé nousLeur pourrons éditer sia achevé D. le veut tomes, dans le de commencer ensemble. Si cette initiative reçoit un bon accueil, même but : permettre au plus grand nombre d’accéder à la richesse nous pourrons éditer si D. le veut plusieurs tomes, toujours dans le inestimable que permettre constitueau la Torah. Tout comme au Mont l’écrit même but : plus grand nombre d'accéder à laSinaï, richesse deviendra le support de la parole. C’est vous qui déciderez de l’avenir inestimable que constitue la Torah. Tout comme au Mont Sinaï, de cette avecdel’aide d’Hachem et pour l'écritinitiative, deviendramenée le support la parole. C'est vous qui grandir déciderezSon l'avenir de cette initiative, menée avec l'aide d’Hachem et pour nom,deAmen. grandir Son nom, Amen.
Grand Rabbin Joseph ’Haïm Sitruk. Grand Rabbin Joseph ’Haïm Sitruk
1 - Clivage et quête identitaire
Une nouvelle majorité en Israël
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clivage et quête identitaire
Le 3 juin 1996 à la grande synagogue de la rue de la Victoire à Paris, Rav Joseph Sitruk réagit à chaud aux résultats des élections en Israël… C’était quelques jours après l’élection de Binyamin Nétanyahou au poste de Premier ministre et l’apparition d’une proportion significative de députés religieux à la Knesset.
Une nouvelle majorité en Israël Un nouveau gouvernement vient d’être désigné en Israël suite à des élections démocratiques. Cette nouvelle majorité n’a pas manqué de susciter de vives réactions de par le monde entier et a provoqué un déferlement médiatique qui a pris comme cible d’une part la droite israélienne, devenue extrême droite et d’autre part comme il est de coutume, les partis religieux. Nous allons tenter d’expliquer pourquoi le débat d’aujourd’hui n’est pas politique et en quoi il s’agit plutôt d’un enjeu qui dépasse très largement celui d’une reconfiguration de la Knesset ; personnellement, je qualifierais cet enjeu de quasi historique. Certes depuis plusieurs semaines, les grands Maîtres d’Israël s’étaient abstenus pour la plupart d’entre eux de donner la moindre consigne de vote. Pourtant, quelques jours seulement avant le scrutin, le plus illustre d’entre eux, le Rav Chakh, qui gardait le silence des suites d’une maladie qui le rendait peu communicatif, a brisé son mutisme en affirmant qu’il fallait voter à droite. A sa suite, les Sages de la Torah de toutes les tendances confondues ont donné les mêmes consignes de vote. Au-delà du positionnement politique, il nous faut comprendre les enjeux spirituels d’une telle reconfiguration de la Knesset. Pour ce faire, il nous faut réaliser une petite rétrospective historique…
Le retour des Juifs sur leur terre Lorsque les Juifs retournèrent sur leur terre, ils se heurtèrent rapidement à l’hostilité locale. Cette hostilité s’est renforcée d’autant plus que le 11
vision juive
paysage politique et religieux israélien a subi une profonde modification ces dernières décennies et est allé dans le sens de ce qui apparaît du point de vue non-juif comme une radicalisation et du point de vue juif comme une quête identitaire. Cela n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait que d’après nos Sages, le siècle allant de l’année 5701 à l’année 5800 sera celui du double retour, celui vers la Terre d’Israël et celui vers la Torah. Jusqu’à il y a peu, la Terre d’Israël était oubliée du cœur des nations. Elle était quasiment dépeuplée et ne présentait pas d’enjeu géopolitique. Pour autant, elle n’était pas abandonnée par le peuple juif. J’en veux pour preuve les nombreuses communautés tout au long des siècles qui vinrent s’y installer. Ainsi par exemple, Rabbi Yé’hiel de Paris, au 13ème siècle, quitta la France avec une grande