Une autre femme
Marie-Ève Charron —
Au moment d’écrire ces lignes, une campagne électorale vient d’être lancée au Québec pour l’élection d’un nouveau gouvernement. Les médias traditionnels et numériques sont sur le pied d’alerte et promettent une couverture attentive des politicien.ne.s sur le terrain. Le paysage urbain s’est quant à lui rapidement garni de pancartes électorales mettant de l’avant le portrait des candidat.e.s dans un style qui ne se remarque plus. Malgré cette activité accaparante, plusieurs se disent indifférent.e.s, voire cyniques, face aux élections et à sa classe politique qui, d’emblée, est soupçonnée d’être hypocrite. Kim Waldron pourrait être de ces personnes. Elle admet qu’elle a longtemps pensé que la politique ne pouvait être que mensonge ce qui, entre autres, l’a un jour poussée à faire campagne elle-même en se présentant comme candidate indépendante dans le comté de Papineau aux élections fédérales de 2015. Si ce n’était du statut d’artiste de Waldron, et de son intention d’en faire une œuvre d’art, ce projet serait probablement passé inaperçu. Son expérience allait plutôt engendrer Public Office (2014-2016), une œuvre marathon synthétisant plusieurs enjeux de sa pratique qui s’étire sur plus de 15 ans et que cet essai propose d’embrasser. Dans la période préludant sa campagne électorale, l’artiste a présenté à la Galerie Thomas Henry Ross art contemporain une mini-exposition rétrospective qui a donné l’impulsion à cette publication. Une grille dense de photographies présentait des fragments choisis des séries de Kim Waldron, sans le respect des cloisons qui les séparaient habituellement ni la chronologie qui les ordonnait jusqu’alors. Avec cette même approche, mon regard
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rétrospectif veut considérer le travail de l’artiste sans le confiner à la notion d’autoportrait à laquelle il pourrait être réduit. Combinant la photographie à la performance, Kim Waldron met en place une imagerie où l’identité du sujet prend forme, trouvant dans les postures empruntées et les rôles joués différents lieux de pouvoir tenus pour naturels. D’une série à l’autre, elle expose les conditions de son agentivité, dans des situations ayant pour terrain le travail, la politique et l’art, et en y développant des représentations non conventionnelles de la femme. Son art est révélateur des inégalités de genre et des rapports de pouvoir asymétriques qui, pour opérer dans le réel, s’élaborent aussi de projections fantasmatiques. Dans cette production qui n’hésite donc pas à confondre les faits et la fiction, les sphères du privé et du public sont éprouvées dans leur distinction de sorte à mettre en relation la vie personnelle et l’engagement citoyen. Les œuvres de Waldron redonnent ainsi raison au crédo féministe voulant que « le privé est politique » et trouvent dans les images et la performance des outils heuristiques capables d’excéder le monde de l’art.
Le roman familial Quand en 2015 Kim Waldron publie ses mémoires, c’est dans le but de se faire connaître par la population du comté où elle projette de faire campagne pour les élections fédérales. La publication précède la sortie de l’autobiographie de Justin Trudeau, annoncée six mois auparavant sur le site Web de la CBC. À 42 ans, fils d’un ancien premier ministre