Birkat Hamazone

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Guide en Or

Birkat Hamazone


AUTEUR Rav Yonathan KOEN • RELECTURE Philippe STEBOUN • MISE EN PAGE Jérémie ARGAMAN • COUVERTURE Zelda LEOTARDI • COORDINATION Moshé Haïm SEBBAH • DIRECTION Binyamin BENHAMOU Publié et distribué par les

EDITIONS TORAH-BOX France Tél.: 01.80.91.62.91 Israël Tél.: 077.466.03.32 contact@torah-box.com www.torah-box.com © Copyright 2017 / Torah-Box

• Imprimé en Israël Ce livre comporte des textes saints, veuillez ne pas le jeter n’importe où, ni le transporter d’un domaine public à un domaine privé pendant Chabbath.


Note de l'éditeur Les Editions Torah-Box ont la joie de vous présenter l’ouvrage “Birkat Hamazone” dans la collection “Mitsva en Or”. La nourriture occupe une place non-négligeable de notre vie. Le fait de s’alimenter constitue aussi bien un besoin élémentaire qu’une source de plaisir. La Torah, qui sonde et connaît la nature humaine, a précisément choisi le domaine de la nourriture afin d’établir une relation épanouissante avec notre Créateur, par l’entremise du Birkat Hamazone. Dans ce livre du Rav Yonathan Koen qui traite en profondeur des aspects philosophique, historique et halakhique du Birkat Hamazone, ponctués de récits édifiants sur nos Sages, le lecteur trouvera réponse aux questions suivantes : - Quelle est la signification des bénédictions du Birkat Hamazone ? - Quels sont les bienfaits accordés à celui qui récite avec ferveur le Birkat Hamazone ? - Pourquoi le Birkat Hamazone évoque-t-il la terre d’Israël ? - Que faire si l’on a oublié de réciter le Birkat Hamazone ? Le Midrach enseigne que lorsque les Anges demandèrent à Hachem la raison pour laquelle Il préférait le peuple d’Israël aux autres nations, Hachem répondit : « J’ai ordonné dans la Torah : “Tu mangeras, tu seras rassasié et tu béniras Hachem ton D.ieu" et eux Me bénissent même pour une petite quantité de nourriture en récitant le Birkat Hamazone ! » Puisse notre bouche s’emplir bientôt de rires et de louanges pour le Créateur, avec l’avènement de la Délivrance prochaine, Amen ! ‫להגדיל תורה ולהאדירה‬ L’équipe Torah-Box



Bné Brak, Nissan 5775 A l’attention de mon ami, l’érudit en torah et doté d’une crainte du ciel pure, le rav Yonathan Koen chlita Je suis très impressionné par la lecture du livre «Birkat Hamazone», comment son auteur le Rav Yonathan Koen Avrekh assidu dans notre Collel «Tiféret Avraham Vechalom», a su analyser à travers ces quatre bénédictions récitées après le repas, différents aspects fondamentaux sur la Emounah : notre foi en l’existence d’Hachem, comment développer notre relation avec lui, apprendre à détecter Ses bienfaits, savoir et reconnaitre Son omniprésence et atteindre des niveaux très élevés de Yir’at chamayim (crainte du ciel) puis celle encore plus élevée de Ahavat Hachem (l’amour de D…). En même temps, on apprend l’historique très intéressant du Birkat Hamazone, qui sont les auteurs des quatre bénédictions respectives ainsi que des Hara’haman etc. et les implications dans la Halakha s’il s’agit de ce qui est obligatoire d’après la Torah ou bien d’ordre rabbinique. Ainsi que rav Hamnouna dont la Guémara nous dit (Berakhot 31a) «Combien de lois de grande importance découlent de la prière de ‘Hanna» ce que rav Hamnouna explique en détail, c’est ce que nous pouvons dire à propos de rav Yonathan Koen, en ce qui concerne le Birkat Hamazone. Qu’Hachem lui donne le mérite de continuer à diffuser d’autres livres aussi passionnants à la satisfaction générale de notre grande communauté francophone.

