MEXIQUE, une année entre rêves et réalités

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MEXIQUE

Une année entre rêves et réalités { Rêve n.m } - Le rêve est une « disposition de l'esprit généralement nocturne, survenant au cours du sommeil, et qui procure à l'individu éveillé des souvenirs nommés eux aussi rêves » S. Jama, 1997.

Laurie BARTELDT / Master 1 / 2020 Universidad de Guadalajara - Centro Universitario de Arte, Arquitectura y Diseño École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Sous la direction de Benoît D’ALMEIDA



« Cela rend modeste de voyager. On réalise quelle petite place on prend dans le monde. » Gustave Flaubert



SOMMAIRE INTRODUCTION GÉNÉRALE 10 15 21 22 24 27 29 31 39 47

MÉMOIRE

7INTRODUCTION GÉNÉRALE Histoire et géographie La culture La comida de la calle Sentiment nationaliste 9 mars 2020, el dia violeta Les clichés L’espagnol Les cours Le tourisme Retour à la réalité

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Le Mexique, utopie colorée 55 56 60

1/ La place des couleurs en architecture 2/ Le Mexique, pays des rêves et des couleurs 3/ L’architecture émotionnelle de Luis Barragán, révélatrice de « l’architecture mexicaine»

CONCLUSION GÉNÉRALE

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ANNEXES

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Colores de México Vivre à Guadalajara, guide pratique Une année autour de la photographie

BIBLIOGRAPGHIE

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ICONOGRAPHIE

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INTRODUCTION Huit mois, c’est le temps que j’ai passé à rêver. 8 Août 2019, 23h, aéroport Paris Charles de Gaulle, je monte dans l’avion. Mes valises en soute, le regard dirigé vers la piste de décollage, Clément à mes côtés. Que le voyage commence. Je ne sais pas vraiment vers quoi je vais, dans quoi je me lance, mais c’est trop tard pour reculer, j’y vais. Le pull de mon groupe de rap préféré sur les épaules, je me prépare à m’endormir pour ne pas voir passer les 11h30 d’avion qui m’attendent. Capuche, écouteurs, un coussin sous la tête, bonne nuit Clément. C’est ici que le rêve commence. Es el tiempo de soñar. Je rêve d’un pays où il fait bon vivre, où le bonheur se porte sur les visages. Où les gens portent des vêtements colorés, où les maisons sont toutes ouvertes, où les plantes s’invitent dans les salons, les salles de bain, les chambres. Je rêve d’un pays qui me réchauffe, par les rayons du soleil et les sourires chaleureux. Un endroit où tout est beau, où tout est simple. M’éloigner de ma vie d’avant et tourner les pages du livre, voilà pourquoi j’ai décidé de rêver. Je me rendrai compte plus tard que ce pays, celui que je cherche, c’est le Mexique. Partir. C’est vraiment ce dont j’ai envie, ce dont j’ai besoin en ce moment. Un chapitre s’est terminé, j’ai fini ma licence et j’entame mon master. Trois belles années se terminent à l’ENSA Grenoble avec des souvenirs plein la tête. J’ai rencontré des personnes formidables et beaucoup appris à l’école. Je me sens maintenant prête pour de nouvelles aventures, pour partir découvrir le monde et apprendre encore plein de choses.

Pourquoi le Mexique, me direz-vous ? J’ai besoin de voir autre chose, de prendre conscience du monde qui m’entoure. Nous avons ce besoin inconscient de comparer l’inconnu au connu pour le rendre plus familier, savoir ce que cet inconnu a de plus ou de moins. L’Homme a peur de l’inconnu, il aime tout connaître et tout savoir. Le Mexique pour moi c’était aller découvrir l’inconnu, et me mettre le défi de l’apprécier et de l’apprivoiser en émettant le moins d’analogies possibles. En faisant abstraction de ces pensées comparatives que je trouve nocives à une expérience comme celle que je m’apprête à vivre. J’adore apprendre, voir et découvrir, rencontrer du monde. J’ai hâte de m’enrichir du Mexique, de sa culture, de son histoire précolombienne, de ses paysages, de sa nourriture, etc. Aussi, j’ai toujours admiré les gens qui parlent deux ou trois langues couramment, et comme je m’entête à dire « si les autres y arrivent, pourquoi pas moi ? ». Donc oui, je pars aussi pour me lancer ce défi ; parler couramment l’espagnol. C’est aussi la situation géographique de ce pays qui m’a fait me décider ; je veux vivre un autre climat, découvrir de la nouvelle végétation tropicale à mettre dans mon herbier, faire des photos de paysages tous plus beaux les uns que les autres, changer d’air quoi. Le rêve ne fait que commencer, et je crois que je n’ai pas encore conscience de ce que je m’attends à vivre durant les prochains mois. Nous faisons une première escale à la Ciudad de México, capitale surnommée « le monstre » par ses habitants à cause de sa densité de population et sa superficie sans échelle comparable. La Ciudad de México, c’est environ 8,9 millions d’habitants perchés à 2240 m d’altitude et une richesse de patrimoine gigantesque. Clément prend son vol pour Guadalajara, et je prendrai le mien quelques heures plus tard.

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9 Août 2019, aux alentours de 13h, j’atterris dans ma nouvelle ville. Je n’étais jamais partie seule nulle part et encore moins à l’autre bout du monde. Premier pied sur le sol de Guadalajara et me voilà à 9689 km de la maison pour un an. Pour me rendre à la maison, je dois prendre un taxi à l’aéroport pour lequel je paye beaucoup trop cher, trois cent pesos, équivalents à 15€ (sûrement à cause de mon accent français et de mon physique d’Européenne blonde, nommée «güerita» d’après eux). Quelle ne fût pas ma stupéfaction en découvrant la ville à travers les vitres sales du taxi miteux qui me conduisait. Une ville toute vallonnée, des maisons fabriquées en matériaux de récupération précaires, et des palmiers, surtout des palmiers. Il y en a partout, à gauche et à droite de la route goudronnée où je ne vois aucune ligne au sol pour délimiter les voies. D’ailleurs, parlons-en du trafic routier, il est un peu anarchique. Le taxi conduit bien trop vite et zig-zag dans tous les sens, mais trop vite par rapport à quoi ? À qui ? Je ne vois aucun panneau de limitation de vitesse, et tout le monde roule de la même façon autour de nous. C’est donc ok, je me dis qu’ici c’est normal et je passe à autre chose. J’aperçois qu’au bord de la route ce n’est pas très propre ; il y a des déchets qui s’entassent dans la terre, sous les énormes panneaux de publicités à l’américaine qui occultent la vue sur la ville. Nous progressons doucement vers la ville, nous voilà presque arrivés à la Casa Moustache, mon lieu de résidence. Alex le propriétaire m’ouvre la porte, je m’installe dans ma chambre et je dors pendant vingt-quatre heures ; j’encaisse mal la fatigue accumulée du décalage horaire et du voyage. À mon réveil, j’ouvre les portes en bois de ma chambre qui donne sur le patio, et j’inspire une grande bouffée d’air. Il fait beau, le bougainvillier du patio est en fleurs et les nuages bougent lentement dans le ciel bleu. Je découvre une immense maison, autant ouverte que fermée, impossible de savoir où se trouve la limite entre l’intérieur et l’extérieur. J’ai déjà des étoiles plein les yeux. « Deviens celui qu’une simple lueur de soleil émerveille » Jazzy Bazz, Éternité, 2018. Je ne le savais pas encore, mais cette phrase tirée d’un titre de rap allait devenir ma philosophie de vie. Les jours suivant, je partirai à la découverte de ma nouvelle ville, et je commencerai l’école. Le rêve ne faisait que commencer.

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HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE Le Mexique c’est où, et c’est quoi ?

Le Mexique, c’est un pays qui se trouve en Amérique du nord mais culturellement, il est plus proche de l’Amérique centrale ou latine, du sud. Il s’étend sur 1,97 millions de kilomètres carrés et abrite un petit 130 millions de personnes, rien que ça. Son relief montagneux perche les villes à des altitudes avoisinant les 2250 m pour les plus hautes. Les deux volcans qu’il possède culminent à 5000 m au dessus du niveau de la mer et le climat y est tropical : seulement deux saisons, celle des pluies de juillet à novembre, et la saison sèche de décembre à juin. Quand on parle de climat là bas, tout est exagéré : quand il fait chaud, il fait très chaud, et quand il pleut, les villes sont inondées en un claquement de doigts. C’est assez déroutant les premières fois. Je me rappelle être arrivée à Guadalajara en pleine saison des pluies, début août. Il pleuvait chaque jour à la même heure, entre 16h et 18h, et d’une intensité que j’avais rarement vue. Revenons-en plus généralement au Mexique. C’est aussi une biodiversité sans égal, étendant son catalogue végétal des cactus des régions désertiques du nord, aux jungles à la frontière du Guatemala, au sud. Son contexte géographique et climatique est favorable à une biodiversité très variée. De nombreux sites naturels du pays sont reconnus au Patrimoine Mondial de l’Unesco. La plante mexicaine par excellence est l’agave, avec laquelle on fabrique de la tequila et du mezcal, les alcools locaux. Le Mexique comme on le connaît est un pays relativement jeune. Il a pris son indépendance le 16 septembre 1810, entre autre grâce à une bataille gagnée à Guanajuato, sur l’actuelle place de l’indépendance justement. Avant cela, c’était un pays colonisé par les Espagnols, qui l’ont occupé durant trois cent ans. Guanajuato, c’était mon premier voyage sur place, un mois après mon arrivée. Nous sommes allés à Guanajuato en bus pour la fête nationale de l’indépendance, et nous n’avions pas été déçus. C’était in10

croyable de se trouver là, dans un pays que nous ne connaissions que très peu, au milieu d’une population qui nous accueille depuis maintenant un mois, à fêter leur indépendance dont ils sont si fiers. Concerts et feux d’artifices prenaient place sur cette fameuse place, là où 200 ans auparavant leurs ancêtres gagnaient la bataille. Nous étions entrain de célébrer leur histoire, leur patrimoine, et avec eux. Le 15 septembre de chaque année est poussé à 23 heures El Grito par tous les mexicains, en hommage aux héros mexicains de l’indépendance du Mexique. El Grito ¡Viva nuestra independencia! (et le peuple répond) ¡VIVA! ¡Viva Hidalgo! ¡VIVA! ¡Viva Morelos! ¡VIVA! ¡Vivan los héroes que nos dieron patria! ¡VIVA! ¡Viva nuestra libertad! ¡VIVA! ¡VIVA MEXICO! ¡VIVA! ¡VIVA MEXICO! ¡VIVA! ¡VIVA MEXICO! ¡VIVA! Le pays est fondé sur les restes de la colonisation espagnole et des anciennes civilisations précolombiennes impériales Maya, Aztèque, Olmèque, Zapotèque, Mixtèque, entre autres. Ça, je l’ai appris en cours d’histoire précolombienne au premier semestre, c’était super intéressant. Curieuses comme nous sommes, nous avons alimenté nos connaissances sur ce sujet par nos voyages. Nous avons visité certains sites précolombiens comme Monté Alban et Mitla, dans l’état de Oaxaca. Pour aller plus loin dans l’histoire du Mexique, il sait qu’il perd la moitié de son territoire en 1848 en perdant une guerre contre les États-Unis, et que le pays aura du mal à s’en remettre. On connaît sa relation actuelle avec les États-Unis d’Amérique, plus puissants, et on se rend compte que ça ne date pas d’hier. C’est l’une des choses que j’ai le plus ressenti au début,



c’est un pays très américanisé. Dans les magasins sont vendues des conserves de soupe Campbell et les publicités mettent en avant des femmes blanches, fines et blondes, aux antipodes de la femme mexicaine. La street food envahit les rues et l’influence de la mode californienne se lit sur les passants. 77% de la production mexicaine d’avocats sont consommés par les américains, ce qui en fait le commerce le plus rentable pour le pays hispanophone. L’avocat est au coeur des tensions entre les deux groupes d’états, entraînant trafics illégaux inter-pays, il serait en parti responsable de l’intention de fermer la frontière du président américain. La politique du Mexique est assez instable dû aux invasions étrangères, ce qui a ancré dans la culture mexicaine un véritable sentiment de nationalisme, comme en témoigne le 16 septembre à Guanajuato. Guadalajara est une métropole aussi capitale de l’État de Jalisco, au centre-ouest pays. Elle prend place à 1561 m d’altitude dans la vallée d’Atemajac, non loin du lac de Chapala. L’agglomération compte plus de 4,1 millions d’habitants et occupe 814 km2, ce qui fait d’elle la ville du Mexique qui occupe la plus grande surface. Celle qu’on surnomme la Perla Tapatía, ou encore la Ciudad de las Rosas, est une ville très touristique grâce à son architecture coloniale. Au premier semestre j’ai choisi un cours d’histoire de Guadalajara sous les conseils de Benoît, afin de pouvoir comprendre la ville en même temps que je la découvrais. En étudiant un par un les bâtiments historiques de la ville, j’ai appris que cette ville est très éclectique dans ses styles architecturaux. On retrouve de l’architecture coloniale bien entendu, avec ses influences françaises et espagnoles, mais aussi du classique, un peu d’art nouveau, du gothique, etc. Guadalajara est l’une des villes qui comptent le plus d’églises au Mexique. Elle a d’ailleurs été construite en fonction de ses temples et églises, en se développant autour de ces points importants (cf cours d’histoire de Guadalajara). La cathédrale et ses tours jumelles sont considérées comme un symbole de la ville. Elle se situe en plein centre historique et est construite au milieu de quatre places qui vues du ciel forment une croix. L’axe principal nord sud de la ville, la Calzada Independencia, a été construit sur l’ancien fleuve San Juan de Dios. Ce dernier a donné son nom au plus grand marché du Mexique qui se trouve au centre de là où anciennement ruisselait l’eau. Le mercado San Juan de Dios est un énorme marché couvert où l’on trouve de tout, mais surtout du cuir à bas prix. Acheter ses accessoires en cuir à San Juan c’est un plaisir pour nous : rien n’est cher car nous sommes au Mexique - le pou12

voir d’achat est radicalement différent - et on trouve des superbes pièces fait à la main. Enfin il faut rester relatif, ce n’est pas cher pour nous, mais pour un ouvrier mexicain moyen, ça reste un marché comme les autres. En euros, le salaire moyen au Mexique est d’un peu moins de 300€. Ce marché, c’est aussi à cet endroit là que toutes les eaux de pluies convergent lors des averses, construit sur les restes d’un ancien fleuve il est logiquement le point le plus bas de la ville, et forme un réservoir. Mais Guadalajara, c’est aussi un réel pôle culturel de l’ouest du pays.


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LA CULTURE La culture mexicaine est très diversifiée et prend ses racines dans les anciennes civilisations qui ont occupé le pays. L’héritage le plus important de la colonisation espagnole est la langue, devenue langue officielle du Mexique. Pour autant, il reste une cinquantaine de langues indiennes qui n’ont pas de statut officiel, comme l’ancienne langue aztèque le nahuátl. Et si les accents et expressions diffèrent entre les régions, l’espagnol mexicain reste bien différent de l’espagnol appris à l’école en France. La comida / La nourriture Personnellement, ce qui m’a le plus touché dans la culture mexicaine c’est la nourriture, la comida comme on dit là-bas. Le Mexique est aussi connu pour être le premier producteur mondial d’avocat et de maïs. Ils ne mangent que ça d’ailleurs, du maïs sous toutes les formes. Des tortillas à tous les repas -même entre les repas-, des elotes (épi de maïs grillé), des tostadas (sorte de tortilla croquante), des tamales (masse de pâte à la farine de maïs remplie de viande et de sauce, cuite dans l’eau bouillante et servie dans une feuille de maïs ou de bananier), et tant d’autres choses. Ils ont mêmes inventé une boisson au maïs, étrange non ? Dans la catégorie culinaire, le Mexique regorge de surprises. Son climat tropical est très favorable à la culture de fruits et de légumes en tout genre, donc ils ne font rien importer. Dans les marchés, les produits sont souvent locaux ou au moins mexicains et se rapprochent du bio, même s’ils n’ont pas la certification. Ce pays possède une richesse culinaire hors pair, et chaque région possède ses spécialités. Par exemple, Guadalajara est connue pour ses tortas ahogadas, une sorte de sandwich de viande qui trempe dans une sauce, et las jericallas qui sont en fait un flan à la vanille. Il y en a tant d’autres.

