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C E C A H I E R D E H U I T PA G E S E S T É D I T É E T P U B L I É PA R R O S S I Y S K AYA G A Z E TA ( R U S S I E ) , Q U I A S S U M E L ’ E N T I È R E R E S P O N S A B I L I T É D E S O N C O N T E N U
MÉDIATION RUSSE AGRICULTURE Un élevage russe exploité par un Français mise sur la multiplication génétique DANS LE CAUCASE Dans le conflit du HautKarabakh, Moscou s’efforce de maintenir des relations amicales avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour les réunir à la table des négociations. PAGE 2
Les chemins de la relance Un entrepreneur français a créé des élevages porcins innovants à quelques heures de Moscou. Son projet a pleinement bénéficié des réformes agraires conduites en Russie depuis onze ans.
L’embargo sur les importations en réaction aux sanctions européennes a favorisé le renouveau de l’agriculture russe.
KIRA EGOROVA
NOTRE DOSSIER EN PAGES 4-5
MADE IN RUSSIA POUR LABEL Une « nouvelle vague » d’entrepreneurs innovants relance la production locale en misant sur une image revalorisée de l’étiquette manufacturière russe. PAGES 3
LE RICHE HÉRITAGE DE DERBENT La ville plus que millénaire du Daghestan bâtit l’avenir sur ses trésors historiques. PAGE 7
La société franco-russe Otrada Gen, qui possède des fermes d’élevage porcin dans le district de Dobrinka (région de Lipetsk, à 500 kilomètres au sud de Moscou), a été fondée en 2005. Année au cours de laquelle le gouvernement russe a lancé un vaste programme de développement agro-industriel pour redynamiser un secteur ébranlé par la crise systémique du début des années 2000, qui a fait suite à l’effondrement de l’Union soviétique. Un programme appuyé par le statut prioritaire de « projet national ». Dans ce cadre, le gouvernement et les autorités régionales ont subventionné des crédits à long terme pour l’agriculture, mis en place des quotas et imposé des taxes pour limiter les importations de viande en Russie. Sur la durée, cette politique a porté ses fruits. Selon l’étude du centre analytique Sovecon, une croissance rapide de la production russe a été observée à partir de 2005. La part des importations de viande et de volaille a ainsi commencé à diminuer progressivement. Si, en 2005, elle s’élevait à 39%, de la consommation, en 2013, elle était tombée à 23%, et en 2015, elle n’était plus que de 11%. « En 2005, j’ai compris que le moment était opportun pour lancer un projet dans l’élevage de porcs », raconte Patrick Hoffmann, le fondateur d’Otrada Gen, ancien banquier d’investissement en France. L’homme a décidé de créer sa propre ferme en collaboration avec des investisseurs privés, notamment la société française Sucden (Sucres et Denrées), l’un des leaders mondiaux du négoce de sucre qui exploitait déjà une sucrerie dans la région de Lipetsk. Le capital de démarrage s’élevait à 6 millions d’euros, dont 25% de fonds propres et 75% d’emprunts souscrits auprès des banques russes (selon la revue Agroinvestor). M. Hoffmann a axé sa stratégie sur la clé de voûte de toute filière animale : la génétique. SUITE EN PAGE 4
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CINÉMA Après Avignon, c’est Cannes qui accueille Kirill Serebrennikov un département de
Le Disciple, ou « Un Certain Regard » sur la Russie Le Disciple, film du metteur en scène russe Kirill Serebrennikov, fait partie de la sélection Un Certain Regard du 69ème Festival de Cannes. Retour sur l’œuvre d’origine et sur son adaptation dans un bref entretien du réalisateur avec RBTH. OLEG KRASNOV RBTH
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Le nouveau film de Kirill Serebrennikov met en scène la crise d’adolescence de Veniamine, sa relation avec ses professeurs, ses camarades et sa mère célibataire. Le Disciple est une adaptation au cinéma du spectacle du même nom, qui se joue depuis début 2015 au Centre Gogol, dont M. Serebrennikov est le directeur artistique. Il a basé sa réalisation sur la pièce
Martyr du dramaturge allemand Marius von Mayenburg. « J’avais entendu parler de la pièce bien avant sa première berlinoise en 2012. J’ai écrit à Marius pour lui demander de m’en envoyer le texte, relate M. Serebrennikov. Après l’avoir lu, j’ai compris que cela pouvait être intéressant et important pour la Russie. Marius m’a autorisé à l’adapter pour notre public, [adaptation nécessaire, ndlr] car les réalités allemandes sont très différentes des nôtres ». L’action se déroule dans une école russe moderne – « comme dans la plupart des cas chez nous, l’école est dirigée par une femme, plutôt que par un homme ». Elle met en scène des personnages typiques : « l’hystérique », une enseignante d’histoire coulée dans le moule de la période soviétique et un
prêtre qui donne des cours de catéchisme à l’école - « il est orthodoxe bien sûr », précise M. Serebrennikov. Le réalisateur explique que les problèmes soulevés par Le Disciple – « la présence de l’obscurantisme et du fanatisme religieux qui pèsent sur notre vie de tous les jours » – sont d’actualité et « préoccupent tout le monde ». Le film a été tourné en août dernier dans la ville de Kaliningrad (enclave russe dans l’UE). En évoquant le tournage, M. Serebrennikov ne cache pas son émerveillement : « Ce fut l’un des mois les plus heureux de ma vie – tout était si simple et si facile [...] pas un moment sans que de l’aide nous soit fournie ». M. Serebrennikov estime que la sélection de son œuvre pour la section considérée comme « l’antichambre » du Festival de Cannes est une excellente promotion pour son film : « hier, seuls ceux qui l’ont fait étaient au courant de son existence, et aujourd’hui, tout le monde le connaît ! ». À l’été 2015, le spectacle de Kirill Serebrennikov Les Idiots, basé sur un film de Lars von Trier, avait participé au festival d’Avignon. Cet été, le metteur en scène y retourne avec Les Âmes mortes.
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POLITIQUE & SOCIÉTÉ
CAUCASE La diplomatie russe s’affaire après la brusque escalade entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie
Haut-Karabakh : un subtil arbitrage pour Moscou C’est un rôle délicat qui incombe à la Russie dans le conflit persistant du Caucase : maintenir des relations amicales avec les deux parties et les réunir à la table des négociations.
Contexte
TERRAIN MINÉ
PAVEL KOCHKINE
Datant des années 1980, le bras de fer dans le Haut-Karabakh prend ses racines dans la frustration des Arméniens vivant dans cette enclave sous contrôle azéri et aspirant à une réunification avec Erevan. Après l’effondrement de l’Union soviétique, les tensions ont explosé et donné lieu à une violente guerre interethnique qui a duré trois ans, prenant fin avec la signature de l’accord de cessez-le-feu de 1994. Officiellement, l’affrontement militaire direct n’a impliqué que l’Azerbaïdjan et la république autoproclamée du Haut-Karabakh. De son côté, Erevan soutient l’aspiration de cette dernière à l’indépendance. La capitale arménienne ne reconnaît pas formellement le Haut-Karabakh en tant qu’État indépendant, évitant ainsi d’entraver les négociations de paix du Groupe de Minsk, qui comprend la Russie, les États-Unis et la France. Lancées dans le cadre de l’OSCE en 1992, ces négociations ont permis de tracer en 2007 une feuille de route devant conduire à un règlement politique.
RBTH/RUSSIA DIRECT
L’escalade militaire dans la région contestée du Haut-Karabakh, enclave majoritairement arménienne de l’ancienne République soviétique d’Azerbaïdjan, a pris par surprise la Russie comme l’Occident début avril. Des affrontements ont opposé les deux armées jusqu’à ce que l’Arménie et l’Azerbaïdjan signent, avec l’aide de médiateurs, un accord de cessez-le-feu. L’escalade a pu être stoppée, mais les prodromes demeurent inchangés, faute de perspective d’un règlement politique.
Compétition entre les médiateurs Co-présidé par les États-Unis, la France et la Russie, le groupe de Minsk sur le Haut-Karabakh au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), est chargé de trouver une issue à ce conflit gelé depuis plus de 20 ans. Mais Alexeï Fenenko, professeur associé à la faculté de politique mondiale de l’Université d’État de Moscou, juge comme d’autres experts que le format « a cessé d’être efficace ». Pour lui, les conciliateurs sont dans une impasse depuis 2010, chaque partie cherchant à résoudre le conflit en dehors des autres participants au processus de paix. Pour Sergueï Markedonov, professeur associé à l’Université d’État des sciences humaines de Russie, l’escalade résulte autant de l’intransigeance des deux républiques du Caucase que d’un manque de rigueur diplomatique dans la recherche d’une solution. Ce qui n’a pas été sans conséquence sur l’image du Groupe de Minsk, qui avait « la réputation d’être uni et bien coordonné »,
ASSATOUR ESSAÏANTS/ RIA NOVOSTI
Dans la zone de conflit, le 3 avril 2016.
jusqu’à ce que chaque pays médiateur cherche à jouer un rôle prépondérant.