Yossef Meyer


Que ce livre contribue à la réussite du

Collel « Vayizra’ Itshak »

Centre d’étude de Torah pour Francophones à Jerusalem

sous l’enseignement du rav Eliezer FALK à la mémoire de M. & Mme Jacques -Itshak- BENHAMOU au Roch-Collel : Rav Eliezer FALK aux Rabbanim : Rav Tséma’h ELBAZ Rav ‘Haïm BENMOCHÉ Rav Tsvi BREISACHER Rav Eliahou UZAN

et à leurs chers étudiants assidus et dévoués pour la Torah : Rabbi Michael ABITBOL Rabbi Yaakov ADLER Rabbi Moché AVIDAN Rabbi Binyamin BENHAMOU Rabbi David BRAHAMI Rabbi Yaron COHEN Rabbi Anthony COOPMANS Rabbi Menahem Moché GOLDBERGER Rabbi Binyamin JAMI

Rabbi Moché KRAKOVITCH Rabbi Nethanel OUALID Rabbi Mikhael RIMOKH Rabbi Nathan SABBAH Rabbi Raphael SABBAH Rabbi David SITBON Rabbi Itshak ZAFRAN Rabbi Emmanuel ZAOUI Rabbi Yonathan LUMBROSO

Que ce livre contribue à la réussite du

Collel « Torat Yé’hia »

Centre d’étude de Halakha pour francophones à la mémoire de M. & Mme Yé’hia TEBOUL au Roch-Collel : Rav ‘Haïm BENMOCHÉ

et à leurs chers étudiants assidus et dévoués pour la Torah : Rabbi Lionel SELLEM Rabbi Mikhaël MATÉ Rabbi Shlomo AFLALO Rabbi Mordékhaï STEBOUN


TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE

REMERCIER, BÉNIR ET GRANDIR • Chapitre 1 : L e pouvoir des Brakhot Un élément de base dans la vie d’un juif Les louanges : plus puissantes que les prières Le Birkat Hamazone : un bouclier face à la colère d’Hachem Comment obtenir les faveurs d’Hachem ?

p. 15 p. 17 p. 21 p. 25 p. 29

• Chapitre 2 : La reconnaissance Reconnaître et remercier L’homme, source de bien à l’image d’Hachem Comment bien assumer la place de « receveur » ? Comment progresser concrètement ? L’homme à son état de perfection

p. 33 p. 35 p. 36 p. 37 p. 38 p. 42

• Chapitre 3 : Le pain et la Avodat Hachem De la reconnaissance du bien à la reconnaissance du Créateur Reconnaître notre Créateur éveille la crainte et l’amour Une condition nécessaire : une relation proche et intime La relation créée par la consommation d’un repas

p. 45 p. 47 p. 49 p. 51 p. 53

• Chapitre 4 : Historique du Birkat Hamazone La structure selon la Torah et nos Sages Le texte et ses auteurs La première Brakha Le Birkat Hamazone sur la Manne...? La seconde et la troisième Brakha La quatrième Brakha

p. 57 p. 60 p. 61 p. 62 p. 63 p. 65 p. 66


• Chapitre 5 :  La joie dans les Mitsvot Le devoir de Sim’ha dans nos sources La joie : le fruit d’une union La joie dans ce qu’on possède La joie dans le Michkan La joie dans les Mitsvot Se préparer à la Téfila Se préparer à la Mitsva

p. 69  p. 71 p. 72 p. 73  p. 74  p. 74  p. 75 p. 77

DEUXIÈME PARTIE

COMPRENDRE LE BIRKAT HAMAZONE • Chapitre 6 :  Le texte   p. 81 La première Brakha sur la nourriture      p. 83 La deuxième Brakha sur la terre  p. 94 La troisième Brakha : la reconstruction de Yérouchalaïm   p. 105 Rétsé Véha’halitsénou p. 112 La quatrième Brakha : le bon Qui fait le bien p. 118 Hara’haman p. 126 Les versets de la fin du Birkat Hamazone p. 135 • Chapitre 7 :    Le Birkat Hamazone abrégé

p. 141

• Chapitre 8 :    Le Birkat Hamazone des endeuillés

p. 151

• Chapitre 9 :    Autres Brakhot après la consommation d’aliments p. 161 Méèn Chaloch p. 163 Boré Néfachot p. 169 • Chapitre 10 :  Approfondissement sur le concept de Brakha Relier la vie à sa source Un devoir et une responsabilité Le corps et l’esprit en harmonie   L'aboutissement de l'union corps-âme

