140 ans d'esprits créatifs à Saint-Germain-des-Prés

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Édito

Catherine

Fidèles à notre savoir-être, nous fêtons les 140 ans des Deux Magots au travers d’une rétrospective qui met à l’honneur ceux qui font vivre notre café littéraire. En m’offrant en héritage ce creuset culturel, mes parents et grands-parents m’ont également transmis la discrétion, trait de caractère de notre famille, une discrétion qui aura permis aux artistes de toutes les époques d’exprimer, dans nos murs, leur fantaisie, leur folie, leurs pensées.

Rendre hommage à ces figures de la culture internationale est aussi une façon de revenir sur les grandes époques de notre histoire familiale. Mon arrière-grand-père qui fait l’acquisition du café-liquoriste ; ma grand-mère qui veille sur les zazous ; mon père qui agrandit les terrasses et ouvre le service à la restauration. Aujourd’hui, avec toute mon équipe, je déploie la marque hors les murs en la propulsant à l’international, mais aussi à Paris, grâce à un nouveau concept de vente à emporter. Je sais déjà que mes enfants reprendront le flambeau pour que les amoureux des Deux Magots puissent continuer à goûter l’art de vivre Paris par-delà les frontières et les époques. Un état d’esprit que vous retrouverez dans chaque page de ce magazine. En découvrant le métier des garçons de café, ce qui se crée aux tables de nos habitués ou encore la rencontre improbable entre Clara Dupont-Monod, Apollinaire, Picasso et Sartre, vous plongerez dans la philosophie des Deux Magots, lieu de rencontre où tout se crée et tout se transforme.

True to our literary legacy and artistic acumen, we are celebrating the 140 th anniversary of Les Deux Magots in a retrospective honoring those who are the very soul of our literary café. In turning over the helm of this cultural melting pot to me, my parents and grandparents also passed on a tradition of discretion, a veritable family trait: discretion that has given artists of all eras the faith and freedom to express their fantasies, their madness, their thoughts within our walls. Paying homage to these famed figures of our planet’s cultural progress is also a chance to look back on the major chapters of my family’s own story. My great-grandfather, who purchased the café-liqueur bar; my grandmother, who kept an eye on the rascally Zazous - the zoot-suited, rowdy, swing-loving youth who frequented clubs and cafés during World War II; my father, who expanded the terraces that have attracted so many celebrated minds and added food service to create a restaurant. Today, in tandem with my entire staff, I am propelling the brand far beyond these walls, reaching across the globe and within Paris through a new takeout concept. I already know that my children will take up the torch so that all those who love Les Deux Magots can continue enjoying Paris’ inimitable lifestyle beyond borders and boundaries, epoch after epoch. You will sense this mindset on every page of this magazine. From an inside look at the work of our waiters, to exploring all that is created at the tables of our regulars, to the unlikely encounter between Clara Dupont-Monod, Apollinaire, Picasso, and Sartre, you will swim in the philosophical waters of Les Deux Magots, a meeting place where everything is created and transformed.

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LES DEUX MAGOTS Catherine Mathivat, actuelle propriétaire des Deux Magots. Mathivat, current owner of Les Deux Magots.
Couverture: ©Bernard Lipnitzki / Roger-Viollet©Julio Piatti

Depuis 140 ans, Les Deux Magots est à la croisée des arts. Avec la littérature et le jazz en tête, le café littéraire est la scène d’un grand théâtre culturel sur laquelle se jouent de très belles pièces. À déguster dans les pages suivantes.

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LES DEUX MAGOTS ©Robert DOISNEAU/GAMMA RAPHO Juliette Gréco immortalisée par Robert Doisneau, Place SaintGermain-des-Prés, 1947. Juliette Gréco by Robert Doisneau, Place SaintGermain-des-Prés, 1947.

Lieu de convergence artistique, Les Deux Magots fait battre le cœur de Saint-Germain-des-Prés. Depuis le magasin de nouveautés, où les premiers froufrous de la mode bruissaient d’extravagance, au grand café littéraire d’aujourd’hui, Les Deux Magots a toujours accueilli le feu créatif, avec la discrétion propre à la famille Boulay-Mathivat.

Pour fêter ses 140 ans, le café iconique raconte son histoire dans un hommage aux esprits débridés qui ont refait le monde à ses tables. Cette rétrospective donne lieu à l’improbable. Simone de Beauvoir côtoie Thomas Dutronc, qui tutoie Boris Vian, quand les modeuses des années 60 sourient aux instagrammeuses d’aujourd’hui. Peut-être vous reconnaîtrez-vous ?

Ici, tous les arts se côtoient. Écrivains, cinéastes, musiciens, penseurs, peintres, sculpteurs, architectes, stylistes… Ils incarnent la vie du café. Préparez-vous à des face-à-face étonnants. Imaginez que vous entendez la chanson des premiers poètes modernes tels Verlaine et Rimbaud, les voix plus tonitruantes des surréalistes, la trompinette de Vian bien sûr, le velours de Gréco, les pensées de Sartre et Beauvoir, la ballade des Beatles, de Brassens, le manouche de Thomas Dutronc, la plume de Jérôme Garcin, le clavier de J.J Abrams, qui écrit le scénario de Star Wars, épisode VII, les « Action ! » d’Olivier Nakache et Éric Toledano, jusqu’au buzz des smartphones d’influenceurs qui s’immortalisent sur les réseaux avec le logo des Deux Magots.

Vous êtes bien en 2024. Le voyage temporel a eu lieu, mais vous êtes restés à la même place, sous le regard des deux statues chinoises. Les garçons de café n’ont plus à dire « chaud » lorsqu’ils sortent de l’office. Tout le monde sait qu’ici la culture bouillonne, dans la tête de ceux que l’on reconnaît comme de ceux que l’on ne connaît pas encore. Les Deux Magots, une marque qui se déploie dans le monde, inspire depuis 140 ans. Ça ne va pas s’arrêter de sitôt. Les pieds enracinés dans son histoire et son quartier, le café littéraire continue de s’imposer comme un bastion intemporel de la création.

SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS: 140 YEARS OF CREATIVE MINDS

For 140 years, Les Deux Magots has stood at the crossroads of the arts. With literature and jazz in the limelight, the literary café serves as a stage for an enormous cultural theater where superb plays are performed. Enjoy your front-row seat in the pages to follow.

Les Deux Magots is a place of artistic conjunctions, the very heartbeat of Saint-Germaindes-Prés. From the silk and novelty shop it once was, home to the extravagant rustle of fashion’s first frills, to the great literary café it is today, Les Deux Magots has always trained its bellows on the hot coals of creativity with the Boulay-Mathivat family’s signature discretion. To celebrate its 140th anniversary, the iconic café tells its story in a tribute to the unfettered minds that reinvented the world at its tables. This retrospective gives rise to some astonishing incidents: Simone de Beauvoir rubs shoulders with Thomas Dutronc, who’s buddies with Boris Vian, while Sixties fashionistas smile at today’s Instagrammers. Perhaps you see yourself among them. The arts in every form join forces here. Writers, filmmakers, musicians, thinkers, painters, sculptors, architects, stylists collectively embody the life of the café. Prepare for some disconcerting face-to-face encounters. You will hear the musical musings of the first modern poets, like Verlaine and Rimbaud, the more thunderous voices of the surrealists, the trompinette of polymath Boris Vian, of course, the velvet of Gréco, the thoughts of Sartre and Beauvoir, the ballads of the Beatles and Brassens, the manouche of Thomas Dutronc, the pen of Jérôme Garcin, the keyboard of J.J. Abrams who wrote the screenplay for Star Wars: The Force Awakens, the “Action!” of Olivier Nakache and Eric Toledano, all the way to the smartphone pings of the influencers as they strive for eternal glory on social media with the Deux Magots logo. It is indeed 2024. You traveled through time, but stayed in the same place, beneath the gaze of the two Chinese statues. Waiters no longer have to call out “Heads up!” as they hustle to the floor. Everyone knows that culture is simmering, bubbling, boiling here in the minds of those we recognize, and the minds of those we don’t–yet. Les Deux Magots, a name that reaches from France to the far corners of the earth, has been inspiring for 140 years. And that’s not going to end today. With its feet firmly planted on its history, its soul rooted in its neighborhood, the literary café towers worldwide as a timeless bastion of creation.

