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Récits des îles Solovki : victimes et bourreaux Un récit sur l’ancien goulag met côte à côte les souvenirs des occupants de ce lieu de légende. P. 7
L’appel du vert Les Russes plébiscitent plus que jamais leur datchas, ces modestes résidences secondaires traditionnelles. P. 8 © LORI/LEGION MEDIA
Ce supplément est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Moscou, Russie) qui assume seule l'entière responsabilité de son contenu Mardi 28 juin 2011
LOISIRS
Les nouveaux prolétaires eurasiens
Un activiste écolo part en guerre contre le plastique
© IVAN AFANASIEV
Champion du recyclage dans un pays qui le pratique peu, Roman Sablin s’est rendu célèbre à Moscou en transformant son appartement du centre-ville en vitrine d’un mode de vie radicalement vert. La visite est ouverte à tous les Moscovites soucieux de l’environnement. © URY KOZYREV
Ils sont des millions à venir chercher du travail dans la capitale russe. Des millions affluant des anciens pays satellites de l’URSS :
Kirghizstan, Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan. Ils travaillent comme taxi, éboueurs, nettoyeurs, manoeuvres sur les
chantiers. Leurs salaires sont misérables, mais c’est toujours mieux qu’à domicile. Ils vivent à dix dans des appartements de deux pièces.
Le miracle russe vient à la dernière minute
La nageuse nue et les Bélougas
Sandra Vermuyten et Bruno Stoefs sont un couple au bureau et à la ville. Tous deux originaires d’Anvers, ils ont monté il y a trois ans à Moscou l’agence de communication BOOMBOOM. LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
L’agence du couple belge se spécialise dans les segments de l’art contemporain, de la mode et de l’événementiel. Trois ans après ses débuts, BOOMBOOM aligne déjà une impressionnante liste de gros clients.
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Revue de presse : drôle d’embargo
Le championne russe de plongée en apnée Natalia Avseïenko se prépare à plonger dans l’Arctique pour une nage avec deux
bélougas. Natalia ôte tous ses vêtements en dépit du fait que la température de l’eau n’est que de 1,5 degré Celsius.
Mission impossible ?
Défi aéronautique
Survivre à Gazprom
Il faut décentraliser, arracher le pouvoir et les affaires des pattes des bureaucrates, estime Dmitri Medvedev. Mais le président russe avoue n’être pas certain de pouvoir atteindre ce but.
Moscou pousse trois projets d’appareils destinés à relancer l’aviation civile russe, dont le premier est déjà commercialisé. Quitte à défier les géants internationaux Boeing et AIrbus.
L’ethnie des Nénètses a résisté au froid et à l’assimilation forcée par les autorités soviétiques. Aujourd’hui, elle tente d’exister malgré l’extension de l’exploitation gazière.
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L’éditorialiste Stanislav Minine plaide pour un engagement des responsables politiques sur les droits des « gays », jugeant la société russe réceptive aux minorités, y compris en matière d’orientation sexuelle.
© VIKTOR LYAGUSHKIN
EMMANUEL GRYNSZPAN
« Nous avons démarré au plus fort de la crise », se souvient Sandra. Rien d’étonnant, car les économistes soulignent que toute crise crée de formidables opportunités. « Les employés étaient moins gourmands question salaires, le loyer moins cher » et surtout, curieusement, « plusieurs concurrents ont choisi ce moment pour faire un long break et partir en vacances plusieurs mois. Du coup, nous avons récupéré leurs clients ! » En 2009, l’agence a démarré fort avec plusieurs gros événements comme l’ouverture de
Il est temps de dire non à l’homophobie
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PHOTO DU MOIS
Strelka, une ancienne friche industrielle reconvertie en galeries d’art très courues ; la foire d’art contemporain Art Moscow. Deux grands groupes internationaux ont passé de gros contrats avec BOOMBOOM, ce qui a donné le Lexus Hybrid Art Festival et une série d’événements pour le producteur de tabac Parliament. Aujourd’hui, BOOMBOOM, ce sont huit employés, plus quelques travailleurs indépendants. « Nous créons un poste environ tous les six mois », explique Sandra. Fin juillet, ils préparent une exposition photo dans un centre de design tout juste inauguré. L’exposition sera consacrée aux clichés africains du photographe italien Gianni Giansanti.
OPINIONS
Ce sont eux qui ont changé le visage de Moscou.
Communication Rencontre avec une agence qui monte
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© REUTERS/VOSTOCK-PHOTO
Face à l’embargo sur tous les fruits et légumes importés d’Europe après la crise de la bactérie E. coli, la presse russe s’interroge sur les véritables motifs du Kremlin, au-delà des considérations sanitaires. PAGE 6
PAGE 5 © ALAMY/LEGION MEDIA
© REUTERS/VOSTOCK-PHOTO
28 Juin /
LAISSEZ-NOUS VOUS PRÉSENTER LA RUSSIE ! www.larussiedaujourdhui.be tous les derniers mardis du mois dans Le Soir
26 Juil let
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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.BE SUPPLÉMENT RÉALISÉ PAR ROSSIYSKAYA GAZETA ET DISTRIBUÉ AVEC
Politique & Société
Immigration Ils sont des millions à venir d’Asie Centrale pour travailler
Ex-URSS La minorité russe se dissout
Ce prolétariat eurasien qui fait tourner Moscou
Absorption inéluctable au Kazakhstan
Du déneigement aux chantiers de gratte-ciels, les ressortissants des anciennes républiques socialistes occupent tous les emplois pénibles à cause du déficit de main d'oeuvre.
Le processus d'assimilation de la minorité russe s'accélère au Kazakhstan. Sans heurts, mais certains Russes vivent cependant avec leurs valises toutes prêtes. Au cas où...
sation », depuis 2001, accroissent l’utilisation du kazakh comme langue principale du gouvernement , indique un rapport du Groupe international du droit des minorités (MRGI). « C’est un obstacle pour accéder à l’éducation et à l’emploi dans la fonction publique pour une partie significative de la minorité russe ». Inversement, tandis que la culture russe a imprégné le Kazakhstan durant les trois derniers siècles, les Russes d’Asie centrale ont également absorbé les coutumes locales telles que l’hospitalité généreu-
GALINA MASTEROVA LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
CLARE NUTTALL
Attrapez un de ces taxis sauvages qui sillonnent les rues de Moscou, il y a de fortes chances que le conducteur soit un jeune d’Asie centrale, peut-être un Moldave fraîchement débarqué à qui vous devrez vous-même indiquer la route, même pour aller sur la Place Rouge ! Les migrants des anciennes républiques soviétiques n’ont pas besoin de visas et se ruent vers Moscou pour y chercher du travail, et les entreprises russes embauchent volontiers une main d’œuvre bon marché. Le Service fédéral des migrations (FMS) estime qu’environ 1,7 million d’étrangers entreront en Russie pour travailler légalement en 2011, alors que trois à quatre millions de sans-papiers sont déjà présents dans le pays. Ils déblayent la neige et ramassent les ordures, construisent les tours de verre et d’acier de la capitale. Elles vendent sur les marchés, nettoient les toilettes et les passages souterrains, et sortent les poussettes dans les parcs. Bakhyd Asilbekulu, 21 ans, est arrivé de Osh, au Kirghizstan, pour travailler comme nettoyeur sur un marché de Moscou, pour 15 000 roubles (370 euros) par mois. Dans un foyer non loin de là, il partage une chambre avec plus d’une douzaine de ses compatriotes. Bakhyd, qui a russifié son nom en Boria, prévoit de rentrer au Kirghizstan en décembre, mais « s’il n’y a pas d’argent, je reviendrai à Moscou ». L’immigration en provenance des anciennes républiques soviétiques, surtout d’Asie centrale, est générée par le contraste entre la pauvreté de leurs pays d’origine et une Russie en plein essor qui manque de main d’œuvre. La population russe, actuellement de 143 millions, pourrait baisser de 40 millions d’ici à 2050, selon les démographes. « Tous les ans, la Russie perd un million de citoyens en bonne santé », explique Lidia Grafova, conseillère à la commission d'Etat sur les migrations. En 2030, l’économie russe aura besoin de 30 millions d’immigrés supplémentaires, estimeViatcheslav Postavnine, ancien directeuradjoint du FMS et président du fonds Migration du XXIe siècle,
À Almaty, le parc Panfilov est un endroit de prédilection pour passer un après-midi d’été. À l’ombre de la cathédrale de Jenkov, la deuxième plus haute construction en bois au monde, des foules d’adolescents et de jeunes familles kazakhes chantent au karaoké, mangent des glaces et tentent leur chance aux attractions foraines. Les femmes qui entrent dans la cathédrale en nouant un foulard autour de leur tête sont majoritairement issues de la population russe vieillissante. La composition ethnique du Kazakhstan a changé drastiquement depuis l’indépendance. Les Kazakhs étaient alors minoritaires dans leur propre pays. Deux décennies plus tard, la population du Kazakhstan est composée de 63,1% de Kazakhs et seulement 23,7% de Russes. L’exode était massif durant les années 1990. Il se poursuit, mais à un rythme désormais très lent. La population russe est vieillissante, leur natalité est moindre que celle des Kazakhs. Le Kazakhstan était un cas à part au sein de l’ex-URSS. Avant qu’une frontière ne soit établie entre la Russie et le Kazakhstan, presque rien ne distinguait le nord de la république et la Sibérie méridionale. Les libertés politiques sont certes limitées au Kazakhstan mais la nécessité de maintenir la paix s’est soldée par une politique des nationalités qui, sans contenter tout le monde, est reconnue pour être sensée et tournée vers l’avenir. Nadejda, professeure de russe à Almaty, assure que les Russes et les Kazakhs vivent en paix. « Mais les politiques ont changé », ajoute-telle. « Avant, les Russes étaient le grand frère qui aidait le frère cadet. Aujourd’hui tout est renversé ». Néanmoins, quelques Russes occupent de hautes fonctions gouvernementales, notamment le premier ministre Karim Massimov (d'ethnie Ouïghoure) et le gouverneur de la banque centrale Grigori Martchenko (d'origine ukrainienne). « Bien que la constitution place le russe à égalité avec le kazakh, les lois et programmes de la « kazakhi-
Les travailleurs immigrés produisent 10% du PIB russe mais sont souvent exclus des emplois légaux.