Los colores y la luz La culture mexicaine c’est surtout des couleurs, beaucoup de couleurs. Il y en a partout, sur les façades, dans les assiettes, sur les tissus, dans les marchés, n’importe où et n’importe quand. Je prenais toujours du retard à m’arrêter dans la rue pour photographier les façades et leurs assortiments de couleurs improbables. Ce qui est magique, c’est que la ville se transforme en suivant la lumière du soleil : les couleurs évoluent selon l’ensoleillement, créant des ambiances différentes à chaque heure de la journée. La lumière du Mexique, c’était devenu notre passion à mes amis photographes et moi. C’était magique. Las fiestas Après la fête de l’indépendance en septembre, ils célèbrent en Novembre la traditionnelle fête des morts, el día de los muertos. C’est une célébration très chère à leur coeur qu’ils en rateraient pour rien au monde. On célèbre d’abord les enfants morts appelés « los angelitos » le 1er novembre, puis les adultes le 2 novembre, alors que chez nous la Toussaint ne dissocie pas les deux. Ils montent des autels chez eux et dans les rues en l’honneur de leurs défunts, et déposent de la nourriture comme offrande aux morts qui la nuit, descendront du ciel pour en profiter. Les autels sont décorés de calaveras, têtes de mort décorées de peinture, de bougies, de nourriture, de photos et de fleurs orangées communément appelées chez nous des oeillets d’Inde. Une fois repus, la légende raconte que les morts remontent au ciel jusqu’à l’année d’après, où ils redescendront sur Terre pour se restaurer de ces généreuses offrandes. Pour cette fête-ci, nous nous sommes rendus à Patzcuaro dans l’état du Michoacán, et la magie était au rendez-vous. Nous prenons d’abord un bateau allègrement décoré d’oeillets d’Inde qui nous amènent sur une île au milieu d’un lac. Les mariachis à bord 15


nous mettent dans l’ambiance et nous arrivons déjà sur l’île. Le cimetière est ouvert au public et nous pouvons visiter les sépultures décorées pour l’occasion, à la manière des autels. Il ne ressemble pas aux cimetières que je connais, les tombes sont marquées par des croix en bois ou en fer plantées dans le sol en terre, et on circule entre et sur les tombes ; il n’y a pas d’allées, de chemins. Nous suivons les locaux qui se balade dans le cimetière en allumant des bougies et en jetant des pétales de fleurs pour guider les âmes vers leurs tombes. On joue le jeu en se maquillant en calavera et en portant fièrement nos couronnes de fleurs. C’est une fête haute en couleurs et en émotions, très ancrée dans la vie mexicaine. Pour Noël, Navidad, les fêtes commencent quelques semaines avant le 25 décembre avec les posadas, des sortes de dîner avec les amis et la famille où les enfants reçoivent déjà quelques cadeaux, pour patienter avant la venue du père Noël. Je ne m’attarderai pas sur cette dernière fête de l’année car elle n’est pas très différente de celle que l’on connaît chez nous. La culture de la fête est très présente au Mexique, ils aiment se réunir pour danser, rire, partager des repas et montrer à leurs proches qu’ils tiennent à eux. Une fois de plus, ces festivités sont toutes plus colorées les unes que les autres ce qui entraîne un élan général de bonne humeur et de joie. El arte y la arquitectura Je pense que dans cette catégorie, on peut dissocier plusieurs périodes. D’abord, nous avons l’art précolombien dont ils ont hérité de nos amis les Aztèques, les Mayas, les Olmèques etc. L’héritage artistique de cette époque est composé de beaucoup de statuettes en pierre et en terre cuite, représentant des guerriers ou des dieux. Traditionnellement les Aztèques et les Mayas vénéraient 10 dieux différents ! Les plus impressionnantes que j’ai pu voir se trouvent aux musées Museo de Las Culturas à Oaxaca de Juárez et Museo de Antropología dans la capitale. Dans ce dernier musée, j’ai aussi eu la chance de voir un immense calendrier maya très bien conservé, si ça c’est pas la culture du Mexique ! Chalchiuhtlicue / Déesse de l’eau Xiuhtecuhtli / Dieu du feu Huitzilopochtli / Dieu de la guerre Tonatiuh / Dieu du Soleil Tezcatlipoca / Dieu du ciel et de la terre Tláloc / Dieu de la pluie Ehécatl / Dieu du vent Cintéotl / Dieu du maïs 16

Mictlantecuhtli / Dieu de la mort Quetzalcóatl / Dieu de la vie Puisqu’il serait beaucoup trop long de vous parler de toute la culture de l’art mexicain, je vais vous parler de ces artistes qui m’ont touchée. En premier lieu, José Clemente Orozco, peintre né dans l’État de Jalisco, non loin de Guadalajara où il réalisera ses plus impressionnantes peintures murales. Dans les premières semaines qui ont suivi mon arrivée, nous avons visité la ville en commençant par ses bâtiments les plus importants, les plus significatifs. La visite de l’Instituto Cabañas m’a beaucoup marqué, premièrement car j’y ai perdu mon portefeuille, mais aussi car nous nous sommes greffés à un groupe suivant une visite guidée sur les murals d’Orozco. Nous ne comprenions pas tout à l’espagnol parlé par le guide, mais assez pour assimiler l’intention principale des oeuvres. Les peintures d’Orozco sont souvent frappantes car elles racontent des scènes macabres, qu’il représente avec l’utilisation subtile de noir et de rouges profonds. Les thèmes qu’il aborde sont également profonds et plein de colère ; il dénonce majoritairement l’injustice sociale qui règne au Mexique et ailleurs. Je me souviens avoir été frappée par ces représentations très sombres et très grandes : ces murals sont généralement de très grandes dimensions, et s’étendent parfois jusqu’au plafond créant une atmosphère très particulière, comme dans les escaliers du Palacio del Gobierno à Guadalajara. Mais l’oeil subtil d’Orozco ne s’arrête pas là, beaucoup de détails sont dissimulés dans ses peintures que l’on peut regarder sous plusieurs angles. Il dessine la perspective d’une certaine manière pour que le bout de l’épée nous pointe toujours, à n’importe quel endroit où nous nous trouvons. Je pourrais aussi vous parler de Diego Rivera et de sa femme, Frida Kahlo, un couple d’artistes dont je suis allée visiter la maison et les ateliers dans la ville de Mexico, ou bien de Luis Barragan que je ne vous présente plus. Commençons par le couple d’artistes mexicains qui a beaucoup fait parler de lui à travers le monde. Je dois avouer qu’avant d’avoir visiter leurs maisons, je ne m’étais jamais vraiment attardée ni sur leur histoire et ni sur leur art. Le couple mythique peut paraître de prime abord très éclectique de part leurs physiques opposés, mais à y regarder de plus près, ce sont leurs ambitions qu’ils ont en commun. Ce qui les anime, c’est l’art, c’est un fort sentiment nationaliste partagé, le même sens de la couleur, le même imaginaire, le même sentiment nationaliste, le même souci de la construction et surtout le même goût pour la liberté. Dans leurs oeuvres, on ressent le même pa-



lette artistique violente et sauvage, qu’ils utilisent pour “peindre et incarner l’âme profonde du Mexique”1. J’ai eu un vrai coup de coeur pour les maisons-ateliers que l’architecte Juan O’Gorman a conçu pour eux à la Ciudad de México. Des bâtiments géométriques hauts en couleurs alliant fonctionnalité et esthétisme, voilà comment je les décrirais. De géants cactus verticaux délimitent la propriété et forment une barrière (très ingénieux d’ailleurs comme système de barrière végétale), et à l’intérieur se trouvent trois bâtiments qui remplissent chacun une fonction. Il y a deux maisons-ateliers reliées par une passerelle au niveau du toit, et un studio de photographie. C’est là-bas que j’ai fais mes premiers clichés argentiques, avec un appareil photo jetable Fujifilm. Les rouges et les bleus des peintures des façades se marient parfaitement avec le vert des cactus et le bleu du ciel. Tout me fascinait là-bas, de la lumière filtrée par les fines vitres aux systèmes mécaniques d’ouverture des fenêtre, tout est pensé à la perfection. J’avais commencé à écrire une rubrique architecture, mais je me rends compte qu’il m’est difficile de dissocier l’art de l’architecture. L’un me ramène toujours à l’autre, et j’aime penser que ces deux disciplines n’en font qu’une. Pour illustrer cette pensée, je vais vous parler de mes expériences avec l’architecture de Luis Barragan. Lors de ce même voyage à la capitale où nous avons découvert les maisons-ateliers de Juan O’Gorman, nous avons visité la casa-estudio de Luis Barragan et son Jardin 17, juste de l’autre côté de la rue. Une fois de plus, j’en parle car j’ai eu un énorme coup de coeur pour ces projets. C’était la première fois que je ressentais ces émotions dans un bâtiment. Il faut savoir que la Casa Estudio de Luis Barragan est reconnue par le patrimoine mondial de l’UNESCO comme bâtiment histoire et oeuvre d’art depuis 2004. En ce sens, la maison est un musée dans lequel nous ne pouvons ni toucher les sols avec nos chaussures, ni les murs avec nos mains ou même les effleurer avec nos sacs, ni les meubles. Elle fut construite en 1948 et est l’une des oeuvres les plus représentatives de l’architecte Tapatio Luis Barragan. On y trouve un juste mélange d’architecture vernaculaire, traditionnelle et moderne, et tout a été conservé intact depuis la mort de l’architecte en 1988. Tout a été designé par Barragán, des poignées de portes en passant par l’emplacement des arbres dans le jardin, cet ensemble architectural est un exemple de précision inéluctable. Et ça se ressent à l’intérieur : si vous vous ouvrez assez pour tenter de comprendre et de ressentir l’espace, vous serez forcément touché par cet oeuvre architecturale. Malgré ce qu’on pourrait croire, elle n’appartient pas 18

à l’état du DF (Distrito Federal) dont fait partie la capitale, mais la casa-estudio est la propriété du Gobierno del Estado de Jalisco et de la Fundación de Arquitectura Tapatía Luis Barragán. J’ai été touchée par la justesse de la géométrie, les ambiances travaillées et les effets de “manipulation” mentale qu’il a mis en oeuvre. Chaque salle possède son ambiance, avec ses textures, ses matériaux, ses couleurs, et ses ouvertures sur un paysage finement conçu. Je me souviens de ce qui s’apparenterait à la salle à manger, où l’architecte a créé une atmosphère douce et intimiste, grâce à la moquette au sol, les meubles en bois massif foncé et poli, et cette ouverture opaque faite de carreaux de verres qui laisse pénétrer la juste quantité de lumière dans la pièce. Cette fameuse ouverture est enfoncée d’une vingtaine de centimètres dans le mur, ce qui donne l’impression que la maçonnerie est épaisse. Or, c’est un effet d’optique qui conforte l’usager dans ce sentiment d’intimité, de protection, de cocon presque. En réalité le mur ne mesure pas plus de 10 centimètres et la fenêtre ressort de la façade à l’extérieur. Cet exemple n’en est qu’un parmis les nombreuses prouesses architecturales qu’a réalisé Luis Barragán.




LA COMIDA DE LA CALLE La nourriture de rue

Le premier jour, je me rappelle être allée au mercado IV Centenario accompagnée de Flore, une belge qui vivait dans la même maison que moi. Elle connaissait tout, deux ans avant elle avait vécu six mois à Guadalajara et fait un an en Argentine. Il y avait des fruits et des légumes à profusion, ça sentait bon, les fleurs adoucissaient les étales. Je ne voyais que des taches de couleur toutes plus rayonnantes les unes que les autres, le jaune à côté du vert, le rouge et le orange aussi. Les allées des marchés, c’est une explosion de fraîcheur et de bonne humeur, une bonne dose de dynamisme pour passer une agréable journée. Le marché, il est présent tous les jours de 7h30 du matin à 17 heures. Ce sont toujours les mêmes marchands qui tiennent leur même stand, vendent leurs mêmes fruits et légumes, et gagnant la même misère pour tant de travail. En vivant là-bas, j’ai appris que la plupart de ces gens qui travaillent dans les marchés et derrière leurs puestos dans les rues, ceux qui vendent de la nourriture et des produits frais, ne vivent que de ces revenus-ci. Si un matin ils ne sortent pas dans la rue exposer et vendre le fruit de leur travail, ils n’auront pas de rentrée d’argent. Quand on prend conscience de ça, on consomme d’autant plus frais et local et on finit par complètement se passer des supermarchés. Je me suis très vite demandée si ces ventes de nourriture dans les rues était bien légales, si j’en croyais le nombre de marchands. En discutant avec des mexicains, je me suis vite rendue compte que la législation et eux ça fait deux, ils ne sont pas très à cheval sur les règles. Personne ne les respecte vraiment, mais ils n’ont pas souvent de problèmes puisque la police est de leur côté, et elle est même souvent corrompue (ça c’est la réalité, quelques billets et ça passe). Même pour construire les maisons, ils n’emploient pas souvent d’architectes alors que légalement ils en sont obligés, donc les constructions sont souvent douteuses.

Pour terminer sur la comida de la calle, il faut savoir que nos estomacs ne sont pas habitués au type de bactéries présentes dans les produits mexicains, et cela nous vaut parfois de belles intoxications alimentaires, fort peu agréables (j’en comptabilise 3 durant l’année pour ma part, dont une dans l’avion super souvenir, alors que je n’ai jamais été malade en France). Ce n’est pas que la nourriture est sale ou contaminée, juste que les bactéries sont différentes et nous font réagir facilement. Si jamais ça vous arrive, une bonne bouteille de Kombucha artisanale Belot (celle que fabrique Alex, le propriétaire de la casa moustache) et on repart sur de bonnes bases intestinales.

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SENTIMENT NATIONALISTE J’ai déjà vaguement évoqué la relation conflictuelle entre les États-Unis et le Mexique un peu plus haut, mais maintenant j’aimerai vous parler du sentiment nationaliste palpable qui règne dans ce dernier pays. Je ne vais pas m’attarder trop longtemps, mais j’aimerais juste que vous vous rendiez compte à quel point les mexicains sont fiers de leur pays et revendiquent leurs origines. Dans les rues, on croise à longueur de journée des drapeaux aux couleurs rouge, blanche et verte, en soirée on entend des musiques typiquement typiques, dans les restaurants les enseignes “comida mexicana” fusent. Quand on parle avec un mexicain, on se rend vite compte au fil de la conversation qu’il aime foncièrement son pays d’origine. Il est fier de sa culture, de son histoire, et de ses beaux paysages. Ce qui est d’ailleurs assez contradictoire avec leur envie partagée d’expatriation. En effet, plusieurs étudiants mexicains avec qui j’ai eu l’occasion de discuter m’ont fait part de leur envie de partir vivre ailleurs plus tard, de ne pas faire leur vie dans leur pays chéri. Ils souhaitent se construire dans un pays plus développé, plus riche, où la sécurité mentale et physique règne. Au Mexique, les salaires restent très médiocres même si le coût de la vie y est relativement bas. Comme on rêverait d’Amérique en Occident, eux rêvent d’Europe et de Canada. Ils veulent travailler pour gagner de l’argent, et surtout subvenir aux besoins de leur famille, les rendre heureux. Comme quoi, le rêve est partout. Dernier petit point qui m’a touchée, “tu as vu plus de mon pays en 6 mois que je n’en ai jamais découvert en 22 ans”. Cette phrase qui m’a été prononcée par Chino, de son vrai nom Edgar, résonnera dans ma tête à chaque voyage que je ferai à présent. J’aimerais juste qu’on se rende compte de la chance que nous avons de pouvoir voyager aussi facilement à travers le monde, parce que nous avons les moyens et surtout un passeport européen. On banalise sûrement 22

un peu trop tous nos voyages, nos escapades aventurières qu’on apprécie tant. Un faible pourcentage de la population mondiale en a la possibilité. C’est une chance de pouvoir découvrir le monde, soyons-en conscients. Certaines réalités m’ont parfois rappelé que rêver c’est bien, mais que le vrai monde se trouve ici, sur terre.


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9 MARS 2020, EL DIA VIOLETA Manifestation pour les droits des femmes

“Au Mexique, les mouvements féministes mettent la pression sur le gouvernement d’Andrés Manuel Lopez Obrador, bien décidés à obtenir des avancées concrètes contre les violences machistes et les féminicides. En 2019, plus de 3 800 femmes ont été tuées dans le pays.” France 24, 8 mars 2020, Mexique, Le fléau national des féminicides. Loin de nos réalités, le Mexique est un pays qui souffre. Un pays qui souffre d’inégalités, de pauvre et de précarité, mentale et matérielle. Tous ces facteurs réunis forment une sorte d’insécurité mentale et parfois, certains drames ont lieu. Le Mexique, c’est un peu plus de dix femmes tuées par jour en 2019. Pour bien mesurer l’échelle de ces crimes, je vous dirais qu’en France, nous sommes environ à dix par mois, soit trente fois moins. Le dimanche 8 mars dernier, loin de savoir que quinze jours plus tard je prendrai l’avion pour rentrer en France, j’ai décidé d’aller manifester pour la première fois de ma vie. Je suis de nature très calme et positive, j’aime défendre des causes mais de la manière la plus pacifiste qui soit. Manifester, c’était un grand pas. Mais Alina et Stef, mes colocs québécoises chéries, y vont, alors j’y vais. Nous nous retrouvons au milieu d’une foule de femmes défilant sur l’avenue Ignacio Vallarta, et luttant pour que toute cette violence cesse. Elles luttent car tous ces féminicides ont été commis uniquement car ces personnes étaient des femmes, des mères, des filles, des étudiantes, des petites filles. C’est donc d’un regard neuf et d’une oreille attentive que je défile au milieu d’elles, essayant de retenir les chants en espagnol pour les chanter, prenant des photos pour immortaliser ces visages meurtris. Le violet était omniprésent comme couleur de la femme et de ses droits. Le lendemain était la journée internationale des droits de la femme, le lundi 9 mars 2020, et les femmes résidant au Mexique étaient invitées à rester chez elles, à ne pas sortir de la journée pour qu’une fois dans l’année, les hommes vivent dans un 24

monde sans femmes. Sans femmes dans les rues, dans les écoles, dans les magasins, sur les réseaux sociaux, nulle part. Ce mouvement a pour but de faire réaliser aux hommes l’espace d’une journée ce que serait leur vie sans ces personnes pourtant essentielles, mais que certains ne traitent pas à leur juste valeur. C’est une initiative prise très au sérieux, en tout cas à Guadalajara, puisque même nos professeurs nous ont ordonné de rester cloitrées, qu’ils ne voulaient surtout pas nous voir le 9 mars en classe. À l’école le mardi suivant, des banderoles accusant des élèves et des professeurs de l’UdG de harcèlement moral et sexuel délivrent un message de haine et de souffrance. Dans les escaliers principaux du CUAAD il y avait une scène reconstituée de meurtre, avec un faux cadavre sanglant dans une toile de jute. L’école était décorée de messages de protestation et de colère. “Harceleurs”, “violeurs”, “pervers”, les mots que l’on lisait sur les pancartes faites main. Le plus surprenant, c’est que ces femmes n’hésitent pas à dénoncer de vive voix les noms et prénoms de ces hommes ayant abusé d’elles : on voyait des photos de professeurs suivies de mentions accusatrices, au même titre que certaines photos d’étudiants, jusqu’à ce qu’elles soient arrachées par ces hommes et replacées par ces jeunes femmes. Au dessus de la salle des profs, une affiche “ACOSADORES” est brandie, signifiant mot pour mot “harceleurs”. Ces manifestations fortes reflètent la douleur et la violence que subissent toutes ces femmes tous les jours, dans la rue, au travail, à l’école, et même à la maison.


