Auguste Choisy - Mise en évidence par l’absence

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AUGUSTE CHOISY & LE PANTHEON D'AGRIPPA De la mise en évidence par l’absence. †



« J’étais remonté pour la structure même de l’édifice aux temps primitifs et fabuleux de Rome, aux temples ronds de l’Etrurie antique. J’avais voulu que ce sanctuaire de tous les dieux reproduisît la forme du globe terrestre et de la sphère stellaire, du globe où se renferment toutes les semences du feu éternel, de la sphère creuse qui contient tout. C était aussi la forme de ces huttes ancestrales où la fumée des plus anciens foyers humains s échappait par un orifice situé au faîte. La coupole construite d’une lave dure et légère, qui semblait participer encore au mouvement ascendant des flammes, communiquait avec le ciel par un grand trou alternativement noir et bleu. Ce temple ouvert et secret était conçu comme un cadran solaire. Les heures tournaient en rond sur ces caissons soigneusement polis par les artisans grecs ; le disque du jour y resterait suspendu comme un bouclier d’or ; la pluie formerait sur le pavement une flaque pure ; la prière s’échapperait comme une fumée vers ce vide où nous mettons les dieux. »

Le Panthéon - Texte extrait de “ Les Mémoires d’Hadrien” de Marguerite Yourcenar


PIRANESI, Giovanni Battista. «Veduta del Pantheon d’Agrippa». 1761. Metropolitan Museum of Art, New York.


Introduction Auguste Choisy (1814-1909) est un ingénieur ayant étudié à l’Ecole Polytechnique et à l’Ecole des Ponts et Chaussé. A la fin de ses étudess il voyagea à Rome pour y découvrir l’architecture de l’Antiquité Romaine. Choisy s’intéressera aux systèmes constructifs et structurels de la Rome antique plutôt qu’à leurs système de compositions. Cette approche est certainement due à sa sensibilité d’ingénieur acquise durant son enseignement.1 2 Le Panthéon d’Agrippa est un édifice religieux situé sur la piazza della Rotonda à Rome, bâti sur ordre d’Agrippa au Ier siècle av. J.-C., endommagé par plusieurs incendies, et entièrement reconstruit sous Hadrien au début du IIe siècle. A l’origine, le Panthéon était un temple dédié à toutes les divinités de la religion antique. Il fut convertit en église chrétienne au VIIe siècle. Il s’agit du plus grand monument romain antique qui nous soit parvenu en état pratiquement intact, du fait de son utilisation ininterrompue jusqu’à nous jours. Le Panthéon supporte la plus grande coupole de toute l’Antiquité avec 43,30 m de diamètre à l’intérieur, qui reste la plus grande du monde en béton non-armé. Après presque deux millénaires, cette construction remarquable ne présente pas de signe de faiblesse de sa structure, en dépit des mutilation volontaire et des mouvement telluriques répétés.2 2 L’article ci-dessous s’attachera d’abord a analyser la planche d’Auguste Choisy selon une grille de lecture essentiellement graphique et s’attachera à des sujets tels que la texture et la matérialité de la représentation, les procédés intelligibilités ou encore le dessin de végétation et sa relation au contexte historique. Ensuite, ce dessin et les informations qu’il dévoile seront mis en relation avec des représentations issues de traités d’auteurs ayant travaillé sur le sujet notamment Giovanni Battista Piranesi (1720-1778), Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) et Josef Durm (1837-1919). Enfin, nous questionnerons plus le signification, l’intérêt et l’outil de compréhension qui nous est offert par Choisy au travers de sa représentation du Panthéon. Nous y aborderons des thématiques tels que le point de vue choisi et le sens donné à cette gravure.

1 MANDOUL, Thierry. « Entre raison et utopie. L’Histoire de l’Architecture d’Auguste Choisy », 22-24. Wavre: Mardaga Editions, 2008. 2ANDREAE,Bernard. «L’art de l’ancienne Rome »,dans L’antiquité classique, Tome 46, fasc. 2, 1977. pp. 690-692.

