Racines #06

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Le magazine réservé aux membres de Ventealapropriete.com

Clos de Tart

Le joyau de la Côte de Nuits

— Recettes ensoleillées

Nos accords voyageurs — Un verre avec... Anne-Sophie Pic

Printemps/ Été 2023

Petites gorgées

4 Primeurs 2022. En route pour la légende !

7 Services. Ventealapropriete et vous

8 Data. Chic, du rosé !

10 Anatomie d’une bouteille. PiperHeidsieck, Essentiel Extra Brut

11 Œnophilie. Culture et vin

12 Décryptage. La notation des vins

14 Champions. Le concours du Meilleur Sommelier du Monde

Grands formats

16 Mythe. Clos de Tart

22 Visionnaire. Château Sainte Marguerite

28 Défricheurs. Stéphane et Marjorie Gallet, au Roc des Anges

32 Icône. Ruinart

Dégustation

38 Un verre avec… Anne-Sophie Pic

42 Épiphanie. Un vin, l’émotion de toute une vie

44 Mets-vins. Accords d’ailleurs

50 Sélection. Les coups de cœur de nos acheteurs

52 Voyage. La Toscane

56 Accords. Le melon en trois versions

57 Carte sur table. Sélection de restaurants

58 Dernière gorgée. Le statut du commandeur

Erratum Racines n°5. Une erreur de conversion s’est glissée dans notre sujet Data (p. 6) : 4,6 milliards de bouteilles équivalent à environ 770 millions de caisses de six bouteilles (et non pas 77 millions).

édito

VENTEALAPROPRIETE a soufflé sa 15e bougie cette année. Voilà une nouvelle bonne occasion de nous adresser à vous, cher lecteur-amateur, et de vous (re)dire que vous êtes la seule raison de notre passion, la seule raison de notre mission. Sans partage, il n’y a pas de bonne découverte qui se fasse, point d’appréciation qui se passe.

Des débuts épiques – où nous n’avions pas même de bureaux physiques – à une position de leader de la vente de vin premium en France, l’épopée mériterait assurément un plus long récit. Nous ne prendrons le temps que d’un mot : la passion. Ce petit moteur increvable qui permet de grimper aux murs, de porter 18 fois son poids, de faire passer comme un charme un long chemin de travail…

Ce fil d’or, surtout, qui nous relie tous les jours à travers nos annonces, de façon plus espacée avec ce magazine, et de plus en plus souvent à travers les événements que nous mettons en place.

Cela fait neuf ans désormais qu’en plus des ventes quotidiennes, Ventealapropriete édite un magazine dont le but est de mieux vous conter le vignoble, ses alentours et la très haute idée que nous avons du vin et des personnes qui le produisent.

Que ce soit un monument comme le Clos de Tart ou le Domaine Le Roc des Anges, un virtuose du Roussillon, l’enthousiasme se décrit différemment, mais la vibration profonde est la même.

Qu’il s’agisse d’un vin d’Italie, du Portugal, d’Espagne ou de Grèce, lorsque le timbre est juste, la même émotion nous illumine. À chaque association cépage-terroir son chant lyrique, à chaque vigneron son interprétation.

Le vin est un apprentissage, une culture, une élévation ; et toute notre équipe est là, dédiée depuis 15 ans, pour vous guider.

Nous vous souhaitons un bel été.

Alaric de Portal

Directeur de Ventealapropriete

Le magazine Racines est réservé aux membres de Ventealapropriete.com, 200, boulevard de la Résistance, 71000 Mâcon. Directeur de la publication : Alaric de Portal. Conception et réalisation : Les Digitalistes, 9, rue Emilio-Castelar, 75012 Paris, lesdigitalistes.com. Coordination éditoriale : Julien Despinasse. Conseillère de la rédaction : Véronique Raisin. Direction artistique : James Eric Jones. Rédaction : Séverine Augé, Sylvie Berkowicz, Boris Coridian, Joël Lacroix, Stéphane Méjanès, Gérard Muteaud, Matthieu Perotin, Véronique Raisin, Olivier Reneau. Photos : Stéphanie Davilma, Romain Guittet, Caspar Miskin, Pierre Lucet-Penato, Dorian Prost, Stéphane Remael, Quentin Salinier. Illustrations : Federica Del Proposto. Secrétariat de rédaction : Muriel Foenkinos. Photo de couverture : Caspar Miskin. Impression : Imprimerie Léonce Deprez. Nous écrire : mag@ventealapropriete.com. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.

Racines 3
Photo : Stéphanie Davilma

Primeurs 2022 : en route pour la légende !

La campagne des Primeurs 2022 bat son plein, assurée d’un millésime à la beauté innée, prêt à entrer dans la légende. Le comité a sélectionné les plus belles réussites : restez connecté !

LE MILLÉSIME 2022 a déjoué tous les pièges de la météo pour livrer in fine des vins de grande sève, charnus et voluptueux, à la fraîcheur sereine. C’est de toute évidence un grand millésime et surtout, ce qui fait sa splendeur, c’est l’incroyable expressivité de chacun des crus. Ce 2022 délie les langues et fait déjà tourner les têtes : oui, c’est – encore – un millésime au sommet ! Et pour cause : certains l’annoncent dans la lignée des légendaires 2016, 2010 ou 2005, d’autres comme un remake du mythique 1982…

Toujours au plus près du terrain, l’équipe de Ventealapropriete s’est rendue dans le vignoble bordelais fin avril pour déguster chacun des crus sélectionnés, à raison d’une centaine d’échantillons par jour. Emmené par Olivier Poussier, Meilleur Sommelier du Monde (voir p.14), le comité de sélection a ainsi pris le pouls de ce millésime promis à une longue carrière.

Malgré un été sec et très chaud marqué par trois vagues de chaleur, des orages salvateurs ont changé la donne. Ces pluies de juin et de septembre ont fait le millésime et détendu les baies pour offrir des raisins de belle chair, équilibrés, vibrants, et des jus à l’acidité basse, qui expriment parfaitement leurs sols. Quelle résilience de la vigne !

Résultat : la concentration en tanins est bien affirmée, les degrés d’alcool tournent autour des 14 °, mais le millésime – et c’est assez rare pour être salué – s’équilibre parfaitement sans subir le climat. Au contraire, la fraîcheur est de mise, avec des accents de cèdre, de fruit noir et de belles finales sur le menthol. Ce millésime agit comme un exhausteur de terroir, renforçant la fantastique personnalité de chacun des crus.

Reprenant la marche d’années fastes, empruntant aux millésimes complets et complexes – sans l’exubérance des 2009 ou des 2015 –, mais aussi aux années plus classiques, 2022 s’intercale avec une immense réussite. Stéphane Derenoncourt, conseiller phare sur les deux rives – et qui supervise

150 propriétés à travers le monde – va jusqu’à le comparer au mythique et fabuleux 1982 qui, en son temps, marqua une rupture de style et d’esthétisme, mais aussi aux légendaires 2016, 2010 et 2005. « C’est un millésime assez exceptionnel, avec de beaux raisins qui ont bénéficié de la magie des pluies de fin d’été et n’ont pas vu leur maturité bloquée. »

L’avènement du grand style de Bordeaux

Avec ce 2022, jamais Bordeaux n’aura été aussi passionnément varié et la somme de chaque cru, un si bel ensemble. Surtout, ce millésime couronne les efforts engagés par une très grande majorité de propriétés pour réaliser l’équation magique entre la traduction d’un lieu, la révélation d’un terroir par la technique et le génie humain. L’avènement du grand style renouvelé de Bordeaux. 2022 signe la victoire de Bordeaux sur le climat : le vignoble a su s’adapter. « Le travail a payé, et au-delà de la qualité, c’est rassurant pour la viticulture de constater que la vigne est résiliente », assure Stéphane Derenoncourt. Millésime de volupté aux matières amples et joliment structurées, 2022 poursuit donc l’irrésistible ascension d’un Bordelais en plein renouvellement. Les élevages plus mesurés que par le passé, la préservation de la fraîcheur et surtout de l’identité de chaque cru incarnent ici le renouveau de la région ; la preuve que Bordeaux demeure plus que jamais un repaire, un réservoir de vins d’élite et un vivier de découvertes qui collent aux goûts de l’époque.