p. 173 p. 175 p. 178 p. 180 p. 182


TROISIÈME PARTIE

HALAKHOT • Chapitre 11 : Halakhot du Birkat Hamazone

p. 191

• Sources

p. 203

• Glossaire

p. 225



Note de l’auteur « Ce peuple, Je l’ai créé pour Moi, pour qu’il raconte Ma louange ». Remercier et louer Hachem constitue un des buts essentiels de notre existence. À une échelle plus individuelle, reconnaître le bien que l’on reçoit est désigné par la Torah comme une des qualités les plus importantes dans la personnalité d’un homme. D’ailleurs, une des accusations les plus sévères adressées à Adam Harichone était l’ingratitude dont il fit part. Quant à nous, dès notre réveil, les premiers mots que nous exprimons sont Modé Ani : je remercie… Dans cette optique, les Brakhot occupent une place de première importance dans notre vie. Elles nous permettent d’entretenir une relation vivante avec notre Créateur et de Lui exprimer notre reconnaissance. Elles nous accompagnent tout au long de la journée, dans nos prières et nos Mitsvot, mais aussi dans notre alimentation et notre vie courante. Parmi elles, se démarque le Birkat Hamazone ; c’est la seule Brakha qui est explicitement mentionnée dans la Torah. Le Birkat Hamazone constituera une référence de base pour découvrir et comprendre le vaste domaine des Brakhot. Que signifie bénir Hachem ? Quel est le secret d’une Brakha ? Et quelle particularité pouvons-nous attribuer au Birkat Hamazone ? Remercier Hachem relève du devoir élémentaire de gratitude, cette valeur primordiale dans la vie d’un Juif. Pourtant, cela ne semble pas naturel pour tout le monde… Que se cache-t-il derrière la réticence à remercier ? Un simple défaut de caractère ou une force psychique enfouie dans les profondeurs de l’âme ? L’analyse de cette question nous fera découvrir une nouvelle approche de la vie et pourra générer de nouveaux comportements. Le Birkat Hamazone constitue une Mitsva alliée à une réaction naturelle de reconnaissance. Mais, semble-t-il, la portée de cette démarche dépasse de loin la simple reconnaissance pour les aliments consommés puisqu’on rencontre dans le Birkat Hamazone la sortie d’Égypte, la Brit-Mila, le Beth Hamikdach, la Rédemption future et encore bien d’autres sujets. Comment un morceau de pain nous mène-t-il à une si grande variété de thèmes ? Quelle est la ligne directrice qui relie tous ces domaines ?


Il est intéressant de suivre les étapes successives qui mirent à jour, au fur et à mesure, le texte complet que nous possédons aujourd’hui. Nous étudierons le contenu du Birkat Hamazone dont une partie est attribuée à Moché Rabbénou lui-même ! Différentes prières annexes au Birkat Hamazone seront également rapportées et étudiées. Cet ouvrage s’adresse à toute personne intéressée à découvrir la richesse et le pouvoir du Birkat Hamazone, cette Mitsva que nous réalisons quotidiennement sans toujours connaître sa remarquable valeur. Je remercie Hachem pour la vie qu’Il m’accorde et pour tout ce qu’Il m’apporte, avec bonté et miséricorde. Je Le loue également pour la Torah qu’Il nous a donnée et pour la possibilité qu’Il m’offre de l’étudier. Je me dois d’exprimer mes remerciements à mes parents qui m’ont donné les bases de la vie, de la Torah et de notre relation avec Hachem ; à mes Rabbanim qui m’ont fait découvrir la richesse et la profondeur de la Torah tout en m’éclairant dans les voies de la Avodat Hachem ; à mes compagnons d’étude grâce à qui j’ai pu approfondir et éclaircir de nombreux sujets de Torah et de Moussar. Enfin, je voudrais exprimer ma reconnaissance à mon épouse '‫ שתחי‬dévouée dans son rôle d‘Echet ’Hayil. Seuls son soutien fidèle et son aide attentionnée me permettent de m’adonner à l’étude… ‫מנשים באהל תבורך‬ Y. Koen

En fin d'ouvrage, vous trouverez le Birkat Hamazone selon le rite séfarade et achkénaze ainsi que sa traduction en français. La version phonétique peut être téléchargée sur : www.torah-box.com/go/birkat Pour les lecteurs intéressés d’approfondir les sujets traités, nous avons rapporté page 205 des extraits sur lesquels ils pourront se pencher, en profitant des enseignements de nos Maîtres directement dans leurs sources. Ces passages sont désignés par le symbole suivant : &.


