Architecture Iceberg.

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Julie BRUN

Architecture Iceberg Le travail invisible de l’architecte Renzo Piano

L6V2 / Approches théoriques de l’architecture Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble



collision des cultures ethnologie et mésologie enjeux architecturaux évolution des sociétés architecte humaniste

INTRODUCTION L’architecture est digne de l’Homme lorsqu’elle est supportée par un travail invisible. Quelles sont ces connaissances que doit acquérir un architecte avant de passer à l’acte de conception ?

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PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 2

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 3

Renzo Piano, architecte passionné, né à Gènes en 1937, dessine et construit une architecture humaniste tout en conservant un rapport sensible avec l’environnement. Il souhaite répondre aux désirs de la société et construire une « ville heureuse »1. Refusant les convenances, c’est avec « désobéissance »2 que Renzo Piano conçoit ses projets, évitant la force marchande et les clichés de marketing et de loisirs qui façonnent la ville contemporaine occidentale. Il est difficile de démêler dans l’œuvre de Piano ce qui révèle de l’architecture ou de l’urbanisme, mais son processus de conception se base sur des notions d’anthropologie et de mésologie. Piano s’entoure d’ailleurs de nombreux compagnons de route tels que des urbanistes, ingénieurs, paysagistes mais également des anthropologistes, pour un gain maximum de connaissances afin d’édifier ces projets de la manière la plus juste. Il emploie le terme d’ « architecture-iceberg dont la partie visible est minuscule par rapport à tout ce que tu y mets pour la faire émerger : l’attention aux choses et aux réalités sociales »3 pour introduire sa manière de travailler. 1


Ce travail invisible est pourtant la partie la plus complexe de la méthode de conception de Renzo Piano, véritable moteur de chacun de ses projets. Il se dote d’une attitude professionnelle lui permettant d’écouter et de chercher à comprendre les attentes de l’Homme. Il s’engage alors dans une étude de l’Homme mais également des cultures et des sociétés, ainsi que des milieux qu’ils occupent. L’anthropologie consiste à étudier l’Homme du présent mais également du passé, et son Histoire. La mésologie, «science des milieux en tant qu’ils ne sont pas seulement objectivés, mais vécus par des sujets »4, est également indissociable du travail de l’architecte pour comprendre le rapport sensible qui lie l’Homme à son environnement et la façon dont il l’appréhende. L’acquisition de l’ensemble de ces connaissances s’entremêle dans l’œuvre complète de Renzo Piano. L’une d’entre elles est-elle prédominantes dans chacun des projets de l’architecte ? Comment Renzo Piano fait-il de son architecture un ensemble complexe mêlant l’Homme, la nature, et le temps, sinon les sociétés, les paysages, et l’Histoire ? L’analyse de deux projets de Renzo Piano mettra en perspective la notion de culture et d’histoire à travers la conception architecturale. Nous verrons comment Renzo Piano, en prenant en compte l’histoire d’un pays, a conçu une architecture symbolique et réparatrice des sociétés avec le projet de réhabilitation de la Potsdamer Platz entre 1992 et l’an 2000. Puis, nous nous intéresserons au Centre Culturel Tjibaou de Nouméa, challenge de respect des cultures et des traditions qu’a relevé Renzo Piano en 1991. En concevant cette lignée d’édifices qui devient paysage dans cet horizon océanique, il crée un lien entre la culture locale et universelle, entre tradition et modernité.

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BERQUE Augustin, Médiance de milieux en paysages, Editions Belin, Paris, 2000. 4


Source: PIANO Renzo, Spirit of nature, Helsinki, Wood in Culture Association, Helsinki, 2000.

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Source: PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005.