Pendant une semaine, le comité de dégustation de Ventealapropriete a arpenté les crus et effectué à plusieurs reprises des dégustations collégiales. Les vins sélectionnés ont donc été goûtés à trois ou quatre reprises, exercice nécessaire pour jauger à leur juste valeur ces vins naissants, en cours d’élevage, forcément changeants ; en effet, ces « échantillons » prélevés sur fûts par les propriétés ne sont à ce stade qu’une

Actualité
Ci-contre : Olivier Poussier en dégustation au Château du Tertre, le 27 avril dernier. Ci-dessus : Thomas Blanquer, Responsable Achats de Ventealapropriete
Photos : Quentin Salinier

esquisse. Nous nous sommes ainsi assurés de la qualité des jus, entre densité, matière et fraîcheur, avec une mention spéciale pour la rive droite, qui coiffe le millésime d’une courte tête. Sur les calcaires, les vignes ont peu souffert de la sécheresse, et les terroirs plus argileux, aptes à retenir les précipitations, ont aussi su tirer leur épingle du jeu ; le nord Médoc, en particulier Pauillac et a fortiori Saint-Estèphe, ont donc particulièrement brillé.

Un exercice de style millimétré

Bien sûr, cet exercice de dégustation qui requiert concentration et expertise ne peut s’affranchir de plusieurs années d’expérience. À ce stade de jeunesse, seuls les experts sont capables d’interpréter les marqueurs de leur qualité, de les interpréter et recontextualiser ; il s’agit d’évaluer la charge tannique, la prise de bois et de se projeter en prenant tous ces éléments en considération. Bien évidemment, la connaissance intime de chaque cru, son terroir, son encépagement, son style, et même l’histoire et la vie de la propriété, sa gestion et le ou les conseillers qui la supervisent aident non seulement à mieux interpréter le vin naissant, mais à l’évaluer précisément à l’aune des millé-

Nos coups de cœur

Château Pavie-Macquin (Saint-Émilion Grand Cru Classé),

Château Larcis-Ducasse (Saint-Émilion Grand Cru Classé)

Château Figeac (Saint-Émilion Grand Cru Classé), Château Montrose (Saint-Estèphe)

Château Branaire-Ducru(Saint-Julien)

Château Brane-Cantenac (Margaux)

Château d’Issan (Margaux)

Château Léoville-Barton (Saint-Julien)

Château Cantemerle (Haut-Médoc)

Château Poujeaux (Haut-Médoc)

Château Grand Puy-Lacoste (Pauillac)

Domaine de Chevalier Blanc (Pessac-Léognan)

Château La Conseillante (Pomerol) Pétrus (Pomerol)

simes passés. Un travail qui nécessite donc une cartographie personnelle complète des crus en présence, et la capacité à hiérarchiser et à mettre en perspective.

C’est pourquoi Ventealapropriete s’est adjoint les services des meilleurs dégustateurs et en particulier d’Olivier Poussier, à la connaissance encyclopédique notoire et à l’enthousiasme revigorant. Son jugement est sûr, argumenté, percutant. Notre site et l’application guideront vos achats

Primeurs tout au long de la campagne ; retrouvez les coups de cœur de l’équipe, les valeurs sûres et les incontournables du millésime, mais aussi les stars montantes et les nouvelles idoles.

Bordeaux poursuit ainsi son irrésistible ascension ! Passer outre l’évidence de son inconditionnelle aura serait au mieux une faute de goût, au pire un contresens historique. VÉRONIQUE RAISIN /

[ Nouvelle réglementation ]

À la suite d’une modification de la réglementation fiscale et ce, depuis le 1er janvier 2023, la TVA devient exigible dès le paiement de l'acompte des réservations primeurs. Ainsi, à partir des Primeurs 2022, les prix incluront la TVA au taux en vigueur. Le certificat de réservation résultant de votre commande affichera également les montants TVA incluse. L’option de paiement « trois fois sans frais » reste évidemment à votre disposition, toujours sans aucun frais supplémentaires. Lors de la mise à disposition des vins, environ deux ans après la réservation, il ne restera plus qu’à confirmer votre adresse de livraison et à régler les éventuels frais de livraison et autres taxes spécifiques. La facture sera ensuite générée automatiquement.

6 — Racines
Petites gorgées Actualité
Ci-dessus : Thomas Blanquer, Alaric de Portal, Benjamin Bounoure, de Ventealapropriete, au Château Latour. Photo : Quentin Salinier

Ventealapropriete

Boutique des cadeaux et boutique des services

L’été, c’est la saison de la Fête des pères, des mariages et baptêmes. Vins, champagnes, spiritueux participent pleinement à ces réjouissances en famille et entre amis, qu’ils soient offerts comme cadeau ou servis aux invités. Notre boutique des cadeaux, en accès direct sur la page des ventes, comprend une grande variété de coffrets – vin, champagne, spiritueux – et d’accessoires, dans une large gamme de prix.

Une seule et même appli pour accéder à tout l’univers de Ventealapropriete

Pour un confort de navigation et plus de fluidité, nos applications VALAP (ventes privées et ventes permanentes) et VALAP Primeurs (consacrée aux vins primeurs) fusionnent sur une seule et même application : VALAP. L’ensemble de l’offre Ventealapropriete sera dorénavant centralisée, disponible sur iOS et Android et toujours gratuite.

Aussi, pour ne manquer aucune des mises en vente primeurs, il vous suffit d’activer les notifications Alertes Primeurs. Vous recevrez alors, en temps réel et dans votre poche, toutes les sorties des Primeurs de Bordeaux.

Téléchargez la toute nouvelle application de Ventealapropriete – VALAP, pour les intimes – depuis l’App Store Apple ou Google Play.

Notre boutique des services est là pour vous accompagner dans le choix des bonnes références et quantités pour vos événements à partir de ce que vous souhaiteriez servir à l’apéritif, durant le repas et pour le dessert. Vous pouvez également joindre le menu prévu. Quelle que soit la demande, la réponse apportée par notre équipe d’experts est toujours personnalisée et soignée. Profitez de nos conseils sur mesure pour choisir les références qui feront de votre fête une réussite !

N’hésitez pas à parrainer un ami ou un membre de votre famille qui partage votre goût pour les bons flacons, vous recevrez chacun un bon d’achat dès que votre filleul aura passé sa première commande. Le parrainage et ses modalités sont à retrouver dans l’onglet Mon compte > Parrainage

MERCI DE VOTRE FIDÉLITÉ !

Nous vous o rons, avec ce numéro, une remise immédiate de 25 €* avec le code RACINES6

* À valoir sur toute commande, hors primeurs, d’un montant minimum de 250 € d’achat. O re valable jusqu’au 31/10/2023.

