Naissance d’une nation
Rav Avigdor Miller
RELECTURE Tamara ELMALEH • COUVERTURE ET MISE EN PAGE Dafna UZAN • COORDINATION Moshé Haïm SEBBAH • DIRECTION Binyamin BENHAMOU
Publié et distribué par les
EDITIONS TORAH-BOX France Tél.: 01.80.20.5000 Israël Tél.: 02.37.41.515 support@torah-box.com www.torah-box.com © Copyright 2022 / Torah-Box
• Imprimé en Israël Ce livre comporte des textes saints, veuillez ne pas le jeter n’importe où, ni le transporter d’un domaine public à un domaine privé pendant Chabbath.
Note de l’éditeur Les éditions Torah-Box sont heureuses de vous présenter l’ouvrage “Naissance d’une Nation”. Les questions de nation et de souveraineté fleurissent de nouveau au cœur de notre siècle en pleine ébullition, alors même que les brassages de populations dans nos sociétés mondialisées tendent à complexifier la notion d’identité nationale. Dans ce contexte de globalisation et de destruction sans précédent des valeurs traditionnelles, où l’humain idéalisé par les sociétés occidentales devrait être un citoyen du monde apatride, sans rattachement aucun à un quelconque groupe socioculturel, à une famille ou même à un genre, les débats autour des enjeux de nation et les questions qui s’y rattachent se crispent, sinon s’hystérisent. La nation juive, prise dans ce tourment contemporain, ne fait pas exception. Pour autant, ses fondamentaux, sa raison d’être et de devenir puisent ses racines dans l’éternité de la révélation divine, d’une aventure collective faite d’épreuves, d’échecs et de réussites, d’une tradition écrite et orale plurimillénaire, ainsi que d’une vision d’avenir basée sur la confiance et la foi en D.ieu : en un mot, l’espérance, ce mot qui est tout sauf vain et qui constitue la toile de fond de l’aventure juive éternelle. Dans cet ouvrage d’une profondeur ineffable, Rav Avigdor Miller, nous embarque dans un voyage dans le temps à travers les cinq livres de la Torah écrite. Au cours de cette pérégrination, si érudite mais tellement accessible, le lecteur redécouvre l’unicité et l’élection de la nation juive, la richesse unique de son patrimoine. להגדיל תורה ולהאדירה L’équipe Torah-Box
Que ce livre contribue à la réussite du
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Centre d’étude de Halakha pour francophones à la mémoire de M. & Mme Yé’hia TEBOUL au Roch-Collel : Rav ‘Haïm BENMOCHÉ
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Rabbi Mendi LALOUM Rabbi Arié CRESPINE Rabbi Amir MADAR Rabbi Moché DABI Rabbi Nathan ELBAZE Rabbi Shmouel PLANTARD Rabbi Raphael SABBAH Rabbi Shmuel GARCIA Rabbi Yohanan UZAN Rabbi Gabriel GUEDJ Rabbi Méïr GUGUENHEIM Rabbi Yaakov JOURNO
Qu’ils puissent grandir ensemble dans la Torah et la Crainte du Ciel.
Table des matières Lettre d’approbation à la traduction ������������������������������������������������ 7 De la création du monde à Avraham
Chapitre 1
2000 années de chaos �������������������������������������������������������������11 D’Avraham à Its’hak
Chapitre 2
Pilier du monde ����������������������������������������������������������������������41 De Ya’akov à la descente en exil
Chapitre 3
La maison des pères ����������������������������������������������������������������71 De la sortie d’Egypte à l’entrée en Israël
Chapitre 4
La Nation de D-ieu ��������������������������������������������������������������109 L’entrée en Israël et la conquête du pays
Chapitre 5
Dans le Palais du Roi �����������������������������������������������������������173 Glossaire �����������������������������������������������������������������������������������������211
LETTRE D’APPROBATION À LA TRADUCTION Le Tanakh est un Livre unique au monde et il contient les textes des prophètes. Bien que ces derniers s’expriment avec des termes connus de tous, leurs discours sont cependant chargés de significations profondes. Pour les aborder convenablement, l’homme doit posséder 48 qualités, mentionnées dans les Pirké Avot (6). Le Tanakh doit alors être étudié avec le soin et l’approfondissement qu’ils méritent, tout en tenant compte des règles spécifiques aux textes prophétiques. Lire et comprendre le Tanakh avec les a priori des textes humains est une profanation de leur sens et de celui du Nom de D.ieu, qui le pleure tous les jours : « D.ieu pleure chaque jour sur trois personnes : sur celui qui peut étudier la Torah et qui ne l’étudie pas, et sur celui qui ne peut pas l’étudier et qui l’étudie… » (Haguiga 5b). Le roi Ptolémée d’Égypte obligea les juifs à traduire la Torah. Bien que cela lui procurât une immense joie (Antiquité 12, 2), et que ce jour fut fêté en Égypte durant des siècles, pour nos Sages en revanche, il s’agissait d’un drame incommensurable : « Cinq anciens traduisirent la Torah en grec pour le roi Ptolémée, et ce jour fut aussi grave pour Israël que le jour du Veau d’or, car la Torah ne put être traduite convenablement » (Sofrim 1, 7) ; « À cause de la traduction en grec, l’obscurité descendit sur le monde, depuis le 8 Tévet, durant trois jours » (Méguilat Taanit 13). Cela ne fut pas uniquement un drame à cause d’un manque de traduction littérale exacte – traduire est trahir –, mais encore plus à cause du fait que la société égyptienne interpréta la Torah sans les outils qui
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lui sont propres. Par la suite, elle entraîna les juifs égyptiens dans une compréhension profane des textes, ce qui obscurcit le monde. Le Veau d’Or fut érigé le 17 Tamouz, et le jour même, les Tables de la Loi furent brisées. D’autres drames se produisirent le 17 Tamouz ; le roi Ménaché fit entrer des idoles dans le Temple (Malakhim II 21, 4-7), et Apoustemos organisa un autodafé de la Torah (Michna, Taanit 4, 6). L’étude de la Torah en grec l’a profanée comme le culte du Veau d’Or, l’a brisée comme le furent les Tables de la Loi, et a introduit des idées hérétiques dans le peuple juif, comme l’avait fait Ménaché jadis avec les idoles dans le Temple. Par la suite, les auteurs de la critique biblique ont, par ignorance ou sciemment, poursuivi leurs travaux en désacralisant les textes bibliques, jusqu’à mettre en péril la religion juive entière. Mais comme, le prophète (Zékharya, 8) l’a promis, dans un temps futur, le 17 Tamouz sera un jour de fête ; en fait, la Torah sera de nouveau comprise dans son vrai sens. Ce livre de Rav Avigdor Miller va sans doute dans le sens voulu par les prophètes, bien que je ne sois pas digne de le complimenter. Nous remercions le traducteur (qui voudrait rester anonyme) d’avoir permis au public français de se délecter de ce livre.
