Ludi-Club

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Camel Toe Edition, 2019 llustrations avec Madalena Santos Pires Lourenço Lopes Merci aux ayants droits des documents publiÊs.


LUDI-CLUB

Léo RAPHAËL


" On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or si elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S’il n’y a pas changement d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination, il n’y a pas d’action imaginante." Bachelard Gaston, L’air et les songes, éditions José Corti, 1943.


Dans l’Etat actuel des choses, nous avons tous besoin d’argent pour vivre, et nous travaillons pour l’argent. Mais généralement ce que nous faisons pour l’argent doit aussi servir à nous accomplir et à nous enorgueillir, l’importance attachée aux activités extraprofessionnelles et aux vacances est là pour en témoigner. Ainsi il existe deux manières de vivre: " - Essayer de transformer ses motifs de satisfaction en revenu. C’est à dire vendre sur le marché ses capacités naturelles et volontaires, sachant que les acheteurs y auront un interêt, économique ou culturel. Si l’on prend les artistes, écrivains, sportifs, CIO, DRH ils vendent leurs compétences qui sont aussi leur fierté. Ce sont les mêmes qui trouvent interêt à leur profession, bénéficient de revenus élevés, jouissent de loisirs véritablement reposants et épanouissants, ont appris à apprécier les arts et la culture, et profitent des honneurs et de la respectabilité. - La seconde option est de travailler suffisamment pour s’offrir le luxe de loisirs en dehors des horaires de labeur. C’est à dire trouver en dehors du travail de véritables satisfactions, et une image plus noble de soi-même, aussi riche que celle que les quelques privilégiés cités plus haut trouvent dans l’exercice de leur métier. Ce sont les mêmes qui s’épuisent à des tâches pénibles et monotones, se lèvent tôt et rentrent tard, se débattent dans des difficultés économiques sans fin et savent aussi mal profiter de leurs vacances (loins de faire oublier le poids du travail) que des facilités de se distraire et se cultiver qui leur sont proposées." ¹

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Afin d’éviter tout amalgame il est néanmoins indispensable de nuancer le spectre beaucoup plus complexe de l’entreprise et des désirs individuels du salarié avec toujours le rapport travail/loisir comme variable: " Il est tout aussi légitime de trouver satisfaction dans la poursuite d’une carrière, la recherche des honneurs, ou la course à l’argent, que dans la quête de sécurité, quiétude, de dépaysement ou de travaux sans responsabilité. Pourquoi donc empêcher les uns de consacrer toute leur énergie et tout leur enthousiasme à leurs tâches monotones et pourquoi priver les autres de l’orgueil qu’ils ont à gravir les échelons de la hiérarchie et de la notoriété en sacrifiant toute chance de joie ou de repos étrangère à cette seule ambition? Pourquoi les uns ne préfèreraientils pas faire un métier pénible, mais bien payé, plutôt que de s’ennuyer dans un travail monotone et insuffisamment rémunéré? Pourquoi d’autres au contraire ne paieraient-ils pas de renoncements financiers le plaisir de se livrer à des travaux passionnants ou d’assumer des responsabilités exaltantes." ²

"Le but du futur est le chômage total. Ainsi nous pourrons jouer. " Clarke Arthur, Interview conducted by Gene Youngblood, 1969

Nous ne pouvons plus, aujourd’hui, refuser d’envisager l’extinction du travail salarié comme l’horizon d’un futur possible. On sait depuis bien longtemps que la robotisation est entrée en concurrence avec l’homme pour l’ensemble des tâches répétitives, les bras articulés ne se contentant plus de seconder l’homme mais s’y substituant. On se doute moins que petit à petit les cols blancs subiront le même sort que les cols bleus avant eux. Au fur et à mesure des progrès de l’intelligence artificielle, les automates et autres programmes numériques s’accaparent les emplois qualifiés qui exigeaient il y a peu de temps de nombreux diplômes.