Racines 7 Services Illustrations Federica Del Proposto
En parrainant vos proches, vous cumulez des bons d’achat
et vous Engagement, réactivité, confiance et écoute sont au cœur de la relation au long cours que nous entretenons avec vous ; et pour toujours vous satisfaire, nous poursuivons le développement des services premium qui vous sont dédiés.

Chic, du rosé !

Fini

Les Américains devenus fans

Aux États-Unis, entre 2014 et 2019, la croissance de la consommation en volume de vin rosé a augmenté de 44 % et de 98 % en valeur ! Plus qu’une boisson, c’est devenu un lifestyle chic Le rosé fut longtemps snobé par les Américains, qui le confondaient avec le White Zin, un type de vin rosé élaboré à partir du cépage zinfandel.

€2 600

En 2019, lors d’une vente aux enchères caritative au profit de la Fondation GoodPlanet de Yann Arthus-Bertrand, un magnum de Muse de Miraval s’est vendu 2 600 euros. Ce record fait de lui le rosé le plus cher du monde.

La France, leader en valeur

Si l’Hexagone en est le troisième exportateur mondial en volume (14 % des exportations mondiales, derrière l’Espagne, 41 %, et l’Italie, 15 %), il se hisse à la première place en valeur (34 % de la valeur totale des exportations). C’est le signe du très haut niveau de valorisation des vins rosés français.

100 % plus cher

Avec un prix moyen par bouteille de 75 cl à 3,75 euros, la France est le premier exportateur de vins rosés haut de gamme. Ce prix a augmenté de 55 % en cinq ans. C’est plus du double du prix moyen constaté chez les sept exportateurs principaux (1,60 euro).

Les rosés les plus coûteux sont tous français

La cuvée du Château d’Esclans Garrus n’est plus « le rosé le plus cher du monde », malgré un tarif affiché autour de 120 euros. Dans cette catégorie, on trouve aussi Clos du Temple, de Gérard Bertrand, autour de 190 euros, la cuvée Étoile des Domaines Ott*, à 120 euros, et Muse de Miraval en magnum, autour de 250 euros ( voir plus haut).

Les côtes-deprovence s’exilent

4,3 bouteilles sur 10 de rosé de Provence s’envolent vers d’autres cieux. En effet, 43 % de la production de la région (pour un total de 166 millions de bouteilles en 2020) partent à l’étranger. Des chiffres qui n’encouragent pas vraiment les vignerons locaux à se diversifier.

Petites gorgées
le temps où le vin sudiste se limitait à une consommation basique et estivale. Le rosé monte en gamme et séduit un nouveau public… VIP compris.
8 — Racines
43% 34 % 18 % 21 % 43% Sources (chiffres 2019) : Observatoire Mondial du Rosé, publié en 2021 ; FranceAgriMer ; CIVP

Avignon

Aix-en-Provence

Marseille

Very Important Provence

Patrick Bruel Le chanteur-acteur a acquis ce domaine du Vaucluse en 2006.

Ridley Scott Le réalisateur britannique produit un joli rosé au cœur du Luberon.

Le couple Sarkozy Avec Stéphane Courbit et la famille Prats, Carla et Nicolas Sarkozy ont racheté la Villa Beaulieu et le Château Beaulieu, ainsi que ce domaine dans le Var.

Bernard Arnault a acquis le Château

Galoupet, l’un des 18 crus classés des Côtes de Provence. Il s’est également offert 55 % de Château d’Esclans. LVMH a par ailleurs annoncé une prise de participation majoritaire au capital de Minuty.

Kylie Minogue La pop star a signé en 2021 avec la propriétaire, Aurélie Bertin-Teillaud, pour produire une cuvée à son nom.

Tony Parker Aux côtés de l’homme d’affaires Michel Reybier, l’ex-basketteur a investi à hauteur de 30 % dans ce site emblématique.

Chanel La famille Wertheimer détient ce domaine, sur l’île de Porquerolles.

George Clooney vient d’acheter les 170 hectares de ce vignoble. What else…

Brad Pitt Depuis 2008, la star produit avec la famille Perrin un rosé au succès planétaire.

George Lucas En 2017, ce château a rejoint la flotte des Skywalker Vineyards du célèbre réalisateur.

Toulon

En 2020, la vie en rose

Si les exportations de vins rosés de Provence ont subi une baisse pendant plusieurs mois consécutifs – entre février et mai, en raison du premier confinement –, elles ont rapidement rebondi dès le début de l’été (+ 46 % en juin par rapport à la même période en 2019), maintenant un niveau élevé chaque mois. L’année 2020 s’est même clôturée sur un record, avec une croissance de 75 % en décembre par rapport à décembre 2019.

516%

Les ventes à l’étranger des bouteilles estampillées « rosé de Provence » ont connu un véritable boom entre 2010 et 2020.

Cannes

La progression en valeur donne le tournis. En 2020, les ventes de rosés de Provence ont atteint 286 millions d’euros, soit une augmentation de 963 % durant la décennie 2010-2020 !

Racines 9 Infographies James Eric Jones Data
Patrick Bruel Domaine de Leos Brad Pitt Miraval George Lucas Château Margüi Le couple Sarkozy Domaine de Cantarelle Chanel Domaine Perzinsky B. Arnault-LVMH Minuty Kylie Minogue Château Sainte Roseline Tony Parker Château La Mascaronne B. Arnault-LVMH Château d’Esclans B. Arnault-LVMH Château Galoupet George Clooney Domaine Le Canadel Ridley Scott Mas des Infermières
€286
M
20km

Une bouteille dans le détail

Dans notre sélection de champagnes, ce e cuvée signée Piper-Heidsieck tient une place à part. Fidèle à l’esprit d’origine de l’appellation construite autour d’un assemblage de cépages et de plusieurs millésimes avec l’apport des vins de réserve, Essentiel en exprime la quintessence.

Un CV bien troussé

Sur l’étique e, les informations indispensables à l’amateur curieux. Sous l’ombrelle de la marque sur fond rouge, on peut lire aisément ce qui est au cœur de la cuvée : composition de l’assemblage, pourcentage de vins de réserve, dosage extra-brut et date de mise en cave – actuellement, une base de 2017.

L’excellence pour boussole

Née en 2012, la collection

Essentiel renvoie à l’ADN de la Maison, au caractère élégant de ses champagnes, en phase avec l’exigence de la haute gastronomie. Une soif d’excellence que son Chef de Caves, garant du style Piper-Heidsieck, traduit par une quête constante de nesse et de précision.

Trois cépages à l’unisson

L’art de l’assemblage…

L’harmonie d’Essentiel tient à ce dosage entre le côté charnu du pinot noir de l’Aube (45 %), la gourmandise du pinot meunier de la vallée de l’Ardre et du massif de SaintThierry (36 %) et le fruité rané du chardonnay du Sézannais (19 %). L’apport des vins de réserve (23 %), issus d’une collection de plus de 120 crus conservés sur lies, assurent la régularité du style, quelles que soient les caractéristiques de la dernière vendange.

L’exigence sociale et environnementale

La certi cation B Corp, l’une des plus strictes, récompense ces deux aspects. Cela se traduit aussi bien par le bannissement des herbicides, pesticides et substances chimiques, que par l’application de la parité et de l’inclusion dans l’entreprise ou l’adoption, depuis 2010, d’une bouteille plus légère.

