CH_La Gazette-Refugee* Food #04

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LA GAZETTE

ÉDITION 2023 #04

édito

Œuvrer pour un monde apaisé, où chacun·e a sa place autour de la table, telle est la devise de notre projet Refugee Food. Nous sommes convaincu·e·s que la cuisine et la table permettent de nous rassembler, de transmettre nos identités et nos cultures, mais aussi d’accueillir, simplement pour restaurer, celles et ceux qui en ont besoin.

Dans cette nouvelle édition de notre Gazette annuelle, nous souhaitons vous donner quelques clés pour mieux comprendre nos actions.

Vous découvrirez dans ces pages un éclairage géopolitique sur la situation internationale des réfugié·e·s, des portraits de cuisinières et cuisiniers venus d’ailleurs, des histoires étonnantes de nos assiettes mondialisées, des idées de recettes autour d’un produit grand voyageur, l’aubergine, le témoignage du chef Michel Troisgros ainsi que l’interview de notre marraine 2023, Elvira Masson, journaliste et auteure.

Et si vous allez directement à la dernière page, vous trouverez notre mini-guide des manières concrètes de vous engager ou d’enrichir vos réflexions.

On passe à l’action. Bonne lecture.

sommaire
02
04
Un monde de réfugiés Carte, définitions et éclairage géopolitique.
08
Parcours de vie. Quatre portraits de cuisinières et cuisiniers venus d’ailleurs.
11
Les plats qui ont la bougeotte. Zoom sur six plats issus de métissages et de migrations.
10
Michel Troisgros. Rencontre avec un chef et une famille engagée et accueillante.
12
L’aubergine, l’ingrédient voyageur. Trois recettes pour célébrer ce produit.
© CAROLINE DUTREY
Le temps de l’action. Vous aussi, engagezvous pour apporter votre aide aux réfugiés.

Un monde de réfugiés

SITUATION EN SYRIE

Plus de 89,3 MILLIONS de personnes dans le monde ont été forcées de fuir leur foyer en 2021.

Douze ans après le début de la guerre civile syrienne, la population est toujours contrainte de fuir le pays. Pourtant, cette crise est peu à peu oubliée et nécessite toujours des aides humanitaires. À la suite des deux séismes qui ont frappé la Syrie début 2023, aujourd’hui ce sont près de…

• 6,8 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays ;

• 5,5 millions de réfugiés syriens vivant dans les pays voisins (Turquie, Liban, Jordanie, Irak et Égypte) ;

• 5,3 millions de Syriens nécessitant une aide à l’hébergement.

SITUATION EN UKRAINE

Plus d’une année s’est écoulée depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La guerre a causé des pertes civiles et d’importantes destructions d’infrastructures essentielles, contraignant les Ukrainiens à fuir leur foyer pour assurer leur survie.

• Plus de 8 millions de réfugiés venant de l’Ukraine sont enregistrés en Europe.

• Plus de 5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur de l’Ukraine.

SITUATION AU VENEZUELA

Depuis 2014, du fait de la détérioration des droits fondamentaux ainsi que de la situation politique et socioéconomique, la population vénézuélienne représente une part importante des déplacements à travers la planète.

• 7,13 millions de réfugiés et de migrants vénézuéliens dans le monde.

• 5 millions de Vénézuéliens à l’étranger.

Les enfants représentent 41 % de l’ensemble des personnes déracinées.

3,8 MILLIONS de réfugiés ont été accueillis par la République de Turquie, soit la plus importante population réfugiée au monde. *

SITUATION AU SAHEL

La menace terroriste élevée dans la région sahélienne a créé une insécurité extrême. Les conflits qui s’intensifient obligent de nombreuses personnes à fuir leur village et comme souvent, les femmes et les enfants sont les plus gravement touchés par cette crise.

• 3 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays.

• Plus d’1 million sont des réfugiés et demandeurs d’asile. Parmi eux, 50 % viennent du Tchad.

• 28 000 personnes ont besoin d’un abri.

Refugee Food La Gazette Édition 04 2 #04 - 2023
Dans plusieurs régions du monde, les crises géopolitiques créent des déplacements forcés de population. Découvrez les informations et chiffres clés* relatifs à cette réalité migratoire.
2021 » - Agence
Nations
16
2022.
Sources : « Tendances mondiales
des
unies pour les réfugiés (UNHCR),
juin

SITUATION EN AFGHANISTAN

Des décennies de conflit, l’effondrement de l’économie du pays, de violentes sécheresses et des températures hivernales glaciales, puis plus récemment, la prise de Kaboul par les talibans, en août 2021, et la dégradation des conditions de vie des femmes ont provoqué en Afghanistan des crises humanitaires répétées. Aujourd’hui, la détresse des Afghans, réfugiés et personnes déplacées est à son point le plus haut.

• 24 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire vitale.

• 3,5 millions ont été déplacées à l’intérieur du pays.

• 2,3 millions sont des réfugiés et demandeurs d’asile afghans dans des pays voisins, principalement en Iran et au Pakistan.

• 50% d’entre eux sont des enfants.

69 % des personnes déracinées sont originaires de cinq pays seulement (Syrie, Venezuela, Afghanistan, Soudan du Sud et Myanmar).

LES MOTS JUSTES

Personne migrante Personne qui franchit une frontière internationale régulièrement ou irrégulièrement et qui reste dans un pays qui n’est pas son pays d’origine pendant une période d’au moins un an.

Réfugié Selon la Convention de droit international de Genève (1951), personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou – du fait de cette crainte – ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

Déplacé Selon le HCR, personne qui doit quitter son foyer pour des raisons de sécurité ou environnementales. Les déplacés comprennent :1/ les déplacés internationaux (réfugiés) ; et 2/ les déplacés internes, c’est-à-dire les personnes qui migrent au sein de leur pays.

SITUATION AU YÉMEN

La situation humanitaire de ce pays, qui fait face depuis neuf ans à des combats ravageurs, est l’une des plus critiques au monde. En plus de la guerre, la population, déjà majoritairement dépendante de l’aide alimentaire, subit de plein fouet le changement climatique et la crise économique.

• 4,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du Yémen.

• 100 000 sont des réfugiés et demandeurs d’asile.

• 93 % des familles yéménites déplacées ont un proche qui est dans une situation de détresse médicale ou psychologique.

Demandeur d’asile Statut déclaratif de quelqu’un qui est en procédure d’asile et attend la reconnaissance de son statut de réfugié.

La parole à Christophe Girod

Entretien avec Christophe Girod, directeur général de l’Hospice général

L’Hospice général est l’acteur du « mieux vivre ensemble » à Genève. Il a trois missions : œuvrer pour l’action sociale en distribuant une aide financière et en proposant un accompagnement adapté à celles et ceux qui en ont besoin ; lutter contre l’isolement des seniors ; accueillir, héberger et intégrer les demandeur·euse·s d’asile attribués à Genève par la Confédération.

