Processus de questionnement de la mesure.

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Master Aédification, Villes, Territoires

processus de questionnement de la mesure. Enseignement de séminaire dirigé par Patrick Thépot

Julie Brun | Mathilde Col-Eyraud | Ghani Outemzabet



processus de questionnement de la mesure. Enseignement de séminaire dirigé par Patrick Thépot



SOMMAIRE

Introduction | Problématisation

......7

I/ La recherche patiente

......13 ......15 ......19

. Prendre la mesure . Les milieux des fauves Soe Ker Tie | Capella Granatta | SESC Pompeia

II/ La spatialisation du projet

. L’attitude mesurée de l’architecte . Des fauves mesurés Soe Ker Tie | Capella Granatta | SESC Pompeia

III/ Démocratisation du projet

......41 ......42 ......47

. Une mise en débat par tous . Requestionnement des fauves

......77 ......79 ......81

Soe Ker Tie | Capella Granatta | SESC Pompeia

Conclusion | Ouverture

......91

Bibliographie

......94

Annexes

......96

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INTRODUCTION

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Etre poète, c’est mesurer Etre poète, c’est là, mesurer La poésie est la prise de la mesure La poésie est cette prise de la mesure, à savoir pour l’habitation de l’homme Le vrai habiter a lieu là où sont les poètes : où sont des hommes qui prennent la mesure pour l’architectonique, pour les structures de l’habitation. Holderlin

BOUDON Philippe, Introduction à l’architecturologie, Bordas, Paris, 1993. 1

QUEYSANNE Bruno, La mesure intermédiaire de « l’homme habitant poète. », Poïésis Revue n°1, Toulouse, 1994. 2

QUEYSANNE Bruno, Les conseils d’Alberti, dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 3

Selon Philippe Boudon : « l’architecte est celui qui donne la mesure aux choses »1. La mesure en architecture peut renvoyer aux dimensions et aux proportions, ou encore aux échelles de pensée du projet. Mais l’architecture mesurée renvoie également à une attitude juste et adaptée de l’architecte tout au long du processus de projet, de la recherche à la conception. En ce sens, Bruno Queysanne vient étudier les écrits d’Alberti et met l’accent sur deux éléments ; le relevé spatial et la modestie. En effet, lors qu’il projette, l’architecte a pour but de donner la mesure, mais il commence lui aussi (comme tout à chacun) par prendre la mesure eu sens propre : il fait un relevé. En faisant référence au traité d’Alberti, De Re Aedificatoria, Bruno Queysanne affirme que le relevé prend une part importante dans l’activité de l’architecte et dans la théorie architecturale « le relevé n’est pas une activité secondaire à déléguer à des employés mais est le premier moment nécessaire dans l’activité de projétation »2. En ce qui concerne le deuxième point souligné par Bruno Queysanne, il s’agit du lien qu’entretiennent les termes de modestie et de mesure. Nous sommes, ici, dans une considération éthique de la projection architecturale, et non plus seulement technique. L’analyse du traité d’Alberti permet de comprendre que « la bonne magnificence c’est donc la magnificence modeste ». B. Queysanne énonce « on ne doit plus gaspiller les dimensions » dans les œuvres publiques et dans les œuvres privées, « dans les deux cas on doit observer, garder la juste mesure »3.

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Enfin le terme modestia en latin, signifie ce qui fait qu’on garde la mesure d’après le dictionnaire Gaffiot. Depuis Vitruve modus appartient au vocabulaire technique de la théorie et de la pratique architecturale. Dans l’ouvrage Architecture et Modestie, Bruno Queysanne conclue : «En architecture, comme ailleurs, la modestie c’est l’exercice de la mesure »4. Pour apporter une définition à la notion de mesure comme nous l’entendons, nous considérons d’abord celle-ci comme un outil de compréhension, d’intelligibilité des phénomènes. La mesure physique permet d’évaluer une distance, une vitesse, un poids ou encore un temps, afin de définir une chose. « La mesure existe dès que l’on établit une relation logique entre la qualité d’un objet et un nombre »5, celleci permet donc la quantification. Elle permet aussi de comparer deux éléments en fonction de leur mesure propre, de ne pas rester enfermés dans l’opacité de la singularité des choses. A travers la capture des fauves, nous avons pris la mesure de ceux-ci. Le hasard à fait que les trois édifices architecturaux choisis ont des dimensions très différentes allant de la convivialité des cinq mille six cents mètres carrés du SESC Pompéia, jusqu’à l’intimé des quarante-deux mètres carrés de la Capella Granatta, en passant par la richesse des formes d’appropriation possible des cent mètres carrés de l’agrandissement de l’orphelinat Thaïlandais.

QUEYSANNE Bruno, Les conseils d’Alberti, dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 4

BERNARDIS Marie-Agnès, HAGENE Bernard, De la Mesure, dans Mesure et Démesure, Gallimard. 5

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Cette première comparaison objective des trois fauves, nous est permise de part l’utilisation de l’unité de mesure métrique (cf: illustration à droite). Cependant, en considérant la dimension éthique de la mesure, liée à la notion de modestie nous avons développé une réflexion plus large. Selon quel processus de questionnement l’architecte peut-il tendre vers un projet mesuré ? Nous allons donc d’abord nous attacher à définir ce qu’est la recherche patiente dans le processus de projet architectural, ainsi que dans l’étude des fauves. Puis, nous analyserons précisément l’attitude de l’architecte dans la phase de conception et de spatialisation du projet. Enfin, nous verrons de quelles manières nous pouvons considérer le projet comme un lieu de démocratisation de l’architecture, de mise en débat.


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LA RECHERCHE PATIENTE

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PRENDRE LA MESURE

BOUDON Philippe, Introduction à l’architecturologie, Bordas, Paris, 1993. 6

QUEYSANNE Bruno, La mesure intermédiaire de «l’homme habitant poète», Poïésis Revue n°1, Toulouse, 1994. 7

Traité d’ALBERTI, De Re Aedificatoria, 1452. 8

Philippe Boudon, à travers son travail de recherche à propos de l’architecturologie6, établit une véritable différence entre l’acte de DONNER la mesure et celui de PRENDRE la mesure de quelque chose, posant alors l’architecte comme étant celui qui l’attribue. Cet acte est en effet une fonction incontournable du processus de conception. Il est d’ailleurs très fréquent d’entendre dire que l’architecte est celui qui donne la mesure. Or l’architecte est avant tout un homme comme les autres, un être ordinaire qui utilise l’espace. Chaque mouvement et action produite dans un espace est le fruit d’une prise de conscience de cet espace. Il faut donc prendre la mesure de l’espace et des choses qui nous entourent avant d’agir ; comme le dit Bruno Queysanne : « Dans l’occupation de l’espace, il y a une redistribution de ce qui nous a été donné. » 7 Nous ne pouvons admettre une distinction entre le don de la mesure et la prise de mesure, mais au contraire il existe une dynamique d’allersretours constante entre ces actes de prendre et donner la mesure des choses. L’architecte commence ainsi, lui aussi par saisir la mesure des choses avant d’engager un processus de conception et de retransmettre cette mesure. Cet acte revient à faire des relevés. Alberti, dans son traité De Re Aedificatoria8, pose la technique du relevé comme une partie constitutive de l’architecture. C’est la première étape du processus de projet.

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Mais qu’entendons nous exactement par cet acte de prendre la mesure ? Nous admettrons alors que cette partie de l’activité de l’architecte correspond à une période d’étude et de recherche concernant, l’environnement, le contexte, l’histoire et la culture d’une société dans laquelle s’inscrit le projet. Cette étape dans le processus de projet de l’architecte est inéluctable pour la conception d’un espace harmonieux et équilibré répondant à une qualité de vie donnant du sens à notre existence et générant le bien être de toute société humaine. En admettant que « ce sont finalement les formes de notre environnement qui sont les régulateurs les plus constants de notre vie individuelle et sociale »9, la mesure des phénomènes qui rythment la vie des individus et leur permettent d’évoluer, questionne la justesse de l’architecte dans sa conception.

GRUET Stéphane, Editorial, La mesure de l’homme, Poïésis Revue n°1, Toulouse, 1994. 9

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Ce processus de recherche comprend deux dimensions : une première plus pragmatique et objective, c’est-à-dire une mesure physique, une relation logique par l’association d’une chose à un nombre, soit la quantification des phénomènes. Cette première dimension permet d’établir une rationalité entre l’homme et son environnement, pour rendre raison du monde grâce à un outil d’intelligibilité des phénomènes.


La deuxième dimension du processus d’étude de l’architecte se qualifie de manière plus subjective et variable touchant aux individus même, c’està-dire « mesurer en poète »10. Nous faisons ici référence à Heidegger, qui établit une relation directe entre l’acte d’habiter et de prendre la mesure de l’espace et de son occupation. Or, chaque individu, chaque poète, définit son espace vécu de manière personnelle, selon une culture, une histoire et une sensibilité spécifique et personnelle. Nous posons alors ici la question du processus de recherche dans un but de compréhension des modes de vie, des besoins, des plaisirs et des sentiments des hommes qui vivront le projet. Cette recherche sensible est une étape incontournable de l’activité de l’architecte puisque les sentiments sont une dimension de l’être à laquelle nous avons constamment à faire. Cette compréhension du sensible est nécessaire lorsqu’on admet que l’architecture met en scène des relations quotidiennes entre les individus et le monde, dans une temporalité régulière.Cependant les sentiments ne sont pas des données mesurables figées et continues. Bruno Queysanne déclare « On ne peut donner de propositions vraies sur le sensible. » 11

HEIDEGGER Martin, L’homme habite en poète dans Essais et conférences, Gallimard, Berlin, 1958. 10

QUEYSANNE Bruno, La mesure intermédiaire de «l’homme habitant poète», Poïésis Revue n°1, Toulouse, 1994. 11

PASCAL Blaise, Pensées, 1669. 12

Trouverions-nous ici les limites de la mesure ? Comment rendre ces données sensibles, intelligibles ? Pouvons-nous mesurer une société ? Les sentiments appartiennent à la catégorie du vraisemblable puisqu’ils ne peuvent être des données figées et constantes sachant qu’elles varient selon le temps, la société et les personnalités variées qui les constituent. Mais le vraisemblable situé entre deux extrêmes précis le vrai et le faux ne peut pour autant être bien défini. Nous ne pouvons alors pas envisager une mesure précise de cette donnée subjective, qui ne considère pas une vérité absolue et universelle. Le caractère non fini et évolutif des sentiments entraîne un processus de requestionnement incessant. Une mesure objective ou chiffrée n’étant pas alors adéquate, la compréhension d’une dimension subjective peut avoir lieu par l’acte de proportion et de comparaison par rapport à ce que le réel nous propose, c’est-à-dire ce que nos propres sens dévoilent. Nous parlerons alors de modération et de justesse pour établir une relation supposée entre le vraisemblable et le vrai. Pascal définit la justesse comme le « simple naturel »12, et introduit l’esprit comme acteur de cette justesse devenant mesureur et mesuré, sensible et raisonnable.