36 mois de maturation

Grâce à un vieillissement sur lies – période durant laquelle le champagne acquiert sa complexité et sa nesse de bulles – de 36 mois minimum, le choix d’un dosage en extra-brut (moins de 6 g/l) s’est imposé. Le pourcentage de chardonnay plus important que dans la cuvée Brut confère à Essentiel ce e touche vibrante requise pour tous les grands champagnes.

Signé Émilien Boutillat

Ce descendant d’une famille de vignerons établie en Champagne depuis le XVIIIe siècle est à la fois œnologue et ingénieur agronome. Il a rejoint la Maison en tant que Chef de Caves en 2018 et dé nit le style Piper-Heidsieck comme « ra né avec une expression croquante et acidulée du fruit. Un style fondé sur l’équilibre entre ce fruit généreux et une texture tout en nesse et minéralité. »

« La gamme Essentiel marque le renouveau gustatif de PiperHeidsieck impulsé par son nouveau Chef de Caves. Ce e cuvée traduit le travail constant de la Maison ; ce Brut sans année est de grande qualité, goûté, apprécié et approuvé par le comité de sélection. Une valeur sûre ! »

Maël Vincent, Acheteur Champagne de Ventealapropriete

10 — Racines Anatomie

Tournée alsacienne

HAUT LIEU de l’œnotourisme français, la plus célèbre Route des Vins de France fête ses 70 ans. Elle offre aux visiteurs un cadre incomparable à travers des villages et paysages pittoresques, une gastronomie et une culture uniques (lire notre reportage « L’Alsace réinventée » dans Racines 4). À la croisée des chemins entre festival et dégustations itinérantes, « Alsace Rocks ! La Tournée des Terroirs » propose de mettre en lumière la diversité exceptionnelle des vins de la région. Le dimanche 25 juin, à Kaysersberg, ne manquez pas quelques-uns des domaines coups de cœur de Ventealapropriete : Marcel Deiss, Albert Mann, Weinbach. Entre les ateliers pour comprendre les vins, les terroirs ou des notions telles que la minéralité, les activités au cœur du vignoble – à pied ou à vélo – et un espace de jeux pour les enfants, il y en a pour tous les goûts !

Chaque dimanche de juin et de juillet jusqu’au 30 juillet. Inscriptions aux ateliers et informations sur latourneedesterroirs.fr

Bible de la mixologie

FLORIAN THIREAU, jeune chef barman au CV impressionnant (Buddha Bar, Cheval Blanc et officiant aujourd’hui au Peninsula, à Londres), offre dans cet abécédaire toutes les bases pour réaliser 200 cocktails classiques qui constituent le répertoire contemporain. Les summer drinks rafraîchissants tels que Daiquiri, Margarita Frozen ou Piña Colada y sont, ainsi que les bons réflexes pour savoir s’il faut mélanger (stir) ou agiter (shake). Tous les différents ingrédients – avec et sans alcool – sont expliqués avec précision ainsi que l’origine historique de chaque recette. Ces 400 pages composent un délicieux cocktail de connaissances et de saveurs dont on se délecte, de A comme l’Americano à Z comme le Zombie (à base de rhum, créé en 1934 à Hollywood). « ABC des cocktails – 200 classiques modernisés », de Florian Thireau, éd. de La Martinière, 2022.

Cité des Climats : et de trois !

LA « CATHÉDRALE » du vin de Bourgogne ouvre enfin ses portes. À Beaune, le spectaculaire bâtiment s’élance vers le ciel en une élégante vrille, rappelant celle de la vigne enserrant le fil du palissage. Les 17 et 18 juin, le week-end inaugural permettra au grand public de découvrir cette nouvelle destination au cœur du vignoble bourguignon. Le site de Beaune complète les deux autres – ouverts en mai 2023 – de Mâcon et Chablis. Ensemble, les trois sites pensés en réseau portent le nom de Cité des Climats et vins de Bourgogne. À Beaune, le plus grand et spectaculaire des trois lieux, la visite expérientielle et immersive s’achève par une vue panoramique sur la côte de Beaune. Et celles et ceux qui cherchent de bonnes adresses, nous les invitons à plonger dans le précédent numéro de Racines, qui répertorie nos adresses préférées aux alentours. Cité des Climats et vins de Bourgogne, à Beaune (week-end inaugural les 17 et 18 juin 2023), Mâcon et Chablis, citeclimatsvins-bourgogne.com

Racines 11 Œnophilie
Illustrations : Alex Viougeas. Photos : CIVA ; siz'-ix architectes

Pourquoi note-t-on les vins ... en plus de tous les goûter ?

Mise en place en décembre 2021 par Ventealapropriete, la notation des vins sur 100 est la plus communément utilisée pour aider les amateurs à se repérer. L’un des éléments clés pour signaler l’intérêt porté à un cru.

L’ÉVALUATION DES VINS ne date pas des dernières vendanges. Qu’il s’agisse du classement des crus classés du Bordelais en cinq catégories ou de la distinction opérée en Champagne et en Bourgogne entre simples Crus, Premiers crus et Grands Crus, professionnels et amateurs n’ont cessé d’évaluer la qualité des vins et des millésimes. Comme en gastronomie, l’attribution d’étoiles ou de notes s’est très vite imposée dans un contexte économique et social précis, avec l’avènement de la société de consommation et l’essor des bancs d’essai. Dans un monde où l’on note scrupuleusement les différentes interprétations des grandes œuvres de la musique classique, les dernières productions cinématographiques comme les nouveaux modèles de voitures, il était logique que le vin fasse l’objet du même type d’évaluation dans les revues et les guides spécialisés (La Revue du Vin de France, Guide Hachette des vins, Bettane + Desseauve, Guide Parker, etc.).

conduire le dernier modèle de Tesla procède alors, pour une partie des consommateurs de grands crus, de la même démarche : en mettre plein les yeux et les papilles afin d’asseoir son statut aux yeux de sa communauté.

La note ne se résume pas, toutefois, à un simple jeu de société. Elle contient, pour les dégustateurs, un réel intérêt. Pour beaucoup d’entre eux, elle est une grille de lecture commode permettant de résumer les commentaires de dégustation. Sur Ventealapropriete, tous les vins présentés sont scrupuleusement dégustés, sélectionnés et notés par Olivier Poussier et Christian Martray. « La note n’est qu’un indice parmi d’autres », précise Alaric de Portal, Directeur de Ventealapropriete et également membre du comité de dégustation. « Elle ne peut être déconnectée des commentaires. Notre promesse, c’est de bâtir notre propre label, qui associe dégustations, informations, conseils et notations. Nous sommes le seul site à publier nos propres critiques, qui s’appuient sur l’expertise de deux sommeliers reconnus. C’est sur cet engagement envers nos clients que se bâtit notre crédibilité. »

Popularisée vers la fin des années 1970 par Robert Parker dans sa lettre The Wine Advocate avec la notation des crus bordelais du millésime 1982, la notation sur 100 s’est très vite imposée en Amérique du Nord et en Asie. Outil de simplification et de prise de décision, la note est un moyen pratique pour le consommateur de choisir ses vins parmi des milliers de propositions. À cela s’ajoute un autre phénomène : le vin est un marqueur social. Offrir à ses convives une sélection de vins les mieux notés par The Wine Advocate ou

