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Creuser Voguer

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Clocki

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LABEUR ■ À la pêche à la barbe, je ne veux pas aller, maman. Je ne veux plus non plus caresser les mognoles, livrer en bibinettes et dresser le pijaunes. Les emplois inventés par Delphine Panique pour son nouvel album Creuser voguer n’ont pas le goût de reviens-y. Ce qui s’en dégage est plutôt le fumet du casse-toi et n’y retourne pas. Précaires, prenants, pénibles, peu payés, insensés et à durée déterminée, ils traînent avec eux tout ce qui encombre le principe même du travail. Si ces métiers n’existent pas, ils reflètent quand même très bien les problématiques du monde réel. Un monde où ce sont toujours les mêmes qui s’occupent de faire ce que personne ne veut faire. En faisant le choix de la fiction, Delphine Panique n’euphémise pas le propos, bien au contraire.

C’est dit dans l’avant-propos, d’ailleurs. Delphine Panique y raconte son expérience sur une BD-documentaire. Elle y raconte sa gêne de parler pour d’autres, tout en ne pouvant faire sien le propos de ses planches. Pour pouvoir affirmer pleinement sa subjectivité et, paradoxalement, être le plus authentique possible, elle choisit de nous mentir. En façade du moins. Car si les emplois évoqués sont faux, la souffrance endurée par celles qui y mettent les mains est bien réelle. En dix histoires à l’ambiance pas ouf, narrant ces vies terrassées par le travail, ces mères seules, ces adolescentes trop tôt sorties de l’école, l’autrice dresse le portrait d’une dimension parallèle aux problématiques identiques à la nôtre. Et c’est édifiant.

Pourtant, il ne faut pas penser que l’heure est seulement au combat et au sérieux à tout crin. Comme à son habitude, Delphine Panique laisse passer les rayons de l’humour et de la poésie pour laisser au lecteur le droit de souffler. Le dessin n’est pas en reste pour redonner le sourire au regardeur. Son mélange de simplicité dans le trait et de grande rigueur dans les compositions offre de sublimes pages dans lesquelles l’adage du « less is more » est plus qu’un simple slogan. La maîtrise du gaufrier est également confondante par endroits, comme ces premières pages du Grand gori où le bateau s’éloigne du quai aussi bien dans l’histoire que sur la page même. Après Orlando et En Temps de guerre, Delphine Panique continue, avec Creuser voguer, de mettre le sel sur les coins sombres de nos sociétés. Un sel aussi piquant pour l’esprit que ragoûtant pour les yeux et qui affirme l’autrice comme l’une des plus intéressantes de la production actuelle.

→ Creuser voguer de Delphine Panique, Cornélius, 248 pages, 24,50 € → cornelius.fr

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