partie de sa communauté et s’installa à Akko en Erets Israël, comme ce fut le cas de très nombreux Sages au cours des siècles. En 1840 d’ailleurs, prenait fin un mouvement qui avait débuté un siècle exactement auparavant par l’Aliya du célèbre Rabbi ‘Haïm Ben Attar et de ses élèves. Cette Aliya, d’importance majeure, sema en Israël les graines de la Torah et constitua les prémices de cette floraison spirituelle que nous connaissons aujourd’hui. Les Juifs n’ont jamais oublié la Terre d’Israël et encore moins Jérusalem. Ils n’ont pas perdu, si j’ose dire, « l’Est » ; c’est vers Jérusalem qu’il fallait tourner ses yeux. Quand on se mariait, on cassait un verre en souvenir de la destruction du Temple de Jérusalem. Quand on mourait, l’on s’efforçait de mettre quelques grammes de terre sainte sous la nuque du défunt. Il n’est pratiquement pas de prière qui ne comporte la mention de Jérusalem. Les Juifs ont toujours chéri la terre d’Israël ainsi que le dit le verset : « Et sa poussière, ils chérissent » (Téhilim 102,15). La présence juive en Israël ne s’est jamais interrompue. Ainsi, il est erroné de penser que le « problème israélien » date de 1948. Le retour des Juifs sur leur terre est la réalisation d’une prophétie vieille de 2500 ans ! Et le Talmud de rappeler que : « Tous les prophètes ont prophétisé sur la Terre d’Israël, dans une projection de la fin des temps ». 12
clivage et quête identitaire
L’opposition que rencontre le peuple juif sur sa terre a des origines très anciennes. Avraham, premier juif de l’histoire, eut deux fils, Yichmaël et Yits’hak, et la Torah précise : « C’est par Yits’hak que sera désignée ta descendance » (Béréchit 21,12). Yichmaël fut certes le frère de Yits’hak, mais il ne fut pas fidèle à l’héritage spirituel d’Avraham dans son intégralité. Plus tard, les deux fils de Yits’hak, Yaakov et Essav, s’affrontèrent également. Ce double affrontement constituera la trame de l’Histoire jusqu’à la fin des temps : Yichmaël (ancêtre des Arabes) sera l’adversaire d’Israël sur sa Terre; Essav (ancêtre des occidentaux) sera l’adversaire d’Israël dans sa croyance. Aujourd’hui, le peuple juif évolue dans une structure étatique indépendante ; cependant il est essentiel de s’interroger quant au sens à donner à cette souveraineté retrouvée.
Quelle est la vocation de l’Etat juif ? L’Etat juif doit-il être un état laïc, sans vocation spirituelle, ou doit-il devenir un Etat juif au plein sens du terme ? La vision laïque d’un Etat juif peut certes séduire les esprits superficiels mais ne saurait satisfaire les amoureux de la vérité. Car le peuple juif, de par sa vocation, son histoire et son essence, a un rôle primordial à jouer, celui d’être porteur des idéaux profonds véhiculés par les Prophètes. Le prophète Yéchayahou dans sa vision de la fin des temps, décrit le peuple juif comme un peuple qui n’a pas cherché à dominer ni à convertir les autres nations, mais comme un peuple respecté et admis par le monde pour ce qu’il est, parce qu’il aura eu le courage de véhiculer ses propres valeurs. Cette voie est infiniment plus difficile, car elle exige une abnégation considérable. En effet, il est bien plus facile de clamer ce que les gens ont envie d’entendre que de dire ce qui est vrai, même si cela déplait. Pour toutes ces raisons, l’Etat dont je rêve est celui où la Halakha sera la référence incontournable à la fois sur le plan juridique, éthique et politique. De ce fait, la fondation d’un Etat juif signifie essentiellement l’existence d’un lieu privilégié pour la pratique des Mitsvot. Encore 13
vision juive
faut-il s’interroger sur la place de cet Etat dans l’eschatologie juive. Pour ce faire, il est nécessaire de nous pencher sur nos sources.
