Camel Toe Edition, 2019 llustrations: Madalena Santos Pires Lourenço Lopes Merci aux ayants droits des documents publiÊs.
GÉNÉALOGIE DU CENTRE
☻ C MMERCIAL
Léo RAPHAËL
0_la ville fonctionnelle. À l’extérieur des barres entièrement résidentielles, au délà des tours de bureaux, entre les deux, de larges rues où les piétons n’ont pas leur place séparant du centre ville historique dysnéifié, les rénovations airbnb, le marché de souvenir, central-park pour le sport et enfin, entourant les giratoires¹: le centre commercial... 1_fabrique du monstre. Inventé en 1963 à Sainte-Geneviève-des-Bois par Carrefour™, le supermarché fut une exception française où l’on avait enfin trouvé le moyen de déployer tout l’étendard de l’offre marchande sous un même toit en fonction de la demande afin d’y créer le besoin. Pendant 50 ans, avec le consentement et l’appui des services publics, les entrées de ville en milieu périurbain ont accueilli et organisé une industrie soumise aux quatre évangiles destinés à étouffer notre soif d’achat: la publicité, l’hypermarché, la voiture, le réfrigérateur/garde robe. [fig.1] 2_main mise sur la périphérie. À l’entrée de chaque ville, les communes ont adopté la même politique d’une zone commerciale regroupant un vaste supermarché avec autour des magasins spécialisés appartenant à des multinationales "créatrices d’emplois". Développant annuellement un chiffre d’affaire conséquent, la densité commerciale défendue par une industrie suppôt du grand capital artificialisait les terres cultivables avec cynisme et plaisir en employant, en France en 2018, jusqu’à 525 000 personnes, représentant 5% du PIB. Mais de quoi parle-t-on?
5
Tout au plus des emplois de caissier saisonnier, de rayonnage à mi-temps et de chauffeur routier en 3-8. Dans ces conditions de concurrence déloyale, la logique marchande des zones commerciales fut très vite la seule industrie à même d’offrir un avenir aux enfants du coin en terme d’emplois - participant à la désertification des centres villes. Les petits commerces ne purent résister bien longtemps face aux grandes surfaces: prix, flexibilité, matraquage publicitaire, emplacement attractif près d’une quatre voies avec de grands parkings dont le centre-ville ne put rivaliser... Tout le monde avait choisi le camps de la résignation: " Mon fils ira travailler là, précaire ou pas, c’est un boulot!² " [fig.2] 3_sans tambour ni trompette. Peut-on laisser indéfiniment les zones commerciales se multiplier et s’étendre au détriment des centres villes, assignant aux populations locales leur manière de travailler (de travailler pas cher, mal se loger, se chauffer peu) et leur imposer le spectacle permanent de prolifération et de gaspillage de leur marchandises? Faut-il vraiment céder au chantage à l’emploi et déléguer les responsabilités liées au développement du territoire juste pour quelques emplois précaires? Les accusations, nombreuses, furent bien sûr accompagnées d’une multitude d’alternatives et de propositions parfois toutes aussi lucratives qu’une grande surface. Mais l’absence de réponse des propriétaires des centres commerciaux cachait l’arrogance de leurs manoeuvres moins confidentielles.
