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Quand les fast-food enrègnentmaître

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la bonne étoile

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Des petits bouis-bouis aux restaurants avec vue panoramique, des cantines où on se serre les coudes aux bistrots les plus chics, la capitale française regorge d’adresses toutes plus alléchantes les unes que les autres. Eh oui, à Paris, bien manger est un véritable art de vivre (ce n’est pas le Bonbon qui vous dira le contraire). La Ville Lumière rayonne à l’échelle nationale et internationale pour ses multiples restaurants étoilés, sa cuisine du monde entier à portée de main, ses pâtisseries raffinées et ses chefs d'exception… Bref, la gastronomie est un véritable pilier du savoir-vivre parisien, et ce depuis belle lurette.

Mais la “capitale de la gastronomie” portet-elle encore bien son nom ? Selon les chiffres de l’Urssaf, le nombre de fast-food a augmenté de plus de 50% en 10 ans à Paris. S’il ne dépasse pas encore le nombre de restaurants traditionnels, dans certains arrondissements comme le 19e et le 20e, la part des fast-food dépasse les 40%(*).

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Ce phénomène s’explique de façon simple : les Français·es, et particulièrement les Parisien·ne·s, recherchent une offre de restauration la plus rapide possible sur l’heure du déjeuner, afin de répondre aux besoins d’une vie professionnelle rythmée. C’est ainsi que l’Hexagone est devenu le deuxième plus gros marché pour la chaîne américaine McDonald’s, qui cherche de plus en plus à s’implanter dans les grandes villes. Ce n’est pas pour rien que des enseignes auparavant absentes du territoire, comme les Américains Popeyes et Wendy’s, ont annoncé leur arrivée à Paris au cours de l’année 2023.

Les fast-food explosent, les restos s’adaptent Mais cette augmentation du nombre de fastfood à Paris pénalise-t-elle les restaurateurs traditionnels ? Sur le papier, non. Au même titre que le nombre d’enseignes rapides, les restaurants parisiens ont vu leur nombre augmenter au cours de la dernière décennie (+8,7%). Ils représentent encore 2/3 des établissements de la capitale, mais dans les faits, ces derniers ont tout de même dû s’adapter : offre de restauration à emporter, livraison à domicile, carte plus “street food”... Les restaurants parisiens ont modifié leurs habitudes pour tenter de séduire la clientèle des fast-food. Aujourd’hui, il devient d’ailleurs assez rare de trouver un restaurant sans aucun burger à la carte.

C’est par exemple le cas du Bouillon Pigalle. Si l’emblème de la cuisine parisienne continue de servir son traditionnel bœuf bourguignon, ses poireaux vinaigrette, ou encore son indémodable saucisse-purée, il propose aussi désormais des “buns” dans son offre à emporter.

Dans le 20e, sur le boulevard de Charonne, Hakima, propriétaire du restaurant Le Colibri, ne se soucie guère des fast-food. Si elle n’encourage pas spécialement l’installation de nouveaux établissements de ce type, elle pense néanmoins qu’il y a de la place pour tout le monde : « Ça ne me dérange pas du tout qu’ils s’installent, ils font leur pain et nous aussi, mais au final on ne se marche pas dessus, on n’a pas la même clientèle. » Elle pense tout de même qu’il faut encourager l’installation de restaurants traditionnels plutôt que des fast-food « pour ne pas diminuer l’attractivité de Paris et le charme de la ville ».

Si la concurrence ne semble pas être un vrai souci non plus pour Christophe, responsable du café Martin situé à deux pas du cimetière du Père-Lachaise, ce dernier s’inquiète surtout du cadre que les fast-food peuvent créer : « On a une terrasse qui se situe sur une belle place, plutôt calme et agréable. Si un fastfood s’installe, ça va générer tout un tas de bordel pour nous et pour les riverains. Ce n’est pas souhaitable ». Le restaurateur d'origine normande a d’ailleurs signé la pétition contre l’installation d’un nouveau restaurant Burger King dans le quartier, au mois de février 2023.

Manger pas cher ou manger bien ?

Du côté des habitants de la capitale, il y a plusieurs sons de cloche. Maria, 39 ans, pense que « Paris a déjà bien assez de fast-food comme ça ». Habitante du quartier du PèreLachaise, elle a également signé la pétition. L’institutrice regrette « la fermeture de nombreux petits commerces dans le quartier et ailleurs », souvent « au profit de nouveaux fast-food américains » selon elle. Bien qu’elle reconnaisse qu’ils puissent constituer un avantage pour les étudiants ou les personnes précaires, elle pense qu’il « existe d'autres moyens de nourrir tout le monde de façon abordable, sans pour autant que ce soit un fast-food. » Au-delà du fait que ce type d'établissements puisse « ternir » l’image de la cuisine française, cette mère de famille déplore surtout le « développement de la “malbouffe” » et tout ce que cela pourrait impliquer de mauvais sur la santé, notamment chez les jeunes.

Un avis partagé par Raymond, 61 ans : « En tant que riverain, les fast-food me génèrent des nuisances sonores mais aussi en termes d’environnement. Les poubelles débordent, il y a des déchets qui traînent partout, des dizaines de livreurs qui stagnent sur les trottoirs… C’est vraiment dérangeant ».

D’autres, comme Marie-France, 76 ans, pensent que ça n’est pas une mauvaise chose : « Si ça permet à certains d’avoir accès à de la nourriture facilement, en bas de chez eux, ça ne me dérange pas ». Selon elle, si les fast-food se multiplient, « c’est parce qu’il y a de la demande, alors je ne vois pas pourquoi je devrais m'opposer à la demande des gens. En plus, ça crée beaucoup d’emplois ! ».

Bien que serveur dans un café typiquement parisien, Achille, 27 ans, pense que l’installation des fast-food n’est pas à accueillir d’un mauvais œil : « la jeune génération se rend beaucoup moins dans les restaurants “tradi”, elle préfère la street food, parfois plus innovante et moins chère, et cela inclut les grandes chaînes de fastfood. Chacun y trouve son compte, les touristes et les générations plus âgées vont dans les restaurants parisiens, les jeunes au fast-food ».

Demande croissante ou pas, la Mairie de Paris semble bien décidée à diminuer autant que possible l’installation de nouveaux fastfood dans la capitale, malgré un manque de moyens légaux pour s’y opposer. Elle défend notamment le fait que ce type d'établissements ne corresponde pas à la politique de la Ville en termes de santé publique, d’alimentation et d’environnement. Une question reste en suspens : qui aura le dernier mot ?

(*) chiffres Le Parisien � Texte : Auriane Camus

Pour aller plus loin

· En salle de Claire Baglin (2022), Éditions de Minuit

· On va déguster Paris, François-Régis Gaudry et ses amis, Éd. Marabout

· Fast and Good de Nanda Fernandez Brédillard, disponible sur Arte.tv

· La pétition du collectif Place Martin Nadaud sur change.org

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