NICOSIE - LE RÉCIT D'UNE VILLE MARQUÉE PAR LES CONFLITS BI-COMMUNAUTAIRES

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Nicosie

Λευκωσία, Lefkoşa

Le récit d’une ville marquée par les conflits communautaires

Laurie Barteldt et Noémie Desprez Master 2 Architecture, Villes et Ressources Responsable du master : Stéphanie David Directeur d’études : Frank Lebail Année 2020-2021


Mer Méditerranée


1960 Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental

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50km



AVANT PROPOS Dans la continuité du premier tome de mémoire, nous avons rédigé celui-ci avec un regard différent sur la ville. Notre première chronique nous a permis d’explorer, grâce aux regards croisés de plusieurs villes en décroissance d’Europe, les problématiques liées au “destin alimentaire” de la capitale chypriote, Nicosie. Ce tome 2 a pour vocation de cibler notre pensée sur des enjeux urbains contemporains que nous détaillerons par la suite. Nos recherches et réflexions permettront de présenter une nouvelle stratégie urbaine visant à changer les modes de déplacement. En raison du contexte sanitaire et n’ayant pas pu nous rendre sur place, notre immersion dans la ville s’est faite à distance virtuellement. Malgré la faible quantité de documents mis à disposition sur internet et la barrière d’une langue totalement inconnue, le grec, nous avons réussi grâce à quelques chypriotes généreux à reconstituer les pièces du puzzle et à dresser un portrait de cette ville si particulière : Nicosie. Ce second tome a été rédigé dans le contexte sanitaire lié à la crise de la covid-19, lorsque la naissance d’un espoir de réunification communautaire s’est vue avortée par la fermeture des seuls points de passage de la frontière du pays.



Fig 1 : Vue panoramique de Nicosie Source : Grazia, Getty images


Fig 2 : Vue de Nicosie vers le nord. Massif du Troodos et drapeaux turcs Source : https://www.latribune.fr


Fig 3 : Vue panoramique de Nicosie sud (partie chypriote grecque) Source: https://fr.dreamstime.com


Fig 4 : Rue de Nicosie nord (partie chypriote turque) Source : https://wikiway.com


Fig 5 : Rue de Nicosie sud (partie chypriote grecque) Source : Wikiway/cyprus.com Fig 4 : Rue de Nicosie nord (partie chypriote turque) Source : Wikiway/cyprus.com


Fig 6 : Rue de Nicosie nord (partie chypriote turque) Source : https://wikiway.com


Fig 7 : Rue Ledra, rue commercante de Nicosie sud (partie chypriote grecque) Source : https://fr.m.wikipedia.org Fig 6 : Rue Arasta, principale artère commercante du début du XXe siècle, Nicosie nord Source : Wikiway/cyprus.com



RÉCIT PHOTOGRAPHIQUE Les pages suivantes nous présentent les différentes ambiances des rues de Nicosie : une capitale à deux visages. Les moteurs de recherche et les sites touristiques nous montrent une ville historique avec ses ruelles sinueuses et colorées et son architecture ottomane, marquée par son histoire tumultueuse. Mais très vite, lorsque nous nous engouffrons dans des recherches plus précises, le visage de Nicosie change. Les rues apparaissent alors comme le théâtre de conflits bi-communautaires, les bâtiments abandonnés par la population tombent en ruine et menacent de s’effondrer. Les commerces en rez-de-chaussée ne sont pas épargnés par la crise économique. La frontière entre grecs et turcs façonne ainsi le paysage urbain. Le reportage photographique que nous vous proposons de découvrir traduit en image la réalité de Nicosie, à travers le travail de Thomas Mulchi. Les photographies qui vont suivre sont extraites d’une série intitulée “Green Line”, réalisée en 2015.


Fig 8 : Végétation spontanée aux abords de la ligne verte


Fig 9 : Point de passage - cabine de checkpoint de la ligne verte


Fig 10 : Fenêtre d’un bâtiment abandonné aux alentours de la ligne verte


Fig 11 : Habitation traditionnelle chypriote dans la partie Nord de la ville



Fig 12 : Commerce abandonné dans la partie sud de Nicosie


Fig 13 : Bâtiment abandonné dans la vieille ville de Nicosie


Fig 14 : Bâtiment en friche de la ligne verte


1960 Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental

N Fig 15 : Carte de la situation géographique de Chypre dans le bassin méditerrannéen Source : Document personnel Fig 16 : Carte de la situation géographique de Nicosie dans le territoire Source : Document personnel

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1960 Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental

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Situation géographique Localisée au Proche-Orient, au sud de la Turquie, Chypre est une île d’Asie occidentale en mer Méditerranée (fig 15). D’un point de vue historique, culturel, et politique, Chypre se rattache davantage à l’Europe. La République de Chypre, partie grecque du sud de l’île, est membre de l’Union Européenne depuis 2004. Cependant, le tiers nord de l’île est occupé par les forces militaires turques depuis l’opération Attila menée en 1974. Positionnée au cœur d’un carrefour culturel et commercial méditérannéen, l’île de Chypre n’a cessé d’être colonisée, en raison de sa position stratégique sur la route de la soie. Reconnue pour son climat méditerrannéen induisant un été très chaud et sec et un hiver frais et humide, Chypre est l’île la plus chaude de méditerranée. Aujourd’hui, elle attire les touristes pour ses stations balnéaires et ses plages paradisiaques. L’île comporte deux chaînes de montagnes qui s’étendent de l’est à l’ouest - la chaîne de Kyrenia au nord (1 024 m d’altitude) et le massif du Troodos au sud-ouest (1 951 m d’altitude), séparés par la plaine de la Mésorée (fig 16). Nicosie, sa capitale, est située dans cette même plaine. Avec ses plus de 300 000 habitants, la capitale est la ville la plus peuplée de l’île. Ses activités sont principalement industrielles. La production de textile, de cuir, de poteries et de plastiques en font partie. Aussi, l’exploitation de cuivre y est très importante et de nombreuses mines d’extraction avoisinent la capitale. Depuis toujours, l’île de Chypre doit même sa réputation à ce matériau présent dans ses terres.

données chiffrées Population agglomération de Nicosie : 351 164 habitants (2018) Densité de population : 2 798 hab./km2 Superficie : 111 km 2 Salaire moyen à Chypre : 1135,74€ Salaire minimum à Chypre : 911€ Taux de chômage : 6,8% Altitude moyenne : 148 m Culture : Oliviers, citronniers, orangers, palmiers et dattiers font partie de la végétation de la ville.

Climat : méditerranéen, semi-aride (classification de köppen : Bsh), sécheresse, été chaud et sec, hiver frais et humide. Température moyenne estivale (juin-sept) : 27,6 °C Température moyenne hivernale (déc-fév) : 10,5 °C Précipitations annuelles : 324 mm, avec 1 mm de juin à sept.


SÉISMES Chypre, à la jonction des plaques tectoniques africaine et eurasienne, repose dans une zone sismique où ont lieu 15% des tremblements de terre du monde. Des séismes ont frappé l’île et détruit des villes entières. Cette année encore, Chypre a été frappée par 10 tremblements de terre (fig 17). Cette situation géographique en proie aux séismes inquiète la population chypriote. En effet, à Nicosie, beaucoup de vieilles bâtisses abandonnées criblées de balles sont présentes dans la ville. La ville se compose d’une alternance de maisons non entretenues et de nouvelles constructions bétonnées, notamment dans la nouvelle ville. Selon un rapport de la défense civile datant de 2018, 70% des constructions chypriotes étaient antérieures aux règles parasismiques de 19941. Plus de 50% des bâtiments en pierre seraient perdus en cas de séisme majeur. Ce pourcentage élevé s’explique par l’abandon des populations dû à la scission de la ville. Si les nouvelles constructions intègrent les normes européennes parasismiques, on observe un manque de connaissances de la population et de la municipalité face à ces catastrophes naturelles, mais certaines mesures sont prises lorsque les maisons menacent de s’effondrer (fig 18). En 2018, 6350 maisons étaient classées au patrimoine culturel et protégées. Pour sauver ce patrimoine, il serait nécessaire d’aller plus loin en instaurant une stratégie de revitalisation des bâtiments abandonnés.2 1960

Fig 17 : Carte des séismes à Chypre Source : Document personnel

Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

Nicosie

1970

Magnitude Enclaves chypriotes turquesÉchelle de Richter ML 5

Bases britanniques

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Zone sous contrôle gouvernemental3 2 1 N 0 1

À Chypre, en zone sismique, les vieilles bâtisses inquiètent de plus en plus les habitants. GEO avec AFP 2 À Chypre, en zone sismique, les vieilles bâtisses inquiètent de plus en plus les habitants. GEO avec AFP

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Fig 18 : Vue aérienne d’un bâtiment à l’abandon dans la vieille ville de Nicosie. Photo prise le 6 décembre 2020. AFP - Amir MAKAR Source : challenges.fr

« Un bâtiment qui risque de s'effondrer dans la vieille ville de Nicosie. Un message en grec, anglais et turc sur une affiche fixée sur la façade du bâtiment avertit du danger. [...]

1

«

Beaucoup d'habitants ont dû abandonner leur maison pour se réfugier au nord ou au sud de l'île selon leur appartenance communautaire. À cela s'ajoutent crises économiques, problèmes de succession ou simple préférence pour la modernité. Résultat : de nombreuses habitations ne sont plus entretenues.1

A Chypre, en zone sismique, les vieilles bâtisses font trembler des habitants. AFP. 23 décembre 2020. Consulté le 29 avril 2021. https://www.challenges.fr/societe/a-chypre-en-zone-sismique-les-vieilles-batisses-font-trembler-des-habitants_743288


Situation HISTORIQUE 1963 1955 1570

965

Domination Ottomane. L’île est irradiée par les Ottomans. Nicosie fût détruites et les églises sont converties en mosquées.

Nicosie devient la capitale de Chypre. L’île rejoint l’empire Byzantin.

Violences intercommunautaires entre les Chypriotes grecs et turcs.

Début de la lutte armée contre la domination Britannique pour s’unir avec la Grèce.

Domination Britannique.

Création de deux bases militaires britanniques sur le territoire.

1878

Indépendance de l’île de Chypre.

1960 Domination vénitienne. Construction des fortifications de Nicosie actuelles.

1567


1983 Proclamation de l’indépendance de la République Turque du nord de Chypre.

u-

cs

’île

2004 Entrée dans l’Union Européenne de la République de Chypre (chypre du Sud), zone reconnue internationalement.

Invasion de l’île par l’armée turque par 30000 militaires. ONU intervient pour maintenir la paix, Traçage d’une zone de cesser le feu séparant les deux peuples : la Ligne Verte. Zone épaisse dans le paysage, territoire ou la nature reprend ses droits.

1974

Ouverture des points de passage dans la frontière à Nicosie.

