Racines #01

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Automne/Hiver 2020-21 Le magazine réservé aux membres de Ventealapropriete.com

020 Millésime 2 comme pas Une cuvée utres les a— e! Champag n yau x s jo Dégustez lemm u de M— ec... Un ver re avcon Régis Mar

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édito

Petites gorgées

Grands formats

4 Actualité. 2020, un millésime pas comme les autres

18 Néo-vignerons. Château Le Devay

6 Insolit(r)es. Le vin, c’est fou !

24 Pionnières. Le vigneron est une femme

7 Le bon mot. Tanin 8 Exclusivité. Royal Glass, l’outil essentiel de la dégustation 9 Cépages. Regards croisés sur la syrah 10 Club VIP+. Rencontre avec Guy Fréquelin 12 Datavino. Cabernet-sauvignon superstar 14 Champagne ! RSRV, les joyaux de la Maison Mumm 16 Cuvées et services exclusifs de Ventealapropriete

26 Rosé hors-saison. Clos Cibonne 36 Héritage en Bourgogne. Domaine Faiveley

Dégustation 42 Des accords. Cuisine thaïe : la maîtrise du feu 44 Un verre avec… le chef Régis Marcon 46 Mets-Vins. Le chocolat en 3 façons 47 Carte sur table. Sélection de restaurants 48 Évasion. Venissa, le vin de la lagune

Photo : Olivier Metzger

50 Dernière gorgée. Je trinque, tu trinques… nous trinquons

LES MILLÉSIMES se suivent, mais ne se ressemblent pas. Jamais l’adage n’aura résonné aussi fort cette année. Confrontés comme vous tous à la pandémie et ses conséquences, nous avons dû nous adapter pour pérenniser malgré tout ce lien que Ventealapropriete tisse entre vous et nos partenaires vignerons. Appelés à s’exprimer sur ce millésime très singulier, ils ont témoigné d’un certain optimisme dont nous nous faisons l’écho à notre tour. Pour poursuivre le dialogue avec vous, nous avons voulu donner un nouvel élan à notre magazine. Avec cette formule inédite baptisée Racines, l’idée reste cependant la même : passer de la bouteille à la vigne, remonter le fil de l’histoire pour comprendre toutes les facettes culturelles, viticoles, techniques, mais aussi et surtout humaines du vin. Un couple dans les collines rhodaniennes, des vigneronnes dans toute la France, un frère et une sœur en Bourgogne ou encore toute une famille dans le Var. En ces temps bouleversés, où le champ des possibles est limité et contraint, le vin révèle peut-être plus que jamais sa force d’évocation et sa magie. Il est un trait d’union entre l’imaginaire, l’ailleurs, les autres. Malgré les aléas de notre organisation remaniée, nous empruntons toujours ce même chemin de la découverte et du partage. Une direction qui est la nôtre depuis le premier jour et en cette fin d’année, nous sommes très heureux de vous réserver quelques privilèges que nous vous laissons découvrir au fil des pages. 2020 se refermera bientôt pour laisser place à une nouvelle année que nous espérons celle de l’espoir et du renouveau. Plus que jamais, restons confiants, curieux et passionnés ! Alaric de Portal Directeur général adjoint de Ventealapropriete

Le magazine Racines est réservé aux membres de Ventealapropriete.com, 200, boulevard de la Résistance, 71000 Mâcon. Directeur de la publication : Alaric de Portal Conception et réalisation : Les Digitalistes, 9, rue Emilio-Castelar, 75012 Paris, lesdigitalistes.com. Coordination éditoriale : Julien Despinasse. Conseillère de la rédaction : Véronique Raisin. Direction artistique : James Eric Jones. Rédaction : Claire Brosse, Joël Lacroix, Léon Mazzella, Stéphane Méjanès, Estérelle Payany, Matthieu Perotin, Véronique Raisin, Olivier Reneau, Zazie Tavitian. Photos : Alexis Armanet, Romain Guittet, Anne-Claire Héraud, Caspar Miskin, Olivier Metzger. Illustrations : Chez Gertrud. Photo de couverture : Romain Guittet. Secrétariat de rédaction : Muriel Foenkinos. Impression : Imprimerie Léonce Deprez. Nous écrire : mag@ventealapropriete.com

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Petites gorgées—Actualité

Un millésime pas comme les autres Le confinement, un monde à l’arrêt, des risques sanitaires… Mais aussi des vendanges en avance et une belle promesse dans les raisins : 2020 restera définitivement dans les annales. Les vignerons nous racontent. « Je reste optimiste, car

l’appellation a toujours su faire corps. » Champagne Thiénot

Stanislas Thiénot, directeur général, et Nicolas Uriel, chef de caves et responsable du vignoble

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Pour Stanislas Thiénot, « la résilience passera nécessairement par un état psychologique positif. Pour le moment, la Champagne doit traverser ce tunnel, mais je reste optimiste, car l’appellation a toujours su faire corps et mettre en place les bons outils indispensables à sa relance. Le millésime 2020, malgré des quantités réduites, s’annonce sous les meilleurs auspices, donc je reste confiant ! » « C’est certainement la vendange la plus précoce du siècle ! Même 2003 avait été récoltée fin août », s’exclame Nicolas Uriel. « Là, nous avons commencé le 17 août pour terminer le 3 septembre. Tout le cycle végétatif était en avance, avec un débourrement fin mars. Finalement, avec des équipes au complet – même nos vendangeurs d’Europe de l’Est ont pu nous rejoindre –, on ne s’en sort pas si mal. Il est encore un peu tôt pour se prononcer, mais les jus que l’on a rentrés se présentent bien, avec de jolis pinots noirs et des meuniers qui ont atteint une belle maturité. Nous sommes assez optimistes. »

« Un beau cadeau dans

cette année si compliquée » Domaine Georges Vernay

Christine Vernay, viticultrice « Il me plaît bien, ce millésime, c’est un beau cadeau dans cette année si compliquée. Bien sûr, il a fallu s’adapter à la situation. Mais finalement, chacun a trouvé ses marques et on a pu imaginer des solutions. Nous avons terminé les vendanges le 15 septembre, je me sens un peu orpheline de cette période joyeuse ; mais déjà, les viogniers développent une belle aromatique, avec des notes de thym, de menthol, de pêche blanche. Nos syrahs sont très épicées, on a eu de beaux et bons raisins, j’ai confiance en la fraîcheur de nos terroirs. Au niveau commercial, le coup d’arrêt a été brutal, mais pour nous, les pertes sont limitées, heureusement. La vente en ligne me paraît désormais incontournable. Avec Ventealapropriete, nous avons développé une relation de confiance et je suis très heureuse de cette cuvée La Croix de l’Oiseau que je leur réserve, je m’amuse beaucoup à la faire. » 01. Stanislas et Garance Thiénot

Photos : Leif Carlsson (Thiénot) ; Elsa Olu (Vernay) ; Christophe Goussard/VU (Derenoncourt) ; DR (Pesquié)

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« Pas que des mauvais souvenirs en 2020… » Château Pesquié

Frédéric Chaudière, vigneron « On a eu la chance d’avoir de bons partenaires comme Ventealapropriete qui nous ont soutenus pendant cette période. En France, c’est notre plus gros client et nous avons continué à vendre du vin en ligne, plus que jamais ! D’ailleurs, la cuvée Juliette commercialisée cet été est un clin d’œil à ma fille, née pendant le confinement ! Il n’y aura pas que des mauvais souvenirs en 2020… Côté récolte, nous sommes très contents ; de beaux volumes, des raisins sains, cela nous a redonné le sourire ! En plus, les raisins n’ont pas souffert de la chaleur ; ils sont mûrs, bien concentrés, avec de belles acidités, comme en 2019. C’est très prometteur ! »

« Une année plutôt

correcte, étant donné les circonstances » Domaine de l’A

Stéphane Derenoncourt, consultant et vigneron « Si les ventes se sont effondrées pendant le confinement, l’activité a commencé à repartir doucement durant l’été et au final, on fera une année plutôt correcte, étant donné les circonstances. Le haut de la pyramide s’en sortira toujours mieux. Mais le fossé se creuse avec les plus petites appellations où certains vivent des situations dramatiques. Pour la première fois cette année, nous avons présenté le Domaine de l’A sur Ventealapropriete et le résultat fut plus que satisfaisant ! À titre personnel, sur ma propriété de Castillon, j’ai pu rester dans les vignes tout le temps du confinement. J’ai adoré, ça faisait longtemps que j’en rêvais ! D’autant que le millésime est fabuleux. Des rouges de belle maturité, récoltés sous une météo de rêve ; je suis plus réservé sur les blancs, qui ont un peu souffert de la chaleur, mais j’ai planté du chardonnay à haute densité et je suis impatient de voir le résultat ! »

Alaric de Portal Directeur général adjoint de Ventealapropriete « Le confinement a bouleversé notre organisation. Notre priorité fut de réorganiser notre logistique en mettant en place de nouvelles dispositions pour vous assurer le meilleur service possible, tout en garantissant la protection de nos équipes. Nos amis vignerons, déjà malmenés à l’export notamment sur le marché américain avec la taxe Trump, ont vu le marché intérieur se fermer subitement. Notre réflexe a alors consisté à donner la main à notre premier cercle de vignerons, ce qui nous a encore un peu plus rapprochés d’eux. Sensibles à l’engagement des soignants, nous avons soutenu diverses actions en leur faveur, en Seine Saint-Denis et en Bourgogne, ainsi qu’aux côtés de la Fondation de France. »

VÉRONIQUE RAISIN /

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Petites gorgées—Insolit(r)es

Le vin, c’est fou !

5 histoires authentiques sur la vie du vin comme elle vient. Chapeau, les Bretons ! Avec le changement climatique, il devient réaliste de planter des vignes dans des climats frais et septentrionaux. Après les Bretons d’Angleterre, place aux Bretons du Finistère et d’Ille-et-Vilaine. Près de Quimper et à Saint-Suliac, la vigne s’épanouit comme un charme. Des cépages variés (chardonnay, pinot blanc, chenin, rondo, gamay…) donnent désormais naissance à des blancs, des rosés et des rouges.

On a frôlé l’incident diplomatique L’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), gardien des appellations, s’était mis en tête, en début d’année, de priver Chablis de son identité bourguignonne en sortant 64 communes de l’aire de production de l’AOP Bourgogne. Corollaire ubuesque : de nombreuses communes du Beaujolais situées dans le Rhône pourraient, elles, produire sous l’AOP Bourgogne ! Face à la fronde, l’institut a rétropédalé. 6—

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Illustration Chez Gertrud

Vous avez dit «miracolo» ? Un beau matin, à Settecani, un hameau situé entre Modène et Bologne, dans le nord de l’Italie, les habitants ont eu la bonne surprise de voir couler du lambrusco de leurs robinets… À la suite d’un incident technique survenu dans l’usine d’embouteillage, mercredi 4 mars 2020, le vin rouge effervescent a commencé à couler dans les canalisations d’eau potable. Une savoureuse erreur d’aiguillage…


Petites gorgées—Le bon mot

Tanin

ou tannin, n.m. Marc-André Selosse voit des tanins partout… au point de leur consacrer un ouvrage érudit et gouleyant.

Pour un écopâturage efficace, revenons à nos moutons On connaissait le travail des sols effectué par le cheval, mais l’animal demande des soins et coûte cher. Voici donc le désherbage… au mouton ! Peu onéreuse, facile à mettre en place, cette méthode de tonte 100 % naturelle connaît ses adeptes. Le Domaine des Huards, à Cour-Cheverny, a testé et approuvé : en une semaine, les ovins avaient fait place nette.