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LES DEUX MAGOTS

Rendez-vous avec les mots

Writers' Rendezvous

Dans le Manuel de Saint-Germain-des-Prés de Boris Vian, «Les Deux Magots connaissent la célébrité depuis des millénaires ou à peu près.»

Les garçons y ont servi tellement de cafés aux écrivains depuis 140 ans que l’on pourrait en faire un inventaire à la Prévert, qui, lui, aimait mieux le café crème. Mais nous ne sommes pas Jacques Prévert, ce sera donc un inventaire tout court, avec comme personnage principal, le café dans lequel vous vous tenez.

1892. Verlaine et Rimbaud prennent place à la table du café-liquoriste. Dans les brumes d’absinthe et de tabac, la poésie moderne éclôt. Apollinaire, Éluard, Aragon, Triolet, Artaud, Breton, Derain, Desnos et leurs comparses ont le cerveau qui bouillonne. Ils cherchent le frais, posent leurs chapeaux sur les galeries destinées à cet effet, juste derrière vous. Le mouvement surréaliste naît au son des bocks qui se vident. Hemingway fume le cigare, reçoit à sa table, partage des sherrys secs avec James Joyce et la Lost Generation. Les Deux Magots trouve sa place dans le futur récit Paris est une fête.

Ci-dessus : Jorge Luis Borges et sa femme, en 1980.

Ci-dessous: Étienne de Montety et le jury du prix des Deux Magots, en délibération.

Above: Jorge Luis Borges and his wife in 1980.

Below: Étienne de Montety and the Prix des Deux Magots jury in deliberations.

1933. La première édition du prix des Deux Magots couronne la littérature espiègle en la personne de Raymond Queneau. Un beau pied de nez au Goncourt, qui vient de célébrer Malraux.

Prévert, Leiris, Bataille, Queneau, jonglent avec les mots et les cultures.

Sartre et Beauvoir pensent face à des croissants chauds. L’existentialisme prend son petit-déjeuner. Les Mandarins s’écrivent, un titre en hommage aux magots qui veillent sur le travail de Simone. Elle obtient le Goncourt. Un nouveau pied de nez. Gide, Malraux, Camus s’éloignent des croissants chauds. La philosophie de l’absurde prend ses distances avec l’existentialisme de la table d’à côté. 1951. Vian, trublion insaisissable du quartier, chronique Saint-Germain-des-Prés dans son manuel. Sous sa plume, Les Deux Magots devient un monument.

Pauline Réage. L’auteure du sulfureux Histoire d’O reçoit le prix des Deux Magots. Elle n’y boira même pas un verre d’eau, car elle ne s’y présente pas. Il s’agit de garder l’anonymat.

Sollers, Hallier, Sagan. La jeune Françoise émeut les vieux écrivains qui l’admirent en terrasse des Deux Magots. Elle a dérangé, elle aussi, avec Bonjour Tristesse.

Borges, García Márquez, Cortázar, Vargas Llosa se succèdent autour d’un café noir, face à l’église du quartier. Leur esprit commun vibre au travers du temps et de l’espace. Les Sud-Américains ont trouvé leur QG.

Aujourd’hui. Dugain, Joncour, Ruben continuent de faire vivre la littérature célébrée par Philippon, Caracalla, Montety, les présidents successifs du vigoureux prix des Deux Magots.

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©Pepe Fernándezarchives Les Deux Magots©Say Who/Ayka Lux

Sartre et Simone de Beauvoir devant Les Deux Magots.

de Beauvoir and

As Boris Vian says in his Manuel of Saint-Germain-des Prés, “Les Deux Magots has been famous for several thousand years, more or less.” These waiters have served so many cups of coffee to writers for the past 140 years that we could produce a Prévert-style list of those wordsmiths (a man who, incidentally, preferred sipping café au lait as he penned his inventaires). But we are not Jacques Prévert, so it will be a Deux Magots-style inventory with the main character being the café in which you find yourself at this moment.

1892. Verlaine and Rimbaud are seated at the table of the café-liqueur bar. In the heady fog of absinthe fumes and tobacco smoke, modern poetry takes its first steps.

Apollinaire, Éluard, Aragon, Triolet, Artaud, Breton, Derain, Desnos, and their companions are thinking so hard there’s steam coming from their ears. They seek a cooler place and hang their hats on the headwear racks just behind you. The surrealist movement is born to the sound of beer glasses being emptied.

Hemingway smokes cigars, entertains at his table, shares dry sherry with James Joyce and the Lost Generation. Les Deux Magots makes its way into in the future A Movable Feast.

1933. The first ever Prix des Deux Magots recognizes cynical, witty literature in the person of Raymond Queneau. A conspicuous snub of the Goncourt prize that had just been awarded to Malraux. Prévert, Leiris, Bataille, and Queneau juggle words and cultures.

Sartre and Beauvoir reflect over hot croissants. Existentialism is having breakfast. The Mandarins writes itself, a title as an homage to the magots watching over Simone’s work. She wins the Goncourt. Another snub.

Gide, Malraux, and Camus keep the hot croissants at arm’s length. Similarly, the philosophy of the absurd distances itself from the existentialism at the next table.

1951. Vian, elusive troublemaker of the Saint-Germain-des-Prés quarter featured in his manual. His pen makes Les Deux Magots a monument. Pauline Réage. The author of the steamy Story of O receives the Prix des Deux Magots. She won’t

raise a glass of water here, much less any celebratory champagne, because she doesn’t show up in the interests of remaining anonymous.

Sollers, Hallier, Sagan. Young Françoise moves the older writers as they admire her on the Les Deux Magots terrace. She soon moves many others with Bonjour Tristesse.

Borges, Garcia Marquez, Cortazar, and Vargas Llosa parade by for black coffee opposite the local church. Their common spirit thrums across time and space. The South Americans have found their headquarters.

Present day. Dugain, Joncour, and Ruben keep alive the literature celebrated by Philippon, Caracalla, and Montety, the successive presidents of the thriving Prix des Deux Magots.