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Yehiel Brand, Sarcelles, juin 2018
De la création du monde à Avraham
De la création du monde à Avraham
2000 années de chaos ex nihilo 2 Pourquoi l’homme fut créé seul 3 Le libre arbitre 4 Univers pour Israël 5 Pas d’homme primitif 6 Pourquoi l’homme est appelé Adam 7 Tradition ininterrompue 8 Trois présents pour l’homme 9 La vie : une opportunité pour la perfection 10 Mauvais penchant 11 La faute réduit les opportunités 12 L’importance des actions de l’homme 13 L’extraordinaire piété d’Adam 14 Caïn et Hével : grands hommes 15 Supériorité des anciens 16 Tragédie des erreurs pieuses 17 Innovations utiles de la famille de Caïn 18 Les vies écourtées 19 Espoir sur Noa’h 20 Dimensions de l’Arche 21 Vertus ridiculisées 22 Tentes de Chem 26 Traditions de Noa’h 27 Le Plan de Nimrod 28 Le langage originel 29 Tradition récente 30 Religions humaines 31 Avraham le chercheur 32 Pas de développement graduel du Judaïsme 33 Avraham : choisi en avance 34 Modèle pour Israël 35 Étude jour et nuit 36 Découverte d’un Plan de l’Univers 37 Fondation d’une vision juive 38 Maître de lui-même ; seul contre tous 39 Diffuse la Vérité 40 Une durable impression 41 Début des 2000 années de Torah 1 Création
L’évènement fondamental de notre Histoire est la création de l’univers. « Au commencement D.ieu créa le ciel et la Terre » (Béréchit 1, 1). C’est dans ce verset que le principe de la création ex nihilo est dévoilé. Avant cela rien n’existait, pas même une quelconque matière première ou source d’énergie, et sur commandement de D.ieu, tout se mit à exister. C’est le miracle le
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plus éloigné de notre expérience ou imagination. L’univers ayant été créé du néant, il en découle que mis à part D.ieu, rien ne possède d’existence intrinsèque. Ainsi, la continuité de toute chose dépend uniquement de Sa volonté et s’Il ôtait Sa parole, toute réalité s’arrêterait immédiatement : « Il n’y a rien mis à part Lui » (Dévarim 4, 35), « Rien n’a de vraie existence à part Lui » (Rambam, Yessodé Hatorah 1, 4). Par conséquent, l’existence même de toute chose est un miracle, chaque objet ou évènement est la volonté de D.ieu, ils font donc tous intrinsèquement partie d’un projet Divin. Mais la création de l’univers et ses phénomènes infinis ne sont pas une fin en soi. Le point culminant des six jours de création est la naissance de l’Homme. Il est l’hôte pour lequel l’univers tout entier a été préparé. Le monde dans son intégralité, avec toutes les ressources dont le Créateur l’a gratifié, fait partie d’un plan au service de l’Homme. Contrairement aux animaux et aux plantes qui furent créés en grand nombre, l’Homme vint seul afin que chacun se dise : « Le monde fut créé pour moi » (Sanhédrin 37a). Même une galaxie avec ses milliards d’étoiles, située à des millions d’années-lumière, a été créée pour le premier homme.
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C’est l’extraordinaire faculté d’utiliser son libre arbitre qui fait de l’Homme un être unique. D.ieu manipule donc tous les phénomènes de l’univers afin qu’ils soient des tests et donnent la possibilité à l’Homme d’exercer son libre arbitre (Messilat Yécharim). En réalité, la véritable finalité de la création est l’homme vertueux. Ce n’est que grâce à lui que le monde vit. Or, n’importe quel homme était capable de choisir la perfection tant que l’opportunité était présente. Lorsque nos Patriarches choisirent la vertu et atteignirent l’excellence, ils furent élevés par D.ieu et devinrent rétroactivement le but de la création et par là même son accomplissement.
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Ainsi, l’idée centrale de l’Histoire est que D.ieu ne s’intéresse qu’aux individus ou aux communautés intègres, et que ceux-ci sont le but de la création et les garants du maintien de l’univers. La Torah commence en parlant du ciel et de la Terre (Béréchit 1, 1), pour se détourner immédiatement du ciel et de ses millions d’étoiles et se consacrer uniquement à la Terre (ibid. 1, 2), puis, dès le deuxième chapitre, se concentre exclusivement sur l’Homme. En progressant, la Torah se focalise sur de moins en moins d’individus, à tel point que de nombreuses civilisations sont ignorées au même titre que les étoiles, l’attention de D.ieu ne se concentrant plus que sur les individus vertueux et leurs descendants. Nous comprenons donc que D.ieu leur porte un intérêt spécial, manipule la Nature et l’Histoire pour eux, leur parle et exprime même Son amour envers eux. L’histoire de ces hommes reflète l’unique intérêt du Créateur dans le monde. Elle commence avec Adam et les ancêtres du peuple élu et se poursuit jusqu’à notre époque, dans nos communautés fidèles à la Torah.
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Lorsqu’il ouvrit les yeux pour la première fois, Adam vit un monde parfait dans lequel il était le premier de son genre. Et tout comme le monde autour de lui, il fut créé complet. Loin d’être primitif ou aborigène, l’Homme fut créé civilisé. En effet, tout comme l’abeille qui, pour pouvoir accomplir sa mission, possède la possibilité de construire une ruche avec tous les détails qui la composent, de même, l’Homme dès sa création avait des instincts qui lui permettaient de réaliser le but de son existence. Ainsi, depuis le début, D.ieu implanta dans la nature humaine de nombreux attributs tels que l’envie de connaître D.ieu (exprimée à travers son désir de connaissance ou d’aventure et sa volonté d’explorer l’inconnu), l’instinct de bonté, de gloire, de honte, de loyauté, d’amour du prochain et de toutes vertus similaires.
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Le premier homme fut appelé Adam pour une raison particulière. Il est important de comprendre qu’ayant été façonné par la main de D.ieu, il dépassait en excellence tout ce que l’on peut imaginer. En effet, il possédait une très grande stature, était d’une beauté particulière et surtout, il avait une intelligence et des traits de caractère pour ainsi dire parfaits. De fait, il était plus divin qu’humain. Il fut donc nécessaire de l’appeler Adam, afin justement de lui rappeler qu’il venait de la terre. « L’Éternel façonna l’homme, poussière détachée du sol » (Béréchit 2, 7). Notons que cette précaution n’était pas excessive, car au cours des générations suivantes, des familles ou des groupes de personnes se dirent descendre du soleil ou d’autres astres célestes (Béréchit 6, 2) afin de gagner l’autorité sur les masses. De même, certains individus se déclarèrent divins et exigèrent qu’on les serve. Tandis que les autres peuples se laissèrent facilement persuader, ces déclarations n’influencèrent jamais les enfants d’Israël. Ces derniers, qui possédaient une tradition remontant à Adam, ainsi que la Torah écrite et orale, ne se laissèrent jamais duper par des hommes de ce type.