Les «fenêtres à vin» de Florence remises à flot Ces drôles de petits trous dans les murs des villas florentines s’étaient fait oublier depuis les derniers épisodes de peste, au XVIIe siècle. La pandémie de coronavirus a offert une renaissance inespérée aux buchette del vino (fenêtres à vin). D’abord utilisées par la noblesse toscane pour vendre son vin sans intermédiaires, ces ouvertures ont été adoptées par les échoppes de la ville pour servir des verres dans le respect des gestes barrières. Une pratique bien commode en 2020 et qui n’est pas près de se tarir : la cité compte encore aujourd’hui environ 150 fenêtres. VÉRONIQUE RAISIN /

– LES GOÛTS et les couleurs du monde, une histoire naturelle des tanins, de l’écologie à la santé * fait le tour de la question. Son auteur est microbiologiste et professeur, notamment au Museum national d’Histoire naturelle, à Paris. Marc-André Selosse – comme Anselme, célèbre vigneron champenois, « un ami, mais sans lien familial connu », précise-t-il – n’est jamais obscur et son livre, pourtant scientifique, se lit comme on déguste une syrah corpulente. Les tanins sont une famille de molécules des plantes, les polyphénols. Ils contribuent à élaborer les couleurs et les arômes de tous les végétaux « et à les protéger de tous les désordres quand les tissus fonctionnent mal ». Marc-André Selosse se plaît à dire que « les tanins sont les couteaux suisses des plantes. Antioxydants, ils protègent le vin en “mangeant” l’oxygène et en évitant que les arômes ne s’altèrent. Ils effectuent naturellement le rôle des sulfites ». L’œil, le nez, la bouche Mais leur fonction ne s’arrête pas là. Qu’on en juge en dégustant en trois étapes, comme il se doit : ils jouent sur la robe des vins rouges et rosés avec les anthocyanes, des pigments naturels, et sur celle des vins blancs avec la quercétine (de quercus, chêne). Au nez, les tanins créent l’arôme en se volatilisant. En bouche, l’acidité, le sucré, l’amertume légère sont dus aux tanins. Le « toucher » du vin, plus ou moins souple, cette rugosité qui peut

aller jusqu’à l’astringence (un défaut du vin), nous la devons encore à ces molécules. Elles sont plus douces dans la peau du raisin que dans les pépins et la rafle. « L’astringence, lorsqu’elle survient, donne l’impression que notre bouche est elle-même rugueuse, à cause des protéines contenues dans la salive qui lubrifient la bouche, et des tanins qui, lorsqu’on boit du vin, s’accrochent à ces protéines, les déforment, interagissent et les empêchent de travailler », explique Marc-André Selosse. Un spectacle total Quant à la longueur en bouche, que d’aucuns comptent en caudalies (du latin cauda, queue, comme celle du paon), « elle s’explique en partie par la libération tardive des tanins qui s’étaient d’abord fixés sur les muqueuses de la bouche et qui s’échappent vers l’arrière-nez ». Le spectacle est donc total, les tanins convoquant couleurs, toucher lingual et buccal, goûts et odeurs. Ce qui fait dire au professeur que « le vin est une cathédrale de tanins ». Si le fruit est la première source de tanins, ceux du bois (de chêne) – servant d’ailleurs à tanner le cuir – agissent au cours de l’élevage du vin en fûts, « dont la porosité laisse entrer un peu d’oxygène qui entraîne une oxydation ménagée des tanins ». En vieillissant, ils se fondent et s’arrondissent : le vin s’ouvre en libérant les arômes tertiaires. Le liège du bouchon, enfin, est fait de subérine (de quercus suber, chêne-liège), une molécule tanique géante. Les tanins sont partout ! Et Selosse de conclure joliment : « Ils façonnent toute la perception que nous avons du vin, et d’abord sa sensorialité. » Essentielle. L É O N M A Z Z E L L A / * De Marc-André Selosse,

illustrations d’Arnaud Rafaelian, Actes Sud (2019) Racines

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L’outil essentiel de la dégustation

Experte, pratique et polyvalente, la gamme Royal Glass est désormais disponible en exclusivité sur Ventealapropriete.com

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L’excellence accessible

Laurent Vialette s’attèle donc, avec la complicité de Jean-Pierre Lagneau, designer et ingénieur acoustique qui partage avec lui le goût de l’innovation et l’émotion des grands vins, à la conception d’un verre à la fois pratique, résistant et multi-usage. Mais sans compromis sur la précision du ratio entre le diamètre du « buvant » (la partie supérieure du verre sur laquelle se posent les lèvres) et de « l’épaule » (la section la plus large du verre) pour permettre aux crus d’exprimer harmonieusement toutes leurs caractéristiques sensorielles. À l’origine des célèbres modèles Authentis de Spiegelau, le duo lance, en 2013, cette nouvelle génération de verres, gravés d’un motif à quatre feuilles, baptisée Royal Glass. Parmi eux, l’Ultima a impressionné les testeurs de la Revue du Vin de France, qui l’a

élu avec la note de 19/20 meilleur verre à vin et salue un « respect du vin [ blanc, rouge et champagne, ndlr] dans son équilibre ». Ventealapropriete convaincu

« Le verre est un médian très important. C’est lui qui transmet le message de la bouteille jusqu’à nous. Royal Glass combine tous les éléments favorables : transmission sensorielle, praticité d’utilisation et tarif amène*. Ça fait cinq ans que j’ai adopté le Polymaster dans lequel tous les vins sont parfaitement vitalisés... je n’ai jamais décroché », s’enthousiasme Alaric de Portal. Le comité de sélection a d’ailleurs choisi Royal Glass pour effectuer ses dégustations. « Il nous paraissait essentiel de transmettre notre recommandation à nos clients et de leur proposer les trois modèles de la gamme en exclusivité sur notre site. » JOËL LACROIX /

* Sur Ventealapropriete.com : Polymaster (8,90 €), Ultima (14,90 €) et Gran Ultima (19,90 €)

Photos DR

TOUS LES DÉGUSTATEURS le savent, le choix du verre influence sensiblement la façon de goûter le vin. Prolongement de la main, il est le trait d’union entre le breuvage et les sens, tous les sens. « Je prends souvent l’exemple de l’écran pour faire comprendre le rôle d’un verre. Regarder un film sur un écran de six pouces ou au cinéma, cela n’a évidemment rien à voir ! » raconte Laurent Vialette, cofondateur de Royal Glass. Ce grand amateur de vin et entrepreneur était déçu par l’univers de la verrerie, qui privilégie parfois le décoratif au détriment de la praticité, poussant parfois le bouchon jusqu’à proposer un type de verre par cépage... Alaric de Portal, directeur général adjoint de Ventealapropriete abonde : « Il y a tant de verres qui déçoivent ou qui abîment les vins... »


Petites gorgées—Cépages

Regards croisés sur la syrah Depuis le nord du Rhône et le Languedoc-Roussillon, deux vignerons mettent ce cépage en perspective.

Côté nord du Rhône « La syrah du Rhône septentrional, c’est la fraîcheur, l’intensité, la puissance maîtrisée autour de tanins fins, avec une expression aromatique assez florale, de violette, notamment, et une structure ciselée. » + Son vin Roche d’Hérode Appellation Côte-Rôtie

Pierre Gaillard

Côté Languedoc-Roussillon « La force du climat m’a surpris. Dans le Sud, il faut veiller à l’équilibre entre alcool et puissance, laisser la maturité venir sans aller trop loin… La syrah prend alors des notes plus confiturées que dans le Nord, de fruits noirs intenses. » + Son vin Parole de berger Appellation Faugères

Viticulteur à Malleval, il s’est aussi enraciné dans le Languedoc, à Faugères, au domaine Cottebrune et dans le Roussillon, au domaine Madeloc.

Côté nord du Rhône « L’extraordinaire diversité des sols et des expositions permet de jouer de caractères et de nuances différents dans chacune de nos cuvées, ajoutant ainsi à la complexité du cépage. Mais on conserve cette matière riche, cette couleur éclatante et cette fraîcheur. » + Son vin Ampodium Appellation Côte-Rôtie

René Rostaing

Côté Languedoc-Roussillon « La syrah souffre dans le Sud, il ne faut pas trop la charger. Elle a un degré d’alcool plus élevé qu’en Côte-Rôtie, on la récolte huit jours plus tôt. Mais les vins ont des tanins et une couleur d’enfer ! Le climat chaud et sec favorise aussi la puissance et l’élégance. » + Son vin Puech Noble rouge Appellation Languedoc

L’un des plus importants domaines de Côte-Rôtie s’est « expatrié » en Languedoc, depuis la fin des années 1990, au domaine Puech Noble.

« Les plus belles syrahs sont celles qui conservent de la fraîcheur et que seule une maturité lente en climat tempéré peut garantir. Je suis fasciné par les syrahs poivrées et fraîches du Valais suisse dont on trouve la trace depuis 1921. C’est l’illustration parfaite qu’un cépage s’exprime toujours très bien à la limite nord de sa culture. » Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde 2000 et membre du comité de sélection de Ventealapropriete

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Petites gorgées—Rencontre

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Quelle place tient la table dans votre vie ?

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J’ai toujours aimé les bonnes choses. L’avantage d’avoir été élevé à la ferme, c’est que j’ai toujours mangé des légumes et fruits frais du jardin, des volailles, des lapins. Ma mère et mon père cuisinaient, ils avaient le goût des choses simples. Avec la découverte du vin, ça s’est amplifié, j’ai eu envie de découvrir des restaurants. Bernard m’a aussi initié à ça. Il est décédé l’an dernier, ça a été un grand chagrin, car c’est une chose très forte d’être initié à l’art du vin et de la gastronomie. Quel accord mets et vins vous a particulièrement marqué ? Il y a peu de temps,

j’ai participé à un dîner organisé par Olivier Poussier et Christian Martray (membres du comité de sélection de Ventealapropriete), au Pré Catelan, et nous avons dégusté un amarone du domaine Dal Forno sur un lièvre à la royale… C’était magnifique !

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« Je n’ai pas d’a priori quand c’est bon » Guy Fréquelin, « Grizzly» pour les intimes, a été un immense pilote automobile. À 75 ans, c’est la passion du vin qui l’anime. Arrêt au stand pour une conversation sous le signe d’un hédonisme joyeux.

Vous êtes originaire de Humes-Jorquenay, en Haute-Marne. Que buvez-vous avec le fromage emblématique de la région, le Langres AOP ? Du blanc et notamment un

savagnin, vin jaune ou pas, comme sur le comté. Mais ça fonctionne bien aussi avec un chardonnay ou un chenin. J’ai prévu de tenter bientôt un accord avec un vin liquoreux, je suis sûr que ça va bien marcher. Comment avez-vous découvert Ventealapropriete ? Je connaissais Olivier

Poussier et Christian Martray avant qu’ils n’entrent dans le comité de sélection. Je suis curieux et je suis devenu un très bon client de Ventealapropriete pour découvrir des vins que je n’aurais pas l’occasion d’acheter ailleurs. Après ma dégustation du Pré Catelan, j’ai par exemple acheté des amarones, il fallait absolument que j’en aie dans ma cave ! Si vous étiez une couleur de vin ?

agriculteurs, il n’y avait que du Kiravi et je n’ai pas bu une goutte de vin avant l’âge de 36 ans, à part peut-être une gorgée de champagne sur le capot de ma voiture quand je gagnais une course. J’y suis venu grâce à mon ami Bernard, le comptable qui m’a aidé à remplir ma première déclaration d’impôts. Un jour, il nous a invités à dîner avec ma femme, Chantal. Je me souviens qu’il y avait un corton-charlemagne, un volnay santenots et un pommard Les Rugiens. Je n’ai pas eu de choc, mais quelque temps plus tard, il m’a convié à une dégustation de pommard au tonneau. Là, j’ai découvert un vin jeune, sur le fruit, et j’ai commencé à y trouver un 10—

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intérêt. J’ai aussi très vite apprécié les vins plus vieux, en bouteille, soyeux, avec des tanins très fondus. Vos plus grands souvenirs de dégustation ?

Il y en a beaucoup ! Une Romanée-Conti 1978, le premier montrachet de Pierre Ramonet, millésime 1978 lui aussi, des Cathelin 1990 et 1991 bus avec Jean-Louis Chave, un gevrey-chambertin 1990 de chez Charles et Éric Rousseau, un chambolle-musigny premier cru Les Amoureuses de chez Christophe Roumier, en 2002, l’année de naissance de deux de mes petites-filles, pour qui j’en garde encore. Et, plus récemment, j’ai bu un Vega Sicilia 1986 en magnum, cela reste l’un des cinq plus grands vins de ma vie, c’était exceptionnel.

Plutôt blanc il y a quelques années, je vais davantage vers le rouge à présent, mais je suis toujours en extase devant un grand vin. Je n’ai pas d’a priori quand c’est bon. Si vous ne deviez sauver que quelques bouteilles de votre cave, quelles seraientelles ? Sans doute les magnums de Bollinger

que je garde pour mes quatre petites-filles, Camille, Maylis, Pauline et Romane, millésimes 1999, 2002 et 2004. J’aime les champagnes vineux à fines bulles. Mais il y a une bouteille que je n’ai plus besoin de sauver, un vosne-romanée premier cru Aux Malconsorts en jéroboam, débouché pour les 20 ans de Camille. Toutes les occasions sont bonnes pour boire du bon vin. STÉPHANE MÉJANÈS /

01. L’édition 1989 du Paris-Dakar | 02. Guy Fréquelin avec Jean Ragnotti, à l’arrivée des 24 Heures du Mans, en 1978

Photos : Romain Guittet ; DR

Comment êtes-vous devenu un amateur de vin ? Je partais de loin. Chez mes parents


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Photo

Vigneron—Dagueneau News—Portrait

Teaser—Teaser

BIO EXPRESS

1945 Naissance le 2 avril à Langres (Haute-Marne) 1966 Première compétition comme copilote au rallye des Six Heures de Saint-Cloud 1967 Première victoire à la Ronde du Jura 1977 Premier titre de champion de France des rallyes sur Alpine A310 V6 1981 Vice-champion du monde des rallyes sur TalbotChrysler Sunbeam-Lotus 1989- Directeur sportif de 2007 Citroën Sport, il obtient 4 titres de champion du monde des rallyes pilotes avec Sébastien Loeb et 3 titres constructeurs.