En effet entre 2010 et 2018 plus de 5 860 Brevets³ ont été déposés par les géants de l’industrie et de la technologie de la consommation. A posteriori, les publications régulières des "découvertes" révèlent à elles-seules, la direction logistique et informatique qu’allaient prendre les abord de nos ronds points. La sauvegarde de la propriété intellectuelle et du domaine d’application de ces milliers de brevets a rendu publique une stratégie générale d’automatisation des supermarchés, du commerce en ligne robotisé et de l’intelligence artificielle. [fig.3] 4_mauvais coeur, fortune. Pendant ce temps, certains puristes du centre commercial (les derniers investisseurs) ont cherché à restructurer le modèle urbanistique de l’hypermarché. Ils défendaient l’uniformisation des entrées de ville en recomposant le mille feuilles de propriétaires, l’exploitant dans un ensemble dite de nouvelle génération, mixte, urbain et écologique. Mais il était déjà trop tard, ces derniers pèlerins des routes nationales n’ont pas pu éviter le pire, le supermarché a sombré sous la pression de l’e-commerce accompagné d’une armée de droïdes et autres véhicules aériens sans pilote (drones) pour simplifier les tâches logistiques. Les trois quarts des zones commerciales ont déposé le bilan, sans plan social. Près d’un million de manifestants ont battu le pavé dans tout l’hexagone après l’annonce de l’évacuation d’un millier de sites en récession. La résistance environnementale et les militants régionalistes se sont occupés de l’organisation de syndicats d’initiatives y voyant l’opportunité d’expropriation des terrains, la dépollution des sols, la répartition de commandes publiques, la création de nouveaux pâturages et d’un réseau de transport alternatif. [fig.4] 7
5_acte public manqué. Mais rien de tout cela n’eu lieu bien sûr. Les hypermarchés ont été nationalisés, oui... mais tout projet de réhabilitation fut abrogé, les investissements dans le secteur public ayant été réduits au néant par la Rigueur économique. L’idée selon laquelle la dette publique était excessive à cause d’un état devenu obèse, et que la croissance de ses dépenses publiques avait ravagé les caisses de l’Etat s’était petit à petit répandu au sein des médias qui ne cachaient même plus leurs connivences avec les autorités et éminents carriéristes politiques. Une culpabilité générale atteignit une génération infâme, faite d’innombrables privilégiés, assistés et responsables de l’endettement de leur mère patrie. Il était temps de rendre ce que la génération précédente avait négocié au cours de longues luttes sociales. La propagande de la pénurie répandue par des éditorialistes économiques justifiait au moyen d’un arsenal de contrevérités un sacrifice social qui prit la forme d’une paupérisation des services publics et l’augmentation des cotisations solvables (non plus sociales) car elles serviraient au remboursement d’une dette publique. Le remboursement de cette dette avait justifié à la fois l’augmentation d’impôt et provoqué un désastre social. L’austérité avait fini d’achever la ruine des services publics de l’Etat, et ses occupants avaient été désignés comme les seuls responsables de la banqueroute par une politique redistributive "au dessus de ses moyens". Tout cela malgré les rapports de la banque nationale expliquant le contraire⁴. En effet ces rapports pragmatiques témoignent de la stabilité des dépenses publiques par rapport à la richesse produite. Nous avions-nous menti? Si oui, mais d’où venait donc cette dette? [fig.5]
6_ désinterêt insultant. Au cours d’une longue période entre 1985 et 1995, l’Etat Français aurait emprunté de l’argent sur les marchés financiers à des taux d’interêt très excessifs dépassant de loin (jusqu’à 6%) le taux de croissance de l’économie. Parce que les Etats fédérés n’avaient plus le droit depuis l’article 104 du traité de Maastricht au coeur du projet Européen (reprit plus tard dans l’article 123 du traité de Lisbonne), d’emprunter directement à une Banque Centrale Nationale ou Européenne à des taux très faibles, ils ont abandonné la création monétaire aux banques privées. D’autant plus que, dans le traité de Maastricht, on dit de la banque centrale Européenne qu’elle a pour objectif la lutte contre l’inflation, en d’autres mots d’interdire de faire fonctionner la planche à billets. Or, la lutte contre l’inflation profite aux gros épargnants, dont l’argent de côté perdrait de la valeur en cas de création de monnaie. Du point de vue du bien commun en cas d’inflation, assistée bien sûr par une politique sociale qui permette d’en combattre les effets collatéraux, la dette diminuerait de valeur mettant à l’épreuve les marchés financiers et les grands détenteurs de monnaie. A contrario, la domination du marché financier sur les Etats en intérêts a alourdi chaque année ce qu’il fallait rembourser, plombé le déficit, amplifié la dette par l’accumulation des interêts excessivement élevés, cités plus haut. L’effet boule de neige ne faisait que commencer, mais à qui ont donc profité ces taux d’interêts? C’est assez simple, quand une banque reçoit de la BCE de l’argent à un taux d’interêt de 1% et qu’elle prête à nouveau à 4 ou 5%, la différence va dans la poche de la banque et plus précisément de ses principaux intéressés financièrement: épargnants, traders et actionnaires. [fig.6] 9
7_élite bas de laine. Une autre bonne partie de cette dette provient de la politique de ruissellement adoptée, entre 1997 et 2007. Pour relancer l’investissement, l’Etat et ses représentants se sont privés de recettes, au nom d’un interêt général douteux, sans réelle justification économique, au cours d’une période de croissance normale sans récession. L’application de cette politique de l’offre consistait à réduire l’impôt des plus riches (cadeaux fiscaux) afin d’augmenter leur consommation et donc relancer l’économie. Ce contrat de confiance sans garant espérait qu’il soit fait bon usage de ces diverses exonérations de cotisation fiscale (baisse de l’impôt sur les revenus du capital, suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, baisse de l’impôt sur les sociétés, réduction d’impôt sur les hauts revenus) réinvesties afin de créer plus de richesse pour la collectivité. Le résultat en est tout autre, cet argent obtenu par la création de niches fiscales favorisant les plus aisés a été en grande partie épargné dans des paradis fiscaux, preuve d’un abus de confiance de classe impardonnable. Ces sommes colossales ont ensuite été jouées en bourse et ont alimenté la synergie entre les actionnaires et la dérégulation du marché. La loterie boursière a permit de miser sur des produits financiers complexes très rapidement et fortement rémunérateurs, mais également très risqués, qui a produit la plus grande crise du capitalisme depuis les années trente.