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De même que le premier homme fut créé avec des dents pour pouvoir manger et donc exister, il fut directement doté du langage afin d’atteindre la perfection. En effet, la capacité de parler lui permet d’exprimer ses pensées, ses sentiments, et de vivre en harmonie avec son prochain. Il parlait ce que nous appelons l’hébreu et D.ieu s’exprimait avec lui dans la même langue. D’où les noms Adam (terre ; ibid. 5, 2), ‘Hava (qui donne la vie ; ibid. 3, 20), Caïn (acquiert ; ibid. 4, 1) et Chèt (destiné ; ibid. 4, 25). Cette langue originelle fut transmise de génération en génération par les hommes les plus pieux pour finalement trouver sa place chez les descendants d’Avraham l’Hébreu. « Si Je l’ai distingué, c’est pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie
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de l’Éternel » (ibid. 18, 19). En plus de cette langue, cette tradition renferme aussi les expériences et les pratiques depuis Adam, telles que l’offrande des premiers-nés du bétail (ibid. 4, 4) ainsi que du fruit de la terre (ibid. 4, 3). Adam initia donc les offrandes à D.ieu (‘Houlin 60a) qui furent perpétuées par Noa’h, le premier à ériger un autel (ibid. 8, 20). Adam et ses enfants transmirent également que le monde fut créé par D.ieu et qu’il n’était pas né de parents, ainsi que les chroniques de leur vie et les leçons qui en découlent. Cette tradition existait donc lorsqu’Avraham naquit, et parce qu’il avait 58 ans lorsque Noa’h mourut, il eut amplement l’opportunité de l’étudier. Tout ce que ce dernier reçut de Noa’h, de Chem et d’Éver fut ensuite incorporé à la Torah reçue au Mont Sinaï ; c’est donc une chaîne ininterrompue de connaissances qui s’étend du début de la création à nos jours. L’Homme reçut trois grands cadeaux. En premier lieu, le verset « D.ieu créa l’homme à Son image » (ibid. 1, 27) fait référence à l’exercice du libre arbitre qu’aucune autre créature terrestre ou céleste ne possède. De plus, tous les éléments de la création furent créés pour l’Homme qui a le pouvoir et le droit de les utiliser : « Commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur la terre » (ibid. 1, 28). Enfin, « D.ieu insuffla un souffle de vie » (ibid. 2, 7), acte qu’on ne retrouve que pour la création de l’Homme. En effet, la vie fut aussi donnée aux animaux, mais pour l’Homme, il s’agit d’une vie entièrement différente, parce qu’elle vient directement de D.ieu (« Celui qui souffle, souffle de lui-même » Zohar) et qu’elle est éternelle. En même temps que l’âme insufflée dans l’Homme vint une sagesse infinie : « Telles des eaux profondes, les idées abondent dans le cœur humain : l’homme avisé sait y puiser » (Michlé 20, 5), « C’est l’Éternel, en effet, qui octroie la sagesse ; de Sa bouche émanent la science et la raison » (ibid. 2, 6). En outre,
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l’âme aspire profondément à retrouver sa Source, c’est pourquoi l’homme cherche naturellement à trouver D.ieu et à acquérir la Vraie Connaissance*. Tels sont les attributs de l’âme immortelle, « et que l’esprit remonte à D.ieu qui l’a donné » (Kohélèt 12, 7). Ces trois cadeaux étaient à leur apogée chez le premier homme avant qu’il ne commette l’erreur qui le détériora pour toujours. Afin de lui donner le maximum d’opportunités pour atteindre la perfection en phase avec ses capacités uniques, il fut donné à Adam un environnement totalement différent de ce que nous pouvons connaître aujourd’hui. Ainsi, dans une existence quasi divine appelée Jardin d’Éden, il reçut un libre arbitre comme personne, hormis D.ieu, n’a jamais eu. Ainsi, il était capable de dévouer son esprit de géant à la poursuite de la perfection. Avant la faute, le libre arbitre d’Adam ne consistait pas à choisir entre le bon et le mauvais, car combattre la tentation n’est qu’une basse fonction de l’Homme. Quant à l’Homme supérieur, il est testé dans sa lutte pour une plus grande perfection. En effet, Adam, avant qu’il ne faute et ne se mette sous la coupe du mauvais penchant, n’était pas encore esclave de ses besoins physiques. S’il avait réussi le test de l’Arbre de la Connaissance, il se serait uniquement voué à l’acquisition de la perfection. Dès lors, il aurait pu choisir l’excellence, toujours plus d’excellence et ainsi de suite, allant d’une réalisation à l’autre. Le monde aurait été la scène du plus grand bonheur possible.
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Afin de mettre à l’épreuve notre libre arbitre, D.ieu créa une Force qui fait obstacle à l’Excellence. Cette force est communément appelée le Mauvais Penchant ou Yétser Hara. La Torah l’appelle « ‘Hatat » (Béréchit 4, 7) généralement traduit par Faute, mais qui signifie en réalité Manque (de perfection) (voir Choftim 20, 16). Cette Force, qui est la clé de beaucoup d’évènements de l’Histoire, influence la vie des individus ainsi que celle des nations. 18
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De plus, l’amplitude de cette Force va de pair avec l’Excellence, plus un homme est grand, plus elle exercera de force contre lui (Soucca 52a). Ainsi, Adam, par son incomparable grandeur, fut confronté au plus grand tentateur de toute l’Histoire, cet être unique appelé « le Serpent » dans le langage de la Torah. Adam fut donc tenté de manger le fruit « précieux pour l’intelligence » (Béréchit 3, 6) qui était en fait une attirance pour la connaissance. En effet, avant de fauter, Adam ne comprenait pas la tentation pour la faute du fait que son intellect primait complètement sur son physique, sa bestialité. C’est donc cette quête d’informations qui le tenta de manger le fruit. Pour lui, le fruit était en fait un livre de connaissances interdites, ce qui constitue la plus puissante tentation pour un amoureux de la sagesse. Mais il aurait été capable de résister à cette puissante attirance si ce n’est l’influence de la Femme qui, de nature docile, se laissa persuader plus facilement. Comprenons que cette dernière avait été donnée à Adam pour sa propre perfection : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul » (Béréchit 2, 18). En effet, c’est en s’associant avec les autres que l’homme fait ressortir le Bien pour lequel il a été créé. Sa femme est celle qui l’aide le plus à parfaire son caractère, par tous les tests qu’elle lui procure. Mais comme tout, cette possibilité de perfection mal utilisée s’est retournée contre Adam. Comme beaucoup de ses descendants (Kora’h, A’hav…), Adam écouta la voix de sa femme et fut ainsi ruiné. Lorsqu’il s’avéra que le Libre Arbitre mal employé pouvait être préjudiciable à l’Homme, il fut limité. L’Homme fut alors privé de son précieux intellect, de l’unique opportunité de se parfaire à l’infini, et renvoyé du Jardin d’Éden. Dès lors, il fut obligé de travailler pour subvenir à ses besoins et devint mortel. En effet, l’immortalité et le luxe total étaient bénéfiques avant la faute, mais la peur de la mort et les efforts nécessaires pour se nourrir le rendirent plus humble et l’empêchèrent de se causer du tort. Il fut aussi trop occupé et n’eut plus le temps de fauter. En outre, il n’eut plus l’énorme responsabilité d’avoir à
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choisir la perfection infinie. Cependant, à cause de cette chute, son choix ne consista plus seulement à s’élever vers la perfection, mais l’Homme fut également forcé de contenir les tentations physiques et de choisir entre le bien et le mal. C’est donc ainsi que se termine la plus décisive période des
1 2 chroniques du monde. Elle n’a même pas duré un jour, et
pourtant, elle eut d’énormes conséquences. En effet, en fautant, Adam changea l’existence de toute l’Humanité. Désormais, le Serpent n’était plus nécessaire pour confronter l’Homme après sa chute, car il était dès lors tenté par n’importe quel test insignifiant ou tentation auquel il était exposé. Ainsi se conclut l’ère d’avant la Faute. Même après avoir péché, Adam garda une grandeur d’âme
1 3 unique bien qu’incomparable à celle de son état précédant.