« La crise migratoire actuelle est sans précédent. Les personnes en provenance d’Ukraine, de Turquie, d’Afghanistan, de Syrie, entre autres, continuent d’arriver. On note par ailleurs un nombre extraordinairement élevé de requérants mineurs non accompagnés originaires d’Afghanistan qui fuient le régime des talibans. Les enjeux pour toutes ces personnes sont multiples ; il s’agit d’obtenir l’asile, puis de pouvoir souffler après un parcours migratoire souvent chaotique et traumatisant et enfin, de s’intégrer socialement et professionnellement. Dans ce cadre, l’Hospice général a deux défis principaux à relever : d’abord, leur trouver un toit. Nous disposons d’une quinzaine de centres d’hébergement, mais ceux-ci sont pleins. Nous pouvons en parallèle compter sur les familles d’accueil, la Halle 7 de Palexpo, les plateaux d’hébergement collectif – des locaux commerciaux transformés en hébergements – qui sont des pis-aller nécessaires dans un contexte de crise immobilière durable, ainsi que sur de nouvelles constructions. Le second défi est l’intégration. Celle-ci passe avant tout par l’apprentissage du français et la valorisation des compétences professionnelles des personnes issues de la migration. Nous avons ainsi mis en place des cours de français au sein des lieux d’hébergement, notamment durant les horaires scolaires, pour permettre aux mères de famille d’y assister pendant que leurs enfants sont à l’école. L’Hospice général accompagne les réfugié·e·s et demandeur·euse·s d’asile dans l’obtention de conditions de vie décentes, mais leur réelle intégration dépend de la société civile, d’où l’importance d’initiatives citoyennes comme celle de Refugee Food !

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« La crise migratoire actuelle est sans précédent et les enjeux pour les personnes touchées sont multiples. »
© MARK HENLEY

Parcours de vie

Ils ont une force de vie et une joie qui traversent les frontières. Ces cuisinières et cuisiniers réfugiés ont vécu des situations difficiles dans leur pays d’origine et se retrouvent aujourd’hui pour partager leur cuisine et leur culture. Portraits.

NABINTOU SIDIBÉ Paris, France

Derrière son regard timide et son sourire gêné, Nabintou revendique sans détour sa passion pour la cuisine avec une émotion communicative « J’ai commencé à cuisiner pour ma famille à l’âge de 10 ans, j’adorais ça », raconte la jeune femme de 34 ans, originaire d’Abidjan. « Puis j’ai vraiment appris à partir de mes 15 ans, avec ma tante, qui m’emmenait avec elle à des événements traiteur. Ça n’a fait qu’augmenter mon amour pour la cuisine », se souvient-elle, les yeux pétillants.

Au décès de son père, Nabintou quitte la Côte d’Ivoire pour fuir un mariage forcé arrangé par son oncle. Après six mois au Maroc et un passage par l’Espagne, elle arrive en France en 2017 : « Le voyage avec les passeurs a été difficile, mais je suis arrivée en vie. Donc je suis reconnaissante », conclut-elle avec sobriété. Si Nabintou était déterminée

à rejoindre la France, ce choix s’est fait totalement a priori : « Mon père me racontait que depuis mes 3 ans, je prenais mon petit sac et quand on me demandait “où tu t’en vas ?”, je répondais “en France”, alors que je ne connaissais pas du tout, c’était une idée comme ça », rigole-t-elle.

Elle obtient son statut de réfugiée après plus de deux ans de démarches administratives, puis réussit à faire venir ses deux fils, aujourd’hui âgés de 12 et 15 ans. C’est par le biais d’une autre association qu’elle entend parler de Refugee Food et intègre ainsi la formation SÉSAME, en 2020. Après l’obtention de son diplôme de commis de cuisine, elle signe un contrat d’insertion qui lui permet de participer à différents projets de Refugee Food, notamment pour la partie traiteur.

« Avant de connaître l’équipe, j’étais un peu triste parce que je n’avais personne en France avec qui communiquer, mais quand j’ai rencontré ces personnes, c’était incroyable. Je ne sais pas comment le qualifier. Ils me traitent avec respect. Je ne me suis jamais sentie aussi bien dans un autre endroit en France », explique-telle avant d’ajouter : « J’aime beaucoup travailler avec eux, car ça me fait voir des choses que je ne connais pas. »

Pour le prochain festival, la jeune cuisinière ivoirienne doit réfléchir au plat qu’elle voudra préparer : « Peut-être un tiep, que j’aime bien, en version végétarienne avec un riz cuit dans un bouillon de légumes et du concentré de tomate. J’hésite encore. »

Son avenir à la suite de son contrat est quant à lui assuré, car elle pourra être accompagnée vers un emploi pérenne dans la restauration. Maryam Lévy

CV CULINAIRE

PLAT SIGNATURE / « L’Attiéké poisson, une recette composée de poisson frit, d’attiéké (la semoule de manioc) et d’alloco (des bananes plantains frites). C’est mon plat préféré, je le fais tout le temps chez moi. En Côte d’Ivoire, c’est un plat de tous les jours, certains en mangent matin, midi et soir. »

PREMIER SOUVENIR GUSTATIF DE LA FRANCE / « Une purée de patates douces préparée par le chef Harouna, à La Résidence. Chez nous, on a des patates douces, mais on ne les cuisine pas du tout comme ça, j’ai adoré. »

PROJET PROFESSIONNEL / « J’aimerais ouvrir mon restaurant quelque part en France. Il y aurait un mélange de plats français et ivoiriens. Mais j’ai encore beaucoup à apprendre donc peut-être d’ici six ou huit ans. »

Refugee Food La Gazette Édition 04 4 #04 - 2023
Textes : Maryam Lévy et Jennifer Ng Chin Yue. Photos : Taj Curic, Anne-Claire Héraud et David Wagnières
« LA CUISINE, C’ÉTAIT MON RÊVE ET AVEC REFUGEE FOOD, JE ME SENS EN FAMILLE »

HAPPINESS TUBENAWE Genève, Suisse «

J’AIMERAIS TRANSMETTRE

Un grand sourire éclaire le visage de Happiness [bonheur] la bien nommée. La jeune femme de 27 ans, arrivée en Suisse en 2018, raconte : « D’ordinaire, en Ouganda, on prénomme les enfants en fonction des saisons. Mais dans mon cas, mes parents ont dérogé à la règle ; ils ont ressenti une telle joie à ma naissance qu’ils ne pouvaient pas m’appeler autrement. Je réalise que même si j’avais cela en moi dès le départ, je suis devenue Happiness : malgré les difficultés et les aléas de la vie, je porte toujours cette joie en moi et j’essaye de la communiquer aux autres. » En participant au Refugee Food Festival, Happiness injectera cet ingrédient spécial dans sa cuisine pour le partager avec les convives du Zanzibar, le restaurant dans lequel elle officiera aux côtés d’Eugene, le chef résident. « C’est dans notre culture de partager, souligne-t-elle. Je me souviens que, quand j’étais enfant, mes grandsparents préparaient et offraient des repas aux personnes dans le besoin. Ça m’a beaucoup marquée. » D’ailleurs, la jeune femme a appris très tôt à cuisiner. « C’est normal dans mon pays, en particulier quand on est une fille. J’ai commencé à

vraiment m’y intéresser à 5 ans, le jour où mon père m’a demandé de lui préparer un repas. Il a adoré le plat : des pommes de terre bouillies avec des oignons fanes. C’est ainsi qu’est née ma passion pour la cuisine. »

