Cahiers Sade n°1

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cahiers Sade numĂŠro un

ĂŠditions les cahiers



cahiers Sade sommaire numéro un

Sade au présent

XI

Sylvain Martin

Préambule

19

Isabelle Goncalves

Zhang Qianru

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propos recueillis par Sylvain Martin

Entretien avec Philippe Sollers

Hervé Joubert-Laurencin

Lire Sade en chinois : un projet de traduction lancé à shanghai 107

ENTRETIENS Entretien avec Thibault de Sade

Salò-Sade, un chant d’amour. sur quelques idées, bonnes et mauvaises, de Serge Daney 99

39

propos recueillis par Sylvain Martin

ÉTUDES Dans l’enfer des chiffres : Sade pour penser la gériatrie 115 Benjamin Efrati

MISES EN PERSPECTIVE Clovis Trouille, une peinture aux couleurs du marquis 53 Clémentine D. Calcutta

Manifeste pour un théâtre sadien au xxie siècle. Sade-Charenton, les larmes de sang, Turin, avril 2000 71

Le parfum de Sade

Sade antiquaire : un dialogue avec le xxie siècle 149 Juan Manuel Ibeas-Altamira

Parallèle entre la Chine et l’Égypte chez Sade 161

Virginie Di Ricci, Jean-Marc Musial

Shasha Ma

« Si Sade était une organisation écono­ mique quel serait son but ? » 93

Sade domestiqué

Cyril Hériard-Dubreuil

135

Isabelle Goncalves

Émilie Richard

171


L’image de sade dans les romans noirs de Pétrus Borel ( 1809-1859 ) 179 Yanan Shen

Florilège

CRÉATIONS LITTÉRAIRES 217

Gilbert Bourson

Le château-lyre

223

Gilbert Lely

Les cafards dansent autour des poubelles Élodie Petit

Yohann Blanco, Jean-Marc Musial, Thomas Perino, Xavier Tchili 235

207

Textes choisis et rassemblés par Sylvain Martin

Raccolta della manna

CRÉATIONS VISUELLES

225

bibliographie auteurs

243 253


Sade au présent

Le lundi 15 avril 2019, nous assistions, médusés, à l’incendie de NotreDame de Paris. L’Église catholique, le soir même, par la voix du Saint-Siège, se disait « incrédule » face à cet événement. Incrédulité ? Le comble pour un organe religieux. La cathédrale Notre-Dame qui brûle, un symbole fort de l’Église partant en fumée. Au sein de la cathédrale, le lendemain, on entendait le témoignage du recteur déclarant : « C’est incroyable. Maintenant, quand je lève les yeux vers la nef, je vois le ciel. » Cette cathédrale, symbole de la puissance du catholicisme, prenant feu, s’effondrant en partie, et ouvrant sa voûte sur l’abîme du vide… Tout cela semble très sadien. Dans le même temps, les révélations des crimes pédophiles et autres crimes à caractère sexuel venaient un peu plus « fragiliser » ( là aussi ) l’édifice catholique. Ce qui est étonnant, ce n’est pas tant le fait que ces pratiques existent ( elles sont certainement aussi vieilles que l’Église ), mais le fait que ces révélations semblent à ce point stupéfier la population. Lorsque l’on est lecteur de Sade, on pourrait avoir tendance à sourire si ces faits n’étaient pas aussi graves. En effet, lorsque l’on est lecteur de Sade, on a lu quelque part que le Pape est l’être le plus débauché de la terre1 ; ailleurs, que des moines s’adonnent à des orgies effroyables dans les sous-sols de leurs monastères2 ; ailleurs encore, que la croyance en un être supérieur n’est qu’une chimère et que la morale et la justice n’existent ni en ce monde, ni dans l’autre. Bien sûr, nous sommes ici dans le domaine de la fiction… Cependant, comme le dit l’adage, lorsque la réalité rejoint la fiction ( ou l’inverse ), c’est là où la stupeur s’empare de nous, car une fiction se doit de rester dans son domaine assigné et n’en point sortir, surtout lorsqu’elle est le produit de l’imagination d’un être tel que Sade.