2003

Fermeture des points de passage dans Nicosie suite à la situation sanitaire liée au COVID19

2020


1960 Zone d’habitat et villages grecs Nicosie

Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970 Nicosie

Enclaves chypriotes turques

1960

Bases britanniques

Zone d’habitat et villages grecs

Zone sous contrôle gouvernemental

Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

A partir de 1974

42 000 Chypriotes turcs

Population grecque

1970 Nicosie

Population turque

Enclaves chypriotes turques

Bases militaires britanniques

Bases britanniques

Point de passage (depuis 2003)

Zone sous contrôle gouvernemental 200 000 Chypriotes grecs N Fig 19 : Cartes des déplacements des deux communautés grecque et turque à l’échelle de l’île

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Ligne verte ONU

Chypriotes turcs

Rue Ledra Chypriotes grecs

Rempart Vénitiens

Nicosie A partir de 1974 Population grecque Population turque Point de passage (depuis 2003)

Fig 20 : Carte des déplacements des deux communautés grecque et turque à l’échelle de Nicosie



SOMMAIRE Introduction I. Nicosie, la ville aux deux visages : l’une des dernières capitales divisées au monde 1.1. Une ville fracturée et contrastée → La ligne verte : une frontière urbaine florissante → La division de deux cultures 1.2. Un nouveau centre-ville excentré → La migration des fonctions → Les déplacements de population 1.3. Le primat de l’automobile → L’utilisation abusive de la voiture → La composition d’un paysage urbain spécifique

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II. Le quartier Omeriye, un lieu de convergences culturelles et sociales entre grecs et turcs au coeur de la ville 2.1. Une position stratégique au carrefour des sociétés chypriotes → Les terrains vacants comme terrains d’action → Un lieu de rencontres culturelles et sociales 2.2. Un héritage architectural méditerranéen marqué par les conflits → L’analyse fonctionnelle des rez-de-chaussée → L’architecture traditionnelle chypriote 2.3. Un complexe religieux ancré dans l’histoire de l’île → La mosquée Omeriye, un héritage culturel unique symbolique → Le caravansérail : l’archétype de la fortification méditerranéenne

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III. Un caravansérail contemporain et diffus à l’échelle du quartier 3.1. La réinterprétation contemporaine d’une figure architecturale oubliée : le caravansérail → Un programme au service de la ville → L’appropriation contemporaine de la figure du caravansérail 3.2. Un lieu de pose et d’ordonnance au milieu de l’agitation urbaine → La revalorisation et la restructuration de l’existant informel → L’utilisation des ressources constructives locales 3.3. Une architecture ancrée dans son contexte grâce à la fabrique du confort en milieu méditerranéen → Un lieu de pose au coeur de l’agitation urbaine → Le confort de l’architecture méditerranéenne Conclusion Remerciements & Bibliographie

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INTRODUCTION Nicosie, une ville au cœur des conflits bi-communautaires À défaut de pouvoir se rendre sur les lieux, nous vous proposons de vous immerger dans l’ambiance si particulière de cette ville à travers des témoignages édifiants, comme celui de Camille. Comme vous l’aurez compris, Nicosie n’est pas une capitale ordinaire. Une épaisse zone démilitarisée scinde le tissu urbain en deux et sépare deux populations, ce qui la classe dans la liste des dernières capitales divisées au monde. Depuis 1974, date de la scission, ce phénomène géopolitique attire de plus en plus de touristes du monde entier souhaitant vivre l’expérience de ce territoire tiraillé « Côté grec, l’officier de police tient mon passeport entre ses mains. Il voit bien pourtant que je suis française. Je me trouve au checkpoint de la rue Ledra, au cœur de Nicosie, et souhaite passer de l’autre côté. En l’espace de quelques instants, j’ai fait l’expérience d’une barrière physique et terriblement psychologique entre ces deux espaces sociaux. Au cœur de la même ville et de part et d’autre du mur existent deux sociétés qui se regardent peu. 1 » Camille Avant la fermeture du checkpoint de la rue Ledra en raison de la crise sanitaire, il était possible pour les habitants de Nicosie de se rendre “de l’autre côté”, sous l’autorité d’un visa temporaire. Il en était de même pour les touristes. Certains étrangers sont alors passés d’un côté à l’autre et se sont vus plongés dans un sentiment psychologique dérangeant. C’est en passant rapidement la frontière que l’on se rend compte de son impact sur la ville. La partie grecque est entretenue, colorée et les classes sociales se côtoient sans retenue. Alors que dans la partie turque, l’état de délabrement du bâti révèle une certaine pauvreté et impose une ambiance plus “pesante” pour les étrangers. Même si certains traversent, ces deux sociétés ne communiquent quasiment pas. À titre d’information, les communications téléphoniques entre les deux parties ne fonctionnent toujours pas aujourd’hui. Les offices de tourisme grecques de Nicosie sud ne détaillent pas ce qui se trouve au-dessus de la ligne verte, seule l’inscription “Area under turkish occupation since 1974” figure sur les cartes. Il n’est pas question pour les chypriotes grecs de s’intéresser à quoi que ce soit concernant les chypriotes turcs. Ce sont deux entités distinctes vivant de part et d’autre d’une blessure encore ouverte. Même si la zone de cessez-le-feu occupée par l’ONU garantit le maintien de la paix, une guerre morale entre les deux communautés perdure toujours dans les esprits. C’est en cela que l’expérience du passage de la ligne verte pèse sur les étrangers qui s’y frottent. Fig 21 : Dessin personnel, réinterprétation de la fracture entre grecs et turcs 1

NICOSIE – J’ai traversé la ligne verte. Camille. 19 octobre 2016. Consulté le 29 avril 2021. URL : https://wanderingcam.wordpress. com/2016/10/19/nicosie-jai-traverse-la-ligne-verte/

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Une ville entre tensions... Aujourd’hui, cette situation politique et ces rancoeurs influencent le climat social de la ville et plait de moins en moins à ses habitants des nouvelles générations. L’arrivée de nouvelles figurent politiques en faveur de la réunification inspire les chypriotes des deux parties et offre un espoir d’apaisement des tensions. Les communautés mélangent de plus en plus leurs idéaux et les tensions s’estompent petit à petit.

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... et espoir de réunification C’est de ces constats qu’est née notre envie de travailler ce Projet de Fin d’Étude en territoire chypriote. Les oppositions identitaires si singulières propres à ce territoire représentent un levier riche de sens pour le projet d’architecture, d’autant plus que ces problématiques de scission sociale restent d’actualité. L’idée est de travailler avec les différentes populations en prenant en compte leurs différences et leurs points communs comme éléments d’ancrage politique et culturel. Il s’agit donc de s’inscrire dans un quartier représentatif des enjeux urbains de Nicosie, et d’essayer à travers l’acte architectural de tendre vers un territoire apaisé, grâce à une cohabitation saine. Pour cela, nous interviendrons à plusieurs échelles par l’intermédiaire de sous problématiques tout aussi importantes que les conflits bi-communautaires, comme celle des flux de déplacements de population. Dans la continuité des envies et besoins de la municipalité, nous utiliserons l’interface des modes de transports doux partagés comme élément fédérateur. Nous nous demanderons alors comment, à travers les enjeux actuels de mobilité, l’acte architectural de réinvestissement des porosités urbaines peut permettre une cohabitation apaisée des différentes communautés à Nicosie. Dans une première partie, nous allons nous focaliser sur les conséquences de la division de l’île sur sa capitale, en revenant sur l’évolution de son centre-ville depuis 1974 et sur les problématiques socio-spatiales et environnementales qui sont les siennes aujourd’hui. Dans une deuxième partie, il s’agira de présenter notre stratégie d’intervention concernant les déplacements de population à l’échelle de la vieille ville, et plus particulièrement du quartier Ömeriye, en luttant contre la prédominance de l’automobile. Dans une dernière partie, il sera question de préciser nos intentions qui ont guidé l’aménagement du site d’intervention et l’organisation spatiale des bâtiments. L’idée est de créer de l’ordonnance dans un tissu urbain grâce à une forme primaire : le cercle, que nous allons fragmenter. Nous développons le projet d’un caravansérail contemporain diffus à l’échelle du quartier. Ce caravansérail va venir réactiver les rez-de-chaussée et servir de support à la politique des mobilités portée par la ville.


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Fig 22 : Collage personnel représentant les emblèmes architecturaux de Nicosie


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PARTIE 1 : nICOSIE, LA VILLE AUX DEUX VISAGES

L’île de Chypre est séparée en deux parties distinctes, la frontière construite suite à des violents conflits entre les communautés grecque et turque marque violemment le paysage urbain. La ville de Nicosie, capitale de Chypre subit de nombreux rebondissements. On observe deux manières différentes d’aborder le futur de part et d’autre de la limite. Après avoir porté une réflexion à l’échelle urbaine, nous nous sommes rendues compte des conséquences directes qu’a eu la division sur le développement urbain. Les deux parties de la ville se sont développées indépendamment, à deux vitesses avec deux positions divergentes face à la frontière. Les populations locales ont également un rapport à la ville particulier. Les développements urbains loin de la frontière ont engendré une migration des fonctions et un déplacement quotidien des populations, abandonnant petit à petit le centre historique. Ces déplacements forcés impliquent une domination de l’automobile qui constitue le point de départ de notre réflexion.

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Fig 23 : Carte des remparts Venitien de la vieille ville de Nicosie

« Dans le sud et le nord, les deux parties de l’île ne vivent pas à la même heure. La République de Chypre applique l’heure d’été quand la partie nord reste à l’heure d’hiver. Mais du côté du développement économique, les différences sont encore plus grandes. Depuis 2014, la République de Chypre a reçu plus de 850 millions d’euros de fonds européens, qui ont permis d’améliorer les infrastructures, les routes, les usines de traitement des eaux et de recyclage des déchets mais ce sont les investisseurs étrangers qui font tourner le pays. » 1

1

Chypre : l’Europe face au mur. Le reportage de la rédaction, France Culture. GRELIER Anabelle. 16 amai 2019


1.1 / Une ville fracturée et constrastée Anciennement appelée Ledra (Λήδρα) ou Ledrae, la capitale actuelle de Chypre trouve ses origines à l’âge du Bronze en 1050 av. J-C. La ville de Nicosie était le siège des rois de Chypre à partir de 1192. À cette époque, elle n’était qu’un petit village d’agriculteurs profitant de la fertilité de la plaine de Mesoeria (plaine de la Mésorée). Suite à des pillages et des guerres incessantes entre les empires environnants pour le contrôle des côtes, une partie de la population s’est repliée à l’intérieur des terres. Ce moment de l’histoire est très important et explique la position de la future capitale de l’île. La ville s’est très vite vue dotée de fortifications. Elle devient par la suite la possession des vénitiens en 1489. Ces derniers ont amélioré les remparts et contenu la ville à l’intérieur de ses murs jusqu’à la fin du XIXème siècle (fig 23-24). Les villages environnants se sont par la suite développés et ont été absorbés par l’étalement progressif de la capitale à l’extérieur des murs. Le début du conflit a engendré un ralentissement du développement urbain de Nicosie. À partir de 1974, la partition a créé une fracture dans le paysage urbain, et une limite physique traversant la totalité du territoire et de la ville, Nicosie étant positionnée à cheval sur cette délimitation. Cette zone définie comme un “no man’s land” est contrôlée par les Casques bleus des Nations Unies et inaccessible par les civils, malgré l’ouverture des check point. Aujourd’hui, nous observons une mise en tourisme de la zone tampon. La vieille ville concentre un grand nombre de marquages visuels du conflit : des barbelés, des miradors de couleur blanche postés sur les bastions de la vieille ville ou dans ses douves, et des drapeaux (fig 25).