Avec l’internationalisation que connaît Ventealapropriete, son site en trois langues (français, anglais, italien), la livraison désormais disponible en Belgique, en Italie et en Espagne, l’adoption de la notation sur 100 coulait de source. « C’est une gymnastique un peu différente, reconnaît Olivier Poussier. Elle est un peu plus ronflante et il faut savoir l’interpréter. Dans l’ensemble, je trouve que les dégustateurs internationaux ont la notation généreuse. Entre 90 et 100, il y a une échelle de 20 demi-points. Cela laisse une marge significative. Une note de 88 va

désigner un bon vin, sans plus, dont on est en droit d’attendre mieux. Mais il n’y a pas que les vins construits pour une très longue garde qui méritent d’être notés au-dessus de 90. Lors de la campagne de primeurs d’avril dernier, j’ai par exemple très bien goûté Lynch-Moussas. C’est un vin très souple, au fruité éclatant et aux tanins fins, qui épouse parfaitement son terroir de sable argileux. Je lui ai donné un 93/100. Comme j’avais pu attribuer un 94 à Branaire-Ducru, millésime 2021, noté seulement 89 par un critique anglo-saxon. L’écart me paraît excessif. Je pense qu’à travers notre sélection et nos notes, nous devons affirmer notre goût et notre sensibilité pour les vins élégants, qui s’élèvent et jamais ne passent en force. »

Replacer un cru dans une échelle de valeurs

Pour ses détracteurs, la notation, qu’elle soit sur 20 ou sur 100 simplifie à outrance, efface les nuances, nivèle les différences et supprime, selon le mot de Jean-Paul Kauffmann 1, la dimension sacrée du vin. Mais tout le monde n’accorde pas la même signification mystique à la consommation du jus de la treille. Quant

« La note n’est qu’un indice parmi d’autres »
12 — Racines
Décryptage Illustration Federica Del Proposto 98

Les trois systèmes de notation

Les dégustateurs et critiques professionnels les utilisent tous, mais la notation sur 100 semble faire l’unanimité dans le monde.

Notation sur 5

Celle-ci revendique le fait qu’il existe des nuances notables entre les di érentes bouteilles d’un même vin. Et qu’un vin noté 2 sur 5 est déjà digne d’intérêt.

Notation sur 20

Longtemps utilisées par une majorité de dégustateurs européens, la plupart des notes sur 20 s’échelonnent entre 14 et 20, les crus les plus cotés dépassant les

17,5. Elle est aujourd’hui quasi abandonnée en faveur de la notation sur 100.

Notation sur 100

En théorie, les notes s’échelonnent de 50 à 100. En réalité, 99 % des vins sont évalués entre 88 et 100. Les vins notés en dessous de 85 points préfèrent le plus souvent ne pas en faire mention. Lorsqu’une cuvée obtient une double note (ex. : 94-96/100), cela signi e que le dégustateur anticipe une amélioration du vin avec l’âge. Dans cet exemple, 94 correspond à la note au moment de la dégustation et 96 à la note potentielle que le  dégustateur pourrait lui

a ribuer dans quelques années.

Chez Ventealapropriete

Une formule permet de passer de 20 à 100 : note sur 100 = (note sur 20 x 2) + 60. Exemple : 19/20 —> 19 x 2 + 60 = 98/100. Pour être retenu, un vin doit obtenir un minimum de 89/100, soit 14,5/20. 89 et 90/100. C’est une production de haute qualité, ou une grande cuvée en devenir. Entre 91 et 95/100. Magnique cuvée, souvent issue de terroirs privilégiés.

Au-delà de 95/100. Vins magiques, de ceux qui font la gloire du vignoble français.

aux amateurs de vin nature, ils se fichent comme de leur première chemise de tout système de notation. Pour preuve : la plupart d’entre eux étaient déjà en rébellion contre le système de notation de leurs professeurs ! Déterminer par une note chiffrée les qualités d’un vin tient de la gageure. Pour mettre en avant ses nuances, les mots restent des alliés plus convaincants. Ne serait-ce que parce qu’ils apportent une dimension sensorielle et poétique essentielle à la compréhension du vin et de sa culture, tout en révélant également la sensibilité de leur auteur. Pourtant, les meilleurs critiques s’en tirent avec les honneurs par la parfaite connaissance des crus et des terroirs, leur palpable sincérité et, bien sûr, par le crédit que le lecteur leur accorde. Une note ne remplacera jamais une saveur. Elle permet juste de replacer un cru dans une échelle de valeurs et de ce que l’on est en droit d’attendre du vigneron, qui en est l’auteur, soit la meilleure interprétation possible du millésime. Comme l’art de la fugue, celle-ci ne supporte aucune fausse note ! GÉRARD MUTEAUD /

Racines 13
93 94 99 1.
Journaliste, écrivain et amateur de vins de Bordeaux au sujet desquels il a publié Voyage à Bordeaux (1989, paru en Folio en 2014).

Dans les coulisses du Meilleur Sommelier du Monde

C’est le titre le plus envié de la sommellerie. En 2000, Olivier Poussier remportait ce concours hors du commun. Membre du comité de sélection de Ventealapropriete, il nous conte les dessous de l’édition 2023.

Champions
Ci-dessus : Olivier Poussier, codirecteur du comité technique de l’Association de la sommellerie internationale (ASI) sur la scène de La Défense Arena, le 12 février dernier.

LE 12 FÉVRIER DERNIER, le monde du vin retenait son souffle. La finale du concours du Meilleur Sommelier du Monde se jouait en France, à La Défense Arena, à guichets fermés. Opposant un Chinois (Reeze Choi), une Danoise (Nina Jensen) et un Letton (Raimonds Tomsons) – la Française Pascaline Lepeltier prenant une cruelle quatrième place –, cette ultime phase devait départager les trois derniers candidats sur les 67 de départ. C’est Raimonds Tomsons qui est reparti avec le trophée complétant la liste déjà bien fournie de ses titres en compétition : trois fois meilleur sommelier de Lettonie, trois fois meilleur sommelier des pays baltes, meilleur sommelier d’Europe en 2017. Il s’était classé troisième lors du précédent concours mondial, en 2019.

Un défi de haute intensité Comme une olympiade, ce concours se joue en effet tous les quatre ans entre les meilleurs sommeliers de la planète puisque pour concourir, il faut au préalable avoir été sélectionné par la délégation de son pays au terme d’un parcours ultra-exigeant. Si vous n’êtes pas capable de faire la différence entre un café du Mozambique ou du Nicaragua, que le kéfir ou le kombucha ne vous disent rien, qu’une caudalie n’évoque pour vous qu’une marque de cosmétiques ou que vous pensez que le kujundusa 1 est une danse orientale, passez votre chemin.

Car il faut accumuler une somme colossale de connaissances pour prétendre à concourir. Une montagne d’informations que chaque candidat acquiert au fil de ses expériences et répétitions quotidiennes. Chaque jour, il faut pouvoir déguster une cinquantaine de vins et autant de spiritueux ou d’eaux-de-vie, mémoriser leurs saveurs et leurs caractéristiques ; appellation, surface du vignoble, géologie, historique du domaine, caractéristiques de l’élevage, du millésime, tout doit être consigné, mis en perspective, mémorisé.

C’est une préparation digne des plus grands sportifs. « Il faut aussi une grande assiduité et une bonne organisation personnelle », détaille Olivier Poussier, passé par là à deux reprises. D’abord en 1995, où il arrive deuxième derrière le Japonais Shinya Tasaki. Travaillant d’arrache-pied – « je suis remonté sur le ring ! » –, il déguste chaque jour une soixantaine d’échantillons, visite 19 pays en deux ans, avale des kilomètres de législation

sur les décrets d’appellations, retient les superficies, la géographie, plonge dans les manuels d’ampélographie 2, de biologie, et surtout, apprend à reconnaître chaque vin au premier coup de nez. La plupart des candidats se consacrent au concours des années durant. « Je ne crois pas que les gens se rendent compte, avoue Olivier. Il faut constamment être en alerte, se tenir au courant de tout. Car en plus de connaître le vin, il faut aussi tout savoir des thés, des cafés, des spiritueux, des bières, des cocktails, des eaux… ».