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ARCHITECTURE SYMBOLIQUE ET REPARATRICE DE LA SOCIETE Le travail de Renzo Piano en tant qu’architecte urbaniste à travers le projet de reconstruction de la Potsdamer Platz de Berlin en Allemagne, est le plus convaincant. Piano dit à propos de cette intervention avoir « compris que les gens étaient dans une phase où ils n’acceptaient pas la logique nostalgique de la souffrance »5. C’est en recousant le tissu urbain blessé de ce quartier berlinois et lui redonnant des espaces propices à la gaieté et l’émotion qu’il « se dirige vers une architecture légère quasi joyeuse »6. Durant 8 ans, entre 1992 et l’an 2000, Renzo Piano travaille à la reconstruction d’un cœur de la ville de Berlin détruit par la guerre. Il doit alors faire face à l’Histoire tragique d’un pays entier et d’une ville coupée en deux lors de la guerre froide. Aujourd’hui ancien Berlinois de l’Est ou de l’Ouest ne font plus cette distinction d’appartenance. Ce lieu est devenu celui de tous. Comment Renzo Piano a-t-il réussi à transformer le lieu le plus marqué de l’intolérance de l’Histoire en une « ville heureuse » ? MEMOIRE DU LIEU

PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. 5

PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. 6

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 7

Gauche : Croquis de Renzo Piano pour la reconstruction de la Potsdamer Platz.

Au départ de ce projet, Renzo Piano a du affronter un vide de 55 hectares, où n’existait aucun vestige sur lequel s’appuyer. Il s’agissait d’un des carrefours urbains les plus actifs des années 30, détruit puis transformé par le mur en un no man’s land. La mémoire collective semblait avoir gommé le passé, tout comme le mur dont ils n’ont retrouvé que l’emplacement. Les urbanistes de l’époque n’ont pas aidé à la reconstruction du quartier. Renzo Piano fait également face au travail de ces derniers qui ne s’étaient pas souciés de la continuité de leur projet et du tissu urbain de Berlin au lendemain de cet épisode historique tragique. Hans Stimmann, directeur du département de la Construction et du logement du sénat de Berlin définit l’histoire de la ville comme celle d’une «destruction par la guerre, et par les urbanistes après la guerre»7. En effet, Sharoun, architecte allemand, en édifiant deux de ses plus 6


belles œuvres, la Philarmonie et la Neue Staatsbibliothek et Mies Van Der Rohe avec la Neue Galerie implantent leurs projets dos au mur et à l’Occident, rendant la communication difficile avec la Postdammer Platz. Piano, lui-même s’accorde à dire que « les hommes politiques, les architectes et les urbanistes ont contribués à ce désert plus que la destruction de la guerre»8. C’est à travers ce contexte qu’il a du reconstruire un morceau de la ville de Berlin pour donner à ses habitants un lieu dynamique, propice à la rencontre et l’inattendu. Renzo Piano s’est penché sur ce contexte et l’évolution de la pensée de la société berlinoise de l’époque. Il s’exprime ainsi : « c’est le désir d’innocence des allemands qui a fait ce désert, ce grand trou noir. Ils ont voulu effacer, oublier. Mais une ville est comme un livre d’Histoire : il ne sert à rien d’en arracher une page parce qu’elle ne nous plaît pas. La ville a une mémoire très longue, comme celle des éléphants. Elle peut effacer, elle n’oublie pas.»9

PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. 8

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 9

Ainsi Renzo Piano et son équipe ont du édifier un projet dans un quartier sans aucune référence historique si ce n’est le climat particulier qui était dans l’air, soit un ressenti et des non dits d’une société qui souhaitait oublier son passé. «VILLE HEUREUSE»10 Renzo Piano s’engage dans un véritable challenge social en s’essayant à la reconstruction d’un lieu si symbolique et marqué par l’Histoire. Il souhaite redonner de la vie à ce désert berlinois. Pour cela, il est allé plus loin que dans l’analyse du lieu et de l’évolution de la société. Il a réussi à comprendre le caractère berlinois et ses attentes, suite à l’apprentissage de son histoire. L’homme en général est avide de communication et d’inattendu. Les berlinois, selon Piano, ont une façon de vivre spécifique, celle de vivre dans la passé et dans la souffrance : « presque tous les berlinois ont cette double attitude face à la vie, cette double identité : le désir d’oublier jusqu’à l’amnésie, d’effacer ce qui a été et, en même temps, cette grande nostalgie du passé, lui aussi divisé entre un passé glorieux et un autre terrible»11.

PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. 10

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 11

Droite : La Potsdamer Platz, un quartier marqué par l’Histoire.