un groupe de soutien. « Sans les immigrés, le mètre carré [d’immobilier] coûterait le triple, les routes, le double », a-t-il précisé lors d’une conférence de presse au mois de mai, ajoutant que « 10% du PIB sont générés par les migrants ». Plus tôt dans l’année, le FMS a annoncé ses projets de simplification des processus d’immigration en augmentant le nombre de résidents légaux autorisés et en facilitant l’accès à la citoyenneté pour ceux qui voudraient s’installer définitivement en Russie. Konstantin Romodanovsky, président de l’agence des migrations, a également déclaré qu’il voulait éliminer la corruption qui oblige souvent les immigrés à payer des pots-de-vin pour se frayer un chemin à travers la jungle bureaucratique et légaliser leur statut. « C’est compliqué de franchir chaque étape sans payer un pot-devin », confirme Grafova. Malgré la crise démographique, ces mesures ne font pas l’unanimité. Selon un sondage de l’agence Politex, 86% des Moscovites veulent un contrôle plus strict de l’immigration. Olga Kirsanova, 52 ans, une femme de ménage dans un hôtel de la capitale, exprime une hostilité assez typique. « La criminalité augmente et ils nous prennent tout notre travail, dit-elle. On ne peut pas vraiment fermer les frontières, mais il faut des restrictions ».
Quels emplois occupent les immigrés ?
La mégapole du travail clandestin Moscou est de loin la ville la plus peuplée d’Europe, avec un chiffre officiel de 11,5 millions d’habitants. Les autorités concèdent toutefois que le nombre réel est bien supérieur, quelque part entre 13 et 17 millions. L’absence de statistiques fiables sur le nombre d’immigrés résidant de manière illégale constitue un gros problème pour les autorités municipales. En toute logique, les habitants clandestins n’ont
pas du tout participé au recensement de 2010. Ces dernières semaines, la police a découvert plusieurs campements importants de travailleurs illégaux. Un village souterrain a même été découvert sur le site d’une usine militaire. Plusieurs centaines de clandestins y ont construit des habitations souterraines, avec électricité, eau courante et même un petit élevage de chèvres...
La domination de la langue kazakhe montre que la question russe se réglera sans intervention forcée se et l’habitude de boire le thé dans des « pilouchki » (des petits bols). « Nous ne sommes plus des Russes, mais pas encore des Kazakhs », dit Nadejda. Alors que le Kazakhstan se porte mieux économiquement que le reste de l’Asie centrale, les Russes ont des raisons de rester. Les perspectives d'emploi sont meilleures à Almaty que dans les villes sibériennes dans lesquelles on encourage les Russes à s’installer. Toutefois, la situation démographique du Kazakhstan évolue. Le déclin de la population russe et la domination croissante de la langue kazakhe indiquent que la question se réglera sans intervention des autorités. Les Russes qui restent au Kazakhstan sont voués à l'absorption.
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LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
Les Russes représentent 23% de la population du Kazakhstan
Réformes Le Kremlin réalise qu'il a concentré trop de pouvoir à Moscou et entre les mains d'une administration inefficace
Dégonfler la bureaucratie et décentraliser : mission impossible ? Dmitri Medvedev veut opérer une rotation des hauts fonctionnaires et transférer les administrations hors de Moscou. Mais il ignore s'il mettra luimême en œuvre ce programme. MAXIME GLINKINE, NATALIA KOSTENKO
Lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, le président russe a présenté le programme de développement du pays pour les prochaines années. Le système d'administration d'État en vigueur ces dix dernières années, où l'on ne bouge qu'au signal du Kremlin,
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VEDOMOSTI
Medvedev à Saint-Pétersbourg.
n'est pas viable, et doit être remplacé au plus vite, estime Dmitri Medvedev : derrière la fameuse "stabilité" se cache la stagnation. Medvedev a annoncé une politique de décentralisation du pouvoir et de transfert d'une partie des fonctions aux régions et aux municipalités. Dans un premier temps, il faut apporter des corrections dans la sphère de la fiscalité et au sein des relations inter-budgétaires. Or, la planification quinquennale constituera l'épine dorsale du programme électoral du Front Populaire Panrusse (FPP) de Vladi-
mir Poutine (censé rassembler les sans-parti autour du parti du pouvoir Russie Unie, ndlr), a indiqué son concepteur Nikolaï Fedorov. Medvedev, quant à lui, compte limoger les fonctionnaires et représentants des forces de l'ordre corrompus et recouvrer les sommes détournées. Le président a l'intention de réduire considérablement, de 20%, les effectifs de l'appareil d'État et du ministère de l'Intérieur. Rien que la diminution du nombre de bureaucrates, comme l'a indiqué le vice-Premier ministre Alexeï Koudrine lors du forum, permettra d'éco-
nomiser un milliard d'euros dans le budget triennal. Le président a coupé l'herbe sous le pied des fonctionnaires fédéraux en annonçant le transfert des institutions d'État hors des limites de Moscou. Le chef adjoint de l'appareil de la Douma, Iouri Chouvalov, a déclaré que les députés et sénateurs pourraient eux aussi quitter le centre de Moscou avec les fonctionnaires fédéraux, afin de s'installer dans un nouveau centre parlementaire. Mais les paroles de Medvedev laissent transparaître qu'il n'est pas certain que ce sera lui qui mettra en œuvre ces initiatives. Le programme doit fonctionner indépendamment des personnes qui seront aux commandes du pays ces prochaines années. D'après les déclarations du président et de son personnel, il ressort que la conception de nombreuses initiatives n'a pas été
totalement achevée. Dans un premier temps, Medvedev a annoncé que le Centre financier international pourrait être hébergé au coeur de Moscou, dans des locaux libérés par les institutions étatiques, mais le président de Sberbank Guerman Gref lui a proposé de le transférer au-delà du périphérique, ce qui a été approuvé. Le programme de Dmitri Medvedev ne signifie pas la destruction du système actuel. En réalité, ces projets n'ont une chance de réussir que si la verticale du pouvoir est maintenue, affirme l'analyste politique Dmitri Orlov. La différence entre la rhétorique du Front populaire de Poutine et celle de Medvedev peut être aussi expliquée par des cibles différentes : les soldats du "front" s'adressent à l'électorat, Medvedev émet des signaux vers les élites et les investisseurs étrangers.
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Politique & Société
Miracle... au tout dernier moment « Notre activité connaît une croissance rapide ». Leur démarrage rapide s’explique aussi par le fait que Sandra travaille en Russie depuis 1998. Après avoir travaillé auprès de la représentation de l’ONU à Moscou et au sein d’une agence russe, elle s’était déjà créé un gros carnet d’adresses aussi bien en Belgique qu’à Moscou et dans la sphère diplomatique. « À un moment donné, nous avons compris qu’on avait constitué un carnet suffisamment important pour travailler seuls ». « Nous avions déjà une réputation à Moscou » raconte Bruno, qui s’y est installé pour de bon en 2008. « Nos services étaient et sont compétitifs car nous sommes une petite structure avec des prix plus abordables que les grosses agences, qui ont tout de suite des gros coûts de fonctionnement ». BOOMBOOM réalise 40% de son chiffre d’affaires dans la mode, tandis que ses deux autres activités, l’art contemporain et l’événementiel représentent 30% chacun. « Dans le futur, nous allons développer une quatrième activité, celle du design », précise Bruno, qui rappelle que l’opération autour [du designer anglo-égyptien] Karim Rashid et du lancement de son projet MOD Design a été un très gros succès. « Nos activités vont aussi sortir du cadre de la communication proprement dite pour aller vers la formation », poursuit Bruno. Leur expérience avec de grandes compagnies
« La communication d'entreprise n'est pas en retard ici, elle est même en avance dans certains secteurs » « La connaissance des langues étrangère est largement insuffisante en Russie. Peut mieux faire ! » sibilisation à l’art contemporain pour les cadres moyens au sein d’entreprises qui se lancent dans des programmes de mécénat. « Notre approche vise à améliorer la communication interne d’une entreprise et à créer une culture propre à chaque société », résume Bruno. La communication d’entreprise serait-elle en retard en Russie ? « Pas dans des secteurs comme le BTP ou la finance », répond Sandra. « Ils seraient même plu-
tôt en avance, surtout en termes d'organisation. Mais, suivant les secteurs, il existe de fortes disparités, comme en Belgique, d’ailleurs ». Quant au déficit d’image du pays en général, Sandra comme Bruno le trouvent totalement injustifié. « Les médias sont largement responsables de cette mauvaise image », estime Sandra. « Notre rôle est d’améliorer la coopération pour qu’on se comprenne mieux ». « Tout le monde a peur de la Russie », constate Bruno « et c’est parce qu’ils ne comprennent pas ou ne savent pas ce qui se passe ici. Les étrangers qui viennent pour la première fois sont toujours surpris positivement par la réalité russe. Il faut juste faire attention à ne pas tomber sur le mauvais guide ». Auraient-ils chaussés des lunettes roses ? Non. « Il y a des choses qui ne vont pas » convient Bruno : « Si la poste et l’administration russes travaillaient mieux… ». Sandra enchaîne « et la connaissance des langues étrangères est largement insuffisante… peut mieux faire ! » Un point qui ne laisse pas d’étonner le duo belge, c’est la facilité avec laquelle les Russes supportent le stress dans la préparation d’un événement. « Les préparatifs sont trop souvent achevés à la dernière minute !» s’exclame Sandra. Confrontés à cette situation, les Européens ont tendance à céder à la panique. « Et pourtant, au tout dernier moment, les choses fonctionnent. Le miracle russe se réalise ! » sourit Sandra.