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L ES M I L I E U X D ES FAU V ES

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8285 km

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SOE KER TIE HOUSES L’équipe TYIN architecte de Norvège par la conception du projet d’extension de l’orphelinat Soe Ker Tie à Noh Bo sur la frontière de la Birmanie et de la Thaïlande ont du s’adapter à une culture très différente de la leur qui s’accompagne d’un contexte géographique et environnemental spécifique, ainsi qu’à une histoire très marquée chez les communautés karens. Un territoire spécifique : mesures et relevés objectifs.

Anna Heringer est une jeune architecte allemande qui a reçu le Global Award for Sustainable Architecture, pour ses travaux dans le Nord du Bangladesh rural, où elle a amené les habitants à construire une école en terre et en bambou sans électricité. Elle partage la même approche de l’architecture que le duo TYIN, c’est-àdire la réactivation des traditions. Ils ont d’ailleurs été l’objet d’une exposition à la Villa Noailles à Hyères en 2010. 13

http://www. lecourrierdelarchitecte.com/article_177 14

Entre continent européen, et continent asiatique, quelques 8285 km séparent la Norvège de la Thaïlande. Cette grande distance s’accompagne d’une différence de situation selon l’hémisphère Nord (Norvège) et l’hémisphère Sud (Thailande). Nous avons à faire ici à deux situations géographiques très opposées qui s’accompagnent d’ un rapport à l’environnement, et à la nature dissenblable et donc une adaptation des populations locales respectivement divergentes. Les modes d’habiter et les traditions des populations thaïlandaises et birmanes peuvent alors paraître peu communes à ces jeunes architectes norvégiens encore étudiants lorsqu’ils ont entrepris ce projet. Face à cette confrontation des cultures, TYIN architects et Anna Heringer13 expriment une réelle envie de développer le système de construction occidental et d’apprendre des autres cultures : «Il y a besoin de nouvelles façons d’aborder conception et matière et il existe à ce sujet un immense savoir caché dans les cultures constructives traditionnelles. Le style international occidental est bien anémique et étroit d’esprit»14. C’est pourquoi, afin de prendre la mesure de ce contexte inconnu, l’équipe de TYIN architects a passé 6 mois sur place dans le village de Noh Bo pour prendre connaissance de l’environnement dans lequel ils s’apprêtent à concevoir le projet. Cette période de relevés précis, de la région de Tak, a été un apprentissage mutuel et un partage de savoirs entre les jeunes européens et les villageois de Noh Bo.

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ae Woei Rivière M SOE KER TIE Houses

BIRMANIE

THAILANDE

EI

O ve M Fleu

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Village de Noh Bo


Le climat chaud et le rythme des saisons de pluies ont une répercussion directe sur la conception de l’habitat et le mode de vie des thailandais. La vie agricole rythme les habitudes de vie d’un village. Elle suit les étapes de la production du riz ou du maïs, en cohérence avec le cycle des saisons: une saison des pluies de mai à octobre, une saison sèche de novembre à janvier, une saison chaude de janvier à mai. Ces caractéristiques climatiques entraînent des typologies architecturales et dispositifs structurelles constants et spécifiques : - les ouvertures peuvent être admises sans vitrage et les espaces ne sont pas tous physiquement fermé. Une porosité intérieur/extérieur est très fréquente dans l’organisation de l’habitat. - Il est également nécessaire de penser à des systèmes constructifs spécifiques à la ventilation du logement pour un espace à vivre ni trop chaud en journée ni trop froid la nuit. - la structure soit être pensée de façon à ne pas être endommagée par les fortes pluies, et l’humidité du sol. Le village de Noh Bo se situe dans une région très boisée composée majoritairement d’arbres fruitiers et de bambous. Ceci explique une typologie traditionnelle d’habitat en bois dans la région grâce à la facilité d’accès de cette ressource naturelle présente en grande quantité. La pensée du projet intègre alors quasi immédiatement une structure bois pour sa réalisation. Le terrain sur lequel a été construit l’orphelinat Safe Haven est entourée à moitié de la rivière, telle une presqu’ile. Bien que cette rivière soit à moitié sèche, ce terrain est peu stable et présente une topographie très irrégulière. Le relevés très précis du terrain ont permis de qualifier les différents espaces qui le composent, leur constitution et leurs usages. Cette étude a été nécessaire pour réorganiser différents niveaux du terrain et construire des murs de consolidation afin de redessiner une circulation plus agréable et sécurisée.

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Mae Pho Village - Phographie par Michel Mée - http://www.michel-mee.com/Best_of/nature.php

Rivière Mae Woei - http://www.terres-karens.org/album/

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Diagramme de la situation avant-projet.

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Croquis de situation existante du terrain de TYIN architectes - http://www.tyinarchitects.com/downloads/

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Croquis d’analyse du terrain de TYIN architectes - http://www.tyinarchitects.com/downloads/

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Un peuple ancien, au passé peu commun. La Norvège, pays du Nord, est un pays à la situation économique très bonne grâce aux nombreuses ressources du pays et répond d’une situation politique très stable, tandis que la Thaïlande reste un pays peu développé, qui doit affronter des situations climatiques extrêmes et un manque de ressources, sans compter un contexte politique du pays qui reste précaire. Les voisins de la Thaïlande ne jouissent pas non plus d’une situation politique très glorieuse. En effet, la Birmanie présente la plus longue guerre civile du monde, incluant de nombreuses insurrections, coups d’état et un régime de dictature durant plus de 20 ans sous Ne Win. Le pays est déclaré comme étant l’un des pires pays du monde en matière de libertés publiques ce qui explique que plusieurs milliers de réfugiés birmans ont traversé la frontière pour s’établir en Thaïlande, à la recherche d’une situation plus en sécurité en attendant le rétablissement d’une situation de paix et de liberté en Birmanie. Au sein de cette situation peu réjouissante, les peuples Karens qui demandent leur indépendance depuis 1948, vivent majoritairement en Birmanie mais une minorité s’est également établie sur les collines frontalières en Thaïlande. Ils sont particulièrement nombreux dans la province de Tak, dans leurs villages d’origine. Les camps de réfugiés localisés dans cette région sont de plus en plus nombreux dans les villages alentours tels que le village de Mao Fo et Noh Bo. L’orphelinat qui fait l’objet du projet Soe Ker Tie recueille des orphelins réfugiés de Brimanie vivant à Noh Bo, un village Karen.

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Les 6 mois d’étude effectué IN SITU par l’équipe d’architecte a été une rencontre très enrichissante avec les Karens, une ethnie minoritaire de l’Asie du Sud Est. Ce peuple de tradition nomade est originaire des régions tibétobirmanes. Il existe 300000 citoyens karens en Thaïlande, sans compter les réfugiés. Bien que les vallées de la Thaïlande aient récemment connu un développement économique, l’activité des villageois des montagnes sur la frontière est essentiellement agricole et le tissage est une activité traditionnelle qui se préserve. L’harmonie de la vie communautaire des karens provient de leurs coutumes et valeurs qu’ils souhaitent préserver dans un « univers traditionnel » à l’écart des économies modernes et occidentales qui progressent en Thaïlande. Cependant, il est difficile d’entrevoir un futur pérenne pour ces villages isolés en montagnes, où la production agricole traditionnelle ne permet pas des sources de revenus suffisants aux habitants et le manque de route d’accès n’aident pas à l’insertion de ces localités dans la vie économique de la province de Tak. Le travail de concertation et de dialogue avec les habitants du village ont permis aux norvégiens de comprendre les modes de vie karens et les traditions locales. L’étude et la découverte de ce peuple permettra aux jeunes architectes de s’adapter à cette ethnie entre deux pays et sans appartenance stable à un territoire de part leur origine nomade. La conception de l’extension de l’orphelinat doit alors d’autant plus prendre en compte ce sentiment de manque d’appartenance des enfants qui n’ont pas connu leur famille. La concertation avec les villageois de Noh Bo, ont permis à l’équipe TYIN architectes de répondre à des besoins pour l’ensemble de la communauté. En plus de l’orphelinat, les architectes ont alors également entreprit de concevoir de nouveaux sanitaires communs et une bibliothèque suite à la construction du projet Soe Ker Tie.

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SOE KER TIE HOUSES

Carte des camps de réfugiés karens

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Sanitaires de la bibliothèque de l’orphelinat Safe Haven - http://www.tyinarchitects.com/downloads/

Bibliothèque de la bibliothèque de l’orphelinat Safe Haven - http://www.tyinarchitects.com/downloads/

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C A P E L L A G R A N AT TA Qu’est-ce qui pousse l’architecte à dessiner, ou plutôt à redessiner les projets déjà élaborés auparavant? Quelle est la signification de cette continuelle reproposition dont les fonctions n’ont pas été fondamentalement modifiées avec le temps ? La recherche d’une nouvelle image est-elle seulement le reflet de nouvelles technologies, ou est-elle également le désir d’être le miroir des sensibilités de son époque ? Une nouvelle appropriation de l’architecture ? Ou plutôt un nouvel usage adéquat à la nouvelle société ? Ce sont ces quelques questions qui accompagnent les pensées, les esquisses, les dessins de chaque nouveau projet pour Botta.

