L'oeil du cyclone (provisoire).

Page 1

L‘oeil du Cyclone.

Nicolas Wolleb

L’oeil du Cyclone.

Editions RAD

3



L‘oeil du Cyclone.

L’origine. La moto n’est pas un moyen de transport ordinaire. C’est celui qui impose le plus d’inconvénients d’ordre pratique. Paradoxalement (Mais valable pour tout le monde...), c’est aussi celui qui suscite un solide enthousiasme et de nombreux adeptes, à qui l’utilisation d’un véhicule autrement plus confortable et sûr, comme l’automobile, ne vient même pas à l’esprit. L’argumentation rationnelle n’a aucun poids face à la conviction du motard. Il ne réfléchit pas de la même manière qu’un automobiliste. Pour comprendre cette différence, il faut remonter le temps, avant le premier «big bang» émis par un moteur à explosion. L’origine du motard et de sa moto est à chercher du côté du cavalier et de sa monture. L’automobiliste et sa voiture, du conducteur et de son char, mû par le cheval, comme par hasard, ou par le boeuf, quand on était pas pressé. Le cheval est vivant, doué de caractère. Le char est une création de l’homme, inerte et sans vie. Le rapport entre l’homme et le cheval est

3


L‘oeil du Cyclone.

forcément d’une autre nature. On peut parler de communication entre les deux, une relation entre eux où la compréhension et la confiance est primordiale pour que le binôme fonctionne. Peut être qu’un peu de cette complicité est passée du cheval à la moto, certes dans une moindre mesure. Quoique... Quel motard n’a jamais parlé à sa moto ? Ou ne l’a encouragée lorsqu’elle peine lors du démarrage ? Ne peuton pas y voir là une résurgence des temps anciens, quand l’animal n’avait pas encore de substitut motorisé ? Plus tard, l’invention de la machine à vapeur va donner naissance à la locomotive. Pour mesurer sa puissance, le cheval est à nouveau mis à contribution, et l’unité de puissance prit le nom de cheval-vapeur. Quant au boeuf-vapeur, il a fini en bouilli avec des carottes, des pommes de terre et des poireaux. La machine remplacera bien vite le cheval, qui sera bientôt libéré de tâches harassantes, et peut désormais gambader joyeusement dans des

4


L‘oeil du Cyclone.

parcs, montés par des cavaliers qui se baladent avec eux par plaisir et non par nécessité. Encore plus tard, la machine va remplacer l’homme, qui sera également libéré de certaines tâches harassantes, et sera libre de timbrer au chômage. Comme le monde est mal fait, il faut travailler pour avoir la chance de s’adonner à son loisir. Nous voici dans la logique du sophisme: Plus on veut du temps de libre, plus on doit travailler. Et plus on travaille, moins on a de temps libre. Concernant la moto, il y a bien d’autres nuisances qui ont le pouvoir de vous stopper dans votre joie à l’idée de rouler. À commencer par les nuisances climatiques.

L’hiver. Le ciel est noir, le vent glacial, la neige menace. Pas de doute, cette fois, l’hiver arrive. Les motocyclistes se divisent à cet instant précis en trois espèces. Ceux qui continuent à rouler, ceux qui s’enferment dans leurs garages pour bricoler leur(s) moto(s), et ceux qui simplement, posent la plaque minéralogique, et pratiquent un autre loisir plus approprié selon

5


L‘oeil du Cyclone.

eux aux températures négatives et aux giboulées de neige. Comme le ski ou le hockey sur glace, par exemple... à la télévision, bien au chaud dans leurs pantoufles. Cette dernière catégorie, souvent la plus bruyante au bar et au feu rouge aux abords des villes en été, déserte les routes, au grand bonheur de la première catégorie, qui enfin peut attaquer peinard sans tomber sur un boulet juché sur une fusée multicolore surmotorisée mais sous-exploitée, imposant un navrant spectacle à la chorégraphie incertaine, empruntant des trajectoires totalement imprévisibles, mais qui à coup sûr occupe la totalité de la chaussée, rendant impossible tout dépassement. Le motard hivernal goûte alors des plaisirs insoupçonnés par le frimeur estival. Il faut certes se vêtir à la mode «goulag», redoubler de prudence et déjouer les nombreux pièges tendus par Dame Nature et Monsieur Cantonnier, quand ce n’est par la moto elle-même qui attrape une crève carabinée. Il y a une foultitude de trucs qui peuvent se déglinguer avec le froid, sur une moto, une vraie. J’entends par là une moto faite