Quel enjeu pour la Russie ? Aujourd’hui, personne ne semble avoir intérêt à exacerber les tensions dans le Haut-Karabakh – ni les deux parties au conflit, ni les membres du Groupe de Minsk, en particulier la Russie. Après tout, l’Arménie comme l’Azerbaïdjan demeurent des partenaires stratégiques
pour Moscou, ainsi que d’importants clients du complexe militaro-industriel russe. Jusqu’à une période récente, le Kremlin visait ce que M. Fenenko qualifie de « partenariat équilibré » : « conserver une relation collaborative avec l’Arménie » et « un partenariat stratégique avec l’Azerbaïdjan ». Il reste que l’Azerbaïdjan est un proche allié politique de la Turquie. Or, les relations entre Mos-
cou et Ankara se sont fortement détériorées suite à la destruction d’un avion russe par la chasse turque en novembre 2015. Ces tensions ont contribué à fragiliser l’équilibre entre Erevan et Bakou. La Turquie ne cache pas son soutien politique à l’Azerbaïdjan, surtout dans le contexte de la récente flambée qui a vu le président Erdogan prédire que le Haut-Karabakh reviendrait bientôt à son « propriétaire initial ». Le premier ministre russe Dmitri Medvedev a alors accusé Ankara d’attiser les tensions dans la région. Cela étant, M. Markedonov note que si la Turquie entend minimiser l’influence de Moscou en Azerbaïdjan, elle se soucie aujourd’hui de gérer des problèmes autrement plus urgents. La Russie, dont l’influence actuelle dans la région est indéniable, pourrait saisir l’occasion qui lui est offerte de jouer un plus grand rôle dans l’apaisement des tensions, ce qui serait bien accueilli tant à Bakou qu’à Erevan, mais pourrait de nouveau mettre en lumière les rivalités cachées au sein du Groupe de Minsk. Depuis la récente escalade militaire dans le Haut-Karabakh, Moscou intensifie ses efforts pour éviter que la crise ne devienne incontrôlable. Peu après les affrontements, les autorités russes, notamment le président Vladimir Poutine et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, ont organisé des entretiens téléphoniques avec leurs homologues à Erevan comme à Bakou, ce qui a apparemment contribué à l’accord de cessez-le-feu signé à Moscou. M. Medvedev s’est ensuite rendu dans les deux capitales pour relancer l’approche diplomatique. M. Lavrov a pour sa part rencontré ses homologues iranien et azéri le 7 avril pour discuter de la feuille de route permettant de sortir de l’impasse et prévenir de nouvelles escalades. Encourageants, ces efforts doivent « impliquer les dirigeants de la république du Haut-Karabakh, qui ont été écartés depuis la fin des années 1990 », indique Hovhannes Nikoghosyan, chargé de cours à l’Université américaine d’Arménie. « La relance du processus passe par deux éléments déterminants : de meilleurs mécanismes d’enquête sur les incidents et une surveillance sans faille du cessez-le-feu sous les auspices de l’OSCE », écrit-t-il dans une tribune pour Russia Direct, ajoutant que pour redevenir crédible, ce processus doit être accompagné d’engagements juridiques durables portant sur le non-recours de la force, compte tenu du passé sanglant des années 1988-1994.
JUSTICE PÉNALE L’aide à la réintégration produit des résultats mais reste inférieure aux besoins, surtout chez les jeunes
Le dur passage de la prison à la réinsertion aux condamnés et à leurs familles a lancé le projet Russie détenue. « L’État ne fournit aucun travail pour la réinsertion sociale, précise Olga Romanova, fondatrice du projet. En revanche, seuls ceux qui refusent des emplois de serveur ou de manutentionnaire n’en trouvent pas ». Le pays dispose de 634 centres de réinsertion sociale, offrant 20 061 places. Chaque année, ils aident près de 7 400 ex-détenus à renouer des liens sociaux avec leurs proches. Olga Romanova estime que l’aide ne s’adresse qu’à un dixième de ceux qui en auraient besoin.
Derrière les barreaux, certains détenus apprennent un métier qui leur permet, à leur sortie, de refaire leur vie. Mais ils ne sont pas la majorité. L’alcoolisme guette nombre d’anciens prisonniers. ANASTASSIA SEMENOVITCH POUR RBTH
Evgueni Morozov, qui a purgé sa peine dans une colonie pénitentiaire à régime sévère, est devenu en octobre 2015 propriétaire d’un atelier de menuiserie dans la ville de Noguinsk, près de Moscou, où il réalise des meubles sur commande avec d’autres anciens détenus.
Formation derrière les barreaux « C’est dans la colonie que j’ai eu l’idée d’ouvrir un atelier de menuiserie, raconte Evgueni. J’ai vu que de nombreux détenus y maîtrisaient bien le métier, j’ai vu ce qu’ils pouvaient faire avec du bois. Nous nous sommes alors mis à rêver qu’en sortant, nous ouvririons un atelier ». Dans la colonie, les détenus travaillent de 8h00 à 23h30 dans les ateliers où ils fabriquent des meubles, travaillent le fer et le textile, confectionnent du linge. Il s’agit d’un travail obligatoire. « Si on rate une journée de travail, on est envoyé en cellule disciplinaire. Le salaire maximum qu’on peut y percevoir est de 1 500 roubles par mois (20 euros), le salaire moyen, de 600-700 roubles. Chacun
SERVICE DE PRESSE
En 2015, sortie en canot pour les pensionnaires du Centre SaintBasile-le-Grand, accompagnés de bénévoles.
peut choisir son occupation», relate-t-il. Après sa libération, Evgueni a d’abord travaillé dans le bâtiment. Après avoir économisé suffisamment d’argent, il a ouvert son atelier qui compte huit collaborateurs, dont le directeur. La femme d’Evgueni s’occupe de la promotion – elle a créé un site et aide les anciens détenus à trouver un travail stable. « Souvent, après leur libération, ils peuvent passer un an ou deux sans emploi. Ils sont nombreux à devenir alcooliques », constate le menuisier avec tristesse.
Des centres de réinsertion À quel point est-il difficile pour les Russes ayant un casier judiciaire de retrouver un travail ? La Fondation caritative d’aide
Des colonies de rééducation La réinsertion des jeunes délinquants est une question plus délicate encore. Fin 2015, la Russie comptait 32 colonies éducatives pour mineurs, accueillant au total 1 654 détenus. Il y a dix ans, le pays en comptait 62. Depuis le début des années 2000, le nombre d’adolescents envoyés dans les colonies de rééducation a été considérablement réduit. En 2003, les colonies éducatives accueillaient 16 491 détenus ; en 2015, ils n’étaient plus que 1 683. Jusqu’à l’âge de 18 ans, les jeunes ne sont souvent condamnés qu’à une peine avec sursis pour leurs délits et dans ce cas, le tribunal peut les libérer sous certaines conditions, comme le respect d’un couvre-feu ou la poursuite des études. Il y a douze ans, le Centre Saint-Basile-
En chiffres
650 000 détenus étaient enregistrés en Russie début mars, selon les statistiques du Service pénitentiaire fédéral russe.
634 centres de réhabilitation sociale et 720 colonies pénitentiaires fonctionnent en Russie.
le-Grand, un établissement unique lancé à l’initiative du recteur de la cathédrale de la Sainte-Anastasie d’Illyrie a ouvert ses portes à Saint-Pétersbourg. C’est l’unique établissement non gouvernemental en Russie accueillant gratuitement des jeunes en difficulté. Le centre loge et parraine des adolescents à problèmes. Le responsable du programme de réinsertion, Arkadi Kalatchan, est persuadé que les jeunes qui purgent leur peine avec sursis à domicile ne se sentent pas punis et sont enclins à la récidive durant leur vie adulte. En douze ans, le centre a logé près de 210 personnes, dont 20 ont récidivé par la suite. « Nous savons ce qu’est une colonie pour enfants et il vaut mieux pour eux de ne pas passer par là, explique Denis Nikitenko, un employé de SaintBasile-le-Grand. Le système pénitentiaire actuel ne corrige pas, particulièrement s’il s’agit d’adolescents. Nous n’avons pas de grilles ni de barbelés. Chez nous, les jeunes font du sport, du parkour, du ballet, de la poterie… et tout cela est gratuit ». Le centre impose aussi des « obligations » : la fréquentation de musées ou du théâtre, la peinture sur céramique. Les adolescents du Centre Saint-Basile, tout comme les détenus libérés avec un projet professionnel sont, malheureusement, plutôt l’exception que la règle.
RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH) PUBLIE 37 SUPPLÉMENTS DANS 29 PAYS POUR UN LECTORAT TOTAL DE 27,2 MILLIONS DE PERSONNES ET GÈRE 22 SITES INTERNET EN 17 LANGUES. LES SUPPLÉMENTS ET CAHIERS SPÉCIAUX SUR LA RUSSIE SONT PRODUITS ET PUBLIÉS PAR RUSSIA BEYOND THE HEADLINES, UNE FILIALE DE ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), ET DIFFUSÉS DANS LES QUOTIDIENS INTERNATIONAUX SUIVANTS : • LE FIGARO, FRANCE • THE DAILY TELEGRAPH, GRANDE BRETAGNE • HANDELSBLATT, ALLEMAGNE • EL PAÍS, ESPAGNE • NOVA MAKEDONIJA, MACÉDOINE • NEDELJNIK, GEOPOLITIKA, SERBIE • LE JEUDI, TAGEBLATT, LUXEMBOURG • THE NEW YORK TIMES ET FOREIGN POLICY, ÉTATS-UNIS • DESHBANDHU, INDE • MAINICHI SHIMBUN, JAPON • HUANQIU SHIBAO, CHINE • EL OBSERVADOR, URUGUAY • LA RAZON, BOLIVIE • EL PERUANO, PÉROU • THE NATION, PHUKET GAZETT, THAÏLANDE. COURRIEL : FR@RBTH.COM. POUR DE PLUS AMPLES INFORMATIONS, CONSULTER FR.RBTH.COM. LE FIGARO EST PUBLIÉ PAR DASSAULT MÉDIAS, 14 BOULEVARD HAUSSMANN 75009 PARIS. TÉL: 01 57 08 50 00. IMPRESSION : L’IMPRIMERIE, 79, RUE DE ROISSY 93290 TREMBLAY-EN-FRANCE. MIDI PRINT 30600 GALLARGUES-LE-MONTUEUX. DIFFUSION : 321 101 EXEMPLAIRES (OJD PV DFP 2011).