EN BREF Moscou investit 37M d'euros dans l'éducation Les autorités de la capitale russe envisagent de verser plus de 1.500 milliards de roubles (plus de 37 millions d'euros) au cours des cinq ans à venir pour le développement de l'éducation, a annoncé le maire de Moscou Sergueï Sobianine. « Nous envisageons une hausse des investissements dans l'éducation à l'horizon 2016 », a dit Sobianine. « L'amélioration de la qualité de l'éducation est l'objectif clé du programme », a insisté le maire, qui a ajouté que plusieurs établissements seraient rénovés.
Revers judiciaire pour le leader Tchétchène
ARCHIVES PERSONNELLES
comme Lexus ou Parliament leur a appris qu’il existait souvent un grand déficit de communication au sein des sociétés russes. « La direction est en général composée d’expatriés internationaux tandis que le mid management est russe. Souvent il existe de vraies barrières culturelles et linguistiques qui doivent être franchies pour mener à bien les projets », souligne Sandra, qui imagine des programmes de sen-
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Sandra et Bruno travaillent ensemble à Moscou depuis 2008.
Un juge de Moscou a déclaré le défenseur des droits de l'homme Oleg Orlov non coupable de diffamation à l'encontre du leader Tchétchène Ramzan Kadyrov. Orlov, directeur de l'ONG Memorial était accusé de diffamation pour avoir accusé Kadyrov d'avoir organisé le meurtre de l'activiste Natalia Estemirova en 2009. Peu avant le crime, Kadyrov avait qualifié Estemirova de « femme sans honneur ». Estemirova critiquait sévèrement la politique de Kadyrov en Tchétchènie et enquêtait sur ses exactions présumées.
Fortunes Les disparités dans la répartition des richesses s'observent à tous les niveaux
Pas assez de millionnaires, trop de milliardaires La Russie est un des cinq pays comptant le plus de milliardaires. Mais en terme de millionnaires, le résultat est beaucoup moins bon.
CHIFFRE CLÉ
560 Plus de 560 foyers russes disposent d'une fortune dépassant les 100 millions de dollars.
© REUTERS/VOSTOCK-PHOTO
Selon le rapport Global Wealth 2011, plus de 560 foyers russes disposent d’une fortune dépassant les 100 millions de dollars. Malgré ces chiffres, la Russie ne fait pas partie du top-15 des pays qui comptent le plus grand nombre de grosses fortunes par habitant. En outre, l’étude montre que l’écart entre les plus riches, les moins riches et la classe moyenne est abyssal. Le pays connaît un déficit de « millionnaires ordinaires », à la tête d’une fortune d’au moins 1 million de dollars. Selon les estimations de BCG, ces ménages représentent moins de 1% de la population russe. Le leader mondial ? Singapour et son « miracle économique ». Il est le pays qui concentre le plus grand nombre de millionnaires, suivi par
Pour les provinces russes, c’est l’inverse. Trop peu nombreux, les millionnaires ne permettent pas de favoriser la croissance et le développement des infrastructures dans les régions. Pourtant, pour le directeur de l’institut d’économie sociale auprès de l’Académie des sciences de Russie RAN Alexandre Rubinstein, une telle disparité n’est pas choquante : « La Russie est véritablement unique en ce sens que 2 à 2,5% de sa population concentre entre 70 et 80% de la richesse du pays ». Alexandre Rubinstein est persuadé qu’un tel écart ne représente aucun danger pour la stabilité du pays. Selon lui, l’État ne serait pas menacé. « Le principal est que les milliardaires n’exhibent pas leurs richesses pour ne pas ulcérer la population ». La fréquentation des zones offshore à l’étranger reste un indicateur essentiel des « très riches », rapportent les analystes du cabi-
2,5% de la population possèdent 80% de la richesse du pays.
la Suisse, les États-Unis et Israël. La spécificité russe réside dans la concentration de « très riches » à Moscou. D’un certain côté, le déficit des « riches », observé dans les provinces de Russie, réduit les disparités sociales. Mais dans les pays développés ou les économies en plein essor comme la Suisse, Taïwan et Hong-Kong, la stratification sociale est compensée par le haut niveau de développement des marchés et des technologies.
net BCG. Les fortunes privées des ressortissants des pays d’Europe de l’Est, Russie incluse, sont impressionnantes, mais représentent moins de 5% des capitaux accumulés dans les paradis fiscaux en Suisse, au Luxembourg, en Grande-Bretagne, à Hong-Kong ou Singapour, et n’exercent quasiment aucune influence sur la conjoncture financière de ces pays. C’est Dubaï qui concentre le plus de capitaux russes avec 8% de ses investissements étrangers. La plupart des activités financières des sociétés contrôlées par les Russes sont associées à la Grande-Bretagne et à la Suisse. Puis viennent le Luxembourg et l’Allemagne. Selon les estimations de la Banque Centrale de Russie, c’est précisément via ces pays que transitent la plupart des capitaux russes. Article publié dans Kommersant
Procréation artificielle Evénement sensationnel dans une maternité moscovite
Un miracle rendu possible grâce au programme de mères porteuses. Mais l'état-civil russe refuse d'enregistrer les enfants. IRINA POULIA LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
Les trois garçons posent tout sourire devant l'objectif, et la quatrième, la petite Maria, se met même à chanter. « Mon fils voulait une fille. C'est lui qui a choisi son nom, Maria, en l'honneur de la Sainte Vierge », raconte la
grand-mère Lamara Kelecheva. Une leucémie aiguë a été dépistée en mai 2005 chez le fils de Lamara, Mikhaïl. Le terrible diagnostic est tombé à 23 ans. Avant la chimiothérapie, on a proposé au jeune homme, de faire un don de sperme afin de procéder à sa cryoconservation. Devenir père était un souhait ardent de Mikhaïl, qui n'a malheureusement pas survécu à la leucémie. Seule l'idée qu'elle pouvait réaliser le rêve de son fils en prolon-
geant la famille aida Lamara à surmonter son chagrin. Il fallait absolument trouver deux femmes : l'une qui accepte de faire don de ses cellules, et une mère porteuse, prête à porter un enfant. Lamara a tenté le destin dans une clinique ukrainienne. Pour augmenter les chances, il a été convenu qu'il y aurait deux mères porteuses. La grossesse intervint à la première tentative pour les deux mères porteuses, fait extrêmement
rare. En outre, l'échographie a révélé que chacune d'elles portait des jumeaux. Le 6 janvier 2011, Ioannis et Feoharis naissaient dans une maternité de Moscou, suivis deux jours plus tard par Mikhaïl et Maria. Lamara montre deux photos : sur chacune d'elles on croirait voir un seul et même visage. « Ce sont deux Mikhaïl : père et fils », dit-elle avec un grand sourire. « La ressemblance est étonnante ». Six mains attentives prennent
© IRINA POULIA
Quatre jumeaux viennent au monde trois ans après le décès de leur père
Lamara est devenue quatre fois grand-mère d'un coup à 57 ans.
soin de cette « crèche » : Lamara elle-même, sa sœur cadette et une nourrice. Lamara savoure d'avance la façon dont elle apprendra les langues aux enfants, elle qui parle anglais, français, géorgien, turc et grec. Et elle ne doute pas un instant de pouvoir apporter aux enfants tout ce dont ils ont besoin. Elle possède assez d'argent et suffisamment de force malgré ses 57 ans, assure-t-elle. Seul problème : les enfants ont déjà presque cinq mois, et ne possèdent toujours pas d’actes de naissance. L'office d'état-civil russe a refusé de les enregistrer, sous le prétexte que seuls les couples mariés pouvaient recourir aux services des mères porteuses. Un défi légal se dresse désormais devant Lamara...
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Économie
Aéronautique Le gouvernement relance son industrie civile russe pour s’attaquer au monopole de Boeing et d'Airbus
Trois défis lancés aux deux géants Trois nouveaux appareils, dont un est déjà en phase de commercialisation, doivent dans les prochaines années renouveler complètement la gamme de l'industrie aéronautique russe. PAUL DUVERNET
L’avenir immédiat de l’industrie aéronautique est suspendu au sort de deux appareils, le Superjet 100 de Soukhoï et le Tupolev 204 : tel est l’enseignement tiré du premier Forum aéronautique d’Oulianovsk, qui s’est tenu en avril dernier. Le Superjet, premier avion russe conçu dans la période postsoviétique et le premier aussi à intégrer de nombreux composants étrangers (dont un moteur français), a fait un bond en avant en effectuant le mois dernier ses premiers vols commerciaux avec la compagnie aérienne Armavia. Le second appareil, le Tu 204, qui a volé pour la première fois en 1989, tente difficilement une seconde carrière alors que seuls 69 exemplaires en ont été construits en 20 ans. L’exploitation commerciale du Superjet de Soukhoï devrait permettre aux acheteurs potentiels de vérifier les paramètres de l’avion et de convaincre de futurs clients. Cet appareil régional de
© ITAR-TASS
LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
Un appareil Tu-204 en chaîne d’assemblage dans la gigantesque usine AviaStar d’Oulianovsk.