Mario BOTTA, Construire les objets, fondation Louis Moret, 1989. 15

Redessiner tel ou tel projet d’usage courant est un moyen d’exprimer le besoin immense de créativité qui existe en chacun de nous. C’est une façon d’essayer, de comprendre, et d’interpréter les objets construits, corrigés, et constamment transformées par d’autres hommes. C’est un moyen de réaffirmer le droit à sa propre existence, un moyen de se sentir vivant ; et, en un certain sens, un moyen permettant à l’architecture d’évoluer. Le désir de s’exprimer, la nécessité de recréer, et par là même de se confronter à la sensibilité de son époque, sont des besoins primaires pour Mario Botta. Il dit : « Les objets qui nous entourent, de même que l’espace que nous construisons chaque jour autour de nous, parlent de nos sensibilités, font allusion à nos espoirs et témoignent en termes positifs de notre époque. »15

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Pour l’architecte, la conception du projet d’un usage curant signifie une confrontation avec le déjà fait, avec le déjà vu, et représente un enjeu pour une nouvelle interprétation. Chaque nouveau projet est une reproposition, et devient une inévitable correction-destruction de l’objet en question. Très souvent, ce n’est pas l’usage ou la fonction qui change, mais simplement le sens de celui-ci qui acquiert de nouvelles connotations, de nouvelles exigences. Ainsi, le sens des choses, leurs significations les plus profondes se cachent derrière l’usage pour lequel l’objet a été fait. Botta a construit plusieurs églises et chapelles dans différents endroits dans le monde. La silhouette de la chapelle Capella Granatta est assez unique comparant à celle du Mont Tamaro, ou à celle de l’église Giovanni Battista à Mogno Fusio (projet 1986, non réalisé) par exemple. Elles appartiennent à des époques différentes. Cela amène Botta à fouiller dans le passé de l’architecture chrétienne sacrée. A puiser dans son histoire afin de faire émerger ce qui est essentiel pour aujourd’hui. L’adapter avec la société actuelle.

PECKLE Benoît Philippe, Ethymologie dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 16

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C’est une attitude de l’architecte qui illustre exactement sa manière de s’affronter à une réalité. Une attitude extrêmement modeste face à l’objet projet dessiné, une mesure du réel qui demande aussi, un regard et une connaissance bien précise. Benoît Philippe Peckle l’évoque dans un de ses textes recueillis dans le livre architecture et modestie, en disant : « Face à un objet existant, il y a trois possibilités. Celle de la refuser, parce qu’il ne me convient pas, ou nom d’un passé, d’une référence au passé, et je vais donc créer un autre réel qui est le fruit de la lecture que j’ai d’une culture au nom d’une mémoire sélective. Ou je vais au contraire me réfugier dans l’imagination, parce que je refuse cet objet réel qui est en face de moi, en imaginer un, dont je suis complétement maître, que je fais à ma fantaisie, sans aucune contrainte. Ou enfin, je suis obligé de me confronter au réel, avec toutes les contraintes qu’il impose : contrainte de présence, de spatialisation, de matière. Contrainte de moi-même parce qu’il m’oblige à l’accepter tel qu’il est et non pas tel que je le voudrais, ou tel que je me souviendrais qu’il devait être. »16


L’espace creux, générateur de formes architecturales.

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Processus d’exécution.

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Quant à l’attitude de Botta, l’architecte accepte l’objet (projet) comme il est à la base. Il fuit dans l’histoire de son passé pour effectuer une recherche « patiente ». Il extrait les éléments essentiels. Il les réutilise dans sa conception actuelle, en les adaptant aux envies et aux besoins de son maitre d’ouvrage. Alors que la fonction de l’objet (projet) reste la même que celle d’hier. Giancarlo de Carlo en parle lors d’un entretien avec Bruno Queysanne et René Borruey à milan en disant : « A la Tourette par exemple, le Corbusier est très modeste, je trouve. Son projet n’est jamais monumental. On y sent la recherche, un sens de la considération des gens qui devrait habiter là. Le Corbusier n’était pas religieux, mais dès qu’il a accepté ce travail, il a essayé de comprendre les religieux qui allaitent utiliser son travail, ce qui est la vraie modestie. »17

DE CARLO Giancarlo, Entretien avec Giancarlo de Carlo, propos recueillis par Bruno Queysanne et René Borruey dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 17

Tout ceci justifie clairement la forme et la taille de la chapelle. Parlant de la forme, elle est simple et pure, sous forme de cristal évidé. Elle signifie pour l’architecte, la réinterprétation de l’espace creux de l’architecture chrétienne. Un espace qui a plus une dimension sacrée, primordiale. Il le considère, exactement comme dans l’architecture chrétienne ; l’espace générateur de la forme architecturale. Ce dernier mène à une idée de sacralité, construite, limitée par des murs en continuité avec la nature, en favorisant l’utilisation de la lumière naturelle en tant que matière, accentuant la présence divine dans l’espace construit. Cela implique un rapport avec la mémoire des objets en question. Cette confrontation avec de nouvelles transformations fait ressortir certaines exigences cachées, et réaffirme de nouvelles priorités. Ensuite commence le processus de l’exécution. La tentative de donner une signification aux formes et aux matériaux utilisés, en s’inspirant de ce qui nous entoure, des matériaux locaux, correspondant aux besoins financier du client. La satisfaction de retrouver une logique dans les lois d’assemblage, la recherche d’une fabrication économique, l’usage du minimum pour obtenir le maximum.

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Vue satellite de Sao Paulo 5 km

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SESC POMPEIA

« Certaines cités d’Europe s’endorment doucement dans la mort ; celles du Nouveau Monde vivent fiévreusement dans une maladie chronique ; perpétuellement jeunes, elles ne sont pourtant jamais saines »18 disait Claude Lévi-Strauss à propos de Sao Paulo. En effet cette ville de cent kilomètres carrés bouillonne de ses onze millions d’habitants. Il est sans doute plus juste de parler de mosaïque urbaine dont les traits d’union sont très compliqués à identifier. L’urbanité s’étale sans limites, il est impossible de la saisir dans son ensemble. Sao Paulo a grandi selon un modèle colonial prédateur, d’où cette façon de débiter la ville par lots, qui l’a empêchée d’avoir une structure qui l’embrasse toute. Elle se décompose donc en quartiers, aux fortes identités (Bela Vista ; le quartier italien, Vila Madalena ; le quartier bobo, ou encore la Paulista ; l’avenue des gratte-ciel). A Sao Paulo, le quartier est une forme de protection contre cette ville difficile à aborder, elle est aussi le point de départ pour essayer de la comprendre.

propos recueillis par LOUYOT Anne, dans Sao Paulo en mouvement, des innovateurs dans la ville, éditions Autrement, 2005. 18

Sao Paulo a longtemps été une ville à part au Brésil. Au départ toutes les villes, fruits de la colonisation, étaient littorales. Les indigènes, eux vivaient surtout à l’intérieur des terres, le plateau central. Les portugais en sont venus à suspecter la présence de richesses cachées dans ces régions inexplorées. Avec l’installation d’un noyau d’évangélisation par les jésuites, où s’étendra plus tard la gigantesque Sao Paulo, c’est le début de l’ intériorisation, la découverte de l’intérieur des terres brésiliennes. La ville actuelle se trouve au confluent des chemins tracés par les indigènes il y a des siècles, et du Tietê et de ses affluents. Le fleuve dessine une grande boucle dans l’Etat de Sao Paulo. Au dix-septième siècle, l’économie du café et la création du chemin de fer ont généré l’urbanisation de masse. A partir de ce moment-là, la ville a grandi sans cesse pour se reconstruire, nous pouvons parler d’une ville palimpseste, laissant, à chaque reconstruction, des traces perceptibles de l’ancien.

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A l’heure actuelle les immigrants sont de moins en moins nombreux, nous pouvons penser que la ville va commencer à se stabiliser. Suite à son expansion fulgurante, Sao Paulo va-t-elle réussir à se recomposée ? Les urbanistes estiment que sa survie passe par un découpage en unités viables pour redonner du sens à la notion de gestion urbaine. A cela s’ajoute l’amélioration indispensable des transports en commun, pour recréer la vitesse et les liens entre les différents quartiers. Sao Paulo échappe à toute tentative de définition : ville du travail et de la course à la richesse, elle est aussi le lieu de bouillonnement artistique dont le chaos fascine les artistes, les architectes, les cinéastes, les photographes, les créateurs du monde entier.

propos d’Alexandre Labasse, lors de l’exposition Lina Bo Bardi Together, au Pavillon de l’Arsenal à Paris, du 13.112013 au 19.01.2014. 19

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C’est le cas de Lina Bo Bardi, architecte designer italienne. Née à Rome en 1914, engagée en faveur de l’architecture moderne, elle part vivre à Sao Paulo en 1946, s’immergeant dans les idées politiques et la culture brésilienne. Figure de la modernité tropicale, Lina Bo Bardi fait partie aujourd’hui des architectes brésiliens référents. L’ancienne élève de Gio Ponti va interpréter et réinterpréter, pendant toute sa carrière, les préceptes de modernes, cherchant sans cesse à saisir l’éthique, la définition et le rôle même de l’architecte. « Feuilleter le portfolio de ses œuvres invite à la découverte de croquis spontanés et habités, de propositions métissées et généreuses, en réponse à des contextes politiques et des enjeux divergents. L’ensemble aux contours variables et à la géométrie forte balance entre contenu et forme et témoigne d’avancées, d’ordre et de progrès, emblème d’un pays et d’un peuple en construction »19 explique Alexandre Labasse, directeur général du Pavillon de l’Arsenal. En conclusion, Lina Bo Bardi unit, dans sa pratique architecturale hybride, les principes rationalistes et héroïques du Mouvement Moderne avec une sensibilité aux répertoires locaux et populaires, dans une posture qui se tinta de romantisme révolutionnaire à la fin des années 1950 et au début des années 1960.


Sao Paulo, photographies prises par Mathilde Col Eyraud (2014)

Lina Bo Bardi, Sao Paulo, 1970.

croquis de Lina Bo Bardi, recherches pour le SESC, 1977.

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LA SPATIALISATION DU PROJET

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U N E AT T I T U D E M E S U R E E

BERNARDIS Marie-Agnès, HAGENE Bernard, De la Mesure, dans Mesure et Démesure, Gallimard. 20

DE CARLO Giancarlo, Entretien avec Giancarlo de Carlo, propos recueillis par Bruno Queysanne et René Borruey dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999.

En employant l’expression juste mesure, on donne une appréciation de la mesure. On n’évalue pas seulement la mesure en elle-même mais aussi le système dont elle est issue. En mesurant les objets, nous pouvons les comparer. Sans la mesure, les choses seraient enfermées dans l’opacité de leur singularité. Comme le dit Marie-Agnès Bernardis, « la mesure existe dès que l’on établit une relation logique entre la qualité d’un objet et un nombre »20 .

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La modestie de l’architecte se mesure également dans l’attitude qu’il acquiert envers la société. Giancarlo de Carlo et Bruno Queysanne nous apprennent que le projet Albertien par exemple, est modeste, car il libère son savoir pour le rendre accessible à tous, dans une intention de partage de connaissances : «Alberti était problématique dans la conception de son architecture. Il n’était pas dogmatique, doctrinaire, il cherchait, il était modeste »21.