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ÉCONOMIE
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TENDANCE La production locale revalorisée grâce aux solutions innovantes d’une « nouvelle vague » d’entrepreneurs 1
« Made in Russia » pour label Petites et moyennes unités de fabrication ont éclos dans des friches industrielles. Répondant d’abord à une demande intérieure plus exigeante, elles visent désormais l’exportation.
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MIKHAÏL BOLOTINE POUR RBTH
Konstantine Lagoutine et Anna Sajinova, deux jeunes architectes d’intérieur, venaient à peine de terminer leurs études en 2008 lorsqu’ils comprirent que personne ne pouvait confectionner sur place les meubles qu’ils concevaient. Ils proposèrent leurs idées à plusieurs fabricants mais reçurent partout la même réponse : trop compliqué, marché trop étroit. Ils décidèrent alors de donner eux-mêmes vie à leurs créations. Aujourd’hui, les architectes dirigent une équipe de 30 personnes au sein d’Archpole, leur atelier de mobilier. Installés dans une ancienne usine de luminaires, ils fabriquent des chaises, des tables et des canapés, ciblant la classe moyenne urbaine qui tient à l’esthétique et à la qualité de son environnement – un segment croissant de la population russe actuelle, précise Konstantine Lagoutine. La demande a crû au fur et à mesure que les clients se sont aperçus que les produits et les prix proposés étaient plus que compétitifs par rapport au mobilier des concurrents européens. Le succès des deux architectes s’inscrit dans un courant porteur qui gagne du terrain en Russie dans un certain nombre de domaines.
Promouvoir les marques russes Un autre exemple en est offert par Ksenia Nunis, cofondatrice de Depstore, une boutique d’articles de créateur (vêtements, chaussures, accessoires, objets divers) dans la galerie commerçante à la mode de Moscou, le Tsvetnoy Central Market. « Quand je me suis lancée en 2011, il y avait peut-être une douzaine de noms connus, dit Mme Nunis. Aujourd’hui, le choix est bien plus large et les grandes chaînes commencent à manifester leur intérêt pour nous, car elles cherchent à réduire leurs coûts logistiques. C’est une tendance saine ». Ksenia Nunis a d’abord lancé une boutique en ligne visant à rehausser le profil des créateurs russes et à éliminer la barrière entre le prestige des articles occidentaux et l’image des produits russes. « Il était évident que les gens avaient des réserves quant à l’étiquette 'Made in Russia', en raison de préjugés sur la qualité », explique-t-elle. Bien que ses stocks soient à 80% constitués d’articles fabriqués en Russie, la commerçante ne néglige pas les grandes marques étrangères. Pour une bonne raison : bien que les détaillants recon-
1 - L’atelier de Konstantine Lagoutine et Anna Sajinova. 2 - Accessoires de cuisine en chêne Fuga-Russia. 3 - Une paire de chaussures Afour.
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Le nouveau visage des exportations russes En 2015, la Russie a accru ses exportations de produits hors matières premières. Elle exporte des métaux, du bois, du cuir et de la fourrure, des engrais, des produits alimentaires et des matières premières agricoles. Ces catégories générales englobent parfois des éléments insolites. Ainsi, selon le service de presse d’Allbiz, un important site de commerce B2B, les Pays-Bas et l’Italie ont importé du sang ; le Liban, l’Allemagne et l’Autriche achètent des maisons en bois ; les États-Unis et la Grande-Bretagne s’intéressent aux sextoys.
naissent la qualité des produits proposés par les petits fabricants, ils reprochent à ces derniers une insuffisance de sens commercial. Mettre les fabricants russes en concurrence avec des marques étrangères est le seul moyen de les convaincre de proposer des produits de qualité à des prix raisonnables, précise Mme Nunis.
Le savoir-faire artisanal au service de la table C’est la leçon bien comprise de FugaRussia, qui allie le sens des affaires à la production d’une gamme d’accessoires de cuisine de qualité, en chêne.
Ce qui lui assure une place sur les rayons des supermarchés Globus Gourmet. Cofondatrice de la société, Iana Osmanova avait exercé avec succès dans l’investissement et les relations publiques à Moscou, jusqu’au jour où elle rechercha un autre défi. Elle eut alors l’idée de faire revivre la tradition manufacturière, en sommeil depuis l’époque soviétique, dans le cadre d’une activité profitable, bien entendu. Son créneau : la fabrication de planches à découper en chêne. Ce bois étant abondant en Russie et Iana étant bonne gestionnaire, les ingrédients étaient réunis. Mais les problèmes auxquels sont confrontées les petites entreprises, aussi : « Les fabricants sollicités ne voulaient pas s’embarrasser avec nos idées. Mais nous ne voulions pas non plus recourir à une production de masse sans âme en Chine », explique Iana. Comme les architectes Lagoutine et Sajinova, elle décida alors avec ses partenaires de monter leur propre atelier. Aujourd’hui, l’équipe de Fuga-Russia compte 15 collaborateurs. « Nous avons fait le choix de produire localement en connaissance de cause, même si c’est plus difficile », dit-elle.
Cap sur le marché russe U N G U I D E D U M O N D E D E S A F FA I R E S F RA N CO - R U SS E Boulangeries Wolkonsky : « Redonner des racines aux Russes » fr.rbth.com/575773
L’agro-industrie russe : un secteur à fort potentiel pour les Français fr.rbth.com/569605
Comme chaussure à son pied Si certains petits fabricants de la « nouvelle vague » ont une expérience entrepreneuriale à leur actif, la plupart sont partis de zéro. Comme Vladimir Grigoriev, qui dirige depuis 2009 la fabrique de chaussures Afour à Saint-Pétersbourg. Aujourd’hui, cette maison produit 20 paires de chaussures et bottes de créateur par jour. La société est née à partir de quelques modèles originaux que Vladimir avait conçus pour lui-même. Très vite, le fabricant dut embaucher un cordonnier dans son atelier un jour par semaine pour assembler ses créations destinées à ses amis, puis aux amis de ses amis. Il en fit ensuite la promotion sur les réseaux sociaux, suivie d’une boutique en ligne où les clients pouvaient créer leurs propres modèles, allant des richelieu bordeaux aux bottes d’hiver jaune et noir. La croissance est bonne, le volume double chaque année, mais presque tout est fabriqué à partir de surstocks achetés aux fabricants européens. Le grand saut pour devenir une entreprise véritablement russe est encore à venir. « Un jour, nous achèterons nos matières premières en Russie », prédit Andreï, qui gère les commandes d’Afour. La même vision 100% russe motive les fondateurs d’Archpole à Moscou, qui cherchent encore à s’étendre. L’année financière a été un tel succès que les deux architectes ont acheté une vieille ferme à la campagne : la relocalisation de la production dans la ferme leur permettrait de libérer de la place dans leur espace en ville pour le lancement de nouvelles gammes de meubles et la perspective d’une croissance exponentielle. « Si nous voulons vraiment avoir un impact, nous devons lancer une production à grande échelle avec des milliers d’employés », dit M. Lagoutine, qui n’a aucune intention d’abandonner son objectif de longue date : faire en sorte que les camions qui livrent en Russie toutes sortes de marchandises venues de l’étranger soient un jour chargés à ras bord de ses meubles sur le chemin du retour.
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DOSSIER
INDUSTRIE AGRO-ALIMENTAIRE DEUX ANS APRÈS L’EMBARGO SUR LES IMPORTATIONS, LE CAP MIS SUR L’AUTOSUFFISANCE DE LA PRODUCTION RUSSE COMMENCE À PORTER SES FRUITS. TROIS EXPLOITATIONS AGRICOLES DANS LA RÉGION DE LIPETSK MONTRENT LA VOIE
LES CHAMPS REVERDISSENT bien pensé au départ. Trop souvent, les consultants étrangers auxquels on fait appel font du "copier-coller" à partir de ce qui se fait en Europe, où les prix du foncier, de l’eau et de l’énergie sont élevés et où l’on recherche du super-intensif, explique le directeur, qui a sept années d’expérience dans le secteur. En Russie, où il y a tout ce qu’il faut pour le développement de l’agriculture », le modèle intensif ne convient pas : les conditions climatiques sont différentes et il n’y a pas de tradition agraire forte ni de transmission héréditaire du savoir-faire, estime M. Marmet.
Le facteur humain
ARCHIVES PERSONNELES
Fondée en 1929, la société arboricole Agronom Sad a failli être emportée par la crise des années 1990. Elle a su s’adapter et retrouver la croissance. FLORA MOUSSA POUR RBTH
Il fut un temps où le village de Lebedian dans la région de Lipetsk, riche en terres fertiles, comptait 14 exploitations arboricoles. Seules deux ont survécu aux années 1990, qui ont ravagé le secteur agricole. « Dans les années 90, les affaires ont commencé à changer de main et l’instabilité s’est installée. Nous n’étions pas payés pendant des mois, relate Alexeï Tolstov, chef-agronome d’une exploitation qui s’est maintenue. L’exode rural a commencé. Ceux qui sont restés n’ont résisté que parce qu’ils avaient le feu sacré ». Aujourd’hui, Agronom Sad, où Alexeï
En chiffres
1 000 hectares de vieux vergers et 500 hectares de nouveaux sont totalisés par l’exploitation.
6 500 000 euros : chiffre d’affaires d’Agronom Sad pour l’année 2015.
travaille depuis 25 ans, est une l’exploitation arboricole modèle : les pommiers sont soigneusement taillés par des ouvriers à la tenue de travail impeccable et des filets anti-grêle protègent les arbres récemment plantés, donc encore fragiles. La renaissance a commencé il y a deux ans, après le rachat de l’entreprise par une investisseuse locale. Depuis, les recettes ont triplé pour atteindre 6,5 millions d’euros, indique le directeur délégué d’Agronom Sad, Bruno Marmet. L’embargo ? Il a évidemment favorisé une réduction de la concurrence, concède le Français, mais il serait fatal de compter sur sa poursuite.
