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Quelques Minutes Un jour, le soir après que le temps s’arrête
DÉAMBULATION ■ Il est des livres qui aiment se promener sur les frontières. Des zigzagueurs, des fuyants, des baladeurs. Quelques Minutes après que le temps s’arrête est de ceux-là, qui offrent au lecteur une expérience de lecture inqualifiable ; ou plutôt des expériences, selon la tournure que prendra la discussion entre l’œuvre et son récepteur. Les errements de son héros, Minute, emprunteront les chemins que le spectateur aura bien voulu lui ouvrir, selon la langue dans laquelle celui-ci aura bien voulu parler. DoubleBob fait-il de la bande dessinée, de la poésie, de la cartographie ou marmonne-t-il simplement ses rêveries à l’attention de celui ou celle qui voudra bien lui faire un peu de place ? Tout dépend de nous.
DoubleBob produit une œuvre qui lui est propre et qu’il ne tient pas à affubler d’un quelconque label. Oui, QMAQLTSA sort bien dans une maison d’édition de bande dessinée. Quoique. La Belge Frémok ne nous a pas habitués à suivre l’autoroute gaufrière. Elle aussi aime prendre des sentiers peu ou pas empruntés. Mais, mettons. Mettons que les sept carnets qui constituent le très beau coffret rassemblant le dernier projet du Français soient effectivement de la bande dessinée. Après tout, texte et dessins se mélangent, apportant l’un à l’autre un soutien mutuel. On peut même, parmi les mille et un éléments textuels et graphiques qui parsèment ces pages, déceler ici et là quelques cases, voire même un arc narratif. Ainsi, nous suivons Minute, sans abri mélancolique, dans une déambulation poétique à la recherche de miettes de soleil, de moments où on peut se cacher à l’intérieur du temps, des objets d’une civilisation perdue, la nôtre. Il rencontrera Agafia, amour et amie, avec qui partager ce goût des choses impossibles, cette exploration à deux niveaux, mental et pédestre. QMAQLTSA est encore bien d’autres choses : un témoignage, une confession, un mode d’emploi, une méditation, un album de musique (à écouter sur Bandcamp), un carnet de notes, une élucubration, une promenade. Il est difficile de décrire globalement ce qu’il en est de ce projet. Il est mouvant. Le trait fragile et les phrases sibyllines qui tracent la route de ce livre auront une résonance différente pour chacun de nous. Selon là où votre œil fixera la page, sur tel schéma, sur tel visage, telle architecture ou tel objet inconnu, son écho sonnera différemment et les boutons actionnés ne seront pas les mêmes pour tous. Une lecture complexe et intime où pourtant le soleil perce à l’attention de tous. C’est bizarre, mais pas d’inquiétude : ce n’est que de la magie.
→ Quelques minutes après que le temps s’arrête de DoubleBob, Frémok, 336 pages, 24 €
→ fremok.org
ERRANCE ■ Ici on suit un homme. On le suit d'abord aujourd'hui. Quand il a atteint le plafond de son découvert. Le jour – enfin, le soir – où il ne pourra pas s'acheter son croissant quotidien, le jour – enfin, le soir – où il aura faim. Et puis on le suit la veille, où il tombe amoureux. Mais la fille descend du métro une station avant lui. Il n'a pas osé lui demander de l'argent. Il a fait comme elle et regardé des vidéos sur son téléphone. Lui a-t-il vraiment parlé d'ailleurs ? S'agit-il vraiment de son amie ? Est-ce que c'est celle qui lui a raconté qu'elle trouvait chaque matin des pièces d'or sous son oreiller, reçues parce qu'elle a mangé le cœur d'un oiseau d'or ? Des pièces en chocolat. Le cœur d'un poulet. On le suit enfin, l'avant-veille, où il a dépensé les 400 euros de son découvert. Giacomo Nanni est cette fois allé droit au but. Après Acte de Dieu et Tout est vrai, où il prenait les chemins sauvages de l'animalité pour parler de catastrophes très humaines, il se concentre ici sur la route principale. Mais la surface n'en est pas pour autant plus lisse. Cette focalisation sur l'homme, sur la banalité du tragique, loin des terribles évènements du 13 novembre ou du séisme de L'Aquila qu'il évoquait dans ses précédents albums, n'en fait pas un livre moins fort. Si il ne s'y passe pas grand chose, la détresse y est à chaque page présente et vient, à bas bruit, nous retourner le cœur. On se déplace, dans ce journal intime à rebours, dans l'espace et le temps d'un individu seul, pauvre et mentalement à bout de souffle. Avec son écriture naïve, comme dépassée par la situation, et évacuant les effets de manche, l'auteur italien nous plonge sans filtre dans les pensées troubles de cet homme, à peine conscient de la situation dans laquelle il se trouve. On erre avec lui dans les rues de Paris, dans les vidéos Youtube, dans une recette de cœur de poulet, dans des souvenirs à la vérité chancelante. On se balade hier, avant-hier, aujourd'hui avec cette personne que rien ne semble pouvoir sauver. En trois jours et un personnage, Giacomo Nanni parvient à convoquer un universalisme de la solitude, une communauté du drame. Il en pointe un pour les évoquer tous, ces anonymes qui divaguent entre réel et fantasme en se rêvant autrement pour ne pas être ce qu'ils sont. Le dessin suit la même route, prenant minutieusement les informations de la rue pour en faire une zone mixte qui n'est déjà plus la réalité. Avec sa technique singulière de trame, cette fois réalisée à la main et au rétroprojecteur, l'artiste crée un univers propre, aussi beau que stupéfiant, dont les couleurs sublimes s'effacent peu à peu pour laisser la nuit tomber. Il faut lire les bandes dessinées de Giacomo Nanni, car nous avons là un maître à l'œuvre. → Un jour, le soir de Giacomo Nanni, Ici-Même, 96 pages, 24€ → icimeme-editions.com
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