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Jean-Paul Simone Jean-Paul Sartre in front of Les Deux Magots.
©René Saint-Paul. All rights reserved 2024/Bridgeman Images

Accords majeurs Harmonic Convergences

À la terrasse des Deux Magots, il n’est pas rare d’apercevoir un musicien taper du pied pour battre sa mesure intérieure, à moins qu’il ne soit en train de composer un standard de jazz dédié à son café de prédilection. Pour rappel, un morceau de jazz se construit autour d’une grille harmonique, un canevas musical : prenons Saint-Germain-des-Prés, géographie urbaine aux airs de province. Point d’orgue de la grille harmonique, l’église qui porte le nom de son quartier. Le compositeur de jazz lève la tête vers les cloches, elles sonnent leur petit air de midi. Il replonge dans sa grille harmonique. Elle se compose d’accords : les cafés, Les Deux Magots en bonne place. Ils permettent l’improvisation, les notes envolées. Elles racontent les artistes qui font l’histoire de Saint-Germain-des-Prés. Des notes piquées, liées, accentuées, bleues, des notes qui dessinent des phrasés plus ou moins toniques : les œuvres des grands musiciens passés aux Deux Magots.

Dans cette joyeuse mélodie, ce café mythique est un accord majeur, celui sur lequel se jouent des bœufs sans précédent. Exemple : grâce à JeanPaul Sartre, Juliette Gréco chante les textes de Raymond Queneau. L’esprit qui fait tourner les tables des Deux Magots n’y est pas pour rien. Dans les notes piquées, il y a Boris Vian, sa trompinette et sa verve, bien sûr. Miles Davis. Et, un peu plus tard, Paul McCartney et John Lennon, qui se partagent un café, car ils sont sans le sou. À l’époque, ils ne sont pas encore les Beatles. Jim Morrison avait ses habitudes ici, tout comme les Sex Pistols et les Pink Floyd sont venus délirer en bande sur la terrasse, face à l’église. God save the queen.

Aujourd’hui, le chorus a pris de nouveaux accents, plus contemporains. On peut entendre vibrer le manouche de Thomas Dutronc, la voix d’Olivia Ruiz, le beat de Cerrone, les compositions de Cali ainsi que les hommages au jazz, tous les jeudis soirs, d’octobre à mai. Le set est loin de se terminer.

On the Deux Magots terrace, it is not uncommon to see a musician tapping his foot to some inner beat, though he might be composing a future jazz standard dedicated to his favorite café. As a reminder, a jazz piece is structured around a harmonic grid, a musical canvas. To illustrate, let’s take Saint-Germain-des-Prés and its urban geography with a provincial feel. The high point of the harmonic grid is the church bearing the name of its district. The jazz composer looks up at the bells as they ring out their little midday tune. He dives back into his harmonic grid. It is made up of chords: the cafés, with Les Deux Magots prominently featured. They allow for improvisation, telling the story of the artists who are the very history of Saint-Germain-des-Prés. Staccato, slurred, accented, blue notes weaving into more or less tonic phrases: the works of the great musicians who have passed through Les Deux Magots.

In this joyful melody, this legendary café has always struck the right chord, the bass line upon which unprecedented jams have been constructed. One example: Thanks to Jean-Paul Sartre, Juliette Gréco sang the words of Raymond Queneau. The spirit that inhabits Les Deux Magots had nothing to do with it. In the staccato notes, there is Boris Vian, his trumpet and verve, of course. Miles Davis. And, a little later, Paul McCartney and John Lennon sharing a coffee because they were flat broke–they had not yet become the Beatles. Jim Morrison haunted the premises, just as the Sex Pistols and Pink Floyd enjoyed their wild times grouped on the terrace across from the church. God Save the Queen.

Today, the chorus has taken on new, more contemporary accents. You can hear Thomas Dutronc’s manouche music, Olivia Ruiz’s nouvelle chanson lyrics, Cerrone's thumping rhythms, Cali’s folky-rock compositions, above and beyond the Thursday-night tributes from October to May to the jazz that made the café what it is today. The set is far from over.

1957. Miles Davis et Jeanne Moreau se rencontrent sur le film Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle.

1957. Miles Davis and Jeanne Moreau meet while filming Louis Malle’s Elevator to the Gallows.

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©Keystone/Zuma/Bridgeman Images

L’audace d’un style

The Cutting Edge of Chic

D’aucuns pourraient penser que les garçons de café des Deux Magots sont les premiers mannequins à avoir défilé en jupes – leurs longs tabliers blancs, sur le boulevard Saint-Germain. Tout cela aurait eu lieu bien avant que Jean Paul Gaultier ne hisse le port du jupon pour homme au sommet du style. Mais la mode n’a pas attendu le XXe siècle pour prendre ses quartiers à Saint-Germain-des-Prés. Dès 1813, ouvre au coin de la rue de Buci et de la rue de Seine un des premiers temple du shopping : Aux Deux Magots, nommé ainsi d’après la pièce de théâtre de Serwin, Les Deux Magots de la Chine, et en référence au pays d’origine des soieries vendues dans les rayons de ce magasin de nouveautés. Il déménage en 1874, face à l’église – là où se situe le café aujourd’hui –, déploie étoffes et froufrous sur plusieurs étages, attire le Tout-Paris en quête de style. Devenu café en 1884, Les Deux Magots continue de voir les looks s’égrener comme le chapelet d’une nouvelle religion, le culte du chic. Dans les années 40, les zazous y déplient leur silhouette nonchalante, puis les existentialistes y exhibent leurs « chaussettes de couleurs vives, à raies horizontales» (dixit Boris Vian). Plus tard, les femmes s’y montrent en tailleur pantalon. Balmain dessine une robe pour Gréco, Gainsbourg traîne ses Repetto. Et enfin, les années 90. Dior s'installe dans le quartier. Certains crient au scandale, d’autres y voient un juste retour de l’histoire du quartier. Les grandes maisons de la mode française s'établissent là où le style Rive Gauche est né. Giorgio Armani sourit en terrasse des Deux Magots à l’ouverture de sa boutique quand Sonia Rykiel, grande prêtresse de l’élégance, règne sur le boulevard. Incarnation jusqu’au-boutiste de cette hybridation entre mode et littérature à Saint-Germain-des-Prés, Nathalie Rykiel, directrice du groupe de mode durant près de 20 ans,

est aujourd’hui auteure. Les Deux Magots n’hésite pas non plus à assumer le mélange des genres : lors d’une fête, le café littéraire organise un défilé où les serveurs partagent le catwalk avec des mannequins professionnels. Car le style rive gauche persiste. Il suffit de s’attabler en terrasse pour flairer la tendance. Instantané du printemps 2024 : une femme en kimono fleuri, un homme en veste seersucker, une femme en jogging avec une banane Jacquemus, une silhouette androgyne et sculpturale aux dimensions suprêmes… L’époque continue de se faire belle devant le ballet imperturbable des garçons de café en gilet noir et tablier blanc.

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1979. La grâce d’Audrey Hepburn en terrasse des Deux Magots. 1979. Audrey Hepburn poses on the terrace of Les Deux Magots. © Sergio StrizziCopyright Archivio Sergio Strizzi.