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PREMIÈRE PARTIE

REMERCIER, BÉNIR ET GRANDIR



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Chapitre 1 Le pouvoir des Brakhot



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Un élément de base dans la vie d’un Juif De nombreuses Brakhot nous accompagnent tout au long de la journée, depuis le réveil avec Nétilat Yadaïm, jusqu’au coucher avec Birkat Hamapil. Certaines viennent remercier pour différents plaisirs éprouvés ou besoins comblés, d’autres introduisent nos Mitsvot. Elles sont présentes à tous les moments de notre journée et à toutes les étapes de notre vie. Mais, chose étonnante, elles ne sont nullement mentionnées dans la Torah. Elles sont toutes Dérabanane, d’ordre rabbinique, à l’exception du Birkat Hamazone, ainsi que Birkat Hatorah (d’après certains avis). Cela peut s’expliquer par l’image suivante. Dans une Kétouba, sont inscrites les clauses du mariage. Les devoirs mutuels et les conditions financières y sont rapportés et chacun peut ajouter différents engagements personnels. Mais personne n’ajoutera : « Les mariés s’engagent à parler l’un avec l’autre ». Pour la simple raison que le dialogue constitue une base évidente de la vie d’un couple. Celui qui jugerait nécessaire d’expliciter ce devoir montrerait qu’à ses yeux cela n’est ni naturel ni évident. Ainsi, la Torah constitue la Kétouba entre Hachem et Son peuple (cf. Rachi Chémot 34,1 qui compare les Tables de la Loi que Moché Rabbénou brisa, à une Kétouba). Elle présente d’une part nos devoirs face à Hachem et par ailleurs Son engagement à nous donner ce qui nous est nécessaire pour vivre et Le servir. Mais elle ne peut expliciter le devoir du dialogue ; il doit venir naturellement. Il est primordial de s’exprimer et de remercier quand on reçoit de Lui un bienfait ou à l’occasion d’une Mitsva que nous accomplissons pour Lui. Cependant, nous retrouvons une allusion aux Brakhot dans les Pessoukim suivants : ‫לוקיך ללכת בכל דרכיו‬-‫לוקיך שואל מעמך כי אם ליראה את ה' א‬-‫ועתה ישראל מה ה' א‬ ‫ לשמור את מצות ה' ואת‬.‫ולאהבה אותו ולעבוד את ה' אלוקיך בכל לבבך ובכל נפשך‬ )‫יג‬-‫ (דברים י יב‬.‫חקתיו אשר אנוכי מצוך היום לטוב לך‬ « Et maintenant, Israël, qu’est-ce qu’Hachem ton D.ieu attend de toi ? Uniquement de craindre Hachem ton D.ieu, de suivre tous Ses chemins, de L’aimer et de servir Hachem ton D.ieu de tout ton cœur et de toute ton âme, de respecter les Mitsvot d’Hachem et Ses lois que Je t’ordonne aujourd’hui pour ton bien » (Dévarim 10,1213).