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L’architecte doit être sérieux, et non se prendre au sérieux. C’est une façon d’être modeste. L’architecte doit exprimer sa pensée mais également trouver des techniques pour bâtir, et choisir des matériaux de construction. Sa culture restera en continuité et en contact direct avecles cultures qui lui sont étrangères, « parce que si l’on commence par prolonger ses racines dans la culture qui est autour de soi, on est à l’abri de cette attitude de détachement, DE CARLO Giancarlo, Entretien avec Giancarlo de Carlo, propos recueillis par Bruno Queysanne et René Borruey dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999.

d’arrogance, de mépris en fait, qui est la base de l’immodestie. »22.

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Un projet qui serait mesuré, sur tous les fronts, serait alors bien dimensionné pour l’homme, se fondrait dans le paysage, serait fait avec modestie et remises en question. L’architecte qui le conçoit ne se proposerait jamais comme modèle, il ne doit jamais être hautain. Il doit mener son projet à bien ; il ne serait jamais dogmatique mais, bien au contraire, il doit raisonner, ajouter, regarder, et changer des choses.


Dans cette attitude, c’est l’architecte qui doit jouer son rôle de chef d’orchestre, il donne la mesure. L’ attitude mesurée est une tentative de faire une architecture entre deux extrèmes, ou la démesure apporte à la mesure ce qui lui manque. Une pensée simple et raisonnable, imaginer le projet invisible plutôt que démonstratif, réfléchir compact et utile en évitant tout superflu. C’est-à-dire, se brider au début de la conception pour partir sur de bonnes bases. Après c’est au contraire un travail d’expert, passionnant et inventif, car il s’agit de tout tirer vers le haut, de tout tendre vers un qualité d’usage et d’esthétique. C’est-à-dire qu’il faut, sur ces bases extrêmement simples, chercher l’extraordinaire pour les gens qui vont vivre dans ces espaces. Aussi en architecture la juste mesure, si difficile soit-elle à atteindre,est question d’attitude de l’Homme face à la mesure et à la démesure du monde qui l’entoure. La modestie donc, servirait à remettre les choses à leur place : non pas la disparition du moi de l’architecte, qui ne serait que l’envers de son empire sans limite, mais la découverte, ou plutôt la construction, d’une situation où l’architecte deviendrait un médiateur entre des intérêts divers, ceux du client, du projet, du monde, du moment, et de lui-même. Giancarlo de Carlo, insiste sur la place de l’architecte dans tout ce processus de conceptualisation. Pour lui, l’attitude de l’architecte ne doit pas se résumer uniquement à savoir prendre la mesure de ce qui ne lui appartient pas dans le projet, mais surtout savoir établir ce colloque avec l’environnement, avec le contexte. C’est un contexte humain, dont l’architecte est le seul homme qui peut prétendre le lire. Un architecte pourrait être qualifier de modeste en admettant qu’il aurait la capacité à la fois théorique et pratique de distribuer cette mesure entre les choses qui concourent au projet, entre le projet et le monde, entre le projet et les hommes. Un rôle non négligeable et qui, paradoxe de la modestie, apparaîtrait de plus en plus décisif au fur et à mesure qu’on prendrait conscience de la nécessaire modestie et de la place de l’architecte.

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D ES FAU V ES M ES U R ES

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A P P R O P R I AT I O N | S O E K E R T I E Suite à l’étude IN SITU du territoire de la région de Tak, et des modes de vie et histoire du peuple Karen, l’équipe de TYIN architect a pu entreprendre l’étape de conception de l’extension de l’orphelinat selon certaines directions mises en place par la discussion avec les villageois et l’acclimatation avec les caractéristiques environnementales de l’Asie du Sud est.

Un village pour enfants. L’extension de l’orphelinat constitue 6 unités d’habitations identiques, comportant chacune 4 couchages soit une capacité totale d’accueil de 24 enfants. L’intention première derrière ce projet est de procurer aux enfants leur propre espace privé et le sentiment d’appropriation tout en alliant des espaces dynamiques de jeux, de partage et de rencontre qu’ils peuvent alors appeler leur maison. Afin que chaque enfant ait le sentiment d’appartenance à son propre espace, sa propre « cabane », le programme a été divisé en 6 unités d’habitations, toutes identiques, comportant chacune 4 couchages, soit une capacité totale d’accueil de 24 enfants. Leur disposition restructure l’ensemble de l’orphelinat en dialogue avec le bâti existant, et permet une entrée spécifique à chaque module. Le cheminement principal lie l’entrée de l’orphelinat et l’ancien bâtiment originel avant de desservir ces quelques maisonnettes disposées les unes à coté des autres selon des directions variées.

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L’espace entre chaque module varie en forme et en superficie tandis que les intérieurs des modules sont tous identiques. La tension créée entre les unités produit des espaces aux dynamiques variées, accueillant des usages différents selon leurs caractéristiques et leur emplacement. Ces lieux de partage et de rencontre entre les individus à l’ombre des arbres et des toitures des cabanons, sont intermédiaires entre l’aire de jeu du centre et les espaces intérieurs des modules ; en transition entre l’intime et le partagé, dont la proportion divergent selon l’appropriation des usagers et les moments de la journée. En effet, c’est également l’ombre qui vient délimiter ces espaces, des limites qui évoluent selon la course du soleil. Bruno Queysanne définit d’ailleurs l’ombre comme étant l’intermédiaire entre le Ciel et la Terre, une dimension qui est alors à l’échelle de l’Homme lui aussi établit entre un Sur et un Sous : « l’ombre étant notre sciences à nous les hommes, l’ombre étant cette dimension de l’univers qui nous convient et à laquelle nous convenons, à laquelle la bonne mesure nous proportionne.»23. L’espace intérieur des unités permet plusieurs usages selon une temporalité jour/nuit. L’organisation intérieure est favorable aux activités en journée, grâce à une porosité des parois entre l’intérieur et l’extérieur. Les dispositifs d’ouvertures permettent une communication entre les enfants qu’ils soient dans l’habitation et en dehors. La disposition des couchettes permet à chacun de profiter d’un espace nuit individuel et physiquement délimité par le vide et les gardes corps qui séparent chaque plateforme.

QUEYSANNE Bruno, La mesure intermédiaire de « l’homme habitant poète. », Poïésis Revue n°1, Toulouse, 1994. 23

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Bien que l’espace soit réduit au maximum dans un souci d’économie, chaque dispositif a été pensé et conçu de manière la plus avantageuse possible pour profiter d’espaces aux dimensions agréables. L’organisation des plateformes les unes par rapport aux autres, selon un système alternés de demi niveau permet une continuité visuelle dans l’ensemble de l’habitation, qui participe à agrandir les espaces spécifiques à chaque couchette, et permet un lien dynamique entre les enfants.


Dialogue entre bâti existant et nouveaux espaxes.

Tension entre bâtis crétaurs de nouveaux espaces.

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Une continuité visuelle au sein de chaque maison pour favoriser l’échenge entre les enfants.

Des unités multi usages.

Des dimensions minimums pour une économie de moyens et de matériaux.

Une porosité intérieur/extérieur propice à la rencontre

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Une structure bois/acier assemblée sur place pour assurer précision et résistance.

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La structure favorise la récupération d’eau et la ventilation naturelle. Des pneus font office de moules pour le coulage des fondations.

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De nombreuses ouvertures pour favoriser la communication.

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Une attitude de transmission du savoir réciproque. Le projet Soe Ker Tie est le résultat d’un partage de connaissances réciproque entre la culture occidentale européenne et les traditions thaïlandaises. Ces habitations miniatures, appelées les maisons papillons24 par les habitants Karens, sont le résultat d’une complémentarité entre les savoirs faire locaux et les connaissances occidentales de l’équipe de TYIN architects. La caractéristique proéminente de ce projet est l’utilisation des ressources locales en bambous pour la conception des façades. Le tissage traditionnel employé est une technique locale retrouvée sur les maisons et ateliers de la région. Ce tissage est ensuite assemblé par le biais de tasseaux pour le montage des façades.

papillons se traduit du karen sgaw (langue du peuple karen de la région de Tak) par Soe Ker Tie 24

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Adapté au climat local, la forme des toits en 2 pans inclinés vers l’extérieur permet une ventilation naturelle constante au sein de chaque habitation tout en collectant et stockant les eaux de pluie lors des saisons sèches. La structure bois/acier a été assemblée sur place afin d’assurer un structure précise et résistante. Enfin, pour éviter les problèmes de moisissure due à l’humidité du sol, les unités dortoirs ont été surélevées grâce à des fondations en béton moulées dans de vieux pneus enfouis dans le sol au niveau des quatre emprises au sol de la structure.


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M E D I TAT I O N | C A P E L L A G R A N AT TA Dans cette œuvre, la notion de mesure ne se limite pas qu’aux proportions que l’architecte doit choisir pour son projet mais, aussi d’autres choses bien complexes. Peut-on parler de mesurer l’impact émotionnel d’un espace? Mesurer la contemplation divine dans un espace sacré ? Est-ce une bonne mesure, ou une fausse mesure car elle n’a pas d’objet ? Toute architecture commence avec l’attitude d’un Homme. Cette dernière consiste à « ne pas chercher le fantastique, ni le spectaculaire et surtout pas l’image qui fait rêver »25 mais plutôt la simplicité. Avec un minimum de moyens. Offrir de la générosité et de véritables qualités d’espaces, d’usages aux personnes, tels étaient toujours les objectifs. Sortir des standards, être à la recherche de plan innovant et toujours chercher à faire autrement voilà ce qui caractérise l’architecte Mario Botta. Cette attitude lui suggère pourtant deux autres démarches opposées : faire de l’ordinaire et faire de l’extraordinaire. Botta, tente un compromis entre ces deux extrêmes. Sa posture est très complexe, il essaye de trouver un juste milieu pour parfois constater quelques années plus tard qu’il n’y était pas arrivé. Mais se remettre en question fait partie pour lui et de tout l’enjeu de son attitude. C’est une attitude modeste qui fait de Mario Botta un grand architecte. « En effet en toute entreprise le temps apporte beaucoup et permet de découvrir et d’évaluer des choses qui échappent même à l’homme le plus intelligent »26 .