6


L‘oeil du Cyclone.

majoritairement de divers métaux, de joints en caoutchouc, de visserie et de boulons, et de câbles non électriques ou électroniques. Dans les maladies courantes par temps froid que j’ai pu observer sur ma moto, il y a la carbugivrite. Elle apparaît lorsque la température extérieure oscille autour de 0°, le plus souvent quand un épais brouillard se mue en goutelettes ruisselant un bref instant sur vos lunettes, avant de se figer et de geler en une pellicule opaque obstruant votre champs de vision. Pendant que vous pestez au sujet de vos lunettes qu’il faut essuyer souvent avec vos gants tout aussi humides, le carburateur a le même souci que vous. Non seulement il se gèle la cuve, mais il respire aussi cette flotte en suspension. Et le réflexe de tout être vivant doté de poumons, dans des conditions identiques, est de respirer moins profondément, pour maintenir une température interne acceptable le plus longtemps possible. Pour votre moteur, c’est pareil. Le conseil que je me permets de vous donner, c’est de ménager la poignée de gaz et de rouler en profitant du couple. Si vous êtes célibataire, débrouillez-vous tout seul.

7


L‘oeil du Cyclone.

Parlons maintenant du chapitre qui fait peur: la faible adhérence du sol, soumis aux effets du froid et de l’humidité réunis. Il faut exercer son oeil, peut être même les deux, à distinguer les différents aspects que peut prendre la chaussée. Comme elle est gentille, elle vous donne par sa robe des indications précieuses qu’il convient d’observer, et d’adapter votre conduite en conséquence. L’important, c’est de se dire qu’en cette saison, de base, parterre, ça glisse. Attendez-vous à passer les virages en transpirant à l’idée d’une valse involontaire vous envoyant visiter les congères sur le bascôté, et non en essayant de trajecter tel la buse, à fond de six, avec le déhanché qui tue et le genou à terre. Si ça glisse et que vous essayez malgré tout de poser le genou dans les virages, il est fort probable que vous poserez le reste de votre personne avec. D’abord, le plus facile à discerner, la neige. C’est blanc, c’est froid et ça tombe du ciel sous forme de flocons tous différents, parfois en grande quantité, recouvrant

8


L‘oeil du Cyclone.

l’ensemble du paysage, et donc les routes aussi. Là, en moto en général vous êtes mal barré. À moins de disposer de pneus à toute épreuve, et d’un courage à clous, ou l’inverse, il est sage de laisser la bécane au garage, et de rester chez soi, si vous le pouvez. Si vous n’êtes pas chez vous et que vous voulez y retourner, si vous avez fait un pari stupide avec vos copains, ou que malgré tout vous voulez rouler parce que zut, ce n’est pas trois flocons et demi qui dicteront votre vie, nom d’un chien, et bien après avoir fait votre prière à Vishnou, St Christophe, à Allah ou à toute autre divinité de votre choix, mettez des chaussures chaudes aux semelles bien épaisses, il est fort probable que vous roulerez de temps à autres les pieds glissant sur le sol couvert de neige, qui comme je l’ai déjà écrit plus haut, est froide, suivez un peu. Sont à proscrire: les tongs, les espadrilles, les talons-aiguilles et les chaussures de football. Roulez LENTEMENT, parfois même à l’allure de la marche. Allons, courage, personne ne vous regarde. Si vous vous demandez

9


L‘oeil du Cyclone.

pourquoi vous avez pris la moto: primo, je vous rappelle que c’était vous qui le vouliez, deuzio, cette question vous permettra de penser à autre chose, et de passer le temps durant le trajet. C’est long, vingt bornes dans le blizzard humide. Evitez autant que faire se peut de placer vos roues dans les traces d’un véhicule vous ayant précédé. Il est parfois peu évident de les en sortir. Et peut être que la destination de l’auteur de ces ornières ne vous convient pas du tout. Vous pouvez aussi compter sur la beauté du paysage pour vous distraire, si vous en ressentez le besoin. Que c’est beau, toutes ces étendues blanches ! Et cet épais et mystérieux brouillard, ça complète bien cette belle fresque hivernale, monochrome et immaculée. C’est ... blanc. Partout. En fait, on n’y voit que dalle. D’ailleurs, ne cherchez pas la ligne blanche au milieu de la route, c’est partout une grande ligne blanche, même dans les arbres.

10


L‘oeil du Cyclone.