La crise, ou récession qui suivit fut une période où le pays créa moins de richesses, et l’Etat avec son taux d’imposition plus réduit n’arriva pas à rembourser sa dette et payer ses fonctionnaires. La suppression de postes d’infirmières, de professeurs, de policiers, de juges, d’assistantes sociales, parce qu’il fallut faire des économies intensifia les dégâts de l’austérité sur les vulnérables. Cependant, la crise pousse un Etat à dépenser plus, en assurance chômage, en prime à la casse, en plan de relance, et pour cela, l’Etat emprunte, et la dette explose. Et l’emprunt se fait bien entendu à ceuxlà mêmes qui avaient été exonérés d’impôt, que l’Etat devra rembourser avec des interêts démesurés... [fig.7]
8_justifier l’injustifiable Depuis l’événement de crash boursier nous avons donc assisté à la moralisation d’une situation absolument immorale, par une culpabilisation forcée de la nation. Pourtant, cette dette qui vient à la fois des cadeaux consentis aux banques sous la forme de taux d’interêts excessifs et des cadeaux fiscaux représente un crédit qui ne devrait pas être remboursé, encore moins par le contribuable. Il n’y a strictement aucune légitimité de la dette en terme d’investissement, l’argent prêté n’a été que celui qui a été au préalablement offert, consciemment ou non⁵. Cette somme d’argent aurait du être redistribuée et réinvestie dans des projets publics tels que la rénovation des supermarchés abandonnés, la dépollution des sols des centres commerciaux fermés, la répartition des commandes publiques, la création de nouveaux pâturages et d’un réseau de transport alternatif. [fig.8] 11
9_ mortinatalité " Au lieu de cela du jour au lendemain les zones commerciales se sont transformées en taudis: la carence d’initiative est foudroyante. Sans prévenir, les lettres sont tombées des enseignes; les logos des franchises transplantés ça et là, les étincelantes infrastructures lumineuses, les Leds, et la vidéo ont perdu de leur éclat. Le wattage diminuant considérablement, des morceaux de climatiseurs se mirent à goutter, certains emplacements se mirent à pourrir, des fissures apparurent. Les joints baillants révélèrent de vastes faux plafonds (d’anciens canyons d’amiante?), de l’isolant, du matériel ignifuge, des cordes; des dispositifs entremêlés se virent soudain exposés au grand jour. Le plancher était un patchwork, et sa dépouille révéla une stratification d’usages, un palimpseste qui témoigne des réorganisations et de l’investissement de nouvelles fonctions les unes sur les autres. Les différentes textures - bétonnée, poilue, lourde, brillante, plastique, métallique, boueuse- alternant au hasard, comme si elles étaient dédiées à des espèces différentes, des générations distinctes⁶ " ou dues à des caprices de blogueuses d&co ™. [fig.9] 10_versatilité d’usage Ainsi on devine, selon les saisons, les produits de la pétrochimie comme le plastique, le vinyle ou le caoutchouc se faire remplacer -et vice versa- par des matériaux qui exagéraient sa prétention à l’authenticité, faux marbre, pierre moulée, céramique. Alors que des millénaires avaient oeuvré en faveur de la permanence, le programme du centre commercial était celui du modulable et de l’éphémère.
