Questions au Rav Zylberstein De Steeve à Shimon
AUTEUR Déborah MALKA-COHEN • RELECTURE Chochana CHAOUATE Sarah GUEITZ • COUVERTURE Dafna UZAN • MISE EN PAGE Jérémie ARGAMAN • COORDINATION Moshé-Haïm SEBBAH • DIRECTION Binyamin BENHAMOU Publié et distribué par les
EDITIONS TORAH-BOX France Tél.: 01.80.91.62.91 Israël Tél.: 077.466.03.32 contact@torah-box.com www.torah-box.com © Copyright 2018 / Torah-Box
• Imprimé en Israël
Ce livre comporte des textes saints, veuillez ne pas le jeter n’importe où, ni le transporter d’un domaine public à un domaine privé pendant Chabbath.
Note de l′éditeur Les Editions Torah-Box sont heureuses de vous présenter l’ouvrage « De Steeve à Shimon ». Un véritable raz-de-marée de Téchouva submerge le monde juif en ces temps pré-messianiques. Pas un jour ne se passe sans que de nouveaux Juifs ne renouent avec leurs racines. Cette vague a soulevé avec elle de nouvelles problématiques pour bien des jeunes... A travers le parcours à la fois insolite et touchant de Steeve – qui mue au fil des pages en Shimon –, Déborah Malka-Cohen aborde avec un humour décapant et beaucoup de finesse les questions et problèmes qui taraudent les jeunes Ba’alé Téchouva de notre époque. Les amis d’avant la Téchouva, le respect des parents VS le respect de la Halakha, les anciens démons qui surgissent quand on s’y attend le moins, aucun sujet n’est laissé pour compte ! A travers son écriture franche, drôle et pleine d’esprit, cette conteuse des temps modernes offre un regard frais sur la jeunesse juive orthodoxe actuelle. Tous nos remerciements à Mme Chochana Chaouate et à Mme Sarah Gueitz pour la qualité de leur relecture. להגדיל תורה ולהאדירה L’équipe Torah-Box
Que ce livre contribue à la réussite du
Collel « Vayizra’ Itshak » Centre d’étude de Torah pour Francophones à Jerusalem
sous l’enseignement du rav Eliezer FALK à la mémoire de M. & Mme Jacques -Itshak- BENHAMOU au Roch-Collel : Rav Eliezer FALK aux Rabbanim : Rav Tséma’h ELBAZ Rav ‘Haïm BENMOCHÉ Rav Eliahou UZAN
et à leurs chers étudiants assidus et dévoués pour la Torah : Rabbi Moché AVIDAN
Rabbi Binyamin JAMI
Rabbi Binyamin BENHAMOU
Rabbi Amir MADAR
Rabbi David BRAHAMI
Rabbi Isaac MARCIANO
Rabbi Nathan CHEMLA
Rabbi Nethanel OUALID
Rabbi Yossef COHEN
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Rabbi Anthony COOPMANS
Rabbi Raphael SABBAH
Rabbi Aaron DANA
Rabbi Franck SAYADA
Rabbi M. Moché GOLDBERGER
Que ce livre contribue à la réussite du
Collel « Torat Yé’hia »
Centre d’étude de Halakha pour francophones à la mémoire de M. & Mme Yé’hia TEBOUL au Roch-Collel : Rav ‘Haïm BENMOCHÉ
et à leurs chers étudiants assidus et dévoués pour la Torah : Rabbi Shlomo AFLALO Rabbi Gamliel LEVY Rabbi Lionel SELLEM Rabbi Yaakov ORLIK
Tables des matières Chapitre 1 : Le parcours d’un Ba’al Téchouva.....................11 Chapitre 2 : Mon premier Chabbath................................. 21 Chapitre 3 : Le retour........................................................ 29 Chapitre 4 : La chute......................................................... 37 Chapitre 5 : Le tournant.................................................... 45 Chapitre 6 : Mes débuts à la Yéchiva................................. 53 Chapitre 7 : Prêt pour le mariage ?.................................... 61 Chapitre 8 : Mon premier Chiddoukh ?............................ 69 Chapitre 9 : Les retrouvailles............................................. 77 Chapitre 10 : La demande en mariage................................. 85 Chapitre 11 : Les préparatifs du mariage............................. 91 Chapitre 12 : La discorde.................................................... 99 Chapitre 13 : Le mariage................................................... 107 Chapitre 14 : Sous la ’Houppa........................................... 115 Chapitre 15 : Les Chéva Brakhot....................................... 123 Chapitre 16 : Six mois plus tard… .................................... 135 Chapitre 17 : La mauvaise nouvelle................................... 143 Chapitre 18 : Les traitements pour la fertilité.................... 151 Epilogue............................................................................ 161 Glossaire........................................................................... 169