Nous avons survolé le cas de la route entièrement couverte de neige. (C’est une image, ne tentez pas l’expérience.) Mais Dame Nature, dans sa grande bonté, n’a pas fini de nous surprendre. Pour vous faire chavirer, elle dispose encore d’autres atouts. Le verglas, par exemple. Constitué d’eau, comme la neige, il est plutôt transparent et brillant, d’où parfois la méprise avec de l’eau. Cette erreur est compréhensible, dans la précipitation, mais c’est une méprise qui peut coûter cher. Pour détecter si vous avez affaire à de l’eau ou à du verglas, il faut se fier à vos oreilles, ou à vos pieds. Quand ça fait «kshhhh» et que vous avez les pieds mouillés dans vos godasses, vous roulez sur un revêtement mouillé. Lorsque vous n’entendez rien et que vous avez les pieds froids, c’est qu’il est gelé. Celà dit, méfiance. La nuance du pied froid au pied humide n’est pas forcément évidente. Et le «kshhh» de vos roues sur le mouillon peut être couvert par le vacarme de votre échappement «Racing». La prudence est donc requise. De façon poétique, on pourrait dire que le verglas naît de la mort de la neige. Le soleil

11


L‘oeil du Cyclone.

frappant de ses rayons la pauvre neige tassée sur le bord de la chaussée, elle retourne alors à l’état liquide, et se meurt sur la route, se vidant de son eau sur le bitume froid, créant des rivières, pour passer de l’autre côté de l’existence. Préalablement déneigée consciencieusement par Monsieur Cantonnier (ne l’oublions pas, lui. Bien que discret malgré sa tenue orange pétard, il est bien présent et effectue sa besogne avec opiniâtreté, dans le but de vous permettre de rouler.), la route est alors au mieux, humide, au pire, damée comme une piste de skis. Mais la nuit venue, la température repasse sous la barre du 0°, la neige redevenue eau devient glace. Ce cas de figure arrive en particulier dans les virages, c’est beaucoup plus marrant. Pour qui, je ne sais pas, mais certainement pas pour vous. Les mauvaises langues diront que si les routes n’avaient pas été déneigées par Monsieur Cantonnier, elles seraient moins traîtres avec de la neige non tassée, ce qui n’est pas faux. Mais sans ça, la route serait indiscernable du paysage, et certains d’entre nous finiraient par rouler hors piste, ce qui peut être rigolo mais dangereux aussi.

12


L‘oeil du Cyclone.

Si ce bref résumé de la pratique motocycliste en hiver vous a refroidi, vous pouvez aussi prendre la voiture, mais un peu honteusement quand même. Justifiez-vous toujours en grimpant dans votre automobile. Tous les prétextes sont bons. Une hanche qui coince, un nerf sciatique chatouilleux, improvisez. Surtout lorsque vous avez à transporter un passager. C’est peut être un motard, comme vous.

Assez d’essais, Aïe way to hell. Inspiré par mes potes du bar «Stunt Zone», j’ai tenté des figures acrobatiques très personnelles. Le «front wheel drift»: Et cela sur plusieurs revêtements, on est pro ou on ne l’est pas. J’ai testé sur le goudron sec, les pavés humides et même la luzerne. Le résultat des trois tests s’est avéré très similaire. Trois fois, j’ai rencontré le sol, avec plus ou moins de bonheur. L’accueil du goudron fut chaleureux, mais j’ai refusé de l’embrasser, on ne se connaît pas assez. En même temps, je ne tiens pas à approfondir sa connaissance.

13


L‘oeil du Cyclone.

Pour le deuxième essai, j’avais le choix entre un panneau de pub sur la route (l’imprudent ne m’avait sûrement pas vu arriver) et le sol pavé, j’ai choisi le pavé. La comparaison avec le goudron révèle que ça fait mal autant l’un que l’autre. Quant à la luzerne, elle offre l’avantage de la glisse après la chute, le temps d’exprimer intérieurement votre plaisir est ainsi prolongé (P...! M...! Chii....!!). Le motard est un être curieux. Telle la blonde devant la peau de banane sur le trottoir qui s’exclame qu’elle va encore se casser la gueule, le motard sait qu’il va tomber. Il sent venir la chute, mais son cerveau ne s’alarme pas. Quand il tombe, il pense à ce qui peut se casser sur sa moto. Son corps passe au second plan. Pourtant, la chute n’a pas que des effets sur le véhicule, mais en a également sur le pilote. Dans un soucis de vous présenter toutes les conséquences de ces tests, j’ai visité les urgences de trois hôpitaux de ma région. Je vous conseille la permanence d’Estavayer-le-Lac. Essayez de vous vautrer