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LES CLICHÉS Si je vous parle du Mexique maintenant, sans avoir lu ce rapport, vous avez forcément des clichés qui vous viennent en tête. Les cactus, les mariachis, les sombreros, les tacos, le chile piquant, la tequila, la moustache, tout ça quoi. Je ne vais pas tout démentir en vous disant que ces clichés sont faux, car ils sont bel et bien réels, mais à nuancer je dirai. Une culture aussi assumée laisse forcément place aux stéréotypes, c’est le jeu. Le pays des cactus J’adore cette expression, je l’utilise tout le temps. Le Mexique est le pays par excellence des cactus avec 700 espèces dont plus de 500 d’origine mexicaine. C’est une plante qui vit dans les régions semi-désertiques à désertiques, et couvre près de 50% du territoire national. Le cactus ne demande quasiment aucun entretien et à de nombreuses vertus, c’est une plante fascinante. Elle évoque le soleil, la chaleur, le calme. On l’utilise à tout va, dans la nourriture, les boissons, les soins. On mange du nopal, une espèce de cactus comestible consommée chaud dans une poêlée ou froid dans une salade. On en fait aussi des eaux super rafraîchissantes, les aguas frescas. Dans les marchés, on trouve aussi de la tuna, fruit du figuier de barbarie. Effectivement, le Mexique est bien le pays des cactus, mais pas que. Même si le climat désertique du nord favorise la vie des plantes grasses, le sud arbore un climat tropical et possède de nombreuses jungles où est née la civilisation précolombienne maya. Les mariachis et leurs sombreros Imaginez, vous êtes assis à la table d’un restaurant et vous dînez tranquillement quand tout à coup, trois hommes habillés en costumes traditionnels entrent en scène. Armés de leurs guitares, ils s’empressent de jouer leurs morceaux favoris et sous leurs sombreros

on discerne leurs visages envoûtés par la musique. Durant dix minutes tout le monde se met en pause et écoute attentivement le concert, frappant dans leurs mains au rythme du son. C’est ça la culture locale, que de la buena onda, que de la bonne humeur. Ils terminent leurs dernières notes, saluent le public et s’approchent des clients qui tendent un billet. La culture locale c’est aussi transmettre sa joie et savoir recevoir des autres. C’est ce que ces dîners chantants m’ont appris durant ces huit mois. Les tacos À toute heure de la journée, vous pouvez tomber sur un mexicain avalant une tortilla chaude ou froide, garnie ou non, chez lui ou dans la rue. Un peu comme le pain l’est en France, la tortilla est sur toutes les tables au Mexique. Elle est faite avec la fameuse massa comme base, qui veut dire masse, elle-même composée de farine de maïs (ils sont fans du maïs). Et faire des tortillas c’est tout un art : on écrase une petite boule de massa à l’aide d’une presse à tortillas, et on la fait cuire sur une surface chaude et sèche, surtout pas de matière grasse. Elles s’achètent au prix dans les tortillerías, « pour 20 pesos de tortillas s’il vous plait » et pour moins d’un euros, tu repars avec une grosse vingtaine de tortillas encore fumantes à la sortie du four. On les garnit de fromage de Oaxaca, un fromage filandreux dit à quesadillas, du guacamole maison, des légumes, sans oublier le chile (piment). C’est la recette pour un brunch de dimanche matin bien réussi. Voilà ce que ça me rappelle les tacos, des moments conviviaux de rigolades avec les amis le dimanche matin. Je pense que c’est ce que représente le taco dans ce pays, le partage. De sa fabrication à sa consommation, la tortilla rassemble les gens autour d’une seule et même occupation ; la transmission du savoir-faire ancestral de ce met. 27


El chile / Le piment Communément connu sous le nom de piment, le chile se décline sous plein de formes différentes et se trouve partout. On le reconnaît dans les marchés grâce à sa couleur rouge, jaune, orange ou verte. Par contre au niveau de la taille, il faut s’y connaître. Il y en a de toutes les dimensions, de toutes les formes, et tout ce que j’ai retenu c’est que plus il est petit, plus il est piquant ! Ils en mettent dans tous les plats, et pas en poudre ou en pâte comme chez nous, non non, ils coupent les chiles frais arrivés du marché et hop, dans le guacamole. À vrai dire, je ne me suis jamais vraiment habituée au piquant durant mon séjour… Ne vous y méprenez pas, quand un mexicain vous dit que ça ne pique pas, ça pique. Quand il vous dit que ça pique un peu, ça pique beaucoup, et ainsi de suite. Les plus téméraires tenteront les plus piquants, moi non. Donc oui, au Mexique on mange vraiment piquant. El Tequila « Hecho en México », voilà ce qu’on lit sur les bouteilles de Tequila qu’on achète dans les grandes surfaces. Effectivement, el tequila (oui parce que tequila en espagnol, c’est masculin) est bel et bien un alcool produit au Mexique, et je dirais même dans la ville de Tequila, à cent kilomètres à peine de Guadalajara dans l’état de Jalisco. L’appellation vient du náhuatl Tekilan. Elle est produite grâce à l’extraction du jus de la piña d’agave, et à une certaine fermentation. Très honorés d’être si proches de l’origine même de cette boisson que nous connaissons tous, nous sommes allés visiter les distilleries de la ville et c’est là-bas que nous avons pu apprendre son processus de création. Une forte odeur de vapeurs d’alcool s’émanait des cuves, machines d’extraction et fours tout au long de la visite. Visite qui s’est évidemment terminée par une dégustation de 10 tequilas différentes, et un barra libre (open bar) de bienvenue dans le pays. La moustache Dite bigote, elle est effectivement beaucoup portée par les mexicains. Aucune analyse supplémentaire n’est nécessaire.

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L’ESPAGNOL Je passe rapidement sur l’espagnol, cette langue si chaleureuse qui fait penser au soleil. Avant de partir, je le parlais un petit peu, c’est la langue dans laquelle je me sens le plus à l’aise après le français. Ce petit niveau m’a permis de me débrouiller sans soucis à mes débuts au Mexique, on me comprenait généralement et j’appréciais beaucoup ça. Je les faisais souvent sourire avec mon accent français et les r que je ne parviens toujours pas à rouler, mais j’aime bien ça, ce petit charme de l’étranger. Les mexicains ADO-RENT par dessus tout qu’on fasse l’effort de parler leur langue, de communiquer avec eux en utilisant leurs mots. On partage avec eux une certaine curiosité, entre celui qui souhaite apprendre la langue et celui qui veut partager sa belle culture linguistique. Il ne faut donc pas avoir peur et y aller franchement, quitte à se tromper, ils nous reprennent et c’est comme ça qu’on apprend et qu’on progresse. Je me suis vite rendue compte que c’est plus facile à dire qu’à faire…

un très bon français avec uniquement six mois de vie en France. On le sait, le français n’est pas une langue simple, mais ça ne lui a pas du tout fait peur. Je lui disais souvent “je veux parler espagnol comme tu parles le français”, ce à quoi il me répondait humblement qu’il n’était pas du tout satisfait de son niveau. Effectivement, il parlait couramment l’anglais aussi, mais parce qu’il s’était fait violence en allant travailler à un standard téléphonique de prévention suicide, en anglais. Quelle personne incroyable cet Allan. À jamais quand j’entendrai un mexicain parler, j’aurai chaud au coeur. Un coup de mou ? Je lance ma playlist mexicaine préférée, je chante et tout va mieux.

Pour progresser plus rapidement, nous avons pris des cours optionnels d’espagnol à l’école (qui ne comptent d’ailleurs pas dans les crédits à valider), où nous avons appris pas mal de vocabulaire. L’espagnol qu’on apprend à l’école en France est assez différent de celui parlé au Mexique, mais on s’adapte vite. Je trouve que le parlé des mexicains est fluide et sans accent, ils prononcent parfaitement toutes les lettres et syllabes ce qui nous permet de tout comprendre très vite. Très vite, j’ai parlé français à l’école et à la maison puisque j’étais baignée entre français, belges et québécois. Je regrette un peu de ne pas avoir fait souvent l’effort de parler espagnol, sûrement par facilité. Je crois qu’en réalité je ne suis pas très à l’aise avec les langues en général, même si je n’ai jamais été mauvaise. Je comprends quasiment 100% de ce qu’un mexicain va me dire, et je saurais lui répondre, mais je ne serais pas très à l’aise. C’est donc un point sur lequel je dois travailler pour mes prochains voyages. Je prends souvent l’exemple de mon ami mexicain Allan, qui parle 29



LES COURS Lorsque nous préparions notre départ il y a maintenant un an, nous avons dû sélectionner les cours auxquels nous allions assister. Je me rappelle avoir été surprise du nombre de cours qui nous était proposé. J’ai même eu beaucoup de mal à n’en choisir qu’une dizaine pour l’année entière, tellement tout me paraissait intéressant. L’Universidad de Guadalajara (UdG) est constituée de plusieurs campus selon les domaines, répartis dans la ville. Tout ce qui est lié à l’art ou l’architecture est réservé au CUAAD (Centro Universitario de Arquitectura, Arte y Diseño), et le CUAAD s’étend sur trois campus distincts. Un pour l’architecture, le design et la mode, un autre pour la danse, la peinture et la photographie, et un autre pour la musique. J’avais donc des cours dans des campus différents ; des cours d’architecture, d’histoire, de peinture et de photographie. J’ai choisi ces cours là car je n’y ai pas accès en France, et c’était pour moi une bonne manière de découvrir d’autres disciplines. Les cours d’art sont, à mon sens, complémentaires à la formation d’architecture. Les cours d’architecture dispensés à l’ENSAG sont très intéressants et enrichissants, mais j’ai le sentiment qu’on ne passe pas assez de temps sur la partie rapport à l’art du projet. J’ai toujours pratiqué la peinture, le dessin et la photographie comme loisirs, et ces enseignements n’ont fait que me conforter dans l’idée que ces compétences serviraient mes projets d’architecture. Le système éducatif du Mexique est très différent du nôtre, qu’on peut caractériser comme discipliné et exigent. Là bas, le niveau d’enseignement est relativement plus bas et les attentes des professeurs sont moindres, ce qui nous permet, à nous étudiants en échange, de relâcher la pression des études durant un an et de s’enrichir d’autres choses. En tant qu’étudiants étrangers, nous n’avons que très peu de cours à sélectionner, donc peu d’heures de cours, et nous sommes maître de notre emploi du temps. Si tu souhaites avoir

du temps pour faire des activités extra scolaires ou des voyages, c’est possible ; à toi de façonner ton emploi du temps comme tu le sens. Et ça, c’était une nouveauté pour moi car je n’ai jamais eu le choix de mes cours ou de mon emploi du temps. Comme je l’avais imaginé avant mon départ, j’ai mis à profit ce temps libre en m’exerçant beaucoup dans la photographie numérique, et j’ai même commencé la photographie argentique qui me plait énormément. J’ai également appris à faire du montage vidéo, et réalisé quelques courts films avec des images personnelles dont je suis assez fière. Durant ce temps libre, j’ai aussi beaucoup voyagé et découvert des endroits merveilleux dont je parlerai plus tard. Composicion arquitectonica VIII, c’était le nom de mon studio de projet du second semestre. Contrairement à l’enseignement de projet en France, le projet est dispensé trois fois par semaine, par sessions de trois heures, les lundis mercredis et vendredis. La professeur avait fait des groupes, mélangeant les huit élèves en échange avec des locaux. Nous étions un groupe de trois filles, deux mexicaines et moi. Il a donc fallu que j’élabore un projet entier dans une autre langue, en réfléchissant en espagnol pour me faire comprendre par mes camarades. C’était très différent du premier semestre où j’étais en binôme avec Maëlle, qui vient de l’ENSAG comme moi. Nous nous étions mises ensemble au début car nous redoutions la conception du projet en espagnol, avec des personnes qui n’ont pas appris à concevoir un projet de la même façon que nous. Avec le recul, je pense qu’avoir commencé en binôme avec une française était bien pour nous laisser le temps de nous adapter à la manière d’enseigner et d’évaluer dans ce nouveau pays. Le sujet du second semestre était la requalification d’un bâtiment inutilisé, en changeant son usage principal. Le bâtiment que nous avions choisi se trouve sur l’Avenida Ignacio Vallarta, grande avenue qui coupe la ville de Guadalajara horizontalement. C’est un axe très passant et très bien 31



desservi par les transports en commun (bus et vélos de ville). L’édifice est un immeuble de quatre niveaux et un toit terrasse, accolé à un hangar qu’ils appellent bodega. Le rez-de-chaussée servait avant de local commercial, et les étages de logements. Nous avons décidé, d’après le contexte rural et sa situation géographique stratégique dans la ville, de créer un restaurant dans le local commercial, une galerie d’art dans les deux premiers niveaux et des logements collocatifs sur les deux étages restants. Ce studio de projet m’a particulièrement touchée premièrement car c’était la première fois que je travaillais en groupe avec des étrangers et dans une autre langue, mais aussi car je trouve le sujet très actuel et intéressant. À la rentrée, j’intègregai le master Architecture, Ville et Ressources qui traite de problématiques similaires à celle-ci, de réhabilitation de l’existant dans un contexte rural. J’aime retracer l’histoire des bâtiments pour les comprendre et leur donner un nouvel usage adapté, les faire revivre. L’approche pédagogique m’a aussi beaucoup interpellée, dans le sens où le processus de conception était nouveau pour moi. En effet, nous sommes passées par plusieurs étapes de conception, allant du photomontage pour explorer les possibilités architecturales à plusieurs échelles, au moodboard pour les ambiances, aux planches texture pour travailler l’harmonie générale, jusqu’aux diagrammes de circulations. J’ai beaucoup apprécié découvrir de nouveaux outils de conception et il est certain qu’ils me serviront dans mes prochains projets. Concevoir un projet d’architecture avec de nouvelles méthodes est très enrichissant, et d’autant plus dans un autre pays duquel nous avons tout à apprendre. Je me souviens que nos camarades nous faisaient des remarques au premier semestre sur nos manières de dessiner les salles de bains et les plans, car les codes conventionnels du dessin que nous avons chez nous ne sont pas les mêmes de l’autre côté du globe. C’est assez amusant et enrichissant de fouiller dans les projets de nos camarades mexicains, car effectivement nous n’avons pas appris à concevoir des espaces de la même façon. En revanche, comme je l’ai dis plus haut, le niveau d’enseignement est visiblement plus bas et de ce fait, les exigences aussi. La maestra ne pénalisait pas les devoirs rendus en retard, et ne mettait pas de zéro pour ceux qui n’étaient pas livrés. Tout le monde arrive un peu à l’heure qu’il veut en classe, s’installe à sa table sans sortir le moindre carnet ni le moindre stylo pour prendre des notes, pose sa tête sur son sac et attend que le temps passe, pendant que d’autres essayent de travailler sur le peu de place qu’il reste sur le bureau.

Au départ c’est un peu déroutant, étant habituée à une certaine discipline et un certain respect des enseignants en France, mais on s’y fait rapidement. Par contre, impossible pour moi d’accepter que les élèves ne retirent pas leurs lunettes de soleil en s’adressant aux autres ou à la professeure. Au CUAAD, les salles de classes sont modernes et très bien équipées : toutes possèdent une grande télévision placée derrière une vitre sur laquelle ils écrivent au feutre, comme sur un tableau où l’on projeterait des diapositives. Un bureau sur deux est équipé de prises, et ça, quand on vient de l’ENSAG, on ne peut qu’apprécier. En rentrant prématurément en France au cours du second semestre, j’ai du poursuivre les cours par internet de chez moi, comme tout le monde. J’ai rencontré plusieurs difficultés durant les deux mois de cours par correspondance avec le Mexique. La première, de moindre importance je vous l’accorde, était les horaires de classe. Avec un décalage horaire de sept heures, le cours de projet de 15h-18h se transformait en 22h-1h et autant dire que j’étais moins efficace à cette heurelà qu’en pleine après midi. Si j’avais des questions sur le projet durant mes journées de travail à poser à mes coéquipières, je devais attendre minimum jusqu’à dixsept heures pour espérer avoir une réponse, ce qui ralentissait beaucoup mon rythme de travail. J’ai eu du mal à tenir un rythme de travail constant et productif durant le confinement puisque souvent je commençais réellement à travailler après dix-sept heures, et jusque tard la nuit. De ce fait, mes rendus n’étaient pas vraiment à la hauteur de ce que j’ai pu rendre en France et je dois avouer que ce sentiment d’insatisfaction de son travail est assez désagréable. Le second hic, c’était les professeurs qui ne répondaient pas. Parce que oui, lorsque je suis arrivée en France, l’UdG nous a gentiment avertis que nous devions nous-même prendre contact avec tous nos professeurs un par un pour la continuité de nos cours. Évidemment, aucun contact de nous a été fourni, aucune liste de mails ou de numéros Whatsapp, rien. C’est là qu’ont commencé les péripéties pour valider mon année. Durant un mois et demi, je n’avais que le cours de projet qui continuait. Malgré les mails et messages Whatsapp envoyés aux autres professeurs, aucun ne me répondait clairement concernant la poursuite de son enseignement à distance. Après m’être beaucoup inquiétée pour la validation de mes crédits, tout à fini par “rentrer dans l’ordre” puisque les professeurs m’ont tous mis de bonnes notes, même si je n’avais fais que la moitié du semestre finalement. Pour l’anecdote, j’avais pris un cours d’histoire des cultures au second semestre, mais un souci d’emploi du temps a fait que je n’ai pas pu me 33


rendre à ne serait-ce qu’un seul cours, et devinez quoi ? Le professeur, que je n’ai jamais vu, m’a mis la note de 100/100. Quand je vous dis que le système éducatif mexicain est un peu bancal, je ne vous mens pas. Le second enseignement dont j’aimerai parler est le cours de photographie dispensé par José Luis Mireles Madrueño. Quand j’ai vu que l’UdG proposait des cours de photographie, je n’ai pas hésité une seule seconde à m’y inscrire. Sous les conseils de Benoît, j’ai choisi ce professeur qui est un architecte photographe très intéressant. Il a passé un peu de temps à Montpellier durant ses études, ce qui fait de lui un fan incontesté de la France. J’ai tellement aimé ce cours au premier semestre que j’ai décidé de le poursuivre au second, mais avec une petite variante. Le premier semestre c’était un cours de photographie basique, où l’on apprenait à paramétrer notre appareil photo, les règles de composition, et toutes les bases de la photographie. Voilà presque dix ans que je pratique la photographie pour mon plaisir personnel, et s’en est devenu une vraie passion. J’ai tout appris toute seule, en essayant, en ratant puis en réussissant à obtenir les résultats escomptés. N’ayant jamais été “coaché” pour prendre des photos, j’avais tout à réapprendre. Comprendre la mécanique d’un objectif, s’entraîner avec de vraies règles de composition, et ouvrir mon regard sur le monde grâce à cette pratique, voilà ce que j’attendais de cet enseignement. Concernant le déroulement du cours, c’était assez simple. Deux de cours de trois heures par semaine, mais en réalité ils duraient plutôt 1h30. Les premiers cours nous avons appris à apprivoiser nos appareils photo, tous des numériques reflex que nous devions fournir. Les autres élèves étaient tous mexicains, et tous amateurs n’ayant jamais touché un appareil. Le début était alors un peu long pour moi, puisque je savais déjà la plupart des choses qu’el profe nous enseignait. Puis à chaque séance, il fallait rapporter une série d’une quinzaine de clichés sur un thème donné la séance précédente. Je profitais de mes trajets jusqu’à l’école pour photographier la ville et ses habitants. À la fin de chaque semestre a lieu une exposition géante des travaux d’étudiants dans tout le CUAAD Huentitan, et j’ai exposé mes photos dans le hall de l’école au mois de décembre. Je n’avais jamais fait aucune exposition -pourtant ce n’est pas faute de produire des photos, des tableaux et des dessins)- et j’étais très fière de partager mon travail avec tous ces étudiants. J’avais tellement apprécié ce cours qu’au second semestre j’ai repris un cours similaire avec le même professeur, mais cette fois-ci de photographie en couleur. Au final ce n’était pas si différent, les élèves étaient seulement plus expérimentés et les thèmes variaient un peu plus. 34