Si elle adore sublimer les aliments, en particulier la viande, et faire découvrir les saveurs de son pays, Happiness ne se destine pas à une carrière dans la restauration : « Je suis étudiante en hôtellerie. À l’avenir, j’aimerais plutôt évoluer du côté du management. Cela étant, je prends part à cette expérience, car je trouve l’idée brillante. C’est aussi un moyen de me créer un réseau et de me familiariser avec différents aspects des métiers de l’hôtellerie. En plus, je connaissais déjà le Zanzibar et j’aime beaucoup leur cuisine d’inspiration est-africaine. » En discutant, Happiness et Anthony, le propriétaire et gérant du Zanzibar, se sont même rendu compte qu’ils avaient étudié dans la même université au Kenya. Jennifer Ng Chin Yue

CV CULINAIRE

PLAT SIGNATURE /

« Le matoke, un plat traditionnel de mon pays à base de bananes écrasées et enveloppées dans des feuilles d’arbre, puis cuites à la vapeur. »

PREMIER SOUVENIR

GUSTATIF DE LA SUISSE /

« La fondue. Dans mon pays, je mangeais très peu de produits laitiers. À vrai dire, je n’aimais pas trop ça. J’ai vraiment appris à aimer cette spécialité ! »

PROJET PROFESSIONNEL /

« J’aimerais être gérante d’un restaurant, d’un hôtel ou d’une entreprise dans le secteur hôtelier ou touristique. À plus long terme, je souhaiterais posséder ma propre entreprise. »

Retrouvez Happiness et Eugene au Zanzibar (rue de Zurich 12 – 1201 Genève), du 13 au 18 juin prochain (mardi-vendredi : midi et soir ; samedi : soir ; dimanche : brunch).

REFUGEE FOOD : NOS FORMATIONS

Parce que nous sommes convaincu·e·s que l’intégration globale des personnes réfugiées passe par l’accès à l’emploi, nous proposons différentes formations gratuites et diplômantes aux métiers de la restauration.

Depuis 2019, la formation SÉSAME, qui prépare au métier de commis de cuisine a permis d’accompagner 275 personnes réfugiées dans cinq villes de France. La formation TOURNESOL accompagne chaque année à l’apprentissage des métiers de la restauration collective, à Paris et à Marseille. Enfin, depuis octobre 2022, le programme VITANYA, imaginé et porté à Lyon par l’association Weavers et à Paris par Refugee Food, accompagne les exilé·e·s ukrainien·ne·s vers une insertion professionnelle réussie en France.

Nos formations sont dédiées et adaptées aux freins spécifiques que peuvent rencontrer les personnes exilées en France (apprentissage de la langue, codes socioculturels, accès à un logement durable, etc.). En 2022, on estimait à 250 000 le nombre de postes vacants dans la restauration.

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CETTE JOIE DE VIVRE À TRAVERS MA CUISINE. »

MEJER YOUSSEF Genève, Suisse

Mejer est un modèle d’intégration. Arrivé à Genève en août 2015, il ne perd pas de temps pour apprendre le français et trouver un emploi. « Mon ami d’enfance Lawin travaillait déjà à la buvette des Bains des Pâquis. Il m’a dit qu’ils avaient besoin de quelqu’un pour transporter du bois. C’est comme ça que j’ai commencé. Ensuite, j’ai travaillé à la plonge. J’étais très motivé. » Pendant sept ans, il fait ainsi son petit bonhomme de chemin au sein de la buvette mythique du bout du lac. « Je servais les boissons, je préparais la

REFUGEE FOOD : 3 QUESTIONS À JONATHAN CHARLOIS…

salade, des petites choses. Et un jour, le chef Ardian m’a dit : “Tu es rapide, tu es motivé, je vais t’apprendre à cuisiner.” Et voilà ! » s’exclame le jeune Kurde de Syrie.

Arrivé seul en Suisse, Mejer a été rejoint en 2016 par son épouse et leur petite fille, alors âgée d’un an. « Quand j’ai quitté la Syrie, ma femme Aria était enceinte et a accouché seule de notre fille. J’ai appris à la connaître un an après sa naissance. » Depuis, la famille s’est agrandie puisque Mejer et Aria ont accueilli des jumelles.

Ses trois filles viennent régulièrement le voir aux Bains. Et si elles ne sont pas friandes de la baignade dans le lac, elles se régalent en revanche des plats de leur papa : « Elles aiment surtout mes gâteaux » sourit-il, l’air espiègle. « Mais ma spécialité, ce sont les falafels. J’ai testé au moins 20 recettes avant de retrouver le goût de ceux de mon enfance. »

Mejer est un cuisinier instinctif qui s’épanouit dans un environnement dynamique : « J’adore voir du monde, quand ça va vite. C’est mon kif quand il y a beaucoup de clients à la buvette. Et quand c’est plus calme, je rentre à la maison. »

Pour cette édition du Refugee Food Festival, Mejer fera équipe avec Basile, ressortissant de Côte d’Ivoire. Ils cuisineront à quatre mains pour surprendre et ravir les papilles des Genevois. Jennifer Ng Chin Yue

CV CULINAIRE

PLAT SIGNATURE / « Le kebab maison au poulet et les falafels. Ma femme les fait aussi très bien. »

PREMIER SOUVENIR

GUSTATIF DE LA SUISSE / « Le gratin de pommes de terre. J’aime tout dedans : les pommes de terre, le fromage, la crème, la muscade ! »

PROJET PROFESSIONNEL / « J’aimerais évidemment ouvrir mon propre restaurant, mais j’aurais de la peine à quitter la buvette des Bains des Pâquis. C’est un endroit spécial, parfait. Il y a toujours de l’ambiance ici. » Retrouvez Mejer et Basile à la buvette des Bains des Pâquis (30, quai du Mont-Blanc – 1201 Genève) du 12 au 18 juin (18h22h30) et pour la soirée de clôture le 20 juin !

Jonathan Charlois, chef du restaurant Iodé, à BoulogneBillancourt s’est engagé depuis 2020 avec Refugee Food. Il accueille dans ses cuisines des stagiaires de la formation SÉSAME et est également juré lors de sessions d’examens.