C’est bien dans cette complète versatilité que les centre commerciaux se débarrassaient des architectures qu’ils contenaient comme un reptile se débarrasse de ses peaux, et renaît du jour au lendemain. L’indéterminisme avait remplacé les habitants par une croûte dense d’occupants intermitents du spectacle: kiosques, charrettes, marchés de noël, palmiers, fontaines, bars, canapés, charriots. L’ancienne boutique archaïque était transfusée avec l’éclat du neuf, pour engendrer de la viabilité commerciale instantanée en chiffre d’affaire. Un botox bon marché qui satisfaisait toutes les dépenses associées à un jeunisme généralisé, ce qui est vieux se jette, ou, au mieux, se recycle - sanctifiant la révolution de l’impertinence éternelle. L’omniprésence de l’open-space était ponctuée de mobiliers de remplissage devenus de plus en plus standardisés. Avec d’énormes difficultés budgétaires, disputes, négociations, déformations, on construisait de l’irrégulier et de l’unique à partir d’éléments identiques à prisunique™. Plutôt que d’essayer d’extraire l’ordre du chaos, le pittoresque était désormais extrait de l’homogénéisé, le singulier libéré du standardisé. Le jeu d’un assemblage de meubles bon marché dont le catalogue faisait tout autant l’inventaire de la diversité qu’il en restreignait la marge d’inventivité. Le protocole créatif d’une boutique devait avant tout satisfaire les statistiques de vente calculées par des bureaux de Gestion & Conseil. [fig.10] 13
11_machine patrimoniale. Près d’un siècle plus tard, un nombre incalculable de confiscations d’entrée de ville nous sépare de l’invention de Sainte-Geneviève-des-Bois, et de toute évidence jamais les vestiges de l’industrie de la consommation n’ont intéressé autant de nos concitoyens: que ce soient les timides explorateurs de ruines urbex, les cinéastes adeptes de coït en extérieur beaucoup plus farouches, les étudiants en art ou autres squatter se préservant de loyers trop élevés assurant un gardiennage des ruines à maigre coût, les camps de manouches très vite démantelés, ou encore les conservateurs et autres amis du patrimoine nostalgiques d’un passé immédiat - les plus téméraires de tous, parce qu’ils sont soutenus par des fonds publics et défendent le devoir de mémoire. La logique de conservation patrimoniale défendue par ces derniers transforma très récemment les débris humains gangrenés de supermarché en précieux témoins d’un héritage de l’humanité. Les fouilles se succédent aujourd’hui afin de découvrir les méthodes de conception des supermarchés, de leur réalisation (densifier, effacer, faire table rase, reconfigurer) ainsi que les modalités d’utilisation d’un savoir-faire oublié. Les archéologues et autres responsables de la reconstitution du récit historiques récoltent ainsi pendant de longues années tous les indices possibles allant jusqu’à gratter pendant des semaines les restes de placoplâtre nécessaires à la reconstitution de la gamme chromatique d’un "hyper". Les échantillons coulés dans la résines et examinés au microscope révélent l’éclectisme, la diversité des acteurs et de l’origine des matériaux. Produit de la rencontre de l’Escalator et de la climatisation, l’iconographie du centre commercial
est estimée à 13% romane, à 8% Bauhaus, à 7% Disney, à 3% art nouveau, suivi de près par le style maya… Ces chiffres variant aussi fréquemment que les goûts et les couleurs des directeurs artistiques. Le regain d’interêt pour les décombres de la consommation mobilisent le grand nombre autour d’un chantier dont les principaux intérimaires, artisans et ouvriers spécialisés, sont prêts à se conformer autant que possible à l’original. La reconstitution muséale étant étudiée en complément des travaux de restauration afin de corriger toute anastylose (ennemi juré de l’UNESCO⁷) et de profiter des excavations pratiquées in-situ, le spectacle retraçant le quotidien de nos aïeux peut s’écrire dans la plus scrupuleuse fidélité. Le récit historique qui en résulte ci-dessous, s’écrit selon trois axiomes bien distincts réunis sous la même enseigne: la consommation, la promenade et l’évenementiel.
Consommation. Les corps principaux gangrenés auxquels se rattachait le reste des emplacements pourris impraticables et autres sanitaires inondés étaient en fin de compte des couloirs. Il s’est avéré que les corridors du début du vingt et unième siècle ne se contentaient plus de relier A à B, mais étaient devenus des destinations à part entière. Alors que la signalisation promettait de vous conduire où vous vouliez aller, dans ce cas-ci elle obscurcissait les destinations et vous enfermait dans une chorégraphie de tentations et d’achats involontaires, fait de détours non désirés et de demi-tours au fond de culs de sacs.
