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Ciné-psy... Le Mariage de Rosa
MARCEL GAUMOND CINÉ-PSY
COMMENTAIRE SUR LE FILM LE MARIAGE DE ROSA
DE ICÍAR BOLLAÍN
«J’ai décidé de m’engager avec moi-même. Si on veut être respectée et aimée, on doit se respecter et s’aimer d’abord… C’est ce que je veux promettre aujourd’hui, devant vous tous. Je promets de me respecter, de prendre soin de moi. Je promets de m’écouter, de me pardonner, de faire ce qui est bien pour moi. Je promets de me demander d’abord à moi avant de demander ce que veulent les autres. Je promets d’accomplir mes rêves et » mes souhaits. Je promets de m’aimer de tout mon cœur pour le restant de mes jours. Je renonce aussi à laisser mon bonheur dans les mains des autres. Et enfin, je renonce à être obéissante. PROMESSE FORMULÉE PAR ROSA, LORS DE LA
CÉRÉMONIE DE SON MARIAGE... AVEC ELLE-MÊME « » Il nous faut écouter l’oiseau au fond des bois, le murmure de l’été, le sang qui monte en soi, les berceuses des mères, les prières des enfants... JACQUES BREL, EXTRAIT DE SA CHANSON IL NOUS
FAUT REGARDER
VIVRE SA VIE
TEXTE DÉDIÉ À ROSE, LISA, ANNE-JULIE ET NICOLE, NOBLES REPRÉSENTANTES DES QUATRE SAISONS DE LA VIE DES FEMMES, VIVANT AUX QUATRE COINS DU MONDE.
Cours, cours, cours, Rosa, nous comptons sur toi! Pour nous nourrir, nous vêtir et nous raccommoder. Pour nous rassurer et nous consoler. Pour nous chanter des berceuses, quand enfants, petits ou grands, nous avons peur, la nuit, hantés par tout ce que nous avons fui, le jour. Serrenous contre toi, quand nous nous sentons trop seuls. Et sers-nous aussi, réponds comme il faut à tous nos besoins, affectifs et autres. Et écoute tout ce que nous avons à te dire, sans trop parler, de ton côté. Pour ne pas gâter la sauce, pour jouer pleinement ton rôle. Ton rôle de femme aimante, ton rôle de « mère universelle »!
Bien avant que Rosa se marie… avec elle-même, soit jusqu’à l’âge de 45 ans, c’est avec toute son intelligence et sa sensibilité qu’elle a, sans sourciller, répondu à ce qu’on attendait d’elle. Attentes venant de son père, de son ex-conjoint, de sa fille, de son patron, de sa voisine de palier, de ses ami-e-s, bref de tout un chacun. Jusqu’à ce qu’elle soit atteinte, à bout de souffle, du syndrome « trop, c’est trop ». Là, épuisée, découragée, battant de l’aile (prononcer « elle »), elle eut le réflexe de retourner dans son village natal, près de la mer. Mer dans laquelle elle s’est plongée tout entière, habillée, tout comme la marathonienne, exténuée au terme de sa course, se laissera choir de tout son long sur la terre. Et c’est à ce moment-là qu’au lieu de couler et de s’enliser dans
la capitulation, elle a su trouver en elle une force de renaissance qui l’a incitée à rouvrir une boutique que sa mère n’avait pas réussi à rentabiliser. Au grand étonnement de tout le monde. C’est là aussi qu’elle a décidé de se marier avec cette partie d’elle, son monde intime et personnel qu’elle avait depuis toujours sacrifié afin de s’adapter et de répondre aux besoins et aux attentes des autres. Et qu’elle avait rédigé ce texte d’engagement avec elle-même qu’elle lira, le jour de son mariage.