MICHELIN Nicolas, Attitude, propos sur l’architecture, la ville, l’environnement, Paris, Archibooks 2010. 25

QUEYSANNE Bruno, Les conseils d’Alberti, dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 26

Mais à quoi peut-on mesurer une architecture sensé être ordinaire d’une autre? Comment se situer? C’est cette question qui nous renvoi à analyser une œuvre de cette architecte. Une chapelle d’une taille minime mais, qui révèle des questionnements multiples. Tout est une question de mesure. L’architecte oscille entre deux. Cette notion et son opposée : la démesure. Elles sont au cœur d’un débat féroce entre l’ordinaire et l’extraordinaire. Attachons-nous alors à qu’est ce qui fait dire que la chapelle Capella Granatta est une architecture mesurée ou démesurée. Est-ce que l’architecte a réussi à trouver la juste mesure ? si oui, ou est ce qu’il a trouvé ? C’est au final La quête d’une harmonie que Botta recherche dans l’architecture et peu importe la simplicité apparente ou la fausse complexité.

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Le projet de la chapelle Capella Granatta a été construit en deux ans, de 2011 à 2013, en Autriche. C’est une petite chapelle de 40m², située sur le sommet d’une montagne. La façade Nord est en face à la vallée de Zillertal ci-dessous, alors que celle du Sud est dirigée vers une cuvette artificielle. Ce projet est témoin de la qualité de l’architecture de Botta, ainsi sa capacité et sa volonté de concevoir des bâtiments avec une matérialité et une forme souvent expressive. Il utilise les moyens les plus élémentaires d’architecture pour exprimer ses idées de projet. La chapelle doit son nom à la pierre fortement présente dans le site le granit.Elle est située sur un site touristique. Ce dernier propose de nombreux services liés aux randonnées, ski…. Il est accessible par un chemin de randonnée ou par le téléphérique depuis Finkenberg, dans la plaine ci-dessous. Le bâtiment a un volume géométrique brut en forme de diamant reposant sur un socle en béton qui constitue le mur de soubassement (l’entrée du projet). Il vient détourner un ancien chemin de randonnée, en devenant un point d’impulsion attirant de plus en plus de visiteurs. La façade extérieure est recouverte des plaques de basalte. Elle repose sur une structure secondaire en bois. L’architecte donne l’impression que le projet est une grosse pierre roulée en basalte qui a trouvé son équilibre et qui a ensuite été enracinée dans ce lieu. Un lieu qui donne un sentiment de paix et de sérénité, et offre aux visiteurs une occasion de prier, et de réfléchir sur notre vie, en silence. Botta distingue les deux volumes, le soubassement et le diamant, afin de mettre son projet en évidence. C’est une façon de parier les règles de la physique statique. A l’intérieure, l’espace obéit à une géométrie très régulière. Animée par des surfaces lisses sous forme de bandes losangée revêtues en bois de mélèze, éclairés par une petite lumière zénithale provenant du toit. La magie de cette espace est garantie grâce à une continuité ininterrompu de la perfection des formes géométriques des murs, identiques les uns aux autres. Une idée simple qui peut se transformer en complexe.

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Continuité de textures pour agrandir l’espace.

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La culture et la tradition comme essence de valeur esthétique. Mario Botta est très attaché à sa culture et à ses traditions. Même si le projet de la chapelle est construit en Autriche, l’architecte essaye toujours de commencer son processus de formalisation du projet en faisant référence à sa culture. Dans son ouvrage Ethique du bâti27, il parle de l’éthique comme essence de valeurs esthétiques du projet. Il le précise en faisant référence au philosophe Manfredo Tafuri en disant : « si la valeur esthétique attribuée par la tradition ne se retrouve pas en architecture, cette dernière sera réduite à sa simple fonction utilitaire. Il s’agit ici, de survivre dans une roulotte, dans un container, ou dans un quelconque gadget technologique. L’architecture demeure donc, une inutilité sublime»28.

Mario BOTTA, Ethique du bâtie, Collection aupalinos, architecture et urbanisme, Marseille, 2005. 27

MOUFREDO Tafuri, Projet et utopie. 28

Ici il fait allusion au passé. Dans le projet de la chapelle, il réemploi le mur de soubassement comme élément fondateur de la chapelle. Le mur qui a pu reconquérir son épaisseur, cachant l’espace privé de la chapelle, vient affirmer l’entrée du projet. Dès le début du projet, il dessine le socle. Il constitue un périmètre de base à partir duquel émerge le projet. C’est donc un élément de construction du paysage, en rapport directe avec les espaces environnants. Il forme une bande de base faisant office de portique d’entrée. C’est un espace filtre, un espace de transition. Pour accéder à l’espace de prière, il faut remonter des escaliers en béton, accompagnés d’une main courante métallique.

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Entre sur et sous, terre et divin.

Aménagement minimum dédié à la méditation.

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L’espace à l’intérieure de la chapelle est totalement clos. On sent le vide, le minima ou l’essentiel pour faire la prière. Une croix face au mur, un petit tabouret pour se reposer, en laissant pleuvoir d’en haut une petite lumière zénithale qui s’ouvre à la grande blessure du ciel. Un espace où semble résonner l’écho de caverne ancestrale. De l’extérieure, la forme est extrêmement géométrique, nous laissant se demandé à quoi peut ressembler l’espace à l’intérieure. C’est une volonté de l’architecte. Ici, il fait référence à l’architecture chrétienne privilégiant l’espace intérieure, en le considérant comme axiale car, c’est ici que la communauté se rassemble pour faire la prière. Malgré la petite taille du projet qui obéit aux moyens limités du propriétaire, ce dernier vient créer un nouveau point de repères dans le territoire. Il a réussi à détourné un chemin de randonnée existant. En utilisant des matériaux fortement présents sur site comme le basalte, la chapelle vient s’insérer facilement dans le grand paysage des montagnes. En termes de forme, de taille, de texture et de couleur. La chapelle vient s’enraciner dans le sol, avec la visibilité de son poids posé sur le mur de soubassement, elle participe à créer la continuité des lignes de crêtes qui forment la ligne d’horizon.

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CONVIVIALITE | SESC POMPEIA

Dans les années soixante-dix, Lina Bo Bardi est chargée de la conception du SESC, un centre de loisirs, sur le site de l’ancienne usine Pompéia, au centre de la ville de Sao Paulo. L’architecte fait une proposition révolutionnaire pour l’époque ; conserver et recycler les bâtiments industriels pour venir y loger le nouveau programme. Nous sommes à l’aube de la reconnaissance du patrimoine bâti industriel, en tant que patrimoine architectural. Le chantier durera de 1977 à 1986, avec une première période de reconversion de l’ancienne usine de bidons, puis une phase de construction nouvelle pour la seconde partie du programme. Le SESC a été conçu par Lina Bo Bardi dans le cadre d’une politique du Service social du commerce qui offre la possibilité aux employés du commerce d’utiliser les lieux pour des activités de loisirs et d’éducation complémentaire. Cependant la fréquentation du SESC ne s’est pas limitée à cette population, il est devenu un véritable espace public, inséré dans la vie du quartier, et même dans la gigantesque ville dans Sao Paulo. Le SESC Pompéia, de par sa programmation et ses espaces conviviaux, a pris une place très importante dans le quartier de Palmeras. Mais son aire d’influence ne se limite pas au voisinage, à travers l’offre de ses expositions et spectacles de qualités, il rayonne sur toute la métropole. Enfin, son architecture est à la fois très bien intégrée au tissus urbain, et à la fois suffisamment forte, pour devenir un emblème de la ville de Sao Paulo dans un contexte mondial. La modularité de l’architecture industrielle se distinguait déjà des typologies alentour à l’échelle urbaine avant 1977, lorsque Pompéia avait encore un rôle lié à la manufacture. Lina Bo Bardi choisi de conserver et de promouvoir cette singularité bâtie pour la reconversion des lieux en centre de loisirs.

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Début du chantier en 1977, réhabilitation des ateliers de l’ancienne usine Pompeia

Vue générale du SESC Pompeia au terme du chantier (1986)

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ulo | 1977-1986

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itecture industrielle

Croquis d’intention de Lyna Bo Bardi «un rêve de liberté et de mouvement», extrait du film de Richard Copans sur ARTE, «La Citadelle du loisir»

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Le SESC, une typologie qui contraste avec l’hétérogénéité du quartier

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EXPOSITION


Le SESC Pompéia depuis la rue Clelia, photographies prises par Mathilde Col Eyraud (2014)

Nous allons désormais porter un regard plus approfondi sur la partie du programme qui a pris possession de l’ancienne usine. Lina Bo Bardi ne change rien à la disposition des bâtiments existants, elle conserve le face à face des ateliers sur une rue centrale, aujourd’hui réservée aux piétons. A l’intérieur des ateliers, l’architecte décide de mettre à nue la structure en supprimant les cloisons inutiles pour créer de grands espaces fluides. Elle retire aussi le crépi afin de faire ressortir les remplissages en briques. De cette façon, la structure en poteaux, tramée tous les dix mètres, est valorisée. Le dessin élégant des poteaux structurels, dont le volume l’élargie à la base, de l’ingénieur français Hennebique, est révélé. Cette régularité se retrouve aussi en façade, depuis la rue piétonne centrale. La structure en béton avec son remplissage en brique est lisible depuis l’extérieur. Les façades des ateliers découpées en sheds sont emblématiques de l’architecture industrielle du dix-neuvième siècle. Nous nous sommes rendu compte que l’assemblage structurel de béton respectait une trame de trois mètres par trois, les vides étant ; des ouvertures vitrées, une porte en bois monumentale, ou du remplissage en brique. A neuf mètre de hauteur culmine le faitage des ateliers, comme indiqué par la direction du poteau le plus haut.