Quelle forme prend l’accompagnement que vous proposez aux cuisinier·ère·s en formation ? Dans le cadre de la formation SÉSAME, nous accueillons un·e cuisinier·ère réfugié·e pendant cinq semaines pour

l’aider à se perfectionner dans sa pratique. C’est une période pendant laquelle nous lui transmettons nos savoirs et la réalité du métier de cuisinier.

Que vous apporte cet engagement ?

Me mettre à leur disposition et les accompagner jusqu’à leur diplôme, c’est pour moi une fierté. Les cuisinier·ère·s réfugié·e·s sont dans une démarche très active d’apprentissage, donc c’est un vrai bonheur de les voir progresser, gagner en confiance et prendre des initiatives. Les échanges et partages que nous avons avec elles et eux sont sans aucun doute la plus belle contrepartie de cet engagement.

Pourquoi s’engager comme chef formateur ?

Parce que l’implication que mettent ces cuisinier·ère·s dans leur travail est une vraie bouffée d’air frais. Cette expérience permet de transmettre une passion et des savoir-faire, mais aussi de recevoir ! Il faut être en accord avec le projet, avoir une certaine disponibilité, mais surtout, avoir cette envie de partage. Et garder en tête que le respect, quelles que soient la fonction, la nationalité ou la religion, doit être le pilier du management. C’est une valeur que l’on doit remettre au cœur de ce secteur mis à mal par des années de manque de considération du personnel et des conditions de travail.

Refugee Food La Gazette Édition 04 6 #04 - 2023
« J’AI TESTÉ AU MOINS 20 RECETTES DE FALAFEL AVANT DE RETROUVER LE GOÛT DE CEUX DE MON ENFANCE. »

FERASHTA RAHIMI Genève, Suisse

« PARTICIPER AU REFUGEE

FOOD FESTIVAL, C’EST UNE OPPORTUNITÉ DE MONTRER CE QUE JE SAIS FAIRE »

« Dans mon pays, j’étais éducatrice en crèche. Je n’ai pas de diplôme en cuisine, mais j’ai l’habitude de préparer des repas pour de très grandes tablées. En Afghanistan, les femmes se rassemblent pour cuisiner avant les fêtes comme les fiançailles, les mariages ou encore l’Aïd*. Récemment, avec quatre autres dames, nous avons élaboré le repas pour 130 personnes à l’occasion de la cérémonie du henné », déclare Ferashta, une lueur de fierté dans le regard. Si elle participe au Refugee Food Festival, c’est justement pour montrer ce dont elle est capable : « Je n’arrive pas à trouver d’apprentissage dans ce domaine, car on me dit que je suis trop vieille ; j’ai 37 ans… Mais moi je veux travailler et gagner mon propre argent. Le goût d’être indépendante est délicieux ! », s’exclamet-elle avec force.

Ferashta a visiblement du caractère et de la détermination à revendre ; il en faut pour élever seule quatre enfants : « Quand je suis arrivée à Genève, en 2015, j’étais enceinte de mon quatrième enfant, une fille. Je suis venue avec mes deux autres filles et mon fils. Mais mon mari est resté à Kaboul pour continuer son métier de policier. » Ce n’est qu’en 2021 que celui-ci les rejoint en Suisse. « Quand les talibans ont repris le pouvoir, il a été contraint de partir. Pour lui aussi, la situation est difficile. Il aimerait pouvoir se rendre utile », soupiret-elle avant d’ajouter : « Mais on n’a jamais perdu espoir. Ici, nos filles ont le droit d’aller à l’école et un jour on retrouvera du travail. Mon rêve serait d’ouvrir mon propre établissement de spécialités afghanes. » En attendant, Ferashta fera équipe avec Abigail, cheffe de cuisine au Café du Grütli, dans le cadre de l’édition genevoise du festival. Elles y concocteront ensemble des plats végétariens et végétaliens.

Jennifer Ng Chin Yue

* L’Aïd marque la rupture du jeûne du mois du ramadan.

CV CULINAIRE

PLAT SIGNATURE /

« J’aime préparer, mais aussi manger (rires) les mantou, un plat qu’on retrouve sur toutes les tables lors des fêtes dans mon pays. Ce sont des raviolis cuits à la vapeur. Il faut de la patience, car la préparation est longue. »

PREMIER SOUVENIR

GUSTATIF DE LA SUISSE /

« En Afghanistan, on fait mijoter la viande durant de longues heures. Ici, on la mange plutôt crue. J’ai trouvé cela étrange au début. »

PROJET PROFESSIONNEL /

« J’aimerais trouver un emploi de cuisinière dans un restaurant. Et ensuite, si cela est possible, je rêve d’ouvrir mon propre établissement. Ce serait comme en Afghanistan : on y mangerait par terre sur des tapis confortables. J’y servirais uniquement des plats traditionnels et du thé vert à la cardamome et au safran. »

Retrouvez Ferashta et Abigail au Café du Grütli (rue du Général-Dufour 16 – 1204 Genève), du lundi 12 au mercredi 14 juin à midi ; jeudi 15 et vendredi 16 juin midi et soir.

Les restaurants du Refugee Food

Depuis 2018, nous développons des lieux de restauration qui accueillent, forment des cuisinier·ère·s réfugié·e·s et valorisent la diversité des héritages culinaires du monde.

LA RÉSIDENCE

La Résidence, comptoir de restauration situé à Ground Control (Paris 12e), accueille et forme une brigade de cinq cuisinier·ère·s réfugié·e·s, et contribue à leur insertion professionnelle durable. Tous les plats sont cuisinés sur place chaque jour, à partir de produits frais et de saison. Ground Control, 81, rue du charolais, 75012 Paris. Ouvert du mercredi au dimanche.

LA CANTINE DES ARBUSTES

Ouverte en septembre 2022, La Cantine des Arbustes (Paris 14e) est un restaurant solidaire ouvert à tous·tes. Des tarifs différenciés sont proposés selon les ressources de chacun·e, mais la même cuisine juste, savoureuse et équilibrée est servie à chacun·e par une brigade de cuisiniers en insertion.

5, rue des Arbustes, 75014 Paris. Ouvert tous les midis en semaine.

LA CANTINE DE LA CITÉ DE REFUGE

Depuis mai 2023, Refugee Food a pris les rênes de la cantine de la Cité de Refuge, centre d’hébergement de la Fondation Armée du Salut (Paris 13e) pour offrir quotidiennement aux résident·e·s une cuisine saine, savoureuse et équilibrée.

Accès pour le moment réservé aux résidents du centre d’hébergement.

NOTRE ACCOMPAGNEMENT

Refugee Food, c’est une association, mais aussi, depuis 2020, une entreprise d’insertion : nous accompagnons tous·tes nos salarié·e·s en insertion à la fois dans leurs démarches administratives et sociales (accès aux droits, au logement, à la santé, etc.), mais aussi dans leur parcours professionnel (formation aux codes de la restauration, cours de français à visée professionnelle, etc.). L’objectif ? Les aider à s’épanouir professionnellement dans les métiers de la cuisine et à stabiliser leur situation en France.

