Nouvelle Garde de l'art contemporain japonais

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nouvelle garde de l'art contemporain japonais

Sophie Cavaliero © Le Lézard Noir 2011 - All rights reserved Édité par Stéphane Duval Conseiller artistique : Emmanuelle Amiot-Saulnier Traduction du français à l’anglais : Anne Cavarroc Correction : Delphine Dallison (anglais), Anne Cavarroc (français) Préface : Yumi Yamaguchi (traduit de l’anglais par Arthur Tanaka) Postface : Kenji Kubota (traduit du japonais par Hiromi Matsugi) Layout par Noky : nokydesign@gmail.com Maquette : Françoise Braun Couverture : Neo Thousand-Armed Kannon, 2002 © Hisashi Tenmyouya Ouvrage édité avec le concours de la Fondation Franco-Japonaise Sasakawa Le Lézard Noir, BP 294, F-86007 cedex / lezardnoir@wanadoo.fr - www.lezardnoir.org


SOPHIE CAVALIERO


À Maud, Alfred et Pierre.

Remerciements / Thanks A mon mari, Jérôme et mes garçons, Antoine et Jérémy, mes parents Maryvonne et Loïc, ma famille, mes amis Isabelle Mesnil, Anne Clerc Sarraf et Christian Dubreuil, un couple spécial, Atsuko et Motoi Yamamoto. A mon éditeur Stéphane Duval, Françoise Braun et Anne Cavarroc. A Yumi Yamaguchi et Kenji Kubota, Elisabeth Whitelaw et Tasha Seren, Eric Mollet. A tous les artistes cités dans le livre, aux galeries et autres représentans d'artistes : Tomio Koyama, Yuko Nagase, Maiko Ando, Futaba Fujikawa, Satoko Hamada de la Tomio Koyama Gallery, Sueo Mizuma, Miho Osada et Antoine Perrin de la Mizuma Art gallery, Keiji Nishimura et Keicho Kubo de la Nishimura gallery, Mayumi Toyota, Mie Onoe de Mai Miyake office, Amiko Takimoto, Mutsumi Urano et Tomoko Aratani de la galerie ARATANIURANO, Maho Kubota, Fumiko Nagayoshi et Masanori Saito de la galerie SCAI the Bathhouse, Brad Plumb et l’équipe de Kaikai Kiki, Yuichi Mori et Noriko Takeichi de la MORI YU gallery, Ai Hayatsu de la Yuken Teruya Studio, Oscar Oiwa Studio, Yuko Yamamoto et Yayoi Osawa de Yamamoto Gendai Gallery, Tabitha Langton-Lockton et Tommaso Corvi Mora de Corvi Mora Gallery, Laetitia Meyer-Delorme de la Galerie LM D Art, Nico Delaive et Marlies Bolhoven de Galerie Delaive, Alex Daniels de Galerie Alex Daniels – Reflex Amsterdam, Katsuya Ishida de la MEM Gallery, Philippa-Jane Neil, Chika Masuda et Nao Amino de FOIL GALLERY, Christophe et Nathalie Gaillard de la galerie Christophe Gaillard, Johann Nowak de DNA Gallery, Noritoshi Motoda ART-MAMA company, Sawako Fukai de G/P gallery, Megumi Ogita et Minako Yanagida de Megumi Ogita Galler, Yvonne Gómez et Bruce Silverstein de la galerie Bruce Silverstein, Yoshiko Shimada et Akiko Kasuya de TOKUJIN YOSHIOKA INC., Akio Tamura de Akio Tamura Gallery, Kaeko Sawada et Yuko Yokohama de la Maison Hermès, Japon. En particulier à Emmanuelle Amiot-Saulnier et Jean Pigozzi.