Préface de l’auteur Lorsque j’ai tapé sur Wikipédia le mot Téchouva, voilà ce que j’ai pu lire sur mon écran : La Téchouva (hébreu, « retour » ou « réponse ») est le processus de repentance dans le judaïsme, tant dans la Torah que dans la littérature rabbinique. Conformément à la pratique juive, une faute, une erreur, un acte interdit peuvent être pardonnés sous réserve d’engager une démarche de Téchouva. Et c’est tout ! J’ai trouvé la définition si courte et si facile que j’ai voulu toute la réécrire pour développer ce sujet tellement vaste et tellement beau qu’est la Téchouva. Cependant, au dernier moment, je me suis rétractée car quelque temps plus tard, Torah-Box m’a proposé de faire mieux que de rectifier une simple définition prise au hasard sur le net ! Parce que si je décide de ne découper (c’est ma passion le découpage) que le mot en lui-même, il est clair qu’il nous réserve quelques surprises, et pas des moindres : «Téchouva» résonne dans ma tête comme «Toi, si tu échouais, ne t’en va pas» («T’échou-va»). Au contraire, dans l’histoire que vous allez découvrir, vous allez voir qu’il aurait été beaucoup plus facile à Steeve (et à tous les Steeve et les Steevette en herbe !) de se cacher derrière le mot « échec » pour abandonner. Dans la Torah et dans la vie de tous les jours, il n’y a pas d’échec (sauf le jeu !) mais que des tentatives et c’est à force et avec force que l’on y arrive dans n’importe quel domaine où l’on veut réussir. Et comme la Torah EST le mode d’emploi de ce monde, il est clair que toute tentative de Mitsva reste fantastique. C’est sur cette touche que Torah-Box et moi-même espérons vous entraîner dans le tourbillon de cette histoire inspirée de faits réels vécus par quelqu’un que j’ai personnellement connu. Par avance, merci et très bonne lecture. Déborah Malka-Cohen
Chapitre 1
Le parcours d’un Ba’al Téchouva
Le parcours d’un Ba’al Téchouva Tout commence dans les années quatre-vingt-dix, lors d’un jeu de devinettes. Un jeune homme est en train de faire sa propre description à son meilleur ami, David. - J’ai dix-huit ans, je suis dans ma dernière année de lycée. Je passe mon bac dans six mois. J’agis souvent sans réfléchir. Mes profs, les adultes et surtout mon père n’arrêtent pas de me dire que je suis borné, têtu et insolent. Je suis particulièrement beau. Je me considère comme un vrai don du ciel, mais les gens autour de moi pensent carrément le contraire. Je… - Stop ! C’est bon, j’ai trouvé, pas besoin de continuer. Il est évident que tu parles de toi, mon cher ami. C’était trop facile ! Personne n’arrive à s’auto-décrire avec autant de justesse. J’ai mon point, et c’est à ton tour de deviner maintenant : je suis le quarante-deuxième Président des Etats-Unis. Je suis brun… Après cette mini-intro, il vaut mieux que je me présente complètement pour vous raconter mon histoire : Je m’appelle Steeve. Je viens d’une époque où les téléphones portables ne servaient qu’à appeler ou à « texter ». En ces temps-là, personne n’avait les yeux rivés en permanence sur son smartphone (si on peut appeler cela « smart » !). Personne ne passait plus de deux minutes à le consulter. Il était carrément impensable de s’imaginer y passer même ses journées comme aujourd’hui. Je vivais dans un monde où Facebook, YouTube et Instagram n’existaient pas encore. Steeve Jobs était au même moment dans son garage en train d’élaborer et de dessiner sa pomme pour l’une des plus grandes inventions de notre siècle qui allait changer le quotidien de millions de personnes à travers le monde. Je me souviens encore que, lorsque l’on avait rendezvous avec quelqu’un et que la personne était en retard, on appelait d’une cabine téléphonique pour s’entendre dire : « David est déjà parti depuis un moment. Je pense qu’il ne va pas tarder. » Et on attendait !
