Arête du Diable [001]. Abîme

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LE B IA D U D

[001] ABÎME

PHOTO © KILIAN JORNET

M A G A Z I N E D E M O N TA G N E

ÉDITÉ PAR KISSTHEMOUNTAIN


SOMMAIRE

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LE SCÉNARIO

MARATHON DU MONT-BLANC. L’ÂME DES MONTAGNES.

INTERVIEW

KILIAN JORNET. POÉSIE DE MONTAGNE.

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LE DIAPHRAGME

LA THÉORIE DU CHAOS. UP, DOWN & CONCEPTS.

LE DIAPHRAGME

ALEXIS BERG. L’INSTANT DÉCISIF.

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FRANÇOIS D’HAENE. PURE INSPIRATION.

ADAM ONDRA. LE GÉNIE GRIMPEUR.

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112 INTERVIEW - UN REGARD SUR LE PASSÉ

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ÉDITO

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Les arêtes. Une nature sauvage. Du vertige et des sentiments. Parcourir une arête l’un de ces jours où les nuages jouent avec la montagne, cachant puis dévoilant ce qui se trouve des deux côtés de nos pas, est l’une des expériences les plus déchirantes et sauvages que nous puissions vivre dans ce milieu naturel. Notre progression est lente, voire maladroite. Notre habileté devient tout à fait nécessaire. L’intuition aussi. L’arête remet chaque alpiniste à sa place. Si nous participons à une course de montagne ou nous essayons d’atteindre un sommet, elle nous fait oublier la compétition. Le seul objectif est d’avancer sur la bonne voie. Sans erreurs. D’un pas assuré, le regard droit. Le brouillard devient parfois notre allié : il cache un abîme que nous savons bien qu’il est là, des deux côtés de notre chemin. Ce projet que vous avez sous les yeux prend ce nom : Arête du Diable. Nous commençons à la parcourir. L’espoir et la beauté sont énormes. Tout comme les doutes et les craintes. Et le vertige. Cependant, une chose est claire. Le travail, la persévérance et la passion marqueront chacun de nos pas. La profondeur dans les contenus, une haute qualité photographique, l’émotion dans les textes et un design très soigné : voici les piliers sur lesquels repose Arête du Diable. Vous pouvez le constater sur les articles que nous avons préparés pour ce premier numéro. Nous vous invitons à profiter de ceux-ci tout comme nous l’avons fait lors de leur élaboration. Fermez les yeux devant chacune de ces images et essayez d’imaginer que c’est vous qui êtes là. Sentez, vivez, rêvez, laissez vous emporter. Nous souhaitons parcourir cette arête avec vous. Ensemble. Pendant longtemps. L’Équipe Arête du Diable.

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Les derniers jours du mois de janvier, beaucoup d’entre nous avons suivi, avec un mélange d’angoisse et d’admiration, les efforts déployés par Urubko et Bielecki pour essayer de ramener Revol et Mackiewicz vivants du Nanga Parbat. Cette formidable preuve d’humanité sert de point de départ pour notre entretien avec Kilian Jornet, une conversation où nous avons mis de côté les sujets habituels pour nous pencher davantage sur sa philosophie de montagne d’un point de vue plus alpin. La perte d’amis dans la montagne, comme Stéphane Brosse ou Ueli Steck, nous amène à réfléchir sur la mort et sur les risques que nous sommes prêts à prendre pour jouir d’une vie pleine. Kilian nous invite à plonger dans son monde intérieur et partage avec nous des sentiments que seuls ses proches connaissent. Messner est entré dans l’Histoire parce qu’il a bouleversé l’alpinisme moderne en démontrant, entre autres, qu’il est possible de gravir un sommet de plus de huit mille mètres sans oxygène artificiel. Steck suivra ses pas grâce à son escalade à très haute difficulté technique à un rythme époustouflant. Les activités menées à bien par Jornet, tout comme sa philosophie de montagne différente, lui ont déjà fait écrire de belles lignes dans l’Histoire de la montagne. Kilian suscite l’admiration et est une source d’inspiration pour un bon nombre de personnes. Nous avons aussi voulu savoir quelles sont les personnes qui éveillent en lui ces mêmes sentiments.

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Texte : Arête du Diable Photographies : Jordi Saragossa et Kilian Jornet

rête du Diable : Il y a quelques semaines nous avons vécu à nouveau l’un de ces épisodes qui passeront à l’histoire du « grand » alpinisme. Denis Urubko, Adam Bielecki, Jarek Botor et Piotrek Tomala allaient au secours de deux grands alpinistes, Elisabeth Revol et Tomasz Mackiewicz, lesquels, après avoir gravi le sommet du Nanga Parbat, souffraient des problèmes énormes lors de la descente. L’histoire est bien connue. J’imagine que tu as suivi ce sauvetage... Quelles grandes valeurs ! Sans doute, il semblerait qu’il s’agit de beaucoup plus qu’un simple sport. Dans de telles occasions, l’argent et la réussite d’un challenge sont mis en suspens pour des questions beaucoup plus essentielles comme la vie humaine. Kilian Jornet : Oui, effectivement je l’ai suivi. En fait, ce sauvetage a été très intéressant pour deux raisons. D’abord, le suivi presque en direct de tous les progrès et l’utilisation adéquate de la technologie en tant que moyen pour obtenir de l’aide. Dès qu’Eli [Elisabeth Revol] a lancé l’appel de détresse, nous avons as-

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sisté à la création d’une campagne de crowdfunding laquelle, grâce aux réseaux sociaux, a réussi à réunir l’argent en quelques heures. Les réseaux sociaux ont permis également de suivre le sauvetage presque en direct et avec des informations importantes et pertinentes, et non pas de manière scabreuse avec le seul objectif de gagner des clics. Je trouve que c’est un bon exemple de la manière dont on peut utiliser les réseaux sociaux et la coopération en ligne pour suivre et financer un sauvetage. Puis, en deuxième lieu, nous avons le travail et les valeurs de Denis [Urubko], Adam [Bielecki] et des autres grimpeurs qui se trouvaient au K2. Je pense qu’aider est une pulsion naturelle chez l’être humain, tout comme essayer de donner son maximum sans s’exposer à un risque excessif. Malheureusement, très souvent, ceci ne semble pas aussi évident. Dans un petit village, dans une région dépeuplée, lorsque quelqu’un a un problème, normalement les gens viennent en aide de manière naturelle. Il en va de même dans les régions de montagne avec peu d’habitants. Dans

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les villes ou les zones peuplées, ainsi que dans les montagnes très fréquentées comme l’Himalaya au printemps ou certaines zones des Alpes, nous présumons que si quelqu’un a un problème, ses amis ou les services spécialisés sont là pour l’aider. Comme il y a beaucoup de personnes autour, ce n’est pas notre « boulot » de venir en aide, d’autres le feront, et puis nous, nous avons de meilleures choses à faire. C’est vraiment dommage de voir que ceci est assez fréquent, et d’une manière presque naturelle. Ce qu’Urubko et Bielecki ont fait avec le support de ses compagnons est héroïque en raison de sa difficulté. Il est vraiment compliqué de se déplacer là-bas aussi vite, mais ce que nous devons nous dire c’est que cela ne devrait pas être perçu comme une exception, mais comme quelque chose de naturel chez nous tous, non seulement dans des zones éloignées, où très probablement il n’y a pas d’autre choix, mais aussi dans n’importe quelle autre montagne ou ville. Ils nous ont démontré que ce qui est considéré héroïque devrait être plutôt normal, humain, et dans


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ces jours aussi individualistes et égocentriques, c’est extrêmement important et admirable. A : À nouveau Urubko... Pendant tout le week-end, un autre sauvetage d’une dimension humaine exceptionnelle m’est venu à l’esprit. Je parle du sauvetage échoué d’Iñaki Ochoa de Olza. Une personne dont je voulais te parler y a participé de manière très active. Le grand Ueli Steck. Tu as eu une très bonne relation avec lui et je sais que vous avez pu partager du temps dans la montagne. Il était, sans doute, un alpiniste extraordinaire. Probablement l’un des plus grands de l’Histoire... KJ : Ueli avait un niveau exceptionnel et se déplaçait dans le milieu avec une aisance incroyable. Pour moi, il a toujours été une source d’inspiration énorme depuis mes débuts. Ueli, Denis, Simone, Tomaz, Valeri, Iñurra, Steve, voici certains des alpinistes qui faisaient des activités impressionnantes lorsque j’ai commencé à faire de la montagne. Ueli et moi avons fait connaissance grâce à des amis communs, et nous partagions également la manière de voir la montagne. Nous avons skié ensemble aux Alpes une ou deux fois. La première fois que nous avons grimpé une montagne ensemble ce fut, en fait, en Himalaya. Il y était avec Colin Haley et ils voulaient tenter la voie de Babanov sur la face sud du Nuptse. Il y avait aussi Helias Millaroux et Ben Guigonnet, qui voulaient ouvrir une nouvelle voie. Nous nous sommes rencontrés à Chukkung. L’un de ces jours-ci, je suis allé grimper un sommet de 6300 mètres situé dans les alentours avec Ueli et Helias. Une belle arête mixte. Dans la descente, nous avons été impressionnés par