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Petites gorgées—Datavino

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Cabernet sauvignon

Icône des vignobles du Bordelais, son terroir de prédilection, c’est le cépage le plus répandu dans le monde. Cette popularité méritait bien de faire plus ample connaissance.

1783

Petit, mais croquant

Date de la première trace écrite connue des termes cavernet sauvignon dans l’enquête de Nicolas Dupré de Saint-Maur pour fixer la nomenclature de la vigne (1782-1784). Il y distingue le « gros » et le « petit » cavernet sauvignon. Une star est née.

Cette variété se caractérise par de petites baies dans une grappe de petite à moyenne grosseur, un bourgeonnement tardif et une longue maturité. Les raisins sont serrés, leur peau dure et épaisse, bleu noirâtre. Leur chair, ferme et croquante, donne un jus dense, à la saveur douce.

Un aïeul romain Le biturica est l’ancêtre du cabernet franc, donc du cabernet-sauvignon. Lucius Columella, grand agronome de la Rome antique qui a décrit l’agriculture et les vins de son époque, parlait de la vigne biturica comme d’un plant de qualité supportant le froid, la tempête et la pluie.

Cabernet-sauvignon

341

Merlot

266

Tempranillo

231

Champion du monde

Airén

218

Chardonnay

210

[ En milliers d’hectares en 2017 ]

Avec 341 000 hectares, le cabernet-sauvignon est le plus planté des cépages de cuve — destinés à être transformés en vin ou en brandy.

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« Nous louons à chaque dégustation la qualité des cabernets pour leur droiture, leur fraîcheur et leurs arômes de graphite fin qui rappellent la mine de crayon, signe d’un parfait équilibre. Ce grand cépage offre des vins d’une carrure impressionnante et assure, à maturité idéale — quand le millésime le permet —, des vins de très longue garde. Les crus classés de Bordeaux en sont la meilleure preuve. » Christian Martray, sommelier, membre du comité de sélection de Ventealapropriete

Sources chiffrées : Organisation Internationale de la vigne et du vin /Distribution variétale du vignoble dans le monde en 2017, publiée en février 2018.

Par Véronique Raisin


30.08

Polyglotte

En France, on peut le trouver sous les noms « petit cabernet » ou « petite vidure » dans le Médoc et dans la région des Graves, « petit bouchet » à Saint-Émilion et à Pomerol. Et dans le monde ?

Aux États-Unis, il est si populaire qu’une journée lui est dédiée ! L’International Cabernet Sauvignon Day est célébré le 30 août.

Le fruit d’une union Le cabernet-sauvignon est une variété de cuve à raisins noirs issue d’un croisement entre le cabernet franc et le sauvignon blanc d’origine bordelaise, qui a eu lieu en France, au XVIIe siècle. Sa lignée n’a été formellement établie qu’à la fin des années 90, par des chercheurs de l’Université de Californie, à Davis.

Un bouquet poivron-violette Les vins obtenus sont reconnaissables à leurs arômes de violette et de poivron (induits par la pyrazine, une molécule qui se développe notamment si les raisins sont vendangés tôt). Ils sont prisés pour leur structure, leur haute teneur en tanins et leur capacité de garde.

Espagne. Marchoupet, carbonet, bidure, burdeos tintos Roumanie. Bordo ou bordeaux Maroc. Navarre, petitbouchet, petit-cabernet Bulgarie. Bouchet, bouchet sauvignon, carmenet, castet, lafet Russie. Kabsov, keb, сabernet

N°6 en France

Globe-trotteur

En termes de surface occupée dans l’Hexagone, le cabernet-sauvignon arrive derrière le merlot, le trebbiano toscano (ou ugni blanc), le grenache noir, la syrah et le chardonnay.

Hongrie France

4,4 %

6 %

Roumanie

2, 6 %

Espagne

USA

2,1

%

9, 3 %

Chine

Grèce

7, 2%

1, 9 %

Brésil

1,1 %

L’ami du Chili Il occupe 20,1 % de la superficie totale des vignobles chiliens, avec 43 000 hectares de surface plantée.

Afrique du Sud Argentine

9, 2 %

6, 7

%

Illustrations Chez Gertrud / Infographies James Eric Jones

Australie

16, 8%

[ Proportion du cabernet-sauvignon dans l’encépagement total du pays ]

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Ventealapropriete vous donne accès aux joyaux de la Maison Mumm

Ces cuvées marquées « RSRV » par le Chef de Caves distinguent des flacons d’exception désormais accessibles à tous nos membres.

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et sur notre portail VIP. Jusqu’ici, seule une poignée de privilégié(e)s pouvait donc en faire l’acquisition. Un partenariat exclusif Aujourd’hui, l’évolution de notre partenariat avec la Maison Mumm nous permet d’étendre sa distribution à tous nos membres. À quelques semaines des fêtes de fin d’année, nous sommes ravis de partager cette bonne nouvelle. Ainsi, les cinq Grands Crus de la collection s’offrent à vous en exclusivité sur Ventealapropriete.com. Les vins de la gamme ne sont pas seulement raffinés et profonds, ils sont également superbement présentés dans des bouteilles iconiques, héritières du carafon du XIXe siècle, qui favorisent la garde et la bonne

Photos DR

AVEC LA COLLECTION RSRV 100 % Grand Cru, la Maison Mumm perpétue presque 200 ans de tradition. Depuis le XIXe siècle, elle réserve en effet certaines de ses cuvées d’exception à un public d’amis et d’amateurs triés sur le volet, à l’instar du Mumm de Cramant en son temps, un blanc de blancs sorti de cave pour la première fois en 1838. Ces vins de Champagne illustrent l’excellence de son terroir et de son savoirfaire : tous issus de parcelles classées Grand Cru méticuleusement sélectionnées dans le vignoble de la Maison, ils sont produits à très petite échelle et de fait, ne sont vendus qu’aux « amis » de la Maison. Rares, voire introuvables, les cuvées RSRV de Mumm bénéficiaient d’une distribution ultra sélective, par parrainage uniquement


émancipation des saveurs. Les cuvées RSRV suscitent l’adhésion immédiate et inconditionnelle des amoureux de champagne. — Les cinq cuvées dégustées par Olivier Poussier, Meilleur Sommelier du monde 2000 et membre du comité de sélection de Ventealaproriete. RSRV Cuvée 4.5 « Très raffiné, profond, savoureux, de grande personnalité, ce Champagne Brut Grand Cru RSRV Cuvée 4.5 est une superbe réussite. Il tire son nom des quatre années de vieillissement en caves et des cinq terroirs classés Grand Cru. À dominante de pinot noir, il relaie des arômes de fruits à noyaux, de fruits rouges, dans une bouche de parfaite pureté aux accents crémeux. C’est un grand champagne, tout en finesse, d’une grande précision. » RSRV Rosé Foujita « Avec ses notes très typées de fraise des bois, le Champagne RSRV Rosé Foujita surprend et enchante. Très savoureux, ample et profond, il développe de beaux arômes de fruits rouges, de griotte et de framboise sauvage avec beaucoup de classe et une pointe de zeste. La bulle magnifique amène de la densité et de la fermeté, dessinant un rosé vineux et riche d’une grande précision. Avec de la chair, du galbe et de la persistance,

c’est un très grand rosé de repas. Rappelons également que Foujita, grand peintre japonais des Années folles, a dessiné la rose qui orne la bouteille de champagne dévoilée pour la première fois au Festival de Cannes de 1958, puis servie au palais de l’Élysée. La cuvée rend hommage à cet artiste, ami de la Maison. » RSRV Blanc de Blancs 2014 « Totalement fidèle aux grands chardonnays de la région, en particulier le village de Cramant dont il est issu, le Champagne RSRV Grand Cru Blanc de Blancs 2014 combine pureté, précision et persistance. C’est une grande cuvée de champagne, marquée par des notes de craie, des nuances raffinées de tarte au citron meringuée et de beaux effets iodés. Millésime mûr et de grand équilibre, il ira loin encore. » RSRV Blanc de Noirs 2009 « Épaulé par un millésime chaud et solaire, le Champagne RSRV Grand Cru Blanc de Noirs 2009 déroule une trame subtile et longiligne, tout en finesse, magnifiquement ordonnancée autour de notes de graphite et de craie, un fruit vibrant et précis, parfaite expression des pinots noirs de Verzenay. Structuré, puissant, avec une belle tension, c’est un grand champagne, assuré et pur, qui se destine à la table. »

Une bouteille racée 1—Le col élancé et étroit réduit la quantité de gaz dans les bouteilles. Il favorise un vieillissement plus lent au service d’un développement subtil des arômes et d’une plus grande complexité des vins. 2—L’étiquette arbore un coin supérieur droit biseauté, rappelant que les bouteilles RSRV étaient auparavant livrées sans habillage à leur heureux destinataire, accompagnées simplement d’une carte de visite au coin supérieur replié, signe de leur remise en mains propres.

RSRV Lalou 2006 « Cette cuvée d’élite rend hommage à celui qui dirigea la Maison Mumm durant plus de trois décennies, au milieu du XXe siècle, et traduit sa vision de l’excellence. Le Champagne RSRV René Lalou 2006 joue subtilement sur un registre d’évolution sans sécheresse – fruits secs, accent grillé d’épices orientales, de caramel –, avec une fraîcheur traversante superbe. Ce style éternel, issu d’une sélection drastique de Grands Crus vieillie dix ans en cave, porte ici une grande énergie, tout en grâce et en profondeur. » Racines

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L’incontournable Graal bourguignon Domaine René Bouvier, Marsannay rouge Vieilles Vignes 2017 (22,90 €) Nos récentes dégustations confirment le haut niveau atteint par ce domaine familial qui se place parmi les grands vignerons de la Côte de Nuits. Virtuose sensible, Bernard Bouvier fait partie des noms qui comptent en Bourgogne. Il réalise, au Domaine René Bouvier, de grands vins d’auteur dont la précision de fruit et les textures de bouche sont infiniment justes et délicates. Découvrez tout le panache de « cette nouvelle gloire du vignoble français », comme le surnomment les critiques. Doté d’un charme immédiat et ravissant, son Marsannay rouge Vieilles Vignes 2017 affiche une jolie palette aromatique de fruit bien mûr, entre baies noires, cerise fraîche et notes graphites. Minéral, dynamique, porté par une grande persistance, ce très beau pinot noir fera l’unanimité, c’est le trait d’union parfait entre chair et finesse.

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Nouveauté : la boutique aux whiskies Cela ne vous aura sans doute pas échappé : Ventealapropriete élargit son offre aux spiritueux, des whiskies bien sûr – une passion française puisque notre pays se hisse à la première place de la consommation mondiale –, mais aussi des rhums, des cognacs et des gins. L’engouement de plus en plus vif pour cet univers ne se dément pas et le nombre d’acteurs et de références se multiplie de la part des pays producteurs historiques, mais aussi de distilleries situées un peu partout dans le monde. Afin de ne vous proposer que les meilleurs flacons, nous avons confié à nos experts en sommellerie la mission de dénicher les perles. Olivier Poussier, Meilleur Sommelier du monde, et Christian Martray, sommelier, connaissent bien cette catégorie, et à plus d’un titre, car la formation exigeante de sommellerie ne repose pas exclusivement sur la connaissance des vins. En effet, elle est bien plus large et requiert une tout

01. Bernard Bouvier, un nom qui compte en Bourgogne

aussi fine maîtrise des spiritueux, des cafés, des thés et même des cigares ! Tout un univers sensoriel et olfactif à sonder et mémoriser, qui fait de ces experts de véritables « nez » pensants… Ainsi, à l’aune de leurs connaissances et de leurs avis toujours très pointilleux et pertinents, nous avons sélectionné la meilleure panoplie de whiskies du monde, dont certains en exclusivité pour nos membres. Écosse, Irlande, Pays de Galles, Japon, États-Unis, Inde, Canada, Suède, France et même Taïwan sont les nouvelles places stratégiques à conquérir ! Un terrain de jeu infini entre arômes torréfiés de fruits secs, de malt, de vanille et d’épices qui raviront les amateurs. Découvrez-les vite sur l’espace qui leur est consacré, une boutique parfaitement alimentée où flâner entre Single Malt, bourbon et Single Pot, du leader écossais à l’énigmatique Taïwanais, en passant par la terre originelle d’Irlande ou le désormais incontournable whisky japonais. Le tout accessible en un simple clic ! (Depuis l’onglet «Les spiritueux» en page d'accueil.)

Photos : Peter Stumpf (Bouvier), DR


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Rare signature, grand terroir Domaine Didier Dagueneau, En Chailloux, Sancerre blanc 2015 (29,90 €)

— Icône de la Loire, le Domaine Didier Dagueneau est une référence absolue pour tout amateur de sauvignon blanc. Louis-Benjamin Dagueneau a fait l’acquisition, en 2009, d’une toute petite parcelle de 25 ares, un terroir de petits silex blancs sancerrois, dans le secteur contigu des Belles Dames et Demoiselles, hauts lieux de l’appellation Sancerre. Initialement baptisée Caves Jean Grothé, du nom de l’ancien propriétaire, la cuvée porte désormais le nom En Chailloux. Le Sancerre blanc 2015 déploie toute la pureté du sauvignon, dans une trame longiligne et dense, fraîche et acidulée et dans un style plus ample, grâce à l’empreinte solaire du millésime. Les notes de glycine, de miel fin, avec un boisé très pur, se détachent tout du long.