100 places fait actuellement l’objet de 150 commandes. Mais son lancement a été quelque peu terni en avril par les propos du ministre des Transports Igor Levitine, selon lesquels
Aeroflot, principal client avec 30 commandes, pourrait demander des dédommagements à Soukhoï pour les retards répétés de livraison et pour une efficacité énergétique moindre que celle annon-
cée. L’attitude d’Aeroflot, qui est contrôlé par le gouvernement russe, envers le Superjet, un projet également financé en très large majorité par des fonds publics, « diminue l’attrait du produit aux
yeux des acheteurs potentiels, au risque que l’argent de l’État soit dépensé en vain », estime Maxime Piadouchkine, spécialiste du transport aérien. Pour le Tu-204, un moyen-courrier de 210 places, la situation est encore moins favorable. La commande qui devait ranimer sa production, c’est-àdire 44 appareils par la compagnie Red Wings, semble depuis la fin avril restée dans les limbes. Mais le gouvernement voit plus loin, avec un plan de relance de l’industrie aéronautique basé sur trois appareils. Le premier est le Superjet. Le deuxième, le MS-21, est un moyen-courrier de 150 à 210 passagers en phase de conception et basé en partie sur le Tu-204. Sa commercialisation est prévue pour 2016. Le troisième, un avion de 300 places visant le segment « lowcost », se nomme Samolet 2020. Partenaires clés dans le Superjet (dont le groupe Safran, maison mère du liégeois Techspace Aero, a réalisé les moteurs), les Français sont restés à l’écart du projet MS-21. Une source chez Safran glisse qu’il est « logique que les Russes cherchent à voir si les Américains sont prêts à fournir davantage de technologies que les Européens ». Plusieurs lignes de conflit ont surgi durant le forum, notamment
ENTRETIEN ALEXEÏ OUVAROV, RESPONSABLE DES PRIVATISATIONS
Moscou lèvera 25 milliards en 3 ans LE GOUVERNEMENT RUSSE GARANTIT AUX ÉTRANGERS DES ENCHÈRES TRANSPARENTES
Comment ces entreprises vont-elles être vendues ? Allez-vous en vendre les blocs de contrôle ou par morceaux ? Chaque société est un cas particulier. Par exemple, nous pourrions vendre un bloc de contrôle
Les principaux projets de privatisation pour 2011-2015, en milliards de dollars Société
© BEN ARIS
Combien de compagnies sont en vente et combien comptez-vous lever de fonds ? Il y a un programme sur trois ans. La liste des privatisations compte plus de 1300 compagnies, dont plus de 90% sont des PME. Seules 10% des principales compagnies de la liste auront un intérêt pour les étrangers. Nous allons commencer à les vendre à partir de 2013, en encaissant au passage 25 milliards d'euros. Nous comptons obtenir 5 milliards d'euros cette année en vendant des parts de Sovkomflot et de Sberbank.
Alexeï Ouvarov suit les privatisations au ministère de l'économie
à un grand investisseur étranger ou les vendre par l'intermédiaire d'introductions en bourse par morceaux avec émission ultérieure d'actions.
VTB Sberbank Rosneft RusHydro FSK Sovcomflot RSHB United Grain Company Rosagroleasing RJD (chemins de fer) Total
cotée en Valorisation bourse du marché oui 34,9 oui 77,1 oui 76,1 oui 13,5 oui 14,6 non 4à6 non 3à5
Part mise en vente 25,5% 7,58% 25% 7,97% 4,11% 50% 25%
Levée estimée 8,7 5,8 19,0 1,1 0,6 2a3 0,8 a 1,3
Calendrier 2012-13 2011-13 2012-15 2012-13 2012-13 2011-13 2012-15
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2,4 à 4,8 48 à 66
50% 25%
1,2 a 2,4 12 a 16,5 52
2013-15 2013-15 67
Les privatisations frauduleuses des années 90 ont jeté le discrédit sur ces opérations. Qu'allezvous faire pour rassurer les investisseurs ?
La loi de privatisation actuelle prévoit des ventes aux enchères claires, ouvertes à tous ceux qui s'acquittent d'un droit de participation.
Depuis le 1er juin, les producteurs de céréales peuvent de nouveaux exporter malgré la menace d'une nouvelle sécheresse. NIKITA DOULNEV LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
La Russie a renoncé aux mesures protectionnistes sur le marché domestique des céréales. Le premier juillet, l'embargo sur les exportations de céréales, en vigueur pendant près d'un an, sera levé. La mesure avait été imposée en août 2010 après des incendies et une sécheresse sans précédent, qui ont conduit à une
chute des récoltes et menaçaient de provoquer une pénurie de produits agricoles en Russie. Si le gouvernement est prêt à lever l'interdiction, la possibilité d'un déficit domestique de céréales demeure. Selon l'association russe des producteurs de céréales, la Russie pourrait exporter 10 millions de tonnes de céréales cet automne. C'est très loin des 100 millions de tonnes que le gouvernement russe promettait pour l'année 2010, juste avant que la sécheresse catastrophique de l'été dernier ne ruine ses espoirs. 40% de
la production russe était partie en fumée, ne laissant que 60,9 millions de tonnes, tandis que les réserves connaissaient une diminution de 25%. Le président de la Banque centrale de Russie a proposé de résoudre le problème en introduisant des droits d'exportation sur ces produits. Son initiative a été soutenue par le ministère du Développement économique et le ministère de l'Agriculture. Le chef de la Banque centrale estime que l'introduction de taxes est le seul moyen de contenir l'inflation et de garantir la stabilité de l'ap-
CHIFFRE CLÉ
10%
de part du marché mondial d’ici 2025 : c'est l’objectif de la Russie alors que la concurrence avec Boeing et Airbus est accentuée par l’arrivée des appareils chinois.
Certaines de ces entreprises sont très chères. N'y a-t-il pas là un risque d'inonder le marché avec des actions, alors que celui-ci n'a qu'une capacité limitée d'absorption des offres de cette envergure ? La valorisation de certaines de ces entreprises est très élevée et nous ne pouvons pas les vendre toutes à la fois. Nous comprenons également que le programme de privatisation de la Russie est en concurrence avec les programmes de privatisation d'autres pays, qui vendent également des entreprises dans le but de lever des fonds pour leurs budgets. Cependant, nous croyons qu'il est possible de lever 25 milliards de dollars au cours des trois prochaines années. Le gouvernement a fait volte-face en incluant des sociétés dites "stratégiques" dont les capitaux étrangers sont exclus par une loi datant de 2008. Existera-t-il un mécanisme particulier pour la mise en vente de ces entreprises ? Les groupes stratégiques seront également accessibles aux étrangers, après examen d'une commission d'État, qui devrait à coup sûr autoriser les transactions. Propos recueillis par Ben Aris
EN BREF
Agriculture Vers une détente sur les marchés internationaux ?
Poutine lève l'embargo sur les exportations de céréales
Quellessontlesgrandesentreprises de la liste qui intéressent le plus les investisseurs étrangers ? En 2011, les grandes entreprises mises en vente comprennent Sovkomflot et une participation de 7,5% dans Sberbank. En 2012, ce sera au tour de FSK, RusHydro, et 10% de VTB. Nous prévoyons de vendre 25% moins une action cette année. Elle sera probablement vendue lors d'une introduction en bourse, en privatisant par le biais du marché boursier, utilisé comme un instrument afin de recueillir des fonds et améliorer la qualité du marché. Si cela fonctionne bien, alors la valeur des actions va augmenter. Plus tard nous vendrons de nouveau 25% et pourrions ensuite vendre 25% plus une ou deux actions, ce qui pourrait survenir en 2015.
lorsqu’un vétéran de l’industrie, Oleg Smirnov, s’en est pris « à tous ces banquiers qui dirigent aujourd’hui notre industrie », pique envoyée au PDG d’Aeroflot Vitali Saveliev et à Alexandre Lebedev, actionnaire de plusieurs compagnies aériennes. La logique industrielle consistant à concentrer la production dans un cluster s’oppose à la logique politique qui veut maintenir l’emploi sur des sites éparpillés (l’usine réalisant l’assemblage final du Superjet est située à Komsomolsk-sur-Amour, à 7 000 km à l’est de Moscou). Enfin, la logique financière des compagnies aériennes les pousse vers les appareils étrangers beaucoup moins coûteux à l’exploitation. Les fabricants russes doivent encore progresser s'ils veulent prouver leur compétitivité.
provisionnement sur le marché intérieur. « Les taxes à l'exportation devraient atténuer l'impact inflationniste de la levée de l'embargo », a précisé Ignatiev. Les producteurs étrangers et les consommateurs redoutent le retour des céréales russes sur le marché international. D'une part, il pourrait modifier le prix de ces produits en Europe et sur les places boursières. D'autre part, le marché s'est profondément réorganisé au cours de cette année sans céréales russes et il n'existe ni niche, ni consommateur pour ces dernières au sein de la nouvelle structure. Ces préoccupations sont reflétées dans les contrats à terme sur le blé européen : depuis le 23 mai (jour où la Russie a annoncé la levée de l'embargo), ils sont en baisse constante.
© RIA NOVOSTI
ARMEMENT PARIS VEND DEUX NAVIRES MISTRAL À MOSCOU Le contrat d'achat de deux porte-hélicoptères de classe Mistral a été signé à Saint-Pétersbourg. Le coût total du contrat s'élève à 1,2 milliard de dollars. Le groupe d'armement naval français DCNS livrera le premier porte-hélicoptères de type Mistral à la Russie en 2014. Cette vente a été critiquée par les États-Unis, ainsi que par les pays baltes et la Géorgie.
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Régions
05
Reportage L'ethnie Nénètse peine à garder son mode de vie nomade en zone arctique
Survivre à l'expansion de Gazprom
Les familles de la « Brigade n°5 » emmènent leurs 3000 rennes vers la mer de Kara au début de l’été polaire.
Ils ont survécu pendant des siècles au climat extrême du Grand Nord. Le soviétisme les a affaibli, mais c'est l'extension du capitalisme qui pourrait leur asséner le coup de grâce.