Dans un essai auquel il a donné comme titre Contre les femmes et comme sous-titre, La montée d’une haine mondiale, le sociologue néerlandais Abram de Swaan analyse la résistance masculine à l’émancipation féminine. Or, bien que dans LE MARIAGE DE ROSA nous ayons le bonheur de constater non seulement la solidarité des femmes de l’entourage de Maria, mais également la vive sympathie d’Antonio son père, d’Armando son frère et de Rafa… son amoureux à l’égard de son bouleversant engagement, il n’en demeure pas moins qu’un tel type d’affirmation ne manque pas de susciter de vives réactions de la part d’une importante fraction du monde masculin d’aujourd’hui. De Swann est d’avis que ce mouvement d’émancipation féminine « s’inscrit dans le processus historique du progrès de l’humanité, à la suite de l’antiesclavagisme, du mouvement ouvrier, de la décolonisation, de l’antiracisme et de l’ouverture aux minorités sexuelles. » Et comme représentants de cette fraction du monde masculin qui s’oppose vigoureusement, voire brutalement, à cette émancipation de la femme, il cite « Abou Bakr Naji, intellectuel égyptien inspirateur des pratiques meurtrières d’al-Qaïda et du groupe État islamique, Anders Breivik, terroriste norvégien d’extrême droite responsable de la mort de 77 personnes en 2011 dans son pays et puis… Donald Trump qui incarne à ses yeux une infériorisation plus sournoise des femmes, de par son silence approbateur fréquent face à l’extrême droite et l’image mentale qu’il répand de la femme-objet. »
Voir LE MARIAGE DE ROSA, dans le contexte on ne peut plus morose de l’actuelle pandémie, nous offre la merveilleuse opportunité d’anticiper ce qu’il nous sera possible de vivre à nouveau, voire mieux, lors de ce que nous avons convenu d’appeler depuis maintenant plus d’un an, le « retour à la normale ». De chaleureuses accolades, d’amicaux festins, des explosions de joie, de stimulantes pérégrinations vers l’autre, des engagements dans le champ de la créativité, des rapports amoureux dont l’élan emprunte à la montée de sève printanière des érables. Que ce retour que nous souhaitons tous vivement puisse se vivre dans une nouvelle normalité, celle d’une relation hommes-femmes qui tende vers une féconde réciprocité, au lieu de cette bête rivalité qui se cristallise souvent dans un rapport de domination sous-tendu par la peur de l’autre et le sentiment d’impuissance.
À ceux et celles d’entre vous qui s’offriront LE MARIAGE DE ROSA comme on s’offre en temps de fêtes un cadeau depuis longtemps désiré, je propose comme mirifique complément le visionnement du fabuleux documentaire Femme(s) du grand photographe Yann Arthus-Bertrand, un documentaire qui constitue « un message d’ amour et d’espoir envoyé à toutes les femmes du monde », accessible gratuitement sur le site de Radio-Canada, à l’adresse ici.tou.tv/femmes.
P.-S. : Nous espérons à nouveau vous proposer des rencontres du Ciné-psy, au lendemain de l’actuelle pandémie. À suivre sur le site WWW.CINE-PSY.COM
FRANCE | 2019 | 87 MIN
Comédie policière réalisée par Tarek Boudali. Int. : Tarek Boudali, Philippe Lacheau, Julien Arruti, Vanessa Guide. Rayane est un jeune fl ic trouillard, le jour où il apprend à tort qu’il n’a plus que trente jours à vivre, il comprend que c’est sa dernière chance pour devenir un héros au sein de son commissariat. L’éternel craintif se transforme alors en véritable tête brûlée pour coincer un gros caïd de la drogue…
SPIRALE : L’HÉRITAGE DE DÉCADENCE
ÉTATS-UNIS | 2021 | 93 MIN
Film d’horreur réalisé par Darren Lynn Bousman Int. : Chris Rock, Samuel L. Jackson, Max Minghella, Marisol Nichols. Le lieutenant Ezekiel « Zeke » Banks et son nouveau partenaire enquêtent sur une série de meurtres macabres dont le mode opératoire rappelle étrangement celui d’un tueur en série qui sévissait jadis dans la ville. Zeke se retrouve au centre d’un stratagème terrifi ant dont le tueur tire les fi celles.
ÉLÉONORE
FRANCE | 2020 | 85 MIN
Comédie écrite et réalisée par Amro Hamzawi. Int. : Nora Hamzawi, André Marcon, Dominique Reymond, Julia Faure. Sous la pression de sa mère et de sa sœur, Eléonore, apprentie écrivaine, change de vie et devient l’assistante d’un éditeur spécialisé dans les romances érotiques.
LA TRAHISON DE LA PROVIDENCE DIVINE
QUÉBEC | 2021 | 96 MIN
Drame écrit et réalisé par Jeremy Torrie. Int. : Ali Skovbye, Elyse Levesque. La division règne dans la petite communauté agricole apparemment paisible de Saint-Michel, au Manitoba. Lorsqu’une adolescente troublée du nom de Jeanne Séraphin succombe presque à une hémorragie mystérieuse, les nouvelles de son état déclenchent une frénésie pieuse auprès des gens croyant au miracle.