Fig 24 : Photographie des remparts Venitiens de la vieille ville de Nicosie Source : https://www.flickriver.com

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L’observation des photographies aériennes de la ville est très intéressante. Le tracé de la zone tampon apparaît clairement dessiné par un couvert végétal dense et verdoyant et on remarque les bâtiments tombant en ruine (fig 26). Dans le centre, cette zone tranche le tissu urbain devenant ainsi un labyrinthe pour les voitures avec de nombreuses voies sans issue. La ligne verte comprend la symbolique rue Ermou. Elle était, avant la guerre, l’artère la plus commerçante de la ville. De plus, à son emplacement coulait initialement la rivière Pediaios qui fut ensuite déviée par les vénitiens hors des murs de la ville. Aujourd’hui, la rue Ermou apparaît comme une rue fantôme conservant les traces de la guerre. On peut observer les impacts des balles sur les façades et des friches urbaines luxuriantes qui investissent les espaces publics et les bâtiments désertés. La situation actuelle connaît bon nombre de rebondissements. Si des pourparlers et des réunions entre les différents acteurs étaient encore d’actualité il y a peu, la crise sanitaire du COVID 19 a conduit les dirigeants à fermer leurs frontières et l’élection du nouveau dirigeant turc Ersin Tatar en 2020 a accentué la division de l’île, puisque celui-ci est opposé au développement d’une identité chypriote commune.

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Les gouvernements des chypriotes turcs et des chypriotes grecs ont des positions différentes vis-à-vis du conflit. Nous pouvons constater cette divergence dans les constructions abritant la police de frontière. Chez l’un, une architecture massive en béton et des ostentations prononcées, symbolisant une attitude persistante, de l’autre côté, une architecture légère reflétant une position sur la durée éphémère du conflit.

Fig 25 : Dessin personnel, réinterprétation de la ligne verte


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Fig 26 : Vue aérienne centre historique de Nicosie Source : Document envoyé par une Chypriote grecque: Lara Anna Scharf.


1.2 / Un nouveau centre-ville excentré Lors de notre étude du développement urbain de Nicosie, nous avons constaté des différences entre la partie grecque et la partie turque. La première différence que nous pouvons noter est le contraste de développement de la vieille ville. Depuis 2004, date d’entrée de la partie grecque dans l’UE, celle-ci connaît un réinvestissement important. La frontière est devenue une attraction touristique, certains “city tour” sont même focalisés sur le conflit. Ce phénomène est très marqué sur Ledra street ; cette rue menant au check point est un catalyseur de mondialisation. Elle a été restructurée pour afficher désormais un grand nombre d’enseignes de marques et de banques (fig 6 et 7). Ce réinvestissement est également incarné par les nombreux cafés, restaurants et boîtes de nuit qui attirent une population jeune et moderne. Dans le nouveau centre-ville situé en dehors des remparts vénitiens, la capitale fait parler d’elle dans le monde de l’architecture en créant des points de repères urbains grâce à des architectes mondialement connus, comme Zaha Hadid Architects et Jean Nouvel. Ces nouvelles constructions émergentes redorent l’image de la partie grecque comme une ville en développement, se relevant de la crise économique de 2013 (fig 2728). La construction de grandes tours participe également à la re-densification du nouveau centre-ville. La croissance est très marquée dans le quartier de Leitonia, au sud du centre historique. En effet, on observe des boutiques de luxe, des cafés, des galeries d’arts. 12

Fig 27 : Façade de la Tour 25, White Walls, Ateliers Jean Nouvel Source : inhabitat.com


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Fig 28 : Tour 25, White Walls, Ateliers Jean Nouvel Source : jeannouvel.com


Le nord de la ville ne connaît pas un tel essor. Dans le centre historique nord, une certaine pauvreté se ressent. Suite à la division, la Turquie a envoyé une quantité de sa population peupler le territoire sous contrôle. Cette population étant issue de milieux défavorisés de Turquie, les colons turcs étaient logés dans des habitats traditionnels et vacants de la vieille ville, et un grand nombre d’habitations sont restées dans un état de délabrement à défaut d’occupants. En dehors des remparts vénitiens, un étendu pavillonnaire enveloppe la partie nord de la vieille ville. Le tissu urbain est hétérogène mêlant immeubles d’habitation et habitations individuelles structurées autour de grands axes. L’économie repose principalement sur le tourisme (fig 29). Une autre différence notable entre ces deux parties est le rapport à la frontière. Dans la partie grecque, les quartiers situés à proximité de la ligne verte sont des maisons individuelles. Le prix du foncier est bas et la classe moyenne occupe cette partie de la ville. Nous assistons à un phénomène semblable au nord, à une particularité près : les forces armées turques ont investi les habitations à proximité de la frontière empêchant le développement de la ville à l’ouest et créant ainsi une limite. Néanmoins, malgré des développements urbains contrastés, ces deux parties ont des enjeux urbains communs, notamment le primat de l’automobile et les espaces vacants.

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1

Vieille ville

Tissu dense d’immeubles d’habitation

Tissu pavillonaire

Nouveau centre-ville

Tissu hétérogène mêlant immeubles d’habitation et maisons individuelles

Bande d’institutions administratives

Eleftheria Square, Zaha Hadid Architects

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White Walls, Ateliers Jean Nouvel

Fig 29 : Carte de developpement urbain du centre ville de Nicosie Source : travail personnel


1.3 / LE PRIMAT DE L’AUTOMOBILE UNE PRÉDOMINANCE AUTOMOBILE VISUELLE ET PHYSIQUE FORTE Lors de notre visite virtuelle de la ville, nous avons été frappées par la domination de l’automobile dans le paysage urbain. En effet, les nicosiens utilisent leur voiture de manière individuelle et quotidienne pour aller au travail, faire leurs courses, et tout autres déplacements journaliers. Le développement économique du nouveau centre-ville excentré a augmenté la distance entre le lieu de travail et le domicile, expliquant ainsi la nécessité des déplacements automobiles. Cette dépendance est d’autant plus marquée qu’en moyenne chaque ménage dispose de trois voitures1. L’automobile participe fortement à l’image de la ville et fabrique ainsi un paysage urbain fracturé à l’instar des enjeux socio-politiques qui le régissent. Ces véhicules personnels investissent tous les recoins de la ville que ce soit les rues, les trottoirs, les parcelles de terre ou de bitume non qualifiés. Cette utilisation abusive augmente la vitesse des flux et réduit la qualité de vie des citadins.

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À l’aide de nos multiples recherches, nous avons établi une cartographie des espaces vacants significatifs de Nicosie (fig 30). Ces derniers sont majoritairement utilisés en parking, et cette pratique est d’autant plus marquante qu’elle s’applique dans les bastions et les douves vénitiennes historiques de la vieille ville. Ce constat révèle un réel manque de considération du patrimoine bâti, et il apparaît urgent de redonner de la valeur à ces éléments remarquables en éloignant les usages polluants. Le besoin de hiérarchiser et de restructurer les usages pour une ville plus saine se fait ressentir à toutes les échelles. En analysant la cartographie ci-contre, la proportion entre la surface libre et la surface bâtie porte à croire que la ville offre une quantité importante d’espaces libres mis à disposition des habitants. L’espace public est en grande partie délaissé par la municipalité, sûrement par faute de moyens et de modèles urbains auxquels se raccrocher. La question du stationnement se présente comme un nouvel enjeu géopolitique à Nicosie, et une des solutions serait de hiérarchiser les espaces en organisant les flux et les temps d’arrêt dans ce tissu urbain complexe. Lors d’une conversation, un habitant chypriote grec nous a avoué que tout le monde autour de lui utilise la voiture comme moyen de déplacement quotidien car les transports en commun sont très peu développés, malgré une forte demande d’accessibilité aux mobilités de la part des habitants.

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Paul TAN HOANG. Face à Face. Publié le 13 septembre 2017. Consulté le 21 février 2021. URL : https://issuu.com/paultanhoang


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Surface bâtie

Espaces vacants

30 % de surface bâtie 50 % de surface délaissée

Fig 30 : Cartographie des espaces vacants de Nicosie Source : travail personnel


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Fig 31 : Photographie d’une rue résidentielle de Nicosie Source : https://wikiway.com


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Fig 32 : Photographie du parking au bord des remparts vénitiens Source : https://in-cyprus.philenews.com


Une municipalité concernée par les enjeux actuels de sa ville et actrice de son changement

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La municipalité de Nicosie, consciente des enjeux de la ville, a rédigé son plan stratégique de restructuration urbaine pour relever les principaux défis. Le Nicosia Master Plan a été élaboré dans les années 2000 afin d’améliorer les conditions de vie actuelles et futures de tous les habitants de Nicosie, grecs et turcs. Il vise à relever les défis de planification posés par une ville divisée. Ce programme rassemble des architectes, des urbanistes, des sociologues et des économistes chypriotes des deux parties. Ils restaurent monuments historiques et habitations abandonnées depuis 1974 et tentent de recréer un espace de vie où, un jour, les deux communautés pourront vivre ensemble. Le projet est l’un des rares liens continus entre l’ensemble des chypriotes. Le défi des mobilités concernant Nicosie est critique pour la municipalité et plusieurs plans d’action sont déjà en place dans ce domaine. Elle a pour volonté d’augmenter l’accessibilité des transports en commun comme les bus ou les vélos en libre service, et d’atteindre 8% de part modale* pour les transports publics d’ici la fin 2023, contre seulement 2% actuellement. La principale volonté de la municipalité de Nicosie est de réduire les nuisances sonores et les bouchons qui perturbent le quotidien des chypriotes. La pollution atmosphérique à Chypre est devenue un grave danger pour la santé de sa population. Tout au long des mois d’hiver, entre novembre et février, la quantité de polluants atmosphériques mesurée dans les zones urbaines du pays a grimpé en flèche - en particulier le matin lorsque les gens prennent leur voiture et partent au travail et le soir lorsque les citoyens utilisent leurs anciennes cheminées pour chauffer leurs maisons. Environ 2/3 des polluants atmosphériques de la capitale sont émis localement.

L’UTILISATION DU VÉLO Concernant la part d’accessibilité de vélos en libre service de Nicosie, les différences constatées entre le nord et le sud de la ville sont notables. L’accessibilité à ce moyen de transport partagé est plus faible au sud, avec 300 vélos mis à disposition des habitants, qu’au le nord où on retrouve 410 vélos, alors que ce dernier est financièrement plus pauvre. En choisissant notre quartier d’étude dans le sud de la ville, nous décidons de nous inscrire dans la dynamique municipale d’augmentation de la part modale du vélo là où le besoin se fait le plus ressentir. L’idée étant de désengorger l’espace public des voitures en proposant un lieu de rencontres intermodales, permettant ainsi aux nicosiens d’avoir le choix entre différents modes de déplacement plus responsables économiquement et écologiquement. De plus, il ne faut pas croire que l’absence de pistes cyclables est un frein à la mobilité des bicyclettes : le peu de touristes et habitants pratiquant le vélo à Nicosie apprécient tout particulièrement de circuler dans les dédales méditerranéens typiques du centre-ville (fig 33). Des projets d’aménagement de pistes cyclables le long des remparts sont en cours, et verront le jour très prochainement. *La part modale des transports publics est mesurée en divisant le total des déplacements en transports publics dans une période de temps donnée (généralement calculée sur un jour ouvré moyen) par le nombre total de déplacements effectués sur la même période.