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régularité de la tram avec une structure poteaux béton

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Afin de permettre l’appropriation de l’individu dans ces lieux aux dimensions industrielles de la machine, et non pas celles de l’Homme, Lina Bo Bardi va subdiviser habilement l’espace. Tout d’abord L’architecte choisi de distribuer le programme sans hiérarchie : nager est aussi important qu’apprendre à tisser, assister à un concert de jazz ou jouer aux échecs. Ainsi, les ateliers de poterie, la bibliothèque, le théâtre ou le self-service, sont disposés de manière égalitaire, dans les ateliers existant, le long de la rue centrale piétonne. Selon la quantité d’espace nécessaire pour telle ou telle activité, Lina Bo Bardi va réserver un, deux ou trois modules d’atelier, à un élément de programme. La nouvelle construction, au sud de la parcelle, va compiler l’ensemble des terrains de sports en un seul bâtiment de cinq niveaux. L’architecte solutionne ainsi la question du peu de place disponible sur la parcelle d’origine. Par ailleurs cette partie du projet plus offensive, avec ses trous préhistoriques en tant qu’ouvertures, est devenu un emblème de l’architecture brutaliste. Le choix de la préfabrication du bâtiment prend ici tout son sens, dans le souci d’une économie de moyens et dans l’ancrage du projet dans son site au passé industriel encore très présent. Si maintenant nous faisons le choix d’analyser plus spécifiquement l’espace de la grande halle, nous verrons que Lina Bo Bardi poursuit ce jeu de subdivisions de l’espace jusqu’à des échelles intimes. Cet espace unique de la grande halle de milles mètres carrés, vient abriter trois programmes différents : un lieu d’exposition temporaire (sur un module), une bibliothèque déployée selon plusieurs niveaux (sur deux modules), et un espace de convivialité pour reprendre l’expression de l’architecte (sur deux modules). Avec des dispositifs architecturaux très simple, quelques marches, un muret, un bras du ruisseau, Lina Bo Bardi nous invite à investir l’espace, en groupe ou de manière individuel, tout en gardant à l’esprit l’impression de faire partie d’une communauté, celle qui nous entoure.

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de l’espace ADMINISTR ATION

EXPOSITION TEMPORAIRES

BIBLIOTHEQUE BIBLIOTHEQUE BIBLIOTHEQUE

ESPACE DE CONVIVIALITE ESPACE DE CONVIVIALITE ESPACE DE CONVIVIALITE ESPACE DE CONVIVIALITE

VESTIBUL COUVERT DU THEATRE POUR SPECTACLES

THEATRE THEATRE

ATELIERS ATELIERS ATELIERS ATELIERS

LABORATOIRE PHOTO STUDIO DE MUSIQUE SALLE DE DANSE

CUISINE INDUSTRIELLE RESTAURANT SELF-SERVICE RESTAURANT SELF-SERVICE RESTAURANT SELF-SERVICE RESTAURANT SELF-SERVICE RESTAURANT

DEPOTS AT E L I E R S DEPOTS AT E L I E R S DEPOTS AT E L I E R S

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l’ancienne trame de l’usine vient acceuillir le nouveau programme

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sous division de l’espace unique de la grande hall de 1000 m², avec une gradation de l’intimité

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Les différentes appropriations de l’espace de la bibliothèque, photographies prises par Mathilde Col Eyraud (2014)

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proportions qui redonne une échelle intime à ces anciens ateliers industriels

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En ce qui concerne la bibliothèque, la richesse de l’espace créé est saisissante. Les jeux de niveaux subtils nous permettent de nous isolé complètement, de trouver une intimité au sein de cette grande halle. Un premier niveau isole le lecteur du sol et le protège des nuisances sonores par d’épais murets de béton d’un mètre vingt. Cette hauteur permet de fluidité visuelle lorsque l’on est débout et que l’on cherche une place, et isole complètement, une fois celle-ci trouvée. Ensuite cinq escaliers permettent d’accéder au niveau supérieur qui est d’autant plus isolé du sol et, de ce fait, propice à la lecture. Enfin, cette mezzanine permet aussi de créer un lieu couvert, au sol niveau du sol, qui s’adresse aux enfants. La faible hauteur sous plafond (environ deux mètre cinquante) et les nouvelles dimensions d’espaces générées rend l’espace plus intime et plus appropriable par les enfants, que le restant de la grande halle.

Lina Bo Bardi, cité par MALRAS Pauline, dans Lina Bo Bardi Architecte exilée, dans D’a, 08.11.2013 29

En réalisant le SESC Pompéia, Lina Bo Bardi s’inspire de la culture brésilienne, et crée un lieu de la convivialité et de liberté dans la diversité, qui perdure encore aujourd’hui. « […] Je n’oublie jamais le surréalisme du peuple brésilien, son inventivité, son plaisir à se réunir, à danser et à chanter. C’est pourquoi j’ai dédié mon travail à Pompéia aux jeunes, aux enfants et aux personnes du troisième âge : à eux tous ensemble. » 29

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Hiérarchisation des flux, une déambulation piétonne à l’intérieur du SESC 0 10 m 0

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Fluidité et liberté de mouvement, respect envers la structure existante

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Nous avons déjà observé l’intégration et la place importante qu’a le SESC dans le quartier de Palmeras. Cependant, si l’on s’attache à analyser la hiérarchisation des flux dans un rayon de cinq-cents mètre autour de Pompéia, on observe un quartier à deux vitesses. En effet, la fabrique est bordée de voies importantes de circulation automobile (Rua Clélia…), en revanche la circulation est entièrement piétonne au sein du SESC. La distribution du programme dans les anciens ateliers se fait le long de la rue centrale piétonne. En ce qui concerne la seconde partie du programme, l’architecte crée une tour, indépendante du bâtiment qui abrite les terrains de sports, pour y loger les vestiaires et la circulation. On excède donc aux terrains part la tour, et Lina Bo Bardi nous impose une traversée sur des passerelles de béton, qui culminent à plusieurs mètres de hauteurs. En nous donnant à voir le paysage urbain, l’architecte nous invite à mesurer l’étendue de la ville sous nos pieds, le peu que nous puissions percevoir de la vaste étendue d’urbanité qu’est Sao Paulo. Dans la grande hall de mille mètres carrés, Lina Bo Bardi vient révéler la générosité de l’espace des anciens ateliers. Elle dévoile le volume habitable en concevant une fluidité de mouvement et de regard. Les nouveaux éléments construits sont modestes, ne touchant pas la structure existante par respect envers celle-ci. Dès les premières esquisses, nous pouvons sentir ce rêve de liberté de mouvement, dont il reste l’essentiel aujourd’hui : un espace généreux, sans cloisons, ni porte. Ce sentiment de liberté est accentué avec la création de la rivière intérieure et du paysage minéral qu’offre l’architecte. Enfin, Lina Bo Bardi fait le choix de conserver aussi le système de ventilation naturel de l’air des anciens ateliers. La simplicité constructive des murs de briques, ajourés à l’ouest, permet de conservée la fraicheur de l’édifice. La porosité de ce bâtiment de la convivialité est accentuée par l’ouverture quasi permanente des larges portes coulissantes qui donnent sur la rue centrale. Le SESC Pompéi est définitivement un lieu d’accueil et d’échanges multigénérationnels.

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DEMOCRATISATION DU PROJET

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U N E M I S E E N D E B AT PA R T O U S Le contraire d’un projet politique, d’une architecture qui profite au pouvoir ou à l’économie, c’est bien entendu une architecture faite avec les Hommes afin de subvenir à leurs besoins. Loin des constructions où la dimension humaine est absente, c’est lorsque que l’on se préoccupe essentiellement de l’usage que l’on retrouve l’enjeu fédérateur de l’architecture. On peut parler d’une sorte de droit chemin dont les architectes ne devraient jamais s’éloigner ; construire pour les gens, et avec les gens. Face à une architecture qui dicte les habitudes à prendre, c’est une architecture usuelle, qui se plie aux besoins des usagers. Une architecture qui fait participer les gens à la conceptualisation de leurs besoins. Une architecture qui semblerait être plus juste, plus mesurée. « La mesure est comme une modération de l’âme ou de tout l’être, non seulement face au corps et à ses plaisirs, mais face au monde, à la pensée, et à soi. »30 La démocratisation de l’architecture permet une critique ouverte de l’architecture par tous, et sa mise en débat avec d’autres disciplines. C’est la nature humaine est remise en avant à travers cette démocratisation de l’architecture. L’architecte n’est pas considéré comme un homme surnaturel, mais plutôt, un homme comme tous les autres. Savants ou ignorants, nous COMTESPONVILLE André, Mesure et Démesure, dans Mesure et Démesure, Gallimard. 30

QUEYSANNE Bruno, Les conseils d’Alberti, dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 31

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sommes tous invités à participer à la critique de cette discipline. Il existe un fond commun aux hommes qui assure la productivité et la communication des jugements. Des jugements qui peuvent provenir aussi bien des experts que des in experts. Alberti considérait que tous, experts comme non experts étaient « avertis par la nature »31, étant capable de juger et de faire avancer la réflexion architecturale. Il dit être « vraiment étonnant de voir comment, tous, savants (docti) et ignorants (indocti) avertis par la nature, nous percevons à l’instant ce qu’il y a de juste ou d’erroné dans la réalisation et la conception des œuvres»31. L’architecture devient alors une projettation communautaire.


Giancarlo de Carlo développe également cette notion de partage de connaissances, en énonçant que «le procès de participation doit viser justement à sortir de son aliénation, à rétablir un contact, à se parler de façon à arriver aux vrais besoins »32. De Carlo établie un colloque direct avec les individus ; les usagers quotidiens du projet et de l’environnement dans lequel il s’inscrit : « je pense que l’architecture a un effet sur les gens. Je pense que la qualité de l’espace est la seule chose à laquelle nous pouvons nous référer encore aujourd’hui quand il n’y a plus rien, quand tout est dans la voie de l’uniformisation. »32. DE CARLO Giancarlo, propos recueillis René Borruey dans La modestie dans la bouche des architectes, Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 1

Cette relation aux gens peut être directe, l’architecte peut rencontrer des gens experts et non experts pendant la réalisation de son projet dans le chantier, comme elle peut être indirecte, ou bien parce que la dimension de l’opération était très grande, ou bien parce qu’il était plus difficile de se mettre en contact avec les usagers. Dans ce cas, l’architecte doit suivre des voies indirectes ; chercher dans l’espace existant, la construction de l’espace, des signes pour s’orienter.

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R EQ U EST I O N N E M E N T D ES FAU V ES

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SOE KER TIE HOUSES Le projet Soe Ker Tie se positionnerait dans deux catégories : -l’architecture durable et l’architecture humanitaire. On peut alors se poser la question si ces pavillons de bois donnent la juste mesure dans ces deux domaines. TYIN architectes ont contribué à développer une pratique en requestionnant des savoirs et une vision de l’établissement humain dans la globalisation, c’est-à-dire un requestionnement du rapport N/S. En mettant à profit des savoirs locaux et en les complétant par leurs connaissances occidentales, TYIN architectes participent à la régénération de la connaissance, à la prise en compte des modes de vie et des savoir faire des diverses cultures pour la poursuite d’un dialogue inter culturel. Aujourd’hui, suite au phénomène de globalisation, ce rapport Nord/ Sud ne peut être définit comme un rapport fixe entre deux entités très limités. La société de consommation, soit le Nord, n’a plus de limites, prônant l’excès et la démesure.