Le processus messianique Nos Sages enseignent qu’à partir de l’année 5600 et jusque vers l’année 5750 se produiront dans le monde plusieurs phénomènes qui marqueront le passage très clair d’une ère à l’autre. En 5748 (correspondant à l’année 1989) par exemple, nous avons assisté à la chute de l’Union soviétique qui marqua la fin de la guerre froide entre les deux superpuissances américaine et russe. Les six mille ans de l’Histoire selon la datation juive se divisent en six périodes correspondant au niveau symbolique aux six jours de la semaine. Ainsi l’ère messianique, qui viendra couronner cette période de 6000 ans, correspond au septième millénaire, ce que nos Sages appellent le « Chabbath de l’Histoire ». Cependant, de la même façon que le Chabbath commence vendredi après-midi peu avant le coucher du soleil, l’ère messianique elle aussi commencera vers la fin du sixième millénaire. Selon cette définition, il apparait que nous nous situons actuellement dans le « vendredi après-midi » à l’approche du Chabbath de l’Histoire. Le soleil commence donc son déclin, l’obscurité s’abat lentement sur le monde avant que ne surgisse la lumière intense du matin. Les épreuves augmentent au fur et à mesure que se rapproche le moment où surgira l’extraordinaire lumière messianique. Le Gaon de Vilna ajoute qu’à partir de l’année 5600, correspondant dans le décompte non-juif à l’an 1840, commencera un processus précis qui ne s’arrêtera plus jusqu’à la fin de l’Histoire et qui s’appelle le processus messianique. Enseignement qui s’est effectivement concrétisé dans les faits : ainsi l’année 1840 fut celle de la Révolution industrielle, qui permit la découverte de nombreuses technologies dont le rôle est de préparer le monde en vue de l’avènement de l’ère messianique. Cependant, bien évidemment, ce processus messianique, au-delà de son aspect purement technique, si j’ose dire, se caractérisera avant tout par un intense éveil spirituel, dont nous sommes les témoins jour après jour. 14
clivage et quête identitaire
La Torah, phénomène incontournable Je ne suis pas prophète. Mais, comme nous l’enseignent nos Sages, tous les Juifs sont fils de prophètes. En novembre 1989, j’organisai le premier Yom Hatorah en France et je le ressentis pour la première fois de manière intense : la Torah allait rapidement devenir un phénomène incontournable. Ma conclusion a été très claire : la vedette, c’est la Torah ! Nous n’avons besoin d’aucune autre vedette ! La Torah est le cœur de la communauté. Evidemment, cela ne veut pas dire que ceux qui la représentent puissent s’enorgueillir ; bien au contraire, les Juifs de la Torah se doivent d’avoir un esprit extrêmement critique par rapport à leurs propres personnes. Bien loin de se considérer comme parfaits, ils ne peuvent nullement s’autoriser un regard condescendant sur ceux de leurs frères qui n’ont pas encore eu la chance d’avoir accès aux lumières de la Torah. Bien au contraire, leur rôle est d’éclairer et de guider leurs coreligionnaires. En effet, il faut constamment avoir à l’esprit que la seule qualité de Moché Rabbénou mise en avant par la Torah est son immense modestie comme le dit le verset : « Et l’homme Moché était plus humble que tout homme à la surface du globe » (Bamidbar 12,3). De ce fait, les qualités d’un homme de Torah le situeront aux antipodes de l’orgueil et de la suffisance et feront de lui un homme de conviction, insuffisant et insignifiant à ses propres yeux. Seul un tel état d’esprit sera susceptible de susciter une sympathie généralisée et de favoriser un mouvement toujours grandissant de retour vers la Torah. Mes chers amis, la Torah est l’école de la modestie et de l’humilité. Dans cet esprit, nous pouvons comprendre quels sont respectivement les rôles de D.ieu et de l’homme. Le rôle de D.ieu est de faire l’Histoire ; le rôle de l’homme est d’étudier et d’accomplir la Torah. En effet, La Torah apporte à l’homme les réponses à toutes les questions qu’il se pose. Pour en revenir à l’actualité, la victoire de Nétanyahou n’est pas à considérer simplement comme un succès politique. Si l’on constate des réactions aussi vives de par le monde, c’est plutôt le constat d’une 15
vision juive
panique. La Torah arrive... ! Mais plutôt que de succomber à ce mouvement de panique, je pense qu’il faut savoir aborder avec courage et lucidité ce rendez-vous historique qui est celui de la fin des temps et dans lequel la Torah sera l’interlocuteur et la référence des Juifs et du monde entier. Ce phénomène a commencé en 5708 (date hébraïque), année qui a pour valeur numérique « Tèchvou » (« vous résiderez ») ; c’est l’année de la création de l’Etat d’Israël (1948) ! Certes, nous sommes revenus aujourd’hui en Terre d’Israël, après un exil long et difficile. Mais encore faut-il être capable de tirer les leçons de l’Histoire, pour éviter qu’elle ne se reproduise.