21

Fig 33 : Dessin prospectif des ruelles du centre historique côté grec, simultation à partir d’une photo de l’existant Source : https://www.grand-sud-mag.com


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PARTIE 2 : Le quartier Omeriye, un lieu de rencontres entre grecs et turcs au coeur de la ville Afin de rétablir le dynamisme de ce centre-ville poreux et de s’inscrire dans un programme municipal centré sur les mobilités, nous avons décidé d’intervenir au cœur d’un quartier symbolique pour les deux communautés : le quartier Ömeriye. Ce quartier possède la dernière mosquée en activité de la partie grecque et est très représentatif de l’histoire de la ville par ces nombreux espaces vacants. La mosquée Ömeriye trône au milieu du paysage urbain dense et elle agit comme un signal dans la vieille ville. Le centre historique de Nicosie continue de se dégrader et des monuments tels que cette mosquée ne sont pas mis en valeur. Symbole de ce mélange de cultures, l’acte d’installer notre projet au pied de la mosquée va venir créer du lien entre grecs et turcs, tout en démontrant le potentiel des espaces vacants. Ces espaces vacants servent alors de terrain d’action pour les mobilités douces. Celles-ci sont l’avenir de la ville de Nicosie en proie à de nombreux problèmes engendrés par la voiture affectant le bien-être à la fois des habitants de Nicosie et des touristes.

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2.1 / Une position stratégique au carrefour des sociétés chypriotes Un quartier inscrit dans un tissu urbain complexe et informel Avant tout, il nous paraît important de faire l’état des lieux du tissu urbain de la ville. Comme le souligne Camille dans son récit de voyage, “la ligne de démarcation a déstructuré la ville, le pays et créé des espaces urbains asymétriques”1. En effet, si on observe le tissu urbain, on se questionne vite sur la manière dont la ville s’est développée. La construction de la ville a débuté à l’époque Romaine avec la construction d’un castrum le long de l’ancienne rivière Pediaios. Quatre axes principaux ont été tracés perpendiculairement au castrum (orientation nord/ouest), autour desquels une grille orthogonale d’agriculture orientée nord/est s’est installée. Ces terres agricoles ont été divisées et subdivisées, et se sont peu à peu accrochées aux axes viaires en extension de l’ancien castrum, mélangeant les deux trames et instaurant un développement urbain complexe. Lors de l’édification des remparts vénitiens, la ville s’est cantonnée à l’intérieur de ses murs et n’a fait que se densifier. Sur le plan de 1881 de Nicosie, on comprend bien l’intérêt des remparts comme élément de protection de la ville interne face aux attaques ennemies. 24

Aujourd’hui, l’organisation du tissu urbain découle de l’héritage des événements historiques passés. En entrant un peu plus à l’intérieur des rues de la ville, on comprend que les conflits bi-communautaires ont fortement marqué le visage de la ville. Les façades sont ponctuées d’impacts de balles, les rues avoisinant la zone-tampon sont coupées par des murs de barbelés et de barils, et le tissu dense s’éclaircit ponctuellement par des vides. Ces dents creuses, ou terrains vacants, ne sont que l’héritage de l’abandon des terrains turcs dans la partie grecque. Certaines habitations ont été abandonnées suite au déplacement des turcs vers le nord, et d’autres ont simplement été détruites par à des tremblements de terre ou à un état de dégradation trop important, laissant derrière elles des terrains vacants. Ces terrains vacants, qui “participent également à perpétuer le souvenir du conflit”2, représentent environ 30% de la surface du quartier que nous avons décidé d’étudier (fig 34). Ce quartier est très marqué par le conflit et la division de l’île. Situé dans la partie grecque de la vieille ville, à l’intérieur des murs vénitiens, il est bordé par l’axe Trikoupi. Avant la division cette rue était une des principales rue commerçante de la vieille ville et allait du Nord au Sud. Le quartier Ömeriye est facilement accessible depuis les autres quartiers de la ville grâce à une ligne de bus le traversant. La position spatiale du quartier est marquée par la dernière mosquée en activité de la partie grecque. Marion Sabrié, « S’approprier la « frontière » et invisibiliser l’immigré dans la fabrique urbaine de Nicosie Sud », Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement, mis en ligne le 11 février 2020, consulté le 15 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/tem/5965 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tem.5965

1


Ligne verte Passage Ledra street 3 min 8 min

25 ​Trikoupi street

1 min 4 min

Remparts Vénitiens

Centre-ville

0

Arrêts de bus

Espaces vacants

Quartier Ömeriye

Distance à pied et à velo depuis le site

50

100

200m

N

Trikoupi street : axe principal

Fig 34 : Cartographie des espaces vacants du centre historique de Nicosie, connexion du quartier Ömeriye à l’echelle de la ville


LE CHOIX DU SITE : LE QUARTIER ÖMERIYE, UN LIEU DE RENCONTRES CULTURELLES ET SOCIALES Le choix du site a été motivé par l’objectif de s’inscrire dans un quartier singulier de la ville de Nicosie. Notre choix s’est porté sur l’ancien quartier ottoman Ömeriye. Ce quartier était un des plus vastes de Nicosie avant la division de la ville. Il a fortement été dévasté par la guerre, et aujourd’hui encore le passé tumultueux de l’île s’inscrit sur les bâtiments d’Ömeriye. C’est un quartier situé dans la partie grecque de la ville entre le quartier Faneromeni (à l’ouest), l’archevêque orthodoxe et la Fondation Makarios III (à l’est). Le quartier doit son nom au complexe de la mosquée Ömeriye qui, outre la mosquée, comptait aussi des bains toujours ouverts, une médersa et un caravansérail, aujourd’hui disparus. Avant d’être une mosquée, elle fut autrefois le monastère des Augustins. Il s’agit d’un édifice médiéval datant du XIVe siècle, l’un des plus importants édifices religieux de cette époque. À l’origine, l’ensemble monastique comportait des jardins,des vergers, ou encore des champs de blé. En 1571, le monastère fut transformé en mosquée pendant la conquête de l’île par les ottomans. Une grande partie du bâtiment original fut détruite par les turcs. Initialement, l’église gothique construite en 1395 aurait bien eu une hauteur de 15 mètres, ce qui en faisait l’édifice le plus majestueux de la ville médiévale de Lefkosia, après l’église de Sainte-Sophie. 26

Bien que fortement marqué par la culture musulmane, le quartier resta majoritairement peuplé d’orthodoxes (77 % en 1946), dont toute une bourgeoisie qui adopta un mode de vie ottoman. Située près de la mosquée, la maison Hadjigeorgakis Kornesios témoigne par son architecture de ce mélange des cultures (fig 35). Malgré le départ forcé de la population chypriote turque dans les années 1960-1970, le quartier n’a pas complètement perdu sa singularité. Comme la mosquée Ömeriye est le seul lieu de culte musulman ouvert dans la partie sud de la vieille ville, toute une nouvelle population musulmane originaire du Proche et Moyen-Orient est venue s’y installer depuis les années 1990.

« La maison de Hadji Georgakis Kornesios. C'était un drogman, sorte d'interprète entre la population chrétienne et le gouverneur ottoman, également chargé de la collecte des finances. Il se fit construire cette superbe maison, un peu trop superbe d'ailleurs puisqu'elle suscita la jalousie : il fut arrêté pour escroquerie et pendu. » 1

1 Routard.com. Maison de Hadji Georgakis Kornesios. Consulté le 12 mai 2021. URL : https://www.routard.com/photos/ chypre/98889-maison_de_hadji_georgakis_kornesios.htm


Hammam ÖMERIYE

Construits au XVIe siècle Restaurés en 2005

maison Hadjigeorgakis Kornesios Construits au XVIIIe siècle Restaurés en 1981-1987

1960 Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

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1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental

0

10

0

MOSQUÉE ÖMERIYE

Construits au XIVe siècle Conversion en mosquée en 1571

20

40m

10 20

N 50km

Fig 35 : Eléments remarquables du quartier Ömeriye


2.2 / Un héritage architectural méditerranéen marqué par les conflits ANALYSE FONCTIONNELLE DES REZ-DE-CHAUSSÉE DU QUARTIER L’analyse du plan des rez-de-chaussée (RDC) du quartier nous permet de constater que beaucoup de commerces ont été abandonnés, et sont encore dans un état de ruine aujourd’hui, engendrant un problème d’appropriation des espaces publics par les habitants. Une partie des RDC ont été reconvertis en logements. Le quartier Ömeriye dans sa majorité est un quartier résidentiel, avec quelques bâtiments religieux qui ponctuent le tissu urbain. Son histoire mouvementée a marqué le tissu urbain, en laissant énormément de poches vacantes réinvesties par les automobilistes, des édifices abandonnés, et un quartier qui a perdu de son dynamisme (fig 36).

L’ARCHITECTURE TRADITIONNELLE CHYPRIOTE

28

Suite à cette analyse du quartier résidentiel nous avons voulu rentrer dans l’analyse des typologies des maisons traditionnelles chypriotes afin de mieux comprendre le mode de vie des nicosiens. L’architecture traditionnelle chypriote constitue une part importante du patrimoine culturel de l’île. Ces constructions sont respectueuses de l’environnement en utilisant des matériaux locaux, en s’adaptant au paysage, en aménageant des espaces ouverts et semi-ouverts et en utilisant des cours centrales. La typologie, en termes de disposition des espaces, et les matériaux et techniques de construction optent pour des stratégies de refroidissement et de chauffage in situ naturels (fig 37). Nicosie a commencé son développement en suivant une typologie de maison avec une grande superficie, et adaptée aux conditions climatiques. Progressivement, ces grandes maisons sont devenues plus compactes du fait du fort développement urbain et elles se sont adaptées au réseau viaire. Petit à petit, les maisons intègrent une cour centrale : l’entrée se trouve dans la cour ainsi que les accès aux espaces de vie. Afin de protéger les fenêtres et les espaces de vie du soleil, des espaces semi-ouverts sont aménagés le long des bâtiments, créant un ombrage suffisant pour le soleil d’été. Les règnes ottoman et britannique ont quelque peu modifié cette typologie. Les maisons devaient avoir un contact direct avec la route et le tissu urbain devait remplir toutes les zones vides. La culture méditerranéenne a un caractère assez introverti accordant ainsi une grande importance aux espaces semi-couverts et aux cours intérieures. Ces cours intérieures révèlent ainsi le caractère introverti des habitants de Nicosie (fig 38). Ces éléments typologiques montrent la volonté du cadre bâti de se protéger des conditions climatiques de la région (un été chaud et un hiver doux). Les habitations étaient compactes