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sa technique de désescalade en jet vraiment délicat. L’autre jour, glace à 80 degrés avec un piolet, lorsque je bavardais avec un ami, sa capacité de parcourir un glacier nous avons parlé de la phrase larpour chercher un endroit sûr... Puis, gement utilisée dans ces cas : « au toutes et chacune des fois que je moins, il est mort en faisant ce suis allé en montagne avec lui, ce qu’il aimait ». Kilian, il se peut que furent des moments d’un apprenton opinion soit très différente à tissage énorme. Non seulement la mienne, mais moi, je n’aimerais il avait une très bonne technique, pas mourir à la montagne. Je prémais en plus, il préparait très bien une personne proche est très diffi- fère que, le moment venu, ce soit son activité. Il planifiait les entraî- cile, mais si en plus, c’est quelqu’un ailleurs. La mort dans ce milieu nements d’une manière très scien- qui pratique un type d’alpinisme peut être entourée d’une énorme tifique et soignait beaucoup l’ali- avec lequel on se sent identifié et solitude et, très souvent, l’attente, mentation, le mental... Nous avons avec qui on partage une échelle sachant que c’est inévitable, doit pu parler longuement sur des su- de valeurs, c’est encore pire. On être interminable. J’imagine que jets très spécifiques ou très pous- se sent complètement abattu. Et tu as déjà senti la mort te guetter. sés dans ce domaine, ainsi que de on se pose de nombreuses ques- Tu essayes de faire fuir ces pensa vision de l’alpinisme, des diffé- tions. Ça vaut la peine de prendre sées lorsqu’elles arrivent en monrentes activités dans ce milieu, de certains risques ? Personne ne tagne ou bien tu préfères de réflécombiner des sports pour faire des veut mourir, mais en plus on sait chir sur ces sujets ? Qu’est-ce que ascensions et des enchaînements... que nous avons d’autres autour de pour toi le risque ? Ce qu’il faisait n’était possible que nous, notre conjoint, la famille, les KJ : En fait, à vrai dire, je n’ai pas grâce à son énorme niveau tech- amis... Des moments comme ce- réfléchi tellement sur le sujet. J’esnique qui lui permettait d’escala- lui-ci nous font réfléchir et peser le saye de ne pas mourir dans la der (et de désescalader) en solo pour et le contre des risques que montagne, tout comme ou peutd’une manière très rapide dans nous sommes prêts à prendre. Sans être même plus que lorsque je fais des situations d’autres activités à très haute qui, puisqu’elles « Ce qu’Urubko et Bielecki ont fait est héroïque en sont plus habidifficulté. Lorsque nous raison de sa difficulté. Il est vraiment compliqué de se tuelles, comme sommes allés conduire, elles déplacer là-bas aussi vite, mais ce que nous devons ne nous font à la face nord de l’Eiger, sa prendre nous dire c’est que cela ne devrait pas être perçu pas manière de conscience ou grimper était les précautions comme une exception, mais comme quelque chose épatante, nécessaires. Si de naturel chez nous tous, non seulement dans des on dirait une j’avais le choix, personne qui j’aimerais, zones éloignées, où très probablement il n’y a pas marche sur comme presque d’autre choix, mais aussi dans n’importe quelle autre un sentier. tout le monde, Derrière, il y mourir vieux, montagne ou ville ». avait beausans souffrance. coup d’entraîMais pour y parnements de résistance, de force... doute, le décès d’Ueli m’a influencé venir, je ne veux pas laisser de vivre, Il entraînait de manière spécifique lors de l’expédition au mont Eve- ni rester enfermé et protégé pour pour des objectifs donnés autour rest, où j’ai décidé de suivre la voie préserver une vie sans expériences. de 1200 heures par an. normale et de ne pas prendre des Et, sans doute, lorsque nous nous Emelie et moi avons appris l’acci- risques inutiles. lançons à vivre, il y a des risques dent d’Ueli lorsque nous étions au A : Parlant d’Ueli Steck, je saisis à prendre. En cas de mourir dans Cho Oyu. Ce fut très dur. Perdre l’occasion pour aborder un su- un accident, je n’ai pas envisagé si

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c’est mieux dans la montagne ou en ville, à la maison ou ailleurs. En fin de comptes, ceci n’est pas tellement important. Si j’avais le choix, que ce soit rapide, direct, sans une longue attente, sachant que la mort est inévitable. Je ne réfléchis pas sur la mort, je ne pense pas à cela. Je réfléchis sur le risque et sur ce qu’il faut faire pour rester en vie. Je pense qu’il faut avoir le sang-froid, être objectif et, dans la montagne ou dans des situations ou des ascensions délicates, essayer de ne pas avoir ou de ne pas se laisser influencer par les émotions, bonnes ou mauvaises, de peur ou de joie. Il convient plutôt d’être prévoyant et de voir de manière objective ce qu’il y a devant, la montagne, les conditions, la difficulté de la route..., et aussi de nous voir nous-mêmes, notre niveau technique, physique, nos connaissances et notre équipement pour, à partir de là, décider si on continue ou pas et si on veut prendre le risque tout en sachant ce qui peut nous arriver. A : Récemment, un ami coïncidait avec Alberto Iñurrategi dans un avion à destination de Grenade. Sans doute, l’un des plus grands alpinistes de l’Histoire et l’une des personnes qui aiment le plus la montagne malgré que celle-ci ait arraché la vie de son frère. Ceux qui regardent le risque dans les yeux, vous tutoyez la mort. « Un instant, voilà ce qui sépare le bonheur de la douleur. Tout se décide en quelques millimètres, en quelques dixièmes de seconde. » Tu as prononcé ces mots pour parler de la mort de ton grand ami et compagnon Stéphane Brosse. Je m’excuse si c’est trop personnel, mais je me demande comment peut-on surmonter cela. Si j’avais perdu certains de mes amis de cette ma-

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bonne ou une mauvaise journée... Sans doute, tout cela a un rôle, plus ou moins important, à jouer sur les risques que nous prenons. Je suis retourné à l’Aiguille d’Argentière environ une année après l’accident. Je trouve que c’est important d’affronter tout cela. Sans doute, après la mort de Stéphane, j’ai passé une année très difficile. Je me suis rendu compte après un certain temps. Je crois que je ne l’ai pas assimilé. Je n’ai pas encore accepté qu’il parte. Ça aurait été beaucoup plus facile que ce soit moi, car je n’avais à ce moment-là ni famille, ni enfants, ni des plans d’avenir. Mes parents et mes amis seraient tristes, mais pas plus. L’année suivante je fis assez d’escalade en solo et très près de mon niveau maximum, qui était bas. J’ai escaladé plusieurs voies du 6b en solo, alors que mon maximum de l’époque était du 6c. Ce fut le premier accident où je me suis rendu compte de la différence

nière, je me demande si je serais artificiel. Ueli Steck en fera de même capable de retourner à la même grâce à ses ascensions montagne. Puis-je te demander si extrêmement techniques à une tu es déjà revenu à cet endroit, là vitesse vertigineuse. Je pressens où s’est produite la rupture de la que, probablement, tu entrecorniche ? Le fait de ne pas renonras dans l’Histoire pour d’autres cer à la montagne et d’y retourner types d’ascensions où la légèreavec plus de force est peut-être té et la simplicité, « l’alpinisme une manière de l’homme », de rendre ainsi que la vihommage à tesse, soient « Emelie et moi avons appris l’accident d’Ueli lorsque Stéphane ? les caracténous étions au Cho Oyu. Ce fut très dur. Perdre une KJ : On reristiques qui tourne à la définissent ta personne proche est très difficile, mais si en plus, c’est montagne carrière dans quelqu’un qui pratique un type d’alpinisme avec leparce qu’elle la montagne. nous donne Es-tu d’accord quel on se sent identifié et avec qui on partage une la vie, même avec moi ? échelle de valeurs, c’est encore pire. On se sent comsi parfois elle Comptes-tu nous l’ardonner suite plètement abattu. Et on se pose de nombreuses quesrache aussi. à ce que tu as Peut-être on initié avec le tions. Ça vaut la peine de prendre certains risques ? ». prend certains projet Summits risques selon of my Life avec le moment précis. On ne considère entre savoir qu’il y a un risque et d’autres montagnes, notamment pas raisonnable de prendre certains être conscient du même. l’Everest ? risques de la même manière dans A : Messner est entré dans l’His- KJ : Je ne me suis jamais demandé deux jours différents. Des jours cela toire parce qu’il a bouleversé l’al- quel est l’héritage que je veux laissemble raisonnable, d’autres pas. pinisme moderne en démontrant, ser. J’aime l’activité. Que l’on parle Et c’est ici, que l’émotionnel entre entre autres, qu’il est possible de cette activité ou faire partie de en jeu, si on a perdu quelqu’un, si de gravir un sommet de plus de quelque chose n’a pour moi auon est amoureux, si on a eu une huit mille mètres sans oxygène cune importance, car si nous nous

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préoccupons pour ces questions, nous perdons un temps précieux que l’on pourrait consacrer à entraîner ou à faire tout autre type d’activités. J’apprécie la polyvalence et le fait d’être capable de me déplacer en continu plus que la difficulté. J’aime courir, faire des ultras, des kilomètres verticaux, des courses de ski-alpinisme, des skyraces, des traversées, des ascensions sans me concentrer exclusivement de sommets, des enchaînements sur ce type d’activité, car j’aime la de montagnes, et je ne trouve pas compétition, faire d’autres choses l’une de ces activités meilleure ou aux Alpes, en Norvège, le ski pente plus louable que l’autre. Elles m’ap- raide... portent toutes des aspects diffé- A : Tu es probablement l’une des rents et enrichissants. personnes qui se rapprochent le Au niveau de la haute montagne, plus de l’alpinisme total, c’est-àles apprentissages des cinq der- dire de la capacité de pratiquer nières années en Himalaya et avec avec aisance, parmi les meilleurs Summits of My Life, m’ont permis de au monde, beaucoup de discila connaître un peu plus, de com- plines sportives en relation avec prendre la logistique, d’apprendre à la montagne. Il se peut que je me m’acclimater... L’année dernière fut trompe, et si c’est ainsi je te depour moi très intéressante. D’abord mande de m’excuser, mais je crois parce que j’ai pu découvrir que j’étais « Sans doute, après la mort de Stéphane, j’ai passé une ancapable de grimper 8850 née très difficile. Je me suis rendu compte après un certain mètres sans temps. Je crois que je ne l’ai pas assimilé. Je n’ai pas encore oxygène (avant je ne savais pas accepté qu’il parte. Ça aurait été beaucoup plus facile que si mon corps ce soit moi, car je n’avais à ce moment-là ni famille, ni enpouvait le faire), et aussi parce fants, ni des plans d’avenir ». que j’ai pu apprendre que, malgré les conditions que le « grand » alpinisme, à ne dures ou les malaises ne mettant pas confondre avec le « huitmilpas la vie en péril, il est possible de lisme », va voir comment ton nom continuer à se déplacer et à faire commence à écrire des pages de une activité. Et pour finir, cette an- son histoire dans un avenir pas si née m’a également permis de vé- lointain... Vers où orientes-tu tes rifier qu’il est possible de faire des prochains pas ? activités longues, d’enchaîner des KJ : Je ne pense pas qu’il existe sommets et de faire des ascen- un alpinisme total. Nous ne sasions en peu de jours. Sans doute, vons même pas avec certitude ce j’aimerais répéter l’expérience, mais qu’est l’alpinisme. Aucune manière

