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Dum Dum
TRAUMATIQUE ■ Et puis Lukasz Wojciechowski fit son retour. Après Ville nouvelle et Soleil Mécanique, ses deux précédents et excellents albums parus chez Çà et Là, l’auteur adoré revient par chez nous pour nous donner une leçon de singularité. Armé du logiciel AutoCad, habituellement dédié à la réalisation de plans, l’architecte de formation gratte une fois de plus les cicatrices de l’Europe centrale des années 1930. Avec son style si particulier, effet d’un outil technique à part et d’une science rare de la mise en page, il convoque dans le même temps la figure de son arrière-grand-père et les obsessions d’Alexander Döblin pour les poussières sous le tapis d’une Allemagne au bord du nazisme.
Jeune vétéran de la première guerre mondiale qu’il a effectuée du côté de l’Allemagne, le Polonais Stan Wojciechowski vient s’installer à Berlin après un long séjour en hôpital et des études de dessinateur technique. La capitale allemande est en pleine modernisation avec l’arrivée de l’électricité dans toute l’agglomération, un nouveau système ferroviaire et des quartiers tout neufs, prêts à accueillir la main-d’œuvre qui ne manque pas d’être attirée par tant de brillant. Au milieu de tout ce bruit et de toute cette fureur futuriste, Stan est pris à la gorge. Et les symptômes post-traumatiques de la boucherie de 14-18 se font de plus en plus forts, entre crises et accès de violence. À travers la figure de son aïeul, Lukasz Wojciechowski convoque toute l’époque. Une ère de transformation totale où l’on reconstruit une mythologie de la modernité sur le brasier encore brûlant d’une guerre qui a foutu en l’air des millions de gens. La folie de son arrière-grand-père est le miroir d’une période sans transition qui a vu naître les plus grands espoirs et les pires horreurs. Car derrière la lumière des néons flambant neufs, du cinéma et de la mobilité fulgurante, c’est bien le bruit des bottes qui commence à se faire entendre, jusqu’à mettre tout le reste en sourdine. L’immensité du sujet abordé trouve dans le dessin géométrique et épuré de l’auteur un foyer dans lequel il peut déployer toute sa nuance. Ouste les effets de manche et le spectaculaire. Tout tient dans un trait, deux, dans une construction narrative aussi humble que juste et dans la montée en tension d’un homme et d’une société d’un même élan. Le tour de force graphique n’en est plus un : il est un outil parfaitement adapté aux volontés et à l’intelligence d’un auteur hors norme.
→ Dum Dum de Lukasz Wojciechowski, Çà et Là, 272 pages, 25 €
→ caetla.fr