Comment conserver la Terre d’Israël ? Le prophète Yirméyahou pose la question : « Pourquoi la terre [d’Israël] a-t-elle été détruite et dévastée comme le désert que personne ne traverse ? » (Yirméyahou 9,11). Le traité de Baba Metsia (85b) explique : « Cette question fut posée aux Sages et aux prophètes et personne n’a su y répondre jusqu’à ce qu’Hachem Lui-même donne la réponse : « Du fait qu’ils ont abandonné Ma Torah » (Yirméyahou 9,12). Rav Yéhouda dit au nom de Rav : « Du fait qu’ils n’ont pas prononcé la bénédiction qui précède l’étude de la Torah ». » Le Ran (Rav Nissim de Gironde, grand Sage espagnol du 14ème siècle) cite les propos de Rabbénou Yona (de la ville de Gironde au 13ème siècle) qui pose la question suivante : « Que signifie que nous n’avons pas prononcé la bénédiction qui précède l’étude de la Torah ? Il est faux de s’imaginer qu’il suffit d’être pieux pour conserver la Terre d’Israël ; encore faut-il que la Torah soit véritablement chère à nos yeux ». « Faire une bénédiction avant d’étudier la Torah » signifie au sens plus profond que nous accordons à l’étude de la Torah une valeur telle que nous ne la considérons pas seulement comme un moyen d’augmenter notre sagesse pour trouver grâce aux yeux de nos contemporains ou pour pouvoir commercer honnêtement ; cela signifie que nous sommes profondément conscients de l’origine divine de la Torah et que nous 16
clivage et quête identitaire
voulons l’étudier essentiellement pour nous rapprocher de Hachem et devenir saints. Je pense que notre génération doit adopter cette vision élevée des choses. Voilà pourquoi nos maîtres, depuis quelques décennies, ceux auxquels nous faisons référence et auxquels nous essayons d’être fideles dans nos enseignements, ont énoncé de manière claire que de nos jours, il est une urgence qui prime sur tout, sur les besoins humanitaires, politiques et sociaux et qui est la recherche de notre identité spirituelle. C’est par cette recherche pleine de sens que l’on attirera finalement la Présence divine sur la Terre d’Israël. Or, si la Terre d’Israël est habitée par Hachem, tous les malentendus se dissiperont, comme le dit la Torah : « Aucun homme ne convoitera ta terre lorsque tu iras pour paraître devant Hachem ton D.ieu » (Chémot 34,24). Les nations du monde accepteront notre présence sur la Terre sainte, renonceront à leur hostilité à notre égard et nous vivrons dès lors dans la paix et l’harmonie. Cependant pour réussir dans cette recherche identitaire, nous avons besoin de véritables guides, d’érudits en Torah, c’est-à-dire de Talmidé ‘Hakhamim.