SOMMAIRE CONTENTS p. 6

Préface par / Foreword by Yumi Yamaguchi

The as yet undiscovered Japanese Contemporary Art

L'art contemporain japonais : un art à découvrir

p. 10

Introduction

New Generation

Nouvelle Garde

p. 15

Chapitre I / Chapter I

Creating New from the Old

Du neuf avec du vieux

p. 71

Chapitre II / Chapter II

When the Way of the Samurai crosses the Path of the Artist

p. 125

Quand la voie du guerrier croise le chemin de l'artiste Chapitre III / Chapter III

Champignon créatiogène

p. 174

Chapitre IV / Chapter IV

Creatiogenic Mushroom

Femmes au bord de la crise d'identité

p. 231

Chapitre V / Chapter V

From the Motif to the Truth

Women on the Verge of Identity Crisis

Du motif à la vérité

p. 288

Conclusion

La vague

The Wave

p. 294

Postface par / Afterword by Kenji Kubota

Art in Japan after the Seism

p. 300

L'art au Japon après le séisme Annexes / Appendix

SOMMAIRE / CONTENTs

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L'art contemporain japonais : un art à découvrir The As Yet Undiscovered Japanese Contemporary Art

Yumi Yamaguchi 2009

e site artistique de Benesse à Naoshima, qui accueille quatre récipiendaires d’étoiles L au Guide vert Michelin (Naoshima, la Maison

Yumi Yamaguchi est une critique d’art tokyoïte qui écrit pour de nombreuses revues japonaises. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. Yumi Yamaguchi is a Tokyobased art critic who writes on art for a wide variety of Japanese magazines, and is the author of several books on the subject.

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Benesse, le musée d’art Chichu et le Lotissement), se trouve sur une île isolée de la mer intérieure de Seto, à quelque quatre heures d’avion, de train et de bateau de Tokyo. Pourtant cette petite île a été régénérée par l’art contemporain, et est devenue un petit miracle qui attire 400.000 personnes par an – dont 80.000 venue d’Europe ou d’Amérique. J’ai eu la chance de pouvoir interviewer Soichiro Fukutake, président directeur du groupe Benesse et président de la Fondation du musée d’art Naoshima Fukutake. D’après lui, l’art contemporain a injecté un surcroît d’énergie dans une île à la traîne à cause de son isolement, créant ainsi une expérimentation artistique propre au lieu. Il explique que les personnes âgées ont été particulièrement exaltées par cette expérience. Les œuvres contemporaines ont l’art et la manière de réveiller leur public. Cet éveil est précisément ce qui nous donne le courage de nous transformer d’hier à demain. D’après Soichiro Fukutake, c’est la croyance en cette idée qui a poussé la Fondation à tenter l’expérience et à investir d’importantes sommes d’argent dans le projet. Encore peu de gens des lointaines Europe et Amériques savent que de grandes œuvres de Monet sont exposées dans l’île, que des œuvres de James Turrell et de Walter de Maria sont élégamment accrochées côte-àcôte dans un édifice conçu par Tadao Ando. Le projet « Art House Project » transforme les maisons traditionnelles des insulaires en lieux d’exposition où des œuvres de Tatsuo Miyajima, d’Hiroshi Sugimoto et d’Hiroshi Senju attendent tranquillement leurs visiteurs. Des endroits comme Naoshima sont extraordinairement japonais – et parce qu’ils sont si japonais, ils ne lancent pas d’invitations au public mais attendent calmement, passivement, sa venue. En mai 2005, j’ai publié un livre nommé COOL JAPAN – The Exploding Contemporary Arts, dans lequel j’évoquais la « puissance douce » qu’exerce le Japon sur le monde, avec l’animation, le manga, les jeux video, les films, l’architecture, la cuisine et l’art. J’expliquais en quoi ils étaient si attrayants et de quelle manière ils étaient liés par les technologies de la communication. Cette « puissance douce » déborde du Japon. Bien que sa situation économique soit momentanément apathique, le Japon possède toujours un formidable potentiel artistique.