De plus, je pensais qu’en complément du cours sur la théorie de la couleur, ce cours allait m’aider à écrire mon mémoire sur la couleur dans le quotidien des mexicains. Je n’ai à aucun moment été déçue par cet enseignement qui m’a beaucoup appris, sauf quand le professeur décidait de ne pas venir en classe sans nous avertir (1h30 de trajet en tout pour ne pas avoir classe, c’est un peu frustrant). Cet enseignement m’a permis de me conforter dans l’idée que je me faisais de la photographie. C’est pour moi une discipline complémentaire à l’architecture qui nous offre un regard nouveau sur le monde qui nous entoure. J’ai appris à affûter mon regard sur la ville, sur les bâtiments et sur les couleurs, en gagnant en technique puisque je connais à présent parfaitement ma machine et son fonctionnement. J’ai ouvert les yeux sur certains détails, ceux auxquels je ne prêtais pas attention auparavant. Si l’on regarde l’historique de mes photographies, on voit nettement que je ne m’intéresse plus aux mêmes choses, que mon regard a évolué. Avant, je capturais les visages, les expressions, les mouvements, les fleurs. Aujourd’hui, je photographie la lumière et les ombres, les irrégularités, les paysages, la géométrie de l’architecture. En réalité, je photographiais la vie, aujourd’hui je la transforme en poésie. Vous vous souvenez au début de ce récit, j’ai cité Jazzy Bazz qui dit : “devient celui qu’une simple lueur de soleil émerveille” ; maintenant, cette simple phrase prend tout son sens. J’ai appris à apprécier ce que je voyais, à trouver de la beauté partout, à apprécier la moindre brise de vent sur mon visage, le moindre nuage dans le ciel, le moindre bruit environnant. Vous savez, lorsque l’on décide de s’ouvrir de cette manière au monde, tout nous apparaît plus simple. Puisque la beauté est omniprésente, elle se trouve même dans les endroits les plus sombres. La beauté est subjective et c’est vous-même qui décidez si oui ou non elle vous atteint, si vous la remarquez ou si vous décidez de ne pas la voir, si elle change votre vie ou si elle n’est qu’accessoire. J’aime penser que le monde est beau et que nous ne l’apprécions pas à sa juste valeur, car cela me permet d’être satisfaite de peu de choses et d’avoir une constante envie d’en découvrir plus.






LE TOURISME Durant ces huit mois, ce ne sont pas les activités extra-scolaires qui ont manqué. Si je devais en choisir une, je pense que je choisirais mes voyages, et plus particulièrement ceux sur la côte ouest du Mexique. En novembre, je réalisais un premier voyage à la plage de quatre jours avec mes amis Français et Sergio, notre fidèle allié mexicain qui se trouvait en France l’année précédente. Nous partions en voiture sur la costa Michoacana découvrir la beauté sauvage de la côte ouest. Lorsque l’on tape “tourisme au Mexique” sur internet, les premières propositions sont “dangereux”, “sécurité”, etc. Pour autant, nous n’allions pas nous empêcher de voyager et nous voulions nous forger notre propre avis. Attention, nous ne partions pas en camping sauvage en pleine nature reculée de toute civilisation, mais il y avait quand même de quoi inquiéter nos proches. Une seule fois j’ai senti ce petit sentiment d’insécurité, non pas parce que la situation me paraissait dangereuse mais plutôt car elle m’était totalement inconnue. Nous roulions dans notre voiture de location à travers les pueblos (villages) en direction de la plage quand nous sommes arrêtés par une dizaine de locaux, hommes et enfants, qui tendaient un fil sur la route pour stopper notre course. Sergio ouvre la fenêtre et nous demande de ne pas parler, qu’il s’en charge. À la fenêtre, le mexicain s’adresse à Sergio dans un espagnol local que nous comprenons à peine, mais assez pour entendre que si on voulait passer, on devrait lui donner de l’argent. Nous nous empressons de sortir nos portefeuilles et nos billets, lui donnons 150 pesos, l’équivalent de 7€, puis ils baissent le fil nous souhaitant un bon voyage. Il n’avait pas l’air méchant ou même agressif, mais c’est comme ça là-bas, tu dois payer sinon tu ne sais pas ce qu’il peut t’arriver. Je ne pense pas qu’il nous serait arrivé quelque chose de grave si nous n’avions pas donné d’argent, mais nous préférions penser que nous avions fait ce qu’il fallait. Avec du recul, Sergio nous explique qu’une voiture aussi propre et remplie d’étrangers, ce n’est pas courant ici. L’état du Michoacan n’est pas ré-

puté pour être le plus “safe” du pays, bien au contraire. Les villages sont plus pauvres que tout ce que j’avais pu voir dans ma vie auparavant. Pour autant, ils n’ont pas l’air si malheureux, au contraire. À peine entrés dans le Michoacan, le réseau téléphonique s’affaiblit, jusqu’à ne plus en avoir du tout. Nous ne faisons que nous rapprocher de la côte et perdons entièrement le signal. Première question que je pose à Sergio “où est l’hôpital le plus proche ? S’il nous arrive quelque chose nous ne pouvons pas prévenir les secours, il faudra bien savoir où nous devons nous rendre en cas d’urgence”. Aussi surprenante soit-elle, sa réponse fut claire et direct “le premier hôpital, c’est celui que nous avons dépassé il y a une heure. Il n’y en a qu’un par ici, et c’est celui là. Mais ne vous en faites pas, tout va bien se passer” ; nous n’étions toujours pas arrivés à destination. Quatre jours paradisiaques s’écoulent au bord de la plage de La Ticla bordée par ses cabanes de surfeurs et ses cactus, et je me rends compte de la beauté du calme. Là-bas, on croise beaucoup d’américains, de gringos comme ils aiment les nommer, venus pour surfer sur ce spot au goût de paradis. La Ticla, c’est le troisième spot mondial de surf si on en croit ses habitants. Ils vivent du tourisme lié à cette activité c’est évident, il n’y a rien à des kilomètres à la ronde. Le village n’est pas très grand mais très dépaysant : les maisons sont fortuites, construites en parpaings ou bois par les locaux, les routes ressemblent plus à des chemins de terre et de graviers, et les seuls commerces sont une petite épicerie et des restaurants. Faites abstraction de tout ce que vous connaissez en terme de tourisme et imprégnez-vous de l’ambiance que j’essaie de vous décrire. Un village reculé, plus pauvre que tout ce que je connais, bercé par le bruit des immenses vagues sur lesquelles on aperçoit des surfeurs téméraires, des habitants ouvrent leur porte en s’autoproclamant “restaurant” et des cabanes entourées d’immenses palmiers qui bougent au gré du vent. Les plages sont sauvages, l’empreinte de 39




l’homme y est à peine percevable. Pas de station balnéaire, pas de vendeur de beignets à la sauvette, pas de touristes allongés sur leur serviette en brûlant sous le soleil, pas de magasins de souvenirs hors de prix, rien de tout ça. Il n’y avait rien que je pouvais rattacher à l’image que j’avais du tourisme en général, de ce que je connaissais en France. Les gens sont chaleureux et nous transportent avec eux dans cette vie si différente, sans internet ni technologies, sans école, sans bitume. La Ticla, c’est ce condensé de liberté à la fois surréaliste pour nous autres européens, mais bien réelle pour ses habitants. Derrière leurs visages heureux, pouvons-nous vraiment savoir s’ils sont heureux ? Savons-nous qu’ils nous envient peut-être, nous les occidentaux riches ? Comment nous voient-ils, comme de malheureux citadins fuyant leurs problèmes quotidien ou comme de jeunes en quête de nouvelles sensations ? On ne le saura jamais vraiment. En quatre jours, nous avons eu le temps de remonter une rivière jusqu’à une superbe cascade cachée dans la jungle, de profiter des vagues et des hamacs et de libérer des bébés tortues à la mer. Les plages de cette côte sont connues pour être le terrain par excellence des tortues de mer : la nuit, d’immenses tortues avoisinant les 1m de long sortent de l’eau pour pondre leurs oeufs dans le sable chaud de la plage. Mais au petit matin, les braconniers n’hésitent pas une seconde avant de dérober les oeufs fraîchement pondus pour pouvoir les revendre par la suite, ce qui en fait aujourd’hui une espèce protégée. Sergio, passionné par cet endroit et ses histoires, nous raconte tout cela et nous sommes bouches bées. Je me demande comment, à mon échelle, je pourrais avoir un impact positif sur ce village côtier, et je me rends surtout compte que cette expérience que je vivais là n’avait rien à voir de près ou de loin avec tout ce que j’ai pu vivre avant. Avant de quitter ces terres, nous allons libérer quelques bébés tortues dans une réserve qui protège les oeufs et les relâche à la mer après éclosion. On apprendra une fois nos tortues à l’eau que la dure loi de la nature les rattrapera, n’en faisant survivre qu’une sur cent cinquante dans ce milieu hostile qu’est l’océan. Nostalgique de ces quatre jours paradisiaques, je décide de retourner à la plage en février mais cette fois-ci avec mes colocataires, Alina et Stefanie, et mes amis Allan et Clément. Je ne le savais pas encore, mais je m’apprêtais à vivre l’un des meilleurs séjours de ma vie, et cela allait changer beaucoup de choses en moi. Cette fois-ci, on partait en tentes pour camper dans le sable. Mes premières impressions sur le village ne changent pas, et j’en tombe de plus en plus amoureuse. 42

Le week-end est rythmé par les déclenchements de obturateurs d’appareils photo, puisqu’Alina, Allan, Clément et moi-même ne quittons jamais notre passion pour la photographie. Je pense que ces trois jours ont été les plus documentés de ma vie, avec pas moins de sept pellicules à faire développer. Pour terminer sur le chapitre des voyages, j’aimerai évoquer les dix jours que nous avons passés en sac à dos dans l’état de Oaxaca, avec Maëlle et Émilie. Trois filles, armées de leurs sacs à dos de voyage et d’une curiosité sans limite, se lancent dans la découverte d’un des plus beaux états du Mexique. Niveau sécurité, Oaxaca n’est pas du tout réputé pour être dangereux, mais partir au jour le jour sans savoir où nous allions dormir le soir était un pari quelque peu risqué pour trois françaises habituées au tourisme “confortable”. Nous avons parcouru une bonne partie de l’état en taxi et en bus, demandant au jour le jour aux locaux où dormir, où manger, quoi visiter, où se rendre le lendemain. Je n’avais jamais ressenti cette sensation agréable de liberté et d’insouciance mais en même temps d’adrénaline de la vie au jour le jour. Si je devais vous recommander un road trip au Mexique, je vous enverrai faire celui-ci. Je suis tombée sous le charme de ces villages en bord de plage, tous plus étonnants les uns que les autres et plus riches encore chaque jour. Riches de surprises, de découvertes, de bonheur et de bonne humeur, de liberté et d’insouciance. Mon préféré restera Zipolite, petit village de surfeurs un peu bobo où deux hôtels miteux se concurrencent passivement, et où le temps paraît s’arrêter. J’aurai encore tant de choses à raconter, d’anecdotes et d’histoires folles, mais il est temps de conclure sur mes voyages. Lorsque l’on parle de tourisme au Mexique, on pense directement à Cancun, aux cenotes et aux sites archéologiques Mayas ou Aztèques. Mais après ce que vous venez de lire, réfléchissez-y à deux fois. Je pense qu’il existe plusieurs types de tourisme et qu’ils sont encore plus distincts dans ces pays là, moins développés. Le tourisme de masse attiré par le clinquant, le beau, le connu, celui où on peut prendre des photos instagrammables, où on dépense beaucoup d’argent et où on pense profiter de nos vacances. Puis il y a le tourisme indépendant de toute question économique, celui où l’on a besoin que d’un sac à dos et d’une destination vague, mais surtout celui pour lequel on ouvre son coeur et qu’on laisse nous changer pour toujours. Et qu’en sera-t-il de ces plages sauvages dans quelques années ? Auront-elles été rattrapées par le tourisme de masse ? Ou resteront-elles intactes et libres de toute


emprise économique malsaine ? Tant de questions que je continuerai à me poser durant les prochaines années. J’ai laissé une partie de mon coeur et de mon esprit dans ses endroits reculés, espérant y retourner un jour en quête de cette paix intérieure qu’ils m’ont procuré.

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RETOUR À LA RÉALITÉ Mi-mars 2020, un événement inattendu a frappé le monde entier. L’épidémie mondiale du Covid-19 a mis la planète sur pause durant plusieurs mois, obligeant les voyageurs expatriés à rentrer dans leur pays d’origine auprès de leur famille. Me concernant, ce retour marca une interruption brutale de mon année scolaire et surtout de ma nouvelle vie de rêve dans laquelle je m’épanouissais pleinement. Qui aurait pu imaginer une telle situation ? À vrai dire personne. Je finis d’écrire ces mots en Juin 2020, trois mois après mon retour. J’ai eu besoin de me changer les idées pendant un temps, de penser à autre chose, non pas pour oublier mais pour cicatriser et mieux repartir. Ce récit entier me tient énormément à coeur, dans le sens où j’aurai pour toujours une trace de ces moments de vie merveilleux. Les choses ont bien évoluées en trois mois, la poursuite des cours n’a pas été de tout repos mais l’année est validée. Je suis actuellement en train d’essayer de me faire rembourser les nombreux billets d’avion que j’ai perdu, et même trois mois après la tâche n’est pas simple. Après cela, j’aurai terminé et je pourrai enfin garder le Mexique dans ma tête comme la plus belle expérience de ma vie. Je vous laisse avec le récit de rapatriement que j’ai rédigé directement à mon retour en France, qui en dira bien plus que tout sur la manière dont j’ai vécu ce retour à la réalité. Vendredi 13 mars 2020 Tout se passe à merveille à Guadalajara, quand j’apprends que la France a annoncé hier soir la fermeture des restaurants, bars et commerces non considérés de première nécessité, due au Covid-19. Les écoles aussi seront fermées à partir du lundi 16 mars. Je commence à me poser des questions sur l’ampleur que cette épidémie va prendre, un peu partout, sachant qu’au Mexique tout va bien et que personne n’en parle vraiment.

