Tonoharu

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Part One

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Tônoharu © 2008-2010 Lars Martinson © Le Lézard Noir pour l’édition française 2011 Tous droits réservés Édité par Stéphane Duval Traduction de l’anglais (américain) : Anne Cavarroc Introduction : Claude Leblanc Mise en page : Françoise Braun Couverture : nokydesign@gmail.com Le Lézard Noir, BP 294, F-86007 Poitiers Cedex lezardnoir@wanadoo.fr . www.lezardnoir.org


Il y a quelques jours, mon superviseur m’a parlé de renouveler mon contrat pour une année supplémentaire.

Il me restait un mois pour décider, mais il voulait pouvoir faire les papiers en avance si j’avais déjà fait mon choix.

Je lui ai répondu que j’y réfléchissais encore, mais que j’essaierai de lui donner une réponse d’ici une semaine ou deux.

Après son départ, j’ai pris un calendrier et fait le calcul : je suis au Japon depuis presque huit mois maintenant.

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D’une certaine manière, je savais que c’était à peu près ça, mais c’était étrange d’avoir un chiffre exact.

Dès fois j’ai l’impression de n’être là que depuis quelques semaines. À d’autres moments, j’ai l’impression que ça fait des années.

Je n’imaginais pas que le passage du temps puisse être si nuancé avant de vivre ici.

Mais j’en suis venu à remettre en cause beaucoup d’autres choses que je tenais pour acquises.

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Par exemple, renouveler mon contrat. Je pensais avoir tout prévu : deux renouvellements pour un total de trois ans.

J’aurais laissé un souvenir impérissable : bilinguisme parfait, des élèves et des collègues admiratifs, un programme révolutionné…

Je pense qu’il y avait déjà à ce moment-là des indices que ça ne se passerait pas aussi bien.

Mon prédécesseur par exemple. Ça paraît évident aujourd’hui.

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Il y avait cette hésitation à évoquer de son séjour, le fait qu’il démissionne au bout d’un an seulement, ou encore cet air défaitiste qu’il avait en permanence…

Lors de sa dernière nuit au Japon, il m’a juré que les raisons de son départ étaient personnelles, et qu’elles n’avaient rien à voir avec le poste dont j’héritais.

À ce moment-là, je n’ai pas pensé qu’il essayait de ne pas me décourager. Maintenant, je me demande…

Mais j’imagine probablement des choses. J’ai beaucoup de temps pour penser ici.

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Je travaille comme professeur assistant d’anglais dans un collège.

Mon « assistance » dépend largement du bon vouloir des six professeurs avec lesquels je travaille.

D’un côté il y a Monsieur Sato. C’est un professeur passionné, et une des personnes les plus sympathiques que j’ai jamais rencontrées.

Il me fait participer à ses cours dès qu’il peut, et il est toujours ouvert à de nouveaux projets. Un type super.

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À l’opposée de Monsieur Sato, il y a Mademoiselle Mori. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un qui fasse autant d’efforts pour m’éviter.

C’est la seule à ne pas être venue à la fête de bienvenue – elle m’évite littéralement depuis le début.

Elle a annulé trois de mes interventions dans ses cours, toujours avec la même excuse : « j’ai besoin de me concentrer sur le manuel ».

Les quatre autres professeurs sont entre les deux. Ils me parlent et me font intervenir dans leurs classes, mais seulement dans la mesure où ils sont obligés de le faire.

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Le travail est assez facile. L’annonce disait : « aucune expérience ni diplôme requis ».

Un temps partiel suffirait pour ce boulot. J’ai rarement plus de deux ou trois heures de travail par jour.

« avoir »

avoir

J’ai arrêté de faire semblant de travailler depuis longtemps. Je pourrais installer un hamac dans la salle des professeurs sans que personne ne bronche.

Tout le monde se fiche de ce que je fais, tant que je suis présent huit heures par jour.

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Mes amis ne comprennent pas pourquoi je veux partir.

La plupart d’entre eux travaille dur pour une misère – je peux comprendre que ça ait l’air d’un boulot de rêve.

Bonne paie, pas de stress, beaucoup de temps libre… Sur le papier, c’est parfait.

Mais la réalité est différente. Il faut savoir lire entre les lignes.

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Par exemple, ne jamais comprendre ce qui se passe devient vite pénible.

Après huit mois à suer sang et eau, je parle Japonais comme un homme des cavernes.

« papier toilette »

Mais même la conversation la plus banale demande plus de finesse que ça. Les nuances d’une discussion sont effroyablement complexes à saisir.

Si je veux parler de la pluie ou du beau temps, je peux grogner quelque chose qui sera compris.

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