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Toujours en avril 2019, juste après l’incendie de Notre-Dame, est paru un article de Vincent Rémy, tentant de résumer ces différentes révélations concernant l’Église catholique. Il décrit ainsi la curie comme une « [ … ] contrée aux mœurs exotiques, peuplée de très vieux messieurs vivant un stupéfiant entre-soi [ … ]3 ». Comment ne pas penser aux moines du Couvent de Sainte-Marie des Bois dans Justine ? Plus loin, citant cette fois Frédéric Martel, le clergé est présenté comme « [ … ] une des plus grandes communautés homosexuelles du monde4 ». Ce même Frédéric Martel qui a fait grand bruit avec son livre choc intitulé Sodoma. Enquête au cœur du Vatican. Sodoma ? Quelques lignes plus loin, citant le cas d’un prêtre, Vincent Rémy fait ce constat, accablant pour l’Église : « C’est [ … ] sous la protection de JeanPaul II que prospéra, à la tête des « Légionnaires du Christ », tentaculaire et richissime organisation à visée pédagogique et caritative, le Mexicain Marcial Maciel, prédateur pédophile démoniaque que des générations d’évêques et de cardinaux ont soutenu ou sur les agissements duquel ils ont fermé les yeux5. » La terminologie employée pour décrire ce prêtre a de quoi faire frémir. Là aussi, ne se croirait-on pas au cœur de l’Histoire de Juliette, lorsque Sade fait dire au pape Pie VI : « Je suis comme le charlatan qui distribue ses drogues, il faut bien que j’aie l’air d’y croire, si je veux les vendre6 » ? Véronique Margron, quant à elle, analyse ainsi le problème : « [ … ] depuis le concile de Trente, au XVIe siècle, l’Église a fait du prêtre un être à part. Or, un corps à part se transforme vite en corps sacré. Et un corps sacré peut rapidement se croire au-dessus de la loi commune, de la loi des hommes. Ce qui devient problématique quand on a affaire à des personnalités ambigües, fragiles, parfois perverses, pour qui ce statut renforce le sentiment de toute-puissance7. » Sade : « Aussitôt que le Saint Père formait un désir, les six aides de camp, placés sur les marches de notre estrade, volaient aussitôt pour le satisfaire8. » Et que dire enfin du scandale des religieuses abusées, qu’un remarquable documentaire a mis à jour et qui a été vu par plus d’un million et demi de téléspectateurs9 ? Alors, « Sade mon prochain » ? Reprenant ce titre du fameux essai de Pierre Klossowski consacré au Divin Marquis10, il serait tentant de le transformer en « Sade notre contemporain », tant il nous paraît à ce point proche et présent. Sade, parlant de son œuvre libertine, déclarait qu’il avait conçu « tout ce que l’on peut concevoir dans ce genre-là11 ». Mais il nous a également donné

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la possibilité de lire « tout ce que l’on peut lire dans ce genre-là » et donc, d’une certaine façon, la possibilité de dire « tout ce que l’on peut dire dans ce genre-là ». Mais, précise-t-il dans cette même lettre, il ne s’agit-là que d’un travail d’imagination. Un travail littéraire, un travail de la pensée : « [ … ] je n’ai sûrement pas fait tout ce que j’ai conçu et ne le ferai sûrement jamais. Je suis un libertin, mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier [ … ]12 ». À ses yeux, il y a clairement un procès d’intention. Aujourd’hui encore, ce procès d’intention à l’égard de Sade persiste. Pour rester dans notre thématique chrétienne, il est permis de considérer que Sade a endossé, pour le reste de l’humanité, le fardeau du crime et de la perversion la plus extrême. En cela, nous lui sommes redevable. Ce bouc émissaire de l’odieux a pris en charge à lui seul notre part sombre pour fabriquer ce miroir insoutenable qu’il nous tend à chaque instant, nous qui n’avons pas le courage de nous le tendre à nous-mêmes. Devant l’inexplicable, la psychiatrie vient souvent à la rescousse, elle qui s’est emparé du marquis pour forger son fameux « sadisme », catégorie qui, d’une façon ou d’une autre, vient incriminer Sade et charger un peu plus son fardeau pour que l’humanité se sente ( un peu ) mieux. La pensée de Sade est partout. Elle est avant tout un outil de compréhension de l’être humain, au même titre que la philosophie, la sociologie, l’anthropologie, la psychanalyse. Bref, tout ce qui a trait aux sciences humaines. Il n’y a cependant pas de « sadologie » pour nous permettre de passer au crible de cette pensée telle ou telle action, tel ou tel fait, telle ou telle posture. Cette science, qui serait une « science de l’indicible rendu dicible » pourrait peut-être, sans apporter toutes les réponses, nous permettre toutefois de penser l’horreur, de lui donner une structure, un fondement, une cause, et de comprendre quelques-uns des enjeux fondamentaux de nos sociétés contemporaines. Sade au présent, tel est donc le titre de cette « ouverture » et le fil conducteur de ce premier numéro. C’est également l’objet du préambule proposé par Isabelle Goncalves : un rapport précis et circonstancié de l’actualité sadienne au cours des trois dernières années, qui vient compléter le présent texte. Ce cahier se décline en six sections. La première sollicite, à travers des entretiens, le regard et la voix de quelques-uns des grands sadiens. Pour ce premier numéro, nous avons convié Thibault de Sade, l’un des plus actifs