À midi, nous recevons un mail de l’UdG (Universidad de Guadalajara) qui nous annonce la fermeture de l’école durant 14 jours à partir du lundi suivant, sur ordre de l’État de Jalisco. Cumulé avec les deux semaines de vacances incluant la semaine sainte, l’école rouvrira normalement ses portes le 20 avril. Nous avons donc un mois devant nous, sans mettre un seul pied à l’école. L’université tente de nous rassurer en nous disant que nous allons poursuivre nos cours sur internet, mais connaissant le système scolaire mexicain et l’investissement de certains professeurs, rien n’est sur… Mercredi 18 mars 2020 C’est aujourd’hui que je me rends vraiment compte de l’importance de la situation : la France entière est en quarantaine depuis hier midi. Plus le droit de sortir de chez soi sauf pour quelques motifs hautement justifiés, et pas sans attestation signée. Je commence à envisager un retour anticipé en France, mais j’ai peur pour mon année scolaire. Je me rassure en me disant que de toute façon, quarantaine au Mexique ou en France, ça reste une quarantaine chez soi. Et puis je serai bien au Mexique en quarantaine dans ma grande maison pleine d’étudiants, avec mes amis et le soleil. Nous recevons des mails de l’ENSAG nous assurant que si jamais nous décidons de rentrer avant la fin de l’année scolaire, la validation de notre année ne sera pas mise en péril, puisque nous avons accès à des cours en ligne. Mes amis m’avertissent que les assurances internationales auxquelles nous avons souscrit ne couvrent pas nos frais d’hospitalisation en cas d’épidémie ou de terrorisme. Ok, là on est en plein dedans; si je décide de rester ici et que je tombe malade, je devrai payer mes frais d’hôpital. La situation commence sérieusement à se compliquer. J’appelle alors ma famille, pour leur demander conseil, car à ce moment là je suis 47


un peu perdue. Après plusieurs coups de fil, je décide de peser les pour et les contre d’un retour anticipé ; la conclusion : il faut rentrer. Non pas que je ne pourrai pas me confiner ici, à Guadalajara, c’est juste que si je décide de rester ce sera pour un temps indéterminé. L’école ne risquera pas de reprendre car le 20 avril est dans un mois, et dans un mois le Mexique sera sûrement au maximum de l’épidémie. Logiquement, il n’y aura donc pas de reprise des cours. Mes cours sont en ligne donc je peux très bien les suivre de la France. Bon, c’est décidé, je rentre. Minuit, je vais chez mes amis français pour parler de la situation et récolter leurs avis. C’est bien ce que je pensais, ils sont dans le même état d’esprit que moi. Nous avons peur de comment la situation peut évoluer au Mexique, sachant qu’ils ont peu d’hôpitaux, pas de système de sécurité sociale, que la population est assez pauvre, que l’économie est instable, etc. On prend nos billets pour la France, mercredi 25 mars à 19h55 Ciudad de México - Paris Charles de Gaulle. Il nous coûte entre 550€ et 600€, ce qui fait une grosse somme pas prévue dans nos budgets, ça fait mal… Heureusement que nos familles sont là. Jeudi 19 mars 2020 Je suis rentrée à 2h du matin chez moi, avec un billet retour pour la France, les émotions sont à leur maximum. Je n’ai fait que réfléchir, je n’ai pas réussi à dormir plus de trois petites heures. Je n’ai pas faim non plus, je suis stressée et angoissée à l’idée de rentrer à la maison. C’est super difficile car la situation a basculé très très vite. Hier matin je me réveillais, j’allais bruncher chez mon ami Allan, et ce matin j’ai mon retour pour la France et je dois préparer mes valises. Je crois que je ne réalise pas vraiment ce qu’il est en train de se passer ; mon année mexicaine va s’interrompre de la manière la plus brutale et inattendue. Bon, j’essaie de relativiser, j’appelle une amie et commence en même temps à faire ma valise. L’après midi, un ami français débarque à la maison pour discuter. Il a besoin de parler de tout ça avec quelqu’un qui le comprend, dans le même cas que lui. On discute quelques heures, il me demande comment je fais pour être aussi calme et rationnelle, ce à quoi je lui réponds que je fais de mon mieux pour gérer de manière sereine cette situation complexe qui tourne au cauchemar. Lui, il a des problèmes de santé, de coeur et de respiration, et on sait que les personnes les plus vulnérables à ce virus sont les gens comme lui, 48

déjà malades et considérés « à risque ». C’est un choix compliqué à faire, mais on sait pertinemment que la décision finale sera juste de retourner en France, pour de nombreuses raisons, qu’elles soient sanitaires, politiques, sécuritaires, familiales, etc. En discutant avec lui, on arrive à se poser quelques questions : y aura-t-il des vols de rapatriement vers la France dans quelques semaines ? quelqu’un va-t-il nous aider à financer et organiser ce retour, à trouver les billets d’avion ? l’école mexicaine comprendra-t-elle notre décision ? On décide d’appeler l’ambassade de France au Mexique qui a mis en place un numéro exceptionnel, joignable 24h/24 et 7j/7 pour les expatriés. Le gentil monsieur au téléphone essaie tant bien que mal de répondre à nos questions, tout en nous disant que la situation mondiale est en ce moment très grave et que nous devons rentrer au plus vite. Pas lundi, pas mercredi, pas vendredi prochain, non, aujourd’hui. Il nous demande de faire nos valises sur le champ et de rejoindre l’aéroport de la Ciudad de México, la capitale, et d’insister auprès d’Air France pour qu’ils nous mettent sur le premier vol en direction de Paris. Et là c’est le choc, ce dernier conseil de l’ambassade ne nous fait pas plaisir, et commence à nous faire paniquer. Mais qu’est-ce qu’on doit faire ? se précipiter sous les conseils des autorités et rentrer au plus vite se confiner vers nos familles avant que tout cela dégénère ici ? Oui, c’est ce qu’on doit faire. C’est irrationnel quand on y pense, de lâcher si vite tout ce qu’on a construit à l’autre bout du monde pendant tant de temps. Ça nous met un coup au moral, mais ce n’est pas le moment de se laisser aller. Nous devons nous prendre en main et agir rapidement, en restant calmes. Jeudi soir 22h, toujours en contact avec mes amis je les avertis de mon dernier appel à l’ambassade. C’est à ce moment là que nous décidons de regarder les avions pour México, bingo il y en a un demain matin 7h à une cinquantaine d’euros. On le prend de suite, sans réfléchir. Ça y est, c’est fait, on rentre. Demain matin, on se rendra au guichet d’Air France à l’aéroport de la capitale pour négocier un échange de billet d’avion et surtout un rapatriement immédiat. J’avertis mes colocataires de mon départ soudain, mes amis mexicains, et je passe une dernière soirée improvisée en leur compagnie, en mangeant les dernières spécialités françaises que j’avais rapporté à Noël; foie gras et chocolats. Je finis mes valises, ma chambre est vidée en un claquement de doigts.


Vendredi 20 mars 2020 4h00 du matin, je n’ai une fois de plus pas réussi à fermer l’oeil, mais cette fois vraiment pas une seule seconde. Je n’ai toujours pas mangé, je n’ai pas faim. Je dois me lever et partir pour l’aéroport dans 30 minutes. J’enfile une tenue confortable pour l’avion et le périple qui nous attend, je fais un dernier tour dans la chambre pour voir si je n’ai rien oublié, je ferme la valise et c’est parti. Nous prenons notre avion pour la capitale, nous sommes 5 filles, équipées de nos masques, lunettes, gants, savon et gels hydroalcooliques. Arrivées à México à 8h30, nous nous dirigeons vers le comptoir Air France, où nous allions passer une journée plus qu’éprouvante. Pour faire court, la journée est rythmée de hauts et de bas émotionnels « les gens annulent leurs vols vers la France, on vous met dans l’avion de ce soir il y aura des places c’est certain » « ah bah non, il y a déjà 63 personnes devant vous sur liste d’attente » « vous ne rentrerez sûrement ni ce soir, ni demain, ni après demain, et lundi il n’y a plus de vols ils sont annulés » « de toute façon, on ne peut pas vous assurer que votre vol de mercredi sera maintenu », et j’en passe. Au téléphone avec nos familles pour les avertir, on campe devant le comptoir assises sur le sol, surveillant nos valises contenant toute notre vie, durant 10 heures. On essaie de ne pas paniquer, de relativiser, c’est plus facile de se soutenir vu que nous sommes cinq. Très mauvaise organisation de la part d’Air France, on nous annonce une heure avant le départ du vol que nous ne partirons pas. Puis après une petite apocalypse créée par les Français en rage, on trouve une envoyée française travaillant pour les affaires étrangères à laquelle on demande d’être rapatriées d’urgence. Avec nous, des familles, des étudiants, des voyageurs, des personnes âgées; nous sommes tous dans le même cas, nous voulons seulement rentrer chez nous. Nous sommes en pleine anarchie dans l’aéroport, tout le monde hurle, pleure, crie au scandale face au manque d’organisation de la compagnie aérienne et leur incapacité à nous renvoyer dans notre pays. C’est super oppressant comme situation, même si j’essaie de garder mon calme, j’avoue me laisser un peu emporter par ce climat chaotique. Au dernier moment, Maëlle passe à travers la foule et se pointe face au supérieur des agents de la compagnie, lui faisant passer un message clair : nous devons monter dans cet avion ce soir, et vous devez arrêter de nous prendre pour des cons. À ce moment là, je venais de réveiller mes grands parents à 3h du matin heure française

pour leur dire que je ne rentrerai pas de suite, et que j’étais sûrement coincée ici pour une durée indéterminée. La technique de Maëlle fonctionne, le cadre d’Air France nous hurle à travers la foule de lui donner nos passeports et il nous enregistre en catastrophe pour ce vol. On lui jette nos valises en surpoids, il ne prend même pas la peine de nous faire payer le surplus, nous file nos billets et c’est parti. ENFIN, NOUS PARTONS POUR LA FRANCE. Course contre la montre pour nous rendre à la porte d’embarquement, mais on a réussi. On avertit nos familles, demain 13h35 heure locale nous serons sur le sol français. 20h, nous avons embarqué et l’avion décolle. On ne réalise toujours pas à quel point tout s’est passé très vite. Nous essayons de relâcher la pression, mais c’est compliqué sachant que nous rejoignons un pays en confinement total. Samedi 21 mars 2020 Arrivées en France comme prévu, on récupère nos valises, toujours avec nos masques et lunettes, on se lave les mains dès qu’on peut, et on espère ne pas avoir chopé le virus en trainant une journée dans l’aéroport… Une fois de plus je n’ai pas dormi dans l’avion; voilà 72h que je n’ai pas réussi à fermer l’oeil. Le stress me tient éveillée. La maman de Mäelle nous attend, elle nous ramène en voiture jusqu’à Lyon. Pratique puisqu’il n’y a plus aucun train ni bus partant de Paris. D’ailleurs, l’aéroport est vide, désert. Les boutiques sont toutes fermées, notre avion est même le seul à atterrir. On est surprises de ne pas subir de contrôle de température ou de symptômes, on ne croise aucun douanier, on passe seulement à travers des portiques automatisés qui vérifient nos passeports. La pression redescend et on rentre tranquillement chez nous. Je pars me confiner avec mes amis à Lyon, en laissant les membres de ma famille se confiner ensemble. Je ne voudrais pas risquer de leur rapporter le virus du Mexique. Ma soeur et ma mère ont sûrement chopé ce foutu virus, elles ne sont pas très bien. Je m’inquiète pour mes grands parents, mais au téléphone ils me rassurent : ils ne sortent pas de chez eux. Que le confinement commence.

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Jeudi 26 mars 2020 Une petite semaine plus tard, je suis prête à terminer ce récit. Je vais mieux, j’ai réussi à me calmer et j’ai surtout enfin pris conscience de ce qui m’était arrivé. Au final, c’est juste un retour anticipé. De toute façon, je devais bien rentrer un jour ou l’autre. Alors oui, le retour était initialement prévu pour le 24 juin, et je me disais que j’avais bien le temps de l’envisager. Mais non, la vie est faite d’imprévus. En quelques jours, quelques heures, quelques minutes, tout peut basculer. Tous nos plans, tous nos projets, tout s’envole. Tout ce qu’on met du temps à construire, de l’énergie, de l’amour, des sentiments profonds, tout est si fragile. Ce n’est pas si grave, la vie continue. Les coeurs sont blessés mais guériront. Les esprits sont bousculés mais s’en remettront. Les fleurs ont fané mais renaitront. Cette expérience mexicaine m’a tant appris, sur tellement de choses. Je remercie la vie de m’avoir envoyé à cet endroit-ci, à 10 000 km de chez moi, dans un nouveau chez moi finalement. Le Mexique c’était mon second choix pour cet échange universitaire, les sélections ont fait que c’est là-bas que j’ai été acceptée. J’ai du mal à croire au hasard, je pense que rien n’arrive sans raison. Merci à la vie d’avoir mis sur mon chemin des personnes aussi formidables, qui ont fait de mes 8 mois à l’étranger la plus belle période de ma vie. C’est avec le coeur plus léger et soulagé que j’écris ces quelques mots, et surtout à coeur ouvert. Merci à Alina, Allan, Alex, Stef, Emma, Danahé, Jess, Daisy, Jérémy, la famille Marois, les français du Cuaad et de Guada, Sergio, Chino, Maëlle, Clément, et tellement d’autres encore, de m’avoir fait grandir, de m’avoir appris à voir le monde d’une nouvelle manière, de m’avoir compris artistiquement, de m’avoir fait rire à en avoir mal à la mâchoire, de m’avoir soutenue, de m’avoir transportée dans une autre réalité, dans un rêve éveillé. Merci à la Casa Moustache, au Cuaad, au Fucking Lonches Mezquitán, au bar Américas, aux Papas Cuaad, aux plages du Michoacán, à Guadalajara, merci México. Le Mexique c’est terminé, mais l’amour ne meurt jamais. Je vous aime du plus profond de mon coeur.

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« El mexicano no es gris, no es blanco o negro, el mexicano va al otro extremo sin importar llamar demasiado la atención. Nuestros colores se reflejan en nuestro temperamento, en nuestra manera de ver el mundo, en la calidez que nos caracteriza, en el sol constante que lo pinta todo a plenitud. » Allan Rodriguez, extrait d’entretien dans le cadre de ce mémoire, 2020.

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LE MEXIQUE, UTOPIE COLORÉE Introduction Après y avoir vécu huit mois en immersion totale, je peux vous affirmer que le Mexique est un pays plein de vie rythmé par la bonne humeur et les rayons chauds du soleil. Cette lumière qui brille sans ne jamais s’arrêter au dessus de ce pays valloné en révèle les plus beaux atouts. Elle a le pouvoir de mettre en évidence tous ses petits défauts qui lui procurent un charme incomparable. Une réelle énergie positive rayonne sur l’ensemble de ce territoire aux airs d’utopie colorée. Comme chaque pays ou civilisation, le Mexique possède une culture qui lui est propre, plus ou moins ancrée dans les traditions. De la même manière que le ferait le soleil, la culture mexicaine rayonne à travers le monde et absolument personne ne peut prétendre ne jamais avoir entendu parler de tacos ou de mariachis. À l’heure où l’architecture devient de plus en plus numérique et paramètrée, les viviendas (habitations) mexicaines s’imposent en revendiquant leur style coloré, colonial et vernaculaire, étroitement lié au contexte historique de leur terre d’accueil. J’ai depuis toujours un engouement particulier pour les couleurs et leurs vibrations, celles qui nous procurent des émotions. On le ressent à travers mes dessins, mon style de vie, et aussi mes photographies. Au moment où j’ai posé un pied sur le sol des aztèques, j’ai su ce qui allait m’animer durant ce voyage. Les couleurs, partout, en haut, en bas, sur les côtés, sur les façades, dans le ciel, sur les panneaux, dans les assiettes, dans les rues, les marchés, absolument partout. Mais ce qui a réellement rendu conscient en moi l’étroite relation que j’ai noué avec les couleurs, c’est un exercice mené avec mes amis photographes. Parmi des centaines de photographies en tout genre capturées par différentes personnes, mes images sont reconnais1 Tapatío : personne qui vient de Guadalajara.

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sables grâce à leurs couleurs vives et chatoyantes. Les sujets qui m’intéressent, en photographie comme en architecture, sont vibrants et possèdent tous un caractère poétique coloré indéniable. Dans cette étude, nous nous intéresserons alors à la question de l’utilisation de la couleur en architecture, et plus particulièrement dans l’architecture Mexicaine, 1 à travers les oeuvres de l’architecte Tapatío Luis Barragán. Afin de nourrir mes observations et questionnements sur le sujet, un long travail de documentation a été nécessaire, ainsi que des lectures en français mais aussi et surtout en espagnol. De manière à rendre la recherche plus pertinente et plus proche de la réalité, mes amis mexicains ont accepté de répondre en toute honnêteté à mes questionnements sur leur culture et leurs traditions. Nous nous demanderons alors quels sont les fondements de l’existence d’une telle culture des couleurs au Mexique, dans le domaine artistique mais aussi dans la vie quotidienne de ses habitants. Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux différentes places des couleurs en architecture, pour ensuite s’interroger sur le Mexique comme pays des rêves et des couleurs. Nous terminerons ce travail en s’appuyant sur les oeuvres de l’un des plus célèbres architectes mexicains, Luis Barragán et son architecture dite « émotionnelle ».