Qui sont les Talmidé ‘Hakhamim ? Les Talmidé ‘Hakhamim sont ceux qui unissent le ciel et la terre. Que signifie unir le ciel et la terre ? C’est ne pas voir de contradiction entre le monde spirituel et le monde matériel. Aujourd’hui, nous sommes tous avides de sens, nous cherchons des significations, nous essayons d’expliquer les choses. Certains sont superstitieux, évitent de sortir à certaines heures de la journée, interprètent toutes sortes de choses qui leur arrivent… Agir de cette manière signifie ne pas être capable de déchiffrer correctement les messages que D.ieu nous envoie. Mais comment celui qui est en quête de sens peut-il interpréter les évènements qui lui arrivent ? Pour le Juif, la réponse est claire : il doit consulter un Talmid ‘Hakham, parce que celui-ci sait, comme nous l’avons expliqué, « unir le ciel et la terre ». 17
vision juive
Il est capable d’amener le ciel sur la terre, c’est-à-dire qu’il est capable d’éclairer les événements de la vie à la lumière céleste de la Torah. Or, c’est précisément ce dont la Terre d’Israël aura besoin afin de pouvoir jouer son rôle à la fin des temps. Elle doit être une terre éclairante ; et elle ne le sera que par la lumière de la Torah. C’est la raison pour laquelle les prophètes affirmèrent à propos du peuple d’Israël : « Les nations marcheront à ta lumière » ; Il ne s’agit pas d’une lumière éclatante ni aveuglante, mais d’une lumière « éclairante ». Notre rôle ne sera pas d’occuper le devant de la scène avec orgueil, mais de montrer aux nations le chemin de la vie. Il est rapporté dans les Pirké Dérabbi Eliezer : « Les Sages augmentent la paix dans le monde » (Brakhot 64,1). Car celui qui étudie tous les jours la Torah de façon désintéressée construit un avenir de paix. Dans la tradition orale, il est dit que les Talmidé ‘Hakhamim sont ceux, comme on l’a vu, qui sont capables d’unifier le ciel et la terre. Hors, il est écrit que D.ieu fait la paix dans les hauteurs célestes. La paix se dit en hébreu « Chalom » et se rattache au concept de « Chlémout », la perfection au sens absolu du terme ; bien évidemment cette perfection ne se rattache qu’au Créateur de l’univers. Notre rôle en tant qu’êtres humains, c’est de réaliser à notre échelle ce qui est énoncé dans le verset : « Celui Qui fait la paix dans les hauteurs Célestes réalisera la paix sur nous ». Dans la mesure où il y aura des hommes qui par leur étude de la Torah, feront descendre la paix d’en Haut, pour l’amener sur terre…
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2 - La Shoah Pourquoi ?
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la shoah
Pour introduire ce cours, le Rav Sitruk emprunte les mots de Moché Rabbénou, qui s’adressa au Créateur de l’univers en ces termes : « Si j’ai trouvé grâce à Tes yeux, fais-moi connaître Tes voies» (Chémot 33,13). En effet, explique-t-il, seule l’inspiration divine peut nous guider pour parler d’un sujet aussi difficile que la Shoah. Il est dit dans la Torah : « Demande aux Sages, et ils te diront » (Chémot 32,7) : à chaque fois que se produit un évènement qui interpelle les hommes, l’on doit se tourner vers les Sages qui pourront nous éclairer.
Pourquoi ? La première question qui se pose est évidente : pour quelle raison six millions de Juifs, hommes, femmes et enfants sont-ils morts dans des conditions si atroces ? Personne n’est en mesure d’y répondre. Pourtant, ce n’est pas parce que l’on ne comprend pas que l’on est dispensé de chercher à comprendre. Pour démarrer notre réflexion, une première affirmation s’impose. D.ieu est au-dessus de toute intelligence humaine et par conséquent toute tentative d’explication de l’Histoire se heurtera aux limites de l’intelligence humaine. La seconde affirmation qui s’impose, c’est que toutes les actions de D.ieu sont justes ! Le troisième enseignement que je souhaiterais partager avec vous, c’est que nous ne devons pas déconnecter la Shoah de toutes les autres persécutions de l’Histoire juive. « Shoah » en hébreu signifie « catastrophe ». Ce terme a été choisi parce que c’est celui qui se rapproche le plus de la tragique réalité. Maïmonide, dans les Halakhot relatives aux jeûnes (1,1), écrit que refuser d’envisager le hasard comme un facteur explicatif de l’Histoire est une Mitsva impérative. En d’autres termes, celui qui estime que ce monde est simplement une succession d’évènements incompréhensibles et inintelligibles, laissée au bon vouloir des hommes et n’étant nullement l’expression d’une volonté suprême, est un renégat ; en effet D.ieu dirige le monde.