À l’assaut du marché du frais Auparavant spécialisée dans la vente de pommes industrielles, Agronom Sad s’est tournée vers le marché du frais. Objectif immédiat ? Remettre en état les an-
ciens vergers et cultiver de nouvelles variétés de pommes, principalement rouges, importées de Canada et des États-Unis, dont Red Chief et Honey Crisp. Le réchauffement climatique en a rendu la culture en Russie possible, explique Alexeï Tolstov qui précise que, « à titre expérimental, de nouvelles variétés sont également greffées à une partie des anciens arbres ce qui permettra d’obtenir un rendement à moindres frais ».
Des conditions différentes Bruno Marmet explique que dans le domaine de l’arboriculture, où le cycle de production se déroule sur toute l’année, le règlement des problèmes se fait sur la durée et revient cher. La particularité de l’industrie agricole russe apporte, elle aussi, son lot de difficultés. « Il y a beaucoup de projets agricoles en Russie dont le modèle a été
Expansion À titre d’expérimentation, Agronom Sad plantera 1 hectare de pommiers résistants au froid en Khakassie (Sibérie), où les hivers sont plus cléments depuis ces dernières années. En cas de succès, la compagnie, qui livre entre 25 et 30% de ses produits en Sibérie, se lancera sur cette piste.
Le facteur humain est crucial, selon lui. Dès sa prise de fonctions, le directeur délégué s’est fixé pour objectif d’imposer une discipline de travail et de mettre fin à la rotation du personnel, car il juge qu’un arbre pousse mieux s’il est entretenu par la même personne : « Quand un ouvrier laisse une branche en place, l’année suivante il sait pourquoi il l’a fait ». Bruno Marmet sélectionne luimême le personnel et précise qu’une erreur grave peut coûter son poste à un employé. D’un autre côté, il fait ce qu’il faut pour motiver son équipe en lui garantissant une rémunération adéquate. Les salariés sont payés en temps et en heure ; ils bénéficient par ailleurs de repas gratuits et de plusieurs avantages sociaux. « Tout a été fait pour que nous puissions travailler normalement. Nous avons retrouvé la stabilité. Au début, à la suite de mauvaises expériences, les gens que nous pouvions recruter avaient des doutes, mais un an plus tard, ils sont venus travailler pour nous », commente Olga Dobrovolskaïa, qui travaille chez Agronom Sad depuis 37 ans. Pour démontrer que l’exploitation offre des perspectives, Bruno Marmet mentionne, non sans fierté, que le fils du chefagronome Alexeï Tolstov et sa fiancée, qui habitent actuellement à Moscou, envisagent de rejoindre l’entreprise et de s’installer à la campagne. Ce sont peutêtre les premiers signes d’une renaissance de la paysannerie russe, voire d’une inversion de l’exode rural…
L’innovation et la technologie au service de la relance agricole SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
« Le pouvoir russe était et reste tout aussi attentif à l’égard des fermiers locaux qu’envers les étrangers – il ne fait pas de différence », explique M. Hoffmann. Les premières ventes d’Otrada Gen se sont élevées à 20 000 porcs par an. Aujourd’hui, ce chiffre a été décuplé. En 2008-2009, Otrada Gen, comme toutes les exploitations agricoles russes, a connu des difficultés financières liées à la crise mondiale et à la chute du rouble. La fin de l’année 2012 a également été difficile pour la filière porcine, car la Russie a alors rejoint l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) avec pour corollaire la diminution des barrières tarifaires à l’importation. Le porc importé a donc afflué de nouveau en Russie, ce qui a entraîné une chute considérable des prix sur le marché intérieur. « Le pouvoir russe a réagi. Début 2014, il a mis en place des barrières sanitaires pour les importations de porc en provenance de l’Union européenne suite à
Charcuterie L’entreprise a sa propre boucherie-charcuterie baptisée Moyalino (« porcelet » en italien) à Lipetsk et prévoit d’en ouvrir d’autres d’ici à la fin de l’année, puis des points de vente à Voronej et à Moscou. « Pour éviter d’être à terme étranglés par la grande distribution, nous avons opté pour le modèle de l’intégration verticale intégrale, de la culture de céréales à la vente en magasin », dit Patrick Hoffmann.
des cas de peste africaine en Lituanie et en Pologne, ce qui, dans les faits, a coupé les importations bon marché en provenance de l’UE », relate M. Hoffmann. D’où un rétablissement des prix du porc. Dans la foulée, la hausse des prix sur le marché intérieur a été favorisée par l’embargo, imposé à la Russie à l’été 2014 et les sanctions que le pays a apportées en réponse. Selon le ministère de l’Agriculture, les pays occidentaux frappés par les contre-sanctions assuraient 13,2% en volume de la consommation russe de porc. En 2015, un nouveau problème a surgi : la chute du rouble, qui a provoqué une hausse des prix d’achat d’équipements étrangers et de certains composants de l’aliment (soja notamment).
Le créneau génétique En volume de production, Otrada Gen se situe loin derrière les leaders russes que sont Miratorg, RusAgro et Cherkizovo. « Mais nous avons notre spécialité : nous sommes une société de multiplication génétique, signale Patrick
SHUTTERSTOCK/LEGION-MEDIA
Hoffmann. Les cochettes (jeunes femelles) reproductrices constituent notre principal produit. Elles sont vendues à d’autres fermes qui les utilisent pour produire leurs porcelets ».
Le pari de l’export Pour ses élevages, Otrada Gen a fait appel à des techniques danoises. Début 2012, la compagnie a acheté ses premiers animaux de race pure à l’entreprise danoise DanAvl. Elle produit actuellement 200 000 porcs par an, dont 60 000 animaux reproducteurs, et espère tripler ce volume dans les trois ou quatre années à venir. Aujourd’hui, la Russie ne compte qu’une poignée de fermes d’élevage génétique. « Nous construisons une ferme qui sera lancée cette année et deviendrons ainsi le leader russe dans le domaine de la génétique porcine », précise M. Hoffmann qui envisage parallèlement de se lancer dans l’exportation. « Nous ne nous intéressons pas uniquement à l’Europe,
Il l’a dit
«
Taux d’intérêt faibles, marché protégé, droits de douane à l’importation élevés – tout était réuni pour faire un bon début ».
PATRICK HOFFMANN ENTREPRENEUR
car son marché est saturé, explique-til. Nous misons principalement sur les grands importateurs de viande – l’Asie du Sud-Est, la Corée du Sud et le Japon [le plus gros importateur de porc au monde, ndlr]. Nous nous intéressons, bien sûr, à la Chine, car plus de la moitié de la production porcine mondiale y est consommée ». Patrick Hoffmann prédit que d’ici à cinq ans, la Russie sera l’un des plus gros exportateurs de porc au monde, alors que la France souffre de la concurrence de trois autres pays européens, dont les coûts de production sont moindres. « Quand le marché russe est devenu inaccessible avec l’embargo, l’excédent de production du Danemark, de l’Espagne et de l’Allemagne a entraîné une chute des prix du porc dans l’UE en général et en France en particulier. Tout le monde s’est donc tourné vers la Chine », explique le patron d’Ostrada Gen, qui voit la Russie devenir sous peu un acteur majeur pour les exportations vers l’Asie.
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DOSSIER
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ALIMENTATION À défaut du produit frappé d’embargo, la recette a pu être importée
Le renouveau agricole russe
Une fromagerie à la française dans la campagne russe Vladimir Borev, un Moscovite diplômé de la Sorbonne, a choisi un village russe abandonné pour lancer une ferme à base de méthodes françaises et à caractère social. FLORA MOUSSA
Soigneusement alignées dans la vieille cave d’affinage, des meules de fromage à base de lait de vache et de chèvre reposent sur des étagères de bois. Lorsqu’elles se couvrent d’une croûte fleurie, elles sont mises en vente sur un comptoir en bois orné d’un blason devant une grande maison en pierre. Tout autour, une plaine pittoresque où presque rien ne rappelle le XXIème siècle, à part les lignes électriques et de rares voitures : c’est le village de Maslovka situé au nord de Lipetsk. L’entreprise a été lancée par des professionnels français du fromage, Gilles Devouge et son épouse Nicole, venus en Russie il y a moins d’un an à l’invitation d’un fermier russe.
FLORA MOUSSA
POUR RBTH
Vladimir Borev veille sur ses fromages dans son domaine.
ALENA REPKINA
Nommé en 2015 à la tête du ministère de l’Agriculture, Alexandre Tkatchev estime qu’il faudra entre deux et trois ans pour atteindre un niveau d’autosuffisance de 90% en produits russes. La substitution aux importations reste l’une des priorités stratégiques fixées par les autorités du pays. Toutefois, certains experts du marché notent que les délais annoncés par le ministre paraissent ambitieux, sachant qu’il est impossible, par exemple, de rendre un nouveau verger exploitable en trois ans. Certes, des progrès ont déjà été observés et les importations de certains produits alimentaires, notamment des viandes, ont considérablement diminué. Mais indépendamment de l’augmentation de la production locale, la diminution de la consommation provoquée par la crise joue aussi un rôle, selon le centre analytique Sovecon. L’industrie alimentaire attire de nombreux entrepreneurs. Toutefois, le lancement de nouveaux projets est encore freiné par le manque d’emprunts à long terme. Les taux d’intérêts bancaires étant élevés, les financements sont trop onéreux. L’élargissement de la marge des agriculteurs sera absorbé par le renchérissement des équipements importés, estime Daria Snitko, analyste chez Gazprombank. Selon elle, dans le contexte actuel, la production de légumes est le segment le plus attractif, car son cycle de rentabilité est court et les financements sont plus faciles à obtenir. Parmi les autres domaines prometteurs, on relève la production de fromages (les investissements sont rentabilisés en 3-4 ans), de graines, l’élevage et la transformation de poissons.