One might think that the waiters at Les Deux Magots were the first male models to have trod Boulevard Saint-Germain in maxiskirts – their ankle-length white aprons. And that would have been long before Jean-Paul Gauthier established male skirt-wearing as the quintessence of class. But fashion did not wait around for the 20th century to make a home in Saint-Germain-des-Prés. One of the first district’s first shopping shrine opened at the corner of rue de Buci and rue de Seine in 1813: Aux Deux Magots, named after the play by Charles-Augustin Sewrin (Les Deux Magots de la Chine) and in reference to the country whence came the silks sold on the shelves of this boutique. It relocated in 1874, landing opposite the church at what is the café’s current home, displaying fabrics and frills on several floors, drawing the who’s-who of Paris in search of style. Having morphed into a café in 1884, Les Deux Magots still sees the latest looks slip past–decade by decade, day by day-like beads on the rosary of a new religion: The Church of Chic. In the 1940s, the zoot-suited Zazous brought their devil-may-care attire here, then the existentialists showed off their “brightly colored striped socks” (in the eyes and words of Boris Vian). Not long thereafter, women began appearing in suit pants. Balmain designed a dress for Gréco, Gainsbourg nonchalantly shuffled his Repettos. Then came

Ci-dessus : Daria Nelson, artiste pluridisciplinaire, aux Deux Magots.

Ci-contre : 2021. Le styliste et directeur artistique Virgil Abloh, devant le café littéraire.

Above: Interdisciplinary artist Daria Nelson in her element at Les Deux Magots.

Left: 2021. Virgil Abloh, stylist and artistic director, in front of the literary café.

the 90s. Dior settles in Saint-Germain-des-Prés. Some made an uproar, while others saw it as the neighborhood returning to its roots. The major French fashion companies were establishing in the place where Rive Gauche style was born. Giorgio Armani smiled on the terrace of Les Deux Magots as his store opened when the planetary princess of elegance, Sonia Rykiel, reigned on the boulevard. In the ultimate incarnation of this Saint-Germaindes-Prés fashion-literature hybridization, Nathalie Rykiel, director of the fashion group for almost 20 years, is today an author. Les Deux Magots also embraced the mix of genres without hesitation, holding a fashion show during a party, with the waiters sharing the catwalk with the professional models. Because Rive Gauche style is here to stay–you need only take a chair on the terrace to catch a whiff of the trend. A Spring 2024 snapshot: a woman in a floral kimono, a man in a seersucker jacket, a woman in a sweatsuit wearing a Jacquemus fanny pack, an androgynous, sculpted silhouette of superb dimensions. Today’s clothing connoisseurs continue to strut their stuff before the unflappable waltz of the garçons de café in nothing more, and nothing less, than their black vests and white aprons.

©Marc Piasecki/GC Images©Murat Sintem

Rencontres du 7e art

Cinematic Close Encounters

Matin, intérieur jour, salle du café. Scène muette. Les portes s’ouvrent, le premier habitué s’assied à la table une, qu’il remet à sa place, comme la veille. Après un simple échange de regard, le garçon lui apporte une tartine et un café au lait. L’habitué le sirote. Il restera là toute la matinée. La caméra s’éloigne de lui dans un lent plan-séquence qui dévoile le décor impeccable des Deux Magots. Anna Karina est en terrasse. Sa grâce est repérée, Jean-Luc Godard en fait sa muse. Claudia Cardinale lit un journal. Charlotte Rampling a aussi ses habitudes ici. Les joyeux lurons de la bande à Chabrol aiment se tenir côté place, sur les genoux les uns des autres, et ils rient à gorge déployée. Jean-Paul Belmondo déjeune avec son chien à ses pieds.

Toutes époques confondues, les grands acteurs et cinéastes se succèdent aux tables des Deux Magots. Ils viennent chercher la discrétion dans cette maison où l'on s’occupera d’eux comme de l’habitué de la table une. Marlène Dietrich, Tom Hanks, Monica Bellucci, Liam Neeson, Jean Dujardin, Johnny Depp, Sigourney Weaver, Diane Kruger… En faire la liste complète est vain. Celle des films liés au café est moins pléthorique, quoiqu’impressionnante. Ici encore, les genres se mêlent, du premier Moulin Rouge au novateur La Maman et la putain en passant par Intouchables et la série américaine The Good Place. La salle Art déco, la terrasse, l’atmosphère intemporelle du café parisien sont d’éternelles

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1972. Philippe Noiret sur le tournage de L’Attentat d’Yves Boisset. 1972. Philippe Noiret on the set of the film The Assassination. © Giovanni Coruzzi / Bridgeman Image

sources d’inspiration pour les cinéastes. J.J Abrams a élaboré une partie du scénario de Star Wars, épisode VII sous l’œil averti des deux magots. André Chemetoff, directeur de la photo d’Asterix et Obélix: L’Empire du Milieu et coqueluche des cinéastes d’avant-garde parisiens, donne ses rendez-vous de travail en terrasse. Visiblement, l’heure du clap de fin n’a pas encore sonné.

Interior, café dining room, morning. Silent scene. The doors open, the first regular sits down at Table One, which he pushes back into place, like the day before. After a simple exchanged glance, the waiter brings him toast and café au lait. The regular sips from his cup. He will stay here all morning. The camera moves away from him in a slow sequence shot revealing the flawless décor of Les Deux Magots. Anna Karina is on the terrace. Jean-Luc Godard makes her his muse. Claudia Cardinale reads a newspaper. Charlotte Rampling is also a frequent customer. The Chabrol gang enjoys sitting on the square side, between laps and chairs, laughing loud and long. Jean-Paul Belmondo has lunch with his dog at his feet.

Across every era, the tables at Les Deux Magots have seen great actors and filmmakers come and go. These silver-screen luminaries in search of discretion come to this establishment to be served in just the same way as the regular at Table One. Marlene Dietrich, Tom Hanks, Monica

1952. John Huston (à gauche) entre deux prises de son film Moulin Rouge.

1952. John Huston (on the left) between takes for his film Moulin Rouge.

2011. François Cluzet et Omar Sy dans Intouchables

2011. François Cluzet and Omar Sy in a scene from The Intouchables.

Bellucci, Liam Neeson, Jean Dujardin, Johnny Depp, Sigourney Weaver, Diane Kruger–a full list would be an exercise in excess. The one of films featuring the café, while not as lengthy, is still impressive. Here again, genres mingle, from the first Moulin Rouge to the innovative The Mother and the Whore, not to mention The Intouchables and the American series The Good Place. The Art Deco main room, the terrace, and the timeless atmosphere of the Parisian café form a bottomless well of inspiration for filmmakers. J.J. Abrams developed part of the script for Star Wars: Episode 7 - The Force Awakens under the watchful eye of the two magots. André Chemetoff, director of photography for Asterix & Obelix: The Middle Kingdom and darling of Parisian avantgarde filmmakers, holds his work meetings on the terrace. It’s clearly too soon to call it a wrap.

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©Bettmann/Contributeur©Olivier Nakache Eric Toledano/ChristopheL

Tales from the Tables Fables d’hôtes

En autant de dialogues cocasses, Clara Dupont-Monod imagine trois face-à-face avec les géants qui ont usé les tables du café littéraire.

In three comical dialogues, Clara Dupont-Monod imagines meeting some of the greats that have lingered at the tables of the literary café.

1914

« Bonjour, Guillaume Apollinaire.

- Ah, enfin une serveuse qui pourrait m’apporter une bouteille d’absinthe !

- Alors non, moi je m’appelle Clara Dup…

- Aucune importance. Tu viens t’engueuler avec Foujita ? Je l’ai fait il y a une heure, mais il est toujours là, si ça te dit. Je l’ai envoyé paître, lui et ses pinceaux, il l’a mal pris.

