MEXIQUE, une année entre rêve et réalités (extrait)

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MEXIQUE

Une année entre rêve et réalités

{ Rêve n.m } - Le rêve est une « disposition de l'esprit généralement nocturne, survenant au cours du sommeil, et qui procure à l'individu éveillé des souvenirs nommés eux aussi rêves ». S. Jama, 1997.

LAURIE BARTELDT

/ 2020 /

ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D'ARCHITECTURE DE GRENOBLE


"Cela rend modeste de voyager. On réalise quelle petite place on prend dans le monde.” - Gustave Flaubert

INTRODUCTION Huit mois, c’est le temps que j’ai passé à rêver. 8 Août 2019. 23h, aéroport Paris Charles de Gaulle, je monte dans l’avion. Mes valises en soute, le regard dirigé vers la piste de décollage, Clément à mes côtés. Que le voyage commence. Je ne sais pas vraiment vers quoi je vais, dans quoi je me lance, mais c’est trop tard pour reculer, j’y vais. Le pull de mon groupe de rap préféré sur les épaules, je me prépare à m’endormir pour ne pas voir passer les 11h30 d’avion qui m’attendent. Capuche, écouteurs, un coussin sous la tête, bonne nuit Clément. C’est ici que le rêve commence. Es el tiempo de soñar. Je rêve d’un pays où il fait bon vivre, où le bonheur se porte sur les visages. Où les gens portent des vêtements colorés, où les maisons sont toutes ouvertes, où les plantes s’invitent dans les salons, les salles de bain, les chambres. Je rêve d’un pays qui me réchauffe, par les rayons du soleil et les sourires chaleureux. Un endroit où tout est beau, où tout est simple. M’éloigner de ma vie d’avant et tourner les pages du livre, voilà pourquoi j’ai décidé de rêver. Je me rendrai compte plus tard que ce pays, celui que je cherche dans mes rêves, c’est le Mexique. [...]

Pourquoi le Mexique ? me direz-vous. J’ai besoin de voir autre chose, de prendre conscience du monde qui m’entoure. Nous avons ce besoin inconscient de comparer l’inconnu au connu pour le rendre plus familier, savoir ce que cet inconnu a de plus ou de moins. L’Homme a peur de l’inconnu, il aime tout connaître et tout savoir. Le Mexique, pour moi, c’était aller découvrir l’inconnu, et me lancer le défi de l’apprécier et de l’apprivoiser en émettant le moins de jugements possibles, en faisant abstraction de ces pensées comparatives nocives à une expérience comme celle que je m’apprête à vivre. J’adore apprendre, voir et découvrir, rencontrer du monde. J’ai hâte de m’enrichir du Mexique, de sa culture, de son histoire précolombienne, de ses paysages, de sa nourriture, etc. Aussi, j’ai toujours admiré les gens qui parlent deux ou trois langues couramment, et comme je m’entête à dire « si les autres y arrivent, pourquoi pas moi ? ». Donc oui, je pars aussi avec ce défi en tête : parler couramment l’espagnol. C’est aussi la situation géographique de ce pays qui m’a fait me décider. Je veux vivre sous un autre climat, découvrir la végétation tropicale, enrichir mon herbier, faire des photos de paysages tous plus beaux les uns que les autres, changer d’air quoi. Le rêve ne fait que commencer, et je crois que je n’ai pas encore conscience de ce que je m’attends à vivre durant les prochains mois. [...] 9 Août 2019. Aux alentours de 13h j’atterris dans ma nouvelle ville. Je n’étais jamais partie seule nulle part et encore moins à l’autre bout du monde. Premier pied sur le sol de Guadalajara et me voilà à 9689 km de chez moi pour un an. Pour me rendre à la maison, je dois prendre un taxi à l’aéroport pour lequel je paye beaucoup trop cher, 300 pesos, équivalents à 15 euros (sûrement à cause de mon accent français et de mon physique d’européenne blonde aux yeux clairs, catégorisée de güerita d’après eux). Quelle ne fût pas ma stupéfaction en découvrant la ville à travers les vitres sales du taxi miteux qui me conduisait. Une ville toute vallonnée, des maisons fabriquées en matériaux de récupération, et des palmiers, surtout des palmiers.