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Potsdamer Platz in 1930. The area was a bustling transit center for the city. (Wilderotter, 9-28)

Potsdamer Platz in 1945. The area was a bombed extensively during WWII. 1930,l’un des carrefours urbains les plus actifs. (berlin.barwick.de/sights/ famous-places/potsdamerplatz.html)

Potsdamer Platz in 1930. The area was a bustling transit center for the city. (Wilderotter, 9-28) 1945, la place bombardée

Potsdamer Platz in 1945. The area was a bombed extensively during WWII. (berlin.barwick.de/sights/ famous-places/potsdamerplatz.html)

1953, pendant la montée des nazis

Potsdamer Platz in 1953 during the uprising. (Wilderotter, 9-28) Potsdamer Platz in 1930. The area was a bustling transit center for the city. (Wilderotter, 9-28)

Potsdamer Platz in 1945. The area was a bombed

Potsdamer Platz in 1945. The area was a bombed October 2006 view of peo extensively during WWII. ple interacting with a remnant (berlin.barwick.de/sights/ 1972, vue du Mur de Berlin de l’Ouest source : of the Berlin Wall in Potsdamer famous-places/potsdamerberlin.barwick.de/sights/famous-places/potsdamerplatz.html Platz. These remnants stand8as platz.html) witness to the square’s past. (www.flickr.com) 1972 View from the west looking east over the Berlin Wall. (Wilderotter, 9-28)


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Source: www.flickr.com

Source: PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005.

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Ils restent pour autant des hommes, à la recherche de lien social et de communication. «ce désir de normalité est en nous tous. Rester là, ainsi, avec l’envie d’être liés aux autres, avec une sorte de désir de vivre »12. En bon latin, Piano commence par redessiner la piazza de la Potsdamer Platz, lieu d’échange irremplaçable. Entouré de son équipe, il a dessiné la plan masse de l’ensemble du quartier et huit bâtiments regroupant bureaux, logements, commerces, restaurant, multiplexe, casino, théâtre. Cette multifonctionnalité et la centralité spatiale de la place lui assure alors d’être un lieu vivant : « ce qui fait la ville, c’est la complexité de ses fonctions »13.

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 12

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 13

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 14

Gauche-haut : vue depuis le Sony Center du square protégé de la pluis et de la neige par un large toit. Un lieu populaire pour s’y retrouver autour d’un café ou simplement se reposer sur les bords de la fontaine. Août 2008. Gauche-bas : des biais, des failles, de la transparence, pour alléger les vomues et dynamiser le lieu.

L’ensemble du quartier s’articule avec finesse et de façon quasi virtuelle. Le dynamisme du bâti est généré par la pénétration de failles, de la transparence et de tracés en biais sans manquer aux jeux de retraits qui allègent les volumes. Mais qui mieux que Piano pourrait décrire son projet ? « D’un coté, le gratte ciel transparent de la Sony s’ouvre sur la Pstdamer Platz, puis il y a la grande coupole, une sphère de céramique, sur laquelle, à la nuit tombée, est projetée une lune qui semble se déplacer : c’est l’illusion, le jeu, la désobéissance. Et encore des galeries, des murs de verres, des passages. De l’autre coté, le complexe de la Daimler-Benz, lui aussi recouvert de briques et se reflétant sur un plan d’eau, un lac, qui en dédoublant l’image, ajoute du virtuel au réel. Et puis des habitations, des bureaux, des cinémas, des centres pour le shopping. Ce lieu a été pensé pour englober toutes ces fonctions afin que la vie y soit présente vingt quatre heures sur vingt quatre.»14 Ce projet illustre bien cette réalité sociale qu’opère l’architecture dans une ville. Ce quartier anciennement symbole de division est aujourd’hui devenue une zone franche, neutre de toute appartenance ou de différences. Les Berlinois considèrent cet espace comme appartenant à tous. L’enjeu de la Postdamer Platz a donc été atteint.

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Source: PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005.