Il existe déjà des robots journalistes dont les algorithmes aspirent en temps réel des informations sur le net, les recoupent, et retransmettent en direct les actualités financières et sportives. Dans un univers digitalisé et automatisé où le travail se raréfie, l’arrivée des humanoïdes va précipiter le chômage technique jusqu’à l’étape ultime du chômage total. " Ne subsistera que l’élite dont les tâches à très haute valeur ajoutée requièrent la créativité, la sensibilité et l’imprédictibilité humaine. La condition paradoxale de ces 20% de mains d’oeuvres, c’est qu’ils travailleront 120 heures par semaine, dotés d’un ordinateur portable/ smartphone leur permettant de travailler partout et tout le temps. Nous sommes arrivé à la fin du partage du temps de travail, les corvées ayant été confisquées par une infime partie de la population méritocrate. On tourne la page du salariat et une nouvelle organisation sociale se dessine. L’oligarchie créative, protégée dans des think-tank aux allures de bunker, concentre la richesse et décide du pouvoir d’achat d’une armée de chômeurs assouvissant gratuitement leurs besoins essentiels et disposant de loisirs gratuits. Certains services resteront réservés à une partie de la population en échange de contrepartie numériques. Une prime de transparence sera payée aux internautes prêts à échanger leurs données personnelles. Les big datas ont fondu en un seul les temps du travail, du repos, et des loisirs autrefois différenciés. Serait-ce là le bonheur sans idéal, sans effort, sans souffrance et ... sans horizon que décrivait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarasoustra." ³

Ou est-ce au contraire la promesse de retrouver enfin la sérénité des disciples de Socrate, le plus grand des oisifs?

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C’est folie que l’amour du travail, la passion moribonde du travail poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. Travaillez, travaillez prolétaires pour agrandir la fortune sociale et vos misères individuelles. Travaillez, travaillez pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons pour travailler, et d’être misérables, telle est la loi inexorable de la production capitaliste. Lafargue Paul, Droit à la paresse, 1880

Les nombreux détracteurs de ce nouveau contrat social de "l’Homme Vacant" prétendent que l’automatisation de la société crée des emplois, désormais plus dignes de l’être humain, dont l’esprit restera indispensable pour surveiller, entretenir, et surtout inventer de nouvelles machines. Ils prétendent qu'il restera toujours des besognes d’exécution ou de conception qu’aucun outil, même très sophistiqué, ne pourra mener à bien. Les statistiques d’emploi sont en effet unanimes à montrer que, si le progrès des techniques entraîne indéniablement une diminution du personnel, il provoque aussi obligatoirement des créations de poste, au stade de l’étude, du contrôle, de la gestion et de la distribution. Dans le secteur tertiaire comme dans le secteur secondaire, chaque nouvel allégement de la contribution humaine à l’achèvement du produit fini (objet ou décision) se trouve peu à peu compensé par les fonctions nouvelles qui naîtraient en amont ou en aval de cette opération. Cette théorie est audible, mais ne fait que survoler les raisons qui vont pousser à la fin du salariat. Le chômage total est avant tout le résultat de la marchandisation du travail, sous le joug de la loi de l’offre et de la demande, le travailleur étant constamment menacé par des objectifs de rentabilité et de productivité, que remplissent aisément et sans pause les concurrents automatisés de l’industrie et des services. Ce qui est bien plus probable c’est la démarchandisation de l’activité humaine. Nous sommes tous d’accord pour dire que la fin du travail salarié n’impose pas la fin de toute activité. Le revenu universel donnerait au contraire enfin la valeur de travail aux réalisations informelles, communautaires ou pédagogiques, volontaires et sociales.


Un autre regard, plus cynique, porté sur le revenu universel prouve qu’il est la preuve incontestable de la résilience du système néolibéral confronté au chômage total imminent (comme le montre l’interêt qu’il suscite dans les entreprises de la Silicon Valley). Cet ajustement judicieux et paternaliste de l’impôt, permettrait en effet de redistribuer suffisamment (au minimum donc), les profits pour préserver la consommation de la foule, devenue inactive. L’abondance des produits doit être garantie par l’achat compulsif de ceux-là même qui ont été remplacés par la machine, et leur utilisation génèrent des données intarissables sur les usagers à forte valeur d’échange marchande autant publicitaire que disciplinaire (R.G. prédictif et présomption de culpabilité). La gratuité ne sera plus l’exception mais la norme, où le travail sera réservé à une élite abusivement rémunérée et où la majorité de la population éjectée du travail par la robotisation sera livrée à une douce vacuité entretenue par un revenu minimum garanti en contrepartie d’une connexion permanente. À juste titre, la classe dirigeante rattachée à l’oligarchie considère qu’au fond nous n’appartenons plus à la même espèce. Le revenu minimum permettrait ainsi d’offrir les moyens de subsistance de la majorité à la limite de la pauvreté, destinés à éteindre tous sentiment de révolte par une dépendance accrue aux ressources généreusement offertes par la classe dominante, on peut penser aux distributions de tablettes dans les établissements scolaires. Mais à qui profite-donc ce revenu minimum? Ce qui est sûr c’est qu’objectivement, il offre plus de temps libre, et donc un environnement plus propice à débattre de notre condition sociale et d’y envisager les possibilités d’une émancipations collectives -ou bien de se rendre complice de notre propre aliénation.