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Les concepteurs norvégiens en étudiant les modes d’habiter dans la région de Tak sur la frontière birmano-thaïlandaise, partent à la rencontre d’une des rares ethnies encore peu touchées par la globalisation grâce à leur persévérance dans la conservation de leurs traditions et valeurs. On retrouve alors au sein de cette culture karen un retour au nécessaire. Ne se laissant pas aller à l’envie d’excès, les karens feraient preuve de justesse dans leur façon de vivre en retrouvant la mesure de ce dont ils ont vraiment besoin.

LATOUCHE Serge, L’éloge de la mesure, dans Habiter la terre en poète, Les éditions du Palais, Paris, 2013. 33

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Dans ce processus de projet spécifique aux maisons Soe Ker Tie, l’analyse de constructions vernaculaires telles que les habitations karens, ont permis de révéler ces structures populaires et de les réintroduire dans une démarche durable et respectueuses des pratiques. On retrouve ici l’idée de Christopher Alexander dans son livre A Pattern Language –un langage de motifs- selon laquelle la conception d’habitat pour soi-même garantit le confort et la fonctionnalité de ces espaces qui correspondent à une mémoire collective. On parlerait alors ici d’une prise de mesure et de sa transmission de manière collective. En requestionnant les concepts de modèles architecturaux liés à une culture, pourrions-nous retrouver la juste mesure de l’habitat ? Tendrions-nous vers une vertu du bâtir de demain ? L’importance dans ce requestionnement par les modèles culturels d’après Serge Latouche33 est de ne pas seulement réajuster et proposer une alternative mais au contraire de revenir à la logique profonde du système. On retrouve à travers le projet Soe Ker Tie une dimension décroissante, tel un retour en arrière. La solution serait-elle de revenir à la simplicité d’une réponse à un besoin, pour retrouver la justesse dans l’architecture?


C A P E L L A G R A N AT TA

Un projet modeste est celui duquel on ne peut plus rien lui retirer ou rajouter sans en perdre l’essence. Cette maxime est souvent répétée par Mario Botta. Ce dernier, nous invite à aller au plus simple, au plus efficace et au bout de notre idée avec de la lucidité.

PECKLE Benoit Philippe, Ethymologie dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 34

DE CARLO Giancarlo, Entretien avec Giancarlo de Carlo, propos recueillis par Bruno Queysanne et René Borruey dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 35

Pourtant, c’est une notion dont il faut tout de même se méfier. La mesure étant un outil essentiel de l’architecture ; on ne commence pas un projet sans avoir fait un relevé préalable des lieux, par exemple. Celui qui observe la mesure est modeste, pourtant celui qui se revendique modeste ne peut l’être. Benoît Philippe Peckle insiste la dessus dans le même texte en disant : « Immédiatement vient au jour l’intuition que la modestie est un regard sur l’autre : je peux dire que quelqu’un est modeste, je ne peux pas me dire modeste »34. C’est un jugement qui n’est possible que, par les personnes extérieures, d’où l’objectivité de cette notion ; partager la conception du projet ; le communiquer avec le contexte physique, ainsi qu’avec les besoins et les attentes des gens extérieures, « Quand on commence un travail d’architecture, si l’on se réfère seulement à son imaginaire, dans le meilleur des cas, ou à ses préjugés, dans le pire des cas, on aboutit à un acte d’architecture immodeste. »35, une architecture alors démesurée. Tandis que « quand on accepte librement de faire un travail, alors on doit immédiatement entrer dans une communication opérante avec le contexte physique et le caractère des besoins, des attentes des gens. C’est là que commence un travail très difficile »35.

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Dans le cas de la chapelle Capella Granatta, Mario Botta n’avait que la nature comme acteur extérieure qui peut influencer et alimenter son inspiration. Le projet de la chapelle est a plus de 2000m d’altitude, personnes n’habite cette nature assez rude, aux conditions de vie aussi extrêmes. En plus, cette fois-ci, Botta répond à une demande d’un particulier. Son architecture doit subvenir aux capacités matérielles et immatérielles du propriétaire. C’est pour cela, le chantier avait commencé en 2011, a été interrompu en 2012, et enfin a repris en 2013. En réponse à toutes ces conditions, le travail de l’architecte a abouti sur une forme simple et pure, recouverte de granit, un matériau in-situ, fortement présent dans le site. Une surface de 40m² dédiée uniquement pour, maximum 3 personnes. Un espace, où l’usager doit se sentir seul, enfermé dans un petit coffre en granit. Un espace de médiation, de contemplation, de prière, de calme, et de sérénité. La seule relation avec l’extérieure s’exprime sous forme d’un puits de lumière naturelle, sacrée, qui a pour but de connecter cette âme avec le divin. C’est une conception liée à des impératifs spécifiques de commande, justifient l’acceptation par l’architecte d’intervenir que de façon minimale. C’est exactement le même cas, lorsque le programme est par lui-même modeste élémentaires . C’est en même temps, le cas d’une force de conception dominant le projet, reléguant l’architecte au second plan.

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Mario Botta, a su comment être modeste, prendre la juste mesure afin de rependre à cette question de démocratisation et de partage de l’architecture. S’estomper dans le paysage, tout en laissant le projet prendre son ampleur, et devenir ainsi un nouveau point de repère, le considéré comme ; composant participant à la fabrication de ce nouveau paysage. Giancarlo de Carlo évoque aussi cette idée, et insiste à ce que l’architecte modeste doit d’abord savoir utiliser la juste mesure, quand il le faut, et l’emploie comme il le faut ; il dit : « il faut savoir être modeste , mais : « quand il le faut». ce qui veut dire clairement que la modestie ne peut être envisagé comme une attitude de fond ; qu’elle n’est acceptable que comme attitude de circonstance, forcée, qu’il faut avoir soit le talent de revêtir à bon escient, avec discernement, soit la force d’accepter avec abnégation, dans des situations bien particulières, et toutes de préférence exceptionnelles»35. Le fait que Mario Botta utilise des matériaux in-situ qui établies des relations entre le projet et la terre, employer une lumière perçant le toit de la chapelle, et qui créer un lien spirituel avec le monde métaphysique, Prévoir une surface minimale permettant à une seule personne de contempler, et de retrouver le silence et la spiritualité en appropriant cet espace. Il le rappelle d’une façon différente de celle de Giancarlo de Carlo. Il dit que le poète, l’architecte, doit savoir prendre la mesure du monde. Il installe cette prise de la mesure dans ce qu’il appelle un « quadri-folio », c’est-à-dire, quelque chose qui fonctionne avec quatre éléments qui sont ; la terre, le ciel, l’humanité et la divinité. L’architecte est celui qui sait prendre la mesure de cet ensemble très complexe qui fonctionne avec du sur et du sous, puisque nous sommes sur la terre et sous le ciel : « Les penseurs du Moyen-Age concevaient Dieu comme DE CARLO Giancarlo, Entretien avec Giancarlo de Carlo, propos recueillis par Bruno Queysanne et René Borruey dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. 35

une source lumineuse et la création divine de l’Univers comme une émanation lumineuse, et de cette source émanaient des rayons lumineux qui rencontraient des corps opaques où la lumière s’éteignait. Dans ce parcours entre la source et l’endroit où l’on touche les ténèbres (c’est-à-dire ce qui est sous terre), la lumière parcourait une grande distance et s’affaiblissait. Ils avait théorisé et mis en place une espèce d’échelle lumineuse allant du maximum de lumière, Dieu lui-même, la source, jusqu’au minimum, sous terre. Entre les deux, il y avait des zones que l’on pouvait identifier »35.

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SESC POMPEIA

L’Amérique latine urbaine est l’une des régions du monde où les formes urbaines fermées et la privatisation des espaces sont le plus développées. Sao Paulo illustre bien cette tendance continentale. Le déficit d’espace public et la carence d’un système de transports en commun viable produisent une ville malade. «Sao Paulo est un échec de l’urbanisme, une dégénérescence de l’urbanisme » pour reprendre les termes de Paulo Mendes da Rocha. Il précise en disant « La beauté de la ville de vient pas des édifices mais des usagers […] il faut rétablir la futilité propos recueillis par LOUYOT Anne, dans Sao Paulo en mouvement, des innovateurs dans la ville, éditions Autrement, 2005. 36

LARROCHELLE Jean Jacques, Lina Bo Bardi : construire peu pour construire mieux, le Monde.fr, 12.01.2014 37

traduction personnelle depuis une citation en portugais dans l’ouvrage de RUBINO Silvana et GRINOVER Marina, recueillant des textes de Lina Bo Bardi, Lina por escrito, textos escolhidos de Lina Bo Bardi, Cosacnaify, 2011. 38

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dans la ville »36. Le point sur lequel nous aimerions insister, en ce qui concerne le SESC Pompéia, est ce choix de fluidité, de liberté de mouvement qui émane de l’édifice. En laissant cette rue centrale piétonne et extérieur, Lina Bo Bardi permet le lien physique avec la ville et le quartier de Palmeras. En concevant le bâtiment de l’usine dans sa disposition initiale, elle rend l’espace public, investi précédemment de façon informelle, aux paulistes. Ce choix architectural et citoyen vient du fait que Lina Bo Bardi considérait « l’architecture comme un service collectif et comme de la poésie »37. Elle dira, à propos de ses intentions de projet pour le SESC, « ainsi, d’une ville pleine et offensée peut, soudainement, surgir une percée de lumière, un souffle de vent »38. Cette générosité et cette aspiration à la convivialité citoyenne, va aussi permettre à Lina Bo Bardi de dessiner le MASP, bâtiment emblématique de l’Avenida Paulista, à Sao Paulo. La réponse architecturale, évidente de simplicité et d’audace, dégage une vaste place couverte entre extérieur et intérieur. Le Musée d’Art de Sao Paulo, suspendu par deux portiques monumentaux, offre une place publique, où va s’installer quotidiennement le marché, et un belvédère sur la ville en mouvement.