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L’expression Ki Im, « uniquement » nous étonne face à la longue liste des devoirs énumérés. Le Or Ha’haïm (&) éclaire ce point de la manière suivante. On ne doit travailler que pour acquérir une seule vertu : la crainte d’Hachem. Si l’on réalise cette étape-là, toutes les qualités qui suivent en découleront facilement. C’est à cela que se réfère le terme « uniquement ». Comment la crainte d’Hachem mène-t-elle à toutes ces facultés ? Remarquons en premier lieu que, de manière générale, la peur est un des meilleurs agents de retenue. La peur de perdre la vie décourage des excès de vitesse sur la route, plus que toute autre motivation ou punition. De même, la crainte de la punition ou, à un plus haut niveau, la crainte de perdre le lien avec Hachem, conduira à suivre Ses lois et respecter Ses Mitsvot. Même l’amour n’est possible que grâce à la crainte. Entre humains, par exemple, c’est seulement si l’on sait mettre de côté son ego pour faire place à l’autre qu’on pourra respecter son prochain avec ses particularités et ses désirs propres ; c’est alors qu’on saura le considérer suffisamment afin de pouvoir désirer son bien-être et lui apporter ce qu’il désire et apprécie, c’est-à-dire l’aimer. De même, l’amour d’Hachem, repose sur le respect et la valorisation de la volonté d’Hachem. Ajoutons que si l’on réalise notre petitesse face à la grandeur infinie d’Hachem, on ne peut qu’être impressionné par l’attention qu’Il nous accorde et par les extraordinaires bienfaits dont Il nous comble. Réfléchir à cela ne peut qu’éveiller l’humilité et attiser un amour inconditionnel envers notre Créateur et bienfaiteur. La crainte d’Hachem conduira donc naturellement à atteindre les plus hautes valeurs énumérées dans les deux Pessoukim. Comment acquérir la crainte d’Hachem ? L’étude, en particulier de la Haggada et des livres de Moussar, favorise grandement cette qualité. Mais les Sages ont perçu une réponse à cette question dans notre Passouk même : ‫מה ה' שואל‬ ‫ אל תקרי מה אלא מאה‬,‫« מעמך‬ …qu’est-ce qu’Hachem ton D.ieu attend de toi ? Le mot ‫ מה‬- Ma pourra se lire ‫ מאה‬- Méa, faisant allusion aux cent Brakhot que nous prononçons chaque jour. Au moins cent fois dans la journée, nous prenons conscience de la Présence divine, nous nous adressons à la seconde


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personne au Roi du monde en rappelant qu’Il est la Source des bienfaits, qu’Il est Celui Qui nous a ordonné les Mitsvot, en Le louant et en Le remerciant. Ces cent occasions éveilleront notre esprit et notre âme à la conscience de la grandeur d’Hachem tout en nous rappelant Sa proximité avec nous. D’après Rav Tsadok Hacohen (Tsidkat Hatsadik 2-5 ) les Brakhot sont à rapprocher de la lecture du Chéma. Comme nous acceptons le joug de la Royauté divine et le joug des Mitsvot aux deux pôles de notre journée, au coucher et au lever, ainsi nous maintenons dans une certaine mesure notre fidélité, notre lien avec Lui, par cent rappels au fil de la journée. Cela permet de réaliser la règle de base du Juif fidèle que rapporte le Rama en introduction au Choul’han Aroukh () : ‫שיויתי ה' לנגדי תמיד הוא כלל גדול בתורה ובמעלות הצדיקים אשר הולכים לפני‬ .‫ מיד יגיע אליו היראה וההכנעה בפחד השם יתברך ובושתו ממנו תמיד‬... ‫לוקים‬-‫הא‬ ‫גם בהצנע לכת ובשכבו על משכבו ידע לפני מי הוא שוכב ומיד שיעור משנתו יקום‬ )‫ (אורח חיים סימן א' סעיף א' הג"ה‬.‫בזריזות לעבודת בוראו יתברך ויתעלה‬ « Considérer Hachem face à soi constamment est un principe de base de la Torah et en particulier dans l’élévation des Tsadikim qui avancent devant Hachem (…) On acquerra aussitôt la crainte, la soumission et la peur d’Hachem ainsi que la retenue de manière constante. Même lorsqu’on agira seul ou bien que l’on sera couché dans son lit, on aura la conscience de Sa Présence. Et dès le réveil, on se lèvera avec zèle pour servir son Créateur béni soit-Il ». La conscience de la Présence divine constitue la base de notre Avodat Hachem, au début de notre journée et de notre nuit, avec la récitation du Chéma. Elle occupe aussi la première place dans le Talmud avec le traité Brakhot qui expose toutes les lois du Chéma (les trois premiers chapitres de ce traité), ainsi que le premier paragraphe du Choul’han Aroukh. Remarquons aussi que le Chéma de Arvit est le premier devoir obligatoire de la vie d’adulte, puisque le garçon devenu Bar-Mitsva rencontrera cette Mitsva en premier lieu en atteignant ses treize ans. En éveillant notre attention et notre cœur pour exprimer une Brakha, nous cultivons la qualité de la crainte d’Hachem, qui elle-même nous mènera à suivre Ses voies et Ses décrets, à L’aimer et Le servir avec dévouement. Un peu de concentration dans les Brakhot nous rapprochera déjà automatiquement de ces valeurs. Celui qui s’applique pourra ainsi gravir « la