- Alors non, je…

- Avec Jean Moréas, alors ? On s’est emplafonnés pas plus tard qu’hier, mais je suis partant pour un deuxième round. Attention, il est grec et il aime le symbolisme. Autant dire un teigneux. Ça ne me fait pas peur. On est aux Deux Magots, oui ou non ? Temple de la dispute féconde. Et des liens puissants : ici se sont rencontrés Paul Verlaine et Stéphane Mallarmé. Pas forcément sobres, mais moi qui suis poète, je ne fais pas rimer « amitié » avec « eau plate ». En parlant de boisson : j’ai compris que tu n’étais pas serveuse, mais si tu pouvais mettre la main sur une bouteille d’absinthe… »

1935

« Bonjour, Pablo Picasso.

- Je ne sais pas si j’ai très envie de vous parler, parce que vous êtes beaucoup moins belle que Dora Maar. Par ailleurs, j’imagine que vous portez un prénom également moins joli ?

- Clara. Je m’appelle Clara Dup…

- Aucune importance. Savez-vous planter un couteau, très vite, entre vos doigts ouverts ?

- Alors, non…

- Dora sait. Dora l’a fait. Ici, sur cette table, en terrasse des Deux Magots. Juste pour attirer mon attention. Ça a marché. D’autant plus que Dora s’est loupée : il y avait du sang partout. Albert Camus était en train de se faire incendier par André Gide à la table voisine. Ils ont bondi, complètement estomaqués. Heureusement que j’ai plus de charme qu’Albert, parce que je dois reconnaître qu’il a vraiment de l’allure. Mais Dora ne l’a même pas remarqué. Elle me voulait, moi. Comme on veut une couleur, vous voyez ? Un désir ardent, dont dépend la marche du monde. Tous les Camus, tous les doigts blessés n’y pouvaient rien : c’était moi, le choisi. C’était moi l’évidence. Le désir de Dora s’est imposé comme ces deux statues chinoises du café : hiératiques, impassibles, définitivement et absolument là. Vous comprenez, Eva ? »

1954

« Bonjour, Jean-Paul Sartre.

- Vous venez pour un stage ?

- Non, j’écris pour les 140 ans des Deux Magots, j’arrive de 2024 et je m’appelle…

- Simone ?

- Non, Clara Dup…

- J’interpelle Simone, ma femme ! Je ne vous demande pas si vous vous prénommez Simone !

- Désolée…

- Ah, la voilà. Elle revient des toilettes. Flûte, elle bifurque vers Boris Vian. Il me fatigue celui-là, avec sa trompette. Comment voulez-vous que j’écrive sur l’existentialisme avec ce raffut ? Je vais finir essentialiste, si ça continue ! L’horreur ! Ah, Simone revient. Ouhou Simone, on est là ! Mais… c’est pas vrai ! La voilà qui s’arrête à la table d’Ernest Hemingway ! Elle a toujours aimé les Américains… C’est mon drame. Je garde un œil (de toute façon, j’en ai seulement un qui fonctionne) sur elle. Je veux bien qu’on soit libres, que nos actes nous définissent, que seule l’existence pose une identité et tout le toutim ; je veux bien débattre, défendre la grandeur d’une Europe socialiste et même un jour, monter sur des tonneaux devant une usine de Boulogne... Il n’empêche, et retenez bien ça, le cœur de ma pensée, le nerf optique de ma vision, le socle de mes engagements, il se résume à ceci : Simone, un verre à la main, un stylo dans l’autre, qui avance entre deux tables des Deux Magots. »

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et écrivain,

Publisher and author,

1914

“Hello, Guillaume Apollinaire. -Ah, finally a waitress who can get me another bottle of absinthe!

-Um, no, I’m Clara Dup–-Doesn’t matter. Did you come to argue with Foujita? I gave him a piece of my mind an hour ago, but he’s still here, if you’re interested. I sent him and his brushes packing, he didn’t take it well.

-Well, no, I–

-With Jean Moréas, then? We locked horns just yesterday, but I’m up for another round. Watch out, though, he’s Greek and he likes symbolism. A cantankerous critic, I’d call him. That doesn’t scare me. Are we at Les Deux Magots, yes or no? Temple of worthwhile arguments. And strong ties: This is where Paul Verlaine and Stéphane Mallarmé met. Not necessarily sober, mind you, but, as a poet, I don’t think “friendship” and “water” really go together. Speaking of drinks: I understand you’re not a waitress, but if you could get your hands on a bottle of absinthe...”

1935

“Hello, Pablo Picasso. -I don’t know if I really want to talk to you, because you’re much less beautiful than Dora Maar. Besides, I suppose your name isn’t as pretty, either?

-Clara. My name is Clara Dup–

-Utterly unimportant. Do you know how to jab a knife between your open fingers really fast?

-No, I–

-Dora knows how. Dora did it, right here at this table on the Deux Magots terrace. Just to get my attention. And it worked. Especially since Dora missed–there was blood everywhere. Albert Camus was getting hauled over the coals by André Gide at the next table. They jumped up, completely stunned. Fortunately, I’ve got more charm than Albert, because I have to admit he’s a good-looking fellow. But Dora didn’t even notice him. She wanted me. Like the way someone wants a color, you know? A burning desire that makes the world go round. And all the pretty-boy Camus and sliced fingers in the world could do nothing to change it: I was the chosen one. It was meant to be. Dora’s desire was as inexorable as those two Chinese statues in the café: hieratic, impassive, unquestionably and absolutely there. Do you understand, Eva?”

1954

“Hello, Jean-Paul Sartre.

-Are you here for an internship?

-No, I’m writing for the 140th anniversary of Les Deux Magots. I’m from the year 2024 and my name is–-Simone?

-No, Clara Dup–

-I’m calling for Simone, my wife! I’m not asking you if your name is Simone! -Sorry...

-Ah, there she is. She’s coming back from the ladies’ room. Drat! She’s headed over to Boris Vian now. That man gets on my nerves with that trumpet of his. How can anyone expect me to write about existentialism with that racket going on? If he keeps it up, I’m going to end up an essentialist! What could be worse?!? Ah, Simone’s coming back. Yoo-hoo, Simone, I’m over here! Ugh, I don’t believe it! She’s stopping at Ernest Hemingway’s table now! She’s always loved Americans... I can’t stand it. I’m keeping an eye on her, since I only have one that works anyway. I really do want us to be free, for our actions to define us, for there to only be a human condition and no human nature and all that; I really want to discuss things, defend the greatness of a socialist Europe, and even stand on a barrel in front of a Boulogne factory someday... Nevertheless, and make a note of this, the core of my thoughts, the optic nerve of my vision, the foundation of my commitments, all boils down to this: Simone, a glass in one hand, a pen in the other, slipping between tables as she walks towards me at Les Deux Magots.”

15 LES DEUX MAGOTS ©Olivier Roller
Éditrice Clara Dupont-Monod, membre du jury du Prix des Deux Magots. Clara Dupont-Monod, member of the Prix des Deux Magots jury.

Au service de l’élégance

Elegance

is Served

Personnages à part entière du vaste tableau vivant qu’offre Les Deux Magots, les garçons de café et les serveuses pâtissières travaillent leur façon de servir comme des comédiens, dans un style à la française.

Julie, ici dans l'objectif de Nikos Aliagas, propose ses gâteaux en terrasse.

Julie, seen here through the lens of Nikos Aliagas, presents her pastries on the terrace.