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Gradation texturée

Au premier regard on pourrait croire qu’il s’agit d’un rayon de soleil qui brûle la texture du revêtement extérieur du Panthéon sur son côté droit, ou encore cela pourrait être une mise en scène romantique montrant le bâtiment à l’état de ruine. En regardant plus attentivement, nous pouvons nous rendre compte que l’image suis une progression du détaille de la gauche vers la droite ainsi qu’une accumulation de trait formant une texture et dévoilant petit à petit la matérialité de la façade et des arches qui la compose. Cet ajout séquentiel de matière est appuyé sur la partie supérieur par une décomposition du système constructif de la corniche. Le bandeau apparait s’en suit les corbeaux qui porte en saillie la tablette venant alors s’y poser. Enfin,un travail d’ombrage est effectué sur toute les partie intérieurs et il ne semble pas qu’il y aie une progression au niveau de ce détail, l’ombrage est partout homogène. Par ce système, Choisy décompose l’image en une successio, de séque,ce expliquant l’objet et en passant d’une vision techniciste et abstrait à une imagerie beaucoup plus sensible et réaliste.

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Soustraction & découpe

Afin de rendre cette cavalière intelligible, Choisy soustrait deux éléments types de la façade sous une grande et un petite arcade. Ce procédé nous offre alors une vue intérieur des déambulatoires existant et des structures qui soutiennent la coupole. Bien sûr, ces éléments structurels pourraitent être visibles en coupe, notamment celles produites par Josef Durm (fig.10, p.5) mais l’axonométrie permet une plus grande compréhension volumétrique. Enfin, dans cette partie un fait intéressant est la volonté de Choisy de nous laisser des indices quant à ses opérations, en y regardant bien, on peut se rendre compte que sur l’arcade située à l’extrémité gauche (fig.1), l’auteur trace déja les traits de découpe qui laisseront suggérer les interventions suivantes. Ensuite à l’endroit des parties soustraites, Auguste Choisy se sert de retraits (fig.2,3) qui laisse suggérer la trace d’un éléments disparu et permetà notre cerveau de la reconstituer.

(fig.1)

(fig.2) 3

(fig.3)


(fig.4)

(fig.5)

(fig.4) Studio Fratelli d’ ALESSANDRI . «Pantheon». 1850. Rome. (fig.5) PIRANESI, Giovanni Battista. «Veduta del Pantheon d’Agrippa». Volume. I de Antichita Romane ,1761. Metropolitan Museum of Art, New York.


Végétation romantique

Ici, nous nous interresserons à un détail qui pourrait paraitre anodin mais qui je le pense peut soulever des questions, je parle bien sûr de la végétation représentée en haut à gauche de la toiture. Ce genre de fantaisie peut paraitre surprenant de la part d’un ingénieur réalisant des axonométries structurelles explicatives. Cette prise de liberté est très intéressante, en effet si l’on regarde rapidement des photographies du Pantheon à l’époque d’Auguste Choisy (fig.4) on peut constater qu’il est en bon état et ne semble pas abandonné comme voudrait le suggérer les branchages situés au dessus de la gravure. De plus, nous savons que Choisy n’a pas visité le Panthéon1 pour la réalisation de son traité, mais qu’il a eu accès aux représentations de Piranesi réalisées durant une période de réparation de la voûte du Panthéon sous le pontificat de Benoit XIV ( 1675-1758 ) et notamment à cette vue d’époque extérieur (fig.5) . Nous pouvons donc émettre l’hypothèse que ces végétations sont une prise de liberté sensible effectué par Choisy dans cette gravure et non une retranscription de la réalité du bâtiment à son époque.

(fig.6)

1 “Pour rester entièrement fidèle à la règle que je m’imposée, de faire connaitre la construction antique par l’observation personnelle des monuments, je devrais peut-être garder le silence sur la coupole du Panthéon; car cette voûte, enduite d’un stuc épais, n’offre pour nous qu’une série régulière de caisson, sans aucun indices apparent d’ossature.-J’essayerai, toutefois, à raison de l’importance du monument, de m’aider ici d’un témoignage étranger. Piranesi a trouvé, lors des réparations faites à la voûte sous le pontificat de Benoit XIV, une occasion d’en étudier les détails. Les enduits, en partie usés par le temps, durent être arrachés sur plusieurs points et refait à neuf;(... )Piranesi, qui s’était proposé de sauver par ses dessins les vestiges de l’ancienne Rome, profita de cet ingénieux appareil pour observer les moindres détails de la coupole; dont il pouvait parcourir la surface intérieur.” CHOISY,Auguste.« L’architecture et l’art de bâtir».1873

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(fig.7)

(fig.9)

(fig.8)

(fig.10)