LES RESTAURANTS AMIS DE REFUGEE FOOD

Venir manger dans un de nos restaurants, c’est déjà s’engager ! Vous pouvez aussi soutenir les cuisinier·ère·s et partenaires qui se sont eux aussi lancé·e·s dans l’aventure. Voici les adresses « pépites » de Refugee Food en France : Chez Magda, par Magda Gegenava (Paris) ; Närenj, par Nabil Attard (Orléans) ; Le Levant, par Abdul Rahman El Khatib (Marseille) ; Ataya, par Bassem Ataya (Lille) ; Ananda Délice, par Fadi Mahmoud (Lomme) ; Damasquino, par Hussam Khodary (Strasbourg), Waalo, par Harouna Sow (Paris) ; Fidèle, par Tina Demeke Eneyew (Marseille), le restaurant d’insertion Marie Curry, au tiers-lieu La ManuCo (Bordeaux), le restaurant d’insertion Fair.e (Nantes) et bientôt, le restaurant d’insertion Exodus (Genève).

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Abigail, Ferashta et Josee

Les plats ont la bougeotte

PLUTÔT TEX OU PLUTÔT MEX, LE CHILI CON CARNE ?

Plat national de l’État du Texas depuis 1977, le chili con carne est cuisiné depuis le XIXe siècle dans cet État du sud des États-Unis et frontalier du Mexique. Si son nom signifie « piment avec viande » (chile espagnol devenu chili en anglais), son ingrédient principal reste le haricot, rouge, noir ou tacheté, dont le piment facilite la digestion et limite l’utilisation de sel pour l’assaisonner. Son faible prix de revient explique sa popularité, sans que l’on sache bien qui l’a créé. Certains disent qu’il est né à San Antonio, où des « chili queens » (reines du piment) cuisinaient ce ragoût en quantité avant d’aller le vendre sur le marché. Il aurait aussi nourri à bas coût les prisonniers de l’État, qui auraient reproduit ce plat à leur sortie. Recette tex mex par excellence, elle fut d’abord un succès en conserve (où l’on pouvait écouler les bas morceaux de bœuf) dès 1921, avant d’être popularisée à l’écran par l’inspecteur Colombo, grand amateur. Depuis les années 1990, on le retrouve partout en Europe dans les restaurants festifs, escorté d’un pichet de frozen margarita pas plus authentiquement mexicaine que ce plat.

LE TOUR DU MONDE DU CHEESE NAAN

LES MULTIPLES INFLUENCES DU CEVICHE

On trouve bien, entre le Ier et le VIIIe siècle, dans la culture Moche, civilisation précolombienne, les traces d’une tradition de consommation du poisson mariné. Mais à l’origine, ni citron ni oignon, qui seront importés bien plus tard par les Européens, mais plutôt du jus de maïs mauve fermenté, de l’ail et du sel, qui étaient les seuls condiments de cet ancêtre du ceviche. Reconnu « patrimoine culturel de la nation péruvienne » en 2004, sa base est le poisson blanc, ainsi que les crevettes, poulpes, crustacés et fruits de mer qui abondent le long des 2 414 kilomètres de littoral pacifique du pays. Plus de 800 recettes différentes de ceviche y ont été recensées et chacune exprime des influences diverses. On peut y voir un lien avec l’escabèche, une marinade araboandalouse venue jusqu’au Pérou avec la longue occupation espagnole, tandis que l’immigration japonaise, commencée dès le XIXe siècle, a influencé la recette, avec notamment des techniques précises de découpe du poisson et un raccourcissement du temps de marinade. Le ceviche est finalement une recette-valise qui, en voyageant à partir des années 1990 en Europe, a assis la renommée de son pays d’origine.

Le naan indien est déjà un produit issu du métissage : originaire de Perse, mais connu sans doute en Égypte ancienne, cette galette de pain levée cuite sur les parois d’un four d’argile aurait été apportée en Inde par les envahisseurs venus d’Asie centrale. Il n’a ensuite jamais cessé de se diffuser avec succès, variant en taille et se cuisant soit au tandoor (four de terre) soit à la poêle. Toujours à base de blé, croustillant dehors et bien moelleux dedans, il se garnit selon les pays d’ail, d’olives, de viande hachée ou de coriandre. Pas étonnant qu’en France, ce soit le fromage qui l’ait emporté, avec l’invention du cheese naan en 1967, à Paris, au restaurant Annapurna. En remplaçant le paneer traditionnel issu du lait de bufflonne par de La Vache qui rit®, le paneer naan est devenu cheese naan, et s’est à son tour exporté à Londres, New York… jusqu’à revenir sous cette nouvelle forme en Inde, son pays d’origine. Un bel exemple d’avatar culinaire !

Refugee Food La Gazette Édition 04 8 #04 - 2023
On croit savoir d’où ils viennent… mais leurs origines sont en fait toute une histoire ! Zoom sur six plats voyageurs issus de métissages et de migrations.
Textes : Estérelle Payany. Illustrations : Célia Callois

BANH MI, Ô BELLE BAGUETTE

Originaire des rues de Saigon, ce sandwich vietnamien peut être vu comme un vestige colonial de l’Indochine. Si les Français ont amené avec eux le pain (banh tay) dès le XIXe siècle, ce n’est qu’à leur départ, en 1954, que la baguette y devient plus populaire et s’intègre à la cuisine quotidienne sous le nom de banh mi (banh désignant les aliments à base de farine, et mi le blé). Plus courte et comportant de la farine de riz qui la rend plus légère, cette baguette accueille bien des garnitures variées, une fois tartinée de mayonnaise, de beurre, de pâté ou même de Vache qui rit® : mortadelle vietnamienne (gio lua ou cha lua) ou porc rôti, coriandre, concombre et piment rouge émincé, pickles de carotte ou de daïkon (radis blanc) et l’indispensable arôme Maggi, préféré à la sauce soja. À partir de 1975, l’exode massif de plus d’un million de Vietnamiens dans le monde a fait voyager la recette aussi bien en Amérique du Nord qu’en Australie ou en France, où le banh mi s’est imposé par sa fraîcheur et son croquant.

SUR LES BORDS DES EMPANADAS

« Empanadar », c’est littéralement « enrober de pain », tout comme à l’origine, le pâté désignait ce qui était simplement mis… dans de la pâte. Si en France, seul le chausson aux pommes a son fan-club, c’est du côté des cornish pasties de Cornouailles et des empanadas d’Amérique latine qu’il faut aller fureter pour comprendre toute l’ingéniosité et la richesse de ce repas portatif tout-en-un, encore plus pratique à déguster qu’un sandwich. Les pasties individuelles ont été adoptées dès le XVIIIe siècle par les mineurs gallois. Le bord épais de la demi-lune de pâte fourrée de bœuf et de légumes (carottes, rutabagas) leur permettait en effet de l’empoigner avec leurs mains salies d’étain ou de cuivre et n’était donc pas consommé. Au XIXe siècle, nombre d’entre eux émigrent avec la recette, notamment en Argentine, où elle est devenue plat national. De plus petite taille, l’empanada argentine joue de son festonnage, signe distinctif de sa garniture (au fromage, au poulet, au thon…), qui lui donne toute sa singularité.