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De Steeve à Shimon Les plus avancés d’entre nous manipulaient timidement Internet sur les tous premiers ordinateurs. Chez mes parents, nous étions équipés, comme quelques familles chanceuses, d’un minitel. C’était très pratique. Si vous étiez un bachelier, vous pouviez vous connecter et connaître vos résultats à l’avance avant que le postier ne vous les mette dans votre boîte aux lettres. C’était un atout majeur pour les plus stressés d’entre nous. Mes oreilles se souviennent très bien du cri que ma sœur avait poussé lorsqu’elle avait été reçue avec la mention assez bien. Mes parents étaient très fiers de Beverly (oui, mes parents adoraient les prénoms américains), ce qui faisait un parfait contraste avec ce qu’ils pensaient de moi. Avec David, on aimait bien traîner devant la télé et ne rien faire. Au lycée, nous étions les rois du n’importe quoi. Pas un jour ne passait sans que le directeur passe un coup de fil à mon père pour le menacer que si je ne changeais pas, il serait dans l’obligation de me renvoyer… définitivement ! Maintenant, je sais qu’une partie de moi provoquait ces appels, parce que je savais que la plupart du temps, mon père quittait son travail plus tôt pour venir me chercher. Dès que j’entrais dans sa voiture, il me répétait toujours cette même phrase en soupirant : « Mais qu’est-ce que je vais faire de toi ? » Je ne répondais rien, car j’avais cette chance de passer du temps avec lui. C’était un homme très occupé qui n’avait pas beaucoup de temps à nous consacrer, nous, les enfants, et à ma mère aussi. D’ailleurs, ils se disputaient beaucoup à ce sujet. Elle lui reprochait de ne jamais être là et de devoir tout assumer, toute seule et tout le temps, surtout moi, « le problème Steeve », comme ils m’appelaient. Elle n’arrêtait pas de me dire que je lui donnais des cheveux blancs avant l’âge. Après une énième dispute, ils étaient arrivés à un accord que dorénavant c’était papa qui s’occuperait de mon cas si le lycée appelait. Un jour où j’avais franchement dépassé les limites avec mon prof de physique (je l’avais insulté parce que je n’aimais pas son jogging), j’avais été viré du cours sur le champ. Mon père, furax, m’avait privé de sortie. Il avait seulement autorisé David à passer me voir afin de me donner mes devoirs.