Son extraordinaire piété le conduisit à des années de jeûne et de repentir pour sa transgression. Sa femme donna naissance, en plus de Caïn, Hével et Chèt, à nombre d’autres fils et filles qui remplirent la surface de la Terre (Béréchit 5, 4). Il mourut à 930 ans. De Caïn et Hével, c’est Hével qui naquit avec les plus grandes
1 4 capacités (Kouzari 1, 95). Il réussit aussi, plus que son frère,
à trouver grâce aux yeux de D.ieu. Mû par la jalousie, Caïn se querella avec son frère, à la suite de quoi il se sentit en danger de mort. C’est donc pour se protéger qu’il tua Hével, plus fort que lui (Béréchit Rabba 22, 17). Il ne fut pas pour autant affranchi par D.ieu, car son acte était autant motivé par sa jalousie que par sa survie. Néanmoins, ces deux hommes étaient extrêmement vertueux. Avant que le processus de dégénération ne débute, leur esprit était encore clair ; ils connaissaient D.ieu du fait de leur intelligence. Toute la noblesse inhérente à la nature humaine était apparente 20
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chez eux, autant que possible après la Faute. Ce n’est qu’après le passage des générations que ces qualités furent recouvertes par la poussière de mauvais comportements, tels que la colère, l’orgueil, la jalousie, l’avarice, l’égoïsme, la tromperie et la luxure. Avec le temps, cette poussière forma une grosse couche de sédiments. Ainsi, lorsque les sauvages se séparèrent de l’Humanité, ils prirent avec eux, dans le désert ou la jungle, tous les comportements dégénérés de leurs ascendants. Mais malgré l’excellence de Caïn et Hével, aucun des deux n’était parfait. En effet, en ces tempslà, alors que la main de D.ieu dans le monde était clairement visible, il était impossible qu’un homme vertueux soit victime d’un mécréant. En fait, Hével n’utilisa pas assez ses capacités, et Caïn n’était en aucun cas ignoble, il se repentit entièrement de son acte devant D.ieu. La mort d’Hével et l’exil de Caïn laissèrent le champ libre à Chèt (130-1042), le meilleur fils d’Adam : « un être à son image et selon sa forme » (Béréchit 5, 3) signifie qu’il était celui qui ressemblait le plus à son père. Chèt possédait les plus grandes vertus et fait partie des sept bergers (Mikha 5, 4 ; Soucca 52b). Toutes ces générations étaient ce que l’on appelle aujourd’hui
1 5 civilisées. L’homme primitif n’a jamais existé, tous les sauvages
sont en fait des groupes qui se sont séparés de la société et ont perdu la tradition originelle de l’humanité. Tout comme l’univers fut créé complet, ainsi fut l’homme avec ses traits de caractère et ses instincts moraux, comme le désir de servir D.ieu (Béréchit 4, 3), la décence (ibid. 3, 7) ou le langage. S’il est vrai que l’histoire des sociétés montre généralement un développement technique et organisationnel, au niveau de l’individu, il n’a jamais été démontré aucune évolution physique ou mentale. C’est sur ce point que les anthropologues se méprennent gravement en sous-estimant l’homme ancien et en le considérant comme dégénéré par rapport aux hommes modernes. De même, ils se trompent en voyant en 21
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l’homme sauvage la représentation de l’homme à ses premiers stades. Au contraire, l’intelligence des anciens était loin de ce que l’on peut imaginer, et toutes les preuves démontrent une dégénérescence en tout point. En longévité, force, endurance, héroïsme, bonté et grandeur d’âme, ils étaient supérieurs à l’homme moderne. Cependant, l’Humanité commença à changer. À la troisième génération, une innovation qui allait affecter le monde prit place. Enoch (235-1140) fils de Chèt et les sages de son temps commirent une grande erreur. Ils raisonnèrent ainsi : puisque D.ieu avait créé les corps célestes pour régir le monde et les avait placés en hauteur, c’était donc le devoir des hommes de les honorer. En effet, le roi est honoré lorsque ses serviteurs le sont. Ils commencèrent donc à construire des temples pour les étoiles, leur offrirent des sacrifices, se prosternèrent devant elles, espérant ainsi acquérir la faveur de D.ieu. Naquit alors l’idolâtrie. Des années plus tard, de faux prophètes clamèrent que D.ieu avait ordonné de servir des images ou des étoiles par des offrandes et des temples. Ces prêtres initièrent certains rituels supposés apporter la prospérité et en bannir d’autres contre la mauvaise fortune. Plus tard, des imposteurs inventèrent qu’une étoile ou un ange leur était apparu et leur avait ordonné de les servir. Pendant ce temps, le Nom de D.ieu avait disparu de la bouche des gens, ils ignoraient tout de Lui. La multitude ne connaissait que les temples, les statues et les images de bois ou de pierre qu’on leur avait appris à révérer depuis l’enfance. Le vrai D.ieu fut oublié de tous, excepté de quelques individus, comme ‘Hanokh (622987), Métouchéla’h (687-1656), Noa’h, Chem et Éver. Le monde continua ainsi jusqu’à la naissance d’Avraham notre père, le pilier du monde (adapté du Rambam, Avoda Zara 1, 1-2).
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Pendant ce temps, les descendants de Caïn commencèrent
1 7 à innover. Lemekh fut le premier à avoir deux femmes. Son
fils Yaval fut le premier nomade, notamment grâce à l’invention de la tente qui permettait d’aller de pâturage en pâturage, facilitant ainsi l’élevage à grande échelle (Béréchit 4, 20). Quant à Youval ben Lemekh, il inventa les instruments de musique à cordes et à vent (ibid. 4, 21). Son troisième fils, Touval Caïn, commença à extraire le métal des carrières et en confectionna des ustensiles et des armes. La route vers le luxe commençait. Tout comme nous l’avons constaté sous l’ère nazie, ceux qui étaient les plus dévoués au progrès matériel étaient aussi ceux qui avaient les mains les plus tachées de sang. Cernés par la pression matérialiste des descendants de
1 8 Caïn, et bien moins nombreux que les idolâtres de leur
propre famille, les descendants de Chèt encore loyaux à D.ieu devinrent extrêmement isolés. Lorsque des catastrophes naturelles survenaient, ces justes appelaient au repentir, mais leur public s’amoindrissait d’année en année. ‘Hanokh et Métouchéla’h furent incapables d’endiguer la marée. Par révolte, des fils de nobles familles commencèrent à prendre des filles de petite vertu (ibid. 6, 2-3). L’immoralité déferla sur la surface du globe. À ce momentlà, D.ieu décida de réduire la durée de vie humaine qui offrait trop d’opportunités de se corrompre et d’être arrogant. Avant que ces derniers ne se détériorent, cette longue vie leur permettait de grandir extraordinairement en sagesse et en caractère, mais puisqu’ils utilisaient mal cet atout, il leur fut retiré. Dès lors, la peur d’une mort imminente aidait les individus à résister à la tentation. Malgré tout, des hommes oublièrent la leçon prodiguée par le nom d’Adam, et certains commencèrent à clamer une ascendance divine, voire même affirmèrent qu’ils descendaient du ciel (ibid. 6, 4). Ces légendes persistèrent à travers le temps, comme au Japon où 23
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l’empereur prétend descendre du soleil. La combinaison du luxe et de l’idolâtrie amena une épidémie de rapine et d’immoralité. L’ère antédiluvienne atteignait inexorablement sa fin. Alors que l’humanité semblait totalement condamnée, émergea, dix générations après Adam, un sauveur en la personne de Noa’h (1056-2006). Lemekh, le père de Noa’h (à ne pas confondre avec Lemekh,
1 9 descendant de Caïn), nomma son fils en s’exclamant : « Puisset-il nous soulager de notre tâche et du labeur de nos mains, causés par cette terre qu’a maudite l’Éternel ! » (Béréchit 5, 29). Le tumulte ambiant ainsi que les marques de désapprobation de D.ieu au travers de catastrophes et de famines étaient des signes évidents que cette ère ne durerait plus longtemps. Noa’h était cependant seul contre les savants et les prêtres de sa propre famille, sans compter la richesse et l’ingéniosité matérielles de Caïn qui lui faisaient de l’ombre. Après avoir en vain appelé au repentir sa génération, D.ieu lui ordonna de construire une Arche. La dernière étape prenait place. Avant d’abandonner la génération à son sort, un dernier essai s’enclencha. La construction de l’Arche dura plusieurs années. Elle mesurait 300 × 50 × 30 coudées. Pour à peu près 60 cm par coudée, cela donne 180 × 30 × 18 m. Il y avait donc amplement assez de place, une fois divisée en cages, pour chaque couple d’animaux. En effet, Noa’h pouvait abriter 1 000 couples de gros animaux dans des cages de 3 × 3 × 3 m, ainsi que 25 160 cages de 1,5 × 1,5 × 1,25 m pour de plus petits animaux. Placées bout à bout, ces cages représentaient environ 40 740 m de long, l’équivalent d’un zoo de 40 km. Les énormes animaux de l’Antiquité qui avaient persisté jusqu’alors ne furent pas pris dans l’Arche et n’ont donc pas survécu au Déluge. La migration de tous