LES RAMEN, UNE HISTOIRE DE BLÉ

Comme nombre de plats japonais, cette soupe de nouilles de blé est originaire de Chine. Popularisée au Japon à la fin du XIXe siècle, elle apparaît d’abord sur l’île sous le nom de nankin-soba, puis de shina-soba (littéralement « nouilles de Chine ») avant que le mot « ramen », issu du chinois lamiàn (nouilles étirées à la main), ne se répande après 1945.

Le gouvernement d’occupation américain distribue en effet de la farine de blé, qui se retrouve transformée en nouilles réconfortantes dans les yatai, les stands de cuisine de rue. Avec l’invention, en 1958, des ramen lyophilisés, c’est la consécration. Désormais, depuis les Sapporo ramen au miso jusqu’aux Hakata ramen de Kyûshû au riche bouillon tonkotsu à base d’os de porc, chaque région de l’archipel a sa version. Consommés au quotidien, on les retrouve appréciés par les héros de manga, comme Naruto et son ramen ichiraku fétiche, ou Ponyo le poisson-petite fille de Hayao Miyazaki qui trouve le sommeil après un bol de ramen instantané. La meilleure des publicités pour ce plat dont les échoppes qui en ont fait leur spécialité ont fleuri partout dans le monde.

La journaliste et auteure Elvira Masson est la marraine de l’édition 2023 du Refugee Food Festival. Curieuse et gourmande invétérée, elle nous éclaire sur l’émergence des cuisines du monde et leur impact positif pour faire tomber les a priori.

Quel est votre regard sur l’importance des cuisines du monde dans notre quotidien ?

À titre personnel, j’ai toujours pensé qu’il n’existait pas de cuisine supérieure à une autre. Peut-être que pour les plus jeunes c’est évident, mais pour nos aînés et pour pas mal de gens de ma génération, le postulat de départ, c’est que la France est la nation qui a inventé la gastronomie. Parce que les Français ont été les premiers à la faire, à la codifier et à la propager partout dans le monde avec un très grand succès. Personnellement, je préfère dire : « Tout vaut tout. » L’idée de faire un classement des meilleures gastronomies du monde et de considérer que tout en haut il y aurait la française, talonnée de près par la japonaise, ne m’intéresse pas. Ce débat-là m’est étranger et me paraît assez stérile… et très français d’ailleurs ! Les cuisines étrangères n’ont jamais été aussi nombreuses et accessibles… Depuis une dizaine d’années – principalement dans les grandes villes et particulièrement à Paris –, il est très facile d’avoir accès à une grande variété de cuisines. C’est le fait des flux migratoires, mais aussi d’une très large mondialisation. Les cuisiniers, ainsi que le public, voyagent davantage que leurs aînés. Tous ont rapporté des goûts, une curiosité et une ouverture d’esprit. Il y a un bouillonnement d’influences culturelles que je trouve palpitant. On a tous ouvert nos chakras. Le génie de la cuisine, c’est d’être un peu canaille et de mettre à mal les idées reçues et les classifications.

Vous êtes la marraine de l’édition 2023 du Refugee Food Festival. Comment voyez-vous votre rôle ? La raison d’être du Refugee Food est de changer le regard sur les personnes réfugiées. L’association forme des cuisiniers, les aide et les accompagne dans un projet professionnel. Et permet de dire qu’il y a une vie possible après la douleur de l’exil. Le rôle de Refugee Food, c’est de dire qu’on a tous à apprendre les uns des autres. Et que personne ne domine l’autre. C’est un peu naïf, dit comme ça, mais dans l’action au quotidien de l’association, cela prend tout son sens. C’est très concret, pragmatique. C’est la première fois que le Refugee Food Festival nomme une marraine ou un parrain. Je suis très honorée que l’association me l’ait proposé. Ça me tient à cœur de soutenir leurs actions. Mon rôle est de porter les valeurs de l’association, d’expliquer pourquoi je crois très fort à la cuisine et à son rôle de catalyseur d’échanges, de compréhension de l’autre et de tentative d’altérité. Je ne connais pas toutes les cuisines d’où viennent les personnes réfugiées accompagnées par Refugee Food. Mais mon job, c’est de faire en sorte qu’on s’y intéresse. Ce que je sais faire, c’est poser des questions, m’intéresser aux autres et faire entendre leur parole.

Propos recueillis par Boris Coridian

#04 - 2023 9
« Le génie de la cuisine, c’est d’être un peu canaille et de mettre à mal les idées reçues »
© PIERRE LUCET-PENATO

L’aubergine, l’ingrédient voyageur

Ce fruit-légume a sacrément la bougeotte. Originaire d’Asie, où elle était cultivée depuis plus de 2 500 ans, l’aubergine s’est propagée dans le monde entier grâce aux échanges commerciaux et aux mouvements migratoires. Pour célébrer ce produit voyageur par excellence, nous avons demandé à trois cuisiniers venus d’Afghanistan, de Géorgie et de Syrie de proposer leur recette.

PKHALI, recette géorgienne

Le pkhali (ou roulé d’aubergine) est une déclinaison du pkhali traditionnel, un mets végétarien très populaire dans la cuisine géorgienne. L’histoire de cette recette remonte à des siècles, et il existe de nombreuses variantes régionales. Ce hors-d’œuvre est souvent servi, à l’instar des mezze, en début de repas de fêtes.

INGRÉDIENTS pour 30 roulés

• 3 aubergines

• 45 ml d’huile de tournesol

• 150 g de cerneaux de noix

• 2 gousses d’ail

• 2 grosses cuillerées à soupe de coriandre moulue

• 1 cuillerée à café de khmeli suneli (facultatif)

• ½ cuillerée à café d’ajika (facultatif)

• 1 cuillerée à café de sel

• 100 ml d’eau

• 30 ml de vinaigre de vin

• 1 grenade, de la coriandre fraîche, des noix pour le dressage

PRÉPARATION

POUR LES AUBERGINES

Lavez et coupez-les en tranches assez fines, d’environ 1 cm d’épaisseur. Faites-les cuire avec l’huile dans une poêle chaude jusqu’à ce qu’elles soient bien cuites et dorées (10 minutes de chaque côté).

POUR LA FARCE

Passez les noix au mixeur. Ajoutez la coriandre, l’ail, les épices, le vinaigre et mélangez. Petit à petit, ajoutez de l’eau. Comme les noix absorbent l’eau, patientez un peu entre les ajouts afin d’obtenir une texture bien crémeuse.