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montagne d’Hachem » et atteindre le niveau des Tsadikim. C’est ce que le Roi David nous enseigne en disant : ‫ אשר לא נשא לשוא נפשי‬... '‫מי יעלה בהר ה‬ « Qui montera sur la montagne d’Hachem ? … Celui qui n’aura pas élevé son âme en vain, lorsqu’il exprimera le Nom d’Hachem… (c’est-à-dire qu’il aura su prendre en considération la valeur du Nom divin prononcé et rendre son comportement digne de la sainteté de la Présence divine) » (d’après l’explication du Chem Michmouel, Roch Hachana 5673). On pourra s’interroger dès lors : si les Brakhot sont tellement naturelles et n’ont pas besoin d’être ordonnées explicitement, pourquoi le Birkat Hamazone se démarque-t-il de l’ensemble des Brakhot pour être, lui, mentionné dans la Torah ? La réponse consiste peut-être à considérer cette Brakha comme le prototype représentatif de toutes les autres, comme nous le verrons au chapitre 10. A l’époque de Rav ‘Haïm Vital, on racontait sur un Cheikh arabe qu’il savait révéler les secrets des personnes qui lui rendaient visite. Fort étonné, le Rav voulut vérifier les faits et se rendit lui-même chez le Cheikh, mais ce dernier resta muet en le voyant. Il expliqua ainsi son silence : « D’habitude, je me fais aider par un démon qui me souffle les informations qu’il perçoit. Mais cette fois, dès que l’homme saint entra chez moi, le démon prit la fuite. » Les forces du mal sont tout à fait incapables de tenir en présence de la Kédoucha. Rav Yéhouda Tsadka relatait cette histoire pour expliquer le pouvoir extraordinaire des Brakhot. Ainsi, du temps du roi David, lorsque survint une épidémie qui décimait cent jeunes gens chaque jour, il institua que chacun récite cent Brakhot par jour. Comment cela pouvait-il s’opposer à l’épidémie ? Car le mal ne peut se maintenir face à la Kédoucha. Des Brakhot récitées avec attention éveillent une émanation sacrée protégeant de toute force néfaste.


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Les louanges : plus puissantes que les prières « J’ai reçu (cet enseignement) de mes Maîtres : toute personne qui s’applique dans le Birkat Hamazone recevra sa subsistance honorablement toute sa vie » (Séfer Ha’hinoukh - Mitsva 430). Si on prête attention au texte du Birkat Hamazone, on remarque qu’il comporte essentiellement des remerciements. Dans la première Brakha (celle sur la nourriture), une demande pour la subsistance apparaît mais seulement par allusion et en quelques mots uniquement. La seconde Brakha n’est constituée que de louanges et de remerciements. Dans la troisième partie, il est vrai, nous demandons explicitement la nourriture et la largesse. Mais, à nouveau, la quatrième Brakha se contente apparemment de multiplier les qualificatifs d’honneur pour l’éternelle intervention divine en notre faveur. Il y a lieu de s’interroger sur la raison pour laquelle le Birkat Hamazone amène la bénédiction, alors que nous y exprimons si peu de demandes ! Cette question se posera d’ailleurs également à propos de la Téfila du matin puisqu’avant de présenter nos demandes dans la Amida, nous louons longuement Hachem dans les Birkot Hacha’har puis dans tous les Pessouké Dézimra. La Amida elle-même est précédée de trois Brakhot de louanges et s’achève par trois Brakhot de remerciements. En prêtant attention aux treize Brakhot du milieu, nous remarquerons que, là encore, la partie la plus importante, la conclusion de chacune d’elles, n’est que louange et aucunement supplication. Comment comprendre que notre Téfila contienne si peu de prières à proprement parler ? Le Rokéa’h soulève déjà cette question (). Nous allons essayer de répondre à ces interrogations. Généralement, si nous nous trouvons dans le besoin ou dans une situation de danger, nous nous tournons naturellement vers Hachem par le biais de prières intenses. Nous cherchons à obtenir la grâce d’Hachem par de sincères supplications. Mais nous devons savoir que plusieurs types de prières existent. Le Midrach Rabba (Vaét’hanan 2,1 ) rapporte dix façons de s’adresser à notre Créateur. Rav Pinkous développe longuement ce sujet dans son livre Chéarim Bitfila. Nous nous pencherons ici sur la prière qui porte le nom de Rina (). On