Contexte & auteurs

Une brève lecture transversale des auteurs ayant traité du Panthéon dans leurs ouvrages, pourrait nous éclairer quant à la pierre posée par l’auteur à la compréhension de cette édifice. Au fil du temps de nombreux auteurs se sont intérressés au Panthéon de Rome, je ne m’attarderai pas ici sur des auteurs notables tel qu’Andrea Palladio ou Sebastiono Serlio car leurs représentations de l’ouvrage romain sont d’un point de vue technique et structurel relativement pauvre. Je parlerai donc de Giovanni Battista Piranesi, Eugène Viollet-le-Duc et Josef Durm, qui avec une grande profusion de dessin de différentes époque (que je ne pourrai malheureusement tous présenter ici) ont permis je pense de nourrir Auguste Choisy et sa connaissance du Panthéon. D’abord Piranesi, il est selon moi le premier maillon de la chaîne, celui qui a pu observer et décrire graphiquement la structure lors d’une rénovation. Ses documents (fig.7) ont été récupérés par les autres auteurs et amélioré en fonction des besoins (fig.8). Ensuite Viollet-le-Duc, il s’est majoritairement intéressé à la coupole du Panthéon et au système de construction notamment les caissons et les arcs de décharges dans son “Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle” (fig.8-9). Enfin l’allemand Josef Durm, il est le seul à être légèrement postérieur à Auguste Choisy et à avoir rédiger son “Die Baukunst der Römer” en 1885. Qui semble à première vue être une version de “L’art de bâtir chez les Romains” plus complète car s’appropriant abondamment les représentations des auteurs pré-cités. (fig.10)

(fig.7)PIRANESI, Giovanni Battista. “Demonstration de la machine mobile inventée pour travailler dans la partie intérieur du panthéon”. (fig.8) VIOLLET-LE-DUC, Eugène. “Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle”p.473, Édition BANCE — MOREL de 1854 à 1868 (fig.9)Idem (fig.10)DURM,Josef. “Die Baukunst der Römer”.Alfred Kröner verlag in Stutgart ,1905.

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(fig.11)

(fig.12)


Descente de charge

Après un passage en revue de ces auteurs et de leur production graphique et écrite, nous pouvons commencer à nous rendre compte d’une chose. La gravure d’Auguste Choisy nous raconte une histoire, l’histoire du fonctionnement de la coupole du Panthéon et de son oculus sans jamais les montrer ni même suggérer. Lorsque l’on regarde chez ses prédécesseurs elle est abordée sous tous les angles et décomposée de toute les manière. On peut supposer qu’il s’agit d’une volontée bien assumée de ne pas chercher à répéter ce qui aurait déjà été dit, ou bien de mettre en évidence ce qui pour lui a la plus grande importance: Les éléments de structure réels qui supporte ce dôme, et comment les éléments se mettent en place harmonieusement pour garder cet ouvrage millénaire sur pied. Comme montrée sur la figure 11. l’élément mis en sous le feu des projecteurs est le couronnement du niveau inférieur de la coupole, cette partie est composée d’arcs de grandes et petites tailles disposées de manière alternée (fig.12). Sur ces arcs alternés viennent s’appuyer perpendiculairement les contreforts qui reprennent les charges de la coupole.

(fig.11)PIRANESI, Giovanni Battista. “Partie arrière du Panthéon accolé aux Thermes d’Agrippa”. Modifié par l’auteur.

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(fig.13)

(fig.14)


Prise de vue Dans la continuité du choix de l’auteur d’occulter toute vision d’un dôme, j’ai donc rechercher l’emplace quasi exact de la coupe horizontal définissant la planche XIII. Elle se trouve à l’intesection exact du sol et des murs du ceinturage, cet endroit précis est justifié car on ne peut pas percevoir sur l’arête intérieure une trace de caisson dentelé, comme on peut par exemple en voir sur la figure 14. Ce stratagème visant à ignorer l’existence d’une coupole en second plan sur l’axonométrie produit une image mentale surréelle, en ajoutant à cela le choix de ne montrer qu’un quart de Panthéon, cela peut nous donner l’impression de voir un objet sculptural en apesanteur se déplacer d’un côté à l’autre de la planche. Peut-être cette décontextualisation était voulue par Choisy pour nous faire regarder et comprendre cet objet sans préjugés aucun et ainsi nous offrir une meilleur vision de son fonctionnement.

(fig.13)PIRANESI, Giovanni Battista. “Coupe transversale du Panthéon”. Modifié par l’auteur. (fig.14)PIRANESI, Giovanni Battista. “Plan de plafond et de toiture du Panthéon”. Modifié par l’auteur.

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