IL L'A DIT
Andreï Ivanov GYNÉCOLOGUE-OBSTÉTRICIEN, DIRECTEUR ADJOINT DE L'HÔPITAL DE SALEKHARD
ANNA NEMTSOVA
Les mains enflées et rugueuses de Lena Sarteto virevoltent. Au centre de la tente, l’eau bout sur le feu et pendant ce temps, Sarteto, une nomade de la tribu des Nénètses, un peuple indigène de Sibérie occidentale, prépare un festin pour les invités et sa famille de cinq personnes. Elle découpe des morceaux pourpres de viande de renne séchée, écaille un énorme poisson argenté et dispose du pain sec et des biscuits sur des assiettes qu’elle range dans un traîneau en bois. Son parterre, c’est l’herbe qu’elle foule ; les écailles et arrêtes de poissons jonchent le sol autour du feu. Ils resteront là après leur départ. Sarteto est pressée. Dans quelques heures, son petit groupe de nomades composé d’une dizaine de familles, toujours appelé « Brigade n°5 », comme à l’époque soviétique, prendra la route du nord. C’est le début de l’été polaire, et profitant de la lumière presque continue du jour, ils emmènent leurs 3000 rennes vers les côtes de la mer de Kara, atteignant le cercle Arctique au mois d’août. Puis ils font demi-tour, fuyant le froid glacial et ramènent leurs troupeaux à l’herbe et la mousse de la toundra, plus douce. Ce cycle séculaire est de plus en plus menacé. Car la péninsule de Yamal est aussi la base du géant Gazprom, qui fournit du gaz à toute la Russie et à une bonne partie de l'Europe. En s’installant dans la péninsule, Gazprom a apporté routes, chemins de fer et pipelines, un développement qui métamorphose la toundra. Les Nén è t s e s o n t d é c o uv e rt l e s autoroutes goudronnées, le métal rouillé, les poteaux électriques et les foreuses. La richesse de la Russie semble arrachée à la toundra qui jadis leur appartenait. « Le poisson a un goût de mort, nous tombons malades après avoir bu l’eau de nos lacs, nos rennes s’empêtrent dans les câbles, trébuchent sur des tuyaux, se brisent les jambes et meurent... », confie Sarteto. Puis elle récite, comme un mantra : « Nous sommes la dernière génération de nomades ; nos enfants vivront dans des villes, sans la toundra ». La péninsule de Yamal abrite le champ de Bovanenkovo, qui contient environ 4,9 trillions de mètres cubes de gaz naturel que Gazprom s’apprête à extraire dès
"
Ce style de vie traditionnel est condamné. Je comprends que les Nénètses voient les choses de manière totalement différente, mais imaginez que vous et moi décidions de nous promener avec des "lapots" aux pieds (leurs chaussures traditionnelles) et portions une longue barbe. Tu veux enfiler des perles et fumer un bambou ? Fais-le dans des lieux destinés à cela et non sur un territoire grand comme plusieurs États européens."
Des 13 000 nomades de la péninsule de Yamal beaucoup craignent d’être sédentarisés de force, un processus encouragé par le gouvernement.
Conquérants de l'Arctique
Le peuple des Nénètses est la plus importante des 26 ethnies sibériennes. Vivant à proximité du cercle polaire, ils sont particulièrement présent sur les péninsules de Iamal et de Taïmyr. La principale activité économique de ce peuple nomade est l'élevage traditionnel de rennes, nécessaire à leur survie, ainsi que la pêche. La principale menace qui pèse sur les Nénètses n'est pas de nature démographique puisque leur nombre augmente et était estimé au recensement de 2002 à 41 302, mais l'assimilation qui favorise la perte de leur culture. La scolarisation russe, la sédentarisation mais aussi l'exploitation du gaz et du pétrole qui menace leur environnement mettent en péril leur mode de vie.
Gazprom a construit des routes, des chemins de fer et des gazoducs qui ont changé le visage de la toundra
l’année prochaine. Les tours de forage se sont hérissées à l’horizon. Et pour aider à l’exploitation, un nouveau chemin de fer de 520 km a été construit l’an dernier. Des 13 000 nomades de la péninsule deYamal beaucoup craignent d’être sédentarisés de force. Ce changement de mode de vie est encouragé par le gouvernement mais redouté par un peuple qui a forgé son identité sur le voyage à travers les étendues de la toundra. Personne ne sait combien de centaines d’années au juste les Nénètses ont vécu à ce rythme annuel, devançant avec leurs rennes le froid glacial. « Notre recherche révèle que la plus grande peur des nomades n’est pas le changement de climat mais celle de se faire chasser de la toundra », explique Vladimir Tchouprov, porte-parole de Greenpeace Russie. Pendant l’installation du campement, les hommes s'entraînent à attraper les rennes au lasso tandis que les femmes élèvent les tentes, ou « mya » en nénètse. Les rennes fournissent les peaux pour les tentes, les tissus pour les vêtements et la nourriture. Ce n’est pas le premier assaut sur leur mode de vie. Le régime soviétique avait tenté de forcer les Nénètses à entrer dans des fermes collectives. Les différentes tribus avaient été divisées en brigades et obligées de payer un impôt en viande de renne. Des milliers d’entre eux s’étaient alors installés dans les villes sibériennes, en luttant pour préserver leurs traditions. Aujourd’hui, les militants nenets voient dans les efforts de gouvernement une attaque renouvelée. « Nous sommes un petit peuple », se lamente Yezingi Hatyako, un ancien de 61 ans. « Nous n’avons pas de députés pour nous défen-
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© ANNA NEMTSOVA (5)
LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
L'exploitation gazière empiète sans cesse davantage sur les territoires appartenant aux Nénètses
CHIFFRES CLÉS Ethnies peuplent la région. Les Nénètses, bien que principale ethnie autochtone, ne représentent que 5,2% de la population locale, loin derrière les 300 000 Russes.
26
41
dre au parlement, ni d’oligarques pour financer notre défense légale ». Quand la brigade n°5 de Lena Sarteto a pris la route du nord, elle a dû traverser deux autoroutes pavées, une épreuve pour les rennes (300 par famille) et les jeunes familles équipées de 50 traîneaux de bois. Une équipe de Gazprom avait pourtant recouvert le goudron d’un matériau isolant glissant, un geste de bonne volonté pour faciliter le passage des Nénètses. Traditionnellement, les différents groupes se déplaçaient à travers la péninsule selon des parcours bien définis. Celui de Sarteto mène au cœur du
champ de gaz. Un porte-parole de Gazprom explique que l’entreprise essaye de partager le territoire avec les tribus, mais ne récolte qu'ingratitude. « Quels que soient nos efforts pour les aider – nous organisons le transport, payons des salaires pour ce qu’ils ont toujours fait gratuitement, construisons des ponts au-dessus des pipelines ou des écoles et des maternelles pour leurs enfants… Mais les Nénètses se plaignent quand même », regrette Andrei Teplyakov. Et de fait, de nombreux efforts de Gazprom pourraient être interprétés comme des améliora-
mille, c'est la population totale des Nénètses. Mais seuls 27 000 parlent la langue nénètse. Qui plus est une majorité d'entre eux ont été convertis à l'orthodoxie.
tions pour les nomades de ce que l’on appelle la Région autonome Yamalo-Nénèts. L’entreprise verse des salaires aux hommes pour l’élevage et aux femmes pour l’entretien du foyer. Lena et son mari, par exemple, reçoivent 1700 euros par mois, une somme tout à fait respectable pour la région. Tous les étés, les hélicoptères de Gazprom survolent les campements des Nénètses pour rassembler plus de 2000 enfants et les emmener dans des pensions de Yar-sale, la capitale des habitants de la toundra. Mais Lena Sarteto assure qu’elle échangerait volontiers l’argent contre une toundra préservée, sa famille rassemblée autour d’elle. Elle se tourne vers l’idole de bois familiale, posée sur de la fourrure. Elle place la statuette dehors. La divinité qu’elle représente n’est pas censée partager la maison avec des étrangers, une promesse de plus en plus difficile à tenir. Sarteto répète sa prière, qui parait bien futile : « Que Gazprom s’en aille bientôt et que Yamal ne redevienne qu’à nous ».
06
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Opinions
HOMOPHOBES SANS SAVOIR POURQUOI
LE SOUFFLE DES ALLIANCES Fedor Loukianov MOSCOVSKIE NOVOSTI
Stanislav Minine
D
NEZAVISIMAYA GAZETA
L
e maire de Moscou, Sergueï Sobianine, estime que la capitale « n’a pas besoin » d’une Gay Pride. « C’est déjà la troisième personne qui pose une question sur la Gay Pride. Il y a un problème ? », ironisait-il devant des journalistes lors d’une conférence de presse en février dernier. Le niveau de discussion des responsables russes sur l’homosexualité et l’homophobie est celui d’écoliers pendant la récréation. Des plaisanteries plates et puériles, quelques clins d’ œil. Pourtant il est temps que des politiques responsables émergent et permettent aux gays, lesbiennes, bisexuels et transsexuels de manifester. Et bien sûr, ces personnes devraient aussi être protégées contre les agressions des « activistes orthodoxes radicaux ». Nous avons appris à nous insurger contre le racisme, à nous émouvoir des huées lancées des tribunes, des bananes brandies en direction de footballeurs de couleur. Mais nous ne voyons toujours pas le lien entre la discrimination dont étaient victimes les sportifs noirs dans les années 50 aux États-Unis, et celle que rencontrent les gays et les lesbiennes dans la Russie contemporaine. Parmi les signes de l’homophobie: le refus, actif ou passif, de l’idée même d’un rassemblement, d’une manifestation ou d’un défilé des représentants des minorités sexuelles. Une intolérance justifiée par des arguments fort anciens, selon une logique qui voudrait que l’homosexualité soit contraire à la nature car elle ne permet pas la reproduction. Argument hypocrite et fourbe puisque les hétérosexuels sont les premiers à avoir des rapports pour le plaisir. Autre subterfuge désolant, l’argument selon lequel l’homosexualité n’est pas conforme aux traditions, ne correspond pas aux « bonnes » valeurs véhiculées sur la famille. Et tous ces couples hétérosexuels sans enfants, qui ne rentrent pas dans le tableau idéal ? Et les personnes divorcées ? La Gay Pride est dénoncée comme « propagande » et ses détracteurs partent du principe que l’homosexualité est un style de vie. Le message des participants à la Gay Pride s’adresse à ceux qui répriment leur homosexualité et en souffrent. Beaucoup ne réalisent pas combien les citoyens qui participent à la Gay Pride ne jouissent pas de leurs droits civiques.