Une mixité bienvenue

« Il y avait 15 candidats capables d’accéder à la finale cette année », analyse Olivier Poussier. Preuve que le niveau était relevé et que Pascaline Lepeltier n’a pas à rougir de sa performance. Forcément déçue, la Française qui officie au restaurant Racines, à New York, se présentera peut-être à nouveau dans quatre ans. « Elle était très bien préparée, elle est brillante, son livre est délicieux3 : je ne me fais pas de souci pour elle, avance Olivier Poussier. L’arrivée des femmes en sommellerie et dans les concours est une chose magnifique ; elles m’impressionnent et je pense qu’elles ont autant de chances de réussir. »

Un savant mélange de savoir théorique et pratique, une bonne dose de talent, un nez et un palais exceptionnels sont nécessaires pour identifier les vins à l’aveugle, l’une des épreuves reines du concours. L’emporter, c’est faire preuve d’une immense maîtrise teintée d’élégance, d’aisance et d’esprit vif.

Ne jamais s’avouer vaincu, continuer malgré l’adversité : le concours de Meilleur Sommelier du Monde, comme n’importe quel autre, forge un caractère. « Mon père m’avait demandé ce que j’aurais fait si je n’avais pas remporté le titre en 2000, avoue Olivier Poussier. Eh bien, j’aurais recommencé, jusqu’à ce que je l’aie ! ».

C’est une leçon de persévérance et de passion. Des valeurs au service du vin qui perdurent grâce au passage de témoin entre les générations. Désormais au comité technique du concours – et membre émérite de notre comité –, Olivier Poussier continue de porter la jeune génération, de la soutenir et de lui transmettre sa passion. Toujours en quête de connaissances, avide de découvertes et de nouveautés. « J’ai toujours autant de plaisir à déguster et à apprendre, je maintiens mon niveau et je reste motivé ! ». Les mots d’un champion. VÉRONIQUE RAISIN /

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En haut : Pascaline Lepeltier. Ci-dessus, de gauche à droite : les 3 finalistes Nina Jensen, Raimonds Tomsons et Reeze Choi. 1. Cépage blanc de Dalmatie. 2. Science qui étudie la vigne et les cépages.
Photos : ASI et HRVPROD
3. Mille vignes. Penser le vin de demain, de Pascaline Lepeltier (Hachette, 2022).

la perle rare de la côte de nuits

Ouvrant la Côte de Nuits, sur le fabuleux terroir de Morey-Saint-Denis, le Clos de Tart est un cru confidentiel au rayonnement international. Un des joyaux de la Bourgogne, envié pour son histoire, sa rareté et sa singularité.

Grand format Mythe Texte Véronique Raisin Photos Dorian Prost

DEPUIS NEUF SIÈCLES, cette bande de terre calée sur le haut de Morey-Saint-Denis est le refuge de rangs de pinot noir alignés sur l’horizon, protégés des excès de chaleur et idéalement ventilés. Les moniales fondatrices avaient dû y voir un astucieux stratagème pour révéler la quintessence de ce terroir unique à l’exposition nord-sud parfaite, 7,53 hectares éclatés entre calcaires, graviers et argiles. Malgré les soubresauts de l’Histoire et le passage du temps, cet antre semble border le tumulte, se tenir à l’écart de toute contrainte, blotti contre les bâtiments du XIIe siècle, cerné de ces pans de vignes qui détalent du bois jusqu’à la route. Un rectangle qui barre le paysage sur 300 mètres de long et dessine un tableau inestimable. Il y a cinq ans, la famille Pinault 1 a pris possession de ce jardin d’Eden avec la ferme intention d’en faire vibrer la plus intime partition.

L’un des cinq Grands Crus en monopole

Il faut dire que le Clos de Tart est bien plus qu’un Grand Cru de prestige, une appellation à lui tout seul : il est l’un des cinq grands crus en monopole – détenu par un seul propriétaire – que compte la Bourgogne2 ; mais de tous, ce clos ceint de murs est le plus vaste, le seul aussi à bénéficier d’une si grande variété de sols et de variations. Une complexité que les vins de la propriété explorent totalement, chacun à leur mesure, surtout depuis le millésime 2019 où les moyens mis

1. Artémis Domaines, créé en 1993, regroupe les propriétés de prestige de la famille Pinault (Groupe Kering).

2. Aux côtés de la Romanée Conti, La Tâche, La Grande Rue, La Romanée.

18 — Racines

en œuvre par le nouveau propriétaire ont commencé à se lire.

Car assumer l’héritage d’un tel joyau n’est pas si simple ni de tout repos ; surtout, il n’est pas donné de le modeler sans le dénaturer. C’est la lourde charge qu’a dû endosser Alessandro Noli à son arrivée, en 2018, et qu’il nous conte lors d’une visite au domaine. Rodé aux vinifications de la vallée du Rhône et de la Bourgogne, cet ancien avocat d’affaires florentin, diplômé d’œnologie et rompu aux exigences d’Artémis, a tôt fait de mettre en œuvre les ajustements nécessaires à la surélévation du cru, avec toutes les ambitions que permettait son propriétaire.

Toute la palette du pinot noir

Deux réglages en particulier ont renforcé ses atouts. Le vignoble d’une part, le travail en cave d’autre part, avec notamment l’élevage sous bois. Dès 2015, la conversion en bio a été amorcée, avec la poursuite de traitements de biodynamie ; une double certification acquise aujourd’hui. La diversification florale fut aussi à l’œuvre, avec la plantation d’une bande d’arbustes courant sur la largeur du vignoble, à mipente. Quelque 280 arbres fruitiers coupent ainsi les vignes, avec par endroits des nichoirs à mésanges et à chauve-souris. Des essais sont également en cours sur le travail au cheval, avec la volonté d’aérer les sols et de les griffer superficiellement pour une meilleure aération.

« On s’est rapidement rendu compte qu’il y avait de nombreuses variations sur ce terroir. Et qu’au-delà des nuances de sols, il existait une diversité au sein même du vignoble, tenant compte du matériel végétal d’une part, de l’âge des plants d’autre part », explique Alessandro Noli. Une quinzaine de parcelles ont ainsi été vinifiées séparément pour mieux les confronter ;

« On a plus de sélections, plus de possibilités d’assemblages, mais aussi plus de précision dans les vins ». Car on ne soupçonne pas que sur ce vignoble d’un seul tenant, autant de diversités cohabitent, offrant à la fois des structures de vins puissantes, d’autres plus dentelées, selon que l’on se trouve sur des calcaires, en contrebas, ou des parties plus argileuses.

Le Clos de Tart est une mosaïque qui décline ses parfums et contours dans d’infinies métamorphoses. Un vin voluptueux et saisissant, à la texture veloutée et au charme sensuel sublime. La finesse du grain de tanin, les saveurs complexes de fruits, de fleurs légères et d’épices, la persistance aérienne forment un vin au temps long, ouvert sur l’infini, qui va à l’essentiel. Restait à révéler ces vibrations, à les comprendre et les incarner. Ce à quoi l’équipe s’est attelée, ces cinq dernières années.