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de grimper des montagnes n’est meilleure ou plus pure que l’autre. L’important est d’être sincère au moment de dire comment on les grimpe. Ce que je fais c’est d’aller dans la campagne ou de grimper des montagnes. Vers où iront mes pas, je ne sais pas, mais comme je te disais tout-à-l’heure je préfère de faire un peu de tout au lieu de me concentrer sur quelque chose de concret. A : « Ce fut d’abord l’alpinisme traditionnel, par la suite l’escalade de difficulté, puis ce que j’ai dénommé l’alpinisme de renoncement. Et je dis bien de renoncement car il implique de laisser de côté la corde, le compagnon et les bouteilles d’oxygène. Cet alpinisme était le seul valable pour moi. C’est ma philosophie. » Telle est la réflexion de Messner et je crois qu’elle est très proche de ta manière de comprendre cette activité. Et il continue : « Rivaliser n’a aucun sens dans l’alpinisme. Voilà pourquoi on ne peut pas parler de records. Le progrès de l’alpinisme réside dans la manière de l’exécuter. Je fais des efforts pour perfectionner mon style, entraîner la vue, augmenter ma capacité de résistance. » Ici je trouve qu’il y a des différences, ou peut-être j’ai mal compris. Je parle des FKT [Fastest Known Times]... KJ : À cet égard, j’ai une opinion un peu personnelle. Et je m’explique. Il y a une différence entre record et FKT. Le record est une performance dans des conditions données et avec des règles spécifiques qui, comme dans une course, sont les mêmes pour tous : assistance, matériel, parcours. Même en athlétisme, on ne parle pas de record si par exemple il y a plus de x vent, si la course a certaines conditions (marathon de

Boston), ou si on utilise des lièvres ou de l’assistance (sub 2 heures de Nike à Monza). Voilà pourquoi il est difficile de parler de records dans la montagne. D’abord, parce que les conditions sont toujours différentes, puis la manière de faire aussi. Lorsque nous parlons de FKT, c’est différent et je trouve que c’est intéressant à deux niveaux. Au niveau global, pour savoir quel est le niveau d’endurance de l’être humain avec certaines méthodes d’entraînement et de technique. Puis, il existe un intérêt individuel sur deux volets : d’abord, la motivation, se fixer un objectif ou un but qui nous permette d’entraîner les mauvais jours ; et puis, une meilleure connaissance de soi même, savoir si on fait des progrès. Regarder le chronomètre dans un terrain avec certaines difficultés et conditions nous permet de savoir si nous avons fait des progrès, car nous allons faire des gestes plus performants, avec plus de technique et donc de sécurité et cela de manière naturelle et plus vite. Ceci peut servir de référence pour soi : savoir qu’on est capable de courir 1000 mètres dans certaines conditions entre les 1000 et les 2000 mètres d’altitude en 30 minutes, ou en deux heures entre les 6000 et les 7000 mètres, ou escalader 1000 mètres d’une voie AD [Assez difficile] en une heure et demie, ou d’une voie TD [Très difficile] en trois heures. Ainsi, les FKT s’avèrent intéressants si on connait toutes les conditions (assistance, matériel depuis le début ou charges, lièvres, connaissance du parcours, existence de communication, saison, etc.). L’intérêt réside dans la connaissance de nouvelles méthodes de préparation et la motivation acquise. Ainsi, comparer deux FKT sans connaître

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les conditions, n’a aucun intérêt. Par exemple, le propre Ueli à l’Eiger sur une trace faite et utilisant les deux cordes fixes ou sans trace faite et sans cordes fixes a une différence de 30 minutes. Les conditions ne sont pas comparables. On ne peut pas dire que l’un soit plus rapide que l’autre. L’intérêt est de savoir qu’avec une trace faite en TD il peut grimper à 680 m/h et sans trace en libre à 600 m/h. Mais je trouve que ceci est très poussé, difficile à expliquer et à comprendre en dehors de ce petit monde. Pour les médias et le public en général, il est plus facile de comprendre que quelqu’un est plus rapide que l’autre et rivaliser, alors que l’intérêt de ce type d’activité est très différent selon mon point de vue. A : La vanité. Je reviens sur le grand Alberto Iñurrategi, probablement l’une des personnes les plus humbles de la planète et, malgré tout, il admet que ce n’est pas « parce qu’elles sont là », mais plutôt pour vanité que l’on veut conquérir les montagnes. Un autre grand alpiniste, Ferrán Latorre, nous disait que ses raisons étaient à mi-chemin entre la conquête de la beauté, le défi et la curiosité. Je sais bien que c’est une question difficile, mais pour quoi le fais-tu ? KJ : Sans doute, il y a une composante de vanité. On fait des activités égocentriques pour ressentir un plaisir individuel, intrinsèque, qui nous met potentiellement en risque. Je crois que je fais des activités de montagne pour la beauté d’être là, le paysage, les lumières, le défi, faire des progrès, imaginer des choses et voir si je suis capable ou pas de les accomplir, l’émotion ou la sensation de l’instant, les sentiments lors de l’escalade, la neige glissant

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sous les skis, courir avec la fluidité du mouvement... Sans doute, ceci implique de consacrer beaucoup de temps (et de vie) et d’efforts à une activité qui n’est pas productive (on ne produit rien de matériel utile pour soi ou pour les autres, comme la nourriture, un toit...) et c’est plutôt une quête intrinsèque. A : Kilian, tu suscites l’admiration et tu es une source d’inspiration pour beaucoup de personnes à travers le monde. Peux-tu nous dire qui éveille en toi ces sentiments ? Je ne parle pas uniquement de « résultats » mais plutôt de la manière de comprendre le sport. KJ : De nombreuses personnes, des proches, des amis avec lesquels je pars dans la montagne et desquels j’apprends tous les jours comme Seb Montaz, Vivian Bruchez, Jordi Tosas, Jordi Canals, les amis de la Norvège... Puis, il y a aussi des gens qui font des activités intéressantes comme Colin Haley, Alex Honnold, Marc André Leclerc, Paul Bonhomme, Simone Moro, Denis Urubko, Nick Elton, Eli Revol et Tamara Lunger ; des traileurs comme Mejía, de Gasperi, Max King, Rickey Gates, etc. ; des athlètes, des coureurs de fond, des biathlètes, etc. ; des entraîneurs qui partagent leurs plans de travail, et des gens que je rencontre et qui m’expliquent leur histoire. Et des personnes du passé, qui ont fait des activités incroyables alors que je commençais à faire mes premiers pas, comme Lucas et Bohigas, Mark Twight, Messner, Bonatti, Preuss, Comici, Brosse, Elmer, Greco, Meraldi, Pep Ollé… Je trouve que chaque personne peut nous apporter beaucoup, nous faire apprendre et être une source d’inspiration.

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LE DIAPHRAGME

Lofoten Ultra-Trail. Îles Lofoten. Des paysages qui vous feront sentir que vous courez dans une autre planète. Sentir l’eau douce transformée en neige craquer sous les pas, puis à l’instant marcher sur l’eau salée de la mer. Les extrêmes. Les plus beaux extrêmes.

Alexis Berg (23/09/1986) a été photographe officiel de l’Ultra Trail World Tour. Ses images ont été publiées dans des médias aussi prestigieux que L’Equipe, VSD, National Geographic, Esquire, Runner’s World, The National, Forever Sport, Nature Trail, Ultrarunning Magazine, Trail Magazine, Geo Plen Air, Wider, Trail Endurance, Marca ou The Guardian, entre autres. Strava, The North Face, Gore-Tex, Salomon, Red Bull, Asics ou Columbia figurent parmi ses clients. Il est l’auteur, entre autres titres, du célèbre Grand Trail (Ed. La Plage, 2015). La réalisation de vidéos et de documentaires occupe également une place importante dans son CV, avec des pièces de grande qualité, dont Radèl, sélectionnée au Festival de Douarnenez.

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LE DIAPHRAGME

Transgrancanaria. Île de Gran Canaria. Cette photo aurait pu être prise dans n’importe quelle autre course au monde. Ou peut-être pas. Probablement l’île a inspiré Alexis pour, à nouveau, friser la perfection.

Texte : Arête du Diable

Il y a deux étés, alors que je me trouvais dans un appartement à Sierra Nevada, je vis sur l’écran de ma tablette une photo de Jim Walmsley qui marchait complètement dévasté, le regard tourné vers le sol. Le torse nu et, sur son short, un dossard avec le numéro 35 de la mythique épreuve américaine Western States. Non seulement Jim partait favori, mais en plus il comptait battre le record de l’épreuve, tel que la presse l’a répété à satiété les jours avant la compétition. Le propre Jim l’avait dit à plusieurs reprises dans un geste que certains trouvaient prétentieux, d’autres plutôt courageux. Lorsque cet instant fut immortalisé, je ne sais pas si Walmsley avait déjà abandonné ou bien il attendait au prochain contrôle. Mais cela n’est peut-être pas le plus important. Le photographe avait capté le moment juste, ou dans les mots d’Henri Cartier Bresson, l’instant décisif. Pour beaucoup, ce serait une question de hasard, être au bon endroit au bon moment, l’appareil photo en main. Sans lire le crédit, je savais d’emblée que cette photographie était signée par Alexis Berg.

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LE DIAPHRAGME

Diagonale des Fous. Île de la Réunión Les conditions furent exceptionnelles pour prendre cette photo dans l’une des courses les plus mythiques des compétitions ultra-trail. L’angle, la solitude du coureur et des nuages qui attendent patiemment qu’il passe avant de cacher toute la scène.