V.O.A., V.O.A.S.-T.F. et V.F. NOMADLAND
Un film de Chloé Zhao | De la même réalisatrice : The Rider ÉTATS-UNIS | 2020 | 108 MIN
MEILLEUR FILM, MEILLEURE RÉALISATRICE ET MEILLEURE ACTRICE (FRANCES MCDORMAND) - OSCARS 2021
« NOMADLAND est tout simplement une œuvre d’art, un fi lm qui redonne foi dans la vie et le cinéma. » (R. Friedman, Showbiz 411)
Drame écrit et réalisé par Chloé Zhao. Mus. orig. : Ludovico Einaudi. Int. : Frances McDormand, David Strathairn, Linda May, Bob Wells.
SYNOPSIS : Après avoir tout perdu lors de la grande récession de 2007-2008, une femme dans la soixantaine plie bagage et laisse tout derrière elle pour s’aventurer dans l’Ouest américain avec sa voiture. Elle est autant à la recherche de sens que d’un nouveau style de vie loin des normes établies.
NOTES : Comme le personnage central de son fi lm, la cinéaste d’origine chinoise Chloé Zhao a pris la route. Pendant cinq mois, son équipe de tournage et elle ont traversé sept États américains afi n de nous faire découvrir un univers peu connu : celui des van dwellers, ces Américains nomades qui vivent dans leurs véhicules aménagés. Si la présence de l’excellente Frances McDormand nous rappelle que NOMADLAND est bel et bien une œuvre de fi ction, l’inclusion de véritables lieux et d’acteurs non professionnels de ce milieu marginal ajoute à l’authenticité de ce voyage au cœur d’une Amérique qui n’a plus le temps de rêver. (P.L.)
«NULLE TRACE EST AMBITIEUX, BOULEVERSANT ET, » CONTRAIREMENT À CE QUE SON TITRE INDIQUE, DIFFICILE À OUBLIERA. P. Lonergan, Le Clap
Un film de Simon Lavoie | Du même réalisateur : Le Torrent
CANADA. 2021. 105 MIN.
Drame écrit et réalisé par Simon Lavoie. Int. : Monique Gosselin, Nathalie Doummar.
SYNOPSIS : Dans un futur proche, une femme solitaire parcourt les voies ferrées à bord de sa draisine afin d’effectuer des échanges de contrebande. Contre toute attente, elle accepte d’aider une femme et son enfant à traverser la Frontière… Une décision qui sera pour elle lourde de conséquences.
Le cinéaste Simon Lavoie, originaire de PetiteRivière-Saint-François, n’a jamais eu peur des défis. Ce ne sont pas tous les réalisateurs qui peuvent se vanter d’avoir transposé à l’écran avec succès des classiques de la littérature québécoise comme Le Torrent, nouvelle d’Anne Hébert, et La Petite Fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy, roman pourtant jugé inadaptable. Et tout cela sans jamais compromettre sa vision artistique! Réalisateur ouvertement têtu et sans compromis, Simon Lavoie affiche fièrement son amour pour la culture québécoise. Il est, pour cette raison, un cinéaste à protéger, un peu comme un élément clef de la biodiversité. NULLE TRACE, son sixième long métrage, invite le public à plonger dans un Québec post-apocalyptique, sombre et violent, où seule la lumière du soleil est bienvenue... Malgré qu’il apparaisse comme une œuvre dystopique, NULLE TRACE n’est pas un film d’action. Son rythme plutôt contemplatif et sa mise en scène introspective font davantage écho au cinéma d’Andreï Tarkovski, assurément une influence du cinéaste. Nous sommes donc loin, très loin même, des spectacles de fin du monde à la sauce hollywoodienne. D’ailleurs, l’univers dans lequel sont piégés les deux personnages principaux n’est jamais mis en contexte. Jusqu’à la toute fin, ce mystère persiste : il est volontairement entretenu par le réalisateur pour laisser place à l’interprétation, car les « réponses » ou les véritables motifs du film sont ailleurs, portés dans le cœur des deux protagonistes. NULLE TRACE est aussi l’histoire d’une rencontre entre deux solitudes, une rencontre entre deux femmes aux antipodes l’une de l’autre. Que faire et comment réagir face à l’abject? Comment accepter le mal? Voilà des questions que le film NULLE TRACE pose sans détour tout en ayant le courage d’y répondre. Pour cinéphiles aventureux! (P.L.)