Un de nos coups de cœur en morgon Domaine Louis-Claude Desvignes, Morgon rouge 2018 (12,90 €)

— Grande référence de l’appellation Morgon, le domaine Louis-Claude Desvignes donne naissance à des vins profonds et intenses, au potentiel de garde immense. Loin de tout archétype et de toute facilité, les vins de cette adresse prisée et récompensée de trois étoiles par la Revue du Vin de France expriment l’originalité 02. Sting dans ses vignes de la Tenuta Il Palagio

des meilleurs terroirs de Morgon, avec une grande fermeté sur la jeunesse, qui n’est qu’un avant-goût de leur énorme potentiel dans le temps. D’une exécution remarquable, ce Morgon 2018 se distingue non seulement par ses notes de fruits noirs, de graphite et d’épices, mais aussi, et surtout par une matière d’une grande finesse. Il arbore une tonalité digeste – comme un écho de son terroir de schistes – fraîche et extrêmement sapide. Long, ultra gourmand, ce vin est à nos yeux l’un des plus émouvants dans sa catégorie. À ce tarif, on ne peut que saluer cette grande qualité !

En duo avec Sting en Toscane Tenuta Il Palagio, Shape of My Heart, rouge 2018 (14,90 €)

Ambassadeur impérial du Rhône Domaine François Villard, Crozes-Hermitage Nobilis Semita rouge 2018 (14,90 €)

— Nous avons décidé de créer ensemble cette cuvée exclusive, une sélection de jus hauts de gamme, qui est le reflet de notre enthousiasme à la fois pour les syrahs rhodaniennes et pour l’excellence du domaine. Impérial ambassadeur du Rhône, François Villard dépoussière les codes avec panache. Son énergie et sa capacité d’innovation le poussent sans cesse à se dépasser et à forger des vins à l’identité très affirmée. Ils se placent régulièrement parmi les meilleurs de leur appellation. Sur Crozes-Hermitage, ses cuvées brillent d’un fruit pulpeux et d’un naturel insolent. Profond et nuancé, le Crozes-Hermitage Nobilis Semita rouge 2018 est une explosion de fruit frais et juteux. C’est une syrah franche, savoureuse, sans artifices, dotée d’une belle profondeur, de tanins fermes et élégants, pour un plaisir immédiat.

Une cuvée italienne co-composée par Sting et Ventealapropriete. Voilà le résumé précis qu’en fait Olivier Poussier : « Shape of My Heart met en évidence toutes les qualités du vignoble italien. Nous avons réalisé ce que nous voulions faire : un vin qui respire dans ses arômes et ses saveurs l’identité de la Toscane… C’est ce qui nous tenait à cœur, vous proposer un vin qui respire l’endroit où il est né. » Amoureux fou de la Toscane, le chanteur Sting et son épouse Trudie Styler ont acquis la Tenuta Il Palagio en 1995. Avec le même talent qu’il met à composer, il nourrit les plus hautes ambitions pour son domaine. Séduits par cette approche, ce lieu, cette équipe, nous avons allié nos savoir-faire et avons composé une cuvée sur mesure. Issue majoritairement de sangiovese, la cuvée Shape of my Heart 2018 offre un fruit juteux, autour de notes d’origan, de fruits mûrs, d’épices et d’herbes aromatiques très fraîches. Les tanins policés, la bouche ample et charnue, la touche épicée et légèrement saline de la finale dessinent un vin gourmand et fédérateur, totalement identitaire de la Toscane. Racines

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Grand format—Néo-vignerons

à cœur vaillant, C’est l’histoire de terroirs de schistes, d’un vignoble oublié en bordure de Vienne et d’un défi audacieux où biodynamie, idéaux et engagement se mêlent. L’histoire de deux rêveurs opiniâtres : Jean-Charles et Florence Fournet, du château Le Devay.

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Texte Véronique Raisin— Photos Anne-Claire Héraud


Section—Rubrique Néo-vignerons—Soigneux Néo-vignerons—Soigneux Néo-vignerons—Soigneux

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LA GRANDE MAISON DE CAMPAGNE, entourée de friches, de bois et de forêts regarde vers le Rhône. C’est ici, près de Vienne, qu’est né, en 2004, ce projet un peu fou. Sur les hauteurs de Saint-Romain-enGal plus exactement, à peine quelques kilomètres au nord des dernières parcelles de Côte-Rôtie. Jean-Charles Fournet, radiologue, et Florence Fournet, orthophoniste, s’y installent et entreprennent la rénovation des bâtiments. Cette propriété du XVIIIe siècle, autrefois maison de repos de l’archevêque de Vienne, est entourée de nombreux bâtiments agricoles et de 21 hectares de terres, sur lesquelles le cadastre atteste la présence passée d’un vignoble.

« Cela nous ferait une jolie promenade » Lorsque Florence et Jean-Charles s’installent au Devay, c’est pour habiter cette large bâtisse, y vivre une vie familiale paisible, comme un refuge en contrepoint d’une activité professionnelle trépidante. Quinze ans plus tard, les voilà devenus vignerons. Et pas de n’importe quelle façon ni sans exigences. En choisissant de gravir l’Everest par la face nord, c’est en aventuriers inexpérimentés qu’ils se sont attelés au défi de leur vie. « Au départ, nous n’avions pas forcément envisagé la création d’un vignoble avec tout ce qui s’ensuit. C’était d’abord un projet esthétique. Personnellement, je trouvais ça bien de réhabiliter les friches, de se réapproprier la nature. Je pensais que cela nous ferait une jolie prome20—

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nade », explique Florence, totalement investie depuis. Mais du commerce du vin à sa production, le fossé est géant, le pas risqué. « On se dit qu’on est fous, on nous le répète assez souvent d’ailleurs ! » C’est Pierre-Jean Villa, leur ami vigneron de Côte-Rôtie et Condrieu, qui les met sur la voie. Tout autour de la maison, une végétation sauvage colonise naturellement le paysage. « Tu devrais planter de la vigne. Ce sont des sols de schistes, idéals pour nos cépages. » Une phrase en apparence anodine qui fait son chemin. Et pourquoi pas ? « Au début, l’idée était de planter un peu de vigne pour nous et de produire quelques bouteilles pour les amis et la famille », explique Jean-Charles. « Nous voulions aussi faire des terrasses comme en Italie, une sorte de jardin à la française. Et puis on s’est pris au jeu, parce que cela nous a plu », poursuit Florence. Les premiers rangs, alignés sous la maison, marquent le début du rêve. « C’était le 1er avril 2015, on regardait nos premières vignes depuis la fenêtre de la salle de bains », se souvient Jean-Charles.

Goûter la salinité du schiste pur Tout autour de la propriété, des coteaux plongent dans le vallon, cintrant le paysage de leurs pentes abruptes. Les roches de types schistes et micaschistes forment l’essentiel des surfaces – les mêmes sols que l’on retrouve un peu plus loin, sur les versants de Côte-Rôtie. Ce terroir oublié, en bordure de Vienne, face à Seyssuel, n’est en effet


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distant de l’appellation reine que d’un petit kilomètre. Jean-Charles savoure sa chance : « Sur ces sols intacts, préservés de toute pratique intensive, on goûte encore la tension, le caillou, la rudesse et l’intensité saline des schistes. » Dans ce cirque préservé bordé de bois et ceint seulement par une nature ordonnée et limitée par le fleuve qui coule en contrebas, le calme et l’étonnement subsistent. « Nous sommes seuls au milieu des bois ! L’environnement idéal pour pratiquer l’agroforesterie et la biodynamie », précise-t-il.

La voie ardue de la viticulture douce D’expérimental, le projet est devenu concret, entêtant, total. Avec ses victoires et ses doutes. La construction de la cave, la recherche de salariés qui s’occuperaient du vignoble à plein temps et qui s’est présenté sous la figure de leur neveu, Roman Gay, et de Margaux Vigy, venue du domaine Georges Vernay... « On adore apprendre, découvrir de nouveaux gestes, de nouveaux métiers », s’enthousiasme Florence. « On peut dire qu’on est servis, surtout quand il s’agit de découvrir l’administration, les déclarations des douanes, la paperasse… C’est lunaire, renchérit Jean-Charles. Il y a le temps consacré au vin et il y a tout le reste Je faisais déjà des semaines de 70 heures au cabinet, j’ai ajouté les weekends, rogné sur les vacances et les nuits ! » Les vignerons du coin défilent en procession pour observer ces néo-

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phytes en blouse blanche qui ne font pas tout à fait comme eux. JeanMichel Gerin, Christine Vernay, Yves Gangloff, Thierry Germain – des pointures du vignoble – sont leurs premiers anges gardiens, les fans de la première heure. Attentifs et solidaires, ils prodiguent conseils et approbations, tout en observant et relevant pour leur compte les techniques iconoclastes employées ici. Paillage des vignes, taille en « flux de sève » non mutilante (permettant une bien meilleure circulation de la sève et surtout de préserver la longévité du cep), plantation de près de deux kilomètres de haies autour de la propriété, vignes mères de 11 000 porte-greffes, jusqu’à l’installation de 40 ruches… Les Fournet ont choisi la voie la plus ardue, une viticulture douce, respectueuse du vivant, liant permaculture, agroforesterie et biodynamie.

« Plus c’est varié, plus c’est complexe ! » En perfectionnistes, ils s’entourent des experts de leur discipline, lisent, épluchent manuels et rapports théoriques, expérimentent, échouent, recommencent… Ils font ainsi appel à Claude et Lydia Bourguignon, des microbiologistes des sols réputés mondialement, qui isolent 5,5 hectares de terres idéales pour la plantation de cépages rhodaniens. De gigantesques travaux de défrichement sont entrepris. Parallèlement, les Fournet prennent contact avec différents pépiniéristes pour amorcer les plantations en 2015 – Jean-Claude Racines

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Lapierre en Savoie, les pépinières Mistral et Lilian Bérillon dans le Vaucluse. Diversité des plants et des porte-greffes, qualité des sélections sont ainsi privilégiées. « Il faut concilier plusieurs approches pour favoriser la diversité génétique. Plus c’est varié, plus c’est complexe ! » De son côté, Florence s’investit totalement. De novice, elle passe rapidement à experte en décrochant le Duto (Diplôme universitaire de technicien en œnologie) en 2018. Une année de formation intense qui lui permet d’être à pied d’œuvre en cave et, surtout, d’échanger avec leur œnologue-conseil. « Nous revenions d’un séjour en Italie avec les Villa, et sur le chemin du retour, j’ai lancé : “J’adore l’ambiance de la cave, je m’y verrais bien.” Le lendemain matin, Jean-Charles m’avait trouvé la formation à Dijon. J’ai réfléchi une journée et je me suis décidée. J’avais besoin de comprendre et aussi d’avoir une légitimité intellectuelle, une proximité avec ce que nous faisions. »

Des cuvées déjà prisées des tables étoilées Les débuts sont modestes. Une seule barrique de blanc en 2017. L’année suivante, la vendange peut enfin être rentrée au Devay, le chai est prêt et la production plus tangible. « Juste avant de mettre le millésime 2018 en bouteille, lorsque les vins étaient prêts, en fin d’élevage, on les a assemblés et goûtés, et là, on s’est dit “c’est dément, c’est vraiment concret” », se souvient Jean-Charles avec émotion. Un rêve devenu réalité qui prend forme avec la commercialisation. « On découvre des univers qui nous étaient jusque-là inconnus : la restauration, les agents… et le recrutement des vendangeurs », explique Florence. Troisième millésime produit, 2019 vient tout juste d’arriver. Les vins sont déjà à la carte du double étoilé Michelin La Pyramide, à Vienne, et au Clos des sens, à

Annecy. « Ces sols de schistes, rudes et cassants, donnent des vins toujours plus frais et plus tendus qu’ailleurs », explique Florence. Une identité qui les distingue de tout autre. Ce n’est que le début de l’aventure, un long chemin de passion et d’étonnement les attend encore. Car d’autres projets sont déjà en place. À la courte gamme s’ajoute une petite activité d’achat de raisins formulée sous l’étiquette « L’Annexe du Devay ». Une gamme de cidres et de poirés verra aussi le jour dans trois ou quatre ans. Le temps que les 300 arbres fruitiers mûrissent à cœur. C H ÂT E A U L E D E VAY

Superficie en production / 2,2 hectares Superficie totale / 5,5 hectares Cépages / viognier = 1,1 ha ; roussanne = 60 ares ; syrah = 50 ares Altitude / 320–400 mètres Production 2019 / 8 000 bouteilles IGP Collines rhodaniennes, Entre les murs (viognier), Sous les étoiles (roussanne), En Pente douce (roussanne–viognier), Côté levant (syrah)

—Entre les murs 2019. Viognier. Château Le Devay. Un blanc de tension et d’équilibre, avec des parfums frais, nuancés et délicats au charme immédiat. C’est un 100 % viognier issu de coteaux exposés plein sud, sur des sols de micaschistes. Racines

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Grand format—Pionnières

Le vigneron est une femme Dans son livre Vigneronnes, 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France, Sandrine Goeyvaerts dresse le portrait de ces personnalités singulières. Un guide bienvenu qui tord le cou aux idées reçues.