14


L‘oeil du Cyclone.

aux environs de l’heure de fermeture, les infirmières adorent les gens qui arrivent quand elles veulent rentrer chez elles. Après avoir réparé des bobos allant de la rotule coincée de madame X à l’écharde sous l’ongle de monsieur Y, il leur manquait le motard à l’épiderme constellé de goudron. L’hôpital de Fribourg prodigue également des soins de qualité. Le plâtrier de cet établissement est un artiste, et propose plusieurs coloris poétiques allant du jaune «pissenlit» au noir «nuit profonde». Suit un apprentissage, la marche avec des béquilles. J’ai toujours pensé à replier celle de la moto avant de partir. Exceptée sur mon exGuzzi V50. Les ingénieurs de Mandello ont certainement cogité un temps conséquent pour mettre au point une béquille si pratique. Elle se trouve tout en avant du bas moteur. Déjà, pour la choper avec le pied, quand tu es assis sur la moto, tu la cherches comme l’interrupteur de la lumière des chiottes, de nuit, quand tu ne dors pas chez toi. Quand par miracle tu as mis le pied dessus, tu déplies d’un geste plein de nonchalance ta guibole, la béquille consent à

15


L‘oeil du Cyclone.

s’ouvrir, cette fois. Là il faut impérativement poser la bécane sur ladite béquille, et ce avant de lâcher du pied le ridicule appendice stationnatoire. Si tu la lâches avant, ton sourire de pub de dentifrice aux mouches se transforme en rictus crispé, l’équilibre se fait précaire, le vexant levier se replie avec une promptitude surprenante, c’est déjà trop tard pour toute tentative de rattrapage. Ta brêle est parterre, il ne te reste plus qu’à demander à tes potes en terrasse d’arrêter de pleurer de rire et de t’aider à redresser ton fier destrier.

La botte sous le silex Après mes galipettes expérimentales, la moto tire une tronche de baudroie, tout en travers en somme, ce qui est rigolo vu le nom du poisson.

Comme un seul homme, mon regard a sauté à pieds joints dans les petites annonces sur

16


L‘oeil du Cyclone.

internet, pour voir ce que le motard froissé et fauché est capable de se payer. Voyons voir, comme dirait Ray Charles, qu’est-ce qu’il y a d’abordable et de correct pour un budget restreint. Un Solex ? En France, oui. En Suisse t’oublies. C’est d’ailleurs une tendance aisément repérable. Le véhicule populaire par excellence, la 2CV, la Cox, la Mini, entre autres automobiles, se voit auréolé d’une gloire sans mesure, attribuée par des dandys qui ne savent plus avec quoi se démarquer lors des brunch branchés dans les lounges du quartier des banques. Le paisible Solex de Tata Huguette devient phénomène de mode, et donc le prix prend l’ascenseur. Ces gentils frimeurs ne se rendent pas compte qu’ils sont la cible d’attrapes-bobos qui ne se privent pas de faire grimper l’addition. Le tout venant étant piraté par les mômes, il faut donc se risquer sur le bizarre. Les prix chutent, les annonces prennent des accents exotiques. Les poubelles prennent aussi de la valeur quand elles sont rares. Mais

17


L‘oeil du Cyclone.

des fois, heureusement qu’elles n’ont pas été grandement diffusées... Des motos aux carénages en forme de pot de yaourt, et d’autres qu’on aurait souhaitées couvertes de ces infâmes oripeaux. Finalement, je ferme le site d’annonces et me pose tel le penseur de Rodin. Ma moto est vrillée. Mon permis de conduire et de tomber est provisoirement retenu, il ne me reste plus qu’à emprunter les transports en commun, à condition qu’il me soit permis de les rendre...