Alexis Berg est un photographe hors-pair. On dirait que d’un coup de baguette magique, ce photographe excellent aurait été transformé en génie. Puis, il s’est forgé une bonne expérience. Alexis a parcouru les principales courses de montage du monde. Ultra-Trail du Mont Blanc, Transvulcania, Marathon des Sables, Diagonale des Fous, Western States, Hard Rock, Les Templiers, Transgrancanaria, Ultra-Trail Mont-Fuji, Lavaredo, Eiger Ultra Trail, Tarawera, Ultra-Trail Australia, Hong Kong 100, Madeira Ultra-Trail, Lofoten Ultra-Trail, Glencoe Skyline et une myriade d’épreuves conforment les scènes où Alexis a réglé les diaphragmes de ses différents appareils photo. Il est l’auteur d’un projet sans précédent dans l’art de la photographie de trail running : Grand Trail, Le Livre. www.grandtrail.info Des photographies où le protagoniste absolu est le paysage ou l’entourage, et les coureurs y apparaissent sans nom, anonymes, comme de simples figurants ; d’autres où, cette fois-

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FOTOGRAFÍA: XXX

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Ultra Trail du Mont-Blanc. Des moments magiques. Les coureurs surgissent d’une mer de nuages au Grand Col Ferret dans leur chemin vers la gloire.

On ne peut pas parler des difficultés rencontrées au moment de choisir les photos pour Arête du Diable sans craindre le cliché. Pourtant très rarement nous avons eu tellement du mal à écarter des images pour parvenir à cette sélection finale. Après avoir passé plusieurs heures à analyser les photographies envoyées par Alexis Berg, j’ai décidé de les regarder une par une pendant deux minutes, puis de fermer les yeux et essayer de voir celles qui me touchaient le plus et me transportaient à l’endroit immortalisé. Voici la sélection. Merci beaucoup Alexis.

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PHOTO © ALEXIS BERG

ci, le protagoniste absolu est le coureur, avec lequel Berg semble créer des liens qui vont au-delà d’une relation professionnelle ; des photographies focalisées sur la composition avec des jeux de contrastes, d’ombres et de lumières, absolument surprenants. La sélection proposée comprend les trois types de photographies. La plupart de ces images appartiennent au projet Grand Trail.


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Glen Coe Skyline. Highlands. Écosse. Quand on essaye de se mettre dans la peau de l’un de ces trois coureurs, on arrive presque à éprouver ce sentiment de petitesse face à l’immensité de la montagne. Beauté et respect, presque peur.

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Lofoten Ultra-Trail. Îles Lofoten. La mer reçoit la visite de la montagne. Ou c’est peutêtre à l’inverse, et cette dernière en est l’hôtesse. Quoi qu’il en soit, une plage au paradis.

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Matterhorn Ultraks Pourquoi court-on dans la montagne ? La simple contemplation de cette photographie suffit comme réponse.

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Madeira Island Ultra-Trail. Île de Madère. De nombreuses photos essayent de capter le serpent formé par les faisceaux des lampes frontales des coureurs. Puis, il y a cette photo.

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Transvulcania. Île de La Palma. Il reste encore quelques heures pour arriver au Roque de los Muchachos à 2420 mètres d’altitude pour s’élancer dans une descente frénétique jusqu’à la mer en à peine 18 kilomètres. Impossible d’y penser, on ne peut que jouir du soleil qui se lève à l’île de La Palma.

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Jim Walmsley. Western States. « Il a tout incendié. Le chrono et les cœurs. Et soudain, c’est le feu qui s’est emparé de Jim. Il est resté immobile dans la poussière, perdu dans la fournaise d’un canyon, son estomac en flammes, son rêve en fumée. Ses temps de passage insensés malgré la neige puis la chaleur insoutenable. D’emblée, il a volé, comme à son habitude, loin devant tous les records du passé, établis par les meilleurs coureurs de l’histoire de ce sport. Et alors que toutes les barrières étaient tombées, il est tombé de lui-même, étoile brisée sur un mur, invisible et réel. Il a couru au-delà des limites et a trouvé les siennes. C’est la loi des mortels. J’aime les fous et les rêveurs. J’aime les poètes de l’impossible ».

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Extrait de l’Instagram d’Alexis Berg.

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PHOTO © ALEXIS BERG

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Lofoten Ultra-Trail. Îles Lofoten. Ne pas être en première position lors d’une course de longue distance a beaucoup d’avantages. Au moins, les traces sur la neige nous montrent le chemin vers le paradis.

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Kilian Jornet

PHOTO © ALEXIS BERG

Quand on regarde Kilian dans les yeux, on se demande s’il s’agit d’une personne ou d’un animal sauvage né pour vivre dans la montagne.

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ADAM ONDRA

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PHOTO © HEINZ ZAK

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C’est peut être normal que la première voie de l’histoire avec une cotation 9c ait été réalisée par quelqu’un qui fait de l’escalade depuis l’âge de deux ans, quelqu’un qui apprécie tout le processus pour y parvenir sans que cela ne devienne un cauchemar, quelqu’un qui s’efforce au maximum d’une manière quasi obsessionnelle dans chaque entraînement, quelqu’un qui ne se contente pas d’escalader avec une technique pratiquement parfaite et cherche l’aide de spécialistes du fonctionnement du corps humain. J’ai toujours considéré Adam un génie. Après cette conversation, je trouve que c’est incontestable.

Texte : Arête du Diable

rête du Diable: Je voudrais que tu fermes les yeux et que tu cherches tes premiers souvenirs liés au monde de l’escalade. Adam Ondra : C’est assez difficile car les premières expériences datent d’il y a très longtemps, quand j’étais tout petit. Je n’ai pas de premières images bien définies. Ce que je peux te dire c’est que dans ma famille, tout le monde grimpe et, que quand j’avais deux ans et je voyais mes parents et leurs amis escalader, d’une manière naturelle, moi aussi je voulais le faire. J’imagine que c’était tout simplement car je ne voulais pas être le seul à ne pas grimper. Donc, j’oserais même dire que j’ai commencé à faire de l’escalade car c’était le plus naturel, et non pas parce que mes parents m’aient forcé. À l’âge de six ans, mes souvenirs sont beaucoup plus clairs. Je me souviens de mettre mes essais dans une voie assez compliquée, du 6a, située à l’école près de chez moi. Ce souvenir est très net. Je me suis tellement amusé que cela m’a encouragé à continuer. Puis, les premières compétitions, où ne pas gagner me motivait énormé-

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ment. À partir de là, j’ai voulu passer beaucoup plus de temps dans la salle d’escalade pour entraîner et mieux les préparer. J’ai beaucoup d’ambition. Si je terminais en troisième position, j’étais content, mais je songeais déjà à remporter la victoire la prochaine fois. A : En 2009, en Chine, tu as perdu le Championnat du Monde contre Patxi [Usobiaga] au dernier moment... AO : [Rires]. Oui, tout à fait. A : Les choses ont bien changé. Maintenant, il est ton coach. AO : Oui, ce fut un moment crucial de ma vie. Ceci nous a rapprochés beaucoup. C’était ma première compétition internationale, lors du Championnat du Monde en Chine. J’avais gagné la voie de la demi-finale. Pour la finale, je savais que Patxi avait fait top. Et que moi je devais en faire de même, mais je suis tombé au dernier pas, les nerfs m’ont trahi. A : Bon, ce n’est pas aussi grave... Patxi méritait d’être le champion du monde, n’est-ce pas ? AO : Exactement. En plus, pour moi ce fut encore plus motivant de ne pas remporter le championnat

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lors de ma première participation. A : Adam, ferme à nouveau les yeux et parle-moi des dix secondes juste après l’enchaînement de Silence [premier et seul 9c de l’Histoire réalisé sur le site de Flatanger, en Norvège]. AO : Pour moi, il y a deux moments particulièrement intenses du jour de l’enchaînement. Le premier, quand j’étais dans le crux de la voie. Il m’a toujours semblé très dur. Même lorsque je tentais les pas de cette zone. Mais ce jour-ci, j’étais très détendu et en même temps, pleinement concentré. C’est très difficile de saisir chaque prise avec la perfection et la précision avec lesquelles je le fis à ce moment. Je me sentais en pleine harmonie avec la voie. C’était un sentiment assez étrange. Tout était précis et parfait et j’étais tellement détendu... Mentalement, je n’ai jamais grimpé aussi bien qu’à Silence. Ce fut un moment de « silence » dans ma tête. Je faisais avec aisance des choses vraiment compliquées. Le deuxième moment que je n’oublierai jamais, c’est quand j’ai atteint le relais. Ce fut très intense. J’étais tellement submergé


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PHOTO © JAVIPEC

par les émotions que je n’arrivais même pas à les exprimer. Normalement, lorsque je parviens à faire une chose aussi compliquée, je crie pour libérer les tensions, mais cette fois-ci j’étais incapable. Je ne pouvais que pleurer, mais très faiblement. Ce fut une minute de quasi « silence ». A : Quelle intensité ! À ce moment-là tu es vraiment conscient de ce que tu as réussi. Petit à petit, le travail paye... AO : J’ai passé deux ans à travailler sur cette voie. A : L’autre jour je parlais avec Carlos Logroño, Citro, sur l’évolution de ce sport. En résumé, il trouve que l’évolution la plus remarquable s’est produite au niveau du mental. Il a utilisé un exemple qui m’a permis de mieux comprendre. Il disait que la première fois que l’on a fait moins de 10 secondes dans les 100 mètres, ce fut car on était tellement près que les athlètes ont commencé à y croire. Il m’a donné cet exemple quand on parlait sur le 9a+ de Margo Hayes à Céüse, une voie qu’elle a faite en un temps relativement court alors que Chris Sharma a dû y consacrer environ deux ans. Je lui ai demandé comment était cela possible, ou encore ton 9c, et il m’a répondu que dans le cas de Margo, elle avait en tête que quelqu’un d’autre avait déjà fait cette voie ; et que dans ton cas, ceci n’était qu’un petit pas supplémentaire par rapport à tes 9b+. Il parlait du pouvoir du mental lorsque les défis sont presque à portée de main. AO : Tout à fait, c’est ainsi que ça marche en escalade. Je pense que les filles ces dernières an-