15
Malgré la visibilité des effets indésirables de la surconsommation sur le climat, le supermarché était devenu un programme politique au même titre que l’obsession pour le pouvoir d’achat, fascination qui s’explique par une traçabilité remarquablement aisée. La monnaie physique ayant été abolie, chacune des transactions était enregistrée et l’usager rendu complice de la traque de ses empruntes digitales monétisables. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant était ensuite individuellement suivi, séparé du reste par ses données biométriques pour en collectionner les statistiques sur ses préférences de consommation et en anticiper les envies par des campagnes commerciales ciblées⁸. [fig.11]
Promenade. Parce qu’ils passaient leur vie à l’intérieur, comme les animaux dans un zoo, nos pères étaient obsédés par le temps qu’il faisait: les programmes de télévision étaient composés à 40% des gesticulations impuissantes de présentatrices physiquement intelligentes, devant des formations anticycloniques derrière lesquelles vous reconnaissiez parfois, le lieu où vous allez /vous êtiez. Le promeneur du centre commercial y a trouvé un abri dont la constance météorologique allait de pair avec l’artificialité de l’environnement vécus⁹. Dans un parcours fait de mouvements et d’arrêts entre deux achâts compulsifs, l’affectif de l’usager était dirigé par un décors exotique soigneusement préparé pour lui faire oublier le monde extérieur.
Les climatosceptiques avaient convaincu le reste de la population à adhérer à l’hyperécologie™, à un Walden parallèle, couvert par une nouvelle forêt tropicale, ou le selfie entre deux fausses plantes amazoniène était le nec-le-plusultra. Le polymère faisait sa loi dans la jungle climatisée et le cirque du parvis paysager terminait de torturer les mauvaises herbes au glyphosate, de contraindre les arbres à des tailles précoces et de recouvrir les toitures de pelouses isolantes. Les caméras de surveillance rassemblaient, dans une même chambre, les fragments du documentaire animalier sur fond vert Pantone. Une grille d’écran vidéo promulgait l’écoblanchissement dans un cubisme banalisé et utilitaire. Une vidéo ethnographique sous la forme brute¹⁰ d’un animal domestiqué par tant d’année de morale laïque et de refoulement traumato-pornographique du besoin de copuler et des doutes concernant la manière de le faire. [fig.12]
Evènementiel. Grâce au centre commercial, le divertissement a organisé des régimes hermétiques d’exclusion extrême et de concentration d’interêts¹¹. A qui profitait les spectacles? La fête, en tant qu’une des pratiques les plus codifiées et les plus controlées de l’époque rendait service à la sécurité en donnant un visage plus démocratique au code et à la sanction. L’organisation de l’animation déléguée à des prestataires privés préparait le territoire à une organisation humaine lisse, entre personnes partageant affinités et intérêts réciproques. Le divertissement écartant toute rencontre fortuite, le leurre de la spontanéité trahissait la consanguinité des événements à accès contrôlés, la direction se réservant le droit d’entrée. [fig.13] 17
12_muse, fille de Zeus L’incongruité de ces trois situations nous rappelle le bon vieux temps auquel font si souvent référence nos aïeux. L’étude draconnienne de cette époque a récemment permi l’ouverture d’un Musée Virtuel du Supermarché dont l’immersion nous renvoie aux heures les plus primitives de notre civilisation. La visite en temps réel des centres commerciaux d’antan, l’art premier de la consommation, est une réussite tant elle rassemble synchroniquement les amateurs d’un héritage culturel immédiat. Branchés en réseau, les avatars des visiteurs accompagnés de guides y savourent la reconstitution de l’ébauche de notre modernité. Le supermarché sous tous ses aspects, notamment les plus étranges, célebre la pérennité de notre humanité en réunissant, dans le monde entier, les fidèles d’un passé qui nous ressemble. En fin de parcours, à l’apogée de la visite qui dure quelques heures, on y commémore religieusement la belle époque dans le panthéon de la grande distribution. Objets de désir funéraires collectifs, leurs urnes exposées et déposées sur un piédestal martelé de propagande publicitaire renforcent notre fascination pour les pères fondateurs des grandes surfaces. 13_cahier de doléance Malgré un engouement général, de récentes manifestation marginales ont vu le jour à l’intérieur du programme de musée virtuel. Les colleurs d’affiches numériques ont bouleversé récemment les sondages d’opinion public, et disons-le, quelque peu gâché le plaisir. Des usagers identifiés comme radicaux technosceptiques, une bande de gauchistes invétérément populiste, ont relevé des lacunes dans le récit historique. Un certains nombres d’accusations portent sur l’absence de ceux qu’ils appellent dans leur jargon: les Usagers de l’Ombre.