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pourrait traduire ce terme par le chant. Il s’agit d’adresser des louanges et des remerciements à Hachem. En quoi cela peut-il constituer une prière ? Cela peut s’expliquer de deux manières. En premier lieu, la Providence divine suit la règle suivante : « Une personne aura un lien d’autant plus intense avec Hachem qu’elle aura concentré sa pensée sur Lui, en y mettant de l’amour. En dirigeant ses pensées vers d’autres horizons, s’agirait-il de nécessités de la vie, le lien ultime s’en trouverait affaibli » (Le guide des égarés III, 51 ). Penser à Hachem crée une proximité et un attachement avec notre Créateur. De plus, « la Chékhina repose uniquement là où la joie réside » (Chabbath 30b ). Ainsi, pour recevoir l’esprit de prophétie, on s’aidait souvent de la musique (Mélakhim II 3,15). La joie constitue un vecteur pour la Présence divine et par incidence pour la bénédiction qui s’ensuit. Les louanges adressées à Hachem et récitées avec joie conduisent à une proximité avec Lui et font simultanément régner un sentiment intérieur de joie, deux facteurs de sainteté et de bénédiction. Ainsi, sans exprimer explicitement de demande, on peut obtenir l’attention d’Hachem. Le roi David exprime cette idée en ces termes : '‫« טוב לחסות בה‬ Il est bon de s’abriter auprès d’Hachem » (Téhilim 118,8). Un homme souffrant du soleil peut soit demander de l’aide à autrui, soit se retrancher à l’ombre d’un arbre. Dans le deuxième cas, sans faire appel à quiconque, la présence même de l’arbre apporte naturellement abri et réconfort. De même, les louanges ne sont pas un appel au secours. Elles nous transportent directement sous les ailes de la protection divine. Tel est le sens de '‫ לחסות בה‬s’abriter auprès d’Hachem : le soutien d’Hachem n’est pas forcément le fruit d’une intervention particulière de Sa part ; il peut être un état de fait de proximité avec Hachem. Réciter des louanges à Hachem crée cet état de proximité. La Guémara Taanit (24a ) raconte qu’une année où la pluie tardait à venir, Rabbi institua un jour de jeûne. L’officiant se nommait Ilfa ou Rabbi Ilfé. Dès qu’il dit : ‫« משיב הרוח‬ [Hachem] fait souffler le vent », le vent souffla ; dès qu’il dit : ‫« ומוריד הגשם‬ [Hachem] fait descendre la pluie », la pluie tomba. Il y a lieu de s’étonner. En effet, la demande pour la pluie n’est exprimée dans la prière que dans la neuvième Brakha de la Amida, dans Barèkh Alénou. Les quatre


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mots qui provoquèrent la pluie dans cet épisode ne forment pas une prière mais constituent seulement une louange à la deuxième Brakha ! Nous constatons dans ce récit que lorsque le Tsadik récita la louange d’Hachem qui apporte le vent et l’eau nécessaires au monde, sans supplication aucune, la pluie survint instantanément. Pour aller plus loin, le prophète Yirméyahou eut recours à ce type de prière dans les moments les plus sombres de l’exil : ‫קומי רוני בלילה לראש אשמורות‬ ‫שפכי כמים לבך נוכח פני ה' שאי אליו כפייך על נפש עולליך העטופים ברעב בראש כל‬ ‫« חוצות‬ Lève-toi, chante dans la nuit à l’heure du changement de garde [du Beth Hamikdach lorsqu’il était en service], déverse ton cœur comme de l’eau devant la face d’Hachem. Lève tes bras vers Lui en prière, pour la vie de tes enfants ensevelis dans la famine, à la vue de tous » (Eikha 2,19). Quelle place reste-t-il pour le chant en ces temps de terribles souffrances ? En fait, justement dans les périodes de décrets où la rigueur règne, lorsque les portes de miséricorde semblent fermées, le chant et la louange pourront refaire naître le lien avec Hachem. La joie, la confiance de la part des hommes, éveilleront en retour un rayonnement du Ciel qui apportera salut et bénédiction. Nous pouvons peut-être comprendre cela ainsi. Prier ou supplier Hachem, révèle et développe en même temps notre sentiment de dépendance envers Lui. Le renforcement de notre lien avec le Saint-Béni-Soit-Il permet alors l’ouverture des portes de la miséricorde et des bénédictions. Ainsi peut s’expliquer l’impact d’une prière. Réalisons que des louanges ou des remerciements adressés à notre Créateur expriment tout autant notre acceptation qu’Il est la Source de la vie et de toutes les bénédictions. À la différence que, dans ce cas, la reconnaissance est motivée par un sentiment positif de bonheur et de plénitude et non par une sensation de manque ou de privation. Notre lien avec notre Créateur grandit alors non pas dans la tension du salut attendu, mais dans la quiétude des biens qu’Il nous a déjà prodigués. Nous avons tous appris la puissance d’une prière accompagnée de larmes. Nous avons à l’esprit ces images de Tsadikim déversant pleurs et supplications ou de mères en larmes face aux bougies de Chabbath. D’après les différentes