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les animaux commença sur le commandement de D.ieu (« deux à deux, ils vinrent vers Noa’h dans l’Arche, mâles et femelles » Béréchit 7, 9) et fut complétée au moment du Déluge. On peut facilement imaginer que pendant tout le temps
2 1 que dura la construction de l’Arche, une foule s’amassa devant cet étrange édifice, s’enquérant de son utilité. Ceci était en réalité la dernière tentative de D.ieu pour sauver la génération. En effet, Noa’h utilisa l’Arche comme avertissement et affirmait à quiconque venait qu’il était temps de se repentir avant que n’arrive le jour de rétribution. Ses paroles obtinrent quelques fruits, mais pas assez. Il n’est nul doute que les badauds le toisaient, comparant l’inutile construction de l’Arche avec les inventions pratiques des moins vertueux Yaval, Youval et Touval Caïn. Le Déluge survint en l’an 1656. Tous les descendants de
2 2 Caïn furent éliminés en même temps que ceux de Chèt. Il ne resta que Noa’h et ses trois fils ainsi que leurs femmes. Alors, il fut prouvé que l’Arche avait bel et bien servi à l’Humanité puisqu’en effet, elle transportait ses seuls survivants. Les passagers de l’Arche pouvaient maintenant relativiser la valeur de la métallurgie, du commerce et de la musique par rapport à celle de la vertu, la contribution de Noa’h au monde. Le Déluge démontrait clairement que l’homme est créé uniquement dans l’intention de vivre vertueusement. Ainsi, tout accomplissement ou progrès matériel est en soi inutile, car il ne compense pas l’immoralité ou l’injustice et ne permet pas d’éviter des grandes catastrophes. Le Créateur a créé l’homme dans un but précis et Il ne tolère aucune déviation, c’est pourquoi Noa’h et sa famille, qui étaient loyaux à ces principes, survécurent à leur génération de pécheurs ; et à partir de cette famille, toute l’Humanité se développa et remplit la Terre. 25
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Dans l’Arche, Noa’h travailla jour et nuit, s’occupant
2 3 des animaux à sa charge. Certaines espèces hibernaient, mais cette immense ménagerie demandait de nombreux efforts à cette petite famille d’humains. Pendant ces douze mois de corvée surhumaine, Noa’h apprit une leçon d’importance capitale : l’Homme est responsable de la sauvegarde de ce monde. De la même manière que ses mauvaises actions peuvent avoir des conséquences catastrophiques, comme dans le cas d’Adam et de la génération du Déluge, ses vertus sont capables de sauver le monde. Le Déluge a laissé de nombreuses marques sur Terre. L’analyse géologique du continent nord-américain, allant de l’Alaska au Mexique, montre qu’il fut recouvert d’un océan. L’Himalaya ainsi que d’autres chaînes de montagnes sont couvertes de fossiles sous-marins : « Toutes les hautes montagnes furent recouvertes » (Béréchit 7, 19). Les inscriptions de presque toutes les anciennes civilisations relatent l’histoire d’un déluge en connexion avec une Tour, comme dans Béréchit 11, 4. Le Déluge a laissé une profonde impression par sa grande et terrible démonstration de la responsabilité des actes de l’Homme devant D.ieu. Bérose le Chaldéen, un contemporain d’Alexandre le Grand, a copié les inscriptions d’une pierre concernant le Déluge, et les a mêlées à la confusion et les fantaisies insensées de la mythologie. De même, l’Épopée de Gilgamesh a été déterrée, et le Déluge y est également conté. Cependant, nulle part ailleurs, cet évènement n’est aussi bien décrit que dans la Torah, ni la leçon aussi bien mise en évidence. En effet, les annales des nations sont écrites afin de satisfaire une curiosité ou dans un but matérialiste, mais les chroniques de la Torah ne viennent que pour nous donner la Vraie Connaissance. En quittant l’Arche, Noa’h fit un pacte avec D.ieu :
2 4 plus jamais une destruction similaire ne prendrait place. Noa’h reçut également les Sept Lois noa’hides auxquelles tous 26
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les hommes sont soumis pour toujours. Lorsque la Torah fut donnée à Israël au Mont Sinaï, aucun de ces préceptes ne fut abrogé, car D.ieu n’abolit jamais Ses lois. Elles furent incluses dans la Torah. L’arc-en-ciel fut montré en commémoration de la bonté de D.ieu, et bien que ce phénomène existât depuis la Création, sa fonction principale, en tant que signe de D.ieu, était maintenant comprise rétroactivement (Ramban, Béréchit 9, 12). En effet, de toutes les importantes et bénéfiques fonctions de la Nature, la fonction la plus générale et inclusive est l’enseignement de la puissance et la bonté de D.ieu (Rambam, Yessod Hatorah 2, 2). L’incident (Béréchit 9, 21-24) qui suivit le Déluge, mettant en
2 5 scène les trois fils de Noa’h réagissant différemment à la vue
de la nudité de leur père, fut un point crucial de l’Histoire. Noa’h prophétisa alors que les Cananéens, la descendance de ‘Ham, son fils le moins digne, seraient destinés à la servitude, et spécialement envers la descendance de Chem (ibid. 9, 26), laquelle se réfère en réalité à Israël dont les esclaves furent toujours appelés « Cananéens ». Noa’h prophétisa aussi que la présence de D.ieu résiderait dans les tentes de Chem, ce qui se réalisa lorsque la Chékhina résida sur les tentes d’Avraham, Its’hak et Ya’akov, puis lorsque le Michkan fut érigé : « Alors la nuée enveloppa la Tente d’assignation et la majesté du Seigneur remplit le Tabernacle » (Chémot 40, 34) et au temps de Chlomo quand les prêtres ne pouvaient entrer « parce que la majesté Divine remplissait la maison du Seigneur » (Malakhim I 8, 11), enfin de manière permanente à la fin des temps. « J’ai rétabli Ma demeure au milieu de Jérusalem. » (Zékharya 8, 3). Avant cela, n’importe quelle nation aurait était éligible pour le rôle de peuple élu, mais dès lors, cette opportunité fut uniquement donnée à la descendance de Chem. Beaucoup de nations provinrent de cette famille et pendant de nombreuses années, l’opportunité d’exceller était possible pour chacune d’entre elles et ainsi d’être choisie 27
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pour l’éternité. Noa’h prophétisa aussi que les enfants de Yafet connaîtraient une immense expansion, comme ce fut le cas des grands empires perses, grecs et des nations européennes. Noa’h transmit ses traditions, incluant tout ce qui avait
2 6 été transmis depuis Adam, à ses enfants, et notamment
au favori Chem (1558-2158), qui approfondit ses connaissances avec son propre fils Éver (1723-2187). Cette famille était encore présente au temps d’Avraham. Chem et ses descendants régnèrent à Jérusalem, appelée alors « Chalem », sous la désignation de « Malki Tsédek », et servant comme prêtres du vrai D.ieu dans le pays de Canaan. N’étant pas seulement un prêtre, mais aussi un roi, Malki Tsédek put influencer sa « ville de droiture » (Yéchaya 1, 2126) qui fut le dernier bastion encore loyal à D.ieu. Au fil du temps, cette famille ainsi que leur ville furent altérées par les Cananéens et donc détériorées jusqu’au temps de Yéhochoua, qui affronta « Adoni Tsédek, le roi de Jérusalem » (Yéhochoua 10, 1) parmi les souverains cananéens. Beaucoup de traditions persistèrent, même chez les moins vertueux descendants de Noa’h, et ce, jusque dans les contrées les plus éloignées. Ainsi, des peuples aussi distants que les Romains et les Saxons ont des semaines de sept jours, car toutes les nations connaissaient la Création, et le septième jour était partout un jour saint. Le mot hébreu Chevoua qui signifie serment est dérivé du mot Chéva : sept (comme dans Béréchit 21, 30 où sept béliers symbolisent un serment). Les sacrifices, initiés par Adam et ses fils, puis perpétués jusqu’à Noa’h, persistèrent partout dans le monde, bien qu’ayant dégénéré sous forme d’idolâtrie, voire même de sacrifices humains, devenant un moment d’immoralité et de débauche. Les vieilles racines du matérialisme et de l’idolâtrie, qui auraient dû être éradiquées par le Déluge, recommencèrent à pousser depuis la descendance de ‘Ham, et les hommes furent de nouveau empoisonnés par ce fruit mortel. Les idéaux et traditions 28