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Dans certaines communautés demeurées «sauvages» les hommes semblent se complaire à ne rien faire sans difficulté apparente, c’est simplement parce que leurs besoins sont restés très modestes et parce que depuis longtemps existait un partage entre les tâches. Mead Margaret dans «L’allergie au travail» de Rousselet, 1974

Tant que demeurait vivace le souvenir des restrictions du temps de guerre et l’attrait des nouveaux gadgets, aucune arrière pensée ne venait ternir la joie de profiter d’une existence plus facile et plus confortable. Mais voilà qu’une génération née dans la prolifération, une cuillère dorée dans la bouche, se soucie des inconvénients (origine/conséquence) des conquêtes matérielles et autres instruments autrefois unanimement défendues comme sources d’évasion et de libération. Mais l’interêt croissant quant à la dégradation de notre propre environnement et de notre nourriture (les techniques modernes d’agriculture et d’élevage sont accusées de dénaturer l’alimentation) trahit la sensibilité à l’égard d’un héritage naturel à transmettre intact à ses propres enfants. Qu’elles soient le fruit d’une éducation plus attentive aux problèmes d’écologie ou qu’elles reflètent une réaction biologique de défense contre une agression climatique de plus en plus insupportable, ces préoccupations environnementales débouchent elles aussi sur une contestation de la valeur "Travail" traditionnelle. Ayant survalorisé le rôle de domination complète de l’homme sur la nature, permettant de bénéficier de la richesse et du bonheur en contrepartie d’un travail permanent, le dogme progressiste du capitalisme néolibéral est mis en accusation. L’idéologie de la décroissance se répand, radicalement opposée au capital et à l’instrumentalisation de l’homme par la performance, l’accumulation, le gaspillage et le recyclage de biens ⁴ . Elle demeure marginalisée et fortement censurée par les quatre pouvoirs de l’oligarchie libérale: par le pouvoir politique d’abord à travers un consensus lobbyiste


européen, le pouvoir économique et financier d’autre part promettant plus de mondialisation, le pouvoir médiatique en bon chien de garde de l’ordre établi (on a vu réapparaître récemment la vieille expression rouge-brune éliminant toute possibilité de, ne serait-ce qu'évoquer l'existence d'une alternative), et enfin le pouvoir judiciaire et administratif criminalisant l’activisme. Beaucoup de nos contemporains commencent pourtant à refuser une image du bonheur trop complaisamment confondue avec celle d’un niveau de consommation élevé ou celle d’une accumulation d’ustensiles et de services informatiques. Le doute se fait sentir quand à l’intérêt public d’une politique de valorisation des inégalités et du privilège du succès pécuniaire, selon OXFAM,1% de la population mondiale concentre plus de la moitié des richesses. Même les médias publics, financés par le contribuable, n’apparaissent plus que comme des facteurs de conditionnement idéologique et d’abrutissement, les éditorialiste ne prenant même plus la peine d’émettre un quelconque doute quant à la propagande libérale, les médias privés, eux, défendant naturellement les intérêts de leurs actionnaires. Face à la critique on entend les journalistes dire se sentir libres, sans se douter que leur sélection est le fruit d’une ségrégation idéologique à l’embauche. Seuls quelques guignols sont tolérés sur les plateaux dont le temps de parole ne permet aucun développement d’opinion, ou dont les calembours gauchistes permettent de justifier une pseudo-impartialité de la chaîne. "Plus les princes qui nous dirigent croient maîtriser l’économie à travers leurs ordinateurs et l’opinion publique à travers les moyens d’information, et plus ils sont tentés de mépriser les réactions psychologiques individuelles ou collectives qu’ils ont tendance à ne considérer que comme des épiphénomènes affectifs et illogiques."⁵