[Rapport Dénis-Mention, à Strasbourg, le 20 décembre 2169] Nos revendications se basent sur la base des résultats publiés par vos propres chercheurs, lors d’un rapport écrit par vos soins (concernant les fouilles effectuées à Plan de Campagne) mentionnant que le centre commercial était drastiquement entretenu, je cite: "La gestion des contraintes d’un programme aussi vaste que le centre commercial s’accompagnait de normes hygiéniques témoignant de l’inquiétude bactérienne des hommes de l’époque, bipèdes constamment indisposés dont la déficience immunitaire n’avait d’égal que leur carence en anticorps [...] Entre deux et cinq heures du matin, une tout autre population, celle-ci radicalement temporaire et sensiblement plus basanée, épongeait, aspirait, balayait, nettoyait. L’équipe de nuit effaçant les dommage causés par l’équipe de jour: la clientèle. Par endroits des ouvriers spécialisés, ou techniciens de surfaces, s’affaissaient sur leurs genoux pour rénover des zones endommagées en révélant de larges sourires de plombier -comme s’ils priaient- ou disparaissent à moitié dans des faux plafonds ou des portes dérobées interdites au public -comme s’ils se confessaient- pour résorber un mystérieux dysfonctionnement." [fig.14]
Quelle ne fut pas notre surprise de constater dans la reproduction virtuelle du musée l’absence totale de nos ancêtres opprimés, le personnel d’entretient, témoins de la même misère sociale dont nous sommes les héritiers. Si cette oubli est involontaire c’est une faute professionnelle, si il est prémédité c’est encore plus grave. Les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire. Gerard Galastre, porte parole de l’asbl Révisionnisme Historique Populaire
[Réponse au "Rapport Dénis-Mention" du 20/12/2169]
Il me semblait, plutôt que de laisser ces calomnies prospérer sans explications officielles, préférable de répondre à cette récupération politique d’un sujet scientifique au sein d’une lettre ouverte adressée au journal national dont je suis, en l’occurence, l’éditeur en chef: (en même temps que d’engager des poursuites pour diffamation)
En tant que communauté scientifique du patrimoine et premier actionnaire du Parc Historique de Réalité Virtuelle, nous considérons la hiérarchisation des informations mémorables nécessaire afin de conférer au récit historique sa force narrative, sachant que son impartialité est tout aussi impossible que son exhaustivité. Nous considérons que les attaques mensongères d’un groupuscule complotiste agissant par messages cryptés sur des sites dissidents n’est qu’une atteinte de plus à notre travail rigoureux publié dans une totale transparence et dans le cadre de nos lois républicaines. Pour répondre à la question plus fréquente, "La misère sociale peut elle être un objet patrimonial?", nous défendons notre rôle de médiateur en s’assurant toujours d’agir dans l’interêt de nos lecteurs.
Denis Baufin, Directeur Scientifique et chef de rédaction du P.H.R.V
[fig.1: VEHICULE PUBLICITAIRE ]
[fig.2: CAISSE AUTOMATIQUE]
[fig.3: BOUCLE COMMERCIALE]
[fig.4: TYPOLOGIE ENTREPÔT]
[fig.5: DEPENSES PUBLIQUES] et dépenses publiques de la 1980-2017 France, 1980-2017 RecettesRecettes et dépenses publiques de la France,
60
60
55
55
50
50
45
45
40
40
Recettes et dépenses publiques de la France, 1980-2017
35
35
30
30
25
25
55
20
20
50
15
15
45
10
10
5
5
60
40 35
Dépenses publiques Recettes publiques
0 1980 0 1985 1980
30
Source: Eurostat
1985 1990
1990 1995
1995 2000
25 20 15 10 5 0 1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
2015
2000 2005
2005 2010
2010 2015
[fig.6: PLANCHE A BILLET]
[fig.7: LOTTERIE BOURSIERE]
[fig.8: SERRURE COFFRE FORT]
[fig.9: METHODE DE DEMOLITION 【 図 7 】( 7 )
J P 3 8 3 4 3 2 5 B 2 2 0【 0 6図 . 18 0 .】 18
【図6】
(8) 【図3】
(8)
JP 2014-47479 A 2014.3.17
【図4】
【図3】
【図5】
【図8】
【図5】
【図4】
【図6】
【図6】
[fig.10: JEUNISME BOTOX]
[fig.11: BALADE BIOMETRIQUE]
[fig.12: JARDIN TROPICAL ARTIFICIEL]
[fig.13: STROBOSCOPE POUR POULET]
[fig.14: EXOSOURIRE DU PLOMBIER]
Le théâtre de prédilection de la dictature n’est plus la politique mais le pouvoir d’achat des ménages.