L'art contemporain japonais : un art à découvrir

Dans COOL JAPAN, j’isolais six caractéristiques propres à la culture japonaise : 1. Les Japonais aiment les petites choses (Le Livre de Chevet définit ainsi les petites choses comme de belles choses). 2. Il y a peu de différence entre la culture des adultes et celle de la jeunesse. 3. Tout un chacun est un fin connaisseur. 4. C’est une société presque dénuée de classes sociales. 5. Un amour du rire, de la comédie et de l’humour. 6. Un milieu tolérant des propos multiculturels, notamment quant à la représentation de la violence et de la sexualité. Dame Sei Shonagon mentionnait le premier constat – l’amour des petites choses – dès le Xe siècle dans ses essais rassemblés dans Le Livre de Chevet. La façon dont les lycéennes japonaises font constamment éclater la phrase « Kawaii » (c’est tellement mignon) à la moindre occasion, à la vue de figurines miniatures ou de mini-téléphones portables, n’a probablement pas changé en un millier d’années. Vous pouvez simplement vérifier la véracité du second constat en visitant Tokyo, et en prenant la ligne de métro Yamanote durant la journée. Là, vous verrez jeunes et vieux lisant des mangas, ou jouant sur leurs téléphones portables. C’est également visible dans le fait que les héros de l’animation japonaise sont souvent des enfants qui acquièrent des pouvoirs et protègent le monde des adultes. Je pourrais continuer, mais vous pouvez consulter mon livre pour plus d’exemples. Toujours est-il que la chose à retenir ici est que ces caractéristiques recouvrent celles, spécifiques, de l’art contemporain japonais, et fournissent d’inestimables clefs de compréhension des œuvres. J’ai également écrit un autre livre en 2007, Warriors of Art, cette fois-ci publié en anglais, dans lequel je me concentrais sur les artistes contemporains japonais qui trouvent l’inspiration dans l’animation et le manga. Il y a beaucoup d’artistes fascinants aux œuvres intéressantes dans ce livre. Demeurent cependant beaucoup plus d’artistes au Japon, plus intéressants encore, qui sont pourtant très peu connus. Expliquer cet état de fait demande une connaissance de l’histoire et des problématiques propres au Japon. Les artistes japonais ont en règle générale de bonnes compétences en matière


Fantasy of Marunouchi #1, 2008 Acrylique sur toile / acrylic on canvas Š Ken Hamaguchi Courtesy of MUSUBI

The As Yet Undiscovered Japanese Contemporary Art

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de dessin – non sans raison : l’entrée dans une université d’art comprend un examen qui demande à l’étudiant des heures et des heures de pratique. Il existe même des écoles préparatoires à cet examen, de sorte qu’au moment où les étudiants entrent à l’université, ils ont atteint un niveau qui leur permet de dessiner naturellement à peu près n’importe quoi – de la statue grecque d’Arès à Mona Lisa en passant par la pomme posée sur une table. Pour ces artistes, le geste est presque devenu automatique. Il reste un autre aspect à mentionner : l’esprit de l’artiste japonais a un lien avec la nature et un désir de coexistence qui sont les racines de notre appréhension contemporaine de l’écologie. Au fil de la longue histoire du Japon, les Japonais ont organisé leur vie avec les forêts durant la période préhistorique Jomon, nommée d’après les motifs des poteries de l’époque. Pendant l’ère Jomon, les Japonais vivaient dans les forêts, entre -14.000 et -4.000, soit une durée supérieure à n’importe quelle autre population sur terre. Le culte japonais de la nature s’est consolidé durant cette période. Il est toujours visible aujourd’hui, notamment sous la forme du Temple Ise Jingu. Tous les vingt ans, ce complexe de 90 bâtiments est détruit et remplacé. Cette cérémonie existe depuis 1.300 ans. Parce que le temple entier est reconstruit tous les vingt ans, Ise Jingu n’a pas d’histoire – il est plutôt un processus permanent de création et de destruction. Contrairement aux temples grecs bâtis de marbre et de pierre dans l’espoir qu’ils perdureraient éternellement, le temple Ise Jingu est édifié avec du cyprès japonais. Alors que la pierre et le bronze s’abiment au fil du temps, le temple ne se détériore pas, grâce à son « système d’exploitation » qui commande un remplacement toutes les deux décennies. Il subsistera pour l’éternité, tant qu’il y aura des Japonais pour accomplir sa reconstruction. Je souhaite exprimer ma profonde gratitude et mes respects à la Française Sophie Cavaliero pour l’intérêt profond et constant qu’elle témoigne à l’art contemporain japonais, et pour les moyens importants qu’elle déploie afin de le faire connaître au reste du monde. Au-delà d’artistes déjà reconnus dans le monde, comme Takashi Murakami, Yoshitomo Nara, Yayoi Kusama, Hiroshi Sugimoto et Tatsuo Miyajima, je suis touchée et flattée qu’elle ait choisi des artistes comme Kohei Nawa, Hisaharu Motoda, Naoki Koide, Mai