1/ La fonction des couleurs en architecture Les architectes ont toujours joué avec la couleur dans leurs projets. Quelles soient neutres, vives, saturées ou non, les couleurs jouent un rôle à part entière dans l’espace et permettent de modifier complètement notre perception des volumes. Dans chaque civilisation, aussi vieilles soient-elles, il existe des couleurs dominantes et significatives, certaines plus utilisées dans l’artisanat, d’autres dans l’architecture, le textile, etc. Cependant, la couleur est un paramètre délicat et subjectif qui peut être interprété différemment par chacun. La couleur comme matière, outil ? Depuis les années 80, on a délaissé les tons vifs et vibrants en architecture pour les remplacer par des tons plus neutres, synonymes de neuf, de propre, de « modernité » architecturale. Cette tendance du blanc, gris, ou bien du taupe, est étroitement corrélée à la pensée minimaliste et fonctionnaliste du « less is more ». Bien que ce style minimaliste ait des qualités spatiales irréfutables et très intéressantes, on note depuis quelques années un certain retour à la tendance colorée et dynamique. Certains, tel que Stéphane Debusschere, affirment même que la couleur se place comme « une composante incontournable de la 1 conception architecturale » . « Si certains architectes définissent la couleur comme un matériau essentiel de leur architecture, comme c’est le cas par exemple de l’architecte coloriste mexicain Luis Barragán qui utilise véritablement la couleur comme un matériau d’expression de son architecture, d’autres la prennent davantage pour ce qu’elle est, à savoir un simple point d’appui pour renforcer ou réduire des contrastes, ou encore souligner des pleins et des vides. » DEBUSSCHERE, Stephane. La couleur dans l’architecture. 21 oct 2014. Avec cette citation, Stéphane Debusschere affirme qu’il y a deux façons de voir la compostante couleur en architecture. Soit elle est vraiment essentielle et s’impose comme un matériau avec lequel on conçoit et on construit, au même titre que le béton par exemple, soit elle existe en tant qu’option qui apparait à la fin du processus de conception, pour venir parfaire et embellir le tout. Elle est soit un outil de base du travail, soit une aide qui vient souligner certains traits de l’espaces déjà

présents. Dans les deux cas, elle permet d’ajouter des qualités spatiales et de plonger les usagers dans des ambiances choisies bien particulières. Les architectes Catherine Burkhard et Nora Fata, de l’agence Burkhard & Fata Farbgestaltung, définissent l’ambiance que crée la couleur comme « pleine de fraicheur, moderne et 2 pourtant intemporelle » . Retenons qu’elles soulèvent le caractère intemporel de la couleur, ce qui rappelle que son utilisation traverse le temps, les époques et les civilisations - les techniques et styles change mais elle reste un élément essentiel de l’architecture depuis toujours. Dans cette même pensée, elles rajoutent : « Le jeu des couleurs a ainsi créé une sorte de nouvel habit 2 traditionnel » . La notion d’« habit traditionnel » nous ramène à l’idée d’intemporalité en faisant appel aux traditions, souvent installées dans les cultures depuis de nombreux siècles. De plus, comme le serait les autres matières, la couleur est un outil de communication entre l’architecte et l’usager : elle sert souvent à faire passer un message, à transmettre ou à provoquer un sentiment, une émotion. Elle est renforcée par le traitement de la lumière essentiel à sa perception, qui vient la révéler et installer une ambiance spécifique. C’est un langage propre à l’espace que l’architecte crée en concevant son projet. L’utilisation et le rôle des couleurs dans l’espace Le concept d’espace architectural englobe plusieurs notions scientifiques complexes à résumer en une définition synthétique et globale. Cependant, après de nombreuses recherches, on pourrait définir l’espace architectural comme un milieu orchestré d’objets physiques (naturels ou construits par l’Homme) créant des séquences spatiales. Ainsi, dans l’espace architectural, la couleur arbore plusieurs rôles selon son utilisation. « La couleur peut être utilisée de manière stratégique pour orchestrer des séquences spatiales ou pour visualiser une certaine tectonique, (…). La couleur est l’un des outils de design parmi les plus anciens - l’architecture sans couleur 3 n’existe pas. » WETTSTEIN, Steffanie. Directrice de Haus der Farbe. Ici, Stéphanie Nettstein décrit la couleur comme une stratégie, comme un outil, qui vient révéler la structure ou bien rythmer l’espace, comme le feraient les notes de musique d’une partition. Cette observation

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DEBUSSCHERE, Stephane. La couleur dans l’architecture. 21 oct 2014. Auteur inconnu. La couleur en architecture - La conception de la couleur pour l’Assurance des métiers (Suisse) : Suite à un entretien avec Catherine Burkhard et Nora Fata de burkhard & fata farbgestaltung. 20 sept 2019. 3 WETTSTEIN, Steffanie. Directrice de Haus der Farbe. Extrait de La couleur en architecture - La conception de la couleur pour l’Assurance des métiers. 20 sept 2019. 2

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ne s’arrête pas à la simple échelle du bâtiment mais s’applique à toutes les échelles, que ce soit celle du détail, à celle du bâti ou de la ville. Une fois de plus, elle fait référence à la notion de temporalité en évoquant l’ancienneté de l’utilisation de la couleur, à son côté primitif. Dans l’article « la couleur dans l’architecture », Stephane Debusschere dit que « la couleur est porteuse de sens », et qu’elle a « un fort potentiel identitaire » : en jouant avec les qualités et les défauts du bâtiment, la couleur lui donne un caractère, une vraie personnalité, et même une identité visuelle qui lui est propre. Il ajoute : « les particularités chromatiques sont ainsi dépendantes de la géographie, de l’histoire, des traditions et des matériaux, selon le pays ou la région d’implantation des constructions. L’ensemble des recherches et des découvertes dans le domaine de la polychromie des bâtiments anciens démontre par ailleurs que dans l’art grec, égyptien ou gothique, la couleur a toujours été utilisée comme complément nécessaire de la forme et de la décoration architectonique des édifices. ». Cette dernière citation fait intervenir le contexte historique et géographique dans l’utilisation des couleurs en architecture. Chaque pays a en fonction de sa zone géographique des traditions chromatiques spécifiques. Il est important que la couleur soit choisie en fonction du contexte dans lequel le bâtiment se trouve, pour ne pas dénaturer son environnement et s’intégrer à son milieu. Elle est à utiliser intelligemment, au risque de ne pas être légitime et même comprise. Le Mexique, auquel on s’intéresse ici, est un pays qui a construit son identité sur les anciennes civilisations qui l’ont habité, comme les Mayas, les Aztèques, les Olmèques, les Toltèques, etc.

2 / Le Mexique, pays des rêves et des couleurs Pour introduire cette partie, j’aimerai vous faire part des entretiens que j’ai réalisé avec des amis étudiants mexicains rencontrés à Guadalajara. Le premier interlocuteur, Allan, est étudiant en photographie et natif Tapatío - il a toujours vécu en ville. Le second, Sergio, est lui étudiant en architecture à la CUAAD et est né dans l’état du Michoacán : il a grandit dans un milieu très rural et loin de toute agitation urbaine. Traduit de l’espagnol, les questions posées étaient les suivantes :

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« Pour toi, que représentent les couleurs du Mexique dans l’architecture, dans les traditions, dans la nourriture, etc ? À ton avis, d’où provient une telle culture des couleurs dans ton pays ? Que t’apportent-elles dans ta vie quotidienne ? » Les réponses obtenues confirment mes ressentis et donnent des pistes de recherches. Elles sont plutôt différentes et reflètent des influences bien opposées. Pourtant, les conclusions sont relativement semblables. Allan introduit sa réponse en commençant par dire que les couleurs intenses font partie du folklore mexicain, qu’elles sont le reflet de l’environnement et de la diversité naturelle du pays, reflet aussi d’une « cosmovison » partagée par toute la population. Les couleurs utilisées au Mexique sont le reflet de la flore, et il donne l’exemple des taxis roses de la Ciudad de México, ou bien du jaune des maisons privées de Barragán à Guadalajara. Il ajoute qu’au détour d’une conversation qu’il a eu avec une amie française, il a appris l’existence des plans locaux d’urbanismes qui régissent les règles d’urbanisme de nos villes françaises. Il n’avait jamais entendu parler de telles lois, puisque chez eux, chaque personne propriétaire de son bâtiment, qu’il se trouve à la campagne ou en ville, décide comme bon lui semble des couleurs qui vont l’arborer. Chaque personne choisi alors une couleur qui lui ressemble, qui le défini, et peint ses façades de telle sorte que sa maison soit le reflet de lui même. L’excentricité des mexicains se lit alors sur leurs bâtiments qu’ils revendiquent comme l’image d’eux mêmes face à la ville. Les couleurs qu’ils choisissent sont souvent vives et reflètent leur tempérament, leur manière de voir le monde, la chaleur du soleil qui les fait vivre et les comble de bonheur. Pour Sergio, il est un peu plus difficile de parler de couleurs mexicaines car lui-même a du mal à s’identifier à une couleur en particulier. Pour lui, les couleurs de son pays sont le reflet d’un métissage, d’un mélange entre la culture des natifs mexicains et les celle des civilisations pré-hispaniques. S’il devait se définir avec des couleurs, il choisirait les couleurs de la terre, de la pierre, des arbres et de l’eau. Ayant passé sa jeunesse sur la côte ouest du pays où la ville et le tourisme n’ont pas encore laissés de traces, c’est cette proximité avec l’environnement naturel et sauvage qui l’anime. Dans son travail, ses projets d’architecture, ses peintures et ses dessins, il s’inspire des couleurs de son enfance, de ses souvenirs les plus ancrés. Sergio conclue en ajoutant que malgré la colorimétrie saturée du Mexique où il vit depuis toujours, il arrive tout de même à découvrir de nouvelles teintes dans les villes




étrangères qu’il visite. Il donne l’exemple de l’Italie où il se souvient avoir été marqué par les façades. Tout est une question de perception, de vécu, d’expérience, et surtout d’origine. Le rêve mexicain Dans ce paragraphe, je fais écho à mon rapport d’étonnement intitulé « Mexique, une année entre rêves et réalités ». Comme je le dis dans cet écrit, le Mexique représente pour moi le pays des rêves. Depuis toujours animée par les couleurs, j’ai tout de suite été interpellée par ce pays aux allures d’utopie colorée. Partie en quête d’un dépaysement total, ce que j’ai trouvé là-bas a dépassé toutes mes attentes. J’utilise le terme d’utopie dans le sens où dès les premiers instants passés sur cette terre, j’ai ressenti une sensation nouvelle d’exotisme et d’invitation au voyage et à l’imaginaire. Les paysages ruraux et urbains m’ont, durant huit mois, transportée dans un autre univers, dans une réalité parallèle à la notre. Les couleurs ont le pouvoir d’embellir nos pensées, nos émotions et nos souvenirs. Généralement, on se souviendra mieux des images colorées car l’effet que les couleurs ont sur notre cerveau est fort. D’après mes expériences, les voyages et les rencontres que j’ai pu faire sur place, je pense que cette abondance colorimétrique nous apparaît de prime abord plutôt utopique, mais cache en réalité de réelles et profondes questions de précarité. Comme l’ont très bien exprimé Allan et Sergio dans leurs interviews, la couleur chez le mexicain est ancrée depuis toujours comme une façon de se montrer au monde, de revendiquer sa bonne humeur et son amour pour la vie aux autres, comme une façade finalement. Cette façade extérieure peut être interprétée comme une protection, comme pour signifier qu’ils ne sont pas vulnérables et que tout va bien. Le Mexique c’est ça, une positivité partagée une joie de vivre commune, qui quand on creuse un peu plus révèle un besoin de s’affirmer face aux difficultés qu’ils rencontrent pour vivre dans leur pays. Des salaires bas et instables, de la violence, un confort et une sécurité précaires, voilà les vrais sujets qui se dissimulent derrière ce mur multicolore. Il faut savoir que les mexicains ont une certaine culture de la fête et du bonheur. C’est un pays très chaleureux qui a, comme je l’ai dis plus haut, la fâcheuse tendance à tout voir en positif. Ils entretiennent leur joie de vivre à chaque instant. Un des exemples les plus parlants que j’ai trouvé pour illustrer ce propos est celui de leur relation à la mort. Alors que dans notre culture occidentale nous avons une relation à

la mort assez négative et sombre, eux n’en tirent que du positif. Depuis les civilisations pré-hispaniques, la mort est synonyme de fête chez eux. Je me souviens qu’un ami de là-bas m’avait conté la légende de la fête des morts pour m’expliquer l’existence des autels. En bref, chaque année durant les deux premiers jours du mois de novembre, les morts descendent du ciel pour se ravitailler en nourriture et en boisson, de manière à pouvoir vivre une année de plus dans les cieux. Pour cela, chaque foyer édifie chez lui un autel composé d’un nombre d’étages précis, agrémenté de fleurs d’oeillet oranges, d’offrandes telles que du pain, des gâteaux, des fruits, et des boissons, des bougies et des photographies des défunts. Ils réalisent ce trajet jusqu’à avoir réussi à passer de l’autre côté pour reposer enfin en paix. Les mexicains veillent les uns sur les autres même après la mort, et c’est cette volonté d’entraide et de bienveillance qui m’a le plus marqué dans leur caractère. On comprend alors une partie de leur joie de vivre à travers ce genre de traditions bien ancrées, où leurs croyances les aident à faire face aux adversités de la vie. Une architecture ancrée dans les traditions Interrogeons-nous maintenant aux origines de cette colorimétrie si particulière. Dans les villes les plus colorées du monde on compte Guanajuato, une ville du Mexique central située entre Guadalajara et la Ciudad de México. C’est une ancienne ville minière que j’ai eu l’occasion d’arpenter durant trois jours. Construite sur une des nombreuses buttes de l’important relief du pays, la ville est connue pour ses maisons typiques qui ont l’air d’être un empilement de blocs de couleurs. Des petites maisons de ville à la mexicaine, toutes peintes au bon vouloir de leurs propriétaires. En prenant de la hauteur, on ne peut qu’être impressionné par ce paysage multicolore que nous offre la ville de Guanajuato face aux montagnes en arrière plan. Cette palette de couleurs s’explique à travers les traditions culturelles de la région, comme l’artisanat de tissus et de tapis teintés de pigments naturels qui proviennent soient des fleurs, soient des insectes. Dans la poterie, aussi ancienne soit-elle, ce sont majoritairement des nuances de bleu qui sont utilisées. En ce qui concerne la peinture, la sculpture et toutes les autres formes d’art typique mexicain, on peut lire à travers les couleurs utilisées une forte volonté d’expression et de revendication de la liberté. Les artistes expriment leur liberté d’expression à travers la peinture, mais surtout ils libèrent leurs sentiments et leurs pensées enfouis derrière le masque de gaité qu’ils portent si bien. Cette 59


manière de s’exprimer est notamment présente chez le couple de peintres Diego Rivera et Frida Kahlo, mais aussi chez José Clémente Orozco et ses peintures murales. Ce sont tous les trois des peintres idéalistes qui faisaient partie de la période transitoire de l’art mexicain entre les XXe et XXIe siècle, période où les artistes revendiquaient à travers l’utilisation de couleurs vives une nouvelle forme d’expression. L’architecture mexicaine est alors une sorte d’héritage inspiré de ces disciplines et de ces courants artistiques, qui ont touché et touchent toujours le peuple mexicain.

de nombreuses villes d’Amérique latine (Antigua au Guatemala, en Colombie, etc).

L’ « architecture mexicaine » est devenue une expression utilisée dans le monde entier pour définir le style architectural si particulier du Mexique. Cela s’explique par sa forte identité culturelle qui rayonne à travers le monde entier, comme nous venons d’en parler. Les couleurs les plus caractéristiques de cette architecture et celles qui rythment les rues des villes sont le bleu, le orange, le rose mexicain, le jaune, le rouge, et même le vert. En voilà quelques interprétations :

Le rouge : Représente la vitalité et le pouvoir. Le rouge terre cuite est la couleur peinte sur la majorité des toits des villes mexicaines. Combinée au jaune, elle fait partie des symboles de la colonisation espagnole (couleurs du drapeau espagnol). Par exemple, les colons ont peint à Guanajuato certains bâtiments de ces deux couleurs pour montrer leur puissance et signifier que ces terres étaient leurs. Le plus connu est la Basílica Colegiata de Nuestra Señora de Guanajuato (cf photographie du bas). On retrouve cette combinaison des couleurs sur de nombreuses façades à San Miguel de Allende aussi.

Le bleu : Turquoise, il rappelle incontestablement le bleu turquoise des lagunes et des cénotes de l’Est mexicain, la péninsule du Yucatán entre autres. Électrique, il est utilisé par Barragán pour pimenter les murs du Jardín 17, et par Juan O’Gorman sur les façades de la maison-atelier de Frida Kahlo pour structurer et accentuer son architecture fonctionnaliste et cubique. Le orange : C’est une couleur chaude synonyme de convivialité, de dynamisme et d’énergie positive. Dans la culture mexicaine, elle est vue comme la couleur de la fleur de Cempasúchil, l’oeillet de la fête des morts, permettant aux défunts revenus sur terre le temps d’une soirée de trouver le chemin jusqu’aux offrandes de l’autel. La couleur orange a donc une connotation spirituelle au Mexique. Le rose : Il exprime la joie, le bonheur, et l’innocence. Le rose rappelle l’enfance, la douceur et les mondes imaginaires que l’ont affectionnait étant petits. Le rose le plus utilisé au Mexique est appelé « le rose mexicain » et se réfère à un magenta vif, ou un fuchsia. C’est une couleur extrêmement saturée inspirée de la teinte que prennent les fleurs de bougainvilliers, plante grimpante très présente dans le pays. C’est une couleur très utilisée pour les textiles et les objets artisanaux traditionnels. On parlait plus haut de couleur identitaire, celle-ci est clairement l’image du Mexique dans le reste du globe. En architecture, il est beaucoup utilisé par Luis Barragán sur les espaces extérieurs, mais aussi par l’architecte Ricardo Legorreta, et dans 60

Le jaune : Synonyme de positivité, de soleil et de chaleur, le jaune est emprunté par Luis Barragán dans ses projets, comme dans la Capilla de Las Capuchinas à la Ciudad de México, en référence à l’architecture méditerranéenne de laquelle il s’inspire. Appliquée sur les murs, cette couleur dialogue particulièrement avec la lumière naturelle et instaure une ambiance dorée douce et légèrement spirituelle dans l’espace.

3 / L’architecture émotionnelle de Barragán, révélatrice de « l’architecture Mexicaine » La formation d’une figure de l’architecture Mexicaine : Luis Barragán Luis Barragán est un architecte mexicain mondialement reconnu pour ses oeuvres architecturales très colorées et son style, souvent décrit comme un mélange entre l’architecture vernaculaire et moderniste. Né sous le nom de Luis Ramiro Barragán Morfín le 9 mars 1902 à Guadalajara, il décède le 22 novembre 1988 à La Ciudad de México. En 1980, il obtient l’un des premiers prix Pritzker d’architecture à New-York, et c’est à ce moment qu’il déclare croire en une architecture émotionnelle. La Casa-Estudio (maison-atelier, Ciudad de México, 1948) est classée au patrimoine mondial de l’humanité en 2004. Parmi ses oeuvres les plus connues, on compte : - La Casa-Estudio (maison-atelier), CMDX, 1948 - La Capilla de las Capuchinas (chapelle), Tlalpán CMDX, 1953 - Les plans des Jardines del Bosque, Guadalajara - Les maisons privées, colonia americana Guadalajara




« En imprégnant ces espaces solennels et majestueux, la lumière est venue directement à mon âme ; une lumière dure et en même temps douce, une lumière hypnotique. Puis il y a eu Barragán qui, à partir de ses solides racines dans les éléments naturels du Mexique, a donné vie à une lumière sensuelle et passionnée, débordant de tons et de couleurs jusqu’alors inconnus. Barragan a transcendé ses limites et a créé une nouvelle lumière. » Tadao Ando à Luis Barragán.