DRESSAGE

Remplissez vos tranches d’aubergines cuites d’une à deux cuillerées du mélange et roulez. Parsemez le plat de grenade, coriandre et noix.

BANDJAN BOURANI, recette afghane

Le bandjan bourani est un plat à base d’aubergines, de poivrons et de yaourt que l’on mange traditionnellement avec du riz ou du pain nature.

INGRÉDIENTS pour 4 à 6 personnes

• 2 aubergines

• 2 tomates

• 2 gousses d’ail

• 2 oignons

• 1 poivron

• Huile végétale

• 500 g de yaourt grec

• ½ botte de menthe fraîche

• sel et poivre

PRÉPARATION

POUR LES AUBERGINES

Lavez-les et coupez-les en rondelles assez fines. Faites cuire les lamelles d’aubergines avec de l’huile dans une poêle jusqu’à ce qu’elles soient bien cuites et dorées.

POUR L’ACCOMPAGNEMENT

Émincez les tomates, les oignons, l’ail et le poivron. Faites revenir le tout dans une poêle avec un peu d’huile. Salez et poivrez.

DRESSAGE

Dans une assiette, dressez les aubergines au centre et recouvrez avec la préparation à la tomate. Ajoutez le yaourt sur le dessus. Émincez la menthe et parsemez-la sur le plat.

MAKDOUS, recette syrienne

Les makdous sont un plat traditionnel de la cuisine syrienne, également populaire dans d’autres pays du Moyen-Orient tels que la Turquie, le Liban et l’Irak. Le makdous est fait à partir de jeunes aubergines farcies, salées puis marinées dans de l’huile d’olive, qui permet une longue conservation. INGRÉDIENTS pour 4 à 6 personnes

• 25 petites aubergines

• Huile d’olive

• 2 poivrons

• 150 g de noix

• 5 à 6 gousses d’ail

• Sel

PRÉPARATION

Lavez les poivrons et hachez-les finement. Égouttez-les à l’aide d’une passoire. Hachez finement les noix et l’ail, puis ajoutez-les aux poivrons avec le sel.

POUR LES AUBERGINES

Lavez-les. Portez de l’eau à ébullition et plongez-y les aubergines. Faites cuire pendant 15 à 20 minutes. Piquez avec un couteau pour vérifier leur cuisson, il faut qu’elles soient encore fermes. Plongez les aubergines dans l’eau froide et laissezles refroidir. Fendez-les en deux, disposez un peu de farce à l’intérieur et empilez celles-ci les unes sur les autres dans un bol. Laissez reposer pendant 24 heures afin que les légumes dégorgent bien. Déposez-les dans une passoire et saupoudrez d’un peu de sel entre chaque couche. Couvrez les aubergines avec un tissu, posez une planche au-dessus, puis un objet assez lourd afin de les laisser dégorger pendant 48 heures.

CONSERVATION

Placez les aubergines dans un bocal en verre et versez de l’huile pour recouvrir complètement. Fermez le pot et placez-le à l’abri du soleil.

Refugee Food La Gazette Édition 04 10 #04 - 2023

«

Le métier de restaurateur, c’est restaurer l’humain »

Au cœur du pays roannais, le chef perpétue une longue histoire familiale où l’excellence gastronomique se conjugue avec les valeurs de l’hospitalité et la générosité. Il revient sur ses expériences inspirantes avec Refugee Food.

en 2022, Armand Hasanpapaj et sa mère Fatime ont cuisiné à six mains autour des saveurs albanaises avec Léo, le benjamin de la famille Troisgros, à la Colline du Colombier, située à 20 kilomètres plus au nord. « Trois expériences voyageuses, qui nous emmènent dans des rêves… Ces cuisiniers nous font décoller de notre chaise et nous prennent par la main pour nous transporter ailleurs. Dans ces rencontres, c’est le cœur qui parle, car on met de côté le quotidien de nos métiers et l’on va à la rencontre de la gourmandise, de l’échange. » Du marché à la cuisine, du brief du service aux échanges avec les clients, de la dégustation des condiments syriens de Mohammad à l’observation des gestes pâtissiers de Fatime, les liens se tissent et les influences se croisent. Comme le rappelle le chef triplement étoilé Michel Troisgros, « la cuisine française a été façonnée par des apports extérieurs. Ce qui est à notre disposition aujourd’hui semble faire partie de notre culture depuis toujours, alors que c’est un voyage, une rencontre ou une personne qui l’a apporté jusqu’à nous ».

LE REFUGEE FOOD FESTIVAL

Ce festival est une initiative citoyenne qui crée des collaborations culinaires entre des cuisinier·ère·s réfugié·e·s et des restaurateur·rice·s et artisans locaux·ales. Elles ont lieu dans une dizaine de villes en France et en Europe, chaque année autour du 20 juin, Journée Mondiale des Réfugiés.

Ce festival culinaire permet de faire découvrir des talents, des goûts venus d’ailleurs et de faire évoluer les regards portés sur les personnes réfugiées en valorisant leur patrimoine et matrimoine culinaire. Il contribue également à accélérer leur insertion professionnelle dans le secteur de la restauration, à mobiliser et rassembler les citoyen·ne·s autour de la table. Depuis 2016, près de 60 000 personnes sont venues au restaurant et 350 cuisinier·ère·s réfugié·e·s ont participé au festival en France, en Europe et à l’international.

Depuis 2018, la famille Troisgros et ses équipes ont accueilli dans leurs différents restaurants les événements du Refugee Food Festival. « Pour notre première participation, nous avons fait un menu commun avec le chef syrien Mohammad Elkhaldy, à la maison Troisgros à Ouches, avec quatre plats chacun. Nous avons joué en live, comme des musiciens. Nous nous sommes adaptés l’un à l’autre. C’était passionnant et vibrant pour les équipes. Si c’était un peu intimidant au début, nous avons vite constaté que le langage du cuisinier et du marché est universel ! Ce sont des rencontres humaines belles et apaisantes », raconte le cuisinier roannais. En 2018, c’est Sadia Hessabi, cuisinière afghane, qui a été accueillie au Central, en face de la gare, par César Troisgros, fils aîné de Michel et Marie-Pierre. Enfin,

L’attachement de la famille Troisgros à Refugee Food puise aussi sa source dans le parcours même de Michel : « Ma mère et ma grand-mère se sont réfugiées en France pour fuir l’Italie mussolinienne, où elles n’avaient plus rien à manger. Elles se sont retrouvées sur la route et m’ont raconté combien elles avaient été aidées et soutenues en chemin, alors qu’il ne leur restait rien… Cette histoire familiale m’a rendu sensible à ce qui nous entoure aujourd’hui. Participer au Refugee Food Festival, c’est l’occasion d’être acteur du devoir d’hospitalité. »