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sources que nous avons étudiées, réciter des Téhilim avec joie ou chanter des Zémirot de glorification pour Hachem avec un visage souriant, rapprochent aussi bien les hommes d’Hachem et Hachem de nous, et auront au moins autant d’effet. Tel est le sens du texte du Birkat Hamazone et d’une grande partie de nos Téfilot. Il n’est pas forcément nécessaire de supplier pour obtenir satisfaction. Reconnaître la main d’Hachem, Le louer pour la nourriture qu’Il nous offre « avec grâce, bonté, largesse et miséricorde », exposer en détail les bienfaits de la terre et ses fruits, tout cela nous rapproche d’Hachem et ouvre les portes du Ciel. Le Séfer Ha’hinoukh l’assure : la gratitude et la reconnaissance exprimées dans la joie amèneront la bénédiction. Les gens disent : Pourquoi les familles d’Alsace et d’Allemagne n’éprouvaient-elles pas de souci de Parnassa ? Parce qu’elles chantaient toujours le Birkat Hamazone. Cette règle est énoncée clairement dans le ’Hida : « Celui qui récite le Birkat Hamazone à voix haute et avec joie est destiné à la richesse ». On y trouve une allusion dans le Passouk de Michlé (10,22) : ‫« ברכת ה' היא תעשיר ולא יוסיף עצב עמה‬ La bénédiction prononcée pour Hachem enrichit à condition qu’elle ne soit pas dite avec tristesse » (Nitsotsé Orot II, p. 218).

« Voici le D.ieu de mon salut, j’ai confiance et je n’ai pas peur car la force ainsi que la louange d’Hachem m’ont amené le salut » (Yéchayahou 12,2 d’après la traduction de Rachi).


le pouvoir des brakhot

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Le Birkat Hamazone : un bouclier face à la colère d’Hachem « Le Birkat Hamazone ne contient pas du tout la lettre Fé Sofit ‫ף‬. Cela est une allusion au fait que celui qui récite le Birkat Hamazone avec attention ne souffrira ni du Af, ni du Kétsef, deux types de colère – les deux termes finissent par un Fé Sofit ‫ף‬. Il trouvera sa subsistance largement et honorablement toute sa vie… Une personne consciencieuse lira le Birkat Hamazone sur le texte et ne le prononcera pas par cœur » (Baer Hétev Ora’h ’Haïm 185,1). Cette extraordinaire promesse se comprend bien à la lumière du passage précédent. Les louanges adressées au Créateur apportent la bénédiction par la proximité avec Hachem qu’elles provoquent ; elles assurent de la même manière la protection face aux dangers et aux menaces que nous pourrions rencontrer. A l’époque du saint Tsadik Rabbi Moché Ivière, de nombreux incendies faisaient ravage dans sa ville. Avant son décès, il rassembla toute la communauté et leur promit que tout celui qui prendrait sur lui de réciter le Birkat Hamazone en le lisant dans le texte verrait sa maison protégée des incendies. Tous prirent sur eux de réciter le Birkat Hamazone de cette manière, sauf une personne. Un grand incendie se propagea et de nombreuses maisons de la ville brûlèrent, mais toutes les maisons juives furent épargnées. Le feu approchait de la maison de celui qui n’avait pas voulu prendre sur lui de réciter le Birkat Hamazone sur le texte ; sa femme le pressa de courir au tombeau du Tsadik, et de lui promettre qu’il veillerait désormais à réciter le Birkat Hamazone comme il l’avait recommandé. Le mari se hâta d’accomplir cela, après quoi un miracle se produisit et le feu s’éteint de façon spectaculaire à la porte de sa maison.


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