Masahiko MATSUMOTO
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Ôsaka, milieu des années 1950
Cette histoire raconte les épreuves, les joies et les quelques moments de tristesse des hommes qui ont consacré leur jeunesse à la création du gekiga.
Ah... tu veux l’emprunter.
Excusez-le, c’est la première fois qu’il vient ici.
Les éditeurs de akahon mangas*, pourtant si nombreux, avaient peu à peu disparu pour laisser place aux librairies de prêt, qui allaient bientôt connaître leur apogée.
Eh, toi ! Faut payer si tu veux lire.
C’est 10 yens pour l’emprunt, puis 5 yens par jour.
* Les akahon, “livres à couverture rouge“, étaient des mangas bon marché édités directement en volume relié et possédaient leur propre circuit de distribution.
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À Ôsaka, quatre éditeurs publiaient à l‘époque des mangas pour les librairies de prêt. Parmi eux, Hinomaru-bunko, qui se trouvait à Senba, faisait appel à de nombreux mangakas et débordait d’activité.
crii
crii C’est dans l’une des pièces de ce bâtiment crasseux qu’allait naître le gekiga.
Vous ne pouvez pas me faire ça.
Ce n’est pas possible.
criii...
Je devais recevoir ma paye aujourd’hui, mais là...
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Oui... Qu’estce qui se passe ?
Tu apportes tes planches ?
Bordel, c’est pas possible !!
Patron. Je compte vraiment sur vous. Même une lettre de crédit fera l’affaire.
bam
!
J’ai terminé mes planches…
Voyons voir…
Quoi !?
Euh…
Ah c’est toi, Matsumoto ?
M. Takigawa, vous n’auriez pas une idée ?
Un truc qui ferait exploser les ventes.
Un bon titre...
Non, ça ne va pas. Je ne sais pas…
Il faut trouver un meilleur titre si tu veux vendre…
paf 12
Maintenant que l’auteur est mort, la mode du manga de judokas, c’est fini. Tu as bien fait de passer au policier.
Les mangas comme Igaguri-kun*, ça ne se fait plus.
Eh bien, Matsumoto ? Toi qui ne dessinais que des histoires de judokas, tu te mets au manga policier ?
* Célèbre manga des années 1950 d’Eiichi Fukui, mettant en scène un judoka.
J’ai une idée !
!
Mais je ne pense pas à ce genre de choses, moi ! Quand je dessine, je suis mes envies, c’est tout.
m ba Le Démon pourpre de la série Bannai Tarao* !
On s’en fout, pour le moment il faut trouver un titre !
Y avait ça dans un film avec Chiezô Kataoka, non ?
* Série de films initiée en 1946, mettant en scène le détective du même nom, interprété par Chiezô Kataoka.
Mais... il n’y a pas de démon pourpre dans mon histoire...
On s’en fiche. Ce sera “Le Démon pourpre”.
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Oui, c’est bien.
Qu’est-ce que vous en pensez, Maître ? C’est un bon titre, non ?
“Le Maître du sabre de bois” !
Au fait, j’ai aussi trouvé un titre pour toi, Tatsumi.
Hein ?
Bonjour...
crii i
Euh ...
Ah, Saitô.
Désolé pour le retard. Je vous apporte mes épreuves.
Quoi, les 128 pages !?
C’est pour ça que nous, on va publier “Le Maître du sabre de bois” de Yoshihiro Tatsumi !
Mais il y a déjà Yoshiteru Takano qui dessine “Le Petit Sabre de bois” dans la revue Bôken-ô...
C’est moi, Takao Saitô.
Oui. Ça ne me plaisait pas, alors j’ai tout recommencé.
Tu en as mis, du temps.
Fw
itc
h
Bravo ! Voilà la détermination, la fougue qu’il faut dans ce métier !
C’est dommage ...
Et voici la couverture.
bam Qu’en pensez-vous, Maître ?
!
HmM...
pfuit’
flap
Là, c’est trop sombre au niveau de la main, on ne comprend pas bien le dessin.
Oh… Le patron a disparu.
Zut, alors !
Alors qu’on n’a pas encore été payés…
Mon mari ? Il était là à l’instant.
Est-ce qu’il serait sorti ?
Allons voir.
Ah, celui que tu veux qu’on publie ensemble ?
Je vais lui en reparler.
Tatsumi… Tu sais, à propos du recueil d’histoires courtes…
Je tiens vraiment à le faire.
Il est peutêtre chez lui, à côté.
Je vais aller le chercher, attendez donc à l’intérieur.
Ce n’est pas lui qui va nous empêcher de le publier.
J’en ai parlé à M. Takigawa… Mais il dit que ce n’est pas possible …
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Je suis désolée, je ne sais pas où il est…
m DAM da
DAm…
Il avait mal au ventre, il est allé aux toilettes.
Où est M. Takigawa ?
splo
tch
Peut-être, mais tu as de la chance qu’il te laisse illustrer toi-même la couverture de ton manga.
Oui, mais quand même !
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Mais j’ai l’impression que c’est moins bien, maintenant.
Masaaki Et finalement, c’est M. Takigawa Satô* a dû qui s’en est recomoccupé. mencer douze fois…
Tu retouches ta couverture ?
M. Takigawa me l’a demandé, alors…
* Le mangaka Masaaki Satô (1937-2004) dessinait aussi pour les éditions Hinomaru-bunko.