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ARCHITECTURE MIROIR DES SOCIETES En 1991, Renzo Piano accepte de concevoir le centre culturel de Nouméa en mémoire du leader politique Jean Marie Tjibaou, assassiné en 1989. L’architecte devient alors explorateur. La Nouvelle Zélande, île du pacifique, est le berceau de la culture kanak dont Piano a du faire l’apprentissage pour concevoir un espace respectueux et sensible à cette culture océanique et à son histoire. Explorateur du passé, du présent mais également du futur de cette civilisation dont les pensées et l’organisation évoluent. Comment Renzo Piano, architecte occidental, a su concevoir un édifice symbolique et esthétique au sein d’un environnement et d’une société qui lui étaient jusqu’ici inconnu, tout en liant de manière subtile les traditions et la modernité ? ARCHITECTE EXPLORATEUR

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 15

PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. 16

Gauche : Croquis de Renzo Piano pour la conception du Centre Culturel Tjibaou

Aux frontières de l’architecture et de l’anthropologie, le terme d’ « architecture-iceberg »15 trouve sa définition dans ce projet. C’est en travaillant avec l’anthropologue Alban Bensa que Piano a pris connaissance de cette civilisation du Pacifique. Tandis que ce dernier lui contait l’Histoire kanak en insistant sur l’organisation de l’espace et les valeurs dominantes de cette culture, Renzo Piano transcrivait ses dires par le dessin. «J’ai eu au cours de ce travail l’impression de voir mon savoir ethnologique métamorphosé, réinventé dans un dessin, une forme, une architecture. »16 dit Alban Bensa en s’exprimant sur ce projet. Il enrichit cet apprentissage par une collaboration étroite avec le peuple kanak et avec Marie-Claude Tjibaou, veuve de Jean Marie, le leader indépendantiste en l’honneur de qui le centre culturel a été construit. Cet édifice est porteur d’un symbole d’engagement scientifique et politique que Renzo Piano a su mettre en œuvre grâce à l’apprentissage qu’il a reçu d’Alban Bensa concernant le peuple kanak et son histoire. Cet ethnologue spécialiste des civilisations océaniennes, perçoit dans l’étude des sociétés, par leur histoire, l’évolution de leur système et de leur croyance, un outil de contribution à des 12


des projets politiques ou créatifs. Selon lui « la périphérie est revenue au centre. Un rapport au passé et à l’avenir constitue la référence principale d’un projet architectural de dimension international »17. Suite aux évènements graves auxquels le peuple kanak à fait face durant cette période, l’architecture se mêlant à l’ethnologie devient un outil dans l’investigation politique et l’apaisement de la société.Hanté par un passé d’affrontements communautaires, le centre de Nouméa propose une sorte d’utopie politique, un appel à la transformation de la Nouvelle Calédonie. L’architecture puissante de Piano donne une nouvelle position au peuple kanak, tournée vers la réconciliation des peuples. Ce projet transforme également les perceptions d’échelle. Une culture locale devient la référence principale d’une œuvre architecturale reconnue internationalement. Piano a donc pleinement réussi cet édifice rejoignant le projet d’émancipation de Jean Marie Tjibaou, en mêlant les échelles d’appréhension de ces deux cultures conciliées au sein d’une même œuvre architecturale. Comme le dit Adam Bensa, «la créativité de Renzo qui transforme un savoir ethnologique en forme architecturale, prend une dimension politique, la reconnaissance du peuple kanak, de sa culture et de ses droits.»18 TRADITIONS, MILIEUX ET TECHNIQUES La volonté de Renzo Piano était donc d’avoir la lecture la plus juste de la culture kanak. Tout en respectant des références traditionnelles et locales, les outils et les matériaux mis en œuvre pour l’édification de Centre Culturel Tjibaou sont résolument modernes. La construction de l’édifice peut alors être perçue comme un véritable pont entre le passé et le futur.Comment Piano a-t-il pu exprimer la tradition kanak tout en mettant en œuvre son projet de façon moderne ? En hommage et à travers un équilibre parfait des cultures, le centre exprime la tradition sans la parodier mais en la mariant avec la technologie occidentale. Pour autant Piano ne lui impose pas le modèle occidental et ne fait pas une simple réplique d’un village traditionnel kanak. Son souhait est de faire ressortir les symboles de cette culture à travers son édifice.

PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. 17

PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. 18

Droite : Le plan du centre s’inspire de celui du village traditionnel kanak.

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Source: PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005.

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Le plan du centre s’inspire de celui du village traditionnel kanak. Suivant une logique linéaire, les villages kanaks sont composés d’une allée centrale qui dessert des cases essaimées tout le long. Ils s’intègrent avec respect dans une végétation abondante et omniprésente. Le centre culturel s’organise selon les mêmes critères. Il n’est pas constitué d’un seul bâtiment mais de plusieurs qui constituent trois villages indépendants desservis par une longue allées piétonne. Chaque village est consacré à un élément du programme. Une partie du site est dévouée aux expositions permanentes et temporaires et possède également un auditorium et amphithéâtre. Une deuxième série de cases est dédiée à la partie administrative du centre, incluant un centre de recherche, des salles de conférences ainsi qu’une bibliothèque. Les derniers édifices de bois sont des studios consacrés aux arts traditionnels tels que la musique, la dance, la peinture ou la sculpture. Ces villages reliés par une promenade forment une lignée de dix cases réinterprétées mais conservant un rapport certain avec l’architecture traditionnelle.Bâtir selon un espace longiligne est représentatif du monde kanak mais également de l’architecture de Piano qui travaillait sur la cité internationale à la même période. En transformant ce timide chemin terreux kanak en une rue, une collision culturelle s’effectue alors en universalisant l’exotisme local de cet espace. La réinterprétation des cases s’est établie en équilibre entre tradition et modernité. En effet, Renzo Piano voulant appuyer sur l’avenir démocratique de la société kanak, a estimé possible la suppression du poteau central des cases qui évoquait rationnellement le chef. Cela a permis de donner un nouveau galbe aux cases et de créer des volumes bas évoquant alors la modernité. La deuxième idée directrice du projet était celle d’une forte verticalité des cases mais aussi de la végétation montant de cette rue centrale, dans le but d’une bonne intégration à l’environnement sur lequel s’implante le projet. Ces dix grandes cases en bois de hauteurs différentes s’élancent verticalement à plusieurs dizaines de mètres de haut comme pour dialoguer avec la végétation du site constituées d’arbres longs et fins. Les hauteurs établies par Renzo Piano ont été pensées dans un souci de rapport 15


d’échelle correct entre le milieu et la société. Il ne fait pas passer la nature en second plan mais au contraire l’appréhende et en prend conscience afin d’y intégrer au mieux son édifice. Il a d’ailleurs fait appel à Alban Bensa pour la conception du parc du centre afin d’y intégrer toutes les plantes kanaks et respecter l’environnement. Une narration piétonne s’intègre alors au sein de l’édifice aux rythmes du bâtis mais également de la végétation diverse mais locale qui l’accompagne. Le climat chaud et venteux de Nouméa était également des contraintes à prendre en compte dans la conception de ce projet, surtout pour des bâtiments de cette hauteur. Chacune des cases mesure entre 20 et 28 mètres de haut, au centre d’une réserve naturelle située le long de la côte océanique et soumises à des vents allant jusqu’à 240km/h. Ces contraintes naturelles deviennent un point fort pour le confort qu’offrent les bâtiments. Une structure en double paroi permet de faire circuler l’air naturellement. La climatisation n’est donc pas nécessaire pour rafraichir les espaces intérieurs du centre grâce à cette ventilation naturelle. De loin, les cases paraissent fragiles et éphémères à l’image des constructions végétales traditionnelles de la Nouvelle Calédonie, mais elles sont en réalité des éléments de haute technologie et des matériaux modernes. Elles sont constituées de longs éléments en bois lamellé-collé allant jusqu’28 mètres de haut, et assemblés par des éléments métalliques, auxquels sont ajoutés les contreventements moulés en fonte d’acier. Des essais de la structure en soufflerie ont permis d’optimiser la forme des cases. Un prototype à l’échelle 1.1 a également été réalisé en 1994 pour valider la structure. Ce sont ces outils et ces techniques universels qui donnent une crédibilité au projet et permettent de placer les kanaks au rang de civilisation moderne. Le projet n’est donc pas un projet européen assaisonné à la culture kanak mais un édifice résolument kanak qui utilise les outils de son temps.