LES COURS

Il y en a partout, à gauche et à droite de la route goudronnée où je ne vois aucune ligne au sol pour délimiter les voies. D’ailleurs, parlons-en du trafic routier, il est un peu anarchique. Le taxi conduit bien trop vite et zig-zag dans tous les sens, mais trop vite par rapport à quoi ? À qui ? Je ne vois aucun panneau de limitation de vitesse, et tout le monde roule de la même façon autour de nous. Bon d'accord, je me dis qu’ici c’est normal et je passe à autre chose. J’aperçois qu’au bord de la route ce n’est pas très propre : il y a des déchets qui s’entassent par terre, sous les énormes panneaux de publicités à l’américaine qui occultent la vue sur la ville. Nous progressons doucement vers la ville, nous voilà presque arrivés à la Casa Moustache, mon lieu de résidence. Alex le propriétaire m’ouvre la porte, je m’installe dans ma chambre et je dors pendant 24h ; j’encaisse mal la fatigue accumulée du décalage horaire et du voyage. À mon réveil, j’ouvre les portes en bois de ma chambre qui donne sur le patio, et j’inspire une grande bouffée d’air. Il fait beau, le bougainvillier du patio est en fleurs et les nuages bougent lentement dans le ciel bleu. Je découvre une immense maison, autant ouverte que fermée, impossible de savoir où se trouve la limite entre l’intérieur et l’extérieur. J’ai déjà des étoiles plein les yeux. « Deviens celui qu’une simple lueur de soleil émerveille », Jazzy Bazz, Éternité, 2018. Je ne le savais pas encore, mais cette phrase tirée d’un titre de rap allait devenir ma philosophie de vie. Les jours suivants, je partirai à la découverte de ma nouvelle ville, et je commencerai l’école. Le rêve ne faisait que commencer.

Composicion arquitectonica VIII, c’était le nom de mon studio de projet du second semestre. Contrairement à l’enseignement de projet en France, le projet est dispensé trois fois par semaine, par sessions de 3h, les lundis mercredis et vendredis. La professeur avait fait des groupes, mélangeant les huit élèves en échange avec des locaux. Nous étions un groupe de trois filles, deux mexicaines et moi. Il a donc fallu que j’élabore un projet entier dans une autre langue, en réfléchissant en espagnol pour me faire comprendre par mes camarades. C’était très différent du premier semestre où j’étais en binôme avec Maëlle, qui vient de l’ENSAG comme moi. Nous nous étions mises ensemble au début car nous redoutions la conception du projet en espagnol, avec des personnes qui n’ont pas appris à concevoir un projet de la même façon que nous. Avec le recul, je pense qu’avoir commencé en binôme avec une française était bien pour nous laisser le temps de nous adapter à la manière d’enseigner, d’évaluer notre travail dans ce nouveau pays. Le sujet du second semestre était la requalification d’un bâtiment inutilisé, changeant son usage principal. Le bâtiment que nous avions choisi se trouve sur l’Avenida Ignacio Vallarta, grande avenue qui coupe la ville de Guadalajara horizontalement. C’est un axe très passant et très bien desservi par les transports en commun (bus et vélos de ville). L’édifice est un immeuble de quatre niveaux et un toit terrasse, accolé à un hangar qu’ils appellent bodega. Le rez-de-chaussée servait avant de local commercial, et les étages de logements. Nous avons décidé, d’après le contexte rural et sa situation géographique stratégique dans la ville, de créer un restaurant dans le local commercial, une galerie d’art dans les deux premiers niveaux et des logements partagés sur les deux étages restants. Ce studio de projet m’a particulièrement touchée, premièrement car c’était la première fois que je travaillais en groupe avec des étrangers et dans une autre langue, mais aussi car je trouve le sujet très actuel et intéressant. L’année prochaine, j’aimerais intégrer le master Architecture, Ville et Ressources qui traite de problématiques similaires à celle-ci, de réhabilitation de l’existant dans un contexte rural. J’aime retracer l’histoire des bâtiments pour les comprendre et leur donner un nouvel usage adapté, les faire revivre. L’approche pédagogique m’a aussi beaucoup interpellée, dans le sens où le processus de conception était nouveau pour moi. En effet, nous sommes passées par plusieurs étapes de conception, allant du photomontage pour explorer les possibilités architecturales à plusieurs échelles, au moodboard pour les ambiances, aux planches textures pour travailler l’harmonie générale, jusqu’aux diagrammes de circulations. [...]