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descendants du marquis, et Philippe Sollers, exégète reconnu de l’œuvre du marquis de Sade. La deuxième section met en perspective des études originales, donnant à penser Sade au-delà du domaine de la littérature : la peinture avec Clémentine D. Calcutta et son analyse des tableaux de Clovis Trouille à la lumière de l’influence déterminante de Sade ; le théâtre avec Virginie Di Ricci et JeanMarc Musial, à travers le compte-rendu/manifeste de leur création, Larmes de sang ; l’économie avec Cyril Hériard Dubreuil et son expérimentation autour d’un Sade vu comme une organisation à but lucratif ; le cinéma avec Hervé Joubert-Laurencin, grand spécialiste de Pasolini, qui opère un passionnant parallèle entre Sade, Pasolini et Jean Genet ; enfin, le travail de traduction avec Zhang Qianru, qui nous livre son expérience autour de la transposition de la langue du marquis de Sade en chinois. La troisième section, consacrée aux « études », n’en est pas moins originale et se recentre davantage sur l’œuvre du marquis. Des études purement littéraires, comme celle de Yanan Shen, qui nous propose une passionnante plongée dans l’œuvre de Pétrus Borel et le romantisme noir ou bien celle d’Émilie Richard, qui au regard de l’œuvre, dresse le portrait d’un Sade irréductiblement libre ; des études centrées sur l’esthétique, comme celle de Juan Ibeas-Altamira nous présentant un Sade étonnant, collectionneur et amateur d’art, côtoient des analyses plus inattendues, comme celles d’Isabelle Goncalves, qui tente d’apporter une réponse à la question : si Sade avait un parfum, lequel serait-il ? Ou encore celle de Benjamin Efrati, qui confronte l’obsession de Sade pour les chiffres et la question de son enfermement et de sa prise en charge par l’institution ; Shasha Ma, quant à elle, s’intéresse aux influences proche et extrême-orientales du marquis, avec un périple qui nous conduit de l’Égypte aux confins de la Chine. Nous avons souhaité que figure aux côtés des études et créations originales un florilège de citations allant des contemporains de Sade à aujourd’hui. Une sorte de « Sade vu par… ». Une autrice et un auteur ont répondu présents pour donner à lire leurs créations en regard de l’œuvre du marquis de Sade. Élodie Petit et Gilbert Bourson nous proposent chacun une variation sensible et personnelle autour de la pensée et de la langue du marquis. Pour accompagner ces deux textes, nous avons choisi de reproduire Le Château-Lyre de Gilbert Lely, poème

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hommage à Sade, accompagné d’une photographie de Jean-Marc Musial prise dans les ruines du château de Lacoste. Enfin, trois artistes plasticiens livrent chacun leur vision d’un « Sade au présent ». Le photographe Yohan Blanco, dont le travail semble fait pour accompagner l’œuvre de Sade ; Thomas Perino, graveur sur bois, qui nous propose trois œuvres originales autour de la figure de Justine. Enfin, Xavier Tchili, comédien, nous livre sa vision du théâtre sadien. À tous, merci. Ainsi pourrait se résumer l’ambition de ce premier numéro des Cahiers Sade : offrir une série d’éclairages originaux sur l’une des figures les plus complexes, les plus passionnantes et les plus actuelles de notre littérature. Sade aujourd’hui, plus que jamais. n Sylvain Martin

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notes 1. Voir Sade, Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice, Œuvres complètes, t. 8 et 9, Pauvert, 1987. 2. Voir Sade, Justine, ou les Malheurs de la vertu, Œuvres complètes, t. 3, Pauvert, 1986 et La Nouvelle Justine, ou les Malheurs de la vertu, Œuvres complètes, t. 6 et 7, Pauvert, 1987. 3. Vincent Rémy, « Église, fluctuat nec mergitur », Télérama, n° 3615, 24 avril 2019, p. 39-41. 4. Frédéric Martel, Sodoma. Enquête au cœur du Vatican, Robert Laffont, 2019. 5. Vincent Rémy, « Église, fluctuat nec mergitur »,Télérama, n° 3615, 24 avril 2019, p. 39-41. 6. Voir Sade, Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice, Œuvres complètes, t. 8 et 9, Pauvert, 1987. 7. Véronique Margron, Un moment de vérité, Albin Michel, 2019. 8. Voir Sade, Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice, Œuvres complètes, t. 8 et 9, Pauvert, 1987. 9. Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Église, réal. Eric Quintin, Marie-Pierre Raimbault et Elizabeth Drévillon, diffusé le 5 mars 2019 sur Arte. 10. Pierre Klossowski, Sade mon prochain suivi de Le Philosophe scélérat, Seuil, « Points-Essais », 2002. 11. Lettre du 20 février 1781 à la marquise de Sade, voir 50 lettres du marquis de Sade à sa femme, Flammarion, 2009. 12. Ibid. C’est Sade qui souligne.

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