Dans la vaste salle aux influences Art déco du café littéraire, les garçons de café défilent, gilet noir parfait, chaussures cirées, long tablier blanc aux jambes. Ils se croisent au son d’un swing qui ne joue que dans leur tête. On les verrait presque tournoyer sur eux-mêmes avant de déposer un chocolat chaud sur une table. « Nous ne sommes pas des danseuses en tutu. Mais des grands sportifs, oui, rigole Kevin, on fait 10 kilomètres par jour! ». Renaud, son collègue, enchaîne : «En 25 ans de métier ici, j’ai fait le tour du monde à pied. » Ajoutez à cela l’habileté du service au plateau. Il faut savoir le composer en

fonction de l’ordre dans lequel vous allez déposer les limonades à chaque table, garder l’équilibre lors du service à la verse. On pose le verre face au client, facile, on s’empare de la bouteille de vin (plus lourde que le reste) et, le plateau toujours planté sur la paume, on verse le vin. Si on a du métier, le rayon de soleil joue avec les reflets du chardonnay. « Pendant mon premier mois aux Deux Magots, j’étais nerveux, confie Pierre, j’avais conscience d’être entré dans l’élite du service.» L’allure, l’agilité, la maîtrise de la loi de la gravité ne suffisent pas pour faire partie de l’équipe. Être un vrai garçon de café parisien aussi mythique que Les Deux Magots induit d’être un fin psychologue. « Nous travaillons avec des instincts primaires, explique encore Kevin. Lorsque le client s’assied, il a faim. » Charge au garçon d’être à l’écoute, de conseiller sans imposer, de garder ses distances tout en étant toujours disponible et surtout, de rassurer. Didier utilise l’outil « blague », Sylvaine, le sourire, Pierre, l’élégance d’un service réservé, Renaud, lui, préfère contenter tout le monde en même temps, grâce à un don d’ubiquité que seuls les anciens maîtrisent. Si chacun des 30 garçons affine son style de service selon sa sensibilité, tous s’appliquent à respecter un principe fondamental de la maison : «Servir chaque client, célèbre ou non, en adoptant la même attitude.» Une philosophie qui fait tout l’esprit des Deux Magots.

They are characters in their own right on the vast, real-life stage of Les Deux Magots: The garçons de café (waiters) and serveuses pâtissières (pastry waitresses) are as much actors as servers, with a flair that is quintessentially French.

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LES DEUX MAGOTS
©Nikos Aliagas

In the literary café’s spacious main room, tinged with Art Deco influences, the waiters move briskly to and fro in their impeccable black vests, gleaming shoes, and snow-white, ankle-length aprons. They pass one another to a swinging beat that plays only in their heads. You can almost imagine them doing a stylish twirl before placing a cup of hot chocolate on the table. “We’re not ballet dancers in tutus, but we are serious athletes,” Kevin chuckles, “because we walk six-plus miles a day!” Renaud, his coworker, backs him up: “In my 25 years of working here, I’ve circled the globe on foot.” To this should be added the skills required for tray service. You have to know how to arrange its load based on the order in which you will serve the beverages at each table, balancing the tray while filling the glasses. Place the glass in front of the customer–the easy part– then grasp the bottle of wine (heavier than the rest) and, with the tray still perched on the palm, pour the wine. If you’re experienced, the sun’s rays sparkle and gleam in the chardonnay. “I was really nervous my first month of waiting at Les Deux Magots,” Pierre confides. “I was well aware that I’d joined the server elite." Becoming a member of this team, however, requires more than a brisk pace, agility, and mastery of the law of gravity. To be a true Paris garçon de café, as legendary as Les Deux Magots, a server must be a keen psychologist. “We work with primary instincts,” Kevin explains. “When a customer sits down, they’re hungry.” It is the garçon’s job to listen, to make suggestions without being heavy-handed, to keep his distance while always being available, and, above all, to put customers at ease. Didier employs

jokes, Sylvaine flashes her smile, Pierre chooses elegant, unfussy service, and Renaud prefers to please everyone at the same time, being blessed with the gift of ubiquity that only the old hands possess.

Still, though each of the 30 waiters hones his or her style of service based on a particular skillset, they all strive to honor one of the establishment’s fundamental principles: “Serve each customer, famous or not, with the same attitude.” A philosophy that encapsulates the spirit of Les Deux Magots.

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Le style des garçons de café reste immuable. À gauche, en 2023, à droite, en 1970.
©Sébastien Dubois Didcock©Akg-images/Paul Almasy
The waiters’ attire remains unchanged. On the left, 2023; on the right, 1970.

À la table des habitués

At the Regular's Table

Figures éternelles des Deux Magots, ses fidèles ont un monde intérieur insoupçonné. Nous leur avons demandé ce qui se créait autour d’une table de ce café littéraire. Leurs réponses sont singulières, comme eux.

The regulars, long part of life at Les Deux Magots, are harborers of unimagined inner worlds. We asked them just what was created at the tables of this literary café. Their answers were as unique as they are.

Ahmet Gülbay

Pianiste de jazz, habitué de la table près de la porte-tambour

« Les Deux Magots, c’est avant tout la rencontre avec le soleil. J’habite juste de l’autre côté de la place. Je vis à Saint-Germain-des-Prés depuis 24 ans. Je me réveille, je discute avec Mozart, puis je viens prendre mon café ici et je parle avec Francis, l’un des responsables de salle. C’est un piment joyeux dans une époque morose. Je connais bien les serveurs, je viens aussi ici pour leurs blagues. Il y a quelque chose de familial. J’ai été adopté par Les Deux Magots.

Beaucoup de choses se sont créées devant cette table, au carrefour de tout. Comme le disait Jacques Mathivat : “La Sorbonne, les Beaux-Arts, ici, la maturité du Sénat et là, l’ouverture vers le monde avec Montparnasse.” Toutes les intelligences qui ont vécu dans ce café m’inspirent. En tant que musicien, je crois aux réminiscences des vibrations. J’ai composé des chansons à cette table, écrit des poésies et je me suis aussi rabiboché avec de vieux amis, comme Dany Brillant, avec qui j’avais travaillé, à ses débuts. Il s’est assis à ma table et s’est mis au diapason des Deux Magots. »

AHMET GÜLBAY

Jazz pianist, regular at the table near the revolving door.

"More than anything, Les Deux Magots is a moment in the sun. I live just across the square; I’ve lived in Saint-Germain for 24 years. I wake up, I chat with Mozart, then I come here for my coffee and I chat with Francis, one of the dining-room managers. It’s a sprinkle of joy at a gloomy time in the world. I know the waiters well, I also come here for their jokes. There’s a family feeling. I’ve been adopted by Les Deux Magots.

Many things have been created at this table, which is in the middle of everything. As Jacques Mathivat said, ‘The Sorbonne, the Beaux-Arts, the French Senate’s maturity here, Montparnasse making us more open to the world there.’ I’m inspired by all the brilliant people who have lived in this café. As a musician, I believe in vibrational influence. I’ve composed songs at this table, written poetry, and also caught up with old friends, like Dany Brillant, with whom I worked when he was just getting started. He sat down at my table and tuned into the Les Deux Magots vibe."