Ainsi, en vertu de l’article 31 de la Constitution, le « droit de se rassembler pacifiquement, sans armes, de tenir des réunions, meetings et manifestations, des marches et piquets » est grossièrement violé d’année en année. Les gays et les lesbiennes se battent pour le droit d’officialiser leur relation. Les conservateurs ne sont pas prêts à accepter l’idée de mettre sur un pied d’égalité la relation mari-femme et celle des couples homosexuels. Les gays et les lesbiennes aimeraient aussi élever des enfants. Une requête très controversée. Mais les opposants à cette idée ne disposent pas d’arguments suffi-
samment rationnels. Ils prétendent notamment qu’un enfant issu d’une famille homoparentale souffrira inévitablement de séquelles psychologiques, mais ne s’appuient sur aucune source. En attendant, des études menées aux États-Unis, au Canada et en Australie prouvent que les enfants, élevés dans des familles homoparentales, grandissent comme les enfants de familles hétérosexuelles sans avoir plus de chances de devenir gays ou lesbiennes, contrairement aux craintes exprimées par la majorité conservatrice. En Russie, sur quelles études se base-t-on ? « Je ne comprends pas ce qui leur manque. Qu’ils restent donc chez eux », entend-on ça et là. L’acte de manifester dépend de la conscience de chacun, plutôt que d’une solidarité envers la majorité. Le droit pour les gays et les lesbiennes de manifester et de revendiquer est inaliénable. « Ils cherchent à imposer leur mode de vie comme une norme». Une expression typique de l’homophobie, qui ne se base sur aucun fait, car il est difficile de trouver l’exemple d’un pays dans lequel les hétérosexuels feraient l’objet d’une discrimination. Le fondement de cette phobie est tabou. Car cela revient à admettre qu’ils pourraient « se comporter avec nous comme nous nous sommes comportés avec eux ».
Beaucoup d’entre nous ne cachent pas leur homophobie. Beaucoup en sont même fiers. L’homophobie fait partie de cet air que nous respirons, de notre façon d’éduquer et d’élever nos enfants. Pendant de nombreuses années, le refoulement quotidien de la sexualité dans les discours nous a conduits à ne plus savoir comment parler de « ça », surtout s’il s’agit d’en parler sous des formes « non conventionnelles ». Dire : « je ne veux pas que mes enfants voient ça, que les gays restent chez eux », ce n’est pas se préoccuper de la santé psychique de nos enfants, mais reconnaître sa propre défaite pédagogique. Qu’importe si l’argumentation est rationnelle ou non. La société russe n’est pas prête à accepter la Gay Pride ou à légaliser le mariage gay. Mais formellement, elle est suffisamment développée pour accepter l’Autre dans sa différence. Parce que dans l’ensemble, nous sommes tous différents. Et chacun a, dans sa vie, la possibilité de se sentir gay ou lesbienne. Je ne parle bien sûr pas de l’orientation sexuelle. Je parle de l’incompréhension et du désintérêt.
ENTRE DE BONNES MAINS
SIMULACRE DE SANG-FROID
LA GUERRE DES SALADES
Éditorial
Éditorial
Mikhail Rostovsky
VEDOMOSTI
GAZETA.RU
MOSKOVSKI KOMSOMOLETS
Quelle chance que la Russie ne soit pas membre de l’OMC ! C’est ce qui nous sauvera des terribles légumes européens. Nous avons la chance de vivre en Russie, où notre médecin en chef nous a maintes fois sauvés du vin moldave ou géorgien, du poulet américain au chlore et de la grippe porcine et aviaire. Aurait-il pu en faire autant si l’on pouvait contester ses actes devant un tribunal indépendant ? Pas sûr. L’embargo sur les légumes, c’est bien, mais pas assez. Comme nous le disent les médecins, l’E. coli est aussi un problème de mains sales. Tant qu’on y est, il faudrait aussi interdire l’importation de mains européennes, et ceux qui s’y rattachent.
Derrière cette répression commerciale pourrait se cacher une volonté préélectorale de jouer l’atout « on prend soin du peuple », tout en décochant une taloche démonstrative à l’Occident arrogant. Ce soupçon est renforcé par le sangfroid dont notre pouvoir fait toujours preuve dans des situations tout aussi dangereuses qui surgissent sans cesse dans notre pays. Mais contrairement à l’E.coli, les tonnes de produits avariés dans les supermarchés et les empoisonnements massifs récurrents dans les écoles ne deviennent pas des événements sensationnels. Ils ne débouchent même pas sur des sanctions à l’encontre des instances de contrôle sanitaire.
Les Européens ne trouvent pas les causes de l’infection qui ravage leur continent, mais ils s’indignent de ce que la Russie refuse leurs légumes ? ! La norme veut qu’un candidat à l’OMC doive en respecter les règles avant même d’y pénétrer. Ils exigent que nous les respections déjà, mais les respectent-ils, eux-mêmes ? Est-ce normal qu’un pays comme la Russie marine depuis des années dans le statut humiliant de « candidat éternel »? Mais cette guerre des légumes est à prendre au sérieux. Nous savons que quand le Kremlin se dispute avec tel ou tel ex-pays satellite, sa production agricole cesse généralement de répondre à nos normes sanitaires !
Le message de la Gay Pride s’adresse à ceux qui répriment leur homosexualité et en souffrent
L’argument invoquant la protection de la santé psychique des enfants masque une défaite pédagogique
ans le roman d’Alexandre Dumas, Le comte de Monte-Cristo, le mistral, ce vent puissant et froid, représente un véritable fléau pour la paysannerie provençale. Le porte-avion éponyme, dont la vente par la France à la Russie a été récemment entérinée, au contraire, ne peut que réjouir les ouvriers de Loire-Atlantique. C’est là que se trouve le chantier naval de la compagnie transnationale STX où sera exécutée la commande qui s’élève à plus d’un milliard d’euros. Même si le chômage est un peu plus faible dans ce département (moins de 8%) que dans le reste de la France (10% environ), cet apport dans l’emploi industriel tombe très bien pour Nicolas Sarkozy, à la veille des élections de 2012. Savoir si la Russie a besoin de ces navires pour la défense des îles Kouriles où ils seront déployés, est une autre question. Cette première acquisition d’une marchandise stratégique d’envergure à l’un des principaux pays de l’OTAN marque une date importante. Ce que n’a pas manqué de remarquer la présidente du Comité des affaires extérieures de la Chambre des représentants des États-Unis, Ileana Ros-Lehtinen, une grande amie de la Russie, en qualifiant la transaction de menace pour la sécurité américaine. Quelle est la dimension politique de ce contrat ? Évidemment, une coopération commerciale dans le domaine de l’armement entre deux États issus de blocs antagoniques et se considérant encore comme des ennemis potentiels ne garantit pas qu’ils ne s’affronteront plus à l’avenir. Par exemple, au XIXe siècle, la Russie a souvent passé des commandes à des chantiers navals de pays européens avec lesquels elle se retrouvait souvent en guerre par la suite. Mais la coopération militaire et technique crée un lobby
La Russie, candidate à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a décrété un embargo sur les légumes en provenance de l’Union européenne. Cette riposte, disproportionnée pour les Européens et pour bien des Russes, intrigue. Et si derrière le souci sanitaire légitime se cachaient des intentions démagogiques (les élections approchent), voire des mesures protectionnistes ?
Préparé par Veronika Dorman
La coopération militaire crée un puissant lobby intéressé par l’expansion de l’entreprise et par l’absence de conflits rêts au sein de l’OTAN. Moscou gagne à posséder un lobby en Occident, même s’il est encore difficile de deviner comment l’alliance évoluera. La « nouvelle » Europe cherchera peut-être à obtenir des garanties supplémentaires des États-Unis, ce qui équivaudra à la formation d’un nouveau bloc le long des frontières russes. Dans tous les cas, ces intérêts commerciaux pourront limiter ce type d’ambition. On peut espérer qu’à la différence du vent qui arrache les arbres à la racine, le navire qui porte son nom ne portera pas préjudice au paysage politique. Article publié dans Moskovskie Novosti
Fedor Loukianov est rédacteur en chef du journal « La Russie dans la politique globale ».
SONDAGE
Pourquoi tant de morts ? 27 MILLIONS DE CITOYENS SOVIÉTIQUES ONT PÉRI LORS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE. SOIT PRÈS DE LA MOITIÉ DU BILAN TOTAL DES VICTIMES.
Une large majorité de russe (60%) estime que l'Union Soviétique aurait pu remporter la victoire contre les forces nazies sans l’aide des Alliés, un chiffre légèrement inférieur à celui de 1997 (71%). 32% estiment le contraire (contre 21% en 1997) et 9% n'ont pas d'opinion. La Seconde Guerre Mondiale est également appelée Grande Guerre Patriotique en Russie, car l'URSS n'est entrée en conflit qu'en 1941, après l'invasion des forces nazies.
Article déjà publié dans Nezavisimaya Gazeta.
Stanislav Minine, éditorialiste de Nezavisimaya Gazeta.
LU DANS LA PRESSE LES DESSOUS DE L’EMBARGO SUR LES LÉGUMES EUROPÉENS
politique puissant, intéressé par l’expansion de l’entreprise et donc par l’absence de conflits. Jusqu’à présent, ce genre de relations entre la Russie et l’Europe existaient surtout dans le domaine de l’énergie. Les plus fiables promoteurs de l’interaction constructive avec la Russie sont les grandes compagnies énergétiques d’Allemagne, Italie, France, Grande-Bretagne. Et nonobstant les efforts de la Commission européenne pour libéraliser et diversifier les marchés énergétiques, ces contacts soutiennent la carcasse russo-européenne. La coopération militaire et technique est un domaine tout aussi politisé et influent. L’opération « Mistral », accueillie avec crainte en Europe centrale et orientale, souligne les divergences des objectifs et des inté-
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Culture
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Photographie Entretien avec une photographe qui consacre sa vie à ramener les clichés les plus impressionnants du Kamtchatka Voir notre diaporama sur larussiedaujourdhui.be
© IRINA DALETSKAYA (3)
La fameuse Caldéra, la vallée des geysers, un paysage unique au monde, situé dans une zone difficilement accessible.