P

1960

P

Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs

P P

Zone mixte à majorité turque

P

Bases militaires britanniques P

1970

29

P

P

Enclaves chypriotes turques

P

P

P

Bases britanniques P Zone sous contrôle gouvernemental

P

P

P

P 0

10

0

P

20

40m

10 20

Hebergement touristique

Ruines / abandonnés

Locaux commerciaux vacant

Administratif

Commerces

Culturel et social

N 50km

Parking

Fig 36 : Carte analyse des fonctions des Rez-de-chaussée du quartier, réalisé avec l’aide d’architectes locaux et de relevés à distance sur google street view.


collées les unes aux autres augmentant les zones d’ombre entre les bâtiments. Traditionnellement, les habitations chypriotes sont composées d’une seule grande pièce séparée par des arches. Les arches viennent délimiter les fonctions. Les maisons traditionnelles chypriotes sont empruntes à un vocabulaire et à des usages spécifiques. Les ouvertures sont étroites, sauf au sud où des espaces de coursives couvertes font le lien entre intérieur et extérieur (fig 39). Outre la typologie, les matériaux et techniques de construction ont joué un rôle important dans l’évolution des maisons chypriotes. Les briques de terres crues et la pierre sèche étaient principalement utilisées car on en trouvait en abondance dans la région. Ces matériaux trouvés in situ participaient au faible coût des constructions et à une grande durabilité. Le choix des matériaux est également climatique. Ces choix fournissent directement des protections contre les fortes chaleurs et les fluctuations de température. De plus, les bâtiments devaient fournir autant de possibilités de ventilation que possible. On retrouve en façade des ouvertures de petite taille, des pare-soleil, des endroits semi-couverts, et des plantes devant les façades pour créer de l’ombre. Le climat a fortement dicté l’évolution des habitations chypriotes. Le bâtiment devait être bien isolé, protégé du soleil, ventilé, et avoir des principes bioclimatiques. Tous ces enjeux propres à l’architecture méditerranéenne sont primordiaux à penser dans notre projet.

30

Fig 37 : Frise des typologies des maisons Chypriotes traditionnelles


1960 Zone d’habitat et villages grecs Fig 38 : Photographies d’espace ouvert couvert, exemple de typologie traditionnelle chypriote source: http://cyprusfortravellers.net https://www.alliance-cyprusproperty.com/

Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque

31

Bases militaires britanniques

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental

0

1

4

0

10m

10 20

N 50km

Fig 39 : Modèle d’une maison chypriote en plan coupe et façade


2.3 / Un complexe religieux ancré dans l’histoire de l’île LA MOSQUÉE ÖMERIYE, UN HÉRITAGE CULTUREL UNIQUE ET SYMBOLIQUE L’architecture de la mosquée est simple, dotée de façades extérieures en pierre sèche et de contreforts massifs. Le toit et les principales structures à l’époque de l’église furent détruits par les bombardements. Un an plus tard, les ottomans ont reconstruit les murs et couvert le bâtiment d’une toiture en bois, recouverte de tuiles de terre crue (fig 40). À l’intérieur de l’église, les murs sont enduits de plâtre et le minaret, construit à l’aide de pierres sèches récupérées sur le site, fut ajouté côté nord lors de sa reconversion (fig 41-42). À l’extérieur, au nord-est de la mosquée, on peut voir aujourd’hui un mur percé d’une porte dans le style de la Renaissance, qui devait faire partie des bâtiments du monastère (fig 43-48). En marchant sur la rue Trikoupi, entre un café et un kiosque, on peut apercevoir l’entrée de l’imposant monument (fig 44). On passe par un étroit portail en fer forgé. À droite, se situe le bassin à ablutions, là où les fidèles doivent se laver les mains, les pieds, le coude, la nuque et le visage (fig 45). Ensuite, avant d’entrer, ils enlèvent leurs chaussures sous le porche de l’entrée de la mosquée. À l’intérieur, le plafond préserve les voûtes ogivales en arcs brisés qui reposent sur les quatre piliers principaux en pierre sèche. 32

Fig 40 : Illustration de la mosquée Ömeriye vue du parking Source : travail personnel


1960 Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental 1960 Fig 41 : Coupe urbaine du quartier

20 villages grecs Zone 10 d’habitat et 30

0

Zone d’habitat et villages 0turcs10

N

20

50km

Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970

33

Enclaves chypriotes turques Bases britanniques 1960

Zone sous contrôle gouvernemental ZoneFig d’habitat et villages grecs du quartier 42 : Façade urbaine

0

10

20

N

30

Zone d’habitat et villages turcs 0

10 20

50km

Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental

0

Fig 43 : Façade urbaine du quartier 10

20

30

0

50

10 20

N

50km


34

Fig 44 : Illustration de la séquence d’entrée de la mosquée Ömeriye Source : travail personnel


35

Fig 45 : Illustration de la séquence d’entrée de la mosquée Ömeriye Source : travail personnel


Fig 46 : Illustration de l’arrière de la mosquée Ömeriye Source : travail personnel

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Fig 47 : Illustration du jardin méditerranéen au nord de la mosquée Ömeriye Source : travail personnel


Aujourd’hui, la municipalité de Nicosie souhaite valoriser ce monument représentatif de l’histoire tumultueuse de l’île en aménageant ses abords ; un jardin méditerranéen a été récemment aménagé au sud de l’édifice en 2018 (fig 46). Dans ce jardin, on retrouve des espèces végétales méditerranéennes comme des palmiers, des oliviers ou encore des agaves, créant une zone de confort thermique non négligeable au milieu de la minéralité environnante. L’arrière de la mosquée est traité comme un espace public, séparé de la route par un muret en pierres d’1m50 de hauteur pour mettre les usagers en sécurité. Des bancs et des dalles de pierre sont installés pour guider les déplacements et les temps d’arrêt le long du mur de la mosquée (fig 47). L’histoire de ce quartier nous a touché, et l’emblème de la mosquée comme dernier lieu religieux musulman en activité de la partie grecque nous est apparu comme un point de départ idéal pour le projet.

37

Fig 48 : Illustration d’un détail sur l’ancien mur du monastère adossé à la mosquée Ömeriye Source : travail personnel


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Fig 49 : Dessin de l’intérieur du Büyük Han, un des deux derniers caravansérails présents à Nicosie nord


Le caravansérail : l’archétype de la fortification méditerranéenne Comme évoqué dans le 2.1, le quartier Ömeriye contenait autrefois un caravansérail, rattaché au complexe de la mosquée du même nom. Un caravansérail est, au Proche et Moyen-Orient ainsi qu’au Maghreb, un lieu où les caravanes de marchands font halte. Ce bâtiment accueille les marchands et les pèlerins le long des routes et dans les villes ainsi que leurs animaux et leurs marchandises. Selon les endroits, le nom change : dans le monde iranien, il s’appellera plutôt khan (han en turc) alors qu’au Maghreb, c’est le mot funduq (foundouk) qui est le plus couramment employé. On pourrait comparer le caravansérail à un relais de poste en Europe ou à un ryokan au Japon. C’est par extrapolation qu’on a souvent prétendu que les caravansérails avaient été érigés à quelque 30 km les uns des autres, c’est-àdire à la distance moyenne que franchissait dans la journée une caravane chargée. En réalité, cette distance entre chaque caravansérail était moindre. Les caravansérails seraient apparus au 9e siècle grâce à l’essor de l’Islam et au développement du commerce. La nécessité de leur présence sur les anciennes routes d’échanges entre l’est et l’ouest (comme la route de la soie) explique qu’ils représentent aujourd’hui, par leur nombre et leur qualité architecturale remarquable, un important patrimoine. Chypre se situant sur les principales routes commerciales dénombrait 19 caravansérails répartis entre le nord et le sud de l’île. Leur rôle, comme support du commerce, structure polyvalente de rencontres entre les peuples et vecteur de transmission des connaissances, pourrait redevenir tout aussi important aujourd’hui qu’il pût l’être dans le passé. Aujourd’hui, le sud de la capitale n’en comporte plus aucun, tous ont été détruits. Le nord possède encore deux d’entre eux, très récemment restaurés. Ces lieux, Büyük Han (“grande auberge” en turc) et Kumarcilar Hani, sont devenus des témoins de l’histoire de l’île très appréciée par les touristes (fig 49). Leurs fonctions ont été quelque peu altérées, en faisant de ces lieux historiques une carte touristique. Des commerces et restaurants touristiques ont remplacé les anciens logements et commerces d’autrefois. Dans sa typologie, un caravansérail était toujours fortifié et comportait à la fois des écuries pour les montures et les bêtes de somme, des magasins pour les marchandises et des chambres pour les voyageurs de passage. Il était fréquent que les magasins se trouvent au rez-de-chaussée et les chambres au premier étage. C’était aussi un lieu d’échange fréquenté par de nombreux étrangers. Généralement, ces bâtiments étaient de plan quadrangulaire et s’organisaient autour d’une cour centrale entourée de pièces servant à loger les voyageurs. Derrière ces pièces on trouvait les écuries et les salles pour stocker les marchandises. C’était un véritable lieu de brassage culturel ; à l’intérieur plusieurs religions, langues et ethnies se mélangeaient.

39


Le programme architectural du caravansérail conciliait donc la sécurité des voyageurs et des bêtes avec les commodités des entrepôts pour la marchandise et les espaces dédiés aux moyens de déplacements (fig 51). Cet espace fonctionnait comme une protection, un oasis de confort et de sécurité au cœur du désert où l’on se ravitaillait. Les flux étaient contrôlés par une unique entrée évitant ainsi les pillages. Le lieu était construit de manière défensive : en son centre se trouve une respiration forte créée par un large patio, un lieu ou l’on était protégé de l’extérieur et coupé du monde alentour (fig 50). L’analyse théorique du caravansérail comme figure forte dans un milieu urbain dense nous a séduite. Nous souhaitons renouer avec l’histoire du site et proposer une réinterprétation contemporaine de l’ancien caravansérail présent initialement sur le site, dans la position architecturale face à la mosquée et au reste de la ville. Néanmoins, nous nous positionnons vis-à-vis de cette figure forte de manière à s’adapter à un milieu et à des enjeux actuels, sans pour autant reprendre littéralement la forme et les fonctions du bâtiment d’origine.

40

Nous souhaitons partir d’une image forte ancrée dans la culture méditerranéenne pour imaginer notre projet. Mobiliser une métaphore contextuelle permet de générer plus facilement une forme d’acceptation de la part des chypriotes. Nous souhaitons créer une architecture massive et forte qui mérite que l’on s’arrête dans ce tissu urbain hétérogène. Le caravansérail est un lieu de refuge ; ainsi, notre idée est de transformer le site en un lieu poétique et protecteur, en un lieu de pose en milieu urbain grâce à un lieu clos, mais qui reste connecté à l’ensemble du quartier. Cette idée de mélanger les cultures, les religions, et de faire venir la communauté grecque autour de la dernière mosquée du sud reprend l’idée du lieu cosmopolite du caravansérail, de la représentation de la société en un lieu. Nous imaginons cette figure à l’échelle de l’îlot avec comme centre la mosquée, nous conserverons des séquences d’entrée pour arriver jusqu’à son centre. Le programme architectural du caravansérail permettait de gérer les flux le long des routes. Dans la continuité des enjeux de la municipalité de Nicosie, l’idée est de concevoir un lieu ou les flux de mobilité douces seraient mis à l’honneur.