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©Sébastien Dubois Didock

Aurélie Uria

Créatrice de contenu littéraire (@unlivreuncafe), habituée du carré « Depuis une dizaine d’années, quand je cherche le calme, je m’assieds dans la verrière des Deux Magots, face à l’église. Je viens lorsque je me réveille trop tôt. C’est le seul café du quartier qui sert un bon petit-déjeuner dès 7h30. Les garçons de café sont très aimables, sans jamais déborder. Ils incarnent la subtilité, la sensibilité de cette maison qui est si propice à l’apaisement. Ici, je suis dans un état de contemplation méditative. Je cultive mon jardin privé, je lis parfois. Je ne crée rien, mais des liens se créent. À force de venir régulièrement, je discute avec Jean-Louis et ses amis, qui se donnent rendez-vous tous les lundis, jeudis et samedis. Certains font des mots fléchés pendant que l’on parle histoire ou mode. Christian me raconte le Pays basque, que j’ai appris à connaître à travers ses anecdotes. JeanLouis, qui est prof à Sciences Po, partage avec moi ses analyses des faits historiques. Caroline me fait rire avec ses anecdotes sur le milieu de la mode. J’aime cette transmission transgénérationnelle, propre aux Deux Magots. »

AURÉLIE URIA

Literary content creator, @unlivreuncafe, regular on the square. "For the past ten years, when I’ve wanted peace and quiet, I’ve sat in the glass-enclosed section of Les Deux Magots, facing the church. I come here when I wake up too early. It’s the only café in the neighborhood that starts serving a good breakfast at 7:30 a.m. The waiters are very friendly without ever being intrusive. They exude the subtlety, the sensitivity of this establishment that’s so soothing. I’m in a state of meditative contemplation here. I examine my inner thoughts, daydream, sometimes read.

At this table, what’s most important is the ties forged with the other regulars. Because I’m here so often, I chat with them now. For example, Jean-Louis and his friends meet every Monday, Thursday, and Saturday. They’re a very ‘punny’ group. Christian tells me about the Basque country, which I’ve come to know through his anecdotes. Jean-Louis, who’s a professor at Sciences Po [a prestigious Paris research university - Ed.], gives me his analyses of events in history. Caroline makes me laugh with her stories about the fashion world. I really enjoy this cross-generational sharing that’s so unique to Les Deux Magots."

Magot

Artiste peintre et cuisinier, habitué de la salle, sans table attitrée « Tellement de choses se créent sur une table des Deux Magots ! Ma carrière s’est dessinée ici. Je suis cuisinier à l’Élysée. Quand je ne travaille pas, j’écris, je dessine et je peins. Je suis de nature très solitaire. Mais tout a changé quand je suis venu aux Deux Magots pour la première fois. Il était 17h, j’ai commandé un diabolo-grenadine. J’ai été frappé par le soleil et l’inspiration. Je suis resté jusque tard dans la soirée. Je n’ai rien commandé d’autre. Personne ne m’a dérangé. Le lendemain, je suis revenu. La bienveillance de ce lieu en a fait mon QG. Depuis, j’y ai créé des personnages, mon nom d’artiste. “Magot” fait directement référence aux Deux Magots. L’équipe qui m’accompagne dans mon travail s’est aussi créée dans ce café, car j’y ai donné tous mes rendez-vous depuis que ma carrière artistique s’est développée. Je suis certain qu’il y a plein de gens qui créent là, tout de suite, autour de nous, et nous pourrions nous rencontrer, vivre ce café littéraire comme le lieu de création collective qu’il a toujours été. »

MAGOT

Painter and cook, main-room regular without an assigned table

"So many things are created at a Deux Magots table! This is where my career took shape. I’m a cook at the Elysée. When I’m not working, I write, sketch, and paint. I’ve always been a very solitary soul, but everything changed when I came to Les Deux Magots for the first time. It was 5 p.m., I ordered a diabolo-grenadine. I was struck by the warmth of the sun and the inspiration. I stayed until late in the evening. I didn’t order anything else. Nobody bothered me. The next day, I came back. The feeling of goodwill in this place has made it my home base. Since then, I’ve created characters here and my artist’s moniker, ‘Magot,’ is a direct reference to Les Deux Magots. The team that works with me was also created in this café, because I’ve held all my meetings here since my artist’s career started taking off. I have no doubt that there are plenty of people who are creating here right now, all around us, people we could meet, with whom we could experience this literary café as the home of collective creation it’s always been."

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LES DEUX MAGOTS

Mémoire vive Alive and Well

En 140 ans, le 6, place Saint-Germain-des-Prés a vécu bien des transformations. Mais le célèbre café littéraire a traversé le temps et l’espace en conservant son style, grâce à des détails devenus des points de repère. Tour du propriétaire.

Les statues des Deux Magots veillent sur les clients de toutes les époques et de tous les pays.

The deux magots statues have watched over customers from around the world for 140 years.

En haut d’une colonne, deux Chinois en habit traditionnel posent leur regard amusé sur les tables du café qu’ils surplombent : les « deux magots », ce sont eux. Pour nos contemporains, il est presque impensable de faire le lien entre ces deux statues orientalistes – le « magot » était utilisé pour représenter un marchand asiatique – et le nom des lieux. Qui emploie encore ce mot autrement que pour parler d’un trésor ? Peu importe. Les deux fonctionnent. Et si son enseigne est inspirée d’une pièce de théâtre à la mode de l’époque, qui met en scène des marchands chinois, ce ne sont pas les trésors qui manquent dans l’histoire de ces Deux Magots. À commencer, justement, par ceux vendus dans le magasin de nouveautés, ouvert en 1813. À partir de 1884, la caisse enregistreuse

des Deux Magots devient celle d’un café-liquoriste et troque la comptabilité des coupons de soies mirifi ques contre les tournées d’absinthe de la bohème littéraire. Elle continue son office lorsque M. Auguste Boulay, aïeul de l’actuelle propriétaire, décide, en 1914, de transformer l’obscure gargote en un lumineux café moderne. Il fait appel à l’architecte Dubois d’Auberville, pour le décor intérieur inspiré du style Art déco. Boiseries et vastes miroirs sont éclairés par la lumière naturelle qui entre enfin grâce à de grandes verrières. Auguste ouvre la première (petite) terrasse ! Sa fille Suzanne perpétue son intuition jusqu’en 1985, date à laquelle son fils, Jacques, ingénieur travaux publics, reprend la gestion des Deux Magots. Il entame alors l’évolution vers le café-restaurant, rachète les murs – les deux magots, le comptoir, les boiseries sont toujours là. Il aménage vérandas en fer forgé, terrasse et même jardin en contre-terrasse. Il amorce ainsi un mouvement irrépressible vers l’extérieur, que sa fille Catherine matérialisera bientôt avec un concept de vente à emporter dans Paris. En attendant, le monde entier se presse toujours au café Les Deux Magots, dont la mythologie lui vaut l’admiration d’un public dépassant désormais largement les frontières de Saint-Germain-des-Prés. Japon, Brésil, Moyen-Orient… Sous l’impulsion de la quatrième génération incarnée par Catherine Mathivat et son équipe, Les Deux Magots continue d’expor-

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LES DEUX MAGOTS
©Akg-images/Paul
©Sébastien
Dubois Didcock Almasy

Du comptoir à soieries (ci-contre) à la terrasse (ci-dessous), le temps passe mais l’esprit des Deux Magots reste.

From the silk sales counter to the Deux Magots terrace, time passes, but the spirit remains.

ter son esprit littéraire grâce à des éléments de décor incontournables que l’on retrouve dans ses adresses internationales : le vert emblématique, les chaises en rotin et même les statues reproduites à l’identique. Une évolution sans révolution qui a bon goût.