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PHOTO © PAVEL BLAZEK

SILENCE 9C | FLATANGER | NORVÈGE


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sera tôt ou tard, car seuls Chris Sharma et moi avons fait du 9b+. Je crois fermement qu’Alex Megos a le niveau, mais le mental pour faire un 9c est presque plus important que le niveau technique. Je ne pense pas que quelqu’un puisse faire un 9c dans les prochains jours. Il faut essayer, le projet doit devenir presque une obsession et, même si on y met ses essais pendant de nombreuses semaines, il faut être capable de profiter du processus. Ce n’est pas de la tarte. Je suis persuadé qu’il y a quelques années je n’aurais pas pu faire Silence, mais l’expérience acquise a joué un rôle essentiel. Les essais à Silence ne sont jamais devenus un cauchemar, et ceci est difficile à faire. J’ai toujours profité. Je savais que ça allait être un processus compliqué, mais ce n’a jamais été un cauchemar. Voici la clé. A : Et pourquoi Adam Ondra a été le premier à faire un 9c ? Tu as brisé cette barrière psychologique

nées avaient le niveau suffisant car mes parents m’ont beaucoup pour faire des voies cotées 9a, 9a+ aidé pour pouvoir voyager en ou 9b, mais je crois aussi qu’elles Europe et faire de l’escalade de n’avaient jamais essayé car elles rocher tous les week-ends, auscroyaient que c’était infaisable. si parce que j’ai participé à de Tout ceci est en train de changer, nombreuses compétitions... Mais et la raison principale est bien celle je suis persuadé que le facteur dont te parlait Citro. Le niveau augfondamental est que l’escalade mente, évidemment, mais la comme plait trop. Dans tous les enposante clé est le mental. Ce n’est traînements, cinq heures par jour, que le début. six jours par Sur ce type de semaine, penvoies, les filles dant vingt ans, « Le deuxième moment que je n’oublierai jamais, je vont sûreme suis efc’est quand j’ai atteint le relais. Ce fut très intense. forcé au maximent grimper mieux que les J’étais tellement submergé par les émotions que mum. C’est hommes. dur, mais ça je n’arrivais même pas à les exprimer. Normale- me plait. Si ce A : Cette barrière psychoment, lorsque je parviens à faire une chose aussi n’est pas ainsi, logique que ça devient un compliquée, je crie pour libérer les tensions, mais sacrifice diffitu viens de briser avec cette fois-ci j’étais incapable. Je ne pouvais que cile à atteindre, le premier moi, malpleurer, mais très faiblement. Ce fut une minute mais 9c de l’Hisgré la difficulté, de quasi silence ». toire va peutje profite touêtre perjours. Ce n’est mettre que, pas fréquent dans un avenir pas très lointain, qui va permettre aux autres de de trouver quelqu’un comme ça. quelqu’un d’autre relève ce mettre leurs tentatives avec le A : Peut-être Chris Sharma ou... même défi ? Que ce soit à Silence temps, mais... Pourquoi toi ? AO : Chris aime beaucoup grimou ailleurs... AO : Il y a beaucoup de facteurs. per, mais il n’aime pas tellement AO : Je ne peux pas te dire si ce C’est sûrement car j’ai du talent, entraîner à fond comme moi ou

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Silence

VIDÉO © Adam Ondra

Adam Ondra: incredible moves in Silence 9c.

VIDÉO © TENDON

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FOTOGRAFÍA: © JCDFOTOGRAFÍA


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ALLGÄU | ALLEMAGNE PHOTO © JAVIPEC BY KISSTHEMOUNTAIN

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comme Patxi Usobiaga. Et ça c’est difficile à changer. A : Adam, je t’ai entendu dire que si Silence n’avait pas ce repos pour les genoux, cette voie pourrait même arriver à une cotation 10. AO : Oui, j’en suis complètement convaincu. La voie sans les repos vaudrait presque 10a+. Quelque chose d’impossible pour moi. Je ne sais même pas si cela pourrait se faire. Sûrement oui, mais en tout cas pas moi... Parce que le boulder qu’il faut grimper au milieu de la voie est très dur. Ces 15 mouvements sont les plus durs que je n’ai jamais faits. Et ce qui est encore plus fou, c’est que ce boulder se trouve en plein milieu de la voie. Ces repos rendent la voie possible, malgré sa difficulté extrême. Je pouvais me reposer et me refaire complètement pour me sentir à nouveau aussi fort qu’au début de la voie. A : Mais... Si tu dis que tu ne pourrais jamais le faire, qui alors ? D’autres grimpeurs avec d’autres conditions ? Faire cette voie sans repos serait impossible actuellement ? AO : Oui. Je suis curieux de voir quel sera le niveau dans 20 ans.

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nique, grimper d’une manière 100 % parfaite, utiliser la moindre force possible pour enchaîner une voie. Il y a quelques années, je croyais que je grimpais d’une manière presque parfaite, que je ne pouvais améliorer qu’avec l’entraînement physique, mais je me suis rendu compte que ce n’est pas vrai. Je peux continuer à évoluer avec l’entraînement physique, c’est vrai, mais encore plus avec la technique. Il y a des aspects auxquels je n’y avais jamais pensé. A : Je comptais parler sur ça avec toi. La motivation et la manière dont celle-ci peut être orientée vers des aspects susceptibles d’amélioration... AO : Oui, Juanmi. Je n’ai aucun problème avec la motivation. J’aime grimper sans plus, c’est naturel. La motivation pour faire une voie 9c, où il faut mettre ses essais pen-

Peut-être alors ce sera possible. me motive de savoir que je peux A : Mais pourquoi ? Pour l’évoencore faire des progrès énormes lution de la condition physique, au niveau technique. technique ou mentale ? A : C’est sur ces progrès techAO : Il y a beaucoup de domaines niques que tu parles avec Patxi à améliorer et à travailler avec Usobiaga ? l’entraînement. Escalader est AO : Oui, bien sûr, mais avec Patxi je quelque chose de complexe. parle surtout de la périodisation et L’entraînement physique a bien des programmes d’entraînement. évolué, mais Il maîtrise très on n’a pas bien ce do« Dans tous les entraînements, cinq heures par maine. Nous réussi à bien le combiner jour, six jours par semaine, pendant vingt ans, parlons aussi avec l’entraîde technique, je me suis efforcé au maximum. C’est dur, mais mais pour ces nement de la technique. aspects, ça me plait. Si ce n’est pas ainsi, ça devient un ilautres Savoir utiliser convient pluà la perfecsacrifice difficile à atteindre, mais moi, malgré tôt de travailler tion chaque coude à coude la difficulté, je profite toujours. Ce n’est pas fré- avec les kinés. muscle de son corps Je crois que quent de trouver quelqu’un comme ça ». peut évoluer l’avenir est là. et c’est un Avoir un coach domaine susceptible de progresdant 15 semaines pour y parvenir pour les programmes d’entraîneser énormément. Tout comme le c’est.... Comment dire ? Les voies ment et quelqu’un dans l’équipe mental. Il reste encore un long dures m’inspirent plus, elles me qui connait très bien le corps et chemin à parcourir. C’est comme semblent plus impressionnantes son fonctionnement. Ceci permet si on avait un gamin de 5 ans et me donnent envie de me dé- d’escalader mieux et des voies avec lequel on pouvait travailler passer. En fin de comptes, je me plus dures, mais aussi d’avoir la technique en profondeur. C’est régale avec ce type de voies. moins de blessures. sur ça que je me concentre derJ’aime le fait que l’escalade ne soit A : Quand tu parles de kinés, tu ne nièrement. Je me suis toujours pas un simple sport physique, mais parles pas uniquement du traiconcentré beaucoup sur la techqu’elle aille bien plus au-delà. Ça tement post-entraînement pour

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une compression avec les pectoraux. C’est presque une impulsion naturelle chez les grimpeurs. Alors qu’il est possible de le faire avec les muscles du dos. Et comme je disais avant, ceux-ci ont plus de force, d’où le mouvement devient moins agressif aussi. Faire la verticale avec les pectoraux devient trop intense pour les coudes et les épaules. A : Ces spécialistes font déjà partie de ton équipe ? AO: Cette année j’ai rencontré Klaus Isele, de l’Autriche. Il m’a beaucoup aidé. A : Adam, je t’ai déjà entendu dire, en parlant de Silence, que le chemin pour y parvenir a été bien plus important que le fait de réussir. AO : Pour une question de motivation, il est capital d’avoir un objectif, mais lorsque j’entraîne ou je mets mes premiers essais dans un

une récupération similaire à celle que font les cyclistes du Tour de France... AO : Oui, oui, ce n’est pas seulement une question de récupération. Un kiné peut m’observer grimper et me donner certains conseils. Je te donne un exemple. La position des épaules est très importante dans l’escalade. Si elles ne sont pas cor« Savoir utiliser à la perfection chaque muscle de son corps rectement peut évoluer et c’est un domaine susceptible de progresser situées, on utilise daénormément. Tout comme le mental. Il reste encore un long vantage le chemin à parcourir. C’est comme si on avait un gamin de 5 biceps et le pectoans avec lequel on pouvait travailler la technique en profonral, et ceci peut ne pas deur. C’est sur ça que je me concentre dernièrement ». être aussi performant. Avec une meilleure position, on projet, la plus grande motivation compense avec tout le dos, qui a pour moi est de profiter du procesbeaucoup plus de force que les sus, d’avoir des objectifs tout pebiceps et les pectoraux. Mais pour tits. Je ne pense au grand objectif la plupart des grimpeurs, c’est na- que quand je me sens démotivé turel et même presque instinctif de ou trop épuisé pour entraîner plus suivre des habitudes qui ne sont dur alors que je sais qu’il le faut. peut-être pas les plus adéquates. Je me dis : « Ok, je dois entraîner Par exemple, lorsque nous avons parce que je veux faire ce 9c ». Mais deux verticales, on fait souvent j’essaye de ne pas trop utiliser cet