« Mon travail est autobiographique, comme l’a si bien souligné Emilio Ambas dans le texte du livre qu’il a publié sur mon architecture au Modern Museum de New York. Dans mon travail, les souvenirs du ranch de mon père où j’ai passé des années d’enfance et d’adolescence sont sous-jacents, et dans mon travail, j’encourage toujours la tentative de transposer au monde contemporain la magie de ces lointaines aspirations si pleines de nostalgie. » BARRAGÁN MORFÍN, Luis Ramiro (alias Luis Barragan). Discours de la Cérémonie de remise du Prix Pritzker. Mardi 3 juin 1980. Dumbarton Oaks, ÉtatsUnis.

« Nous passons par le marché de la ville de province qui rassemble tel ou tel jour de la semaine les indigènes des villages... Il y a aussi des chaises en bois combinées à des lianes, des tables en bois sculpté rudimentaires, des ustensiles de cuisine, et les stands internationaux ne manquent pas. Toutes les splendeurs du magenta, du solférino, du bleu, du rose, du rouge et du violet brillent au soleil, formant des vagues bouclées avec les jaunes, les verts, les blancs et les noirs, les piles de tissus spectaculairement déballés pour donner l’esprit de nos femmes indigènes pour la rétine desquelles la beauté suprême vibre avec les valeurs et les contrastes les plus audacieux de la polychromie tropicale, polychromie des oiseaux et des plantes tropicales. » Notes de New York. Idées sur les jardins. Recueil d’écrits et de conversations Luis Barragán.

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Afin de comprendre son architecture et ses inspirations, il faut s’intéresser à son enfance et à ses racines. Luis Barragán grandit proche de Guadalajara dans l’état de Jalisco au sein du ranch familial. « Le milieu rural dans lequel il grandit, la familiarité avec la nature, la proximité des chevaux, l’expression vivante des traditions dans le mode de vie, les fêtes, l’architecture populaire, l’artisanat sont autant de facteurs qui vont imprégner avec force l’ensemble de son oeuvre. » PAULY, Danièle. Barragán ; l’espace et l’ombre, le mur et la couleur. Édition BIRKHAUSER, Berlin, 2002. Pour concevoir ses projets, il s’inspire beaucoup des souvenirs de son enfance. Il s’attelle à un exercice complexe de créer des espaces contenant les mêmes qualités spatiales de ceux dans lesquels il a grandit, uniquement en se basant sur ses souvenirs. Il souhaite que son architecture soit émotionnelle, c’est à dire qu’elle transmette les émotions et sentiments qu’il a ressenti durant sa jeunesse. Il recherche alors quelles étaient les qualités et les caractéristiques architecturales de ses lieux enfouis dans sa mémoire, et les réintroduit dans les espaces qu’il crée. Il est animé d’une forte passion pour son pays natal et sa culture, de laquelle il s’inspire en reprenant les codes de l’architecture vernaculaire mexicaine. « Je crois en l’architecture émotionnelle : il est très importants pour les êtres humains que l’architecture bouge grâce à sa beauté, je sais qu’il existe de nombreuses solutions techniques à un problème, mais la plus valables est celle qui offre à l’utilisateur un message de beauté et d’émotion. C’est ça l’architecture. » Luis Barragán, extrait de conversations avec Emilio Ambasz traduit de l’espagnol, dans La arquitectura de Luis Barragán, publiée par Le Musée d’Art Moderne de New York, 1976. L’architecte Tapatío puise aussi son inspiration dans ses différents voyages, et notamment dans le voyage de trois ans qu’il entreprend en 1923 en Europe. Danièle Pauly écrit à son tour sur le célèbre architecte mexicain, et nous fait remarquer que son architecture émotionnelle est fondée sur « l’intuition et sur 1 des observations faites au cours de ses voyages » . En France, il rencontre Le Corbusier et Ferdinand Bac et s’intéresse à leurs travaux et à leurs écrits. Il s’intéresse particulièrement au mouvement moderniste et fonctionnaliste utilisé par Le Corbusier dans ses projets, mais n’adhérant pas à tous ses idéaux, il ne revendique pas en faire partie. Il avoue avoir été influencé à ja1 2

mais par ce séjour et ces rencontres. Ce voyage lui fait aussi découvrir l’architecture Méditerranéenne qui lui rappelle parfois celle de son pays natal, et il ramènera avec lui au Mexique quelques principes architecturaux principaux de cette architecture du soleil. Au delà de cela, il son architecture s’inscrit dans les mouvements moderne et surréaliste de son siècle et de son pays. « Il est essentiel pour un architecte de savoir comment voir - voir d’une telle façon que la vison n’est pas entachée par l’analyse rationnelle. » Luis Barragán, remise du prix Pritzker d’architecture, 1980 Ce que Luis Barragán souhaite par dessus tout, c’est bouleverser les codes classiques en combinant « sa passion pour son pays natal - qu’il souhaite mettre en avant sur la scène internationale - et son besoin de s’intégrer dans l’architecture contemporaine de 2 demain » . Après son voyage, il confie être inquiet à propos de la déshumanisation de la société par l’architecture des « machines à habiter » impersonnelles comme il les appelle, devenues la figure de l’Homme moderne. S’il y a une chose particulière à noter sur son travail, c’est bien son processus de conception architecturale. Ce processus créatif est en effet assez particulier, puisqu’il commence par imaginer les espaces sans envisager de les mettre sur papier, et fait ainsi preuve d’une imagination sans limite, imaginant alors des choses plus folles. Après s’être imprégné quelques jours de ses images, il dessine au crayon des croquis en perspective des espaces imaginés et rêvés ; c’est un processus de recherche très introspectif et spirituel car il va chercher au plus profond de lui l’intégralité de tout ce qu’il crée, en puisant dans ses richesses intérieures. La conception de la Casa Estudio Le projet le plus emblématique de Luis Barragán reste la Casa-Estudio, classée depuis 2004 au patrimoine mondial de l’humanité. Construite dans les jardins du Pedregal à Tlalpán à la Ciudad de México, elle est l’un des bâtiments les plus visités de la capitale. Luis Barragán a conçu cette maison pour lui, comme un lieu d’habitation de travail, et il y a vécu de nombreuses années.

PAULY, Danièle. Barragán ; l’espace et l’ombre, le mur et la couleur. Édition BIRKHAUSER, Berlin, 2002. p137 BALLONGUE, Louise. Luis Barragán, l’architecte coloriste mexicain. Westwing magazine. 2020.

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Lors d’un voyage que j’ai réalisé avec l’Université de Guadalajara à la Ciudad de México, j’ai eu la chance de visiter la Casa-Estudio (maison-atelier) et le Jardín 17 qui lui fait face, ainsi que la Capilla de Las Capuchinas. Étant considérés comme des musées, il est interdit de photographie l’intérieur de ses oeuvres. La majorité des images de cette sous-partie ne seront donc pas de moi. « La maison-atelier est la synthèse des concepts architectu1 raux sur lesquels il s’appuie. » « Chaque activité - travail, lecture, écoute de musique, écriture, dessin, repos, méditation - trouve un « recoin » approprié par ses dimensions, ses proportions et par l’ambiance lumineuse créée. La maison de l’architecte est ainsi une sorte de « laboratoire » où il expérimente l’espace et ses transformations ; il en matérialise une vision ludique, faisant appel aux sens, de même qu’il y traduit un mode d’habiter qui réinterprète et transcende certaines constantes de la tradition, 2 les adaptent à l’homme moderne. » Pour mettre en oeuvre ces espaces intimes, il utilise des ruses architecturales. Il donne a l’utilisateur une sensation profonde d’intimité en le coupant du monde extérieur : il ne voit pas la rue, et ne l’entend pas. Les murs qui paraissent épais et donnent ce sentiment d’être coupé de la rue sont en réalité des trompes l’oeil qui en réalité ne mesurent pas plus de 20 cm d’épaisseur. Les fenêtres sont décalées vers l’extérieur pour donner une sensation de profondeur vu de l’intérieur. Ce dispositif architectural en est un parmi tant d’autres utilisés dans ce projet. « L’architecte Luis Barragán aimait les couleurs, mais pas n’importes lesquelles. Il vouait une passion aux tons vifs et flashy, qui attrapent la lumière et réjouissent par leur gaie3 té. » Comme énoncé dans la première partie de ce mémoire, il existe deux façons de concevoir la couleur en architecture : soit on conçoit en fonction d’elle, elle est depuis le début le point de départ de l’espace, soit elle vient s’ajouter à la fin pour souligner le caractère de l’espace. Barragán lui s’exerce dans « la modulation et la transformation de l’espace par la couleur » danièle p153. Autrement dit, il réussi tout au long de sa démarche de conception à faire évoluer l’espace dans son esprit en fonction des couleurs qu’il lui attribue. Il sait très vite quelle ambiance il veut créer et ainsi, il 1

se sert de la couleur pour moduler et transformer ses volumes et leur donner vie. Son architecture est ainsi scénarisée et ponctuée d’évènements, comme le serait un parcours. Ce parcours offre des scènes différentes d’un espace à l’autre, de la même manière que les décors au théâtre. L’architecture de Luis Barragán peut être considérée comme théâtrale, ce qui nous rappelle une fois de plus ses influences artistiques (la danse, la musique, la poésie, etc). Il créé une façon d’habiter à part entière, dans un monde poétique rempli « de 1 couleurs, de magie et de fantaisie » . Tout comme il l’avait prévu, son architecture procure réellement des sentiments fort chez l’usager qui accepte de se prendre au jeu de comprendre ses bâtiments comme de réelles oeuvres d’art. Dans les espaces clés comme l’entrée et le toit-terrasse, Luis Barragán utilise des couleurs vives pour renforcer l’identité de ses espaces. La palette de couleurs qu’il choisi est vibrante et dynamique, composée de jaune ocre, de rose magenta, de rouge, de bleu roi et de orange. Dans toutes ses oeuvres, il noue une relation intime avec la nature en concevant dans les moindres détails les espaces extérieurs, les jardins, et les ouvertures sur l’extérieur. Les couleurs vives qu’il utilise font toujours référence à la nature, qu’il intègre finement dans tous ses projets. Le jaune du vestibule d’entrée et la lumière naturelle qui le frôle nous plongent dès notre arrivée dans une ambiance chaleureuse dorée, comme utopique ou même spirituelle. On comprend de suite que la visite va nous transporter dans un monde à part, comme imaginaire, celui de Barragán. En poussant la porte du vestibule, on entre dans la pièce suivante : c’est un hall, peint d’un rose vibrant. Une fois de plus, une fenêtre opaque placée en hauteur vient baigner la salle de lumière et donne au rose une dimension presque vivante. Pour terminer la visite, rendez-vous sur le toit-terrasse qui de son rose mexicain et son orange flamboyant, rayonne sur l’ensemble du bâtiment. Les murs qui encerclent la terrasse sont épais et très haut puisque Barragán voulait former un cadre pour observer le ciel. Un décret avait même été prononcé, interdisant aux constructions alentours de dépasser les murs de la casa-estudio pour ne pas entacher le tableau qu’il avait peint. Malheureusement depuis, la loi a été détournée et un édifice vient quelque peu perturber cette vision.

BLANCHET, Stéphane ; CARDU-GOBEILLE, Emmanuelle ; SÉRIS, Hugues ; TESSIER, Claudie. Des modèles de pensée constructive : les lauréats du prix Pritzker : Luis Barragán, prix Pritzker 1980 . Université Laval. p5. 2 PAULY, Danièle. Barragán ; l’espace et l’ombre, le mur et la couleur. Édition BIRKHAUSER, Berlin, 2002. p174 3 BALLONGUE, Louise. Luis Barragán, l’architecte coloriste mexicain. Westwing magazine. 2020.

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Conclusion Rappelons la problématique : il s’agissait de s’intéresser à la question de l’utilisation de la couleur en architecture et à ses origines, plus particulièrement dans l’architecture mexicaine, à l’aide des projets de Luis Barragán. En s’aidant des observations, des moments vécus à Guadalajara et du travail de documentation, nous sommes arrivés à trouver les origines de ces palettes de couleurs si spécifiques au Mexique. La population mexicaine est très attachée à ses racines et à une certaine forme de spiritualité, et ce depuis les plus anciennes civilisations qui ont précédé celle d’aujourd’hui. Leurs croyances, leurs légendes et leurs traditions sont autant d’héritage qui comment à dessiner une palette colorimétrique. L’artisanat, les paysages naturels tropicaux et le soleil viennent parfaire le travail. De plus, les tempéraments excentriques et la joie de vivre générale, combinés à la liberté de personnaliser à leur guise les bâtiments qui leur appartiennent, créent un mélange de couleurs unique et donne un fort caractère identitaire aux villes mexicaines. L’oeuvre de Barragán est une synthèse architecturale de tout ce que le Mexique a à nous offrir de plus beau : de la lumière, des couleurs vibrantes, des ouvertures finement conçues, et une nature contemplative. L’architecture colorée ne s’arrête pas aux frontières du Mexique, elle rayonne aussi sur une grande partie de l’Amérique latine. On pourrait alors s’interroger, de la même cette fois sur les origines et les fondements de la présence des couleurs dans ces pays aux traditions toutes bien différentes.

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CONCLUSION GÉNÉRALE Le 7 août 2019, je partais pour cette première aventure à l’autre bout du monde, sans ma famille. Aujourd’hui nous sommes le lundi 31 août 2020, et bien des choses ont changé. Me lancer dans cette aventure n’a pas été de tout repos, et pourtant elle m’a tant appris. Ma grand-mère dit toujours que si des difficultés adviennent dans votre projet, c’est qu’il ne faut pas le faire. Depuis le début, rien ne se passait comme je voulais. Dirigée vers le Mexique qui était mon deuxième choix, puis refus de visa étudiant par l’ambassade, autant d’obstacles qui auraient pu me faire reculer, mais en vain. J’ai persévéré et je suis partie, là-bas à l’autre bout du monde, vivre la plus belle aventure de ma vie. Malheureusement la pandémie mondiale du Covid-19 nous rattrapa tous en mars, mettant brutalement fin à cette si riche expérience. Mamie l’avait dit, l’année ne partait pas sur de bonnes bases pour que tout se passe comme prévu. Ce n’est pas facile de rêver durant huit mois et de se réveiller d’un coup, au milieu d’un monde en crise, où des gens meurent et d’autres sont gravement malades. Mais le rêve avait bien duré et la vie a décidé que le réveil devait sonner, c’est comme ça. Comme dit dans l’introduction, avant de partir, j’arrivais à un moment de ma vie où je me posais des questions sur moi-même, sur ce que j’avais envie de faire. Architecture ou art ? Voyage ou vie en France ? En rencontrant ce pays merveilleux, j’ai trouvé toutes les réponses à ces interrogations. Vous savez, voyager ce n’est pas juste voir de nouveaux paysages et manger autre chose. J’ai appris que voyager c’est bien plus que ça, c’est une expérience intérieure qui influence à vie notre perception du monde et la personne que nous sommes. J’ai 22 ans et pourtant, c’est au Mexique que j’ai vraiment compris qui je 70

suis vraiment. Changer complètement de vie durant un an, tout mettre sur pause en France, c’est un vrai challenge mais si vous en ressentez le besoin, faites-le. Il n’y a que comme ça que vous pourrez avancer, en réalisant vos rêves et projets les plus ambitieux. Parler une autre langue courrament ? C’est fait. Partir seule à l’autre bout du monde ? C’est fait. M’épanouir grâce à mes dessins et peintures ? Fait aussi. Me prouver que je suis capable plus que n’importe qui d’affronter mes peurs de l’inconnu ? Vous aurez compris, j’ai checké toute la liste. J’espère que dans ce rapport, vous aurez vous aussi trouvé les réponses à vos questions sur le pays des cactus, et sur les bienfaits d’un long voyage. J’espère que vous vous serez rendu compte que notre monde est immense et que nous n’en connaissons qu’une infime partie. J’espère aussi vous avoir donné envie de voyager, de partir à la rencontre de toutes ces belles choses que la vie a à nous offrir. Enfin, comme pour toute aventure qu’on entreprend, je n’ai pas été seule à oeuvrer pour réaliser mon rêve. Premièrement et avant tout, je remercie ma famille, et particulièrement mes grands-parents sans qui rien de tout cela n’aurait été possible. Mes parents aussi, qui ont toujours travaillé pour nous nourrir et nous offrir une vie confortable, malgré les aléas de la vie parfois compliqués. Sans oublier toutes ces personnes qui me soutiennent encore et toujours, quoi que j’entreprenne, mes amis. Être loin de vous tous m’a permis de réaliser à quel point j’ai de la chance d’avoir la vie que j’ai, et je n’aurai jamais assez d’une vie pour vous transmettre tout l’amour que je vous porte. Si il y a bien quelque chose que le Mexique m’a appris, c’est d’aimer du plus profond de son être toutes les personnes qui nous entourent, et ce quoi qu’il advienne. Ma vie n’a pas toujours été facile ou celle dont je rêvais, mais je n’ai jamais manqué de rien et j’ai réussi à m’épanouir dans mes


études, mes passions, mes voyages. Je suis fière de vous dire que j’ai grandit (cette phrase en fera rire plus d’un dans mes proches), et qu’après ce voyage qui marque la fin d’un cycle pour moi, j’ai hâte d’enfin commencer ma vie d’adulte et de jeune architecte. En dernier lieu, il me parait évident de remercier ces organismes qui oeuvrent pour l’éducation et l’épanouissement de la jeunesse, et qui sans eux rien n’aurait été réalisable. Je parle bien sûr de mon école, l’ENSAG et de Benoît d’Almeida qui fût mon professeur référent tout au long de cette année, mais je parle aussi de la Universidad de Guadalajara qui nous a accueilli les bras ouverts. Je remercie les professeurs de la CUAAD d’avoir été là à leur manière, naturellement, à la mexicaine. Pour finir, merci à la Région Rhône-Alpes, au Ministère de la Culture et au CROUS d’avoir été un soutient financier indéniable.