Saisir les plus belles éruptions Depuis plus de 25 ans, l'intrépide Irina Daletskaya parcours la nature savage et exubérante du Kamtchatka. Son travail rassemble une collection unique de photographies. ANTON MOURAD LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
Des années d'attentes sont parfois nécessaire pour un cliché.
« Ce n'est pas moi qui ai choisi le Kamtchatka, c'est le Kamtchatka qui m'a choisie. Ma mission est de le montrer aux gens », annonce Irina Daletskaya, une belle et élégante femme que l'on a du mal à imaginer au milieu des tempêtes de neige et du gel intense. « C'est un territoire unique, je pense que c'est précisément à cela que ressemblait notre planète à l'origine, poursuit avec passion Daletskaya. C'est une sorte de musée à ciel ouvert, sauf que pour observer certaines pièces, il vous faut un hélicoptère ». Daletskaya rêvait d'aller au Kamtchatka depuis ses années d'étudiante à l'Université de Géo-
logie. « Sur les rares photos de l'époque, j'ai été frappée par cette terre fantastique, c'est le seul endroit sur la planète qui m'a attirée comme un aimant ». Après avoir gagné dans une expédition polaire son premier salaire sérieux, elle est partie à la rencontre de son rêve avec un appareil photo. Pendant ce voyage, Irina a rencontré le volcanologue Alexandre Sviatlovski, qui inclut Daletskaya comme photographe dans le groupe d'expédition qu'il avait créé pour réaliser l'album « Les volcans actifs du Kamchatka ». Elle travailla à cette occasion avec l'éminent photographe soviétique Vadim Gippenreiter, qui devint son mentor. « Lorsque nous travaillions avec Gippenreiter sur les mêmes sites, depuis le même hélicoptère, ma tâche principale était de développer ma propre écriture de photographe, individuelle et reconnaissable. C'est extrêmement difficile:
être là, à côté du maestro et chercher la possibilité de montrer le même objet, mais à ma manière ». Evoquant les spécificités de la photographie de la nature sauvage, Daletskaya souligne qu'une photo réussie coûte parfois plusieurs années de travail, avec des vols en hélicoptère répétés. Si le scénario prévu pour réaliser l'image n'est pas possible, la tentative est reportée à l'année suivante. « Par exemple, en 2008, après des années de tentatives, j'ai finalement réussi à "capter" un moment unique : l'éruption du volcan Karymski, qui était auparavant calme pendant cinq mois. Après une dure journée dans le froid et le vent avec un sac de 20 kilos, il a fallu passer la nuit dans l'obscurité. Avec les équipements prêts au cas-où, je fixais le volcan dans l'espoir d'une éruption qui pouvait ne pas survenir. Le Karymski ne s'est réveillé qu'à 4 h du matin, illuminant le ciel noctur-
Pour Daletskaya, chaque ours possède sa propre personnalité.
ne d'une décharge de foudre provoquée par la friction des particules de cendres. L'éruption a duré environ une minute, pas plus, et le lendemain le volcan s'est à nouveau tu ». Daletskaya rapporte de chaque expédition trois ou quatre "jackpots" : des chefs d'œuvres photographiques, « Je paie pour
travailler, pas l'inverse, déclaret-elle un sourire ironique aux lèvres. Tout le monde dépense son argent dans des voitures, des maisons, des croisières. Moi, je dépense mes derniers kopeks pour mon projet. C'est l'affaire de toute ma vie. Je veux montrer que le Kamtchatka est le chef-d'œuvre de notre planète ».
Document C'est aux somptueuses îles Solovki que le Goulag a été imaginé
Dessin animé Subvention ou disparition
Victimes et bourreaux se souviennent de Solovki
L'animation russe appelle l'État au secours
Les témoignages et études historiques sur le Goulag sont légion. Mais rassembler des témoignages antagonistes dans un même ouvrage est une première. MARIA TCHOBANOV LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
Le 15 juin à Paris, la Librairie du Globe, spécialisée dans la littérature russe, a présenté la sortie du livre Aux origines du Goulag. Récits des îles Solovki, aux éditions François Bourin. Le livre rassemble les textes de Sozerko Malsagov et Nikolaï KisselevGromov, deux anciens officiers du Tsar, puis de l’Armée blanche.Tous deux ont participé à la Guerre civile, et tous deux ont été déportés vers les Camps à destination spéciale des Solovki (SLON), construits en 1923 sur les lieux d’un ancien monastère du XVème siècle, près du cercle polaire. Dans ce prototype du Goulag, tous ceux considérés comme les ennemis les plus dangereux de l’État bolchevique sont déportés, condamnés aux travaux forcés. Contre-révolutionnaires, prostitués et faux-monnayeurs en tout
genre côtoient la pègre, qui est chargée par les autorités de faire régner un climat de terreur. D’origine ingouche, Sozerko Malsagov a d’abord pris part à la Guerre civile, pour ensuite rejoindre la guérilla dans le Caucase, après la défaite de l’Armée blanche. Il atterrit aux Solovki en 1923, dupé par les bolcheviks qui
Un dixième des prisonniers étaient des femmes, qui étaient particulièrement visées par les humiliations promettaient l’amnistie aux officiers blancs qui se rendraient de leur plein gré. Le témoignage de Malsagov est d’autant plus intéressant et important qu’il est le premier à réussir son évasion en 1925. Une fois en sécurité à Riga, Sozerko commence immédiatement l’écriture de ses mémoires. Il raconte les sévices subis par les prisonniers et toute la violence dont il a été témoin. Il consacre également une partie de ses notes aux évènements méconnus de la
Guerre civile dans le Caucase et à l’arrivée du pouvoir soviétique dans la région, notamment en Géorgie. C’est un autre ex-officier et journaliste russe, Savin, qui va aider Malsagov à publier ses récits. L’auteur du deuxième fragment, Nikolaï Kisselev-Gromov, est un ancien officier de l’Armée blanche, passé du côté soviétique. Lui aussi a purgé plusieurs années aux Solovki, mais pour le compte de l’administration du camp. En 1930, après cinq années de service, ne supportant plus l’atmosphère qui règne au SLON et ne souhaitant plus être complice des horreurs perpétrées par les autorités soviétiques, Kisselev-Gromov réussit à s’enfuir. De ses péripéties après sa fuite, il ne reste aucune trace. En 1936, ses récits regroupés sous le titre Camps de la mort en URSS sont publiés à Shanghaï. Ses écrits, postérieur à ceux de Malsagov, sont ceux d’un tchékiste horrifié par ce qu’il observe : la finalité des camps, explique-t-il, c’est de « Transformer les détenus en bois d'exportation », en les faisant travailler jusqu’à la mort.
L'anniversaire des studios Soyouzmultfilm qui furent jadis un des grands studios de cinéma d'animation vient remettre au goût du jour la question des problèmes financiers du secteur. Récits croisés de deux officiers de l'Armée Blanche.
IRINA KROLEVA LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
Dans la préface du livre Aux origines du Goulag, Nicolas Werth, historien et spécialiste de l’histoire de l’Union Soviétique, écrit que la valeur et l’intérêt sont dans le fait qu’il apporte des informations peu connues sur la naissance du système concentrationnaire dans la Russie d’avant Staline. Un système qui reflète la démesure des horreurs et des atrocités de la Guerre civile, et où la « relation normative » entre victimes et bourreaux, présente dans la littérature plus tardive du Goulag, ne s’est pas encore propagée. Une relation réglée selon un ordre et une discipline spécifiques, maintenus par les surveillants et l’administration des camps.
Début juin, les metteurs en scène des studios ont écrit une lettre ouverte au gouvernement dans laquelle ils demandaient de faire de la production des films d'animation russes un nouveau projet national et d'allouer aux studios 7,5 millions d’euros de financement sur 8 ans. En réponse, le premier ministre Poutine a promis de rencontrer le groupe de producteurs. Soyouzmultfilm traverse une période délicate. Bien que des films comme Le Loup gris et le Petit Chaperon Rouge aient obtenu des prix dans les festivals internationaux, seuls quatre films d'animations russes sont sortis sur grand écran en 2010 en Russie, pour des
recettes totales de 18 millions d’euros. En comparaison, les dessins animés étrangers ont récolté 132 millions d’euros en Russie, soit une augmentation d'environ 45 millions par rapport à 2009. Le budget moyen d'un dessin animé occidental est d'environ 87 millions d’euros contre 2 millions pour un russe. Les acteurs du marché ne doutent pas que Soyouzmultfilm parviendra à recevoir un financement de l'État, mais l'utilité de cet argent pour relever l'industrie nationale du film d'animation est une tout autre question. Au dire d'un des interlocuteurs, la production de Soyouzmultfilm « même pendant les meilleures années, ne pouvait pas être considérée comme une industrie à cause de la faible quantité d'oeuvres produites ». Même Soyouzmultfilm a déclaré que cette lettre avait été écrite par ses auteurs de leur propre chef et qu'elle ne reflétait pas la position officielle des studios qui travaillent sans l'aide de l'État.
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Loisirs
Environnement Un militant écologiste mène le combat dans Moscou-la-polluée
À TABLE !