Praça das Artes conçut par l’agence d’architecture Brasil Arquitetura, à Sao Paulo, en 2012. Cette générosité et cette aspiration à la convivialité citoyenne, va aussi permettre à Lina Bo Bardi de dessiner le MASP, bâtiment emblématique de l’Avenida Paulista, à Sao Paulo. La réponse architecturale, évidente de simplicité et d’audace, dégage une vaste place couverte entre extérieur et intérieur. Le Musée d’Art de Sao Paulo, suspendu par deux portiques monumentaux, offre une place publique, où va s’installer quotidiennement le marché, et un belvédère sur la ville en mouvement. Aujourd’hui, les freins au changement sont très importants en matière de création d’espaces publics de qualité au Brésil, en particulier à cause de la pauvreté, l’insécurité et la corruption. Le déficit de démocratie est encore trop souvent criant et la participation citoyenne latino-américaine, souvent idéalisée en Europe, a certes progressé, mais demeure une réalité qui concerne, avant tout, les couches moyennes et aisées de la population. Nous avons, cependant, à notre connaissance quelques projets contemporains qui échappent à cette règle. Nous pouvons prendre l’exemple de la Praça das Artes conçut par l’agence d’architecture Brasil Arquitetura, à Sao Paulo, en 2012. La programmation était un centre culturel de musique et de danse qui avait pour objectif de redynamiser le centre-ville. La particularité de ce progrès est d’avoir rendu sa porosité à la ville, permettant de traverser un ilot de part en part. Nous tenons tout de même à préciser que cette traversée n’est possible qu’aux horaires d’ouverture de centre, ce qui n’offre qu’un souffle de liberté discret pour cette ville étouffée.

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conclusion

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CONCLUSION

Nous avons construit une étude théorique et analytique en mobilisant

des concepts et en regardant, le plus attentivement possible, les trois fauves. Ainsi nous avons trouvé juste de comprendre l’analyse dans un caractère plus étendu, ne se limitant pas à l’analyse spatiale (pire, à la stricte comparaison métrique), mais en considérant l’édifice comme un élément faisant part d’un processus beaucoup plus long : celui du projet architectural. Cette temporalité longue de l’activité projectuelle, nous a permis d’établir trois temps majeurs : celui de la recherche, celui de la conception et celui de l’habiter. Nous prenons soin de préciser cependant que ces trois temps ne sont pas à comprendre comme des phases successives sur une frise temporelle linéaire. Au contraire, la conception croise la recherche, et le requestionnement incessant de l’habitant à propos des choix spatiaux, de l’usage des espaces, désacralise l’objet architectural. Celui-ci est loin d’être un aboutissement en soi, il n’est pas un produit fini mais laisse un part de doute, d’appropriation possible et d’adaptions au temps : « On essaie, QUEYSANNE Bruno, La mesure intermédiaire de « l’homme habitant poète. », Poïésis Revue n°1, Toulouse, 1994. 39

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cela fonctionne ou non, mais la plupart du temps on fait de l’architecture en se débattant avec des intermédiaires, cette ombre, cette imprécision, cette incertitude de la mesure que l’on donne aux choses, et chaque fois que l’on essaie de transformer le vraisemblable et vrai, cela produit une architecture terrifiante car elle refuse de n’être que vraisemblable »39.


L’architecte, l’Homme, serait alors celui qui a pris la mesure pour en faire don à nouveau, et ceci tel un cycle infini. Mais à l’origine, selon quelle mesure l’Homme a-t-il défini l’harmonie et l’équilibre des choses dans un monde qu’il n’a pas créé lui-même ? Pourrions-nous mesurer nos propres outils de mesure ? Quelles sont les limites de la mesure ? Modifier nos outils de mesure reviendrait à modifier des finalités, les détourner, brisant alors les bases sur lesquelles ont été construites la mesure originelle. Pourrions-nous supposer que notre outil d’étude aurait été originellement mal mesuré, nous trompant alors sur les fondements de nos théories concernant la vertu, et la justesse ? Ceci rendrait le monde d’aujourd’hui inintelligible par l’Homme. La mise en place d’un nouvel outil de mesure serait nécessaire pour permettre à la société de comprendre les phénomènes qui l’entourent puisque l’homme a besoin de rendre raison du monde pour ne pas se sentir seul face aux éléments naturels qu’il ne peut contrôler. Heidegger disait d’ailleurs « en mesurant les choses, je prends le pouvoir sur elles »40. L’outil de mesure est donc création de l’Homme, selon sa propre échelle de mesure, établie de manière individuelle, dans un intérêt personnel. Nous pourrions alors qualifiée la mesure de subjective. De même Le Corbusier, par la création du modulor a souhaité mettre en place une unité de mesure universelle en liant les mathématiques aux proportions du corps humain. Or, une fois encore, pour établir cette normalisation mondiale du système de mesure, Le Corbusier a « choisi un homme de 1.83 m pour deux raisons : les Américains sont plus grands que les Français et cette mesure, de six pieds tout ronds, offraient l’opportunité HEIDEGGER Martin, L’homme habite en poète dans Essais et conférences, Gallimard, Berlin, 1958. 40

GENZLING Claude, Le modulor du Corbusier, dans Mesure et Démesure, Gallimard. 41

de réconcilier le système anglo-saxon et le système métrique. »41. Ce choix relève ainsi d’une vision personnelle et subjective. Une mesure, dite universelle, trouve alors sa rigueur dans une notion purement intuitive. En admettant qu’il n’existe pas une vérité unique mais un ensemble de vraisemblances, comment ajuster alors notre rapport au monde si nos outils de mesure sont en requestionnement incessant ?

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages * DAGOGNET François, Réflexions sur la mesure, Encre Marine, Paris, 1993. * BONNIN Philippe, Architecture : espace pensé, espace vécu, Editions Recherches, Paris, 2007. * BOUDON Philippe, Introduction à l’architecturologie, Bordas, Paris, 1993. * ALBERTI, De Re Aedificatoria, 1452. * LOUYOT Anne, Sao Paulo en mouvement, des innovateurs dans la ville, éditions Autrement, 2005. * RUBINO Silvana, GRINOVER Marina, Lina por escrito, textos escolhidos de Lina Bo Bardi, Cosacnaify, 2011 * BOTTA Mario, Construire les objets, Fondation Louis Moret, 1989. * MICHELIN Nicolas, Attitude, propos sur l’architecture, la ville, l’environnement, Paris, Archibooks 2010. Publications * LATOUCHE Serge, L’éloge de la mesure dans Habiter la terre en poète, Les éditions du Palais, Paris, 2013. * COMTE-SPONVILLE André, Mesure et Démesure, dans Mesure et Démesure, Gallimard. * GENZLING Claude, Le modulor du Corbusier, dans Mesure et Démesure, Gallimard. * BERNARDIS Marie-Agnès, HAGENE Bernard, De la Mesure, dans Mesure et Démesure, Gallimard. * DE CARLO Giancarlo, Entretien avec Giancarlo de Carlo, propos recueillis par Bruno Queysanne et René Borruey dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. * PECKLE Benoît Philippe, Ethymologie dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. * QUEYSANNE Bruno, Les conseils d’Alberti, dans Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999. * HEIDEGGER Martin, L’homme habite en poète dans Essais et conférences, Gallimard, Berlin, 1958. * BORRUEY René, La modestie dans la bouche des architectes, Architecture et Modestie, Théétète éditions, Lecques, 1999.

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Articles de revue * GRUET Stéphane, Editorial de La mesure de l’homme, Poïésis Revue n°1, Toulouse, 1994. * QUEYSANNE Bruno, La mesure intermédiaire de « l’homme habitant poète. », Poïésis Revue n°1, Toulouse, 1994. * MALRAS Pauline, Lina Bo Bardi Architecte exilée, dans D’a, 2013. * LARROCHELLE Jean Jacques, Lina Bo Bardi : construire peu pour construire mieux, le Monde.fr, 2014 * DE OLIVEIRA Olivia, Lina Bo Bardi, dans 2G (N°23-24), 30 mai 2003. Site web * http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_177 *http://www.terres-karens.org/pages/qui-sont-les-karens/qui-sont-les-karens.html#bHZrdLUQLSsDtjG7.99 * http://www.michel-mee.com/Best_of/nature.php * http://www.archdaily.com/339274/praca-das-artes-brasil-arquitetura/ Exposition * Lina Bo Bardi Together, au Pavillon de l’Arsenal à Paris, du 13.112013 au 19.01.2014. Film * COPANS Richard, film, La Citadelle du loisir - Le centre social Pompeia à São Paulo, Collection ARCHITECTURES, coproduction ARTE France, Les Films d’ici, la Cité de l’architecture et du patrimoine, France, 2012.

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ANNEXES

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SOE KER TIE

HOUSES

TYIN

ARCHITECTS BRUN Julie


Sao Paulo | 1977-1986

SESC Pompéia Lina Bo Bardi

ADM I N I ST R AT I O N

EXPOSITION TEMPORAIRES

BIBLIOTHEQUE BIBLIOTHEQUE BIBLIOTHEQUE ESPACE DE CONVIVIALITE ESPACE DE CONVIVIALITE ESPACE DE CONVIVIALITE ESPACE DE CONVIVIALITE

VESTIBUL COUVERT DU THEATRE POUR SPECTACLES

THEATRE THEATRE ATELIERS ATELIERS ATELIERS ATELIERS

LABORATOIRE PHOTO STUDIO DE MUSIQUE SALLE DE DANSE

CUISINE INDUSTRIELLE RESTAURANT SELF-SERVICE RESTAURANT SELF-SERVICE RESTAURANT SELF-SERVICE RESTAURANT SELF-SERVICE RESTAURANT

DEPOTS AT E L I E R S DEPOTS AT E L I E R S DEPOTS AT E L I E R S

V V ESTA VE ESTA IRE VES STAIRIRES S TAI ES RES

COMPLEXE SPORTIF PISCINE GYMNASE TERRAINS

Modularité d’une architecture industrielle

Sous divisions de l’espace

Fluidité de mouvement

0

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50 m

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Mathilde Col-Eyraud | ANALYSE DU FAUVE | 19.11.14

0

mémoire

a pp r o pr i a t i o n

c on v i v i a l i t é

3m

3m

3m


Capella Granato

Mario Botta

Cette planche d’analyse est basée sur la lecture d’un ouvrage de l’architecte Mario BOTTA « Ethique du bâti ». C’est un ouvrage qui parle de l’architecte en général, mais surtout, de sa manière de voir et concevoir l’architecture. L’éthique avant l’esthétique. La culture | la tradition, essence de valeur esthétique.

Une clarté géométrique dictée par une tension morale authentiquement religieuse.

Un paysage naturel intact.

Le projet né du sol.

OUTEMZABET Ghani

|

Aedification, grands territoires, villes

|

Nov2014

|

ENSAG


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