Cet homme,Vladimir Borev, vient nous chercher à la gare routière de la ville voisine, Dankov. Pendant que l’auto traverse les vastes plaines bordant le Don, il explique que, quinze ans plus tôt, il avait fondé dans la région de Moscou – en commun avec des collègues du journal Sovetnik Prezidenta, dont il est rédacteur en chef – sa première ferme de produits bio. Mais si les riverains du quartier devenu résidentiel appréciaient d’avoir sur place de la viande, du lait et des œufs frais, ils trouvaient la compagnie du bétail gênante et le disaient sans détour.Vladimir a alors décidé de quitter la région de Moscou et choisi il y a quatre ans de s’installer à Maslovka. « C’était un village abandonné qui ne comptait que six maisons qu’on voulait raser et rayer de la carte », raconte-til. Inspiré par le nom du lieudit (maslo veut dire beurre ou huile en russe), il se lança d’abord dans la fabrication de beurre, mais l’embargo alimentaire, décrété bientôt par la Russie en réaction aux sanctions occidentales, donna au journaliste-fermier l’idée de faire de Maslovka « une localité fromagère française ». Et en matière de fromage, il s’y connaît : diplômé de la Sorbonne, il a longtemps travaillé dans l’Hexagone, où il s’est initié à cette composante incontournable de la table française.
L’exemple de Pierre le Grand De même qu’à l’époque Pierre le Grand fit venir en Russie des ingénieurs étrangers pour construire des bateaux, Vladimir est allé en France chercher des spécialistes. Il a eu la chance de faire la connaissance de Nicole et Gilles Devouge, un couple qui a consacré toute sa vie au fromage. Les époux voulaient en transmettre les techniques à leurs enfants, qui n’ont cependant pas souhaité perpétuer la tradition familiale, au regret de leurs parents. Du coup, c’est Vladimir qui assume « l’héritage » professionnel. Le 14 juillet 2015, les Devouge sont arrivés à Maslovka avec une meule de fromage de 14 ans. La croûte de cette étampe a constitué le point de départ
DMITRI ARNAOUTOV
Le chemin de Maslovka
Témoignages Gilles et Nicole Devouge, professionnels du fromage ayant partagé leur savoir-faire avec Vladimir Borev, se disent impressionnés « par la soif d’apprendre touchante » qu’ils ont observée à Maslovka à toutes les échelles. Riches d’une longue expérience, dont 14 ans en Corse, les Devouge racontent avoir transmis « de bon cœur toute notre expérience à Maslovka ». « Nous sommes convaincus que la production fromagère y a un bel avenir », précise M. Devouge. Nicolas et Milène Faine, fromagers eux aussi, viendront régulièrement à Maslovka dès que la nouvelle fromagerie sera prête. « En Russie, les possibilités sont énormes. Avec l’embargo sur les fromages français, le marché est immense », dit Nicolas qui espère jumeler les fermes de Maslovka et celle de Vazerac, en France, pour approfondir leurs échanges et transmettre le savoir-faire français aux Russes.
de la fromagerie deVladimir Borev. Les Français lui ont appris tous les secrets de leur technique et lui ont même délivré un certificat de conformité signé de leur main que le destinataire a fait encadrer et a accroché au mur. Aujourd’hui, la ferme produit huit variétés de fromages affinés pendant trois mois, mais Vladimir se fixe pour objectif d’en fabriquer une vingtaine. Maslovka accueille de nombreux clients moscovites, y compris des Français. L’ambassade de France à Moscou a d’ailleurs organisé une dégustation des fromages de M. Borev, dans lesquels l’ambassadeur en personne a reconnu un véritable produit français.
Une initiative sociale L’entreprise produit entre 500 et 1 000 kilos de fromage par mois. La ferme
compte dix vaches, une trentaine de chèvres et trois cents brebis. Plutôt que d’augmenter son troupeau, Vladimir achète du lait aux fermes voisines. Et l’affaire se développe : ses ouvriers construisent une nouvelle fromagerie à proximité. La ferme de Vladimir, c’est également une expérimentation sociale. Elle emploie onze personnes venues avec lui. « Moscou compte un très grand nombre de SDF et parmi eux, on trouve des diplômés d’écoles supérieures qui n’ont pu rembourser leur emprunt, ou des gens qui sortent de prison, explique-til. L’un de mes ouvriers, orphelin depuis l’âge de 14 ans, en est sorti à 48 ans. Il nous a été envoyé par l’un des monastères avec lesquels nous coopérons ».Venu pour quatre jours, l’homme est toujours là trois ans après. Vladimir souligne qu’à la différence des autres projets caritatifs qui n’accordent qu’une aide minimale à ceux qui en ont besoin, son entreprise leur donne tout : un emploi, un toit, de l’argent et même une aide médicale.
La balle dans le camp de l’État Le fromage de Maslovka n’est pas intégré aux grands réseaux de distribution, car le produit n’est pas encore homologué. La législation russe, qui date des années 1920, interdit le lait cru dans l’alimentation. Ce qui ne déconcerte nullement Vladimir : « je ne suis pas un homme d’affaires, mais un expérimentateur ». Son objectif numéro un est de montrer que la Russie est capable de faire face aux sanctions et il juge que ce but a été atteint. Second objectif : vérifier si l’État soutient les initiatives individuelles. La technologie appliquée dans sa ferme, qu’il évalue à 200 000 euros, a jeté les bases d’un circuit français de fabrication fromagère à l’échelle nationale en Russie. Conclusion de Vladimir : « la balle est dans le camp de l’État – ou bien il profite de l’expérience de la ferme de Maslovka qui deviendra la première de nombreuses entreprises à succès, ou bien le projet se révélera mort-né ».
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OPINIONS
TRUMP A-T-IL LE VOTE DE MOSCOU ?
L DMITRI POLIKANOV POLITOLOGUE Vice-président du Centre d’études politiques PIR-Center
e républicain Donald Trump et la démocrate Hillary Clinton sont clairement les deux favoris de la course présidentielle américaine. Ils ont chacun une vision très différente des relations avec Moscou, et il semble que les dirigeants russes aient plus de sympathie pour Trump. Après tout, il s’engage à s’entendre avec la Russie et à lancer une vraie réflexion aux ÉtatsUnis sur la politique étrangère du Kremlin. Mais jusqu’où les espoirs que place Moscou dans de meilleures relations avec Washington sous une présidence Trump sont-ils justifiés ? Les sceptiques affirment que le soutien à Trump du président Vladimir Poutine n’est qu’une provocation, que ce candidat excentrique permet au Kremlin d’ironiser sur l’« establishment » et les carences du système électoral américains. De ce point de vue, le personnage serait un don du ciel permettant au Kremlin de prouver que « l’Amérique est dégradante » et sur le déclin. Elle serait en tout cas affaiblie. Donald Trump se dit réticent sur l’usage de la force et en faveur d’une nouvelle forme d’isolationnisme. Sa remise en cause de l’Alliance atlantique (OTAN) a enchanté la classe politique russe. Mais au-delà des spéculations, Trump est manifestement séduisant pour cette dernière. En-dehors d’un certain romantisme politique et de sa capacité à démolir les stéréotypes, c’est un pragmatique qui n’est pas lié au jeu complexe des appareils de parti. Il est drôle, c’est un vrai politicien, il projette une « aura de virilité sans retenue », et tout ceci est extrêmement important pour les dirigeants russes, qui croient davantage aux relations interpersonnelles qu’à la coopération interinstitutionnelle. Le cas d’Hillary Clinton est différent.