LES VOYAGES Durant ces huit mois, ce ne sont pas les activités extra-scolaires qui ont manqué. Si je devais en choisir une, je pense que je choisirais mes voyages, et plus particulièrement ceux sur la côte ouest du Mexique. En novembre, je réalisais un premier voyage à la plage de quatre jours avec mes amis Français et Sergio, notre fidèle allié mexicain qui se trouvait en France l’année précédente. Nous partions en voiture sur la costa Michoacana découvrir la beauté sauvage de la côte ouest. [...] À peine entrés dans le Michoacan, le réseau téléphonique s’affaiblit, jusqu’à ne plus en avoir du tout. Nous ne faisions que nous rapprocher de la côte et perdions entièrement le signal. Première question que je pose à Sergio “où est l’hôpital le plus proche ? S’il nous arrive quelque chose nous ne pouvons pas prévenir les secours, il faudra bien savoir où nous devons nous rendre en cas d’urgence”. Aussi surprenante soit-elle, sa réponse fut claire et directe “le premier hôpital, c’est celui que nous avons dépassé il y a une heure. Il n’y en a qu’un par ici, et c’est celui là. Mais ne vous en faites pas, tout va bien se passer” ; nous n’étions toujours pas arrivés à destination. Quatre jours paradisiaques s’écoulèrent au bord de la plage de La Ticla, bordée par ses cabanes de surfeurs et ses cactus, et je me suis rendue compte de la beauté, du calme. Là-bas, on croise beaucoup d’américains, de gringos comme ils aiment les nommer, venus pour surfer sur ce spot au goût de paradis. La Ticla, c’est le troisième spot mondial de surf si on en croit ses habitants. Ils vivent du tourisme lié à cette activité c’est évident, il n’y a rien à des kilomètres à la ronde. Le village n’est pas très grand mais très dépaysant : les maisons sont construites en parpaings ou en bois par les locaux, les routes ressemblent plus à des chemins de terre et de gravier, et les seuls commerces sont une petite épicerie et des restaurants. Faites abstraction de tout ce que vous connaissez en terme de tourisme et imprégnez-vous de l’ambiance que je tente de vous décrire. Un village reculé, plus pauvre que tout ce que je connais, bercé par le bruit des immenses vagues sur lesquelles on aperçoit des surfeurs téméraires, les habitants ouvrant leur porte en s’autoproclamant “restaurant” et des cabanes entourées d’immenses palmiers qui bougent au gré du vent. Les plages sont sauvages, l’empreinte de l’homme y est à peine perceptible. Pas de station balnéaire, pas de vendeur de beignets à la sauvette, pas de touristes allongés sur leur serviette brûlant sous le soleil, pas de magasins de souvenirs hors de prix, rien de tout ça. Il n’y avait rien que je pouvais rattacher à l’image que j’avais du tourisme en général, de ce que je connaissais en France. Les gens sont chaleureux et nous transportent avec eux dans cette vie si différente, sans internet ni technologies, sans école, sans bitume. La Ticla, c’est ce condensé de liberté à la fois surréaliste pour nous autres européens, mais bien réelle pour ses habitants.

Derrière leurs visages souriants, pouvons-nous vraiment savoir s’ils sont heureux ? Savons-nous qu’ils nous envient peut-être, nous les "occidentaux riches" ? Comment nous voient-ils, comme de malheureux citadins fuyant leurs problèmes quotidiens ou comme de jeunes touristes en quête de nouvelles sensations ? On ne le saura jamais vraiment. En quatre jours, nous avons eu le temps de remonter une rivière jusqu’à une superbe cascade cachée dans la jungle, de profiter des vagues et des hamacs et de libérer des bébés tortues à la mer. Les plages de cette côte sont connues pour être le terrain par excellence des tortues de mer : la nuit, d’immenses tortues avoisinant les 1m de long sortent de l’eau pour pondre leurs oeufs dans le sable chaud de la plage. Mais au petit matin, les braconniers n’hésitent pas une seconde avant de dérober les oeufs fraîchement pondus pour pouvoir les revendre par la suite, ce qui en fait aujourd’hui une espèce protégée. Sergio, passionné par cet endroit et ses histoires, nous raconte tout cela et nous sommes bouches bées. Je me demande comment, à mon échelle, je pourrais avoir un impact positif sur ce village côtier, et je me rends surtout compte que cette expérience que je vivais là n'avait rien à voir de près ou de loin avec tout ce que j’avais connu auparavant. Avant de quitter ces terres, nous allons libérer quelques bébés tortues dans une réserve qui recueille les oeufs et les relâche à la mer après éclosion. On apprendra une fois nos tortues à l’eau que la dure loi de la nature les rattrapera, n’en faisant survivre qu’une sur cent cinquante dans ce milieu hostile qu’est l’océan. [...]