Transport et galères en commun. Récemment promu au statut d’heureux détenteur du permis de piéton, et prié avec insistance d’utiliser un abonnement de train, me voici en mesure de comparer l’efficacité du

18


L‘oeil du Cyclone.

réseau des transports en commun, en particulier le train, et la moto. Primo, dans les transports en commun, on ne conduit pas, c’est très frustrant. Ce qu’il y a de bien, c’est que le véhicule ne nécessite aucun entretien de votre part, pas plus que d’arrêt à la pompe à essence. Mais comme rien n’est parfait, il faut payer un titre de transport. Et il vaut mieux s’en procurer un avant de monter dans le train, parce qu’en Suisse, le contrôleur est souvent peu tolérant envers le fraudeur que vous êtes si vous avez l’audace de monter sans billet. Que vous ayez couru comme un dératé pour attraper l’unique correspondance qui vous permettra de retrouver votre lit douillet, après avoir traversé les océans depuis la République Dominicaine pour ensuite poireauter dans les distrayants couloirs de l’aéroport de Madrid pendant dix heures, pour enfin bénéficier d’un avion vous menant à Genève (pensée émue pour cette dame qui a fondu en larmes après ce périple devant une représentante des CFF lui collant une amende dès son arrivée en Suisse.), sa réponse pleine d'humanité et de compassion vous bouleversera : "C'est le nouveau système".

19


L‘oeil du Cyclone.

Côté esthétique, le véhicule de transport de piétons, aussi bien le bus, le tramway que le train, est généralement pourvu de galbes de carosserie aussi élégants que ceux d*’une boîte aux lettres, mais en plus gros parce que le colis dedans, c’est vous. Côté personnalisation, les plus audacieux se risquent à des peintures sur les flancs des wagons, ne faisant hélas guère de distinction entre carosserie et surface vitrée, recouvrant le tout de pictogrammes parfois colorés et démontrant une certaine recherche artistique et une visible maîtrise technique. D’autres se contentent d’inscriptions revendicatrices ou injurieuses envers l’ensemble de l’humanité, avee une nette préférence pour les forces de l’ordre. Certains se risquent de temps en temps au flaming, avec un briquet allumé sous la table en plastique, n’ayant pour effet qu’un brouillard nauséabond. Ce n'est pas dramatique, car cette table est semble-t-il prévue pour ne rien pouvoir poser dessus, et la poubelle est spécialement étudiée pour vous démolir les tympans en se fermant toute seule, dans un "blang" provoquant peut être des infarctus autour de vous.

20


L‘oeil du Cyclone.

Le choix qui vous est proposé se résume donc à la décision de s’asseoir à gauche ou à droite, dans le sens de la marche du véhicule, ou à l’envers, position que personne ne privilégie, et qu’on choisit souvent par égard, parce qu’elle incommode un autre passager. Pourtant, les sièges tournés vers l’arrière ne sont ni moins nombreux ni moins coûteux que les sièges tournés vers l’avant. Cette disposition a été sans doute choisie dans le but de mettre face à face les voyageurs, afin de faciliter un éventuel dialogue. Mais dans les transports en commun, on ne parle à son voisin que lorsqu’il y a un problème. Quand tout va bien et qu’il y a de la place, on préfère souvent s’asseoir seul, et surtout, on ne dit rien. Etrange, non, de rejeter le seul avantage que propose le déplacement en groupe ? La rencontre, la découverte de l’autre, que dalle, on se met des écouteurs dans les oreilles, et on tapote rageusement son téléphone portable, le monde extérieur peut s’écrouler, cela ne concerne personne. Notez qu’en moto on ne parle pas beaucoup non plus quand on roule. Par contre, à l’arrêt on est très souvent loquaces, au bar, à

21


L‘oeil du Cyclone.

l’atelier, ou au bord de la route... Qu’importe le sujet, le temps qui passe ou qu'il fait, les résultats en MotoGP pour les motards version commères devant leur feuilleton, ou encore les qualités des pneumatiques et la taille des "bandes de peur" sur les bords. Le plus silencieux et taciturne des êtres humains s’éveille soudain à l’écoute d’un commentaire sur la marque de sa bécane. “Le mec qui a acheté ça, au moins il ne se fera pas mal, qu’estce que ça se traîne.” Et zou, le motard normalement constitué, donc avec une susceptibilité à fleur de cuir et une estime audelà du raisonnable pour son canasson motorisé, a les fourmis dans les jambes et la langue bien pendue. La discussion finit souvent par une confrontation inéluctable des deux motos et motards. Le vainqueur est celui qui arrive le premier à l’arrivée, qui varie selon les concurrents, mais ça tombe quand même souvent sur l’hôpital.

22


L‘oeil du Cyclone.