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argument, et de le réserver uniquement aux moments les plus durs, où, à cause de la fatigue, je ne profite plus tellement du processus d’entraînement. A : Silence est la voie que tu as eu plus de mal à faire, mais par contre, Dawn Wall fut quelque chose de spécial et de différent, peut-être pas tellement pour l’effort physique ou technique, mais parce que c’était une autre paire de manches. AO : Dawn Wall était une voie spéciale parce que je n’avais pas d’expérience en big walls. J’avais déjà fait quelques parois de 400 mètres mais très équipées avec des ancrages (parabolts). Pourtant, à Dawn Wall il n’y a pas seulement des parabolts, il faut utiliser des protections naturelles et d’autres protections fixes qui ne sont pas très bonnes. C’est une escalade très dure au niveau technique car le rocher a très peu d’adhérence et beaucoup de fissures. C’est vraiment compliqué. Je n’avais jamais grimpé au Yosemite et les premiers jours je ne savais même pas quoi faire. Tout me semblait très dur. Puis, en même temps, il y a beaucoup de longueurs qui sont très dangereuses et ceci est aussi difficile au niveau du mental. Alors que je n’étais qu’amateur en big walls, j’ai choisi l’un des plus durs au monde. Ce fut peut-être une bêtise. J’aurais dû choisir une voie un peu plus facile, mais j’étais vraiment motivé pour y mettre mes essais. Au début, cela me semblait impossible. Je ne faisais aucune confiance à mes pieds dans ces longueurs aussi étranges, et j’ai eu besoin de quelques semaines de tentatives pour gagner

cette confiance. Finalement, même si ce fut quand même très dur, il a fallu un déclic dans ma tête. Après quelques semaines, j’ai commencé à croire que la voie était faisable. A : Tu vas retourner au Yosemite ? AO : Oui, sans doute. El Capitán est vraiment incroyable, il y a un potentiel énorme pour faire des voies encore plus dures que Dawn Wall. A : Quel est ton prochain projet ? AO : Je veux me concentrer sur l’escalade sportive et essayer d’augmenter mon niveau dans cette discipline. Pour l’année prochaine, j’aimerais faire un autre 9c. On verra si c’est possible. A : Tu as déjà quelque chose en tête ? AO : J’ai trop de projets. Surtout en France ou en Italie. Il y a un autre très bon près de chez moi. C’est difficile de savoir si c’est du 9b+ ou du 9c. Il faut continuer à essayer beaucoup plus, puis voir. A : Les Jeux Olympiques de Tokyo te motivent ? AO : Oui, ils me motivent, bien sûr, même si je n’aime pas beaucoup le format. Mais je dois l’accepter. Ceci sera le plus difficile pour moi. Entraîner la vitesse même si ça ne me plait pas tellement. Ce sera la première fois que j’entraîne pour quelque chose qui ne me plait pas. A : Tu es sûr de vouloir le faire ? AO : Oui, oui. A : Parlant de compétition, je cite tes propres mots : « La compétition est bien parce que c’est le seul moment où tu peux te comparer aux autres, mais ça ne m’intéresse pas de le faire tous les ans car je ne le vois que comme un sport, et non pas comme un style de vie ». AO : Oui, tout à fait. Il se peut que les compétitions me motivent à en-

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traîner plus spécifiquement, et qu’à long terme, ceci m’aide à faire de voies en rocher très difficiles. J’aime aussi entraîner pour un objectif donné, pour avoir un méga pic de forme juste le jour clé et à une heure donnée. Sur la voie finale, il faut démontrer tout ce qu’on a entraîné avant, rien qu’en cinq minutes. C’est une question très physique, c’est clair, mais très mentale aussi. A : Tu travailles bien sous pression ? AO : Il y a eu des moments de ma carrière où j’ai été très performant dans les compétitions. Ce dernier Championnat du Monde à Paris, dans la finale de difficulté, j’ai grimpé très bien mentalement, j’étais presque imbattable. A : Tu entraînes aussi le mental ? AO : Dans chaque séance d’entraînement j’essaye de tout donner à cent pour cent, pour que lors de la compétition ou du moment clé de mon objectif, je sois prêt à puiser très loin dans mes ressources. Agir ainsi dans les entraînements est positif, car ceux-ci deviennent plus efficients et ils nous préparent pour les moments clés, mais cela exige aussi beaucoup de force mentale. Finalement, ce n’est pas difficile d’entraîner cinq heures par jour, ce qui est compliqué c’est de tout donner à chaque mouvement. A : Qu’aurais tu fait dans la vie si tu n’étais pas devenu grimpeur ? AO : Je serais une personne complètement différente car l’escalade a marqué presque tous les aspects de ma vie. C’est difficile à dire. Mais je crois que grimper, faire les mouvements et voir le monde d’en haut, est tellement naturel en

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moi que même si dans ma famille ils n’avaient pas tous fait de l’escalade, peut-être plus tard, mais j’aurais fini par la découvrir également. A : C’est ton mode de vie... AO : Je ne peux pas imaginer la vie sans l’escalade. Dans 30 ou 40 ans, je continuerai à grimper. Sûrement pas du 9c, mais faire de voies en rocher me rend heureux. A : Ce mode de vie exige beaucoup de sacrifice ou ça vient d’une manière naturelle ? Tu as 24 ans. Je suis sûr que de temps en temps il y aura des amis qui te donnent un coup de fil pour boire un verre ou sortir le soir et que tu devras dire non car tu dois entraîner le lendemain. Pour toi, c’est un sacrifice ? AO : Parfois oui, c’est un sacrifice et je dois dire non même si j’ai envie, mais je trouve que l’important est de parvenir à un équilibre entre sacrifice et divertissement. Même si boire quelques verres peut ne pas être bon pour la récupération, je sais aussi que cela peut me détendre, et le mental est aussi très important. Quand on fait trop de sacrifices, la pression devient presque insupportable. Il faut trouver le juste milieu entre la concentration dans le sport et le sentiment de ne pas faire trop de sacrifices. Pour chaque personne, cet équilibre se trouve à un point différent. Dans mon cas, je n’ai pas le sentiment de faire trop de sacrifices, même si d’autres peuvent croire l’inverse. A : L’équilibre... AO : C’est le plus important dans la vie en général.

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LE SCÉNARIO

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Peu de gens le savent mais nous, les montagnes, nous pouvons envoyer nos âmes vers d’autres destinations, du moment où celles-ci soient pures et qu’elles n’aient pas été corrompues par l’être humain. Depuis mes 4810 mètres d’altitude, j’observe une grande foule qui attend son arrivée avec impatience. Un malheureux coup du sort lui arracha le sourire il y a quelques mois à Arêches-Beaufort, mais il ne lui reste plus que quelques minutes pour que son sourire brille à nouveau de mille feux. Ceci ne pouvait pas se produire ailleurs que dans mon royaume. Ce triste 17 mars 2018, mon esprit voyagea pour voir mon fils préféré remporter une nouvelle victoire, cette fois sur ses skis. Mon cœur se brisa en mille morceaux quelques secondes avant que son geste n’indique que quelque chose de grave lui était survenue. Je me suis senti coupable. Je n’eus pas le temps de réagir. Il aurait suffi d’allonger mon bras et de le soulever quelques mètres sur la neige. J’aurai enfreint les normes de la nature, mes propres normes, et serait peut-être condamnée à perdre la capacité de déplacer mon âme vers d’autres montagnes de la planète pour contempler leur beauté, mais j’aurais bien payé ce prix pour ne pas lire dans ses yeux une tristesse qui gela mon cœur.

PHOTO © FABIAN BODET

Avec le temps, tant les montagnes que l’être humain parviennent à oublier les événements qui nous ont fait mal. Ce processus a commencé aujourd’hui. Lui, il vient de traverser la ligne d’arrivée. Même si ce n’est pas le plus important, il a été le premier à le faire.

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LE SCÉNARIO

RUTH CROFT | 1ère POSITION 04:37:30

PHOTO © PIERRE RAPHOZ

Dans ses yeux nous pouvons lire la satisfaction d’une victoire pour laquelle elle a lutté sachant que ses forces ne tiendraient peut-être pas jusqu’à la fin. Tout comme le bonheur qui s’impose sur l’épuisement.

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LE SCÉNARIO

ARITZ EGEA | 5e POSITION 04:02:28

PHOTO © MARTINA VALMASSOI

Le sourire avant que son corps qui, comme d’habitude, avait tout donné, ne perde toutes ses forces.

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LE SCÉNARIO

ELI GORDÓN | 3e POSITION 04:41:01

PHOTO © FABIAN BODET

Un regard de concentration sur son visage. Savoir qu’aujourd’hui, en fin, c’est le jour. Sans regarder en arrière. Sans laisser place au doute.

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LE SCÉNARIO

IDA NILSSON 04:39:37

PHOTO © PIERRE RAPHOZ

Les sourires parlent d’euxmêmes. Des jambes fortes qui ont pu tenir le coup, une fois de plus, et à plusieurs reprises ces derniers mois.

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LE SCÉNARIO

STIAN ANGERMUND-VIK 3e POSITION

04:00:07

PHOTO © PIERRE RAPHOZ

Les bras levés. Un signe de satisfaction et des lunettes qui ne cachent pas les énormes efforts déployés.

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LE SCÉNARIO

MEGAN KIMMEL | 5e POSITION 04:55:05

PHOTO © FABIAN BODET

Surmonter ces jours où les choses ne se passent pas comme prévu. Il ne reste qu’à continuer la lutte jusqu’à franchir la ligne d’arrivée. Énorme. Tout un exemple.

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PHOTO © CHECHU ARRIBAS

LA THÉORIE DU CHAOS

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LE DIAPHRAGME

Photographies et texte : Chechu Arribas

font qu’il s’agisse d’expériences uniques et avec des résultats inattendus. La mécanique est simple. Il s’agit de trouver ce que vous savez faire, ce qui vous plait et surtout, ce qui vous arrache ce sourire qui révèle que vous êtes là où vous voulez être et que vous faîtes ce qui vous motive vraiment. Ces principes aussi fondamentaux régissent mes séries hivernales que j’ai dénommées « UP, DOWN & CONCEPTS ».

La théorie du chaos nous dit que le résultat de quelque chose dépend de différentes variables dont le comportement est impossible de prédire.

Un bon exemple est le ski alpinisme où le milieu est clé et souffrir pour monter fait partie du jeu. Profiter du chemin jusqu’à l’objectif est l’essence de ce processus lent où l’entourage est l’acteur principal.

C’est avec cette idée en tête que je compte développer les séances dans le milieu hivernal, où chaque jour, chaque rider, chaque alpiniste et chaque situation météorologique

Ce serait impossible de comprendre une grande partie des activités que j’ai réalisées si avant d’y parvenir nous n’avions pas lutté pour les faire, en profitant de chaque mètre.