Expert indépendant dans le domaine de l’énergie nucléaire
L
e 26 avril 1986, catastrophe dans une centrale nucléaire près de Tchernobyl en Ukraine. Une explosion a détruit le réacteur numéro 4 dont les radiations se sont propagées à l’extérieur. L’histoire a montré que malgré les indécisions de l’État soviétique, les ingénieurs ont vite pris la sage décision de construire un sarcophage, achevé dès l’automne, qui a permis de mettre fin aux émissions et aux risques de contamination en Europe. Beaucoup a changé dans le monde du nucléaire civil durant les trois décennies qui ont suivi. Les règles d’exploitation des centrales nucléaires ont été durcies, des réacteurs équipés de systèmes de sécurité actifs et passifs ont été mis au point, de nouveaux projets de centrales nucléaires ont été élaborés et répondent aux exigences les plus modernes. Cependant, comme l’a montré la tragédie de la centrale de Fukushima, l’atome ne tolère pas le moindre relâchement et son exploitation exige une vigilance absolue. Aujourd’hui, les experts sont particulièrement inquiets de la tournure prise par l’énergie atomique en Ukraine. Le pays
tirer des spécialistes, l’Ukraine s’est adressée à la firme américaine Westinghouse, qui fait autorité dans ce domaine. Mais un problème subsiste, car cette société ne connaît pas tous les détails du fonctionnement des réacteursVVER, vu qu’il s’agit d’une technologie soviétique et que les réacteurs ukrainiens ont été construits en URSS. La participation du constructeur de ces réacteurs, le bureau d’études expérimentales russe Guidropress, qui connaît dans ses moindres détails leur fonctionnement, n’a pas été sollicitée. Ignorer ainsi le « constructeur originel » a déjà provoqué toute une série de problèmes avec le remplacement du combustible russe par son équivalent américain, ou le mélange des deux. Ainsi, dans les réacteurs de la centrale tchèque de Temelin, du combustible américain a été utilisé dans des réacteurs soviétiques, mais la qualité des conteneurs de combustible Westinghouse n’était pas adaptée ; il a fallu y renoncer pour éviter une catastrophe et le remplacer par du combustible russe. On est allé encore plus loin en alimentant le réacteur d’une centrale nucléaire du sud-ouest de l’Ukraine avec des combustibles Westinghouse en même temps que des combustibles du russe TVEL (sans faire appel à des spécialistes russes). Comme les experts l’avaient prédit, lors du transfert du combustible, de graves problèmes de déformation des grilles d’écartement sont apparus, et il a également fallu extraire ce combustible de la
centrale. Les dirigeants ukrainiens ont néanmoins décidé de poursuivre l’achat de carburant Westinghouse jusqu’en 2020. Pourtant, une modification du rendement des centrales nucléaires est un processus encore plus complexe techniquement qu’un changement de combustible. Début avril, une table ronde intitulée Énergie atomique en Ukraine. La manœuvre, risque aveugle ou économie sensée ? s’est tenue à Kiev. On y a évoqué tous les dangers de manipuler les réacteurs des centrales nucléaires en fonction des besoins de puissance quotidiens du réseau électrique national. En 2015, le réacteur numéro 2 de la centrale de Khmelnitski a déjà servi à réaliser cette expérience. Selon Iouri Cheïko, directeur de la production chez Energoatom, il faudrait mener dix fois plus de tests pour obtenir des résultats probants. À son tour, Konstantine Ouchtchapovski, conseiller du premier ministre ukrainien, a fait remarquer que la mise en place d’un système de réglage en toute sécurité dans les centrales nucléaires exige des moyens considérables en vue de leur modernisation. Or, à l’heure actuelle, ces moyens ne sont tout simplement pas disponibles. Si des manipulations sont faites sans modernisation des centrales nucléaires ukrainiennes dans le seul but de réaliser un profit économique, de telles expériences menacent de provoquer un nouveau Tchernobyl, la cause de l’explosion du réacteur numéro 4 résultant justement d’une manœuvre injustifiée.
IORSH
Le Kremlin est convaincu que depuis tout le temps qu’elle trempe dans la politique américaine, elle est guidée par des stéréotypes, y compris ceux formés durant son mandat de secrétaire d’État. Bien sûr, contrairement à Trump, elle en sait beaucoup plus sur Moscou, qui voit en elle quelqu’un de plus prévisible en raison de la stabilité de ses positions. Mais elle est vue aussi comme étant intransigeante, une sorte de « dame de fer » difficile à manœuvrer. Les dirigeants russes sont rancuniers. Ils se souviennent de ses appels à stopper « l’empire » russe, son opposition aux « sphères d’influence » ainsi que son enthousiasme pour les politiques interventionnistes en Libye, en Syrie et en Ukraine.
«
Trump ou Clinton, leur comportement de tous les jours pourrait être très différent de leurs déclarations de campagne électorale »
TRENTE ANS APRÈS, ÉVITER UN NOUVEAU TCHERNOBYL ANDREÏ RETINGER JOURNALISTE
Selon le Kremlin, elle prêchera la démocratie, les droits de l’homme et les changements de régime dans le voisinage de la Russie. Moscou s’en irrite, considérant comme hypocrite la préoccupation sur les droits de l’homme qui masquerait une « realpolitik ». Deux choses sont souvent sous-estimées et surestimées à Moscou. La première est l’influence de l’équipe. Les présidents américains ne sont pas libres de leurs actes – l’establishment dicte la politique. Qu’il s’agisse de Trump ou de Clinton, leur comportement de tous les jours pourrait être très différent de leurs déclarations de campagne électorale. On ne sait pas encore si Trump est un véritable isolationniste ou s’il court sim-
plement après des voix en se montrant aussi souple que possible. Et dans ce cas, il pourrait tout à fait s’attaquer à Vladimir Poutine à l’avenir pour se faire valoir. Son équipe de conseillers en relations internationales est faite de néoconservateurs, dont la vision du monde est radicalement éloignée de celle des discours de Trump. L’équipe Clinton est plus favorable à la Russie. Elle est entourée de personnes issues de l’administration Obama, qui étaient les architectes de la politique du « redémarrage » et souhaitent poursuivre ce mouvement de va-et-vient dans les relations russo-américaines. Le facteur que Moscou surestime est l’importance de la Russie dans la politique intérieure américaine. Pour dire les choses clairement, les électeurs américains n’ont qu’un intérêt limité pour la diplomatie, et la Russie reste très loin de leurs priorités, même en matière de relations internationales. Ni Trump ni Clinton ne peuvent esquiver la « question russe » durant la campagne, mais c’est un sujet marginal. L’excentricité de Trump et la quête des voix des minorités baltes, polonaises et ukrainiennes obligent Clinton à parler de politique étrangère mais ce n’est pas un thème central de sa campagne. Malgré ses préférences, la Russie ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Elle espère la victoire de Trump, mais se prépare à des négociations difficiles avec Clinton. La classe politique russe sait bien que la politique américaine réserve une bonne part d’imprévu. Ce dont elle ne veut sûrement pas, c’est un regain d’activité américaine précipitée sur la scène internationale : elle réserverait un bon accueil à tel ou tel candidat qui renoncerait aux velléités missionnaires d’une politique interventionniste dans diverses régions.
a reçu en héritage de l’URSS des centrales nucléaires modernes et un secteur de l’énergie atomique parfaitement concurrentiel, qui doit être entretenu et exploité avec soin. Cependant, suite aux turbulences politiques et à la dégradation de l’économie qui frappent le pays depuis quelques années, la qualité de l’exploitation des installations nucléaires ukrainiennes commence à préoccuper les spécialistes. Et certaines mesures prises dans le secteur du nucléaire civil ne sont pour eux que de dangereuses expériences, similaires à celles qui étaient menées il y a 30 ans à Tchernobyl. Energoatom, l’opérateur des centrales nucléaires ukrainiennes encore en activité, a annoncé à la mi-mars des projets de modernisation de ses centrales nucléaires pour augmenter la puissance des 13 réacteurs VVER-1000 et la porter à 110% de sa valeur nominale. De plus, des projets de création d’un « régime de fonctionnement » ont été formulés, qui permettraient de diminuer ou d’augmenter la puissance des réacteurs rapidement aussi souvent que le souhaite l’opérateur (mesure potentiellement dangereuse). Reconnaissant la nécessité d’at-
«
Des moyens considérables seraient nécessaires pour moderniser les centrales nucléaires d’Ukraine. Or, à l’heure actuelle, ils ne sont tout simplement pas disponibles »
L E CO U R R I E R D E S L E C T E U R S , L E S O P I N I O N S O U D E SS I N S D E L A R U B R I Q U E “ O P I N I O N S ” P U B L I É S DA N S C E S U P P L É M E N T R E P R É S E N T E N T D I V E R S P O I N T S D E V U E E T N E R E F L È T E N T PA S N É C E S S A I R E M E N T L A P O S I T I O N D E L A R É D A C T I O N D E R U S S I A B E Y O N D T H E H E A D L I N E S O U D E R O S S I Y S K AYA G A Z E TA . MERCI D’ENVOYER VOS COMMENTAIRES PAR COURRIEL : FR@RBTH.COM RUSSIA BEYOND THE HEADLINES EST PUBLIÉ PAR LE QUOTIDIEN RUSSE ROSSIYSKAYA GAZETA. LA RÉDACTION DU FIGARO N’EST PAS IMPLIQUÉE DANS SA PRODUCTION. LE FINANCEMENT DE RBTH PROVIENT DE LA PUBLICITÉ ET DU PARRAINAGE, AINSI QUE DES SUBVENTIONS DES AGENCES GOUVERNEMENTALES RUSSES. RBTH A UNE LIGNE ÉDITORIALE INDÉPENDANTE. SON OBJECTIF EST DE PRÉSENTER DIFFÉRENTS POINTS DE VUE SUR LA RUSSIE ET LA PLACE DE CE PAYS DANS LE MONDE À TRAVERS UN CONTENU DE QUALITÉ. PUBLIÉ DEPUIS 2007, RBTH S’ENGAGE À MAINTENIR LE PLUS HAUT NIVEAU RÉDACTIONNEL POSSIBLE ET À PRÉSENTER LE MEILLEUR DE LA PRODUCTION JOURNALISTIQUE RUSSE AINSI QUE LES MEILLEURS TEXTES SUR LA RUSSIE. CE FAISANT, NOUS ESPÉRONS COMBLER UNE LACUNE IMPORTANTE DANS LA COUVERTURE MÉDIATIQUE INTERNATIONALE. POUR TOUTE QUESTION OU COMMENTAIRE SUR NOTRE STRUCTURE ACTIONNARIALE OU ÉDITORIALE, NOUS VOUS PRIONS DE NOUS CONTACTER PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE À L’ADRESSE FR@RBTH.COM. SITE INTERNET FR.RBTH.COM. TÉL. +7 (495) 7753114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125993, RUSSIE. EVGENY ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RUSSIA BEYOND THE HEADLINES (RBTH), VSEVOLOD PULYA : RÉDACTEUR EN CHEF DES RÉDACTIONS INTERNATIONALES, MARIA AFONINA : PRODUCTRICE EXÉCUTIVE PÔLE EUROPE OCCIDENTALE, TATIANA CHRAMTCHENKO : RÉDACTRICE EXÉCUTIVE, FLORA MOUSSA : RÉDACTRICE EN CHEF INVITÉE, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR ARTISTIQUE, MILLA DOMOGATSKAÏA : DIRECTRICE DE LA MAQUETTE, MARIA OSHEPKOVA : MAQUETTISTE, ANDREÏ ZAITSEV, SLAVA PETRAKINA : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE LA PUBLICITE & RP (GOLIKOVA@RG.RU) OU EILEEN LE MUET (ELEMUET@LEFIGARO.FR), MARIA TCHOBANOV : REPRÉSENTANTE À PARIS (MARIA.TCHOBANOV@RBTH.COM, +33 7 60 29 80 33 ). © COPYRIGHT 2016, AFBE "ROSSIYSKAYA GAZETA". TOUS DROITS RÉSERVÉS. ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSONNEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À FR@RBTH.COM OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 7753114. LE COURRIER DES LECTEURS, LES TEXTES OU DESSINS DE LA RUBRIQUE “OPINIONS” RELÈVENT DE LA RESPONSABILITÉ DES AUTEURS OU DES ILLUSTRATEURS. LES LETTRES DE LECTEURS SONT À ADRESSER PAR COURRIEL À FR@RBTH.COM OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). RUSSIA BEYOND THE HEADLINES N’EST PAS RESPONSABLE DES TEXTES ET DES PHOTOS ENVOYÉS. RBTH ENTEND OFFRIR DES INFORMATIONS NEUTRES ET FIABLES POUR UNE MEILLEURE CONNAISSANCE DE LA RUSSIE. CE SUPPLÉMENT A ÉTÉ ACHEVÉ LE 18 AVRIL 2016