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originales de l’homme gardèrent leur authenticité uniquement dans les tentes de Chem et Éver, trouvant définitivement leur place dans les tentes de la famille d’Avraham. Lorsqu’Adam mourut à l’âge de 930 ans, Métouchéla’h en avait 243, et lorsque ce dernier mourut juste avant le Déluge, Noa’h en avait 600. Quand Noa’h mourut en 2006, Avraham avait 58 ans et Chem mourut lorsque Ya’akov avait 50 ans. Éver, quant à lui, mourut 29 ans plus tard. Cent ans après le Déluge, au temps de Péleg (1757-1996),
2 7 lorsqu’Avraham avait 48 ans, l’histoire prit un tournant
décisif. Un projet de construire, dans la vallée de Chinar, une grande métropole comme centre de l’humanité fut proposé. Une immense tour serait érigée comme monument central. L’épisode n’est que brièvement raconté dans la Torah, mais il nous en est assez révélé pour montrer que ce projet était un danger pour le futur de l’humanité. Car ainsi, un monopole sur les humains serait apparu, et cela n’aurait pas laissé de place pour le développement d’un penseur indépendant comme le jeune Avraham, encore dans la fleur de l’âge. Parmi les initiateurs, il faut inclure Nimrod ben Kouch ben ‘Ham « qui commençait à être un homme puissant sur la Terre » (ibid. 10, 8), « Le début de son règne était en Babel… dans le pays de Chinar » (ibid. 10, 10). Certains considèrent que Nimrod est Hammourabi qu’ils traduisent par maître du soleil, mais qui peut aussi signifier maître de la famille de ‘Ham. Au vu de la prédominance de l’idolâtrie à cette période, on peut imaginer que cette tour y aurait été dédiée, car de telles ziggourats sont décrites avec des temples à leur sommet. La concentration de population dans et aux alentours de la ville, dominée par un culte idolâtre centralisé dans un temple gigantesque, aurait offert une excellente opportunité à Nimrod de devenir le premier tyran de l’Histoire. « Il commença à être un homme puissant sur la Terre » (ibid. 10, 9). Le système patriarcal aurait alors été remplacé par le despotisme 29
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d’un oppresseur, car les hommes avaient « une langue et des idées communes » (Béréchit 11, 1). Un monde pareil n’aurait pas laissé de place pour des contestataires comme Avraham. Afin de retirer leur emprise sur les hommes ainsi que pour permettre certaines mesures de liberté pour les générations futures, il était nécessaire de mettre en œuvre le principe : « les mécréants doivent être dispersés » (Téhilim 92, 10). D.ieu introduisit donc une innovation d’importance capitale, qui était en même temps une calamité et une bénédiction : la division des langages. Cette barrière causa au fil du temps des mers de sang, mais elle servit aussi efficacement comme à Babel, en faisant échouer la tentative de dictateurs ou de nations qui tentèrent de prendre le contrôle et le monopole des consciences. De la tour elle-même, un tiers fut détruit par le feu, un tiers fut englouti et le dernier tiers existe encore (Sanhédrin 9a) comme leçon pour la postérité. « De cette contrée (Chinar), il (Nimrod) s’en alla en Achour où il bâtit Ninvé » (Béréchit 10, 11), c’est pourquoi l’Assyrie est appelée le pays de Nimrod (Mikha 5, 5). « On la nomma Babel, parce que là le Seigneur confondit (Ballal) le langage de tous les hommes » (Béréchit 11, 9), ce qui contredit les idolâtres qui interprètent ce nom comme la porte de Bel. En effet, malgré leur raison pour le choix de ce nom, la vraie signification que D.ieu projetait est la confusion qui en résulta. En récompense de leur loyauté envers D.ieu, la famille
2 8 d’Éver fut choisie comme détentrice du langage originel : « Tu nous as choisis parmi les autres peuples et les autres langages » (Prières des trois fêtes), seuls les Israélites sont désignés comme les Hébreux, car de tous les peuples qui sortirent d’Éver, Israël fut l’unique à préserver le langage autant que les traditions ancestrales. La fidélité à sa tradition est une caractéristique significative de cette excellente branche de la famille d’Éver. Dans toutes les générations, les Israélites s’attachèrent avec ténacité, 30
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non seulement à la loi donnée au Sinaï, mais aussi à sa tradition historique et ancestrale, et ceci sans la moindre altération. Il n’est donc pas étonnant de constater que le langage originel garda toute sa pureté, ce qui n’aurait pas été le cas chez d’autres peuples. Mais la langue sainte n’est pas seulement la première langue, elle est aussi la première écriture. Les historiens qui attribuent l’alphabet à l’Égypte ou à d’autres anciens peuples négligent le fait que les noms des lettres sont tous hébraïques et n’ont de signification que dans cette langue : Aleph (taureau), Beth (maison), Guimel (chameau), Dalet (porte), He (louange), Vav (crochet), Zaïn (arme), ‘Het (barrière), Tet (bouclier), Youd (main), Caf (paume), Lamed (chèvre), Mem (eau), Noun (poisson ou serpent), Samekh (appui), Aïn (œil), Pé (bouche), Tsadé (piège), Kouf (singe), Rech (tête), Shin (dent), Tav (marque). Les Grecs adoptèrent les noms hébreux alpha, bêta, gamma qui n’ont pas de sens dans leur langue ou d’autres langues non sémitiques. De même, ils conservèrent un ordre de lettres identiques (celui des Téhilim 34, 119, 145 ; Michlé 31, Ekha 1, 2, 3, 4). Les plus vieilles inscriptions grecques des îles de Théa sont écrites de droite à gauche dans des caractères similaires à l’alphabet sémitique, et dans un alphabet qui contient vingt-deux lettres comme en hébreu. Les navigateurs grecs qui ne connaissaient que les populations des villes côtières et pas celles des terres intérieures (ils appelèrent le pays Palestine, car ils ne connaissaient que les Philistins de la côte Méditerranée)
empruntèrent l’alphabet aux Phéniciens qui vivaient sur la côte en ignorant qu’ils l’avaient eux-mêmes emprunté à des peuples des terres intérieures. De même, l’alphabet indien moderne est originaire de la brahmi ayant clairement des origines sémitiques. En 2448, Moché déclara qu’en 1656, l’humanité fut
2 9 détruite par le Déluge, que les seuls survivants, Noa’h et ses trois enfants, parlaient hébreu et que cent ans plus tard, l’humanité commença à utiliser d’autres langages. En réalité, il ne 31
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disait rien qui ne soit inconnu aux Égyptiens ou à d’autres peuples. En effet, l’Égypte ancienne, ainsi que tous les autres peuples de cette période, ont toujours possédé de vieux monuments ou inscriptions relatant leur passé. Ils auraient donc facilement pu contredire Moché si sa version de l’histoire était erronée. La réalité de ces évènements était plus familière aux Israélites, à Pharaon ou à l’Égypte, que n’est celle d’Alexandre le Grand pour nous. Si la Torah n’avait détaillé la généalogie de Chem comprenant les années où chacun eut des enfants et celles où ils mourraient, on aurait pu imaginer que des milliers d’années s’étaient écoulées. Il n’aurait donc pas été possible d’affirmer ou d’infirmer les paroles de Moché. La Torah prend la peine d’énumérer les évènements et la chronologie pour démontrer qu’au temps d’Avraham, il y avait encore des témoins vivants du Déluge, et que Noa’h avait entendu le témoignage de la création du monde. La Torah traite, bien que brièvement, de la division des langages, car le but principal est de démontrer que D.ieu l’a causée et qu’elle ne précédait le don de la Torah que de 700 ans (adapté du Malbim, Béréchit 11, 7). Les activités de Nimrod furent dès lors limitées, mais pas
3 0 pour autant annihilées. Il construisit de grandes villes et
les domina avec l’aide et l’influence de l’idolâtrie naissante. Mais ici et là, dans des endroits reculés où son pouvoir ne s’étendait pas, existaient des petites poches de résistance, la division des langages ne fut donc pas vaine. Dans le pays de Canaan, quelques hommes gardaient la tradition de Noa’h, notablement Malki Tsédek et peut-être aussi ailleurs. Mais le monde devenait de plus en plus sombre. Aujourd’hui, nous ne réalisons pas à quel point la puissance des institutions idolâtres était énorme. Des nations entières, du roi à l’esclave, vivaient sous le joug de la sorcellerie et de l’idolâtrie. Lavan pratiquait la divination (Béréchit 30, 27), idem pour les Égyptiens (ibid. 44, 5). Contrairement à la descendance 32