Elle ne fait pas un vin féminin. Dès les premières

lignes de la préface, Pascaline Lepeltier, première et unique Meilleure sommelière de France, clôt le débat : « Non, le vin féminin n’existe pas. Le vin de passion, de conviction, oui, mais de genre, non. » Sandrine Goeyvaerts a pu le constater en goûtant les vins

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de ces 100 femmes : « On plaque une espèce de cliché sur les vins censés être féminins. Ils seraient élégants, délicats, distingués, car la femme est par essence distinguée [rires] et les vins d’hommes, eux, seraient des vins virils. Croyez-moi, je connais des femmes menues et fragiles qui font du vin avec énormément de caractère et de tanin ! » Elle est autonome. « Il serait

temps que l’on trouve autre chose que des bottes taille 42, des gants numéro 9 et des habits XL… », témoigne Isabelle Vantey, vigneronne en Bourgogne. Pour être autonomes, ces femmes doivent adapter leurs outils de travail à leur physique. « Avec les progrès techniques, il y a de moins en moins de freins », raconte Sandrine Goeyvaerts. Elles peuvent construire ou organiser leurs cuveries en fonction de leurs besoins, certaines travaillent aussi parfois avec des chevaux – plus simples à manier que les tracteurs – pour labourer les vignes. L’indépendance passe également par l’argent. Pendant longtemps, les femmes, cantonnées aux activités agricoles subalternes, étaient mal payées et souvent sans contrat, ce qui peut poser problème au moment de la retraite. « Aujourd’hui, les plus jeunes comprennent l’intérêt d’être déclarées pour être autonomes », conclut l’autrice.

C’est une guerrière. « Les

progrès techniques ont sans doute permis d’avoir plus de femmes dans les caves et les chais, mais pas que. Elles (…) en veulent deux fois plus et ne font jamais les choses à moitié », témoigne Muriel Giudicelli, vigneronne corse de 55 ans. « Quelques femmes m’ont dit que ça n’avait pas été compliqué, ce sont des femmes qui se jouent des difficultés sans les percevoir. D’autres ont vraiment eu la sensation de devoir se battre, comme Élise Dechannes, en Champagne », raconte Sandrine Goeyvaerts. En lisant ces portraits de néo-vigneronnes parties de zéro ou de filles de vignerons qui ont dû s’imposer dans un milieu très masculin, on retrouve une qualité commune à toutes : la détermination. Elle est proche de la nature.

« Je crois que le rôle des femmes dans l’agriculture repose sur des critères différents : moins dans l’illusion machiniste, elles sont souvent plus sensibles à la naturalité et à la préservation de la nature », analyse Claire Laval, vigneronne dans le Bordelais. Pour autant, si Sandrine Goeyvaerts ne veut pas faire de généralités, elle a retrouvé chez beaucoup de vigneronnes « un souhait fort de transmission ». Et précise : « Je ne parle pas uniquement de léguer aux enfants, mais au fait de penser au futur, à la terre, essayer de ne

pas trop impacter l’environnement voire ne pas l’impacter du tout. » L’autrice ajoute que les femmes ont toujours été proches de la nature, non pas par essence, mais parce qu’elles étaient longtemps exclues des cuveries : « Elles se sont donc plus concentrées sur la partie viticulture. » Ce qui explique en partie leur volonté de faire des vins bio, biodynamiques ou nature et, tout simplement, l’attention qu’elles portent à la terre. Elle n’a pas un parcours tout tracé. Banquière, cheffe d’en-

treprise, brocanteuse, éditrice : de nombreuses vigneronnes ne sont pas nées les pieds dans les vignes. « Beaucoup sont arrivées dans le monde du vin avec un regard assez neuf et intéressant. Elles ont souvent plus tendance à tenter des choses. » Il y a aussi des « filles de » qui, aujourd’hui, font leurs vins, comme Élodie Balme, déterminée, qui a repris les vignes en négoce de son père à 20 ans pour élaborer son propre vin. « C’est ça qui fait la richesse du monde viticole : certains reprennent des traditions et d’autres créent des domaines avec des regards décomplexés », conclut Sandrine Goeyvaerts. Z A Z I E T A V I T I A N / À lire : Vigneronnes, 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France de Sandrine Goeyvaerts, éditions Nouriturfu (2019)

01. Élodie Balme, à Rasteau | 02. Élise Dechannes, en Champagne | 03. Isabelle Vantey, en Bourgogne

Photos : Nouriturfu, Jean-Marc Armani

DE L’ALSACE à la Corse en passant par les côtes du Rhône, on trouve chez ces femmes – ayant choisi un métier qui leur a longtemps été refusé – autant de parcours que de tempéraments. Même si la caviste et autrice Sandrine Goyvaerts clame haut et fort que « l’archétype de la vigneronne n’existe pas », essayons de déterminer avec elle quelques caractéristiques de ces femmes puissantes. À quoi ressemble la vigneronne 2020 ?


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Grand format—Hors-saison

le rosé de provence par-delà les clichés

Le rosé, un vin d’apéritif à boire au bord de la piscine ? Sans doute, mais pas seulement… Sur un coteau de la chaîne des Maures surplombant la Méditerranée, le Clos Cibonne propose une tout autre interprétation. Portés par leur caractère, ses rosés hors normes se dégustent toute l’année. Texte Matthieu Perotin—Photos Olivier Metzger 26—

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DEPUIS PRÈS D’UN SIÈCLE, les mêmes traits de caractère se transmettent d’une génération à l’autre. Au Clos Cibonne, on se fie obstinément à ses intuitions, on prend la passion pour seule boussole, on pratique l’indépendance d’esprit. Le tout avec une assurance tranquille, sans se pousser du col ni hausser le ton. Mais sans craindre non plus de ramer à contre-courant des usages. Le choix de l’encépagement en livre une parfaite illustration. Dans l’appellation Côtes-de-Provence, les vignerons façonnent leurs cuvées à partir de trois types de raisins : cinsault, grenache et syrah. À cette sainte trinité s’ajoute parfois un peu de mourvèdre. Le tibouren, vieux plant provençal venu de Mésopotamie et introduit ici par les Romains deux siècles avant notre ère, compte pour quantité négligeable avec environ 2 % des surfaces produites. Sauf au Clos Cibonne, où sa proportion monte à 80 %.

Un drôle de spécimen à apprivoiser On interroge Claude Deforges, qui préside aux destinées du domaine avec son fils Olivier, sur les raisons de cette singularité. Sourire aux lèvres, le voilà lancé dans l’inventaire des « qualités » du tibouren. Sa précocité, qui nécessite de tailler les pieds plusieurs fois par an. Son implantation exigeante, principalement sur des sols de schistes, rudes et filtrants. Sa productivité limitée, qui suit une courbe décroissante au bout d’une vingtaine d’années. Sa vulnérabilité aux maladies de la vigne, qu’accentuent les entrées maritimes venant de la Méditerranée toute proche. « J’allais oublier : les grappes ne sont pas homogènes. Racines

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Après la vendange, nous devons faire un tri sévère, car toutes les baies ne mûrissent pas en même temps. » Aussi malicieux qu’attentionné, Claude Deforges ne laisse pas s’installer la confusion chez son interlocuteur. « En considérant la difficulté que nous avons à le travailler, il aurait peut-être été plus rationnel d’abandonner le tibouren. Mais nous aimons ce cépage, l’empreinte qu’il donne aux vins et sa propension à les faire vieillir harmonieusement. D’où la place dominante que nous lui réservons dans nos assemblages, en rosé comme en rouge. » Une exception dont le pionnier se nomme André Roux. Dans les années 1930, le grand-père de Brigitte Deforges – l’épouse de Claude – choisit de rompre avec la polyculture qui est alors de mise au Clos Cibonne. Le tibouren a ses faveurs, mais, après la crise du phylloxera, il a presque disparu des terres provençales. Qu’à cela ne tienne ! L’homme réussit à sauver quelques très vieux pieds qui lui permettent de replanter progressivement tout le domaine.

De parfaits compagnons de gastronomie Sous la conduite d’André Roux, le Clos Cibonne accède rapidement à la notoriété. La personnalité du propriétaire n’y est pas pour rien. Charismatique, chanteur d’opéra à ses heures perdues, il se lie d’amitié avec les célébrités qui fréquentent la région… et assurent la promotion de ses cuvées. Dans la cave du domaine, Raimu, Fernandel et Gabin – jamais très loin d’un verre de tibouren – figurent en bonne place sur les photos accrochées aux murs. Dès cette époque, les vins se démarquent de la production locale. Aux rouges, le tibouren confère des accents presque bourguignons, avec un fruit net et une fraîcheur bienvenue. Aux rosés, il apporte une personnalité rare, une puissance et une persistance qui en font de parfaits compagnons 30—

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de gastronomie pour mettre en valeur une recette d'automne comme des ris de veau accompagnés de cèpes, de châtaignes ou de potiron. Dans les gestes accomplis à la vigne et au chai, également, le Clos Cibonne joue sa propre partition. « Nous faisons très attention à maîtriser nos rendements, l’idée étant d’obtenir une belle concentration et d’exprimer notre terroir, qui combine une grande diversité de sols, explique Olivier Deforges. Quand cela s’impose, nous n’hésitons pas à dégarnir les pieds de vigne pour être sûrs que les grappes restantes bénéficieront de l’énergie nécessaire à leur maturation. » À l’instar de leurs prédécesseurs, les propriétaires actuels privilégient, pour les cuvées supérieures, les élevages en foudre. Ces immenses tonneaux contiennent l’équivalent de plusieurs barriques. Au Clos Cibonne, les plus anciens ont été fabriqués en 1903 et acquis par Marius, le père d’André Roux. En évitant aux jus un contact trop important avec le bois, ils contribuent à préserver leurs arômes fruités. « L’avantage tient aussi à l’oxygénation douce qui passe par les pores des parois, ajoute Olivier Deforges. Ce phénomène aide les vins à se renforcer et joue en faveur de la complexité aromatique. » C'est particulièrement vrai dans le cadre d'élevages longs comme celui de la cuvée Marius, créée en 2017 et qui patiente deux ans en foudre.

« Nous voulions rendre les vins un peu plus lisibles » À écouter le tandem Deforges détailler les pratiques en vigueur au domaine, une chose nous frappe. Par-delà les différences de style – charmeur et plein de verve pour le père, réfléchi et nuancé pour le fils –, les deux hommes parlent à l’unisson. Dans nombre d’exploitations viticoles, et pas des moindres, le passage de relais entre le père et le fils n’offre pas toujours le spectacle d’une telle harmonie… Une des clés En haut à droite : Claude Deforges et son fils Olivier


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de l’équilibre qui règne ici réside peut-être dans la manière – complémentaire – dont chacun a appris le métier. Le cursus suivi par Olivier est tout ce qu’il y a de plus classique : diplôme de viticulture et d’œnologie, licence en commerce des vins suivis de stages sur le terrain, en France et en Australie. Rien de commun pour Claude. Lorsque Brigitte et lui reprennent l’affaire familiale, au début des années 2000, il vient d’abandonner les rênes d’une grosse entreprise d’informatique. « Je passais ma vie en réunion, j’étais toujours entre deux avions : c’était l’enfer ! » Ce monde laissé derrière lui, son ambition est de donner un nouveau souffle au domaine. « Pas tout révolutionner, seulement rendre les vins un peu plus lisibles. » Un œnologue est sollicité pour délivrer des conseils, mais le régisseur, récalcitrant, donne sa démission. Que faire ? « Si j’avais engagé quelqu’un d’autre, je n’aurais pas été capable de le diriger. Alors je me suis lancé et j’ai appris en autodidacte, avec l’aide de quelques personnes. Cela n’est pas venu tout de suite, mais un matin, alors que j’étais seul en train de faire mes assemblages, l’évidence m’a foudroyé : j’avais trouvé le bonheur absolu. »

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pection commerciale : l’exploit n’est pas mince. « Un soir, le patron de la Société des bains de mer de Monaco, qui gère de nombreux restaurants et hôtels de luxe sur le Rocher, s’installe au bar d’un grand hôtel de Los Angeles, raconte Claude Deforges. Il demande à goûter quelque chose d’étonnant. Le barman, taquin, lui sert un de nos rosés : “Essayez, c’est tout près de chez vous !” » La suite de l’histoire était à prévoir : la Société des bains de mer de Monaco compte aujourd’hui parmi les plus gros clients du Clos Cibonne. « Vous comprenez pourquoi nous remercions chaque jour le “dieu tibouren” de nous avoir montré la voie ! » CLOS CIBONNE

Superficie en production / 17 ha Cépages rouges / tibouren = 90 % ; grenache noir = 5 % ; syrah = 3 % ; cinsault = 2 % Production / 100 000 bouteilles par an Âge moyen des vignes / 30 ans Appellation / Côtes-de-Provence

Le monde entier succombe Que de chemin parcouru par le Clos Cibonne en l’espace d’une vingtaine d’années ! Au gré des replantations et des agrandissements, la production a bondi de 30 000 à 100 000 bouteilles. Parallèlement, la gamme n’a cessé de s’enrichir, avec, par exemple, la création de cuvées issues de raisins achetés et proposant des vins faciles et prêts à boire. Autrefois limité au marché français, le succès a pris une dimension internationale : États-Unis, Australie, Corée du Sud, Allemagne, Suède, Finlande, Espagne… Un domaine qui cultive un cépage inconnu, n’emploie pas de responsable export et se refuse à toute prosEn haut : André Roux et Brigitte Deforges, sa petite-fille

—Cuvée Caroline. Rosé. Clos Cibonne Rosé de chair et de plénitude, aux notes de fruits rouges, d’épices douces auxquelles se mêle une touche de caramel au lait apportée par l’élevage. La trame profonde, séveuse, offre une belle structure tannique, beaucoup de fraîcheur et d’énergie.