Chasse au plastique et au gaspillage
Ce chachlik qui n'est préparé que par les hommes
bouteilles vides (vertes, pour la plupart) s’étaient accumulées en quantité telle que Roman commença à les empiler entre les vitres de la double fenêtre. Rendu furieux par l’absence de conteneurs de recyclage en Russie, il se mit à envisager un mode de vie écologique. Et c’est ainsi que tout a vraiment commencé. Roman déménagea à Moscou et trouva un ÉcoLoft dans un ancien bâtiment de la rue Piatnitskaïa, non loin du Kremlin. Avec quatre de ses amis, il emménagea dans le spacieux local de cinq chambres l’été 2010. Des couleurs « écologiques » recouvrent désormais des dizaines de couches de papier peint. Sur le mur à côté du poêle, le site Internet Ekoloft est inscrit en gros caractères, et des documents d’information reposent sur la table pour les nombreux visiteurs désirant savoir comment vivre d’une manière écologique dans une ville qui l’est si peu. Avant l’ouverture du loft, les occupants se rasèrent la tête : fini le shampoing et autant d’eau économisée. Des sacs en tissu sont accrochés dans l’entrée : déclaration de guerre au plastique. Un
ANASTASIA GOROKHOVA LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
Vert, tout était vert. Trousse à outils, téléphone portable, même la mobylette. Ce fut ma première impression de Roman Sablin. Il m’accueillit dans l’entrée de l’appartement de la résidence témoin que nous étions sur le point de louer ensemble, me lança un grand sourire, et m’étouffa presque en m’étreignant. Son amour pour la couleur verte commença après son divorce. Peut-être parce que le vert est la couleur de l’espoir, et que Roman avait besoin d’espoir à ce moment-là. Originaire de Sibérie, il y travaillait dans une entreprise de construction, ce qui ne l’enthousiasmait guère. Voulant changer sa vie, Roman se lança dans un projet artistique. Il fit de son logement un « appartement d’art », y réunissant ses amis autour de verres de vodka et de cigarettes. Au bout de plusieurs mois, les
Jennifer Eremeeva SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
© IVAN AFANASIEV
Sur sa carte de visite verte on peut lire le nom « Roman Vert » surmontant l’inscription « Parti Animal ». Roman Sablin est l’un des militants écologistes les plus en vue de la capitale.
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Roman Sablin dans son ÉcoLoft de la rue Piatnitskaïa.
endroit a été repéré où pouvaient être déposés les objets en plastique ou en métal ainsi que les verres. Roman a trouvé sa vocation. Épanoui, il est maintenant mince, porte le bouc et d’élégantes lunettes rectangulaires. Vertes, naturellement. Pas d’alcool, pas de viande, pas de consommation d’énergie inutile. À la place, un engagement prodigieux et la volonté de changer la manière dont les Moscovites pensent. Lorsqu’il évoque son loft, Roman parle de projet éducatif. Il sen-
sibilise les jeunes à la protection de l’environnement. Chaque jeudi soir, des experts, des scientifiques et des militants sont invités à l’école écologique. Roman ne se lasse pas de faire visiter son appartement, ses sacs en tissu et sa poubelle à canettes. Les ballots de foin dans le salon font sensation, de même que la douche dans l’entrée et les murs décorés. Que pense son fils de quatre ans du mode de vie de son père ? « Il explique à mon ex-femme comment les déchets doivent être triés », rigole Roman.
J’ai beaucoup d’affection pour mes lecteurs. Quand Laura m’a écrit pour me demander si je pouvais parler de la salade de betterave, je me préparais à accéder à ses voeux. Mais les lilas m’ont quelque peu perturbée. Le printemps débarque brutalement en Russie. Un jour, le monde est un pot rempli d’eau sale et de pinceaux boueux, le lendemain, il éclot en une vibrante palette de couleurs pastel. Les premières fraises et tomates mûres déboulent d’Asie centrale et de Crimée, pour être vendues par des blondes peroxydées arborant tabliers et ongles sales. La betterave à cette époque de l’année ? Non, la betterave en Russie vient du butin musqué de l’automne, pas de la promesse bourgeonnante du printemps. Le printemps arrive avec les premières bouffées de la fumée acre du « kostior », le feu du barbecue. Alors que fleurissent les lilas, les « perce-neige », ces voitures rouillées et déglinguées, qui ne servent qu’à sortir de la ville en été, prennent le chemin des datchas. Là, qu’il y ait de l’électricité ou non, le menu traditionnel reste inchangé : des brochettes de porc ou d’agneau mariné, grillées sur un feu de bois. Comme beaucoup de mets incontournables, le chachlik n’est pas originaire de Russie, mais les Russes l’ont adopté. Ou plu-
tôt, les hommes russes l’ont adopté. Les hommes russes ne sont pas des cuisiniers nés : la cuisine, c’est un peu efféminé, rien à voir avec la domination du monde - il faut nettoyer et faire des projets à long terme. Ça ne les fait pas rêver. À l’exception du chachlik, qui « ne supporte pas les mains féminines », assurent les hommes. J’ai remarqué, pour ma part, que le chachlik survit parfaitement à la présence féminine aux étapes de la préparation et du nettoyage post-festin. Toujours est-il que les hommes russes s’adonnent à leur seule expérience culinaire avec passion : des débats animés autour du secret ancestral de la marinade (vinaigre, huile, sel et poivre), et de la bonne manière de disposer la viande sur le feu durent le temps de boire une bouteille de vodka. Avec amour, ils enfilent les morceaux collants de viande sur des broches d’un mètre de long, avant de les déposer lentement entre les flammes. Je me dis parfois que si les hommes russes traitaient leurs femmes avec autant de tendresse, le problème brûlant de la natalité en déclin pourrait être résolu dans ce pays. Servez le chachlik avec des tomates, des concombres, de l’aneth et du pain lavach, la pita du Caucase. Sans autre assaisonnement que du sel. Quand le produit est frais et que le soleil ne se couche pas avant neuf heures du soir, que souhaiter de plus ?
Détente Les Russes plébiscitent leurs modestes résidences secondaires
Chez vous en pleine nature L’attachement à la maison de campagne est tel que même au cœur de l’été, nombreux sont ceux qui ne vont pas plus loin. La datcha est plus que jamais enracinée dans la culture russe.
Mieux que la mer Selon une étude récente du centre Levada : 24% des sondés passeront l'été dans leur datcha, 28% resteront chez eux en raison d'événements importants, et 12% visiteront d'autres régions russes (dont 7% le littoral de la mer Noire). 18% resteront chez eux, par manque d'argent. Seuls 3% partiront pour l'étranger, plus 2% qui optent pour les anciens satellites de l'URSS. 14% n'ont pas encore décidé ce qu'ils feront. Plus ils tergiverseront, plus l'option datcha aura des chances de l'emporter.
SVETLANA ALEKSEEVA
C’est un exode rituel. Les voitures s’extirpent des grandes villes chargées de jeunes et de moins jeunes, de chats et de chiens, de vieux vêtements, frigos, matelas et tout ce qui peut servir loin de la civilisation. On fuit la pollution et la grisaille pour un retour à la nature hebdomadaire. De préférence pendant la belle saison. Qu’est-ce qu’une datcha traditionnelle ? Un lopin de 600 m2, situé entre 50 et 200 km du domicile urbain, avec quelques buissons, des pommiers et un potager, une maison en bois sans téléphone ni eau courante, et des toilettes à l’extérieur. Il est vrai que pendant la dernière décennie, de fastueuses résidences secondaires ont été érigées dans les secteurs à datchas, avec des colonnades, balustrades et autres fastes, mais ces constructions n’ont plus rien à voir avec les datchas traditionnelles.
© LORI/LEGION MEDIA
LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI
La datcha, c’est le ballon d’oxygène adoré des citadins russes.
Pour « l’homo sovieticus », la datcha était sa propriété privée dans un pays où celle-ci était niée. C’était le seul moyen d’échapper momentanément au contrôle total sur la société. « J’étais à la datcha » justifiait une longue absence, une sorte d’émigration interne. La datcha met aussi du baume sur les chamailleries familiales, c’est le lieu du consensus. Elle offre un bouquet d’activités qui met tout le monde d’accord.
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« Nous allons à la datcha », et tout est dit. Le mari plante des clous, la femme des tomates, les enfants et les chiens sont lâchés en liberté... La datcha nourrit aussi ses occupants, ce qui n’était pas rien à l’époque soviétique où le déficit chronique de produits dans le commerce était compensé par les légumes récoltés sur son lopin de terre et mis en bocaux. Les concombres marinés à la maison ou la confiture faite avec les fram-
boises du jardin restent imcomparablement plus savoureux que ceux que l’on achète en magasin. C’est aussi le lieu idéal du rituel des brochettes (chachlik), la dégustation de viande prisée dans toute l’ex-URSS. Et comme le chachlik, c’est meilleur en groupe, il fournit une bonne raison d’inviter des amis. La vie à la datcha est telle qu’on ne se rend pas compte qu’il est déjà temps... de retourner en ville.
© GETTY IMAGES/FOTOBANK
Ingrédients : 1 kilo de porc ou d’agneau 2 oignons coupés en quatre 1 verre de vinaigre de vin rouge Eau froide Le jus d’un citron ou 1 verre de jus de grenade Persil frais haché, aneth frais 4 c. à soupe de poivre en grains 4 c. à soupe de sel 4 échalotes émincées 4 gousses d’ail écrasées 1 poignée de coriandre frais 1/2 verre d’huile d’olive
Préparation : Débarrassez la viande de son gras et coupez-la en cubes de 5 cm. Placez-la dans un grand plat étanche avec un couvercle. Mélangez vinaigre, jus, persil, poivre, sel, échalote et ail dans un bocal et agitez vigoureusement. Versez la marinade sur la viande en allongeant à l’eau pour recouvrir tous les morceaux. Réfrigérez une nuit, ou, si vous êtes
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pressés, laissez quelques heures à température ambiante. Remuez régulièrement pour que tous les morceaux soient bien marinés. Enfilez la viande et les quartiers d’oignons sur de longues broches, aspergez d’huile d’olive et grillez en tournant souvent, jusqu’à ce que la viande brunisse. Débrochez, saupoudrez de coriandre et servez immédiatement. Il y autant d’assaisonnements que de chachliks différents. Les sauces du Caucase allient l’acidité du citrus, le musc du fruit, et les herbes fraîches pour le Tkemali (sauce de prune aigre-douce) ou le goût prononcé de la noix, de l’ail et du coriandre frais pour le Satsivi (sauce aux noix). Dans les Balkans, on penche pour des sauces au yoghourt et à l’ail ou une salsa de tomate. Soyez inventif !
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