Over the past 140 years, many things have changed at 6 Place Saint-Germain, but the spirit of the literary café has withstood the test of time, its style untarnished and intact, by virtue of details that have become beloved objects, nostalgic landmarks. Here’s a guided tour.

At the top of a column, two Chinese figures in traditional garb gaze down with amused expressions onto the café tables below them. These are the deux magots of the establishment’s appellation. People today find it almost unthinkable to connect these two orientalist statues with the café’s name. The French word magot was used to represent an Asian merchant. These days, who in France still uses the word magot other than to talk about stashed treasure? Little matter. It evolved. So, while the café’s name was inspired by a trendy play of that time featuring Chinese merchants, there is no shortage of treasure in the history of Les Deux Magots. Starting with the treasures sold in the silk and novelty store that opened in 1813. In

1884, the Les Deux Magots’ cash register began ringing up sales for the café-liqueur bar it had become, swapping bolts of shimmering silks for rounds of absinthe served to literary freethinkers. It persisted in this business when Mr. Auguste Boulay, an ancestor of the current owner, decided to turn the gloomily lit restaurant into a bright, modern café in 1914. He called on architect Gérard du Bois d'Auberville, for the Art Deco-inspired interior décor. The rich woodwork and enormous mirrors gleamed in the natural light that could finally illuminate the interior via the large glass roofs and generous windowscaping. Auguste also opened the site’s first (small) terrace! His daughter Suzanne pursued this esthetic line until 1985, when her son, Jacques, a public works engineer, took over management of Les Deux Magots. Jacques then began morphing the location into a café-restaurant, purchasing the physical premises. The two magots, the counter, and the woodwork are still there. He installed wrought-iron verandas, a terrace, and even a sidewalk garden with seating. Thus began his irrepressible expansion into the outside world that his daughter, Catherine, would soon pursue further with a takeout concept in Paris.

In the meantime, the whole world still flocks to the Café des Deux Magots that has forged its own legend, admired by a public that now extends far beyond the confines of Saint-Germain-des-Prés to lands like Japan, Brazil, the Middle East. With the fourth generation at the helm in the form of Catherine Mathivat and her staff, Les Deux Magots continues to export its literary spirit in the signature decorative elements found at their international locations: the iconic green, the rattan chairs, even the identically reproduced statues. Evolution without all-out revolution, all in the name of good taste.

©Hélène Roger-Viollet/Roger-Viollet©Collection Dagli Orti/CCI/Aurimages

« II. La population

Peuplement de Saint-Germain-des-Prés

Les races qui occupent Saint-Germain-des-Prés sont nombreuses. On peut citer :

1. Les autochtones, que l’on reconnaît à ce qu’ils restent presque toujours à la surface du sol.

2. Les assimilés, qui ne sont pas nés à Saint-Germain mais ont fini par se persuader du contraire.

3. Les envahisseurs permanents, tribus diverses comportant une proportion considérable d’Américains et de Suédois, de rares Anglais et quelques Slaves.

4. Les incursionnistes, bof de race pure et citoyens de diverses régions de Paris, qui font à Saint-Germain de brefs séjours, presque toujours limités au sous-sol.

5. Les troglodytes ou habitants permanents du sous-sol. Les autochtones authentiques (…) sont des gens doués de mœurs extraordinaires, qui vivent le jour et dorment la nuit (…) extrêmement orgueilleux, ils ne se mêlent pas au reste de la population qu’ils englobent sous la dénomination générale d’“existentialistes”. (…) Les assimilés sont beaucoup plus nationalistes que les autochtones malgré leur absence totale d’hérédité germanopratine. Originaires d’un peu partout, ils se spécialisent selon leur provenance : les Auvergnats, en particulier, s’établissent dans les “bars”, régions grouillantes où règne une soif continuelle comme sur les chotts d’Afrique du Nord, et dans les “cafés”, zones presque identiques, à la différence que l’on y a soif qu’assis. » ©Éditions Fayard / Pauvert

In 1951, Le Manuel de Saint-Germain-Des-Prés, a tongue-in-cheek guide to the café’s quarter, was published by Les Éditions du Scorpion (but not officially translated into English for

Le manuel de Boris Vian Boris Vian's Manual

En 1951, paraît le Manuel de Saint-Germaindes-Prés. Boris Vian y dresse le portrait drolatique du quartier. Morceaux choisis.

En haut, à droite : le manuscrit original du Manuel, de la main de l'auteur.

Ci-dessus : Boris Vian joue de la trompinette sur les bords de Seine, 1948.

Top right: The original Manual manuscript in the author’s hand.

Above: Boris Vian plays his trompinette on the banks of the Seine in 1948.

decades). At the publisher’s request, Boris Vian painted an amusing portrait of the neighborhood. Here are a few excerpts.

II. The Population

The Inhabitants of Saint-Germain-des-Prés Many races occupy Saint-Germain-des-Prés. These include:

1. The natives, recognizable by the fact that they almost always remain on the soil’s surface.

2. The assimilated, who were not born in Saint-Germain, but have managed to convince themselves otherwise.

3. The permanent invaders, various tribes including a considerable proportion of Americans and Swedes, a few rare Brits, and a handful of Slavs.

4. The incursionists, purebred frog-snobs and citizens of various regions of Paris, who stay briefly in Saint-Germain, almost always limited to the substratum.

5. Troglodytes or permanent inhabitants of the substratum.

Authentic natives (...) are persons gifted with extraordinary morals, who live by day and sleep by night (...) being arrogant in the extreme, they do not mingle with the rest of the population, which they describe using the umbrella term “existentialists.” (...) The assimilated are far more nationalistic than the natives, despite their utter lack of any germanopratin heredity. They originate from just about everywhere, specializing per their origin: the Auvergnats, in particular, cluster in the “bars,” seething regions in which a ceaseless thirst reigns, much like the chotts of North Africa, and in the “cafés,” virtually identical areas differing only from bars in that the masses are only thirsty when seated. (Original translation by Priscilla Whitaker.)

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©Archives Cohérie Boris Vian©Argos Films

DIRECTION DE LA PUBLICATION

Catherine Mathivat

Jacques Vergnaud

RÉDACTION EN CHEF

Gaëlle Le Gall Nicolas

PRODUCTION

Agence Les Digitalistes

Cheffe de projet Mona Namrooty

Responsable éditoriale Marie Aline

Directrice artistique Virginie Oudard

Chargée de production Aurélie Lefebvre

Graphiste Loreleï Belkhadra

Rédaction Marie Aline, Clara Dupont-Monod, Evelyn Dawson

Secrétaire de rédaction Muriel Foenkinos

Traduction Priscilla Whitaker

Relecture Tagline

Photogravure Compos Juliot

Impression Imprimerie Léonce Deprez

Ce magazine est publié par LDM DEVELOPPEMENT, 73, rue de Vaugirard - 75006 Paris

RCS PARIS n°950 809 848

TVA – FR 26 950 809 848

Toute reproduction, même partielle, est interdite.

Parution Avril 2024

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération. - Fumer nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage.

Excessive use of alcohol is dangerous for your health, consume with moderation. - Smoking is harmful to your health and to the health of nonsmokers around you.

lesdeuxmagots.fr Retrouvez le contenu des 140 ans All the content on our 140th

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