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UP


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PHOTO © CHECHU ARRIBAS

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PHOTO © CHECHU ARRIBAS

CONCEPTS

L’alter ego de UP. La partie du jeu qui me semble la plus difficile à travailler et où je cherche l’intégration avec le milieu concerné à partir des descentes en poudreuse, où le rider et la neige se fondent en un seul. Peu importe si c’est sur des skis ou sur un snowboard, si on vole ou on descend à ras du sol... Pour satisfaire les attentes, il faut établir cette connexion entre l’acteur protagoniste, le milieu et ma vision de la photographie, ce qui est très souvent la partie la plus compliquée : dessiner dans l’appareil photo ce qui fut préalablement conçu dans ma tête. Dans ces séances, tout gravite autour des concepts suivants : la chute, l’air, la vitesse ou le flow, des états de connexion absolue où l’on parvient à l’intégration totale. Chercher les concepts rend mon travail souvent très motivant et parfois stressant, lorsque je ne les trouve pas, même si cette quête est probablement la partie la plus créative et passionnante du processus.

Les résultats sont imprévisibles, tel que l’affirme la théorie du chaos. Voici mon chaos personnel entouré du froid qui nous enveloppe, moi et mon appareil photo.

w w w. c h e c h u a r r i b a s . c o m

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FOTOGRAFÍA: © SWEET SHOT PHOTOS


© UTMB® | PHOTO: FRANCK ODDOUX

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FRANÇOIS D’HAENE P U R E

I N S P I R A T I O N

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Notre rencontre avec François D’Haene a été vraiment spéciale et stimulante. Remporter trois éditions de l’UTMB et de la Diagonale des Fous en dit long sur quelqu’un qui peut être considéré actuellement le meilleur ultra runner du monde. Dans cette conversation, nous parlons, bien entendu, sur la dernière édition de l’Ultra Trail du Mont Blanc, mais aussi sur une manière de sentir, de comprendre la montagne et la compétition, des aspects qui font de François une personne exceptionnelle. Merci François d’avoir partagé avec nous ta philosophie de vie et de montagne.

Cette conversation eut lieu en Septembre 2017 Texte : Arête du Diable

rançois D’Haene : Tu me vois bien ? [Notre conversation a lieu via Skype]. Arête du Diable : Non, je ne te vois pas. Toi tu me vois ? F : Oui, parfaitement. Deux secondes. Je vais essayer de régler ça. A : François, tout d’abord, merci d’avoir accordé cette interview à Kissthemountain. C’est tout un honneur pour nous. Félicitations aussi pour ton sacre magistral sur l’UTMB [Ultra Trail du Mont Blanc]. La course s’est déroulée d’une manière vraiment palpitante, surtout lorsque tu as franchi la ligne d’arrivée. F : Merci beaucoup, Juanmi. A : Nous reviendrons sur la grande boucle chamoniarde plus tard, je voudrais d’abord que nous parlions sur la montagne et ta relation avec elle. Quel est ton tout premier souvenir de cet entourage ? F : J’étais vraiment jeune. J’y suis

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allé avec mes parents. Nous avons passé un hiver ici aux Alpes. J’ai été absolument ébloui par un entourage aussi brutal et sauvage, et par la quantité de montagnes qui s’étalaient devant moi. A : La relation entre la montagne et toi date-t-elle depuis toujours ? F : Je suis né à Lille, au nord de la France. J’ai vécu avec mes parents aux Alpes au court âge de trois ans. Beaucoup de mes souvenirs se situent à Chambéry, tout près des Alpes. A : Te souviens-tu de ta première course de montagne ? F : Oui, tout à fait. Ma première course longue fut en 2006, le Tour des Glaciers de la Vanoise, environ 70 kilomètres. Avant j’avais fait des distances plus courtes. Un ami m’a encouragé à courir avec lui. Je me souviens d’avoir entraî-

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né énormément pour l’occasion. Nous n’avons pas commencé trop vite. On était peut-être en huitième ou neuvième position. Vers la moitié de la course, mon ami m’a dit qu’il me trouvait en pleine forme et il m’a encouragé à me battre pour les premiers postes. J’ai donc commencé à rattraper des positions pour finalement remporter la victoire. Je n’avais que 19 ans. Ce fut incroyable. Pour moi, c’était fou d’avoir complété une course de plus de 70 kilomètres. Puis, j’ai décidé d’aller plus loin et l’année suivante j’ai pensé à l’UTMB, mais j’étais trop jeune pour pouvoir participer. Je me suis alors inscrit à la CCC pour continuer mon aventure à l’ultra trail. Avant de me tourner vers le trail, j’avais fait de l’athlétisme depuis l’âge de sept ans. Beaucoup de cross et 3000 mètres steeples.


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© UTMB® | PHOTO FRANCK ODDOUX

À l’âge de 10 ou 12 ans, beaucoup de courses sur asphalte. Puis, à 14 ans, j’ai commencé à faire des courses dans la nature, à mi-chemin entre l’asphalte et le trail. Quand j’avais 16 ou 17 ans, je me suis concentré sur des épreuves modestes, mais toujours dans la montagne. A : Depuis, tes résultats ont été stupéfiants. Retour sur certains de tes moments forts : trois victoires éclatantes sur l’UTMB [2012, 2014 et 2017] et la Diagonale des Fous [2013, 2014 et 2016], la Vibram Hong Kong 100 [2016], la Madeira Ultra Trail [2017], l’Ultra Trail Mont Fuji [2014], la Tarawera Ultra [2013], etc. Tout un exploit ! Tu es considéré par beaucoup comme le meilleur ultra runner du monde. Tu as tout gagné. Comment faistu pour garder ta motivation ? F : Entre 2006, avec ma victoire au Tour des Glaciers de la Vanoise, et 2012, j’ai couru de manière très progressive. Environ une course importante par an. J’aurais pu courir plus, mais je n’avais pas envie de perdre ce goût, cette motivation, l’état d’esprit ou l’énergie. En 2012, j’ai remporté l’UTMB et en 2013 la Diagonale des Fous. En 2014, j’ai voulu faire plus d’ultra trails dans la même année. Je ne pensais pas tellement à les gagner, même si finalement j’ai remporté la victoire à l’UTMB, la Diagonale des Fous et l’Ultra Trail Mont Fuji. M’aligner sur trois grandes courses dans la saison me semble bien plus que suffisant. Cette saison, par exemple, j’ai participé à la Madeira Ultra Trail, la Maxi Race Ultra et l’UTMB [François a remporté trois victoires sur ces trois rendez-vous], puis d’autres courses

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plus petites pour m’entraîner. C’est fini pour cette année. Je vais m’embarquer dans un projet, mais cette fois ce n’est pas une course. Pour garder ma motivation, je ne participe pas à trop d’épreuves, je prends le temps de bien récupérer et de planifier très bien la saison avec peu d’objectifs. Ceci implique un haut niveau de stress et beaucoup de travail de préparation. Avant l’UTMB la pression médiatique a été très forte. Souvent les gens ne s’en rendent pas compte. Il existe un grand nombre d’athlètes qui ont fait beaucoup de courses dans le passé et qui A : Tu as déjà mentionné la pres- mances ». Peux-tu nous en parne sont plus là. Pour moi, l’essen- sion et le stress qu’impliquent ler un peu plus ? tiel est de bien choisir les courses de gagner ces grandes courses, F : Pourquoi est-ce que j’ai attenet de savoir quand s’arrêter. C’est comme l’UTMB. Et je te cite : du trois ans pour retourner à l’UTindispensable pour garder le plai- « Malgré le stress, la pression et MB, après ma victoire en 2014 ? Si sir. Je l’ai fait ainsi avec l’UTMB. la standardisation de la vie d’un j’étais revenu l’année juste après, J’ai gagné en 2012 et 2014, puis athlète d’élite, j’essaie de ne pas j’aurais eu en tête ma victoire de je n’y suis rel’année prétourné qu’en cédente avec « Pourquoi est-ce que j’ai attendu trois ans pour 19 2017. J’aime heures. bien laisser Trois ans plus retourner à l’UTMB, après ma victoire en 2014 ? Si un peu de tard, ma tête j’étais revenu l’année juste après, j’aurais eu en tête et mon corps temps pour retrouver la ma victoire de l’année précédente avec 19 heures. se sont prémotivation. parés pour Trois ans plus tard, ma tête et mon corps se sont réessayer. Je A : Je vois bien, Franpréparés pour réessayer. Je n’aurais pas eu le même n’aurais pas çois. Revieneu le même esprit si j’avais participé l’année suivante, dans le but esprit si j’avais dras-tu à l’UTMB ? participé l’ande remporter la victoire ou de battre un record ». F : Peut-être, née suivante, je ne sais pas dans le but de encore. C’est possible que j’y retourne me laisser influencer et de rester remporter la victoire ou de battre avec une motivation différente, ou moi-même, naturel, selon mes un record. De cette manière, mon peut-être avec la même, je ne sais pas. propres valeurs. En restant fidèle objectif cette année était de faire Mais l’année prochaine, je ne crois pas. à moi-même, je crois trouver un de mon mieux, sans plus. Profiter la C’est comme la Diagonale des Fous. plaisir émotionnel très intense, course. Cette année, à la ligne de J’adore cette course et je l’ai remportée nourrissant et complémentaire départ, je me disais que j’allais tout trois fois. Peut-être un jour, je reprendrai au plaisir physique, qui se reflète simplement faire de mon mieux, et ce départ. dans ma pratique et mes perfor- que pendant la course, je pourrais

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jouer avec ma position et donner le maximum jusqu’à la fin. Même si j’étais arrivé en cinquième, sixième, voire dixième position, ça aurait pu être quand même la meilleure course de ma vie. J’essaye de me concentrer sur mon corps et sur moi-même. Tous ceux qui finissent l’UTMB sont des vainqueurs. Commercer à Chamonix, traverser trois pays, 10 000 mètres de dénivelé positif, la nuit et la neige... C’est incroyable. Une sacrée aventure. C’est ça ce qu’il faut retenir quand on fait un ultra trail. A : As-tu alors commencé l’UTMB 2017 dépourvu de toute attente ? Peut-être pas gagner, mais même pas un podium ? F : Je savais que mon état de forme était bon, que tout allait bien... Ma famille, mes amis... Il suffisait de faire de mon mieux, sans attentes. J’insiste : avec une cinquième position, j’aurais été tout aussi heureux. Je voulais donner mon maximum. Quand je me suis retrouvé à courir aux côtés de Kilian [Jornet] et Jim [Walmsley] je pensais « C’est cool. Quelle chance ». Combien de traileurs aimeraient-ils être à ma place ? Puis, du coup, je les avais devancés et j’étais en première position. Combien de gens rêveraient de faire ça ? J’ignorais combien ça pouvait durer. Je n’avais qu’à profiter du moment et à essayer de bien gérer la course. A : François, pourquoi fais-tu des courses de montagne ? Que représente ce sport pour toi ? F : C’est ma forme de vie. Tout simplement. Pour moi, franchement, c’est le meilleur sport. Lorsque je faisais de l’athlétisme et que j’allais faire du ski, du cyclisme ou de l’alpinisme, je