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Le parcours d’un Ba’al Téchouva Comme mes parents étaient au travail et que j’étais d’humeur particulièrement exécrable, j’ai demandé à Dav’ s’il voulait boire un peu le vin que papa aimait bien se servir à de grandes occasions. « Ok, mais si tu as du whisky, je préfère, parce que cela ressemble à du jus de pomme. » Trop occupé à ruminer sur mon renvoi, je n’avais même pas « tilté » que David était venu jusqu’à chez moi en voiture… Si seulement j’avais été moins bête… Et après un, deux, trois, quatre verres engloutis, nous étions en train de rire comme des fous sans nous soucier des yeux de ma sœur, Beverly, qui n’arrêtaient pas de nous jeter des éclairs (et ils n’étaient pas au chocolat ceux-là). Et puis, d’un coup, ne sachant pas ce qui m’est passé par la tête (sans Kippa à l’époque), j’ai proposé, malgré ma punition, qu’on sorte manger un bout dehors. Dav’ a tout de suite été partant, même quand ma sœur s’y est fortement opposée, vu la quantité d’alcool que nous avions ingurgitée. On a démarré en trombe. Comme on riait beaucoup, je ne faisais pas attention aux zigzags dangereux que la voiture effectuait sur le périf. Je le laissais gérer jusqu’à ce qu’il loupe une bretelle de sortie et qu’il décide de tourner sans prévenir. Avec tout ce que nous avions bu, nous n’avions aucune chance de nous en sortir quand le camion nous a percutés de plein fouet. Enfin… moi, j’ai eu de la chance, puisque j’ai survécu, mais pas lui, pas mon ami… La suite a été tellement chaotique que je ne peux pas exactement tout vous raconter parce que j’étais trop rongé par le regret et le chagrin, avec une impossibilité d’accepter que mon meilleur ami n’était plus là… par ma faute. Après notre accident, par le choc, je suis rentré dans une sorte de mutisme. Je n’ai plus du tout parlé pendant cinq semaines. Les médecins ont dit à mes parents qu’à part mes jambes plâtrées, neurologiquement parlant, tout allait bien. Il fallait juste me laisser un peu de temps. Quelques semaines plus tard, on m’a retiré les plâtres et j’ai dû me rendre trois fois par semaine chez un kinésithérapeute pour ma rééducation.
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De Steeve à Shimon Quand je suis arrivé la première fois au cabinet, je fus un peu surpris de voir que le Rabbin de ma synagogue était aussi kiné dans la vie. Tout le monde l’appelait Rav Elnathan, mais moi je ne voulais pas l’appeler du tout. Je refusais de lui parler comme les autres. Au début de nos séances, il a commencé à me poser des questions sur mon accident, sur ma vie, sur l’école que je fréquentais, sauf que moi, je m’obstinais à ne rien répondre. Et puis, un jour, il m’a expliqué en plein milieu d’un exercice qu’il devait faire une pause parce que nous avions changé d’heure et que la prière de l’après-midi - Min’ha - était désormais plus tôt. Il ne pouvait pas rater l’heure. En regardant mon Rav/kiné interrompre sa journée pour prendre son livre de prières et prier dans un angle bizarre de la fenêtre, cela m’avait beaucoup énervé. Je trouvais cela scandaleux qu’il me laisse en plan sur la table. Depuis ma propre Bar-Mitsva, je n’avais pas ouvert un livre de prière et m’en portais très bien. Je ne comprenais pas pourquoi je passais après ce livre. Quand il eut fini au bout de cinq minutes (un rapide, le monsieur), il me demanda si je voulais, à mon tour, faire ma prière. Je n’ai pas pu m’empêcher de rire : -- Tu veux que moi, je fasse la prière, t’es pas sérieux ? -- Cela m’a fait très bizarre d’entendre ma propre voix en stéréo, mais le plus étrange, c’est que je me suis mis à rire. J’avais carrément oublié l’effet que ça faisait. Maintenant que je repense à nos premières discussions, je ne peux m’empêcher d’avoir très honte de la façon dont je m’étais adressé à cet éminent Rav. -- Oui, je veux que toi, mon garçon, tu te lèves de ma table et me lises un passage. Baroukh Hachem, tu as retrouvé l’usage de la parole, c’est merveilleux, mais lorsque tu t’adresses à moi, tu me vouvoies. Ce n’est
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Le parcours d’un Ba’al Téchouva pas parce que je te masse tes mollets que cela te donne le droit de me tutoyer. Donc je te le redis, Steeve, lève-toi et ouvre ce livre. -- Non. -- Pourquoi ? -- Pourquoi ? Je ne sais même pas si D.ieu existe. Parce que s’Il existait vraiment, Il n’aurait pas laissé mon ami mourir à ma place. -- Ouvre-moi ce livre et crie à D.ieu à quel point tu es triste, en colère, secoué de l’intérieur. Fais sortir toute cette rage que tu gardes en toi et parle-Lui. -- NON ! -- Très bien, alors laisse-moi te raconter comment Avraham Avinou, notre premier patriarche, est parti à la recherche d’Hachem… C’est ainsi qu’à chacune de mes visites, dès que Rav Elnathan me faisait faire mes exercices de rééducation, il me racontait un bout de l’Histoire juive, ou plutôt de mon Histoire… Bien sûr, j’avais quelques vagues notions qui me restaient du Talmud Torah, mais jamais je n’avais vraiment suivi ce que le Monsieur Marciano disait. Avec David, on préférait s’envoyer des petits mots volants, sauf que maintenant j’étais seul en tête-à-tête avec mon kiné. Je n’avais pas d’autre choix que d’écouter, et de m’imprégner de ses paroles. Un jour, alors qu’il me racontait l’histoire de Yossef et ses frères, il m’a demandé si je pouvais à l’avenir me munir d’une Kippa, car, pendant qu’il poursuivait le récit de la Paracha, je me devais d’en porter une : -- Je vous arrête tout de suite, je ne porterai jamais ce bout de tissu. Je veux juste retourner chez moi, m’enfermer dans ma chambre et regarder la télé. -- Et te pourrir le cerveau avec des choses qui ne vont rien t’apporter ! Perdre des heures précieuses de ta vie, alors qu’un juif comme toi peut mettre à profit son temps pour accomplir des Mitsvot.