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Annexes COLORES DE MÉXICO Non, votre télévision n’est pas en recherche de réseau. Cette grille colorée est la synthèse des couleurs les plus présentes sur les façades de la ville de Guadalajara. Je pense qu’il est possible que vous ayez du mal à imaginer ces rues aux allures d’arc-en-ciel, ou même l’ambiance que ces couleurs créent, mais ne vous inquiètez pas. Quelques pages plus loin, vous trouverez une rubrique intitulée « Une année autour de la photographie » qui regroupe les clichés les plus réussi de mon année. Entre photographies faites pour le cours de José Luis Mireles Madrueño, photographies de voyages et celles

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de ma vie quotidienne, vous y trouverez forcément de quoi finir de comprendre ce que j’ai voulu faire passer dans cet ouvrage.


VIVRE À GUADALAJARA, GUIDE PRATIQUE J’avais écrit ce petit guide pratique pour un ami qui devait partir à Guadalajara à la rentrée 2020, mais malheureusement la pandémie en a décidé autrement. Je souhaite tout de même le mettre en annexe, il pourra servir aux prochaines personnes qui souhaiteraient se rendre au pays des rêves. Généralités Guadalajara, c’est la deuxième plus grande ville du Mexique après La Ciudad de México, et c’est vraiment une grande ville. Elle est hyper bien desservie par les bus, les aéroports, les taxis, et même les blabla-car. Le climat est le meilleur qu’on peut trouver au Mexique, plutôt tempéré par rapport au reste du pays et constant durant l’année (pas d’écart de température aberrant comme en France entre les saisons). Il y a deux saisons : la première de juillet à décembre, c’est la saison des pluies, c’est-à dire que tous les jours il y a une heure ou deux de grosses pluies et la ville est inondée, mais sinon il fait quand même chaud (environ 25°C). Attention aux moustiques qui sortent par cette saison humide, ils sont porteurs pour certains de la Dengue, une maladie qui se guérit mais qui nous cloue au lit pendant une semaine minimum - on a mal partout et on ne peut pas bouger - un peu comme une énorme grippe. Je dirais qu’un tiers des personnes que j’ai connues à Guadalajara l’ont eu. Et il y a la deuxième saison, de janvier à juin où il fait de plus en plus chaud, il ne pleut pas, mais attention aux mois d’avril, de mai et de juin car il fait très chaud (environ 35°C) et le soleil tape vraiment fort, bien plus fort que chez nous (couvre-chef fortement recommandé). Guadalajara est située à cinq heures de la plage en voiture ou en bus, ça ne coûte pas très cher d’y aller et les plages de la côte ouest mexicaine sont vraiment un paradis de tranquillité - las costas Michoacanas.

Le logement Pour trouver un logement, personnellement j’ai demandé des conseils à Benoît d’Almeida, qui est parti en échnage au Mexique il y a quelques années, et qui est aussi mon professeur référent pour cette année. Il m’avait conseillé une maison, la Casa Moustache (c’est là où j’ai vécu) et je les ai contacté sur Facebook. Le propriétaire est un français de 35 ans super cool, l’ambiance est assez familiale, et c’est dans le centre ville. Ici, les étudiants étrangers logent dans des casas énormes de cinq à trente personnes, tout dépend des maisons. Si on s’éloigne du centre ville, c’est pas vraiment pratique pour les transports pour aller à l’école. Pour trouver des casas, il est possible de chercher sur internet les sites qui les répertorient, en tapant « casa de estudiantes Guadalajara », il y en a vraiment beaucoup. Personne ne cherche d’appartement ou de studio comme on le fait en France, ici tout le monde vit en communauté et de toute façon c’est bien plus sympa de vivre comme ça ! Voilà une petite liste des maisons sympathiques en centre ville que je connais, et dans lesquelles on peut aller sans se méfier. Inutile de s’intéresser aux casas chères (au dessus de 200€ ou 4000 pesos), on peut vraiment trouver des chambres pas chères dans des superbes maisons à moindre coût. Pour ma chambre meublée dans une maison de huit personnes environ (tout dépend des mois), je paye 3300 pesos par mois, donc 150€. Aussi, rien ne sert de chercher sur le campus, il n’y a pas de logement, c’est uniquement une école. - Casa Moustache, ma casa (8-10 personnes, située en hyper centre ville, les chambres sont sympa, entre 150 et 170€ de loyer, deux salles de bain partagées, ambiance familiale et calme, pas de fêtes tous les week-end) - Casa Guadalupe (25 personnes, dans le centre ville, les chambres sont immenses et ont toutes une salle de bain privée, loyer à 250€ environ (c’est assez cher pour la ville mais la maison est incroyable, style colonial typique), ambiance 73


très festive) - Casa Lorena (25 personnes, les chambres sont plus chères car neuves avec une salle de bain privative, 230€ environ, piscine, à l’extérieur du centre ville) - Casa Hamacas (15 personnes environ, à côté du Templo Expiatorio) - Casa Alebrije (petite casa coloniale pleine de charme dans le centre ville, 5 personnes) L’école Pour se rendre à l’école, il faut prendre le macrobus, c’est une sorte de bus-tram pour lequel il existe une carte spéciale. L’école est tout au Nord de la ville, on met entre trente et quarante-cinq minutes à y aller, c’est beaucoup mais on a pas trop le choix. Tout dépend de l’endroit où tu habites, mais pour se rendre au macrobus il est possible de prendre les vélos de la ville (abonnement Mibici à 20€ l’année) ou des camiones - des bus qui passent un peu aléatoirement à la mexicaine aux angles des rues, mais là on est jamais vraiment sûrs d’arriver à destination. Le système d’éducation est bien différent, ils nous adorent et nous considèrent presque comme des stars, les exigences sont bien plus basses qu’en france, donc normalement pas de soucis niveau difficulté scolaire pour les étudiants français. Ça a des bons côtés comme des mauvais, parfois les professeurs et les élèves ne prennent pas vraiment au sérieux l’éducation et se pointent une fois sur trois à l’école, sans jamais prévenir personne, par exemple. Je ne compte plus les allers-retours inutiles que j’ai fais les mardis après-midi pour ce fameux cours de photographie avec José Luis Mireles Madrueño, très sympa ce professeur, mais il ne previent jamais de son absence. Et dernière chose, pour manger il y a des cafet’ dans l’école et sinon en dehors de l’école il y a plein de petits restaurants super typiques mexicains, on y mange des tacos incroyables et ça ne coûte pas plus de deux ou trois euros par repas. Vie quotidienne Pour faire tes courses, tu iras surement dans les Soriana, c’est une chaîne de supermarchés genre Casino chez nous, et y’en a partout. Pour les fruits et les légumes, j’te conseille les marchés : c’est super pas cher et vraiment ça vaut tellement le coup, les produits sont quasi tous locaux et ils sont tellement booons, mille fois meilleurs qu’en france !

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En ce qui concerne l’argent, c’est assez simple. Ce que je conseille, c’est de garder sa carte française et de retirer deux à troiq fois par mois des grosses sommes d’argent, puis de tout faire en liquide. Tous les magasins/restaurants ne sont pas équipés de terminaux pour la carte bleue, et ça coûte moins cher en frais bancaires de retirer moins mais plus. À chaque fois qu’on retire, on a des frais bancaires (de un à deux euros selon les banques), comme à chaque fois qu’on paie avec notre carte (là c’est 3% du prix que tu paies). Personnellement, j’ai une carte Mozaïc Dual Noir Mastercard de chez Crédit Agricole, j’ai prévenu ma banque avant de partir que j’allais être durant un an au Mexique, et je n’ai pas vraiment eu de problèmes. À part la première fois que j’ai voulu retiré, ça ne fonctionnait pas, mais j’ai vite compris pourquoi : il faut faire un premier paiement dans un magasin pour débloquer sa carte à l’étranger. J’ai des amis qui ont opté pour les cartes gold qui procurent certains avantages, surtout en terme d’assurances pour les réservations de billets d’avion par exemple. D’autres ont décidé de passer chez Revolut, une banque en ligne faite pour les personnes qui voyagent, et sans aucun frais. Je ne sais pas quelle est la meilleure solution, je pense que c’est un choix assez personnel. Un seul conseil : ne pas prendre de forfait de téléphone international avant le départ, on trouve très facilement de quoi avoir une bonne connexion au réseau là-bas. Il ne faut surtout pas prendre le forfait français Free international, c’est une grosse arnaque. Ils m’ont pris 150€ de hors forfait les deux premiers mois, sans m’avertir que j’avais dépassé les données mobiles qui m’étaient attribuées. En arrivant au Mexique, la première chose à faire c’est d’aller dans un Oxxo (petite supérette qu’on trouve de partout dans le pays) et demander une carte sim, « chip » ils disent ici, et de la recharger au même endroit. Une chip correspond à un numéro mexicain. Par exemple, moi je mets 200 pesos donc 10€ environ par mois, j’ai réseaux sociaux illimités (instagram, snapchat, facebook, whatsapp), 3Go d’internet et ça dure trente jours. Si jamais on utilise toutes tes datas internet avant les 30 jours, on peut retourner à l’Oxxo pour recharger sa chip simplement en s’adressant au caissier. C’est bien plus simple comme ça que s’embêter avec un forfait français. Et important à savoir, là-bas tout passe par WhatsApp. Tout le monde communique avec cette application, dans le Mexique ou même à l’international avec les familles. Il est possible de passer par les réseaux sociaux que j’ai énuméré au dessus aussi, mais WhatsApp reste un incontournable. Les appels, les vidéos call, les messages, tout se fait super bien sur cette dernière appli.


Santé Avant de partir, j’ai souscris sous les conseils de mon école à la mutuelle étudiante SMERRA, chez qui j’ai pris l’assurance Pack Monde, faite pour les étudiants qui partent étudier à l’étranger. J’ai payé 400€ pour les 10 mois d’échange. À vrai dire, je ne conseille pas vraiment cette assurance, il en existe des plus complètes au même prix. Je m’explique. Tant que tu n’as pas besoin de faire marcher l’assurance, tout se passe bien. Je n’ai jamais été chez le médecin ni à l’hôpital au Mexique, donc aucun soucis. Par contre, j’ai dû anticiper mon retour prévu initialement en juin en prenant un avion retour en mars, dû au Covid19. Je ne parviens toujours pas à me faire rembourser mes nombreux billets d’avion qui ont été annulés ou que j’ai été obligée de prendre en plus pour rentrer en France, ni par les compagnies aériennes ni par l’assurance. Il faut savoir que la SMERRA ne prend pas en charge toute sorte d’incident, et celui-ci en fait évidemment partie. En revanche, ils m’ont remboursé les trois mois que je n’ai finalement pas passé à l’étranger, et assez rapidement. Si jamais vous avez besoin d’aller à l’hôpital au Mexique, je conseille les hôpitaux privés qui sont souvent plus réactifs en terme d’urgences. Les médecins généralistes se trouvent dans des petits bureaux accolés aux pharmacies et en consultation sans jamais prendre rendez-vous, c’est assez étrange mais ça fonctionne pour les petits tracas du quotidien. Pour un vrai problème de santé, je conseille quand même de se rendre à l’hôpital.

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UNE ANNÉE AUTOUR DE LA PHOTOGRAPHIE À travers cette dernière rubrique, j’aimerai conclure de la meilleure manière le récit de l’aventure de ma vie. La photograhie est et restera pour moi le meilleur médiateur de mes sentiments.

« Cela rend modeste de voyager. On réalise quelle petite place on prend dans le monde. » Cette citation de Gustave Flaubert a ouvert cette histoire et la refermera. J’espère sincèrement que ces quelques clichés rentranscriront ce sentiment de se sentir petit face à l’immensité du monde et de sa diveristé, mais aussi l’ambiance si particulière qui plane sur ces terres tropicales. Parce que je ne remercierais jamais assez ce pays qui m’a accueilli, je voudrais remercier la vie de m’avoir mise sur ce chemin dont je suis si fière, et de m’avoir envoyée si loin pour qu’enfin je comprenne à travers le monde qui nous entoure qui je suis vraiment. Je vous laisse à présent avec mes photographies.

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À bientôt México.


BIBLIOGRAPHIE Livres : PAULY, Danièle. Barragán ; l’espace et l’ombre, le mur et la couleur. Édition BIRKHAUSER, Berlin, 2002, 231 pages. Articles : BALLONGUE, Louise. Luis Barragán, l’architecte coloriste mexicain. Westwing magazine. 2020. Consulté le 10 août 2020. Disponible sur : https://www.westwing.fr/magazine/rencontres/ luis-barragan-larchitecte-passionne-par-la-couleur/

Travaux étudiants : ABELLANAS PANIAGUA, Cristina. La plástica del color en la obra de Luis Barragán : una aproximación experimental. 2015. Disponible sur : https://riunet.upv.es/bitstream/handle/10251/58633/ABELLANAS%20-%20La%20pl%C3%A1stica%20del%20color%20en%20la%20obra%20de%20Luis%20 Barrag%C3%A1n%3A%20una%20aproximaci%C3%B3n%20experimental.pdf?sequence=4

Barragán Foundation Switzerland. Luis Barragán, Architecte du silence. Paris, mai 2004. Disponible sur : https://issuu.com/ ecolespeciale/docs/luis_barragan

BLANCHET, Stéphane ; CARDU-GOBEILLE, Emmanuelle ; SÉRIS, Hugues ; TESSIER, Claudie. Des modèles de pensée constructive : les lauréats du prix Pritzker : Luis Barragán, prix Pritzker 1980 . Université Laval. Disponible sur : https://www. arc.ulaval.ca/files/arc/Luis_Barragan.compressed.pdf

Arq. CASTAÑEDA ARRATIA, Jésus. Influencia de España en México a través de la arquitectura colonial. Cronica de la Facultad de Arquitectura y Diseño. 2018. Consulté le 15 août. Disponible sur : url : http://web.uaemex.mx/identidad/docs/cronicas/ TOMO_XVII/12_La_influencia_de_Espana.pdf

GÓMEZ ALZATE, Adriana ; JURADO GRISALES, Claudia ; CASTAÑEDA MARULANDA, Walter ; LONDOÑO LÓPEZ, Felipe César ; RENDÓN GARCÍA, Guillermo. Patrones de color : Interpretación visual de los valores cromáticos regionales en Caldas. Universidad de Caldas. 2006. Consultation PDF

DAVIDSON, Kris. Mexique : les couleurs flamboyantes de la fête des morts. National Geographic. Disponible sur : https://www. nationalgeographic.fr/voyage/mexique-les-couleurs-flamboyantes-de-la-fete-des-morts DEBUSSCHERE, Stephane. La couleur dans l’architecture. 21 oct 2014. Consulté le 12 août 2020. Disponible sur : https://www.jevaisconstruire.be/la-couleur-dans-larchitecture/ F, David. Luis Barragán, sa vie et son oeuvre. Fondarch.lu. 2017. Consulté le 10 août 2020. Disponible sur : https://fondarch.lu/ luis-barragan/ PRÉEL, Philippine. Dialogue entre couleur et architecture : quel degré de complicité ?. Architecture, aménagement de l’espace. 2013. dumas-01227896. Disponible sur : https://dumas.ccsd. cnrs.fr/dumas-01227896/document Auteur inconnu. La couleur en architecture - La conception de la couleur pour l’Assurance des métiers (Suisse) : Suite à un entretien avec Catherine Burkhard et Nora Fata de burkhard & fata farbgestaltung. 20 sept 2019. Consulté le 12 août 2020. Disponible sur : https://www.lescouleurs.ch/fr/journal/posts/la-couleur-en-architecture/

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Autres formats : FLAUCHART, Ninon. Quand architecture devient utopie colorée. Exposition Archi-Beau, Strasbourg, 13 octobre 2017. Vidéo. Disponible sur : https://www.tchapp.alsace/articles/decouvertes/quand-architecture-devient-utopie-color%C3%A9e.html


ICONOGRAPHIE La majorité des photographies présentes dans ce rapport son issues de ma collection personnelle. Tout comme les dessins, dont je suis l’autrice. Il est alors inutile de les citer. En revanche, quelques images ne sont pas de moi, et il me paraît judicieux de vous en donner les sources. 1ère et 4ème de couverture JOHNSON, Steve. Image sans titre. Disponible sur : https:// www.pexels.com/@steve page 4. TERTRAIS, Maëlle. Décembre 2019. Photographie argentique du sommaire, Laurie devant la cathédrale de Guadalajara. page 38. HERTA, Alina Madalina. Février 2020. Costa Michoacana, La Ticla. page 40. HERTA, Alina Madalina. Février 2020. Abris en feuilles de palmier sur la plage de La Ticla. page 41. HERTA, Alina Madalina. Février 2020. Maruata. page 65, photographies haut et milieu gauche. BURRY, René. Luis Barragán, Casa Barragán (1969). Disponibles sur : http://www. beaudouin-architectes.fr/2013/10/la-casa-barragan-2/ page 65, photographie bas gauche. Auteur et date inconnus. Portrait de Luis Barragán. Disponible sur : https://www.archdaily. com/607209/spotlight-luis-barragan page 65, photographie bas droite. Auteur et date inconnus. Portrait de Luis Barragán dans la Casa Estudio. page 67. Fundacion Luis Barragan. Terrasse et vestibule. Disponibles sur : http://www.casaluisbarragan.org/lacasa.html page 67. CDMX Travel. Salon. Disponible sur : http://cdmxtravel.com/es/lugares/casa-estudio-luis-barragan.html page 67. Mas Mexico. Entrée. Disponible sur : https://mas-mexico.com.mx/casa-taller-luis-barragan-cdmx-patrimoniosunescomx/ page 81. HERTA, Alina Madalina. Guadalajara, janvier et février 2020. Façade carrelée et voiture cassée. page 92. DUCHESNE, Clément. Février 2020. Enfants de Colola. 105



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