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RÉGIONS HISTOIRE On la disait la plus vieille ville de Russie
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Derbent, riche d’autres atouts que les lauriers de son âge Cette cité du Daghestan, carrefour du Caucase, a vu les scientifiques ramener son histoire de 5 000 à 2 000 ans. Audelà de la controverse, Derbent est loin d’avoir perdu son attrait touristique. ANASTASSIA STEPANOVA POUR RBTH
« Derbent, une immense muraille pélasgique qui nous barrait le passage en s’étendant du haut de la montagne jusqu’à la mer. Devant nous seulement une porte massive, appartenant, comme forme, à cette puissante architecture orientale destinée à braver les siècles, s’ouvrait et semblait aspirer à elle et avaler le chemin ». C’est ainsi qu’Alexandre Dumas père décrivait l’une des plus anciennes villes de Russie. La citadelle qu’évoque l’écrivain français, Naryn-Kala, ou Forteresse du Soleil, est toujours debout aujourd’hui : ses murs robustes, défiant le temps, surplombent la vieille ville depuis une colline de trois cents mètres d’altitude, scrutant ses ruelles étroites. Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, Naryn-Kala conserve de nombreux secrets : des fouilles archéologiques y sont encore menées aujourd’hui. Le dernier de ses bâtiments à avoir attiré l’attention des scientifiques est un vieux réservoir d’eau en forme de croix, taillé dans la falaise. Les chercheurs supposent qu’il s’agissait en réalité d’une ancienne église de ce style, surmontée d’une coupole. Déduction tout à fait logique : bien que le Caucase russe soit aujourd’hui majoritairement musulman, jusqu’au VIème siècle, Derbent était le fief chrétien de la région. Au fil du temps, compte tenu de son emplacement stratégique sur la Route de la Soie, la ville a été habitée par les Scythes, les Khazars, les Perses, les Arabes, les Turcs, les Mongolo-Tatares… Chaque peuple y a laissé sa trace, si bien qu’aujourd’hui, la cité daghestanaise incarne le multiculturalisme : la mosquée Djuma, la plus ancienne de Russie, y côtoie une synagogue et une église chré-
KOMMERSANT
tienne ; dans les antiques ruelles, on rencontre aussi bien des jeunes femmes en hidjab que des hommes portant la kippa.
L’âge ne fait pas tout Outre les innombrables conquêtes, un événement plus récent entrera dans l’histoire de la ville. Il y a quatre ans, l’Académie des sciences de Russie a réévalué l’âge exact de Derbent, le situant officiellement à 2 000 ans, alors que les 122 000 habitants de la ville sont convaincus qu’elle en a 5 000. Le verdict des académiciens a fait bien des mécontents, ce qui se comprend : Derbent a ainsi perdu son statut de plus ancienne ville de Russie, le cédant aux 2 600 ans de Kertch, en Crimée, et s’est par la même occasion vue privée d’une partie de son pouvoir d’attraction. Veli Ioussoufov, directeur du musée de Naryn-Kala, témoigne des réactions qui ont suivi le verdict : « L’âge de Derbent est un sujet douloureux. Aucun de ses habitants ne peut parler de son ancienneté sans perdre son calme. J’ai été guide dans cette ville pendant 40 ans, et quand j’ai pris la tête du musée, partout où j’allais, des gens me demandaient : 'Comment avez-vous pu laisser réduire l’ancienneté à la ville à 2 000 ans ?'». La décision des chercheurs a fortement pesé sur une fréquentation touristique déjà en baisse depuis l’époque soviétique. Aujourd’hui, on ne s’y rend que depuis les régions voisines, non plus de toute la Russie comme autrefois. L’âge n’est pas la seule fierté de la ville et Derbent ne manque pas de curiosités capables d’attirer les touristes, assurent certains habitants. À commencer par l’artisanat local. Les célèbres tapis de Derbent, que l’on tisse ici depuis le Vème siècle selon une technique unique, composent un tableau d’une majesté comparable à Naryn-Kala elle-même. Dans l’une des rues attenantes au marché de la ville, on peut en acheter pour tous les goûts : on y trouve des étoffes de laine, de coton ou de feutre de toutes les teintes.
2 KOMMERSANT
1 - Deux générations chez ces résidentes de Derbent, deuxième ville de la République russe du Daghestan. 2 - Dans la steppe daghestanaise. 3 - La citadelle Naryn-Kala.
La poterie est une autre spécialité locale : par le passé, Derbent était l’un des grands centres de céramique du Caucase, et aujourd’hui encore, les mains habiles des artisans façonnent de magnifiques objets peints, vases ou cruches. L’attrait de Derbent ne repose pas seulement sur ses trésors historiques : « le tourisme gastronomique et la célébration des mariages ont beaucoup de succès chez nous », indique Rinat Tubarov, un résident qui, persuadé que le flot de visiteurs ne fera qu’augmenter au cours des prochains mois, prévoit d’ouvrir une agence de voyages. Les autorités locales et les entrepreneurs semblent eux aussi placer leurs espoirs dans le potentiel du secteur touristique : près de la mer, on construit des dizaines de petits hôtels, on aménage des sentiers de promenade et Naryn-Kala est toujours en cours de restauration, parallèlement au redémarrage des travaux archéologiques dans la citadelle. Qui sait ? Les archéologues pourraient bien y découvrir quelque chose qui relancerait à nouveau les interrogations sur l’âge exact de Derbent.
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ARTISANAT Tout sur la fabrication de la cape de feutre traditionnelle, un métier en voie de disparition
La burka caucasienne, vêtement et vestige culturel Un village perdu dans les montagnes du Daghestan abrite une entreprise de burkas, habit traditionnel à usages multiples. Cette manufacture sans équivalent en Russie est en difficulté. VLADIMIR SEVRINOVSKI POUR RBTH
Portée par des montagnards caucasiens et des Cosaques, la burka, longue cape de feutre, a servi pendant des siècles de vêtement, de tente, de lit et de couverture. Elle fait également office de cuirasse capable de sauver son propriétaire d’une balle ou d’un coup de sabre. En cas de blessure grave, la victime peut être évacuée du champ de bataille, allongée sur sa burka. Les plus belles capes de feutre de qualité étaient fabriquées par les Andiens, peuple en voie d’extinction habitant à l’ouest du Daguestan, près de la rivière Andiïskoïe Koïssou (ce qui se traduit par Eaux ovines). C’est ici que se trouve l’unique entreprise russe de burkas. L’atelier a été ouvert en 1925 à Rakhata, dans une vallée de montagne, près de la frontière avec la Tchétchénie. Durant la seconde guerre tchétchène (19992000), l’installation a été détruite dans un bombardement. Elle a été reconstruite grâce à une aide venant d’autres
MAX ALPERT/RIA NOVOSTI
VLADIMIR SEVRINOVSKI
régions russes, mais aujourd’hui, elle survit difficilement. La laine de mouton est démêlée sur des supports munis de clous. Le duvet est défibré sur un arc en bois identique à cette ancienne arme. Les meilleures ouvrières étalent ensuite la laine sur le sol et lui donnent la forme de la future burka, mais en plus grand, car pendant le feutrage elle va se resserrer. La laine est disposée en trois ou quatre couches : la meilleure et la plus longue est placée à l’extérieur, pour protéger
son propriétaire des intempéries, celle de qualité moyenne à l’intérieur et la plus courte est mise entre les deux. La future burka est légèrement aspergée d’eau bouillante. Trois ou quatre femmes en coudières noires l’enveloppent dans un tissu, la posent sur une table et la roulent en pesant de tout leur poids et en tapant dessus pendant une heure, jusqu’à l’agglomération des filaments. Par la suite, elles passent sur une brosse à picots en fer. Cette pièce est longuement bouillie avec
En ligne
Papakha, le chapeau qui ne tombe qu’avec la tête fr.rbth.com/31539
une teinture. Les burkas noires sont destinées aux bergers, tandis que les blanches sont réservées aux fêtes et aux cadeaux. Les morceaux de feutre coloré sont sortis de l’atelier. Les ouvrières les prennent par les coins, les trempent dans de l’eau pour redresser les poils sur l’extérieur, les retournent et les étalent sur du gravier. Ces morceaux recouvrent tout le sol. Une montagnarde en foulard vient répandre de l’eau bouillante mélangée à de la colle d’os sur les mèches qui dépassent. Elle forme ainsi des glands protégeant contre la pluie. Quand elles sont sèches, les pièces de feutre sont remises à la tailleuse-couturière qui coud les couches supérieures et ajoute une doublure. Voilà, la « maison du montagnard » est prête ! Le prix de vente des burkas de Rakhata est de 2 500 roubles (32 euros). Les ouvrières gagnent environ 6,5 euros par jour, ce qui est beaucoup pour un villageois. En outre, la fabrication commence à l’aube et se termine à l’heure du déjeuner, ce qui libère du temps pour s’occuper du potager. Les ouvrières ne sont pas employées à plein temps. Elles ne demandent qu’à travailler mais l’entreprise traverse une période difficile. Sur les deux cents personnes employées précédemment, il n’en reste plus qu’une dizaine. Le prix d’achat de la laine oscille entre 0,06 et 0,19 euro le kilo, ce qui fait que les célèbres moutons des Andiens sont élevés surtout pour la viande qui, il faut le noter, est succulente.