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De Steeve à Shimon -- Quelles Mitsvot ? Je ne fais rien de bien. -- Sottises ! Chaque semaine depuis un mois, quand tu viens ici, tu ne fais qu’apprendre la Torah, et je vois mon garçon, dans tes yeux et dans ton cœur, que c’est en toi. -- M…ouais… Je ne suis pas sûr de ce que vous dites. Bon, j’attends la suite… Parce qu’à la place de Yossef, j’aurais tabassé mes frères ! Ou pire, je leur aurais mis plein de sable de partout et me serais enfui. Quoique… Je serais probablement mort de soif dans le désert. Plus les jours passaient et plus je recommençais à reparler par petites touches aux membres de ma famille. Surtout quand j’entendais mon père et ma mère se disputer une fois de plus, les paroles du Rav Elnathan me revenaient en tête comme un boomerang, et je leur racontais à mon tour la Paracha de la semaine pour faire diversion. Ils étaient tellement surpris que je me remette à parler qu’ils en oubliaient carrément l’objet de leur dispute. Je commençais aussi à prêter plus attention à mon petit frère, Dylan, qui avait huit ans à l’époque. Dès qu’il rentrait de l’école, il s’affalait devant la télé, avec exactement le même rituel que j’avais chaque jour. En le voyant comme ça, je ne pouvais m’empêcher de penser que lui aussi prenait le même chemin que moi, et… je le redoutais. Un soir, n’en pouvant plus, j’avais éteint la télé et lui avais proposé qu’on joue tous les deux. A ma grande surprise, il en était fou de joie. On aurait dit qu’il n’attendait que ça. Auparavant, il ne me serait même pas venu à l’idée de passer plus de trois minutes avec lui tellement ça me soûlait, mais aujourd’hui, tout est différent. Je vois les choses sous un œil totalement nouveau. La plupart du temps, quand je quittais le cabinet du Rav, je me surprenais à me poser des questions, parfois même à voix haute. J’ai dû arrêter de le faire parce que nos voisins commençaient sérieusement à s’inquiéter de m’entendre parler tout seul. Mais s’il y avait bien une chose que Rav Elnathan m’avait apprise, c’est que, désormais, je n’étais plus jamais seul,
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Le parcours d’un Ba’al Téchouva puisque j’avais Hachem avec moi. Je recommençais à aller à l’école, et comme le bac était dans un mois, je m’étais mis à fond dans mes révisions. Certains moments, j’avais besoin de m’isoler pour répondre à mes conversations-questions qui me travaillaient sans cesse. Surtout quand j’étais triste ou en colère. Je ne le savais pas encore, mais ce que je faisais portait un nom qui n’est autre que la Hitbodédout. Et puis, il y a eu ce fameux Chabbath juste avant la semaine de mon bac. Un samedi matin, alors que chacun vaquait à ses occupations pas du tout chabbatiques, quelqu’un tapa fort à la porte. Ma mère alla ouvrir pour découvrir avec stupeur que Rav Elnathan était venu en personne pour lui parler ainsi qu’à mon père. J’ai mis quelques secondes à capter que c’était le même homme que j’avais vu la veille. J’étais très déstabilisé parce que je l’avais toujours vu dans sa tenue de kiné, et, là, je le voyais dans notre entrée en chapeau et redingote. Mais ce n’était pas mon unique surprise du jour, puisqu’il n’était pas venu seul… Derrière lui, se trouvait une jeune fille dont la ressemblance avec l’homme qui l’accompagnait était frappante. J’en déduisis que c’était purement et simplement la fille de mon Rav ! Ma mère appela mon