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Miyake ou Ken Hamaguchi – des artistes qui seront bientôt mieux connus du monde entier. Ce sont des artistes que j’ai aussi présentés dans mes livres, c’est pourquoi j’espère que cet ouvrage permettra de faire émerger de nouveaux amateurs d’art japonais et de nouveaux défenseurs des artistes contemporains japonais. Enfin, j’espère vous rencontrer, vous, lecteurs, un jour, dans un lieu où sera l’art contemporain. • enesse Art Site Naoshima, which houses the 4 spots that received stars from the B ‘Michelin Green Guide Japon’, – ‘Naoshima’,

‘Benesse House’, ‘Chichu Art Museum’ and ‘the Housing Project’ – is on a remarkably remote island on the Seto Inland sea that takes four hours to get to by way of plane, train and ferry from Tokyo. Yet this tiny island has become vitalized by Contemporary Art and has become a miraculous island that draws 400,000 people per annum; 80,000 of them hail from Europe and America. I had the good fortune to interview Soichiro Fukutake who is the Director and Chairman of the Benesse Group as well as the President of the Naoshima Fukutake Art Museum Foundation. According to him, they injected a dose of energy into an island that was lagging behind because of its remoteness through contemporary art, thus creating a sitespecific art experience. He says that the elderly in particular were galvanized by the experience. Works of Contemporary Art have a way of awakening the audience. That very awakening gives us the courage to transform ourselves from yesterday to tomorrow. The belief in this notion allowed the Foundation to experiment and invest vast sums of money in the project, according to Soichiro Fukutake. Still, it is probably not a great number of people in faraway Europe and America who are aware that large Monet works are exhibited on the island, or that works by James Turrell and Walter de Maria (who are rumored to not like one another much) elegantly hang side by side in a building designed by Tadao Ando. The "Art House Project" turns traditional housing for the common people on the island into exhibition spaces, where works by Tatsuo Miyajima, Hiroshi Sugimoto, and Hiroshi Senju quietly await the visitor. Places like Naoshima are extraordinarily Japanese, and because they are so Japanese they do not

L'art contemporain japonais : un art à découvrir

shout out an invitation for an audience, they quietly await the visitor with a passive posture. In May 2005, I had a book by the name of ‘COOL JAPAN - The Exploding Contemporary Arts’ published wherein I explained how Japan was exerting a great deal of ‘Soft Power’ through anime, manga, computer game software, film, architecture, fashion, cuisine, and art, and detailed how attractive they were; as well as how they were all inter-related through communication technology. This ‘Soft Power’ is bursting at the seams in Japan. Even though her economy might temporarily be in the doldrums, Japan still holds a tremendous amount of potential in the rea of the arts. In ‘COOL JAPAN’, I outlined six special characteristic peculiar to Japanese culture. They are as follows: 1. Japanese people like small things. (The Pillow Book lists small things as beautiful things. 2. There is little separation between an adult culture and a juvenile culture. 3. Everybody is a fine connoisseur. 4. It is a society that is close to being without a class system. 5. A love of laughter and comedy and humor 6. A tolerant environment for multicultural things including depictions of violence and sexuality. The Lady Sei Shonagon listed the first item the love of small things - as early as a thousand years ago in her book of essays The Pillow Book. The way Japanese high school girls repeatedly burst with the phrase “kawaii” (It’s so cute) at extremely small things, such as miniature figures or diminutive mobile phones probably hasn’t changed in a thousand years. You can see the second item is true, simply by visiting Tokyo and riding on the Yamanote line during the day. There, you will see young and old alike, reading manga comic books or playing games on their mobile phones. It can also be seen in how the heroes in Japanese Anime are frequently children who acquire special powers and protect the world of adults. I can continue with the list, but you can read my book for further detailed examples. Nonetheless the main point to be drawn from all this is that these characteristics greatly overlap with the special characteristics of Japanese contemporary art, and provide an invaluable perspective in understanding these works.