Fig 50 : Plan de Büyük Han

ENTRÉE UNIQUE

MOBILITÉS

Repos

RAVITAILLEMENT

ENCEINTE FORTIFÉE

MOSQUÉE

COMMERCE

Fig 51 : Schéma d’analyse fonctionnelle d’un caravansérail en coronnes imbriquées

41


42


PARTIE 3 : Un caravasérail contemporain et diffus à l’echelle du quartier À travers la sous-problématique de la place des mobilités actives dans un centre historique en perte de dynamisme, le projet questionne les enjeux plus larges de société du territoire dans lequel il s’inscrit. Le quartier Ömeriye, par le réinvestissement des abords de la mosquée, voit son identité positivement modifiée en affirmant la présence d’un nouveau pôle des mobilités douces. Par leur présence, les bâtiments transforment l’ancien parking en oasis. Les valeurs de simplicité, de sobriété et de durabilité sont exprimées. À l’image d’un caravansérail, le projet incarne les valeurs de mobilité telles qu’imaginées par la culture méditerranéenne. L’idée est de trouver un moyen de concilier la préservation du patrimoine bâti proche tout en répondant à des enjeux contemporains. Par la forme architecturale, le projet valorise l’architecture symbolique de la mosquée tout en organisant les flux qui l’avoisinent. La cohabitation des moyens de déplacement au sein du projet crée des lieux de rencontre et d’échange entre les différentes communautés du quartier. Nos composantes architecturales relèvent d’une adaptation face au climat méditerranéen. Le projet se veut être un réel oasis de confort au cœur de cet urbanisme meurtri.

43


3.1 /La réinterprétation contemporaine d’une figure architecturale oubliée : le caravansérail UN PROGRAMME POLYVALENT Le programme s’appuie sur une volonté de réactiver la poche vacante au nord de la mosquée Ömeriye ainsi que les autres poches vacantes à proximité de celle-ci, transformées aujourd’hui en parking. Nous souhaitons montrer tout le potentiel de ces espaces vacants pour les lieux du même type que ceux du reste de la ville. De plus, la mobilisation d’un tel projet permet une ouverture sur la problématique des rez-de-chaussée abandonnés du quartier et de leur requalification. Le projet invente et invite une nouvelle identité pour le quartier en interprétant de façon moderne la figure du caravansérail (fig 52). La cœur du projet est installé sur le large parking existant et agit comme le noyau d’un réseau urbain de requalification des dents creuses à l’échelle de Nicosie tout entière. Les interventions architecturales annexes sur les poches vacantes permettent de montrer tout le potentiel que propose ce tissu urbain en lien avec les enjeux de mobilités, comme le ferait un projet pilote.

44

La construction de notre projet dans un site touché par l’histoire tumultueuse de l’île est un acte fort de renouveau urbain. Nous imaginons un lieu entrant en résonance avec son territoire et les ambitions de la municipalité sur le thème des mobilités douces et des espaces publics délaissés au profit de l’automobile. À l’image du caravansérail, nous proposons un lieu d’échanges entre les touristes, grecs et turcs, mais également un lieu de pose au cœur du centre historique (fig 51). Nous avons fragmenté notre architecture en quatre grandes entités. La première entité est le parking silo à l’est de l’îlot, servant à relocaliser les places de stationnement du large parking sur lequel le projet prend place. Cette intervention est un symbole de renouveau pour ces espaces vacants puisqu’elle redonne une identité et une réelle fonction à ces lieux peu qualifiés. La deuxième entité est la restructuration des restaurants et cafés informels à l’avant de la mosquée, qui vise à créer de l’ordonnance et de la cohérence à l’échelle de l’îlot. Par une architecture unitaire et monolithique, nous souhaitons redonner de l’importance au monument central qu’est la mosquée. La troisième entité est le marché, situé au sud de l’îlot. Cet édifice vient créer du dynamisme et tisser un lien avec les rez-de-chaussée désaffectés du quartier. Le marché fonctionne en écho avec la vieille-ville de Nicosie en hébergeant la vente de produits alimentaires de première nécessité mais aussi et surtout de denrées locales alimentaires et artisanales. Cette structure s’installe sur l’empreinte des garages clos initialement présents sur le site, qui sont,


1960

accès principal

liaison centre historique ouest et habitations

PLACE MINÉRALISÉE

ATELIER RÉPARATION VÉLOS

station de bus

JARDIN sec

Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcsaccès secondaire piétons habitants

PÔLE MOBILITÉS

station relai

Zone mixte à majorité turque

zone de retrait

accès principal liaison centre historique ouest et habitations

séquence d’entrée à la mosquée

JARDIN des couleurs

accès au parking des voitures

Bases militaires britanniques

restructuration restaurants et cafés informels

JARDIN des senteurs / nourricier

PARKING SILO

zone de retrait

1970 HALLE DE MARCHÉ

Enclaves chypriotes turques JARDIN

45

Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental accès secondaire piétons habitants

0

0

100

0

Hall de marché

Pôle de mobilités

Zone de retrait

Station Relais

Place minéralisée

Parking silo

- vente de production locales de denrées alimentaires et d’artisanat local - relais vélo - station voitures partagées

- garage a vélo, service de location - accueil mobilités, zone d’attente - connexion à la ville

200

500m

10 20

N 50km

- mise à distance de la mosquée et des habitations - zone de recul, respect et contemplation - stationnement sécurisé et garages

Fig 52 : Diagramme programmatique spatialisé

50 100


tels que les places de stationnement du parking nord, relocalisés à l’est de l’îlot dans un nouveau parking silo. La quatrième et dernière entité est le pôle des mobilités douces, fonctionnant en lien direct avec l’atelier de réparation de vélo. Ce pôle va permettre de sensibiliser les habitants de Nicosie, grecs et turcs ainsi que les touristes, au bénéfice d’utiliser quotidiennement des modes de transports plus doux. L’agence des mobilités permet de créer un dynamisme dans le quartier et également un lieu de pose et d’attente au cœur des tumultes des transports. Le programme est très polyvalent et montre tout le potentiel des espaces vacants de Nicosie. La nouvelle architecture fonctionne comme oasis au cœur de la ville : elle est la rencontre harmonieuse entre tous les acteurs de la ville et leurs moyens de déplacement.

3.2 / Un lieu de pose et d’ordonnance au milieu de l’agitation urbaine Créer de l’ordonnance par une déconstruction raisonnée 46

L’ensemble des interventions architecturales ne vient pas dénaturer le site mais souligne le potentiel bâti des éléments patrimoniaux. Notre ambition se définit en deux mots : ordonnance et ancrage. Le projet s’amorce avec la notion de restructuration de l’existant, dans une logique de financement du quartier déjà initié par la municipalité. Les espaces de programmation se développent autour de la mosquée Ömeriye. Cette restructuration s’appuie l’analyse du quartier et des habitudes des chypriotes. Le tissu urbain autour de la mosquée se compose majoritairement de typologies architecturales représentatives de l’histoire chypriote. Comme nous avons pu le voir lors de l’analyse des maisons traditionnelles, le système de maison à patio est très présent dans la ville et dans le quartier. Ce principe relève d’une réelle intelligence constructive jouant ainsi le rôle de modèle bioclimatique grâce à l’utilisation des espaces ouverts couverts ou de végétation comme éléments de contrôle climatique. Le programme s’appuie sur une volonté de réactiver les rez-de-chaussée d’un quartier marqué par la division et d’investir ces témoins d’histoire. Afin de rendre ce programme de réinterprétation contemporaine du caravansérail au cœur du tissu urbain dense de Nicosie, nous nous sommes interrogées sur la valeur et l’usage architectural de chaque édifice présent autour du site. Dans une démarche d’ordonnancement, nous prenons le parti de démolir les édifices à l’avant de la mosquée (espaces de restauration) et les garages au sud. Ces derniers sont restructurés au sein du projet et retrouvent une place majeure dans l’aspect programmatique de redynamisation du quartier (fig 53).


3 3

1960 3

2Zone d’habitat et villages grecs

1

Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques 2

1970

47 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental 0

0

10

0

1

Restaurants informels

2

Garages

3

Bâtiment en ruine

4

20

40m

10 20

N 50km

Abris légers

Fig 53 : Carte des bâtiments déconstruits

50 100


Composer un dialogue avec l’existant Le site dans lequel s’implante le projet est très bien desservi, particulièrement par le maillage routier. La ligne de bus dessert le site et est accessible par tous et pour tous, en provenance du nouveau centre urbain. Cette ligne permet l’accès au site pour les personnes non-véhiculées. La circulation piétonne crée la ville. Elle est au cœur du projet pour faire naître une urbanité dans cet espace qui se mélange avec la ville. Le modèle architectural de l’arcade révèle une attention particulière portée au piéton. C’est le bâtiment lui-même qui abrite celui qui marche, le protégeant de la chaleur ou de la pluie. On assure ainsi une circulation confortable par tous les temps et à tous les publics.

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Afin de créer du lien entre l’existant et notre bâtiment, le projet s’implante de manière franche et assumée dans le site par la figure d’une forme pure en plan : le cercle. En son centre, on retrouve l’élément symbolique de la mosquée. Nous avons identifié les éléments remarquables de la mosquée autour desquels nous souhaitons recentrer les usagers. Les cercles autour de ces éléments remarquables viennent créer des zones de respect et de contemplation. Pour relier le projet au contexte, nous avons tiré des axes se basant sur l’orthogonalité de la mosquée. L’entrée principale du projet sur la mosquée s’appuie sur la séquence d’entrée existante. Cette entrée forme un triangle s’ouvrant sur le porche de la mosquée, et un second triangle vient prendre le relais en s’ouvrant au nord sur la placette du hammam. On s’appuie sur l’accès existant au site afin de cadrer la vue sur les éléments remarquables comme le minaret. Les déplacements ont été pensés afin d’être guidés dans la dynamique de tourner autour de la mosquée, de l’élément central. La géométrie des bâtiments et du sol s’inscrit dans ces tracés régulateurs. Comme dans un caravansérail classique, le projet porte la valeur de protection par l’archétype de l’enceinte épaisse. Le bâtiment forme une enceinte qui constitue une barrière physique permettant de protéger le cœur d’îlot. Les circulations douces intérieures et le jardin sont ainsi apaisés et préservés de l’agitation urbaine extérieure. Les circulations sont matérialisées grâce à un traitement de sol unifié qui s’insère dans le tracé géométrique en renforçant la figure du cercle. Dans une dynamique d’ouverture et d’inclusion, une attention particulière a été portée à l’accessibilité universelle de la place. Le module de portique poteau/poutre en L se déploie dans l’architecture du projet et vient structurer les différents espaces. En référence à l’architecture traditionnelle chypriote, les bâtiments sont composés de trois espaces distincts : le patio ouvert compose l’entrée aux bâtiments et dessert les espaces fermés. Les espaces fermés sont couverts d’une toiture plate en béton et donnent accès à des espaces de terrasse ombragés par l’architecture massive des poutres qui les recouvrent.