père pour qu’il vienne nous rejoindre. J’étais très mal à l’aise parce que, bien que ce fût l’heure du repas de Chabbath, il n’y avait rien sur la table, pas même un verre de Kiddouch qui traînait. Mon père proposa au Rav de passer au petit salon, mais le Rav Elnathan déclina l’offre, car il ne voulait pas rester. Il était tout simplement venu demander l’autorisation de me laisser aller manger chez lui le Chabbath suivant. Il invita évidemment mes parents à se joindre à sa famille, mais mon père, trop mal à l’aise, refusa sans ménagement. Il se tourna vers moi pour connaître ma réponse : -- Alors Steeve, tu es d’accord pour aller chez le Rabbin la semaine prochaine ?
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De Steeve à Shimon Un peu hésitant, je mis quelques secondes à répondre, car côtoyer Rav Elnathan pendant mes séances, ça allait, mais de là à me rendre chez lui, je ne savais pas trop… Tous les regards étaient tournés vers moi, mais trop pris au dépourvu, je ne savais toujours pas quoi répondre, ni quoi dire. Cependant, quand je croisai le regard tout timide de la jeune fille qui l’accompagnait, ma curiosité me piqua au vif et je m’entendis répondre : -- Oui, avec plaisir. Et c’est justement ce Chabbath-là, que j’allais prendre une décision qui allait changer radicalement ma vie d’homme, de juif et de fils…
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Chapitre 2
Mon premier Chabbath
Mon premier Chabbath J’étais en train de préparer mon sac pour aller chez Rav Elnathan. Je ne savais même pas pourquoi j’avais accepté son offre débile de passer un Chabbath complet chez lui. A la base, cela ne devait être qu’un repas, mais comme mon père a mentionné que je prendrai le métro samedi matin pour rejoindre la synagogue, le Rav a proposé que je passe tout le Chabbath chez lui pour ne pas que je le transgresse. Perso, je m’en fichais pas mal de glisser mon ticket de métro et de le remettre dans ma poche. Comme si c’était grave… Je regardai encore une fois l’adresse et, après quelques stations de métro, me voilà devant l’immeuble où je devais passer les deux prochaines nuits. Lorsque je sonnai, la femme d’Elnathan, Ruth, m’ouvrit la porte, et elle avait l’air… d’être normale. Je m’attendais à rencontrer une de ces religieuses, pareilles que celles que l’on voit dans les films qui portent des foulards pour recouvrir leurs crânes rasés. Franchement, je fus rassuré de la voir avec un joli béret sur la tête. On pouvait même deviner la racine de ses cheveux. Elle m’indiqua ma chambre et m’informa qu’elle allait prévenir son mari de mon arrivée. Apparemment, il était en train de finir de se préparer. Mon regard fut attiré par deux petites bougies qui étaient posées sur le buffet. Cela me rappelait ma mère qui, elle aussi, bien qu’elle ne soit pas pratiquante, a toujours allumé ses bougies exactement comme le faisait ma grand-mère. Il y a des images et des traditions fortes qui restent gravées à vie. Je patientai quelques minutes sur le lit, et vis dans l’embrasure de la porte trois petits garçons d’âges différents qui me scrutaient. Je les trouvai très mignons et spontanément leur proposai de venir me rejoindre. Le plus grand des trois, qui avait l’air d’être le moins timide, m’indiqua que c’était son lit, mais qu’il me le prêtait volontiers parce que j’avais l’air gentil. -- Mais alors, mon bonhomme, si tu me prêtes ton lit, où vas-tu dormir ? -- Avec ma grande sœur, Perla.