I also wrote another book in 2007, this time published in English called ‘Warriors of Art’ where I concentrated on Japanese Contemporary artists who drew their inspiration from anime and manga. There are many fascinating artists with interesting works in that book. Yet, there are many, many more interesting fascinating artists in Japan who are not yet widely known. The explanation for that probably requires a little understanding of history and issues unique to Japan. Japanese artists in general have a great deal of skill in dessin, with good reason. There is a practical examination component to arts university entrance exams that demands the student invest endless hours in sketches. They even have special cram schools for this practice and by the time they actually apply for these arts universities, they attain a level where they can draw just about anything by free hand; from a Greek statue of Ares or the Mona Lisa to an apple on the table. It’s almost automatic with these artists.

forever eternity until there are no longer Japanese people to do the rebuilding process. I would like to extend my deepest gratitude and respect to Sophie Cavaliero of France for holding such a deep and abiding interest in contemporary Japanese art as well as going to great lengths to introduce it to the wider world. In addition to artists who are already known around the world such as Takashi Murakami, Yoshitomo Nara, Yayoi Kusama, Hiroshi Sugimoto and Tatsuo Miyajima, I am delighted and flattered to find she has selected artists such as Kohei Nawa, Hisaharu Motoda, Naoki Koide, Mai Miyake and Ken Hamaguchi who are artists who in future, should become better known around the globe. They are artists that I too have introduced in my books so I hope it increases the number of people who are interested in Japanese art and those who would like to support contemporary artists of Japan. Finally I hope to meet you the reader some day, in a place where there is contemporary art… •

There is one more aspect with the spirit of the Japanese artist, which has a connection with nature and a desire for coexistence that hooks in to our present day understanding of ecology. In the long history of Japan, the Japanese people established their coexistence with the forests during the archaeological period known as the Jomon period, named after the rope patterns on the pottery. The Jomon period was between 14,000 to 4,000 BCE during which the Japanese lived in forests. As it turns out, they lived in the forests for much longer than other populations on the planet. The Japanese worship of nature was forged in that period. It still takes shape today in the form of the Ise Jingu Shrine, where they pull down the entire complex of 90 buildings every 20 years and replace them with new ones. This ceremony has been taking place for 1.300 years. Because the entire shrine gets rebuilt every 20 years, Ise Jingu Shrine has no history; rather, it continues a process of creation and destruction. Unlike Greek temples that were built with marble and stone with a hope of enduring forever, the Ise Jungu Shrine is built with Japanese cypress. Where stone and bronze deteriorates over time, the Ise Jingu Shrine never deteriorates because of the ‘operating system’ of complete replacement that takes place every 20 years. It will continue into

The As Yet Undiscovered Japanese Contemporary Art

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INTRODUCTION : Nouvelle garde INTRODUCTION : NEW GENERATION ette aventure éditoriale est née d’un désir de partage, d’un désir de témoigner de C ma passion pour l’art contemporain japonais.

L'auteur et l’œuvre de Yayoi Kusama, île de Naoshima, préfecture de Kagawa, Japon. The author and Yayoi Kusama's artwork, Naoshima Island, Kagawa prefecture, Japan.

Elle est aussi liée à ma forte curiosité pour un ailleurs, au souhait de comprendre cette civilisation de l’autre bout de la planète qu’est le Japon. Le Japon est autre mais également intime, en raison d’années de rêves et de fantasmes sur cette culture. Je souhaitais confronter ma longue rêverie sur ce pays et son art d’aujourd’hui à une pratique de collectionneuse et d’amatrice d’art. Idéalement, ce livre se voudrait être un petit guide à l’usage du collectionneur débutant ou simplement de ces curieux en quête d’initiation. Mettant à profit mon expérience dans le domaine du marché de l’art et ma connaissance personnelle du Japon, il a fallu y confronter les connaissances dispersées qui existent la plupart du temps sous forme de catalogues (souvent disponibles seulement au Japon) ou sur les divers sites Internet existant principalement en japonais, anglais et chinois. Alors que la culture du Japon ancien est connue et fait l’objet de nombreuses études, la plus jeune génération, apparue au tout début du XXIe siècle, est le parent pauvre de l’édition. Une étude préalable du marché international sur dix ans, grâce notamment, à la présence japonaise dans des foires telles qu'Art Basel et Frieze, a permis de définir l’émergence de cette génération nouvelle, sous l’impulsion de Takashi Murakami en particulier. Deux voyages au Japon ont été nécessaires pour m’accoutumer aux usages de la société contemporaine japonaise et pour découvrir toute l’ampleur de cette civilisation. Ils ont été par ailleurs l’occasion de rencontrer un certain nombre de personnages clés du marché de l’art japonais contemporain et de visiter les lieux majeurs de cet art. Ces recherches et voyages m’ont conduite à approfondir la spécificité du marché de l’art nippon et à établir une base de données d’environ 350 artistes, dont une cinquantaine a été retenue ici. J’ai tenté de comprendre la démarche des acteurs de ce marché qui, en pleine bulle économique, font construire de grands musées, développent des galeries d’art contemporain sur le modèle occidental et adaptent leurs pratiques à la tendance internationale.