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Une structure en double paroi. Ce sont ces outils et ces techniques universels qui donnent une crédibilité au Un prototype a été réalisé projet et permettent de placer les kanaks au rang de civilisation moderne. Source: PIANO Source: PIANO Renzo, Renzo, Penser Penser la la ville ville heureuse, heureuse, Paris, Paris, Editions Editions La La Vilette, Vilette, 2005. 2005.

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De loin, les cases paraissent fragiles et éphémères à l’image des constructions végétales traditionnelles de la Nouvelle Calédonie, mais elles sont en réalité des éléments de haute technologie et des matériaux modernes. Source: http://alterrealites.com/2011/07/14/la-culture-de-lindependance-une-conquete-de-lespace-kanak/

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CONCLUSION Bien que de nature et contexte opposés, la reconstruction du quartier de la Potsdamer Platz et la conception du Centre Culturel Tjibaou, s’apparentent dans l’approche humaniste dont a fait preuve Renzo Piano, comme dans l’ensemble de son architecture. Son processus de conception se compose d’une grande partie d’analyse, de questionnements et d’acquisition de connaissances. Qu’elles soient de nature anthropologique ou historique, ces connaissances ont un rôle primordial dans l’architecture de Renzo Piano. Nous ne pouvons d’ailleurs pas dissociés l’étude de l’Homme et l’étude de son passé, comme le démontre ces deux projets. De Nouméa à Berlin, l’architecture traverse les échelles et le temps, devenant symbole du passé et espoir d’avenir. Tandis qu’une société souhaiterait oublier une époque historique de son pays, Renzo Piano conçoit un quartier gaie et pour tous sur les traces de l’intolérance et de la division de la population allemande. De même, partant à la découverte de l’inconnu, Piano pense une architecture au-delà de répondre à un programme, elle crée le lien entre deux cultures, et donne une nouvelle dimension politique à l’ethnie kanak. Par son métier, Renzo Piano porte un véritable engagement envers le monde et se sent responsable, en tant que concepteur de la ville, de la bonne appréhension de l’Homme aussi bien physique que morale de l’environnement dans lequel la société vit, s’organise, et évolue. Ce travail invisible que doit inclure l’architecte dans son processus de conception est l’écoute et la compréhension et la connaissance du monde, englobant les êtres humains mais également la nature. Les qualités d’un architecte seraient alors «les compétences, la curiosité et la désobéissance»19.La curiosité d’apprendre une culture, d’explorer son passé, de comprendre son fonctionnement. Les compétences de mettre en œuvre des outils techniques sans perdre l’essence des traditions. La désobéissance de ne pas se laisser emporter par les conventions contemporaines occidentales et être engager dans ses projets.

PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Arléa, Paris, 2007. 19

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PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. 20

Est-ce là le nouveau discours que tous architectes de notre temps devraient tenir ? L’architecture moderne est elle à remettre en cause ? Les progrès techniques ont-ils fait perdre à cette discipline tournée vers l’homme son essence même ? L’architecture doit retrouver son sens premier :«au lieu de progrès au terme de fertilisation des cultures, à respecter et à réactiver, ou par ceux liés aux grands thèmes de la vie, on a suivi au nom de la modernité des modèles qui ne nous appartiennent pas»20.

BIBLIOGRAPHIE Livres : BERQUE Augustin, Médiance de milieux en paysages, Paris, Editions Belin, 2000. PIANO Renzo, La désobéissance de l’architecte, Paris, Arléa, 2007. PIANO Renzo, Penser la ville heureuse, Paris, Editions La Vilette, 2005. PIANO Renzo, Spirit of nature, Helsinki, Wood in Culture Association, Helsinki, 2000. Revue numérique : BRUZULIER Grégoire, «La culture de l’indépendance : une conquète de l’espace kanak», alterréalité.com, 14 juillet 2007, URL : http://alterrealites.com/2011/07/14/la-culturede-lindependance-une-conquete-de-lespace-kanak/ Film : Renzo Piano, le chemin kanak, Gilles Dagneau, 2008 (52 mn).

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