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Grand format—Héritage

La famille Faiveley rayonne en Bourgogne depuis 7 générations. Chacune a œuvré à la pérennité du nom avec un soin constant porté à la consolidation d’un patrimoine de vignes exceptionnel. Aujourd’hui, Ève et Erwan Faiveley s’inscrivent à leur tour dans la lignée familiale de bâtisseurs hors pair.

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Texte Claire Brosse— Photos Alexis Armanet

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AU 38, RUE DU TRIBOURG, à Nuits-Saint-Georges, l’imposante bâtisse est longtemps restée interdite aux regards extérieurs. Les murs de pierre n’offraient pas plus d’ouverture sur le paysage viticole, pourtant si proche. À croire que cet édifice, pourtant entièrement dédié au vin, tournait le dos à son origine, celle d’une terre et d’une vigne mythiques, pour ne montrer que le berceau d’une famille et le prestige d’une marque. Aujourd’hui, Faiveley possède des vignes dans toutes les grandes appellations, en rouge comme en blanc : Chambertin, Chambolle-Musigny, Corton, Clos-de-Vougeot, Échezeaux, Montrachet, Musigny, Volnay…

Photos : Serge Chapuis, DR

Conjuguer perfectionnisme et légèreté Derrière l’enceinte, on devinait les valeurs du propriétaire : travail, rigueur, humilité. Les Faiveley ont la passion du vin et de la Bourgogne depuis 1825. Une passion presque silencieuse qui n’a jamais aimé la démonstration. Une fois entré dans le bâtiment, en parcourant les couloirs et les pièces, les murs prennent la parole. Les portraits alignés par ordre chronologique de Pierre, Joseph, Georges, Guy et François se chargent de raconter la saga familiale. Autant de figures qui ont perpétué le nom de Faiveley. Les actes notariés encadrés attestent de l’ancrage familial dans la terre de Bourgogne. Les noms des appellations et des climats imprimés sur les plans parcellaires forcent le respect. Un portrait – le plus récent, celui de François – accroche le regard. Loin de la facture classique des autres, il est signé par l’artiste franco-chinois

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Yan Pei-Ming, figure majeure de la peinture contemporaine. Ce premier signe nous invite à comprendre l’esprit de renouveau de la génération Faiveley actuellement aux manettes. Un autre indice est visible partout. En 2015, la rénovation complète du site a rendu au lieu son esprit original tout en l’équipant d’outils de travail modernes et précis, corolaires d’une production de haute qualité. La sobriété et l’ordonnance de l’ensemble semblent déjà dire qu’un vin Faiveley conjugue aujourd’hui l’évidence de la terre bourguignonne, l’exigence du travail bien fait et la légèreté du plaisir. La troisième preuve, enfin, est dans l’ouverture du domaine sur l’extérieur. D’abord celle, bien visible, de la cour, avec vue sur le paysage. La marque Faiveley s’est enfin reconnectée à son vignoble, elle qui n’a cessé d’acquérir des parcelles depuis 1873, tout en restant maîtresse de sa production, contrairement à beaucoup d’autres négociants bourguignons. Faiveley possède aujourd’hui 120 hectares répartis en BourgogneCôte-chalonnaise, Côte de Beaune et Côte de Nuits pour un ensemble de 310 parcelles couvrant 60 appellations, dont 6 climats en monopole ! L’intégralité de ses vins en Grands Crus, Premiers Crus et Villages viennent de cette terre qui s’exprime avec authenticité, d’autant plus quand elle est à soi. Et puis il y a cette deuxième ouverture, incarnée par Ève et Erwan, fille et fils de François. Ce dernier a été clair : « Le monde est vaste, la vie est courte, vous n’avez aucune obligation de rester là. (…) Pour le domaine, on verra bien », aimait-il répéter. François, gardien de la liberté d’Ève et d’Erwan… Sans doute la plus belle manière de leur ouvrir en grand les portes de la maison. Ils ne feront pas le choix

Page ci-contre : Ève Faiveley. Pages précedentes : Le « 38 », la cuverie historique datant du début du XIXe siècle

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La taille, un geste unique qui se transmet Erwan a l’âme authentiquement bourguignonne. Pour lui, il n’y a pas de grand vin sans un droit du sol inaliénable. Voilà pourquoi il met en place le « un pour trois » – un vigneron pour trois hectares : le même homme sur les mêmes parcelles, de la taille à la vendange. La ligne de conduite est donnée en fonction de la vigne, de l’année et des objec40—

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tifs pour chaque vin. Un soin particulier est apporté à la précision des gestes qui se posent sur la vigne. « Celui de la taille est primordial pour moi, c’est le geste qui m’impressionne le plus, car il conditionne tout le reste. Il n’existe pas d’école pour la taille. Alors, avant qu’ils partent, j’ai demandé à deux anciens de transmettre leur savoir-faire à nos jeunes vignerons », explique Erwan Faiveley. Il a fallu sept ans de « viticulture de terroir » pour restaurer ce fameux droit du sol sur le vignoble Faiveley : plus d’insecticides, plus d’herbicides, des labours, une majorité d’intrants bio, des engrais naturels, une certification Haute valeur environne-

Climats de Bourgogne ou l’ultra-terroir Pas moins de 1 247 climats du vignoble de Bourgogne sont classés au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis le 5 juillet 2015. Selon la définition officielle, un climat est « une parcelle de vigne, soigneusement délimitée et nommée depuis des siècles, qui possède son histoire et bénéficie de conditions géologiques et climatiques particulières.

Chaque vin issu d’un climat a son goût et sa place dans la hiérarchie des crus (appellation régionale, Villages, Premier Cru, Grand Cru) ». Une bande d’environ 60 kilomètres qui s’étire de Dijon à Chassagne-Montrachet a été ainsi reconnue. La petite histoire veut que Clos-de-Bèze soit le tout premier des climats, car le premier mentionné dans les archives. Né en 636, il a gardé, depuis, la même superficie !

Photos : Serge Chapuis, DR

de partir, mais celui de revenir sur leurs terres, investis et libres à la fois. François Faiveley, pris par d’autres affaires familiales, cède la place à son fils en 2005. Erwan est curieux, il a voyagé, appris le management, fait des études scientifiques. C’est un pragmatique sensible. Ses ancêtres ont bâti le vignoble, il possède le sens de l’histoire familiale. Mais il sait aussi très vite ce qu’il veut affirmer pour le domaine : son esprit, une vision, l’excellence. Erwan va donc tout repenser en s’appuyant sur les hommes et les outils de travail. Jérôme Flous arrive en 2007 pour diriger la partie technique à la vigne et à la cave. Ingénieur, il est le garant de la qualité à chaque étape de la production. Pour Erwan, il y aurait « une sorte de romantisme viticole qui voudrait bannir de son vocabulaire le terme de parcours technique. Or sans lui, il n’y a pas d’expression sensible dans les vins ». Qui oserait demander à un cuisinier de faire un plat sans avoir appris les gestes de base et la maîtrise des outils indispensables ? Cela dit, chez Faiveley, tradition, savoir-faire et signature ne se diluent pas dans la technologie, bien au contraire. À un tel niveau d’exigence, elle est ce nouveau chemin vers plus d’émotion dans leurs vins de terroirs.


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mentale de niveau trois, le plus haut. Et une foule d’attentions pas si courantes dans ce vignoble séculaire…

« La signature sert le terroir et non l’inverse » Ève a rejoint son frère en 2014. Son travail, qu’elle qualifie d’« opérationnel », comprend la commercialisation en France. Elle est également en charge de la communication de cette maison qui possède dans son ADN une certaine retenue. Les Faiveley agissent, avancent, sans tambour ni trompette. Ils écrivent leur histoire plus qu’ils ne la racontent. Il leur faut tordre le cou d’un cliché : un domaine qui possède autant de vignes ne pourrait pas faire des vins aussi bons qu’un autre qui en a peu… Heureusement, ce bête et méchant small is beautiful propre au vin se fait de plus en plus rare. On devine que pour Ève, ce sont les étiquettes qui parlent et non « l’étiquette ». La meilleure définition de la signature Faiveley, c’est elle qui la donne : « Il y a 15 ou 20 ans, on buvait un Faiveley, point. Maintenant, on boit un ChambolleMusigny Faiveley, un Nuits-Saint-Georges Faiveley ou un Clos-de-Vougeot Faiveley. La signature sert le terroir et non l’inverse. Nos vins existent par l’unique empreinte de leur climat. S’il faut définir notre style, il se loge dans cet esprit et dans ce travail qui ont conduit à ces vins-là, sans artifices. » Aujourd’hui, Ève et Erwan, intransigeants complices, ont parfaitement compris que la signature maison est une ligne de conduite qui n’a rien à voir avec l’air du temps. Au lieu de recroqueviller le domaine sur ses acquis ou de le confire dans l’habitude, ils avancent dans un beau mélange de curiosité, de souplesse et d’audace. Tel Héraclite qui En haut à droite : Erwan Faiveley

prétendait qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, car l’eau s’y renouvelle en permanence, Ève et Erwan Faiveley suivent le courant familial séculaire tout en empruntant leur propre tracé. Rebondir et bouger était pour eux la meilleure manière pour que le domaine reste lui-même. Leur père leur a toujours dit qu’ils étaient libres. D O M A I N E FA I V E L E Y

Superficie / 120 hectares de vignes en propriété Localisation / Côte de Nuits, Côte de Beaune, Côte chalonnaise Appellations / 60 en propriété : 12 Grands Crus = 13 hectares, 24 Premiers Crus = 13 hectares Climats en monopole : Corton Grand Cru Clos des Cortons (rouge), Gevrey-chambertin Premier Cru Clos des Issarts (rouge), Beaune Premier Cru Clos de l’Écu (rouge), Mercurey Premier Cru Clos des Myglands (rouge), Mercurey Village Clos Rochette (blanc), Mercurey Village La Framboisière (rouge)

­ Gevrey-Chambertin. La Justice 2014. Domaine Faiveley — Vin profond aux tanins fondus, il allie la précision à la finesse, la corpulence à l’élégance. Issu d’une petite parcelle aux sols de marnes riches en fer, c’est un pinot cossu, aux fruits bien mûrs, délié et raffiné. Racines

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Dégustation—Des accords

Cuisine thaïe: la maîtrise du feu Avec ces trois recettes emblématiques et relevées juste ce qu’il faut, rien de mieux qu’un peu de fraîcheur pour faire baisser la température. PUISSANTE et parfumée, la gastronomie thaïlandaise possède un sacré caractère. Si la suavité de la noix de coco ou la sucrosité des nouilles sautées offrent des saveurs enveloppantes, la citronnelle, le galanga, les feuilles de combava – et surtout les piments ! – électrisent la dégustation. Reste l’épineuse question des accords mets-vins avec ces recettes qui font faire le grand huit à nos papilles.

Rhône. Pourquoi pas le vacqueyras blanc de Tardieu-Laurent ? Essayer Domaine Georges Vernay, Condrieu, La Croix de l’oiseau, blanc, 2019. Exempt de tout excès, il déroule un jus fin et intègre, aux notes de fruits croquants, entre pêche blanche et abricot. Porté par une fraîcheur saline, mûr sans outrance, il livre une lecture juste et équilibrée de Condrieu.