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NOUVELLE GARDE

Par exemple, il y a clairement une volonté de changement du système de ventes aux enchères, qui, jusque dans les années 1990, fonctionne selon un modèle spécifiquement nippon nommé kokankaï, système en vase clos où l’information sur les ventes est strictement contrôlée, la prise de note étant interdite de même que la publication des résultats de vente. Il est aussi évident qu’une des clés de la réussite du développement et de la diffusion de l’art contemporain japonais est l’existence d’une communication internationale effective, notamment en anglais, de l’actualité artistique et culturelle japonaise, sur des supports médiatiques appropriés : journaux et magazines, littérature et Internet. Deux titres importants s’attellent à cette tâche : Art It, une publication spécialisée bilingue anglais-japonais créée par Tetsuya Ozaki, qui aujourd’hui existe uniquement sous forme numérique, et Art Asia Pacific. Quant à Internet, un certain nombre de pages dédiées à l’art contemporain japonais fleurissent au début du XXIe siècle, telles que Realtokyo, Assembly Language et TAB, ce dernier étant le plus développé à ce jour. TAB – Tokyo Art Beat, est né sous l’impulsion de deux français, Paul Baron et Oliver Thereaux, qui se retrouvent un soir à comparer leurs impressions sur Tokyo et constatent leur difficulté commune à trouver des informations satisfaisantes en anglais sur les expositions, comme il peut en exister dans des villes comme Londres ou Paris avec Time Out. Autre élément nécessaire au développement de l’art contemporain japonais, la création d’une foire d’envergure internationale, appelée tout d’abord NICAF en 1992, puis Art Fair Tokyo à partir de 2005. En 2008, cette foire située au Tokyo International Forum a reçu 43.000 visiteurs en quatre jours, et comprenait des galeries japonaises et internationales. Elle ne présente pas uniquement l’art contemporain japonais mais aussi une large variété d’œuvres anciennes et modernes japonaises. Pourquoi refuser de se concentrer sur le seul art contemporain japonais, et préférer un mélange des périodes et des arts ? La raison n’en est pas uniquement économique – le marché de l’art contemporain japonais étant petit, elle aussi liée aux goûts du public japonais, culturellement « omnivore ». L’Art Fair Tokyo présente peu de


galeries étrangères, la volonté étant de montrer le marché de l’art japonais et non une pâle copie d’une foire occidentale. Comme en Occident, on note la multiplication de foires off – Art@Agnès, Art Osaka, 101 Tokyo – qui présentent de jeunes galeries défrichant la nouvelle génération d’artistes émergents. Dans le même temps se développent de grandes manifestations culturelles, telle la Yokohama Trienal qui présente une série d’expositions internationales d’art contemporain basée sur des thèmes différents à chaque nouvelle édition. Plus locale, mais riche en diversité, la Echigo-Tsumari Art Trienal est plus accessible aux jeunes artistes japonais. Tous ces évènements permettent une plus grande prise de conscience à l’étranger des évolutions de cet art, mais le marché demeure étroit, de l’ordre de la niche, face à d’autres comme le marché chinois. L’art étranger reste la référence pour les collectionneurs japonais et asiatiques, qui vont préférer Monet ou James Turrell à leurs propres artistes. C’est surtout sous l’impulsion de Takashi Murakami que la nouvelle génération d’artistes est mise en avant au niveau international, dans les années 2000, notamment lors d’une série d’expositions itinérantes comme que Superflat (2000) et Little Boy : The Arts of Japan’s Exploding Subculture (2005). Véritable impresario, Takashi Murakami a su faire connaître et valoriser ses œuvres et sa théorie – le « Superflat » – pour mettre en avant un art reconnu internationalement. Je n’ai pourtant pas voulu m’arrêter à cet homme ou à son équipe pour parler de l’art contemporain japonais : suffisamment médiatisé, il ne semble pas nécessiter un autre livre, un autre point de vue. La génération propulsée sur la scène contemporaine grâce au travail de ce maître a très vite gagné son indépendance et ses lettres de noblesse, s’affirmant tantôt dans son ombre, tantôt en réaction. Tout en réunissant cette nouvelle génération sous la forme d’un catalogue dans lequel chacun pourra se promener et trouver un artiste à son goût, il paraissait nécessaire de la lier à une réflexion dépassant la simple énumération, en développant quelques thématiques précises qui ont influencé les artistes et qui sont au cœur de leurs préoccupations. Ces thématiques possèdent un caractère universel tout en ayant

