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The Red Naturellement Monkey

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Dum Dum

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AVENTURE ■ Il y a bien un moment où il faudra élire Joe Daly président de tout ce foutoir. Son prix spécial du jury à Angoulême 2010 ne suffit pas, c’est évident. Bien qu’il récompense justement son incroyable série Dungeon Quest, il ne doit pas être considéré comme un crédit suffisant à l’immense débit que nous avons envers l’auteur sud-africain. Malheureusement, les pauvres citoyens que nous sommes n’avons pas la prise nécessaire sur le cours du monde pour offrir à ce génie les manettes de notre civilisation. La réédition de The Red Monkey par L’Association nous donne cependant la possibilité d’éponger un peu de notre dette. Achetons-le en masse et rendons cet homme riche à millions, ce sera déjà pas mal. En plus de nous amender envers l’un des plus grands cerveaux de notre temps, l’acquisition de cette nouvelle ancienne BD, parue à l’origine en 2009, nous permettra de passer un excellent moment au cours duquel action, absurdité et complot mondial font un pacte d’ébaubissement. Pour faire court, vous êtes, en ouvrant ce livre, face à un mutant véritable qui croise les ambitions de Tintin et de Eh, mec elle est où ma caisse ? L’histoire en un mot : Dave est un auteur de comics, docteur en procrastination. Alors, quand son pote Paul lui propose de partir à la recherche d’un capybara échappé de son enclos, il dit oui, avec plaisir. Il met alors sans le savoir le pied dans un scandale immobilier tentaculaire et écocide qui le mènera vers les plus périlleuses péripéties. Heureusement, il a des pieds en forme de mains de singe. Au-delà d’une imagination à toute épreuve, il y a chez Joe Daly cette capacité à fusionner ironie et premier degré qui met le lecteur en état d’hébétude parfaite. Car si The Red Monkey singe la mécanique tintinesque et son dessin en ligne claire, ce n’est pas pour s’en moquer. C’est avant tout pour en saluer la puissance en même temps que pour précipiter le tout dans un monde actuel aux accents malades affirmés. Le goût du dialogue trop long et de la mise en scène trop lente vient apporter ce décalage subtil à un hommage bien réel. La marrade, certes, mais avec cette même attention à transporter le lecteur dans une aventure trépidante, aux rebondissements aussi incroyables que crédibles dans le cadre de ce contrat étrange qui lie irrémédiablement l’artiste au lecteur. Dans ce spectacle de funambule, il n’y a souvent qu’un pas entre le ratage complet et le chefd’œuvre. Joe Daly a choisi la deuxième option.

→ The Red Monkey dans John Wesley Harding de Joe Daly, L’Association, 80 pages, 24 €

→ lassociation.fr

VIRUS ■ C’est quand même étonnant, ce que nous réserve le futur. Dans Naturellement, le nouvel album de Yannis La Macchia, un virus informatique se transmet aux êtres humains. Et l’effet est du genre terrible puisqu’il provoque la transformation des individus en statues aussi effrayantes que majestueuses. Oh, bien sûr, la situation n’était pas rose avant cela avec ses villes bunkérisées et ses paysages désolés. Disons que ça en rajoute une bonne couche et que, comme tout bon événement, il en profite pour faire bouillir les interactions sociales. C’est sur celles-ci, plus particulièrement au sein d’une communauté autonome, que se penche l’auteur suisse. Ou comment on gère l’enfer. Pour Yannis La Macchia, la fin est toujours une sorte de début. On l’avait vu dans Les Bâtisseurs, son précédent effort, réédité ces jours-ci chez Atrabile. Le livre nous comptait l’obsession architecturale de survivants sur une île déserte, en même temps qu’il déployait l’amour de son auteur pour le dessin gratuit. Ici encore, l’apocalypse n’est pas l’éradication de tout. Il fait même pousser des choses, mauvaises herbes et fleurs jolies tout ensemble. C’est cette ambiguïté qui se trouve creusée le long d’un récit choral qui suit un brave surfeur, un Musclor faiblard, un écologiste tatillon et un addict jamais redescendu de sa dernière prise, celui qu’on surnomme aimablement « pupute ». Cet anti-héros prendra le lead sur l’histoire puisque c’est en grande partie lui qui provoque ou subit les événements. D’ailleurs, son comportement absurde consistant à hurler « nature » sur tous les tons en même temps qu’il verse de l’essence sur les plantes sera l’occasion d’un tacle deux pieds en l’air sur certains acteurs du monde réel. De ce brouhaha inconcevable naîtra tout de même un enfant dans le récit et une foule de coups d’œil avisés de l’auteur sur le vivreensemble en temps d’incompréhension totale. Sur maintenant, quoi. Une dystopie qui pourrait déraper bien vite si Yannis La Macchia ne prenait pas sur lui d’arranger les pages comme une symphonie. Balayant très régulièrement le gaufrier et parsemant la page de grands et petits dessins, d’encarts et d’incises, de bulles et de silences, l’auteur est un chef d’orchestre de talent. Il guide les yeux et la pensée du lecteur par une mise en page au rythme fluctuant mais solide, sans beaucoup d’équivalents on doit dire. Là-dedans s’ébat un dessin toujours aussi fascinant et collant parfaitement à l’atmosphère figue et raisin de la narration. Tour à tour subtil ou grossier, nuancé et contrasté, grandiose et riquiqui, il donne à voir l’ambivalence de cette fin du monde pas si pire. Ce qui nous donne un livre hautement transmissible.

→ Naturellement de Yannis La Macchia, Atrabile, 264 pages, 30 €. Disponible également en numérique chez Collection RVB pour 9,50 € en librairie ou 6,50 € sur le site

→ atrabile.org – collectionrvb.com

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