Mercredi 20 avril 2016
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Supplément de Rossiyskaya Gazeta distribué avec Le Figaro
CULTURE
EXPOSITION Deux artistes russes invités au Centre Pompidou
Une installation en forme de réflexion sur l’homme et l’art L’exposition-intervention Museum On/ Off (du 13 avril au 13 juin) inaugure un nouvel espace au niveau 4. Deux artistes russes y abordent à leur façon l’avenir et la question de l’identité. OLEG KRASNOV RBTH
Au quatrième étage de Beaubourg, une nouvelle installation fait littéralement irruption dans l’exposition permanente. Occupant un espace de 400 mètres carrés, elle a pour mission d’« animer » l’ensemble, d’y insuffler un esprit novateur expérimental indispensable à l’art contemporain, et de regarder l’avenir à travers les yeux des créateurs. Plusieurs jeunes artistes internationaux qui se consacrent à la thématique muséale ont été invités à participer au projet. Les œuvres de certains d’entre eux, dont le Russe Arseniy Zhilaev, seront exposées pendant toute la durée de la manifestation ; d’autres se succéderont dans la partie centrale de l’espace toutes les semaines, en modifiant tant sa conception générale que la perception des autres œuvres d’art. Une autre artiste russe, Taus Makhacheva, fait partie de ces exposants « temporaires » : sa vidéo Rope offre un récit métaphorique sur les difficultés de l’organisation muséale.
Le musée du futur Biographie
Taus Makhacheva Petite-fille du célèbre poète Rasul Gamzatov, Taus, 32 ans, a fait ses études à Moscou et à Londres. Milan, Kalmar et la capitale britannique ont accueilli ses expositions personnelles.
Arseniy Zhilaev Diplômé de l’Institut des problèmes d’art contemporain, Arseniy est un artiste conceptuel et curateur d’art. En France, il a exposé en 2014 à la fondation Kadist, à Paris.
Le thème du futur, mêlé au cosmisme russe, intéresse Arseniy Zhilaev depuis plusieurs années. Son projet Future Histories, réalisé en collaboration avec l’Américain Mark Dion et présenté en 2015 dans le cadre du programme parallèle de la Biennale de Venise, était déjà consacré au musée du futur. L’installation de Beaubourg traite du même sujet. Arseniy Zhilaev explique. « L’œuvre prolonge le thème du musée, qui pour moi est central. J’y traite de la spécificité du travail entre l’artiste et le collectionneur, ainsi que des notions de paternité artistique en tant que telle. Le musée imaginaire du futur [actuellement, le Centre Pompidou] sert de cadre à ce projet. Le cœur de l’installation Musicien/ne est une grande toile peinte représentant l’artiste Henri Matisse et son principal collectionneur russe Sergueï Chtchoukine, lesquels sont ressuscités dans un seul corps. Cette image est née d’une rumeur, selon laquelle Chtchoukine aurait légèrement retouché les parties génitales d’un des musiciens de Musique. La toile serait restée ainsi jusque dans les années 1980. Ces retouches sont visibles sur toutes les reproductions de l’époque. Je leur rends leur place en créant une gigantesque abstraction et en l’entourant d’une histoire spéculative sur la ma-
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nière dont Henri Sergueï-Matisse-Chtchoukine pourrait évoluer à l’avenir ». L’installation-discussion sur l’homme du futur, son art et la place du musée dans cet art comprend également une lettre de l’artiste au public, l’œuvre originale de Matisse Nu assis sur fond rouge, conservée au Centre Pompidou, et des lettres échangées par les deux protagonistes, Matisse et Chtchoukine.
éternelles – que fais-tu, pour qui le faistu, comment entrer dans l’histoire. « J’ai composé une sorte d’histoire des arts du Daghestan : j’ai sélectionné une œuvre de chaque artiste local majeur depuis la fin du XIXème siècle et jusqu’en 2000 – 61 œuvres en tout. Nous en avons fait des copies. Puis, le funambule Rasul Abakarov a marché sur une corde tendue entre deux petites montagnes tenant ces copies en équilibre. Il déplaçait les œuvres d’une structure métallique, où elles étaient disposées selon leur taille, dans une autre structure en forme de cube symbolisant l’Arche, métaphore des réserves du musée », relate Taus Makhacheva. Née à Moscou, Taus vit actuellement à Makhatchkala. Toutes ses pratiques artistiques, où elle s’interroge sur l’identité nationale, l’Est et l’Ouest et la place de la femme dans le monde musulman, sont liées au Daghestan, la terre de ses ancêtres. À Paris, Rope deviendra une installation : la vidéo y sera présentée avec les esquisses préparatoires connexes.
Extraits de Rope. Photo ci-dessus : le funambule Rasul Abakarov. Ci-contre : composition de tableaux dans une structure métallique en forme de cube.
Intérieur-extérieur La vidéo Rope de Taus Makhacheva fera partie de l’exposition du 11 au 16 mai. Elle comporte plusieurs niveaux : muséologie, histoire visible et invisible des arts, interaction entre musées nationaux et régionaux, ainsi que les questions
ARCHITECTURE DU PAYSAGE La Russie présente au Festival des Jardins à Chaumont-sur-Loire
La steppe aux portes de la datcha Pour la grand-messe de la création paysagère du 21 avril au 2 novembre, le jardin russe évoque la steppe et ses plantes sauvages dans des serres de cultures comestibles.
Calendrier
FESTIVAL DES JARDINS
EVGUENIA GUERCHKOVITCH POUR RBTH
« C’est une aire où l’art actuel s’exprime dans le cadre du paysage, explique l’architecte Anton Kotchourkine, livrant ses impressions de sa première visite à Chaumont-sur-Loire. L’idée d’un parc changeant tous les ans m’a enthousiasmé et j’ai décidé de participer coûte que coûte à cette manifestation ». Sur des lopins de terre entourés de clôtures végétales, des architectes, des pay-
L’inauguration solennelle de la 25ème édition du Festival International des Jardins est prévue pour le 5 mai. Les résultats du concours seront annoncés à l’automne.
sagistes et des jardiniers du monde entier présentent leur savoir-faire selon un concept donné. La 25ème édition a pour thème Jardins du siècle à venir. Cette année, Anton Kotchourkine revient en tant que concepteur du projet russe, Jardin comestible. Membre de l’équipe du pavillon de Russie à la Biennale de Venise 2004 et commissaire d’exposition du festival de land-art et d’architecture russe ArchStoyanie, Anton a fait appel, pour le projet de Chaumont, à l’expérience d’Anna Andreïeva, architecte paysagiste et spécialiste en aménagement d’espaces verts. Le Jardin comestible évoque la beauté de la nature sauvage. C’est le produit de la permaculture associée aux principes du « jardin planétaire » où les herbes
folles ne sont pas déracinées et la terre n’est pas labourée – simplement recouverte d’une couche de paille. « Notre projet s’inspire des datchas russes », explique Anna. Une datcha sera installée sur une parcelle de terre recouverte de ronces et d’une végétation typique de la Russie (molinies, trèfle, millefeuille, sauge), tandis que des « fleurs de datcha » (asters, cosmos) parsèmeront la steppe reconstituée. Six serres en acier fin accueillent la culture de tomates, de concombres, d’aneth et autres végétaux. Autour des serres : des plantes typiques des terres grasses et fertiles de Russie, comme la sauge, la lavatère, le trèfle, l’achillée ou l’aster. Anna Andreïeva a apporté avec elle des graines qui ont déjà levé
Fraisier ananas, une espèce hybride cultivée pour le fruit connu comme la fraise des jardins.
sur les sols rocheux de France. Pour Anton Kotchourkine, « d’une part, ce projet illustre les traditions russes. Depuis deux cents ans, nos parcs et domaines sont ornés d’arbustes et d’arbres fruitiers. D’autre part, le Jardin comestible crée l’image d’une Russie infinie, un peu débraillée, avec, à l’intérieur, l’intégration de choses qui poussent de manière très dense ». L’art sonore est aussi présent grâce au spécialiste multimédiaVladislav Sorokine : dans les serres du Jardin comestible, on peut notamment entendre Radio Mayak, l’une des principales stations de Russie. « L’un des souvenirs les plus agréables de notre enfance, c’est la datcha. Et c’est dans les datchas russes que nous avons puisé notre inspiration, confie Anna Andreïeva. C’est un endroit plurifonctionnel, un endroit où il est possible en même temps de cultiver des fruits et des légumes, de travailler et de se reposer. Je suis certaine que la datcha a encore son mot à dire ! ».
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Documentaire :
« ÎLES SOLOVKI : À LA CROISÉE DES MÉMOIRES »
fr.rbth.com/solovki