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vision juive
Le poids de nos actes Il nous est difficile de connaître l’impact et le poids réel de nos Mitsvot. Nous ne connaissons pas la Mitsva la plus importante. Nous ne connaissons pas davantage l’importance relative de chaque Mitsva aux yeux de D.ieu. Dans la mesure où nous ne sommes pas capables d’évaluer le poids spirituel de nos actes, nous ne sommes pas non plus capables d’évaluer les conséquences spirituelles de nos actes sur le destin du peuple d’Israël. Nous ne sommes pas non plus en mesure de connaître les conséquences d’une faute ou le salaire d’une Mitsva. L’un de nos grands maîtres, Rabbi Israël Salanter, enseignait ainsi que lorsque dans une Yéchiva au fin fond de la Lituanie, à Kovno, un élève émet des propos interdits qui relèvent de la médisance, cela provoque une profanation du Chabbath à Paris. La Torah affirme que l’histoire du peuple juif est soumise à des critères d’évaluation très précis et ne relevant nullement de l’arbitraire. D.ieu juge et évalue le peuple juif selon des modalités parfaitement définies et contenues dans la Torah.
Les méandres de l’Histoire De la même façon que sans Rachi, l’on ne peut comprendre le Talmud, de la même manière sans les maîtres de la Torah, l’on ne peut comprendre l’Histoire. Permettez-moi de douter de la confiance absolue qu’il faudrait accorder aux historiens. L’homme n’est pas infaillible, il est par conséquent incapable de transcrire sa propre histoire de manière fiable. Citons les paroles du ‘Hazon Ich, l’un des grands maîtres de la Torah décédé il y a environ trente-cinq ans : « Il est impossible d’écrire un livre d’Histoire, à moins d’être prophète ou inspiré de D.ieu ». Ces paroles se fondent sur le verset suivant (Dévarim 32,7) : « Interroge ton père et il te racontera, tes Anciens et ils te diront ». Rachi explique : « ‘Ton père’ désigne les prophètes et ‘tes Anciens’ désignent les Sages de la Torah ». 22
la shoah
Lorsqu’un étudiant peine à comprendre un passage du Talmud, il consulte ses maîtres pour en connaître le sens ; de même lorsqu’il est question d’interpréter un évènement aussi tragique que la Shoah, l’on doit se tourner vers nos maîtres pour les interroger. Pour ma part, j’ai eu le privilège de connaître et d’interroger quelques maîtres, au nombre desquels Rav Chajkin (élève du ‘Hafets ‘Haïm), qui a quitté ce monde il y a quelques semaines. J’ai passé de nombreuses heures en sa compagnie à l’interroger à ce sujet. Par ailleurs, les quelques grands maîtres qui ont survécu à la Shoah et que j’ai connus se sont tous démarqués à mes yeux par leur confiance inébranlable en D.ieu. Après tout ce qu’ils ont vécu, après tous les traumatismes qu’ils ont subis, ces hommes non seulement ont continué de croire en D.ieu mais se sont battus pour Lui et ont sanctifié Son nom, et ce, jusqu›à leur dernier souffle. Nos Sages ont toujours affirmé que pour un juif croyant, le malheur a un sens, ainsi que le dit le roi David : « Quand bien même j’irais dans la vallée des ombres de la mort, je ne craindrais pas le mal, car Tu es avec moi » (Téhilim 23,4). Ce verset nous enseigne que pour un croyant, la seule certitude absolue est celle de la présence de D.ieu. Rabbi Israël Baal Chem Tov, fondateur du mouvement ‘hassidique, est arrivé à la conclusion que la chose la plus importante pour un juif est le sentiment de proximité et l’amour qu’il éprouve pour son Créateur, audelà même de la certitude de la récompense promise pour ses bonnes actions. Il faut souligner l’héroïsme spirituel de ces hommes qui au milieu de la vallée de la mort, dans les heures les plus sombres de l’extermination nazie, n’ont jamais abandonné leur foi en D.ieu et ont continué à dire leurs prières jour après jour… Ils savaient qu’ils vivaient des évènements qui les dépassaient et ils n’ont pas cherché à comprendre. Rien ne pouvait remettre en cause leur foi en D.ieu, car la définition même de la vie n’est pas la recherche du plaisir mais bien la connaissance de D.ieu et Sa proximité. 23
vision juive
Si un être humain a compris cela, prouvant par là même qu’il a clarifié sa conception de la vie définitivement, ses relations avec D.ieu ne dépendront plus de son humeur ni des circonstances de la vie. Par conséquent, la souffrance ne doit jamais devenir une explication ou une justification de notre non-retour vers D.ieu.