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d’Avraham (Bamidbar 23, 23), leur monde était peuplé de démons contre lesquels les sorciers ainsi que les prêtres étaient les seuls protecteurs. Au temps d’Hammourabi, la plupart des litiges étaient des plaintes où chacun accusait son voisin de l’avoir ensorcelé. Le monde était plein d’hommes saints, prophètes, fakirs, prêtres, fées, miracles, images, talismans et incantations. Mais outre le fait d’exercer la terreur, les idoles enchantaient toute la population, car elles permettaient les pires passions. Hommes et femmes débauchés étaient partout, et ils faisaient partie intégrante du rituel idolâtre. La soif de sang était permise grâce aux sacrifices humains apportés dans les temples. Des nations comme les Aztèques et les Mayas étaient continuellement en guerre afin d’obtenir assez de victimes. Dans les mains des despotes, l’idolâtrie était une arme extrêmement puissante. Fréquemment, le roi établissait sa réputation comme étant le descendant d’un dieu ou d’une étoile et clamait donc le droit d’être adoré. « De cette façon le monde continua de se développer jusqu’à la naissance d’Avraham, le pilier du monde » (Rambam, Avoda Zara 1, 2). Du côté de l’Euphrate en Mésopotamie habitaient les
3 1 ancêtres des juifs, Na’hor et son fils Téra’h qui servaient des dieux étrangers (Yéhochoua 24, 2). En 1948, dix générations après Noa’h, naquit Avram (1948-2123) plus tard appelé Avraham sur commandement de D.ieu (le Ramban pense que ‘Haran était l’habitat originel de la famille et qu’Avraham vit le jour là-bas, puis qu’ils déménagèrent à Our Casdim, avant de finalement retourner à ‘Haran). Lorsque ce géant
parmi les hommes fut sevré, il commença à réfléchir jour et nuit. Il se demandait par exemple comment tenaient les corps célestes. Personne n’était là pour l’instruire, il était submergé d’idolâtres, et ses parents servaient les idoles avec le reste de la population. Mais son esprit ne pouvait trouver de repos, et il continua ainsi d’approfondir sa compréhension jusqu’à ce qu’il arrivât à la vérité. 33
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Et c’est ainsi qu’il réalisa que le monde vivait dans l’erreur, et ce, par la faute de l’idolâtrie qui détruisait la vérité. Il commença à questionner les gens d’Our Casdim et à débattre avec eux, puis détruisit leurs idoles en réprimandant la population, car elle ne servait pas le D.ieu de l’univers (adapté du Rambam, ibid. 1, 3). Contrairement aux autres nations, l’histoire d’Israël ne se fit pas en plusieurs étapes. Ce ne fut pas une longue transition allant de l’idolâtrie au monothéisme. Le soleil du judaïsme apparut soudainement à l’horizon pour rapidement atteindre son zénith. De la même manière que l’univers fut créé complet et que la Torah fut donnée dans sa totalité au Mont Sinaï, l’idéologie d’Israël apparut soudainement dans le monde durant la vie d’Avraham. « Qui l’a suscité de l’Orient ? Qui a fait, qui a exécuté tout cela ? Celui qui, dès le commencement, appelle les générations [à être], Moi, l’Éternel, qui suis le Premier et demeure encore avec les derniers » (Yéchaya 41, 2-4). L’homme vertueux qu’était Avraham se réveilla depuis l’Est (Mésopotamie) comme le soleil pour illuminer le monde. Dans un environnement assombri par l’idolâtrie, Avraham au caractère resplendissant et d’esprit brillant illumina la Terre. Durant la brève période qui suivit, s’élevèrent une nation sainte et un peuple de prêtes qui méritèrent le privilège jamais égalé de pouvoir entendre D.ieu parler à la multitude assemblée au Mont Sinaï.
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Dans les mots de Yéchaya, D.ieu déclare qu’Il « appelle les générations à être ». Pour comprendre le rôle d’Avraham, il est essentiel de connaître deux principes fondamentaux : 1/la grandeur d’Avraham était prévue depuis le début, D.ieu lui prépara donc le chemin, et 2/Avraham lui-même servait à la fondation des générations à venir. Le premier de ces deux principes a déjà été traité puisque la venue d’Avraham a été prédite par Noa’h : « Sois
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béni l’Éternel, D.ieu de Chem… Qu’Il réside dans les tentes de Chem » (Béréchit 9, 26-27). Mais ceci n’enlève en rien le libre arbitre d’Avraham. En effet, parmi la descendance de Chem, beaucoup d’hommes doués auraient pu choisir la perfection et ainsi être élus par D.ieu. Mais leurs accomplissements ne furent rien en comparaison de ceux d’Avraham. Aucun homme dans l’histoire n’eut à traverser les épreuves auxquelles il fut soumis. Et parce que D.ieu le trouva loyal, Il le sortit d’Our Casdim et changea son nom en Avraham (Né’hémia 9, 7-8). Et « Celui qui prévoit les générations » avait vu les vertus d’Avraham, c’est pourquoi Il lui donna à l’avance une intelligence exceptionnelle afin de s’accorder avec ses vertus. Le second principe a aussi une grande signification. Les
3 4 nations du monde ont l’habitude de mépriser leurs ancêtres sans rien garder de leurs traditions (Flavius Joseph, Contre Apion II 21). C’est en partie dû à leur inhérente frivolité et à leur non-respect des valeurs morales. Mais aussi parce que les anciens n’étaient pas moins sauvages et dépravés qu’eux-mêmes. Israël, en revanche, est fier de ses ancêtres. La vie d’Avraham devint un modèle, à chaque génération, pour ses millions de descendants. Ses actions sont narrées dans la Torah année après année. Sa dévotion à D.ieu, sa prière, sa gentillesse, son hospitalité, son abnégation, son humilité, sa méditation et sa force de caractère servent encore d’exemple à ses descendants. À travers les millénaires, nombre d’hommes et de femmes l’ont imité en se laissant tuer plutôt que d’être déloyaux envers D.ieu. C’est justement pour cela qu’il était nécessaire de commencer l’histoire d’Israël avec un homme de la plus grande excellence. Lorsqu’un tel homme apparut, Israël naquit. C’était le plan de Celui qui proclame les générations à l’avance.
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Pour revenir aux mots du Rambam : « Avraham commença
3 5 à réfléchir, se demandant d’où vient l’énergie qui permet la rotation des corps célestes ». Son honnêteté intellectuelle ne lui permettait pas de se conformer aux idées reçues. Il était diligent dans ses études de jour comme de nuit et ainsi furent les générations futures dans l’étude de la Torah (Yéhochoua 1, 8 ; Rambam Talmud Torah 1, 8). Le fonctionnement du système solaire n’était pas la seule préoccupation d’Avraham. Nous allons tenter d’imaginer le déroulement de ses réflexions. Avraham observa que chaque objet ou procédé avait un but et souvent même plusieurs. Il vit que tous les organismes vivants ont besoin de nourriture, produite par le sol, grâce au soleil et à la pluie. La pluie elle-même dépend de l’évaporation et du vent qui accumule et déplace les nuages. Il remarqua aussi qu’hommes et animaux étaient équipés de dents afin de mâcher la nourriture, d’organes permettant d’en extraire les valeurs nutritives et de rejeter le reste dans le sol afin d’en renouveler la vigueur. Il s’émerveilla des procédés animant plantes et animaux. Chaque organisme était le fruit d’innombrables mécanismes travaillant en même temps, telle une machine parfaitement calibrée. Depuis la graine jusqu’au soleil, tous travaillent en parfaite harmonie. Comment ignorer la marque d’une Intelligence suprême ? se demandait Avraham. Et puisque toutes les forces de la nature coopèrent afin de maintenir les êtres en vie, Avraham conclut que cette Intelligence suprême était unique. Et quand il vit que toutes les ressources du monde vivant, ou non, n’étaient utilisées que par l’homme, il comprit que le monde fut créé pour l’Homme. Même le soleil, aussi gigantesque soit-il, sert à la production de nourriture. Et puisque toutes les choses de l’univers s’unissent pour répondre à tous les besoins et plaisirs de l’homme, chaque goût, odeur et sensation profitant à ce dernier, Avraham sut que le Créateur
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voulait rendre l’homme heureux et qu’Il était un être infiniment bon. Mais assistant à de nombreuses injustices dans un monde si bon et parfait, il réalisa que l’existence humaine ne se limite pas à la vie ici-bas, mais continue après la mort, dans un monde futur où chacun rendra compte de ses actes. Ainsi, Avraham institua une nouvelle façon de voir le monde qui persiste encore aujourd’hui chez les juifs, que ce soit dans la Torah enseignée par Moché au Sinaï ou par les traditions pré-sinaïques qui nous ont été transmises.