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L’arrogance, en plus de l’inertie des représentant politiques et autres pouvoir publiques reflètent leurs connivences et leurs propres interêts défendus par des courbes de croissances et autres instrumentalisations de chiffres de sondage certifiés PIB © et baisse du chômage ™. Seuls subsistent des start(s)-up faisant la promotion du développement durable: sauver la planète tout en maintenant la croissance économique et en réclamant encore plus de mondialisation. Tout un programme... Il est vrai que les lois de la psychologie et de la biologie veulent que les besoins de l’Homme augmentent toujours plus vite que les satisfactions qui leurs sont accordées. Est-il donc impossible d’attendre un jour de la sagesse des hommes une quelconque pause dans leur quête incessante de biens et de joies, et cela quelle que soient l’opulence et la félicité des sociétés futures? Ne rien faire est la chose la plus difficile au monde. Wilde Oscar, The Picture of Dorian Gray, 1891

Le modèle de la réussite "par et dans" le travail (souvent confondu avec le modèle allemand) est la seule image promulguée par les médias de masse, car si il avait été culturellement acceptable de ne rien faire, depuis l’enfance, alors nous aurions appris comment le faire. L’éducation sur la manière de ne rien faire représente l’avant garde pédagogique agissant à la source du conditionnement idéologique de concurrence, jalousie et performance que l’on nous rabâche à l’école républicaine. Les expressions telles que fainéant, glandeur, permettent de culpabiliser une grande partie de la population afin de leur éviter le pécher de paresse. Se débarrasser de cette culpabilité c’est s’émanciper de la domination de la morale productiviste. L’utilité d’un individu ayant été dictée pendant si longtemps selon ses chiffres de rentabilité lors de longues réunions


d’évaluation mensuelles, combien de temps faudra t-il à l’Homme pour qu’il se débarrasse de ce sentiment de honte qui le traverse après son licenciement. Les jours qui se suivent et se ressemblent, être assis à ne rien faire... temps suspendu dans les limbes de l’inutile. Comment faire l’éloge d’un individu "bayant aux corneilles à ne rien faire" n’exerçant aucun métier déçent ni profession officielle? Nos dirigeants ont pour cela bien entendu promu le mot "loisir" en l’investissant de fonctions aussi respectables que le divertissement, le délassement, et le développement, pour que le non-travail, au fil des progrès de la législation sociale, ne puisse en aucun cas être confondu avec l’oisiveté, mère des vices. " Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi. Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. "⁶

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Dans ces conditions, est-ce que le risque de la lucidité ne serait pas de choisir l’oisiveté ? L’oisiveté ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent au dogme de la classe dominante. Stevenson Robert Louis, Une apologie des oisifs, 1877

L’oisiveté serait elle une forme dynamique dans l’inactivité? Parce qu’elle a une valeur de résistance, illustrant la pensée, la lecture, l’écriture, le travail manuel et l’action critique, elle représente à la fois ce qui rassure les travaillistes réactionnaires qui se soucient de la pénurie et du désordre et les désoeuvré qui se méfient d’une aliénation collective. L’obstacle que représente l’ennui pour l’homme ne peut pas être écarté de la discussion: on dit que l’homme ne déteste rien tant que de se retrouver face à soi-même, se sentant peut être, à raison, en très mauvaise compagnie. C’est pourquoi il s’occupe, et alors l’homme fait la fête, s’agglutine dans de longs repas, suit un programme musculaire, préfère même parfois le travail. Même l’homme qui semble errer sans but, affichant l’inquiétude d’un badaud, est au fond de lui à la recherche d’un divertissement qui l’éloignera de sa solitude. L’homme aime se distraire car il a peur de se retrouver aphasique, comme le montre le succès du smartphone et des réseaux sociaux. Affronter l’ennui c’est se retrouver dans un temps vacant effrayant, mais c’est surtout se retrouver seul. C’est cette fragilité due aux besoins de communication inhérents à la nature humaine qu’exploite le réseau mondial de télécommunication: rapprocher de loin et éloigner de prés. Et c’est ainsi que même dans la plus grande intimité on se retrouve à partager chaque instant malgré la distance géographique: l’amour (tinder), ses préférences (Facebook), son corps (Instagram), sa propre demeure (Airbnb), un voyage (Blablacar), tout cela géré par des multinationales de l’information,