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De Steeve à Shimon -- Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié que le Rav avait aussi une grande fille qui devait avoir le même âge que moi. -- Steeve, tu es là ? -- Oui, Rav, dans la chambre. -- Viens nous rejoindre dans la cuisine, pour boire un petit thé accompagné des brioches de ma femme. Je suis sûr que tu n’as jamais goûté des gâteaux comme ça. Ensuite, nous nous mettrons en route pour aller à la syna. Ah, c’était donc ça cette odeur enivrante que je sentais depuis tout à l’heure. Je n’allais pas me faire prier deux fois. Je m’assis à leur table où Elnathan et Ruth m’attendaient. Je fus tout de suite apaisé par leurs regards bienveillants. En leur compagnie, je ressentais une sensation de chaleur assez bizarre. Je ne pensais pas que l’on pouvait se sentir aussi bien en présence de presque étrangers. Je sortis de ma rêverie quand mon hôte me posa une question : -- C’est dans cette tenue que tu comptes m’accompagner à l’office ? -- Je retirais ce que j’avais dit pour la sensation de chaleur ! -- Oui, pourquoi ? Il n’est pas bien mon jeans ? -- Très bien, mais ce serait mieux si, pour Chabbath, tu revêts une tenue différente de la semaine. -- Rav, c’est mon uniforme dans lequel je me sens le mieux. Alors, si vous pouviez faire comme si cela vous plaît, ça m’arrangerait. C’est là que l’un de ses fils vint s’assoir sur mes genoux. Cela ne me dérangea pas. Et quand je le vis tremper ses lèvres dans mon verre à thé, je ne m’en offusquai pas non plus. -- Ezéchiel ! Arrête, descends et laisse notre invité tranquille. Perla, viens prendre ton frère qui embête Steeve. -- Non, pas du tout, au contraire. Laissez le petit Ezy avec moi, c’est ok.
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Mon premier Chabbath Trop tard, la fameuse Perla arriva à son tour. Elle était si discrète que j’avais à peine remarqué qu’elle était venue nous rejoindre. -- Allez Steeve, c’est l’heure d’y aller sinon nous allons être en retard. Nous dîmes au revoir à tout le monde et partîmes pour nous rendre à la synagogue. Je n’avais aucune idée de comment la prière allait se dérouler puisque je n’avais jamais assisté à un office du vendredi soir. J’espérais que je n’allais pas trop m’ennuyer. En plus, comme je ne connaissais personne, j’étais nerveux. Je fus soulagé quand le Rav me fit asseoir juste à côté de lui. Malgré mon ignorance, je sentis que c’était un grand honneur qu’il me faisait. Les regards d’admiration et la façon dont les fidèles s’adressaient à lui ne m’avaient pas échappé. Je me dis qu’à l’avenir, il vaudrait mieux que je surveille sérieusement mon langage quand je m’adresserai à lui. Quand la prière commença, je ne fus pas très à l’aise et n’arrivai pas à suivre. A ma grande surprise, le Rav vint de temps en temps m’aider spontanément à me repérer dans le livre, tout en continuant de chanter fort pour toute l’assistance. Et puis, d’un coup, au moment du Lékha Dodi, la prière pour accueillir la reine du Chabbath, il s’est passé quelque chose que je n’avais pas vu venir... Ce chant si particulier que je ne connaissais absolument pas m’a littéralement transporté. Je ne sais pas si c’est la voix envoûtante d’Elnathan qui résonnait dans toute la synagogue ou le refrain que tout le monde reprenait en cœur, mais je sentais que quelque chose en moi vibrait de l’intérieur. Bien que je ne connaisse pas le sens de ces paroles, la mélodie m’enveloppait de paix. J’avais cette impression d’être assis sur cette chaise sans vraiment être là. J’avais ce sentiment nouveau, pour la première fois depuis la disparition de David, qu’il était là, tout près, et qu’il dansait même à mes côtés.