Le curry vert

La salade de bœuf

Pilier de la culture thaïe, la pâte de curry vert fait des merveilles associée à de la volaille ou à des gambas. Avec du lait de coco, des piments longs thaïlandais et du basilic, elle permet des recettes intenses et parfumées qui appellent un peu de tempérance. L’épice du plat et l’onctuosité apportée par le lait de coco fondent les deux axes de notre accord, entre jeu de saveurs et de consistances. Aucune hésitation possible : il faut chercher à la fois la fraîcheur et l’arôme. « Des blancs issus de cépages aromatiques qui possèdent à la fois une belle vinosité et de l’envergure en bouche. En outre, servir un vin blanc frais permet d’apaiser le feu des épices », conseille le sommelier Olivier Poussier, membre du comité de sélection de Ventealapropriete. Direction Condrieu, où le viognier excelle dans ses parfums de fruits jaunes et sa tension minérale. Voyez par exemple notre cuvée réalisée en partenariat avec le Domaine Georges Vernay, La Croix de l’oiseau, un modèle du genre. Autre possibilité : jouer la carte du sud, en choisissant un blanc parfumé et généreux qui viendra contrer la chaleur du plat et se lier à sa rondeur ; comme ceux que l’on trouve à Châteauneuf-du-Pape et ses environs, à Vacqueyras ou dans les Côtes du

Autre grand classique thaïlandais, la salade de bœuf pimenté offre une assiette pleine de fraîcheur, d’herbes et de parfums, naviguant entre sauce soja, citronnelle et, bien sûr, piment thaï. Face à l’intensité de ce dernier, pas de tergiversation : il faut éteindre le feu avec une cuvée tendue et minérale, jouer la carte du contraste. Avec un bœuf travaillé en tartare, on choisira un rouge frais aux tanins fondus, porté sur le fruit. Un cru du Beaujolais du terroir de Brouilly ou de Fleurie, par exemple, ou un gamay en Côtes Roannaises, tout en simplicité et joliesse. Vous avez le choix entre le Château Thivin pour l’un, le domaine de Romain Paire pour l’autre, deux poids lourds dans leur catégorie. Avec un bœuf grillé ou sauté, finement braisé, il faudra encore une fois éviter les tanins et rechercher l’équilibre et la fraîcheur du côté du nord du Rhône, sur des cuvées franches de saveurs, en vins de pays ou crozes-hermitage. L’IGP Collines Rhodaniennes L’Âme sœur, de Stéphane Ogier, est une évidence ! Essayer Château Thivin, Côte de Brouilly, Cuvée Zaccharie, rouge, 2018. Dès le nez, les notes de cerise noire et de fumé, avec une fine tonalité boisée, enchantent et précèdent un jus des plus soyeux en bouche.

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Il réunit à la fois caractère, finesse, perfection et fraîcheur.

Le pad thaï À tout seigneur tout honneur : le pad thaï est l’emblème culinaire absolu de la Thaïlande, une recette de nouilles de riz sautées au wok avec de l’œuf, du soja, des cacahuètes grillées pilées, des crevettes, de la sauce poisson et citron vert, avec une pointe de coriandre et de piment vert. Face à cette foule de saveurs, il faut trouver un vin de synthèse, et dans ce cas précis, un blanc sera toujours plus à l’aise, d’autant qu’il apportera de la fraîcheur au plat. Cap sur l’Alsace, avec un riesling ou un pinot comptant quelques grammes de sucres résiduels : cela donnera du relief au plat tout en s’accordant à sa chaleur. Les domaines Zind-Humbrecht ou Josmeyer sont deux stylistes en la matière et des maîtres des accords autour de la cuisine épicée. Un must ! On peut également filer vers le sud, sur la côte méditerranéenne, et choisir un rosé à la fois frais et intense qui saura tenir tête aux épices de la recette en domptant tous les éléments et les nuances de saveurs. Optez ici pour un beau rosé de Bandol, comme notre cuvée réalisée en partenariat avec le domaine Ott, By Ott. Charnue et précise, elle viendra souligner la touche iodée du plat tout en maîtrisant sa chaleur. Essayer Domaine Josmeyer, Alsace Grand Cru, Riesling Grand cru Hengst, blanc, 2016. Il offre des notes de fruits blancs très purs, tout en retenue. La bouche est puissante, voluptueuse et charnue, avec une belle tension et une grande fraîcheur. À la fois ferme, persistant et racé, c’est un grand vin blanc. VÉRONIQUE RAISIN /

Illustration Chez Gertrud



Dégustation—Interview

Un verre avec... Régis Marcon Amoureux des vins de la vallée du Rhône, le chef triplement étoilé et fils de marchand de vin a partagé un verre et quelques confidences avec nous, à l’occasion de la parution de son nouveau livre, consacré aux légumes. Le restaurant que vous tenez avec votre fils, Jacques, à Saint-Bonnet-le-Froid, en Haute-Loire, est à la croisée de plusieurs territoires. Comment votre carte des vins reflète-t-elle cette diversité ?

Nous donnons d’un côté sur le Velay, de l’autre sur le Vivarais, aux confins de la Haute-Loire et de la Haute-Ardèche. Nous sommes bien plus proches des vins de la vallée du Rhône (après tout, à vol d’oiseau, elle n’est qu’à une trentaine de kilomètres) que de ceux du sud de l’Ardèche. On oublie de distinguer l’IGP Ardèche des vins produits en Ardèche, qui sont majoritairement des vins de la vallée du Rhône septentrionale. L’appellation Saint-Joseph est ainsi située à 95 %… en Ardèche et le condrieu est à cheval sur trois départements – Rhône, Haute-Loire et Ardèche. Ici, on est vraiment sur le fil, et notre carte des vins reflète cette situation très axée sur le nord de la vallée du Rhône plus que sur le sud de l’Ardèche – moins représenté sur la carte. En exagérant un peu, je pourrais dire qu’on a le Saint-Joseph sous nos pieds ! Votre père, Joannès Marcon, était marchand de vin. En quoi cela a-t-il influencé votre rapport au vin ? J’ai baigné en effet

dans le vin dès ma plus tendre enfance : dans la famille, nous étions sept frères et sœurs et nous étions tous embauchés pour aider notre père ! On a du mal à imaginer ce que proposait au quotidien un marchand de vin dans les années 60 : pas de grands crus de la région, mais du vin de pays en barrique, souvent du languedoc ou venant d’Algérie, qu’on classait selon son degré d’alcool, et dont on remplissait nous-mêmes les bouteilles pour les bûcherons qui partaient au boulot… À ce commerce, l’un des centres de vie du village, mes parents avaient ajouté 44—

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la pompe à essence et le café-restaurant, que ma mère, Marie-Louise, tenait. Quand elle m’a cédé l’établissement, j’ai passé des journées entières dans la cave et j’ai réalisé qu’il fallait que j’apprenne à déguster les vins autrement. J’ai donc fait un stage à l’Université du vin de Suze-la-Rousse, dans la Drôme, tandis que Michèle, ma femme, s’est formée avec Georges-Albert Aoust, globe-trotteur des vignobles et consultant reconnu. Elle a ainsi pu travailler sur notre sélection, qui est désormais suivie par Laurent Blanchon, notre sommelier, et par Laetitia, la femme de mon fils Jacques. Qu’appréciez-vous le plus dans le vin ? Quelle dégustation vous a laissé le meilleur souvenir ? Je bois peu ; je ne suis pas un

gouleyeur, j’aime apprécier les choses à leur juste valeur. Ce qui m’amuse le plus, c’est de reconnaître les saveurs : le léger goût de fruits exotiques du chassagne-montrachet ou les arômes subtils de coing et de miel dans certains vins blancs. J’ai eu le déclic à deux reprises : vers 1986-1987, à l’époque où je me rendais au marché, à Lyon, à 3 heures du matin. Gilles Barge, le vigneron du domaine du même nom, m’a fait goûter son côte-rôtie vers 7 heures du matin, et j’ai eu un véritable coup de foudre pour ce vin, que j’ai eu l’impression de comprendre. Je me souviens également d’un repas incroyable avec des bécasses au menu. Jean-Louis Chave avait apporté deux hermitages rouges qui avaient 20 ans d’écart. Nous avons découvert le plus jeune avec les poitrines rôties et savouré le plus évolué avec les intérieurs servis sur canapés : c’était éblouissant ! Vous êtes particulièrement connu pour votre travail sur les champignons. Comment accordez-vous vos plats et vos vins ?

Dans la région, nous sommes exception-

nellement gâtés, avec les maisons Chave, Jaboulet, Chapoutier, Clape ou Jamet, les beaux accords ne manquent donc pas ! Mais le champignon est rarement le seul support d’un plat : l’accord se fait plutôt avec la viande ou le poisson, qui ont tendance à dominer. Bien sûr, il y a des exceptions, comme avec notre cèpe rôti en feuille de châtaignier, qui s’accorde merveilleusement avec un hermitage blanc. Pour une poêlée de champignons, ce sera plutôt un bourgogne rouge, gourmand, mais léger. Enfin, la truffe amène des accords plus évolués, sur des vins plus vieux : les goûts truffés des vins viennent avec l’âge, c’est le cas des pomerols, par exemple. Parmi les 110 recettes de légumes que vous proposez dans votre livre, y en a-t-il une que vous recommanderiez particulièrement pour le vin qui lui serait associé ?

Contrairement aux idées reçues, les légumes peuvent tout à fait s’accorder avec beaucoup de vins différents. Si l’exercice des accords mets et vins est plus difficile avec une soupe ou une salade à cause du vinaigre, il y a de beaux accords à trouver selon la préparation qui les met en valeur. Le côté crémeux des gratins révèle de belles surprises : le chou-fleur et brocoli au vieux comté pourrait tout à fait aller avec un vin jaune du Jura du Domaine Jean-François Ganevat, à Rotalier. Les cuissons mijotées sont également prétexte à de beaux mariages, comme l’étuvée de chou rouge et les vins rouges de la côte roannaise, ou le poulet aux lentilles et chou kale avec les chardonnays fins et opulents du Mâconnais. ESTÉRELLE PAYANY /

À lire : Légumes – 65 légumes, 110 gestes techniques, 110 recettes, de Régis Marcon, Éditions de La Martinière (2020) Photos Romain Guittet


Dégustation—Chef

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Dégustation—Mets-Vins

Chocs cacao

Le chocolat impose son goût franc en variant les textures : fondu, en ganache, mousse ou tablette. À chacune son partenaire. Avec un dessert au fruit, de la douceur

La poire Belle-Hélène garde un petit goût d’enfance, mais donne du fil à retordre aux meilleurs sommeliers de la planète. Il faut avant tout préserver les notes acidulées du fruit et ne pas lui imposer un vin lui-même trop vif. Veiller également à ne pas superposer amertume et tanins... À Rivesaltes, dans le Roussillon, les rancios sont des vins oxydatifs naturellement sucrés, vieillis à l’air libre dans des bonbonnes de verre. Ils acquièrent avec le temps une belle couleur tuilée et des notes envoûtantes de noisette, d’épices et de cacao capables d’enrober la saveur puissante du chocolat sans la masquer. Qui dit chocolat moins puissant, dit vin au diapason

Ah, la texture fondante d’une mousse au chocolat au lait... Certains la préfèrent un peu ferme, d’autres, plus coulante, en tout état de cause, une chose les réunit : la suavité de ce 46—

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chocolat et sa moindre puissance appellent des parfums de fruits secs et de fruits confits mâtinés d’épices douces. Cap sur la douceur méditerranéenne de l’Espagne et ses trésors pour conclure une association originale. À ce titre, le Montilla-Moriles et son cépage pedro ximénez constituent un idéal autour de tanins bien fondus et de notes de fruits confits, d’amande, d’épices, de cacao, de tabac et de cannelle… La réponse des épices à un cacao corsé

Madagascar est l’un des plus petits producteurs de la planète, mais non le moindre en termes de qualité, prisé pour ses cacaos fruités et intenses. Un carré de chocolat noir de ce grand cru de la région d’Ambanja, au nord-ouest de l’île, et vous voilà dans la puissance pure, autour de 70 à 80 % de cacao. Pour bien l’apprécier, il faut un vin doux puissant, aux notes chaudes de torréfaction, d’épices et de fruits secs.

La grande famille des portos se prête particulièrement bien à cet exercice. Choisissez un vintage (issu d’un seul millésime), aux notes d’épices et de cacao, ou un tawny, au style plus oxydatif. V É R O N I Q U E R A I S I N /

D’accord à 100 % Bourbon Four Roses Single Barrel. Non tourbé, ce bourbon est vieilli huit ans en un seul fût de chêne neuf charbonné qui favorise la libération des arômes. Avec ses fines notes épicées, de chêne vanillé, de caramel blond et une finale en bouche onctueuse, d’une grande longueur, il est un compagnon idéal pour tout dessert chocolaté.