1960 Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

49

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental

0

0

10

10

20

20

0

50m

10 20

N50 50km

Fig 54 : Plan des lignes directrices du projet


À l’échelle du projet entier, ce module architectural se décline et s’insère dans une géométrie pure et forte qui ordonne l’espace environnant de la mosquée en s’appuyant sur des axes structurants. La géométrie du cercle se manifeste par une double couronne extérieure. La première couronne végétale agit comme une interface entre le projet et la ville, créant un oasis protégé de l’agitation urbaine en son centre. Cette interface végétale sécurise la coursive extérieure en permettant aux usagers du quartier de contourner la place. Ce lieu est offert à la ville comme un couloir de déambulation protégé et confortable. L’aspect général du complexe est monolithique et minimaliste et offre une lecture simple. Les axes principaux créent des failles dans cette massivité complexe, offrant des points de vue sur le contexte et guidant le visiteur jusqu’en son centre. En façade, les différentes épaisseurs du projet se lisent par une succession de colonnes végétales puis minérales qui rythment la déambulation du côté de la rue. Cela induit une profondeur malgré la radicalité des murs pleins qui, par les vides, invitent les visiteurs à pénétrer dans son intériorité. À l’intérieur, les façades sont également rythmées verticalement mais proposent une lecture plus travaillée de l’architecture.

50

Pour stationner les vélos urbains en location à l’agence des mobilités, des stations vélo sont disposées aux points stratégiques du projet, toujours face à la mosquée de manière à faire front à ce monument et d’en prendre conscience. Ces points de stationnement s’insèrent dans les assises en béton hydrofuge disposées sur l’ensemble de la place et s’inscrivent dans l’identité du projet en reprenant la forme en L du portique du bâtiment à plus petite échelle. Ces petits portiques sont en bois de cèdre du Liban et permettent aux cyclistes d’accrocher leurs vélos en toute sécurité.


1960 Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental

0

Barteldt Laurie - Desprez Noémie

PLAN MASSE 1:200

20

10 0

5

N

50m 10

20m

N

Fig 0 55 10 : Plan 20 masse 50km

1960 Zone d’habitat et villages grecs Zone d’habitat et villages turcs Zone mixte à majorité turque Bases militaires britanniques

1970 Enclaves chypriotes turques Bases britanniques Zone sous contrôle gouvernemental Fig 56 : Plan du rez-de-chaussée Barteldt Laurie - Desprez Noémie

PLAN RDC 1:200

0

0

5

10

10

20

20m

50m

0

10 20

N

N 50km

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3.3 / Une architecture ancrée dans son contexte grâce à la fabrique du confort en milieu méditerranéen La question du confort de l’usager est, dans ce contexte climatique et social, une valeur importante. L’architecture que nous proposons dispose d’une forte concentration d’événements spatiaux : entre autres colonnades, coursives, patios, places ombragées, jardins, terrasses semi-couvertes et halle de marché. De la rue, une faille ouvre le bâtiment sur le paysage de la mosquée en dessinant une cour intérieure minérale. Le cœur de la place crée du lien entre la mosquée et toutes les entités du projet. Il est vecteur de sociabilité : il rend possible la cohabitation et les rencontres entre les populations de toutes les générations, de toutes nationalités, de tout milieu social, de toute religion, et de tous les moyens de transport. Le vide créé par la place est une véritable respiration au cœur du centre historique très dense et minéral.

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L’humain est au cœur du projet, par une accessibilité piétonne facilitée et sécurisée. À l’aide des colonnades, le bâtiment joue un rôle protecteur en créant, par les différentes strates du projet, un ralentissement de la vitesse des flux passant de l’échelle de la rue (voitures) à l’échelle du jardin (piétons). La présence des différentes activités publiques en rez-dechaussée du projet affirme cette nouvelle centralité vivante là où le quotidien semblait avoir perdu de son dynamisme. Le projet ne s’impose pas dans le site mais instaure un dialogue réciproque, en laissant le temps de l’appropriation, de la déambulation, de la contemplation et du repos aux usagers. Il est possible d’y patienter confortablement lorsque l’on attend son bus, son covoiturage, ou même ses amis à tout moment de la journée et de l’année.

CHOIX DES Matériaux L’économie de moyen est un enjeu contemporain, il apparaît nécessaire de s’inscrire dans cette démarche en utilisant des matériaux locaux. Historiquement, les maisons chypriotes étaient construites avec des matériaux locaux, des pierres sèches issues des carrières proches de Nicosie. C’est pourquoi nous avons la volonté de suivre cette logique et de concevoir nos bâtiments avec des ressources locales comme le béton de site créé directement sur place à l’aide des terres et gravats d’excavation de la construction du projet. Ce matériau se manifeste en façade et ancre ainsi le projet dans son environnement grâce à ces qualités plastiques : sa couleur, sa porosité et son aspect brut. Grâce à ce matériau structurel qui absorbe, stocke et diffuse la chaleur, les espaces couverts restent tempérés le jour comme la nuit et fabriquent naturellement du confort.


NUIT Béton hydrofuge

Béton de site

Absorption et stockage de la fraîcheur

Diffusion de la chaleur emmagasinée durant la journée

Jour Béton hydrofuge

Béton de site

Absorption et stockage de la chaleur

Diffusion de la chaleur emmagasinée durant la journée

Fig 57 : Coupe des principes climatiques

53

Fig 58 : Coupe perspective du restaurant


Pour des questions d’humidité, les murs en béton de site sont protégés en pied et en toiture par un béton hydrofuge. Ce béton hydrofuge est teinté à l’aide d’un sable légèrement ocre pour rendre son aspect plus chaleureux et en accord avec la gamme de couleurs employée dans le projet. Les poutres et les gouttières au sol sont également composées de ce matériau. Les poteaux en U accueillant les descentes d’eau de pluie sont en béton de site creusé, et l’intérieur de la gouttière est recouverte d’un enduit transparent imperméabilisant. La toiture en béton hydrofuge, à l’aspect épais et massif en façade, est en réalité creuse pour une question d’économie de matière. La lame d’air présente entre les deux parties structurelles de béton permet d’isoler les espaces clos de la chaleur des rayonnements zénithaux. La minéralité en pierre sèche des revêtements de sol se décline en 6 appareillages distincts, allant du plus imperméable pour les circulations au plus poreux pour les espaces végétaux. Le sol se veut granuleux de manière à conscientiser les déplacements dans l’esprit des usagers.

La question de l’EAU

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La question de l’eau à Chypre est très importante puisque l’île est en proie depuis plusieurs années à de nombreuses sécheresses. Nous souhaitons mettre en place un système de récupération des eaux pluviales afin de réduire la consommation d’eau pour irriguer les espaces arborés. Ces espaces végétaux se veulent très peu consommateurs d’eau, puisqu’ils sont composés de plantes vivaces persistantes. La toiture plate a donc été pensée avec un système de récupération d’eau de pluie afin de mieux s’adapter au climat méditérranéen. Pour cela, les portiques poteau/poutre en forme de U qui intègrent pleinement le système de gouttière. L’eau est récupérée dans les creux des poutres et descend le long des poteaux en façade, avant de s’acheminer dans le jardin jusqu’au bassin de rétention d’eau grâce à des gouttières longitudinales intégrées dans le sol.

Fabriquer du confort Nous avons imaginé le projet comme un lieu capable d’assurer le confort thermique de ses espaces et d’en garantir ainsi le bon fonctionnement. Les épais murs en béton de site fabriquent naturellement le confort intérieur des édifices par leurs qualités plastiques mais aussi par les ombres portées qu’ils produisent. Leur hauteur de 4,5 mètres crée une ambiance intime et contenue dans l’enceinte des bâtiments et permet un ensoleillement partiel de ces espaces. Dans l’intention de permettre la ventilation naturelle des bâtiments, nous avons fait le choix d’utiliser des façades dotées de systèmes de respiration comme les persiennes. Ce système se déploie dans tous les bâtiments du projet, en créant des espaces couverts/ouverts respirants. Les persiennes sont intégrées dans la structure en applique sur les façades. Elles régulent la ventilation et créent une aération verticale. Pour l’espace de marché, elles sont disposées dans une double hauteur afin de créer de la ventilation en toiture.


55 Fig 59 : Vue immersive de la place devant le marché

Toiture en pente

pente à 3% pour acheminer l’eau vers le bassin de stockage

3%

Gouttière

Integration de

des

recupération

systèmes des

eaux

de pluie

Canal de récolte des eaux de pluie

Relevage

Pompe de relevage pour acheminer l’eau vers les jardins

Traitement des eaux de pluies Stockage/recyclage

Fig 60 : Coupe des principes de traitement des eaux de pluie


Le dernier élément générateur de confort mobilisé dans le projet est la végétation. Comme pour l’ensemble du projet, la place publique au centre est pensée en fonction des qualités spatiales et climatiques souhaitées. Des pins d’Alep, espèce végétale locale adaptée aux conditions climatiques, sont plantés au sud de la mosquée le long des gouttières dessinant le jardin minéral de manière à projeter leurs imposantes ombres sur le mur de l’édifice. S’élevant entre 8 et 10 mètres de hauteur, ces arbres procurent de larges zones d’ombre et de fraîcheur au sol et créent des séquences de repos. D’autres pins sont plantés à des endroits stratégiques du projet dans le même objectif. En ce qui concerne la couronne végétale extérieure, elle est composée d’une colonnade de palmiers et d’un parterre d’espèces végétales méditerranéennes comme les agaves, les figuiers de barbarie, ou bien les succulentes. Ces plantes ne requièrent que très peu d’eau, et sont plantées dans un sol majoritairement minéral composé d’un mélange de terre, de sable, et de couches de graviers plus ou moins denses pour permettre le bon drainage des eaux. Cette couronne végétale agit comme un filtre visuel et climatique entre le quartier et le projet, et permet de réguler la température de la coursive extérieure qui la borde.