J’aurai encore tant de choses à raconter, d’anecdotes et d’histoires folles, mais il est temps de conclure sur mes voyages. Lorsque l’on parle de tourisme au Mexique, on pense directement à Cancun, aux cenotes et aux sites archéologiques Mayas ou Aztèques. Mais après ce que vous venez de lire, réfléchissez-y à deux fois. Je pense qu’il existe plusieurs types de tourisme et qu’ils sont encore plus marqués dans ces pays là, moins développés. Le tourisme de masse attiré par le clinquant, le beau, le connu, les paysages instagrammables, où on dépense beaucoup d’argent et où on pense profiter pleinement de nos vacances. Puis, il y a le tourisme indépendant de toute question économique, celui où nous n'avons besoin que d’un sac à dos et d’une destination vague, mais surtout celui pour lequel on ouvre son coeur et qu’on laisse nous changer pour toujours. Et qu’en sera-t-il de ces plages sauvages dans quelques années ? Auront-elles été rattrapées par le tourisme de masse ? Ou resteront-elles intactes et libres de toute emprise économique malsaine ? Tant de questions que je continuerai à me poser durant les prochaines années. J’ai laissé une partie de mon coeur et de mon esprit dans ses endroits reculés, espérant y retourner un jour en quête de cette paix intérieure qu'ils m’ont procuré.

RETOUR À LA RÉALITÉ Vendredi 13 mars 2020. Tout se passe à merveille à Guadalajara, quand j’apprends que la France a annoncé hier soir la fermeture des restaurants, bars et commerces non considérés de première nécessité, due au Covid-19. Les écoles aussi seront fermées à partir du lundi 16 mars. Je commence à me poser des questions sur l’ampleur que cette épidémie va prendre, un peu partout, sachant qu’au Mexique tout va bien et que personne n’en parle vraiment. À midi, nous recevons un mail de l’UdG (Universidad de Guadalajara) qui nous annonce la fermeture de l’école durant 14 jours à partir du lundi suivant, sur ordre de l’État de Jalisco. Cumulé avec les deux semaines de vacances incluant la semaine sainte, l’école rouvrira normalement ses portes le 20 avril. Nous avons donc un mois devant nous, sans mettre un seul pied à l’école. L’université tente de nous rassurer, nous disant que nous allons poursuivre nos cours sur internet, mais connaissant le système scolaire mexicain et l’investissement de certains professeurs, rien n’est sur… [...]

Photographies par Alina Herta et moi-même, vie quotidienne et voyages, 2020.

Mercredi 18 mars 2020. C’est aujourd’hui que je me rends vraiment compte de l’importance de la situation : la France entière est en quarantaine depuis hier midi. Plus le droit de sortir de chez soi sauf pour quelques motifs hautement justifiés, et pas sans attestation signée. Je commence à envisager un retour anticipé en France, mais j’ai peur pour mon année scolaire. Je me rassure en me disant que de toute façon, quarantaine au Mexique ou en France, ça reste une quarantaine chez soi. Et puis je serais bien au Mexique en quarantaine dans ma grande maison, avec mes amis et le soleil. [...] La situation commence sérieusement à se compliquer. J’appelle alors ma famille, pour leur demander conseil, car à ce moment là je suis un peu perdue. Après plusieurs coups de fil, je décide de peser le pour et le contre d’un retour anticipé. La conclusion : il faut rentrer. [...] Jeudi 19 mars 2020. Je suis rentrée à 2h du matin chez moi, avec un billet retour pour la France, les émotions sont à leur maximum. Je n’ai fait que réfléchir, je n’ai pas réussi à dormir plus de trois petites heures. Je n’ai pas faim non plus, je suis stressée et angoissée à l’idée de rentrer à la maison. [...] Avertie de notre départ, l'ambassade nous demande de faire nos valises sur le champ et de rejoindre l’aéroport de la Ciudad de México, la capitale, et d’insister auprès d'Air France pour qu’ils nous mettent sur le premier vol en direction de Paris. Et là c’est le choc, ce dernier conseil de l’ambassade ne nous fait pas plaisir, et commence à nous faire paniquer. Mais qu’est-ce qu’on doit faire ? Se précipiter sous les conseils des autorités et rentrer au plus vite se confiner vers nos familles avant que tout cela dégénère ici ? Ou attendre au risque de ne plus avoir d'avion de retour ? [...] Vendredi 20 mars 2020. 4h00 du matin, je n’ai une fois de plus pas réussi à fermer l’oeil, mais cette fois vraiment pas une seule seconde. Je n’ai toujours pas mangé, je n’ai pas faim. Je dois me lever et partir pour l’aéroport dans 30 minutes. J’enfile une tenue confortable pour l’avion et le périple qui nous attend, je fais un dernier tour dans la chambre pour voir si je n’ai rien oublié, je ferme la valise et je m'en vais. Le Mexique c’est terminé, les fleurs fanent mais l’amour ne meurt jamais. Te quiero para siempre, México.


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