Côté cave, des évolutions douces ont eu lieu, des ajustements nécessaires, répondant aux goûts de l’époque et surtout à une exigence en regard du potentiel de ce vin. Quand on tient un tel diamant entre ses mains, on ne peut que le tailler avec tact et intelligence. La part de fûts

Un clos préservé au fil des siècles

Les Bernardines de l’abbaye de Tart (1141-1791), les familles MareyMonge (1791-1932) puis Mommessin (1932-2018) furent les trois propriétaires successifs du Clos de Tart en neuf siècles. François Pinault, via sa société patrimoniale Artémis Domaines, l’acquiert en 2018, renouvelant les équipes à sa tête, engageant d’importants travaux de rénovation des bâtiments et du cuvier, et concrétisant la certification en cultures biologique et biodynamique.

Racines 19
Ci-contre : La Vierge de Tart, statuette du XIVe siècle. Ci-dessus, à droite : Alessandro Noli, Directeur du Clos de Tart.

neufs a été diminuée, et le 100 % fûts neufs abandonné. « Aujourd’hui on a environ 60 % de bois neuf pour le Grand Cru et 45 % pour La Forge, le 1er Cru. » Ces parts devraient encore baisser sur les prochains millésimes, pour se stabiliser respectivement autour de 50-55 % et un tiers.

Une montée en grâce du cru, sur la finesse

Par ailleurs, fini les vinifications en cuves inox : place désormais aux larges cuves en bois, 15 foudres de 30 à 40 hectolitres signés Taransaud, l’une des plus anciennes tonnelleries. L’objectif : éviter les matrices tanniques rustiques, alléger l’extraction pour favoriser le fruit, la fraîcheur, la finesse. « Je voulais une approche plus douce », exprime Alessandro. Ce changement de braquet dans la méthode et dans la définition du vin imposait aussi de revoir la sélection du Morey-Saint-Denis 1er Cru, baptisé La Forge et produit depuis 1993. Désormais, il est le fruit d’une sélection des très jeunes vignes du domaine – en raison d’arrachages et de remplacement des pieds qui le nécessitent – et des plants issus des dernières sélections clonales, amenées à disparaître au profit de sélections massales 3 issues de la propre pépinière du domaine.

Ces ajustements permanents sont l’aboutissement d’une réflexion et le fruit d’une volonté de placer le Clos de Tart sur la plus haute marche. Déjà culte, honoré de toutes les critiques, recherché des collectionneurs, le Grand Cru de Morey-Saint-Denis est un mythe. Mais

3. La sélection clonale reproduit à l’identique un plant de vigne à partir d’une seule souche, choisie pour son potentiel génétique. La sélection massale favorise la variété génétique des pieds, le plant greffé étant génétiquement différent du plant « mère ».

son rang et sa prestance devaient pousser encore plus loin, nourrir l’attente de sa dégustation et le faire entrer dans l’ère de la modernité. Aujourd’hui bien placé dans la course aux icônes du vignoble mondial, le cru peut sans gêne rivaliser avec les plus folles bouteilles. Forcément, sa cote ne cesse de grimper et les plus fidèles se pressent à ses portes, heureux d’entrevoir la mécanique d’un tel cru d’élite. Peu y auront accès, tant les volumes produits sont faibles, mais une chose est sûre : la vierge qui niche en ses murs peut continuer de veiller sur lui, le Clos de Tart est bien éternel.

Ci-dessus : l’équipe de Ventealapropriete (Alaric de Portal, Benjamin Bounoure) avec Alessandro Noli, le 30 mars dernier. Ci-contre : le vieux pressoir « à perroquet et corde continue », qui fut actionné à chaque vendange, de 1570 à 1924.

CLOS DE TART

Superficie / 7,53 ha en exploitation

Cépage / pinot noir

Culture / biologique et biodynamique

Production / env. 25 000 bouteilles (80 % de Grand Cru, 20 % de 1 er Cru, 600 bouteilles de Village)

Vins / Clos de Tart Grand Cru Monopole, La Forge de Tart Morey-Saint-Denis 1 er Cru, Morey-Saint-Denis Village

Clos de Tart Grand Cru Monopole 2020. La classe et la force d’un grand pinot noir de Nuits s’exposent dans ce vin réalisé sans coutures, à la structure immense portée par le fruit, la rose fraîche et les épices.

20 — Racines

château sainte marguerite à la conquête du monde

Posé sur les contreforts du massif des Maures, face aux îles de Port-Cros et de Porquerolles, le Château Sainte Marguerite émerge d’un décor de paradis. Du paysage, le charme se communique à la bouteille avec des rosés équilibrés, fins et structurés.

Grand format Visionnaire Texte Matthieu Perotin Photos Stéphanie Davilma

QUEL PERSONNAGE ! Aux côtés de son frère Olivier, Enzo Fayard préside aux destinées du Château Sainte Marguerite. Sur la grande photo qui nous accueille à l’entrée du domaine familial, sa nature joviale s’impose comme une évidence. Impression confirmée lorsque le vigneron jaillit, monté sur ressorts, de l’écrin futuriste où sont réunies les activités de production et d’accueil du public. Un peu comme si l’on était sur le point d’embarquer dans une production à grand spectacle. De fait, pendant près de trois heures, c’est une véritable boule d’énergie qui parcourra en tous sens et au triple galop les 5 500 mètres carrés de la cave, préemptant les thèmes de conversation et devançant les questions sans jamais fléchir sur ses fondamentaux : le regard pétillant, la blague facile, l’anecdote en bandoulière.

On apprendra par exemple que le récit communément admis sur l’origine de Sainte Marguerite mérite quelques retouches. Non, Jean-Pierre et Brigitte Fayard (les parents d’Enzo) n’ont pas quitté Saint-Étienne avec l’intention déclarée de devenir vignerons sur le littoral varois. « Nous avions l’habitude de descendre sur la presqu’île de Giens et mon père cherchait une maison de vacances. Un jour, il apprend que la Fondation de France veut se séparer d’un bien à La Londe-lesMaures. Il se présente le jour de la vente et découvre sur place deux acquéreurs potentiels. L’orage a transformé le jardin en bourbier et la cuisine abrite un nid de frelons : un flottement s’installe. Mon père raconte qu’il s’est assis sans un mot devant le notaire et a signé le registre. Fin de l’histoire. »

Ou plutôt, lever de rideau... Nous sommes en 1977. Avant d’abandonner Jean-Pierre à son allégresse, le notaire lui a glissé un détail. En plus d’une maison, il vient d’acheter trois hectares de vignes. La

récolte est prévue la semaine suivante. L’esprit ailleurs, le néo-propriétaire relève à peine. « Mon père ne savait pas ce qu’implique de faire du vin. Le domaine ayant obtenu une médaille au concours agricole, il a dû en déduire que le métier était facile. »

Pionniers du rosé cristallin

Les premières années agissent comme un puissant dégrisant, mais le couple Fayard s’accroche, apprend vite et réussit, par la grâce d’une intuition unique, à forger un style qui va bientôt faire école. Au début des années 2000, les grenaches d’une parcelle – Saint-Pons – donnent un rosé très pâle dont la fraîcheur et les notes d’agrume ravissent tous ceux qui le goûtent. Il n’empêche : les commissions chargées de délivrer les agréments le retoquent invariablement. Trop léger, trop clair. Jusqu’à ce que Jean-Pierre trouve la parade. Un peu de vin rouge prélevé dans une pipette, quelques gouttes déposées dans une bouteille... Les jurys ont dans leurs verres la couleur attendue et n’y voient que du feu.