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L’une des clés du succès d’Avraham était ses efforts pour
3 8 devenir maître de lui-même. En récompense de quoi D.ieu
le bénit dans tout (Béréchit 24, 1), y compris avec la faculté de se maîtriser entièrement (Nédarim 32b, Béréchit Rabba 59, 11). Il transmit ce système à son disciple Éliezer (Béréchit 24, 2, Béréchit Rabba ibid.) ainsi qu’à son fils et petit-fils. Sans cette qualité, il ne lui aurait pas été possible de raisonner comme il l’a fait. Les dizaines de générations qui l’ont précédé avaient vu les mêmes choses que lui, et pourtant, très peu ont su tirer les mêmes conclusions, et même parmi ces exceptions, aucun n’a obtenu un résultat aussi parfait qu’Avraham. Ceci est dû au fait que les hommes sont enchaînés à leurs désirs, peurs et a priori, prisonniers de leurs habitudes, de leur paresse, sans compter qu’ils cèdent facilement à la pression du groupe. À chaque étape, le raisonnement est biaisé et finalement, les conclusions sont loin d’être vraies. Par opposition, Avraham fut capable de se détacher de ce besoin d’approbation et du désir de richesse (Béréchit, 14, 23). Il apprit à sacrifier son confort, sa sécurité, sa fierté, son affection pour son pays natal (ibid. 12, 4), ainsi que celle pour son fils (ibid. 21, 14 ; 22, 10), voire sa propre vie. Et c’est donc parce qu’aucune considération n’était prise en compte qu’Avraham devint le penseur le plus original et unique de 37
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l’Humanité, et rien ne pouvait le séparer de cette vérité. « Personne n’était là pour l’instruire ». Tout le monde voyait ce qu’Avraham voyait, mais tous décidaient de l’ignorer ou de le détourner en une forme d’idolâtrie. Tout comme ses descendants, seuls face au christianisme, à l’islam et à l’athéisme, Avraham faisait face à un monde hostile, englouti par l’idolâtrie. Il fallait un effort surhumain pour s’élever au-dessus des concepts de son temps et mener une bataille contre les puissants, les familles, prêtres, intellectuels et dirigeants. Mais en retour, sa récompense fut immense : « En proportion de l’effort vient la récompense » (Avot 5, 25), « Avraham vint et reçut la récompense pour tous » (ibid. 5, 3). Tout ce que les nations auraient mérité, eussent-elles choisi d’être vertueuses, fut transféré à Avraham et à sa descendance, car le mauvais exemple et l’opposition des nations rendirent les vertus d’Avraham et de sa descendance bien plus grandes. L’homme qui avait décidé de révéler la vérité de par le
3 9 monde était de nature à partager ses pensées. Jeune déjà, il
questionnait les habitants d’Our Casdim et débattait avec eux. Il n’agissait pas ainsi pour provoquer, il avait une mission bien plus profonde. Comme nous l’avons déjà dit, Avraham remarqua que le monde était doté de toutes sortes de nourritures délicieuses : douces, amères, grasses, sucrées, de toutes sortes d’épices, d’arômes et d’odeurs, agrémentés de ravissement de couleurs et sons, d’innombrables autres jouissances physiques, en plus de la multitude de plaisirs intellectuels. Il arriva à la conclusion que le Créateur désirait ardemment le bonheur des hommes. Et puisque l’homme possède instinctivement le sentiment de reconnaissance, Avraham comprit qu’il était nécessaire de l’utiliser. Mais comme il ne connaissait du Créateur que Sa bonté, il en découlait que le seul moyen de Lui montrer sa gratitude était de L’imiter. Avraham décida donc d’accomplir l’action la plus généreuse qui soit : initier la 38
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vérité dans le monde ténébreux : « il détruisit les idoles, commença à enseigner aux peuples l’existence et le service du D.ieu de l’univers… et que tous les autres dieux devaient être détruits… Comme ses arguments convainquaient, le roi Nimrod voulut le mettre à mort » (Rambam, Avoda Zara, 1, 3). Dix ans durant, il resta emprisonné à Coutha et Kardou (Baba Batra 91a) et « Il fut ensuite jeté dans la fournaise à cause de son attachement à D.ieu, mais comme sa descendance après lui, il survécut à toutes les persécutions. Un miracle survint et il alla s’installer à ‘Haran » (Rambam, ibid.). D.ieu « le sortit d’Our Casdim » (Né’hémia 9, 7) aussi miraculeusement qu’Il sortit le peuple d’Israël d’Égypte. Il continua à encourager le service du D.ieu unique, rassembla des hommes venant de villes et de nations disparates, jusqu’à ce qu’il arrivât en Canaan « et y proclamât le Nom du D.ieu Seigneur de l’univers » (Béréchit 21, 33). Quand les gens se réunissaient pour l’écouter, il parlait à chacun selon sa faculté de compréhension, jusqu’à le convaincre. Ainsi, des dizaines de milliers de personnes se joignirent à lui et firent partie de sa maison. Il écrivit également des livres à ce sujet, et transmit son savoir à Its’hak qui l’imita dans sa tâche. Puis ce fut au tour de Ya’akov qui lui-même instruisit tous ses enfants. Il choisit particulièrement Lévi et institua une académie pour enseigner les voies de D.ieu et garder les commandements d’Avraham. Il ordonna à ses enfants de faire en sorte qu’à chaque génération, il y ait un dirigeant de la famille de Lévi pour que ces enseignements ne soient jamais oubliés (Rambam, ibid.). Partout où il allait, Avraham faisait impression, même à Coutha où il fut emprisonné, il diffusa ses enseignements. Pour preuve, environ mille ans plus tard, D.ieu fit en sorte que Chalmanassar, roi d’Assyrie, repeuple la terre d’Israël avec des Cuthéens (Malakhim II 17, 24), et même s’ils restèrent toujours idolâtres (Malakhim II 17, 4 ; ‘Houlin 6a), après la destruction du
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Naissance d’une Nation
Second Temple, les Sages dirent : « Tous les commandements que les Cuthéens acceptèrent, ils les pratiquent mieux que les juifs » (Guittin 10a). Dorénavant, une nouvelle période débuta pour Avraham, et après l’épisode de la fournaise, il commença à étendre son activité. Avec son père Téra’h, ils s’installèrent à ‘Haran, sur le chemin de Canaan, loin de la domination de Nimrod. Là, les efforts d’Avraham furent récompensés : « et les âmes qu’ils avaient acquises à ‘Haran » (Béréchit 12, 5), qu’Onkelos traduit par : « les âmes qu’ils amenèrent au service de la Torah ». C’était la naissance d’une nouvelle ère dans l’histoire du monde. Les 2 000 ans de chaos touchaient à leur fin avec l’élévation de cet homme parfait, choisi pour fonder le peuple élu par D.ieu. Allaient maintenant commencer les 2 000 ans de Torah (Avoda Zara 9a).
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