dont l’apparente gratuité cache la fausse transgression aux normes du capital⁷. L’économie de la philanthropie a le vent en poupe et il n’existe aucune alternative au partage d’images dans un flux ininterrompu de 4G. Le divertissement numérique paraît être le médium séduisant pour occuper notre temps libre grandissant, préservé de l’anxiété - due à l’oisiveté et de questions existentielles - elles aussi avortée. Nous avons été conditionné à s’occuper afin d’éviter l’introspection selon Freud. Cette connexion permanente rend bien entendu service à la plupart de nos dirigeants qui craignent que de ce temps libre précieux, naissent une série de contradictions du leurre égalitarien et des doutes sur le prix à payer des "miracles" modernes. Si l’oisiveté est la mère des vices... et bien tant mieux si elle libère la pensée, la lecture, l’écriture et l’action critique d’une activité productive stérile. Le travail est extérieur à l’homme, il s’y renie et ne se sent bien que lorsqu’il le quitte et accomplit ses fonctions animales, boire, manger, procréer. Marx Karl, manuscrits de 1844

Depuis la loi de la marchandisation du travailleur, à travers la vente et l’achat du temps et de la force de travail (troisième forme de division en classe après l’esclavage et le servage), on a permis à une minorité, monopolisant les moyens de production, la terre et les instruments, de se payer le temps de travail de quelques autres, en plus du temps qu’elle possédait. Ce contrat social oppressif confère encore aujourd’hui à une catégorie spéciale d’hommes l’exclusivité des profits par la confiscation de la main d’oeuvre. Cette domination d’une petite minorité sur l’écrasante majorité des hommes n’a pas pu se passer de la contrainte: on ne saurait obliger la majeure partie de la société à travailler régulièrement pour l’autre sans un appareil coercitif permanent.

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C’est ainsi que les hommes se sont divisés en gouvernés et en spécialistes de l’art de gouverner, qui se placent au-dessus de la société et qu’on appelle les représentants de l’Etat. Ces derniers ont monopolisé l’instrument législatif ce qui leur a permis de voter régulièrement et publiquement les instruments contraignant le reste de la société, proclamant sans vergogne sa domination fondée sur les mots d’ordres de liberté et d’égalité. Sans vouloir éviter toute accusation abusive de vouloir violer la liberté et la sacro-sainte démocratie permettant facilement de clore tout débat, il paraît important de se poser certaines questions. L’Etat dans les républiques capitalistes est-il l’expression de la décision générale, l’expression de la volonté nationale etc... ou bien est-ce une machine permettant aux capitalistes de maintenir leur pouvoir sur la classe ouvrière et la paysannerie? ⁸

"Tout aussi démocratique soit-il, tout Etat où existe la propriété privée de la terre et des moyens de production ne fera que défendre les intérêts des inégalités aux mains du capital. Si la loi protège tout le monde dans la même mesure: elle protège la libre propriété de ceux qui en ont contre tout attentat de la masse de ceux qui n’en ont pas, qui n’ont que leurs bras et qui peu à peu tombent dans la misère et se ruinent. Le suffrage universel, l’Assemblée nationale, le parlement, ne sont que la forme qui ne changent rien au fond. Mieux encore, cette domination est d’autant plus brutale, d’autant plus cynique, que la république revêt un visage plus démocratique. Ce n’est qu’un leurre: tant que l’exploitation subsiste, l’égalité est impossible."⁹


Toute l’histoire abonde de tentatives incessantes des classes opprimées pour renverser l’oppression. Des insurrections d’esclaves spartakistes qui ont ébranlé l’empire romain tout puissant, aux luttes contre le servage déclarant enfin libre la propriété, fières que l’Etat eût soi disant cessé d’être un Etat de caste; ces guerres civiles jalonnent toute l’histoire de la société de classes. Lenine, De l’Etat, Edition du Progrès, 1978