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Pour finir, la végétation joue également un rôle majeur dans les espaces de patios et de terrasse. Les citronniers plantés au centre des patios, combinés avec les percements en moucharabieh verticaux dans les murs épais en béton de site, font respirer ces espaces servants et donnent le ton du reste du projet aux usagers en termes de confort. Les bougainvilliers roses viendront par la suite parfaire l’harmonie végétale générale du projet en se développant le long des murs extérieurs des bâtiments, et en pénétrant à l’intérieur des patios. Fig 61 : Illustrations personnelles des végétaux locaux composant le jardin

Cactus

Palmier

Citronnier

Bougainvillier

Agave et succulente

Pin d’Alep


57

Fig 62 : Vue immersive de la coursive extérieure


Fig 63 : Façade extérieure

58

Fig 64 : Façade intérieure


Persiennes en bois Ventilation en façade

RÉALISÉ À L'AIDE D'UN PRODUIT AUTODESK VERSION ÉTUDIANT

0

5

10

15 m

Fig 65 : Axonométrie plafonnante du marché Shed

59

Ventilation en toiture

Espace couvert

Espace ouvert

Espace couvert / ouvert

Persiennes en bois Ventilation en façade

Canal de récolte des eaux de pluie

Fig 66 : Axonométrie éclatée des espaces ouverts-couverts du restaurant


60

Fig 67 : Vue immersive de la place de la mosquée


Le projet questionne sur la place des mobilités douces dans un centre historique dévasté par les espaces vacants. Le quartier Ömeriye, par le réinvestissement du parking à proximité de la mosquée, trouve l’identité du quartier positivement modifiée en affirmant la présence du nouveau pôle des mobilités douces. Par leur présence, les bâtiments ont transformé l’ancien parking en oasis de confort. Contrairement au caravansérail traditionnel, qui est un bâtiment forteresse vivant autour d’un grand patio collectif, ici notre caravansérail est plutôt diffus. Il reconquiert l’espace repris à la voiture et est en capacité de faire de cette portion de quartier, jusqu’ici en déprise et peu animée, un espace de vie et de pose. C’est un véritable outil municipal pour soutenir le développement des mobilités actives. L’approche générale est très économe en termes de matière et d’aménagement urbain des vieux quartiers de Nicosie sud.

61


62


CONCLUSION « Alors que reste-t-il de leurs amours ? J’ai vu de vieux chypriotes grecs et turcs s’embrasser et boire ensemble. J’ai vu des jeunes sceptiques mais curieux d’en savoir davantage. Je n’ai pas vu de violence et j’ai vu partout une même envie de partager et d’accueillir. Alors j’ai l’espoir que ces espaces fantasmés de part et d’autre du mur n’évoquent plus la peur de l’autre ou le dédain, mais s’unissent de »1 nouveau à travers l’art peut-être, l’urbanisme sûrement ou le halloumi ! L’actualité de ces derniers mois autour de la question du halloumi, fromage traditionnel chyrpiote souvent consommé frit à l’huile d’olive, est une consécration pour Chypre. L’enregistrement au registre des appellations d’origine protégée (AOP) du halloumi chypriote par l’Union Européenne va permettre de relancer l’économie des exportations agricoles de l’île à travers l’Europe. Cela va ouvrir un bon nombre de perspectives économiques au bénéfice des producteurs chypriotes grecs et turcs, désormais contraints de s’entendre sur cette spécialité territoriale partagée. Nous ne prétendons pas trouver la ou les solutions pour répondre aux problèmes sociétaux qui traversent le pays. Il s’agit plutôt d’amorcer une discussion et une réflexion autour d’une démarche urbanistique actuelle de la part de la municipalité. Par le projet, nous essayons de trouver un angle afin de réparer les cicatrices d’une ville divisée en s’installant dans des espaces vacants créés par l’abandon de la population et la guerre. Nous nous interrogeons sur la place qu’occupent les mobilités dans un centre ville historique délaissé. Nous intégrons ainsi un programme architectural dans la continuité du programme de la municipalité de Nicosie. Notre programme permet l’appropriation, l’échange, le mélange. La décision de choisir Nicosie nous a semblé comme une évidence mais il a été dur de développer un projet dans un climat social délicat. Les échanges avec les chypriotes grecs ont été essentiels afin de comprendre une culture, un climat, des habitudes très différentes des nôtres. C’est grâce à la spécificité de cette ville divisée que nous avons pu enrichir notre propos et nos réflexions et élaborer un programme et une architecture en adéquation avec la ville. Cette année nous a permis de nous demander dans quelle mesure l’architecture peut-elle autant diviser, comme le mur de Berlin présent dans l’imaginaire collectif, que rapprocher des communautés ?

Camille. NICOSIE – J’ai traversé la ligne verte. 19 octobre 2016. URL : https://wanderingcam.wordpress.com/2016/10/19/nicosiejai-traverse-la-ligne-verte/

1

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Pour conclure cette dernière année d’études, nous tenions à faire un retour plus personnel sur l’ensemble du travail que nous avons mené. En tant que futures architectes, nous avons été particulièrement touchées par la situation géopolitique de l’île de Chypre. À notre échelle, la question architecturale nous est apparue comme un outil pour tenter de revitaliser ce territoire meurtri par les conflits, et de rendre la ville de Nicosie à ses habitants. En cette année si particulière rythmée par la crise sanitaire, nous avons été contraintes de développer de nouvelles manières de travailler à distance sur un territoire qui nous était avant cela totalement inconnu. Nous nous sommes efforcées à appréhender, comprendre et analyser de la meilleure manière possible la ville de Nicosie derrière nos écrans et grâce à toutes les technologies dont nous disposons. Le dialogue avec des personnes locales se trouvant sur place restera pour nous la façon la plus efficace de rentrer en contact avec une terre étrangère. Nous avons appris et réussi à nous immerger virtuellement dans cette ville, et nous conserverons à présent la capacité analytique que ce long travail nous a permis d’acquérir. Nous avons également beaucoup appris sur les enjeux environnementaux actuels propres au climat méditerranéen qui représentent une part essentielle du travail d’architecte. L’approfondissement des qualités spatiales et plastiques des matériaux en termes de confort nous apparaît comme un réel atout pour la suite. Pour finir, nous avons découvert différentes manières d’appréhender l’architecture des monuments historiques religieux et toutes les formes de respect qu’ils dégagent. Nous nous souviendrons de cette année à distance riche en dépassement de soi comme un levier d’apprentissage et de force face à l’avenir qui nous attend. 64


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George MESARITIS, chypriote, pour nous avoir aidées dès le début de l’année à rentrer en contact avec d’autres chypriotes en nous donnant accès à des groupes facebook et des sites difficilement trouvables.

Marios EPAMINONDAS, chypriote, pour avoir fait nos yeux, grâce à lui nous avons pu obtenir des photographies sur place ainsi que des vidéos pour nous rendre compte du site tel qu’il est aujourd’hui.

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Eleni PRATSI, chypriote, pour nous avoir fourni des plans, des cadastres et d’autres documents officiels afin de construire au mieux nos cartes et nos relevés.

Lara Anna SCHARF, chypriote, pour nous avoir donné des informations sur le quartier ainsi que des vidéos retraçant bien l’ambiance de celui-ci.

Sevina, chypriote, pour nous avoir aidé à collecter un grand nombre d’informations sur les plans, les coupes et l’histoire du Hammam présent à côté du site.


REMERCIEMENTS Nous avons vécu une année de PFE particulière, rythmée par la distance et le peu de temps de présence à l’école. Nous tenons tout particulièrement à remercier tous les habitants chypriotes qui nous ont gentiment aidées à comprendre l’histoire de leur ville, à récolter tous les documents nécessaires à notre étude et à nous livrer des témoignages, photographies et vidéos. Sans eux, nous aurions eu beaucoup de difficultés à réussir à maintenir toutes les exigences que demande le PFE. Nous avons vraiment été touchées par leur bienveillance et leur intérêt pour notre travail, mais également par l’amour sincère qu’ils portent à leur pays et à leurs villes. Ils nous ont exprimé leur satisfaction que des françaises s’intéressent à Nicosie. Nous retiendrons beaucoup de l’entraide de ce peuple qui souhaite notre réussite sans même nous avoir rencontrées. Nous adressons également nos remerciements à toute l’équipe enseignante de “Architecture, Villes et Ressources” qui a dû faire face à une situation difficile d’enseignement mais qui nous a toujours soutenu à bras le corps. Nous vous remercions pour votre soutien et pour tous vos conseils avisés qui nous ont permis de maintenir le cap malgré la situation. Merci à Frank Lebail, enseignant à l’ENSAG et directeur d’étude de ce travail, de nous avoir suivies et encouragées lors de la rédaction de ce tome 2. Un immense merci à nos amis, nos proches, nos parents pour leur patience et leur compréhension dans ces périodes de stress, de fatigue et d’incertitude, pour avoir toujours su nous rassurer. Nos derniers remerciements sont adressés à l’ensemble des étudiants du master “Architecture, Villes et Ressources”, avec qui, malgré le peu de temps passé ensemble, nous avons réussi à partager des moments collectifs de joie, de petits déjeuners et d’entraide.

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Dossiers de presse La république des Pyrénées: « Une des voitures solaires engagées dans la course » Cyprus Institute Solar Car Challenge à Nicosie, Chypre, le 23 juin 2019. AFP - Matthieu CLAVEL. https://www.larepubliquedespyrenees.fr/2019/06/23/environnement-a-chypre-une-course-de-voitures-solaires-low-cost,2572305.php Batiactu, « Des architectes chypriotes grecs et turcs imaginent une Nicosie réunifiée »- le 22 avril 2004, Virginie LOCUSSOL. https://www.batiactu.com/edito/architectes-chypriotes-grecs-et-turcs-imaginentnicosie-16802.php La Croix, «Chypre secouée par un séisme, le plus important depuis 16 ans» - le 15 avril 2015. AFP. https:// www.la-croix.com/Actualite/Monde/Chypre-secouee-par-un-seisme-le-plus-important-depuis-16ans-2015-04-15-1302743 Geo, « A Chypre, en zone sismique, les vieilles bâtisses inquiètent de plus en plus les habitants » - le 23/12/2020. Geo avec AFP. https://www.geo.fr/environnement/a-chypre-en-zone-sismique-les-vieilles-batisses-inquietent-de-plus-en-plus-les-habitants-203254

Emission de Radio France culture, « De Belfast à Nicosie : fortifier pour garantir la paix ? » par Florian Delorme, le 07 fevrier 2017. https://www.franceculture.fr/emissions/culturesmonde/le-retour-des-murs-24-de-belfast-nicosiefortifier-pour-garantir-la-paix

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Nicosie

Λευκωσία, Lefkoşa

Le récit d’une ville marquée par les conflits communautaires

Le quartier Ömeriye se situe au cœur du centre historique de Nicosie. Le projet s’appuie sur une volonté de réactiver les espaces vacants, symbole d’une ville divisée par les conflits bicommunautaires. Le centre historique de Nicosie est poreux, dévasté par des espaces délaissés, et des habitations tombent en ruine suite aux mouvements de populations. Aujourd’hui, la voiture occupe une place bien trop importante dans le paysage urbain et la municipalité de Nicosie souhaite renverser la tendance en laissant plus de place aux mobilités actives au quotidien. Les espaces vacants de la ville sont pour nous une véritable opportunité de créer des espaces vecteurs d’échanges et de bien-être au cœur du tissu urbain. C’est par les actes d’ordonnance et d’ancrage au site, ainsi que par la place de la végétation au sein de l’espace public, que nous souhaitons améliorer le confort des nicosiens et rendre possible la cohabitation des communautés autour d’un élément central symbolique : la dernière mosquée en activité de la partie grecque de la ville. Nous avons foi que l’architecture est porteuse de messages. Notre ambition est de pacifier une situation complexe et douloureuse pour les habitants grâce à une architecture minimale, lisible et appropriable, porteuse de sens et de qualités thermiques et environnementales adaptées au climat.

Laurie Barteldt et Noémie Desprez Master 2 Architecture, Villes et Ressources Responsable du master : Stéphanie David Directeur d’études : Frank Lebail Année 2020-2021


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