Ce devoir d’hospitalité universelle que le chef partage avec chaleur et engagement lui évoque spontanément une histoire entendue au Japon : « En période de disette, quand il n’y avait plus rien à manger dans les auberges de campagne, les voyageurs étaient toujours bien reçus. Mais au lieu d’un repas, on leur offrait une pierre chaude à poser sur l’estomac, symbolisant la douceur de l’accueil et de la chaleur humaine. Si elle n’apaisait pas complètement la faim, elle restaurait au moins l’âme. Rappelant à juste titre – tout comme les expériences que le Refugee Food permet de partager – que la base du métier de restaurateur est de restaurer l’humain, en toutes circonstances. »

Tout au long de l’année, des ateliers de cuisine, des dîners solidaires ou des conférences-débats sont proposés dans les différentes villes. De même, l’accompagnement proposé aux cuisinier·ère·s réfugié·e·s ne se limite pas au festival : il se poursuit sur le long terme pour favoriser leur insertion professionnelle (suivi et orientation vers des formations qualifiantes, accès à un réseau de recruteurs, missions de service traiteur, etc). Le festival est déployé par des porteur·se·s de projet locaux, accompagné·e·s par Refugee Food et en lien avec les acteur·rice·s des territoires (collectivités, associations, restaurateur·rice·s…).

Pour l’édition 2023, 13 villes en France et en Suisse accueillent le festival du 5 au 26 juin : Bordeaux, Dijon, Genève, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Rennes, Strasbourg et Tours.

#04 - 2023 11
Propos recueillis par Estérelle Payany. Photos : Félix Ledru et Anne Bouillot

Le temps de l’action

Il n’y a pas de petites actions, il n’y a que des grands engagements. À votre échelle et selon votre disponibilité, vous pouvez vous engager et accompagner des personnes qui ont trouvé refuge en Suisse.

Vous avez… cinq minutes. S’engager, c’est aider à porter un message. Contribuez à donner plus d’écho à notre mission en nous suivant sur les réseaux sociaux (Instagram : @hospice_general ; LinkedIn : Hospice général) et en partageant nos messages. En seulement quelques clics, vous pouvez consulter le site de l’Hospice général pour soutenir un projet en particulier (donshg.ch) ou faire directement un don à CH37 0900 0000 1464 2699 4 (IBAN).

Exodus-Genève. Créée en 2018, Exodus-Genève est une association qui vise à contribuer à l’intégration des réfugié·e·s à Genève. Elle développe des projets proposant aux participant·e·s un accompagnement stratégique et sur mesure afin de renforcer leurs compétences socioprofessionnelles.

Dans cette optique, Exodus ouvrira prochainement un restaurant d’application situé au centre d’hébergement collectif de Rigot. Vous pouvez contacter l’association à info@exodus-geneve.ch et/ou faire un don à CH12 0900 0000 1561 8098 8 (IBAN)

Vous avez… 30 minutes. S’informer, c’est aussi s’engager. Quelques titres à ajouter dans votre playlist de podcasts : Kiffe ta race, produit par Binge audio pour comprendre les questions raciales et Awake at Night (en anglais), produit par l’UNHCR, pour découvrir le quotidien des travailleur·se·s humanitaires.

Vous avez… une heure ou plus. Visitez l’exposition d’artistes ukrainien·ne·s, du 23 au 25 juin, à La Dépendance (route du Grand-Lancy 8 –1212 Grand-Lancy).

Prolongez la découverte culturelle en visionnant Sur les chemins de l’intégration, de Jérôme Piguet, un film documentaire coproduit par l’Hospice général, qui suit quatre réfugié·e·s reporters à la découverte de projets d’intégration dans les cantons de Genève et de Vaud.

Vous avez… une demi-journée. Chaussez vos baskets à l’occasion de la Together Run, le 18 juin, dès 9h au Parc des Evaux. Une course à pied chronométrée populaire pour célébrer la journée internationale des réfugié·e·s (inscription sur togetherun.ch).

Rejoignez-nous aussi sur la route, à l’occasion d’« Allons marcher », des randonnées organisées dans le canton de Genève et guidées par des personnes issues de la migration :

• Balade du Bois-de-Bay, le 25 juin à 9h30. Départ du centre d’hébergement de Bois-de-Bay (route du Bois-de-Bay 19 – Satigny)

• Balade des Artisans, le 17 septembre à 9h30. Départ du plateau d’hébergement collectif des Artisans (promenade des Artisans 24 – 1217 Meyrin).

Vous pouvez aussi vous engager à titre professionnel et ainsi mobiliser vos collègues, client·e·s et partenaires.

Vous êtes une entreprise ? Plusieurs façons de nous soutenir ! Pensez à notre service traiteur pour vos événements (cocktails, dîners, plateaux-repas) à Paris. En équipe, vous pouvez aussi venir prêter main-forte à notre brigade de La Cantine des Arbustes (Paris 14e) pour cuisiner les repas d’aide alimentaire offerts chaque jour aux plus fragiles à Paris.

Ami·e·s chef·fe·s et restaurateur·rice·s ? Vous pouvez accueillir un·e stagiaire cuisinier·ère, recruter un·e commis de cuisine issu·e de nos formations ou participer au Refugee Food Festival.

Pour retrouver toutes ces pistes d’engagement et passer à l’action, c’est par ici :

Retrouvez toutes les actualités sur notre site (www.refugee-food.org), sur Instagram (@refugeefood) et contactez-nous en écrivant à hello@refugee-food.org

LA GAZETTE Une publication de Refugee Food (FOOD SWEET FOOD, 26, rue Monsieur le Prince, 75006 Paris) ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO Fanny Borrot, Anne Bouillot, Caroll-Ann Cadoux, Célia Callois, Jonathan Charlois, Compos Juliot, Taj Curic, Caroline Dutrey, Zoé Giraudo, Christophe Girod, Anne-Claire Héraud, Farah Keram, Celia Laignel, Félix Ledru, Les Digitalistes, Maryam Lévy, Marine Mandrila, Elvira Masson, Jennifer Ng Chin Yue, Fabien Pallueau, Estérelle Payany, Clémence Sahuc, Coline de Silans, Michel Troisgros, David Wagnières, Safia Zouay. REMERCIEMENTS L’agence Les Digitalistes a conçu et coordonné l’ensemble de La Gazette, et nous remercions chaleureusement Boris Coridian, Mathilde Costes, Muriel Foenkinos, Virginie Oudard et Charlie Duez pour leur engagement à nos côtés. Le Refugee Food Festival 2023 est soutenu par : l’Hospice général, l’Association Festin, la Fondation Arsène, la Fondation RSM, le Groupe Bertrand, la Ville de Bordeaux, la Ville de Dijon, la Ville de Lille, la Ville de Paris, la Ville de Marseille, la Ville de Tours.

IMPRESSION DEJA LINK (19/27 rue des Huleux – ZA La Cerisaie – 93240 Stains). Merci à Loïc Olivier. Ne pas jeter sur la voie publique.

Refugee Food La Gazette Édition 04 12 #04 - 2023

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