Il faut pourtant avouer que la république démocratique et le suffrage universel ont permis au prolétariat d’atteindre un degrés de connaissance qui est le sien aujourd’hui et de former une majorité consciente capable de diriger la lutte et d’avoir une idée brute de l’objectif qu’il poursuit: le chômage total. Mais si nous obtenons la fin du travail sans luttes apparentes, ne sommes nous pas à nouveaux tombés aux mains des classes dominantes (celle de la start-up)? Petit à petit, la société disciplinaire cybernétique s’est établie autour de la prolifération de services et moniteurs électroniques sous différentes formes dans le monde vécu - maisons intelligentes, gated communities, lotissements sécurisés, voitures, avions, téléphones mobiles, cartes de crédits, écrans - ayant permis à l’Homme de s’affranchir d’une série de contraintes physiques (vitesse), chroniques (temps), trajectoires (distance) et structurelles. La vitesse des voyages, la rapidité des échanges commerciaux et des communications nous font entrer dans une nouvelle ère: l’ordinateur est devenu une prothèse¹º du corps humain et celui-ci un périphérique¹¹ de l’ordinateur. À l’âge des métaux rares l’Homme se serait-il transformé en une espèce nomade sédentaire? La foule transplantée d’extensions informatiques est endormie pendant que la Silicon Valley prépare sa migration en Nouvelle Zélande, que les traders investissent en Norvège et que des prospections spatiales se voient réservées au investisseurs du CAC 40, tout cela afin d’échapper aux conséquences du réchauffement climatique.

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Si il y a une distinction de l’espèce humaine elle se fera par sélection naturelle de classe... Il existe déjà un homme augmenté, mais loin du modèle humanoïdes, c’est le potentiel de transhumance qui trahit le transhumanisme. L’exosquelette a été remplacé par le néodarwinisme d’une élite qui se donne les moyens d’échapper au sort commun. Serait-ce ainsi cette fine équipe d'informaticiens ayant préféré l'exil plutôt que d'affronter l'apocalypse, l'avenir de notre espèce?


Qu’adviendrait-il de la ville? La programmation urbaine traditionnelle se verrait remplacer par une toute autre hiérarchie fonctionnelle. La fin de l’esclavage salarial libérerait la ville et ses habitants d’une servitude quotidienne tangible, et de l’appropriation du temps de vie par un tiers humain (on exclue ici la récolte de données personnelles de l’équation de l’aliénation). La ville serait ainsi le siège de l’accumulation d’une multitude de destinations vouées à toute sorte de plaisirs. Son organisation serait dictée par la production de sérotonine au cours de ballades sportives confortables, de confrontation d’idées dans des débats faussement transgressifs, de solidarité communautaires ou autres activités proposant un large choix allant de l’isolation absolue à la plus profonde interaction sociale. Peut être que la transformation la plus radicale serait d’enfin avoir le choix concernant le cours de sa journée, refusant la dictature de l’emploi du temps. Si les conditions de productions actuelles se doivent d’être réfléchies au nom de la décroissance et du ludique, est-ce résister que se lever tard? L’avenir n’appartient pas à ceux qui se lèvent tôt mais à ceux qui se couchent tard¹². Pour cela le Ludi-club propose un lieu de rencontre entre libertariens dans la plus pure tradition Lydienne. La musique y est forte et les souvenirs qu’ils laisse sont flous, effacés par les vapeurs d’alcool et la poussière de stupéfiant. On y apprend les les nouvelles blagues, dernières techniques de drague¹³, sur des airs de raggeatton lento.

Quand nous prendrons conscience de notre rôle même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. Alors seulement, nous pourrons vivre en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort. Saint-Exupéry Antoine, Terre des hommes, 1938



Rentrer au Ludi-club c’est l’expérience du tapis rouge démocratique


Au Ludi-club il est impossible de ne pas être détrempé


Le bar du Ludi-club encourage la performance libertine


Les nantis envient le plaisir originel de ceux qu’ils surplombent


Les portes dérobées des sanitaires du Ludi-club s’ouvrent toutes seules



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