Ma première «moto»... et les suivantes. Vous pensiez échapper au chapitre que tout motocycliste aborde l’oeil humide et la voix pleine de nostalgie ? Raté. Je m’en voudrais de ne pas tenter de ne pas vous endormir avec un sujet pareil. Et puis moi, si ça me faisait dormir, ce serait bien, vu l’heure avancée au coin de l’écran de l’ordinateur, à l’âge avancé aussi. Donc voilà. Après une tentative avortée de restauration d’une camionnette VW, il y eut l’achat d’un Vélosolex ayant malencontreusement perdu son moteur sur la route, suite à la suppression de «boulons inutiles», selon mon sens inné du léger et du performant ... Mon premier engin motorisé avec lequel j’ai réellement découvert les joies de la route, c’était un brave Kreidler Florett muni d’une boîte à trois vitesses à sélection manuelle. Plus manuel que ce bidule, ce n’était pas possible, c’était la poignée de gauche qu’il fallait tourner pour changer de rapport. Les ingénieurs de Kornwestheim, à l’usine Kreidler, ont sans

23


L‘oeil du Cyclone.

doute pensé qu’en essorant deux poignées au lieu d’une seule, on irait deux fois plus vite. C’était pas plus rapide, mais finalement assez pratique. Le mieux, c’était la poignée de gaz qui offrait une option que bien des autos de luxe auraient envié. On pouvait la bloquer à fond, ce qui permettait de conserver les gaz ouverts tout en indiquant du bras le prochain virage à droite. Mais après il y a eu l’invention du clignotant, rendant inutile les gaz automatiques, jusqu’à l’arrivée du téléphone portable. Grâce aux gaz automatiques, les automobilistes peuvent à nouveau prendre les ronds points sans clignotant, les pieds sur le tableau de bord, une main sur le levier de vitesse et l’autre le portable collé sur l‘oreille, le coude à la portière. Mais je m’égare. Mon destrier était bicolore, gris-vert métallisé foncé, un peu mat malgré les soins à coups de chiffon réguliers, avec le réservoir en forme d’oeuf, entre le jaune et le blanc cassé, forcément. Ses grandes roues de 23 pouces la faisait ressembler à un échassier. Sa tenue de route était «tout en souplesse». Pour être plus clair,

24


L‘oeil du Cyclone.

elle tenait bien toute la route, voire les bordures aussi de temps à autres. La moto avait un peu la grâce du flamand rose ayant abusé d’alcool, tentant de courir droit pour décoller... Et son freinage faisait peur et obligeait à anticiper, un freinage d’anticipation, en quelque sorte. Et comme je mettais un point d’honneur à m’occuper de l’entretien (Surtout avec des finances proches d’un cratère), la géométrie des roues me faisait rouler quelque peu de traviole. Pour moi, du moment que la roue arrière suive celle de devant, dans les grandes lignes, ça m’allait bien. Bref. Les finances cratèristiques allaient devenir par la suite ma marque de fabrique, à l’achat de bécanes qui avaient toutes quelque chose d’exceptionnel, mais que parfois j’étais seul à le remarquer. Dans le style d’une Yam’ SR 500, le gros mono par excellence, sans démarreur. Mon poids de canari sans plume luttait férocement contre la compression du moteur, sans succès malgré un décompresseur capricieux et une gravité terrestre qui persiste à ne pas trouver tous les hommes égaux. Une fois le moteur en marche (après avoir monté et descendu en

25


L‘oeil du Cyclone.

poussant la bête, et ce à trois reprises, en haut d’un chemin étrangement plus pentu en montée qu’en descente...), je savourais le joyeux «poum-poum» émis par le silencieux, et partait en souriant faire un petit tour d’essai. Un village plus loin, la moto refusait de dépasser la vitesse de nonante à l’heure. C’est bien la peine d’avoir dix fois plus de centimètres/cubes pour gagner dix malheureux kilomètres !! Je comprends en jetant un oeil à ma roue avant que les mâchoires de mon frein avant mordent à pleins pistons le pauvre disque qui fume de douleur. Ces sagouines de mâchoires n’en démordaient pas. Non, décidément les grosses bécanes ne sont pas faites pour moi, me disais-je. Je retrouvais avec un bonheur non dissimulé une Florett, mais cette fois-ci, montée sport, des guidons bracelets me collant le nez dans le phare et le compteur. Dans cette position, les repose-pieds un peu en avant, et les genoux autour des oreilles, j’allais découvrir les contrées qui elles, étaient bien reculées en Suisse et un peu en France aussi.

26


L‘oeil du Cyclone.

Des virées mémorables, avec des épisodes inédits, qui allaient rester gravés dans ma mémoire. Les galères d’hier finissent par devenir les bons souvenirs d’aujourd’hui.

27


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.