Photo Caspar Miskin


EL MER

Boire bon, manger bien

Le comité de sélection de Ventealapropriete choisit d’abord ses tables préférées à travers leur carte des vins. En voici trois. Vantre

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[ PARIS ]

[ PARIS ]

Le choix de Christian Martray. C’est le spot des amateurs de bourgognes et de vins du Jura. Autour de la cuisine franccomtoise de Marc Faivre (croûte aux champignons, poulet aux morilles), les vins font la parade dans un choix pléthorique ; entre les meursaults de CocheDury, sans doute les moins chers de France sur table, et les cuvées de Ganevat, le livre de cave aligne les références à des prix forts modestes. Ajoutez à cela un écrin naturel superbe, en bordure du lac de Saint-Point, et vous ne serez pas loin du paradis. Essayer. Meursault de Coche-Dury 2016, 128 € ; Côtes du Jura Cuvée Florine 2014 de Ganevat, 51 €. —

Le choix d’Olivier Poussier. Marco Pelletier, ancien chef sommelier du Taillevent et du Bristol, a ouvert ce restaurant où les assiettes soulignent les très beaux produits et où la carte des vins est animée par une philosophie très cohérente, une grande ouverture d’esprit. Les vins de Romain Paire en Côte Roannaise côtoient les magnifiques chasselas de la cuvée bio Un matin face au lac, de Dominique Lucas, des grands vins du Portugal jouxtent les petites pépites signées Envinate sur les îles Canaries. C’est une carte qui livre, à mes yeux, une sélection des meilleures expressions de terroirs, français comme internationaux. —

Le choix d’Alaric de Portal. Dans cet antre du 3e arrondissement, on se laisse guider. C’est tout le charme de l’adresse de Simon Horwitz, le chef, et Sébastien Perrot, l’as des flacons. Les deux compères composent une alliance intimiste entre cuisine d’humeur et vins éclectiques. De l’entrée au dessert en passant par le pain –  essentiel ! –, tout respire un très haut degré d’excellence. Côté cave, on navigue entre grands classiques (Domaine des Tours, Clos des Grives) et découvertes, vins nature et grands crus. Chez Elmer, on lâche prise… —

1, chemin de la Grande-Source, Lac Saint-Point, 25160 Malbuisson, le-bon-accueil.fr. Menus de 28 € à 90€.

Elmer

Le Bon Accueil

19, rue de la Fontaine-au-Roi, 75011, vantre.fr. Formule du déjeuner, de 17 € à 21 €, carte du soir à partir de 45 €.

30, rue Notre-Dame-de-Nazareth 75003, elmer-restaurant.fr. Menu du déjeuner, 26€, carte du soir à partir de 60 €. (Nous vous invitons à vérifier les horaires et l’ouverture de ces établissements.)

L E B O N A CCU E IL

Photos DR

V A N TRE →

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Dégustation—Évasion

Le vin de la lagune

DU VIN À VENISE ! Ce n’est pas nécessairement ce qu’évoque en premier lieu la cité des Doges, le spritz et le bellini trustant allègrement les cartes des bars et restaurants et, plus encore, l’imaginaire vénitien. Pourtant, des historiens ont révélé que des vignes étaient cultivées au XIIe siècle, à l’emplacement même de la piazza San Marco, ainsi que sur de nombreuses îles de la lagune, servant une production viticole très prisée. C’est ce qui a incité la famille Bisol, référence incontournable du prosecco (Belstar), à créer un domaine dans ce territoire entre terre et mer. « En 2002, alors qu’il se rendait sur l’île de Torcello, mon père, Gianluca, repère dans un jardin situé en face de la cathédrale de Santa Maria Assunta quelques pieds d’un cépage qu’il ne reconnaît pas. Interloqué, il convainc la propriétaire de lui donner un peu de raisin, une fois qu’il sera parvenu à maturité », raconte Matteo Bisol, en charge de la gestion de Venissa. Après quelques recherches, il 48—

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découvre qu’il s’agit du dorona, un cépage autochtone de la lagune autrefois très répandu, mais qui a quasiment disparu. Un motif à cela : l’acqua alta (l’inondation) de 1966, particulièrement redoutable, a eu raison des vignobles qui, pour la plupart, ont péri sous l’eau salée.

Le dorona, raisin de l’or Bien décidé à renouer avec l’Histoire, Gianluca Bisol apprend au même moment que sur l’île de Mazzorbo, une propriété, désormais sous l’égide de la commune de Venise, fait l’objet d’un appel à projets. Jadis occupée par un couvent de sœurs – un campanile en témoigne encore aujourd’hui –, celle-ci était passée, au XIXe siècle, dans les mains de la famille Scarpa qui y avait déployé… un domaine viticole : la Tenuta Scarpa-Volo qui va, jusqu’à la mémorable acqua alta, rayonner dans le paysage viticole du Veneto. L’occasion est alors trop belle pour replanter ici le fameux dorona. L’appel

d’offres remporté, à la faveur d’un projet œnotouristique, les Bisol lancent Venissa en 2006, en référence à un poème d’Andrea Zanzotto. Sur 0,8 hectare du clos qui en totalise deux, ils plantent 4 000 pieds de dorona, marcottés à partir des 88 derniers plants retrouvés sur plusieurs îles de la lagune. « Il a fallu quatre ans pour parvenir à élaborer le vin que nous souhaitions : un blanc très structuré et puissant dû à une macération d’un bon mois en grappes entières et un élevage de 36 mois en cuve », souligne Matteo. Les vendanges ont généralement lieu début septembre. Une fois le raisin cueilli, il est acheminé en barque dans des caisses refroidies jusqu’à la terre ferme, puis par la route jusqu’au domaine Maeli (Colli Euganei), une propriété cogérée par Bisol et où l’élaboration du vin est réalisée. « Bien sûr, nous aimerions un jour pouvoir tout faire sur place, à Mazzorbo », précise Matteo. Mais il va sans dire que le climat marin et plus encore les sols, particulière-

Photos DR

Créé par la famille Bisol, le domaine Venissa ressuscite en toute authenticité la tradition viticole ancestrale de Venise.


ment riches en sodium, requièrent de porter une attention très particulière à la vigne. Pour ce faire, l’agriculture suit les principes de la biodynamie et ne recourt à aucun pesticide ni herbicide. De cette production si rare, entre 2000 et 5000 flacons de 50 cl sont embouteillés par millésime, selon la récolte. Digne de cette excellence, la bouteille est réalisée par l’un des ateliers verriers de Murano, tandis que l’étiquette est un collage de feuilles d’or produites par la dernière famille de batteurs d’or de Venise, les Berta Battiloro. « Le dorona, on le voit à sa robe, est vraiment le raisin de l’or. Et le fait de collaborer avec le dernier artisan vénitien pour confectionner à la main les feuilles d’or est une belle allégorie de ce cépage précieux. »

Cinq chambres et un étoilé En 2010 – qui fut le premier millésime de Venissa –, le domaine inaugure un restaurant ainsi que cinq chambres dans les bâtiments rénovés par l’architecte Mariano Zanon. Aujourd’hui, le projet a pris de l’ampleur avec une table « trattonomique » installée dans l’ancien chai, tandis qu’une salle à manger, construite au cœur du vignoble, propose une cuisine des plus créatives. Couronné d’une étoile, il Ristorante est le repaire du duo de chefs formé par Chiara

Pavan et Francesco Brutto, qui supervise l’offre culinaire à Venissa. Chaque repas est conçu comme une expérience à part entière pour s’imprégner de l’art de vivre encore très authentique de la lagune.

Un essor tout en douceur « Pour compléter l’offre œnologique, nous avons imaginé un blanc plus sec, Venusa, toujours élaboré avec du dorona, mais sur des temps d’élevage plus courts. De même, un rouge composé de merlot (82 %) et de cabernet-sauvignon (18 %) est produit depuis 2011, cette fois à partir de vignes se trouvant sur l’île voisine de Santa Cristina », poursuit Matteo Bisol. Là encore, la production demeure très confidentielle et se répartit entre quelque 3 000 bouteilles de Rosso Venissa – dont les étiquettes adoptent une teinte plus rougeoyante ­– et 5 000 de Venusa Rosso. Ce ne sont pas les projets qui manquent à Venissa, puisque 13 chambres réparties dans des maisons de pêcheurs de l’île voisine de Burano sont venues étoffer le dispositif hôtelier et qu’un hectare de dorona a été planté sur la petite île de Mazzorbetto, qui fait face à Mazorbo. Autant de raisons de venir vivre cette aventure viticole hors du commun offrant un regard neuf sur une Venise plus authentique et plus sauvage.

Y ALLER 1 h 45 de vol entre Paris et Venise et connexions possibles depuis plusieurs villes françaises et frontalières avec Air France ou easyJet. Depuis l’aéroport 90 min en vaporetto ou 35 min en bateau-taxi. Depuis San Marco 1 h en vaporetto (linea 14) ou 35 min en bateau-taxi. DORMIR Venissa Wine Resort, à Mazzorbo. Tél. : +39 041 52 72 281, venissa.it Chambre double à partir de 122 €, Suite à partir de 194 € (petit déj. inclus). Fermé en janvier. SE RESTAURER Il Ristorante. Cuisine gastronomique (une étoile au Michelin) par les chefs Chiara Pavan et Francesco Brutto. Menus dégustation en 5 plats, 110 €, 7 plats, 150 € et 10 plats, 175 € (accords avec les vins de Venissa : 60 €, 80 € et 95 €). À la carte, 100 €. L’Osteria contemporanea. Le même duo réinterprète ici les plats traditionnels de la lagune vénitienne. À la carte, 60 €.

OLIVIER RENEAU /

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Dégustation—Dernière gorgée

Je trinque, tu trinques... nous trinquons

Dans chaque numéro, nous explorons un geste caractéristique du monde du vin. Ici, le « tchin-tchin », un acte convivial désormais réglementé – distance sociale oblige. JE NE SAIS PAS pourquoi, mais le vocabulaire de la cuisine regorge de mots à double sens, l’un positif, l’autre négatif. « Dresser une assiette », c’est pour faire beau. Vouloir dresser quelqu’un, c’est pas joli joli. « Barder et brider », c’est la promesse d’une régalade. Mais quand « ça barde », on se sent souvent bridé. Jusqu’à « manger » – l’un des plaisirs ultimes –, sauf si ça se termine en bourre-pif. Notons, le verbe « soûler », synonyme d’hyperbolique gaité tout autant que de profonde lassitude. Il en va de même de « déguster »… je vous passe les détails. Mais le mot ultime de cette liste schizophrénique est bien « trinquer ». « Je t’ai à l’œil »

Ce verbe à l’étymologie germanique ( drenkan puis trinken = boire), qualifie aussi bien la liturgie joyeuse d’une convivialité bruyante que l’état du malchanceux sur la tête duquel a chu une tuile, réelle ou virtuelle. Il faut dire qu’entrechoquer deux gobelets n’est, à l’origine, pas du tout une affaire badine. Aux premiers temps de ce rituel apparu au Moyen-Âge, époque où les timbales résistaient aux poignes les plus gaillardes, on ne contrôlait pas toujours sa force. Moins pour affirmer sa supériorité 50—

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que pour opérer le transfert par projection à l’impact de quelques gouttes d’un contenant à l’autre, et réciproquement. Au cas où le breuvage servi par un hôte suspect à ses invités méfiants aurait été agrémenté d’une potion létale, mitonnée par un apothicaire véreux. D’où la nécessité concomitante de se scruter d’un regard inquisiteur à l’instant de ce cérémonial dionysiaque, histoire de déceler la moindre lueur d’affolement inquiet ou le plus infime éclair d’expectative maléfique dans les pupilles de son commensal. Deux précautions valent mieux qu’une. Santé !

Ce n’est donc pas un hasard si l’on se souhaite aujourd’hui « santé » en carambolant son godet les yeux dans les yeux. Des siècles d’assassinats par fluide interposé ont laissé quelques traces dans les cerveaux reptiliens. On a certes imaginé depuis longtemps d’autres moyens de s’empoisonner l’existence, mais trinquer reste l’une des manifestations les plus tangibles d’une fraternité débonnaire dont nous privent parfois nos vies trépidantes. Dans la course au bonheur, faire « tchin-tchin » – onomatopée sonore ou déformation d’un mot chinois (les linguistes sont divisés) – avant de

partager avec ses contemporains et leur amie modération le vin de l’amour et de l’amitié, n’est jamais du temps perdu. À grands coups de skol si l’on est scandinave, de na zdorovié à Moscou, de prost outre-Rhin, de li khaïm si l’on parle hébreu, de salute ou de salud en Italie ou en Espagne, jusqu’en Asie où l’on s’égaye aux cris de kampaï (Japon), chok dee (Thaïlande) ou gom bui (en cantonais), voire letenachen si l’on maîtrise l’amharique, un dialecte éthiopien, on sociabilise, on se souhaite le meilleur, on se fait du bien, une attitude et des moments précieux par les temps qui courent. Avoir le bras long

On le sait bien, c’est à l’heure de perdre une liberté que l’on en mesure toute la valeur. Depuis qu’un autre poison en forme de virus a fait irruption dans nos vies, nous trinquons plus que nous trinquons, sans qu’aucune tentative de reproduction digitalisée de notre rite préféré soit satisfaisante. Et pourtant. Grâce à une nature généreuse qui nous a dotés d’environ un mètre de bras chacun, cet acte d’empathie et de bienveillance ne constitue-t-il pas un merveilleux geste barrière ? Je le pense en levant mon verre à la bonne vôtre ! S T É P H A N E M É J A N È S / Illustration Chez Gertrud



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