Le voilement de la Face divine Bien évidemment, la Torah nous apporte des réponses. La plus profonde d’entre elles à mon sens est celle du Hester Panim (voilement de la face). Dans la prière de la Amida que nous récitons trois fois par jour, nous disons « Bénis-nous notre Père tous ensemble dans la lumière de Ta face car dans la lumière de Ta face, Tu nous a donné… la Torah et la vie, l’amour et la bonté, la justice et la miséricorde, la bénédiction et la paix ». Il s’agit ici d’une bénédiction extraordinaire où nous demandons à Hachem de nous octroyer tout ce dont nous avons besoin et ceci au moment précis où Il nous éclaire de Sa face. Pour expliquer ce concept, on pourrait prendre l’image d’un père qui regarde son fils faire ses premiers pas et qui l’entoure d’un regard affectueux, attentif et rempli d’amour. A l’inverse, il existe une autre dimension qui est terrifiante. Le roi David dit : « Si Tu voiles Ta face, je suis épouvanté » (Téhilim 30,8). Lorsque D.ieu voile Sa face, les hommes sont voués à leur perte. Le voilement de la Face divine signifie que la Providence n’est plus perceptible et que l’homme a le sentiment pénible d’être livré aux mains du hasard. Il est écrit dans le livre de Dévarim (31,18) : « En ce jour, Je voilerai Ma face ». Cette prophétie écrite dans la Torah nous faisait trembler depuis des millénaires… Nous ne savions pas quand elle se réaliserait ; cependant nous savions que le jour où elle se réaliserait serait un jour redoutable. Le peuple juif doit bien comprendre une leçon historique : si ce n’était qu’à chaque instant D.ieu le portait et le protégeait, il ne pourrait 24
la shoah
pas survivre même un instant. Qu’est-ce qu’un instant aux yeux de l’Histoire ? Une dizaine d’années. Imaginez seulement ce qui se serait produit si la guerre ne s’était pas arrêtée en 1945... Si les Alliés n’avaient pas mis un terme à la domination nazie. Si cette guerre atroce s’était poursuivie trois ou quatre ans de plus. Au rythme auquel on abattait les victimes dans les camps de la mort... Personne ne serait plus là pour en parler. Ce voilement de la Face divine ne relève évidemment pas de l’arbitraire mais s’inscrit dans un processus d’une cohérence parfaite qui reflète de manière précise le comportement humain. Cela signifie qu’il n’existe aucune injustice dans la conduite du monde. Nos maîtres enseignent : « Si un homme se blesse le bout du doigt, c’est comme s’il offrait un sacrifice sur l’autel de Jérusalem », à savoir que même les petites blessures qui surviennent ne sont pas le fait du hasard. Il en est de même des petites contrariétés de la vie, comme par exemple se retrouver bloqué à un feu rouge ou mettre la main à la poche et sortir moins d’argent que prévu ; ces désagréments ne sont pas le fait du hasard et sont voulus par la Providence (traité Arakhin 16b). Ce qui est vrai au sujet d’épreuves de ce type l’est encore plus concernant une catastrophe de la dimension de la Shoah. Bien entendu, en tant qu’être humain, on ne peut prétendre comprendre la justice divine. Cependant nos Sages nous ont livré des pistes. Ainsi en est-il par exemple de la conduite dite « mesure pour mesure », à savoir que D.ieu Se conduit envers Son peuple avec un souci extrême de réciprocité dans le bien comme dans le mal. Dans la Bible sont rapportés plusieurs exemples de cette conduite. Le premier concerne Avchalom, le fils rebelle du roi David. Nos Sages expliquent qu’il tira orgueil de sa chevelure et c’est pourquoi il trouva la mort en étant pendu par ses cheveux. A l’inverse, Myriam, sœur de Moché Rabbénou, attendit patiemment de voir quel sort la Providence allait réserver à son frère qui avait été déposé dans un berceau sur les eaux du Nil : cette attitude lui donna le mérite d’être attendue par tout le peuple juif lorsqu’elle fut atteinte de la lèpre dans le désert. 25