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De Steeve à Shimon Quand tout le monde autour de moi s’était levé et tourné vers la porte, j’avais à peine réalisé que je chantonnais les notes qui n’étaient pas seulement rentrées dans ma tête, mais aussi dans mon cœur. La suite de la prière fut tellement bouleversante que les larmes qui coulaient sur mon jeans sont venues rendre réel ce que je pensais n’être qu’un songe. C’était tellement loin de tout ce que j’avais connu auparavant qu’il me fallut quelques minutes pour refermer mon livre et suivre mon Rabbin pour rentrer chez lui. Je suis sûr qu’Elnathan vit mon émotion, mais il ne m’en toucha pas mot sur le chemin du retour. Heureusement, car je n’aurais pas su quoi répondre, moi-même je ne savais pas ce qui m’était arrivé… Est-ce que je devenais bizarre ? Ce grand monsieur fait partie de ces gens sages et extraordinaires qui n’ont pas besoin de poser des mots pour comprendre ce que vous ressentez. En rentrant, je pris volontiers la main du petit Ezy, qui était devenu en quelques heures mon petit chouchou. Je regrettais que mon frère Dylan ne soit pas avec moi. Je me promettais que la prochaine fois que l’occasion se présenterait, je ferai connaître à mon frère la prière du vendredi soir. Quand Ruth et Perla nous ouvrîmes la porte, je sentis mon ventre tiraillé par la faim. Apparemment, prier creuse l’estomac ! Le repas fut délicieux, mais pas seulement… quelque chose m’avait interpelé, ou plutôt avait piqué ma curiosité. Perla, qui avait à peu près mon âge, se comportait d’une façon radicalement opposée à tous ceux que je connaissais de ma génération. Aucune de mes amies du lycée ne lui ressemblait. Quand sa mère lui avait demandé de l’aider tout le long du dîner, c’était avec calme et respect qu’elle s’était exécutée. A aucun moment, elle ne s’était insurgée, ou avait répondu qu’elle en avait marre, que ce n’était pas son boulot de débarrasser ou de récupérer les assiettes de chacun. Au contraire, c’était avec bonne grâce et beaucoup de grâce qu’elle s’exécutait.
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Mon premier Chabbath Ce repas du vendredi soir fut une expérience unique en son genre pour moi, c’était la première fois que je dînais sans télé, dans une absence totale de bruit de fond constant. Seuls les chants d’Elnathan venaient accompagner les délicieuses salades que Ruth avait cuisinées. Je ressentais une certaine harmonie à passer ce moment dans cette famille que je ne connaissais pas, mais de laquelle je me sentais proche. La chaleur qui se dégageait des plats n’était pas seulement due à la température de la plaque de Chabbath, mais bel et bien à l’atmosphère familiale qui régnait. Chaque membre de cette table parlait, discutait, riait de tout ce qu’il avait vécu dans la semaine, et je me sentais vraiment bien. Est-ce que c’était trahir ma propre famille si j’appréciais la compagnie d’une autre ? Est-ce que les Lévy m’inviteront une prochaine fois, pour un autre Chabbath ? J’espérais que oui… mais imaginons que non ? Et si j’essayais de proposer à mes parents de vivre avec ce nouveau rendez-vous familial ? Bien qu’il fût plus prudent de garder sous silence à maman le fait que j’avais drôlement apprécié le dîner d’une autre maman. Qu’est-ce qui m’arrivait… depuis quand m’intéressais-je à ce que ma mère pourrait ressentir ? Je n’avais pas les réponses à mes interrogations, mais je comptais bien essayer de les trouver. Au moment du dessert, quand Elnathan m’a donné un livre pour remercier D.ieu de ce merveilleux repas que nous avions dégusté, je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas réussi à l’ouvrir. Peut-être que tout ce que je vivais était trop pour une seule soirée. Devant mon refus, le Rav n’a pas insisté, mais quand les femmes de la famille m’ont souri, j’ai tout de suite changé d’avis. Comme quoi, tout est une question de motivation, ou de bonne volonté ! Et justement, je n’avais qu’une envie, c’était d’aller chercher cette volonté naissante…
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