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savais que ceci n’était pas tout à fait bon pour ma performance  ; tandis qu’avec le trail, quand je fais du vélo ou un autre sport, je sais bien que cela contribue à mon entraînement. N’importe quel sport de montagne ou outdoor est bon pour le trail running. Je trouve tout aussi plaisant d’entraîner dans la montagne que de participer aux courses. Pour moi c’est « important de profiter de ma p ré p a r a t i o n tous les jours, voilà pourquoi je fais du trail. Je me sens libre pour faire ce que je veux : être à la montagne. J’aime y être sans savoir où mes pas me mènent, et découvrir ainsi de nouveaux chemins et sentiers. A : Je reprends encore tes mots, François. Concernant la dernière UTMB, tu déclarais : « Je ne faisais

pas attention au chrono ou à la course de Kilian, je restais concentré sur moi. Je savais qu’on avait 40 minutes d’avance sur les autres coureurs. Je me suis proposé de ne pas penser à Kilian, et d’être capable de garder un avantage d’au moins 20 minutes par rapport aux autres. Je faisais ma course en fonction des autres coureurs, et non pas en fonction de Kilian ». Cette déclaration est très intéressante. Quand as-tu pensé que tu pouvais t’imposer en patron ? F : Quand nous sommes arrivés à Courmayeur [Km. 78], je me suis aperçu que Jim Walmsley était en très bonne forme, et que s’il échappait, je ne le reverrais peutêtre pas. J’ai alors foncé un peu mais avec précaution. Je suis parti avec lui en croyant que Kilian nous rattraperait dans la descente suivante, mais quand nous sommes

près. En arrivant au sommet de Col Ferret [Km. 100 environ] les gens me disaient que Kilian était à huit minutes. Il avait peut-être des difficultés. Mais je me suis efforcé de ne pas y penser et de continuer. J’ai vu que Jim n’allait pas du tout bien. Je suis resté avec lui parce que les conditions climatiques étaient difficiles, mêlant froid, brouillard, pluie et neige. On ne voyait rien à plus de dix mètres. Il faisait très froid et je ne voulais pas me perdre à cause du mauvais temps. Jim m’a dit que j’avais l’air bien et que je devais filer. Et je l’ai fait ainsi. Puis, les gens continuaient à me dire que Kilian se trouvait à 7 ou 8 minutes. Je pensais qu’il allait me rattraper et que nous continuerions ensemble. Mon objectif était alors

Quand je me suis retrouvé à courir aux côtés de Kilian [Jornet] et Jim [Walmsley] je pensais « C’est cool. Quelle chance ». Combien de traileurs aimeraient-ils être à ma place ? Puis, du coup, je les avais devancés et j’étais en première position. Combien de gens rêveraient de faire ça ? J’ignorais combien ça pouvait durer ». arrivés au sommet, Kilian n’était pas encore là et Jim accusait le coup. J’ai décidé de foncer pour continuer à grappiller des minutes parce que Kilian devait être tout

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© UTMB® | PHOTO FRANCK ODDOUX BY KISSTHEMOUNTAIN

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de conserver l’écart avec le coureur qui était en troisième position. J’ai alors décidé de rester concentré tout en faisant très attention au terrain. Je suis alors arrivé à Champex [Km. 123] et j’ai vu que Kilian ne me suivait pas de près. J’ai commencé à penser qu’il n’allait peutêtre pas me rejoindre. « OK, je le verrai sûrement au prochain poste de ravitaillement. Concentre-toi sur ton rythme et oublie Kilian » À Trient [Km. 140], l’écart par rapport à Kilian s’était creusé. À nouveau, j’ai pensé que j’avais des chances de gagner, ou au moins d’arriver en deuxième position. C’était un rêve. C’est alors que j’ai décidé de travailler dur et de prendre les rênes de la course. Plus tard, on m’a dit que la distance entre nous grandissait encore. « Je peux peutêtre jouer avec cet écart et gagner l’UTMB pour la troisième fois ». A : Qu’as-tu « senti à ton arrivée à Chamonix ? F : À La Flégère [Km. 160 environ] j’ai compris que c’était fait. Je n’avais qu’à attaquer la descente finale. De La Flégère à Chamonix il y a quarante minutes. Tellement d’amis s’étaient réunis sur cette partie du parcours. Ce fut très touchant, j’ai même pu parler avec certains. Chamonix c’est différent, même si l’ambiance est très accueillante, on ne connait pas les gens. C’est très émouvant aussi, mais peut-être un peu moins. À la ligne d’arrivée, on revoit à nouveau

ses proches, la famille. C’est à la fois très émotionnel et très familier. Un moment incroyable. Très difficile à décrire. Pendant 10 minutes, à la ligne d’arrivée, tout le monde m’appelait... A : Est-ce que tu as pleuré ? F : Je ne me souviens pas [rires]. Peut-être pas avec des larmes, mais j’étais vraiment ému. A : J’ai vu les images avec ta famille et elles touchent vraiment au cœur. F : Ouf ! A : Maintenant tu vas faire la traversée du John Muir en Californie [plus de 330 kilomètres et 14 000 mètres de dénivelé positif]. Cette fois-ci ce n’est pas une course de compétition, n’est-ce pas ? F : Non. C’est quelque chose de tout à fait différent. A : Tu cherches quoi ?

Ça fait partie de ma philosophie de montagne. Loin des montagnes, je ne serais pas heureux. J’ai besoin d’y passer autant de temps que possible. Je me sens libre. Mettre mes chaussures de trail et sortir sans planifier le temps ni la route, me laisser aller... ».

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F : Me découvrir moi-même dans une course de longue distance. Ce sont plus de trois jours dans la montagne, l’équipement, la nourriture, l’altitude... J’ai hâte aussi de découvrir cet endroit extraordinaire. On dit que c’est le plus beau trail des États-Unis. Je veux bien le connaître. Découvrir le paysage et me découvrir moi-même. Puis, le partage avec mes potes. Ceci

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PHOTO © J. M. MUÑOZ EGEA

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© UTMB® | PHOTO: PASCAL TOURNAIRE BY KISSTHEMOUNTAIN

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est très important aussi. Mon frère, ma femme et trois grands amis. Ils partageront cette expérience avec moi. C’est une opportunité formidable pour tous. Ce défi me stimule énormément. A : Tu cherches un chrono ? F : Oui. 3 jours et 7 heures est le chrono à battre. Ceux qui connaissent bien ce projet pensent que je peux faire plus vite, fixer un nouveau record. Je vais essayer, mais ce n’est pas l’objectif principal. Si je réussis super, mais si je n’arrive pas à battre le chrono o à finir le parcours, j’aurais quand même appris énormément. J’ai envie de me découvrir moi-même et de partager l’expérience avec mes amis. A : Quand est-ce que tu as commencé ta relation avec Salomon ? Te souviens-tu du premier contact ? F : Cela fait huit ans. Jean Michel Faure [Team Manager de Salomon France] m’a téléphoné. Il m’a dit que, même si j’étais très jeune, je courais déjà depuis un bon moment et qu’il voulait savoir si cela m’intéresserait de rejoindre le Team Salomon et de grandir ensemble. Au début j’avais mes doutes et je le lui ai dit ainsi. Je voulais être libre, choisir les courses sur lesquelles j’allais m’aligner, tout comme mon équipement. Pour moi, trail est synonyme de liberté. Je lui ai dit que j’avais peur de perdre cette liberté. Ma réponse lui a bien plu et il a répondu qu’il aimerait me rencontrer pour parler plus lon-

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guement. Il n’avait aucune intention de limiter ma liberté, il voulait juste me donner la possibilité d’avoir son matériel et ce dont je pourrais avoir besoin, mais il tenait aussi à ce que je reste moi-même, sans renonces. « Tu feras comme tu voudras. Tu choisiras tes courses comme jusqu’à présent ». Et ils ont complètement respecté cela. Je suis toujours libre pour faire du trail à ma manière. A : François, je te cite encore une fois pour finir [extrait de www. calisthenicsmag.com] : « Ce qui m’inspire c’est la nature, les montagnes et l’aventure dans son ensemble. Ce que je sens quand je suis libre et j’enchaîne un sommet après l’autre ou je traverse une arête. La possibilité de découvrir de nouvelles choses, avec ou sans effort ». F : Ça fait partie de ma philosophie de montagne. Loin des montagnes, je ne serais pas heureux. J’ai besoin d’y passer autant de temps que possible. Je me sens libre. Mettre mes chaussures de trail et sortir sans planifier le temps ni la route, me laisser aller... Il y a tellement de possibilités. Tellement de montagnes dans le monde. Elles sont infinies. A : Merci beaucoup, François. Discuter avec toi a été vraiment inspirateur et très agréable. F : Merci à toi et merci à Arête du Diable.

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PHOTO COUVERTURE Dent Blanche © Kilian Jornet Numéro [001]. Abîme. Septembre-Octobre 2018 ÉDITÉ PAR Kissthemountain www.kissthemountain.com aretedudiable@kissthemountain.com RÉDACTEUR EN CHEF Juanmi Ávila juanmi@kissthemountain.com DIRECTION ARTISTIQUE Kiko Cardona kiko@kissthemountain.com PUBLICITÉ aretedudiable@kissthemountain.com (+34) 670013576 ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Alexis Berg Chechu Arribas PHOTOGRAPHES Jordi Saragossa Kilian Jornet Alexis Berg Heinz Zak Javipec Pavel Blazek Martina Valmassoi Fabian Bodet Pierre Raphoz Franck Oddoux J. M. Muñoz Egea Pascal Tournaire Chechu Arribas

© Arête du Diable. Tous droits réservés : oeuvre protégée au titre du droit d’auteur. Reproduction partielle ou totale interdite. Arête du Diable est édité par Kissthemountain.

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PHOTOGRAPHIE D’ARCHIVES KTHEM


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FOTOGRAFÍA © PARALELO 70 | ALWAYS EXPLORING

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