trait spécifiquement à l’histoire du Japon et de sa société. Par contraste avec d’autres pays, ces artistes des années 2000 poursuivent une tradition ancestrale, formelle et technique, tout en intégrant de nouveaux outils, comme les performances ou l’art numérique. L’importance de la pratique artisanale et de la transmission par le maître d’un savoir-faire est toujours présente, moins sous forme d’école que dans la nécessité ressentie de ne pas négliger la qualité de la réalisation et le choix du matériau. Néanmoins, le contenu change et prend en compte des préoccupations centrales de la nouvelle société nippone. Cette attitude peut se révéler parfois troublante par le jeu de faux-semblant, la réinterprétation des matériaux ou des pratiques dans une perspective contemporaine. La violence contemporaine étant trop choquante pour être dénoncée sans précaution, le recours aux formes passées semble être un moyen de mieux affronter le présent. D’autres formes populaires, telles que l’anime, peuvent intervenir dans cette mise à distance du contemporain. L’origine de cette violence est à chercher dans l’évènement le plus marquant du XXe siècle : l’explosion des deux bombes atomiques, qui font éclater les questions du nucléaire, de l’Holocauste et de la survie de l’humanité, et ouvrent la discussion artistique sur l’écologie, l’avenir de la planète et des générations futures. La forme du champignon est devenue aujourd’hui une forme très importante dans la création contemporaine japonaise, primordiale comme peuvent l’être le carré ou le cercle en Occident. Après avoir été synonyme de mort, le champignon est devenu symbole de création et de revitalisation. Dans cette reconstruction d’une société, les artistes vont se pencher particulièrement sur le statut qu’elle accorde à la femme, dont l’évolution est rendue possible grâce à celle de l’artiste femme. Poursuivant leur définition d’une identité, les artistes accordent une importance particulière au motif décoratif, qui n’est pas à prendre au sens péjoratif et occidental du terme, mais dans une acception essentielle toute nippone, celle d'une culture qui n’a jamais séparé les arts appliqués des Beaux-arts. Ce choix d’une cinquantaine d’artistes sert donc un propos précis ; il occasionne de nécessaires oublis, mais crée une vue d’ensemble qui permet de mieux caractériser cette génération post-Murakami.

C’est ainsi l’amorce d’un voyage qui peut se poursuivre au Japon même, ou en galerie, dans l’espoir d’encourager, de soutenir et de prendre part à cette ouverture de l’art japonais au marché occidental. •

his book venture first originated from a desire to share my passion for contemT porary Japanese art. It is also bound to this

burning curiosity I have for alien places and my wish to understand this civilization which evolved at the other end of the world. Japan to me is both strange and intimate, due to the years spent dreaming and fantasizing about its culture. I now wish to conciliate this longrunning day dream about the country and its art to the hard-nosed practice of art collecting. Hopefully, this book will soon become an introductory guide to all novice art collectors or to art amateurs seeking initiation. It draws on my professional experience of the art market and my personal knowledge of Japan. I also gathered research from exhibition catalogues (usually only published in Japanese) and from a variety of Japanese, English and Chinese websites specialised in this particular topic. While traditional Japanese culture is well known and has been the subject of many studies, the younger artists’ generation which appeared at the start of the 21st century seems surprisingly neglected. A preliminary study based on the international art market covering a 10 year period was conducted thanks to Japanese representatives in art fairs such as Art Basel and Frieze and allowed us to pinpoint the emergence of this new generation, notably led by Takashi Murakami. It took two trips to Japan for me to familiarise myself with contemporary Japanese customs, and discover its civilization. I also had the opportunity to meet several key professionals from the local art market as well as visit all the major Japanese contemporary art venues. All this research and travelling led me to a much deeper understanding the idiosyncrasies of the Japanese art market, after which I finally created a database of 350 artists, from which I selected 50 to present in this book. I’ve also tried to understand the vision of the current protagonists

NEW GENERATION

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