« Mais pour fournir les restaurants et les bars de Saint-Tropez, le domaine envoyait ses rosés sans maquillage. On ne pouvait rien nous objecter, car une fois leurs constituants analysés, les résultats étaient les mêmes que pour les vins agréés. Le succès a pris des proportions inimaginables ! ».

Dans les mots des deux frères qui président à la conduite du Château Sainte Marguerite, la volonté de plaire au plus grand nombre s’affiche sans fausse pudeur. « Aux yeux des clients du monde entier, le rosé est associé à la fête, à l’apéritif et au barbecue », remarque Olivier, moins vibrionnant que son cadet, mais tout aussi déterminé lorsqu’il s’agit

24 — Racines Ci-dessus, de gauche à droite : le bâtiment ultra-moderne qui accueille les activités de production et le public ; Enzo Fayard.

de promouvoir le domaine. « Nous n’avons pas d’autre ambition que de produire des vins de qualité qui puissent sublimer les moments de partage et de convivialité. »

Dans la bouteille, le programme est tenu sans coup férir. « Symphonie » est un rosé où entrent des raisins provenant des domaines voisins, mais dont la vinification est assurée par la famille Fayard. Selon le profil du millésime, les parts respectives du grenache et du cinsault sont ajustées pour préserver les beaux arômes fruités, aussi charmeurs et friands que purs et précis. Une entrée de gamme solaire, mais sans lourdeur, à qui la table ne fait pas peur !

Les vieux grenaches font la différence

Dans la cuvée « Fantastique », produite en Cru Classé Côtes-de-Provence, le grenache reçoit l’appui du rolle (à hauteur de 20 %) et d’une once de syrah. On perçoit le gain en amplitude, on apprécie les discrètes notes de fruits exotiques et on se dit que la sensation minérale qui sous-tend l’ensemble doit faire l’effet d’une bénédiction par les chaudes journées d’été. « Fantastique » se décline en blanc et en rouge, avec des vins où l’identité méridionale se coule dans une expression contenue et nuancée – de parfaits exemples de VTT (« vins tout-terrain »), pour reprendre la formule d’Enzo Fayard...

La production du Château Sainte Marguerite doit son identité à une vision singulière des vins de Provence. Existe-t-il d’autres facteurs distinctifs ? Jean-Pierre Fayard, officiellement retraité depuis 2022, mais toujours investi dans le suivi des affaires familiales, a son avis – qui compte beaucoup, à en juger par le silence attentif qui l’ac-

cueille – sur la question. « Le sol, le climat, les cépages : la part du terrain est essentielle. Nous avons constaté que nos meilleurs vins provenaient de nos plus vieilles vignes, des grenaches de 80 ans. Nous avons sélectionné les plus beaux plants dans les parcelles qualitatives et nous les avons replantés ailleurs1. C’est sans doute un des choix qui apporte aujourd’hui une petite différence à nos vins. »

Innover sans relâche

Au sein du clan Fayard, la soif de succès s’exprime si librement qu’elle pourrait suggérer un repositionnement progressif des priorités. De vignerons, les dirigeants du Château Sainte Marguerite seraient devenus businessmen, l’œil rivé sur les plans marketing et la perspective d’inonder les hauts lieux touristiques de la planète. L’hypothèse ne tient pas. Tout indique, au contraire, que les trois hommes partagent le refus catégorique de se laisser endormir par la réussite commerciale. « La plus dure des positions, c’est d’être en haut de la montagne, théorise Olivier. Le challenger se remet spontanément en question, c’est moins naturel pour le challengé. Nous avons conscience du risque qu’il y a à se croire arrivé et nous y faisons face en multipliant les expérimentations. »

Surtout lorsqu’elles donnent l’occasion d’équiper le domaine avec des machines dernier cri – les deux frères sont férus de nouvelles technologies. À la vigne, des outils de ramassage et de tri pourvus de systèmes de pesée embarquée ont fait leur arrivée. Ils permettent de comparer les zones plantées sous l’angle de la productivité des raisins. En complément, des drones sont envoyés en survol au-dessus des vignes pour les photographier en vue de mieux cibler les

Racines 25
1. Cette pratique porte le nom de sélection massale.

interventions. Le goût pour l’innovation se manifeste également au chai, où s’alignent en un spectacle sidérant pas moins d’un millier de barriques semblant léviter au-dessus du sol. Chacune d’entre elles reposant sur des galets tournants, une seule personne peut facilement et rapidement mettre en rotation la totalité du parc. « Nous le faisons notamment pour mettre les lies en suspension. Cela donne aux vins un supplément de matière sans avoir besoin de bâtonner, sans quoi nous devrions utiliser davantage de soufre pour contenir le risque sanitaire associé à l’introduction brutale d’oxygène dans les contenants », précise Enzo. Avant d’être instituée, chaque nouvelle pratique fait l’objet d’une étude détaillée pendant laquelle l’équipe technique joue sur l’ensemble des paramètres, à la recherche de la combinaison optimale.

L’incarnation d’une Provence mythique

Enzo et Olivier Fayard ne sont pas en panne de projets. À force d’acquisitions foncières, ils ont porté la surface d’exploitation de 200 hectares, en 2022, à près de 240 actuellement, et peut-être 280 avant la fin de l’année ! À la cave, le renforcement du négoce va propulser « Symphonie » à une altitude inédite.

« Avant notre rapprochement avec le groupe Pernod Ricard [en 2022, NDLR], nous arrivions à notre limite en matière d’investissement, confie Enzo. Il nous aurait fallu deux vies pour atteindre le niveau de développement où nous espérons nous trouver dans la prochaine décennie ! ». Une des orientations sur lesquelles les deux partenaires se sont mis d’accord consiste à accroître la part de l’export, aujourd’hui de l’ordre de 22 % de la production. Le Château Sainte Marguerite peut désormais s’appuyer sur la force d’un réseau de distribution déployé dans le monde entier. « Une fois acté notre mariage avec le groupe, la première commande

vers les États-Unis a représenté autant que le cumul des trois années précédentes », s’amuse Enzo. Olivier, quant à lui, insiste sur la ligne de partage des rôles. « Alexandre Ricard nous a dit : “Continuez à faire du bon vin, je me charge de le vendre et de le faire rayonner.” Avec mon frère, nous gardons la maîtrise de tout ce qui relève du travail de la vigne, à la cave et au chai. » L’amateur ne s’en plaindra pas. Imaginons un jour d’été où, par extraordinaire, une pluie insistante mouillerait les arbousiers, les buissons de ciste et de lavande qui entourent le Château Sainte Marguerite. Où la Méditerranée aurait pris la couleur du plomb. Il suffirait de s’en remettre au pouvoir de suggestion des vins de la famille Fayard pour retrouver l’esprit des lieux qui les ont vus naître. Et se couler avec délice dans l’image d’une Provence éternelle.

SAINTE MARGUERITE EN PROVENCE

Appellation / Côtes de Provence La Londe-les-Maures

Production / 2 millions de bouteilles par an

Certification / bio et vegan

Surface plantée / 236 ha en exploitation

Cépages / cabernet-sauvignon, syrah, rolle, sémillon, cinsault, grenache noir, mourvèdre, grenache gris

Âge moyen des vignes / 40 ans

Type de sol / schistes métamorphiques riches en silex

Côtes de Provence Symphonie Rosé 2022. Aérien, ce rosé mêle finesse et élégance dans une grande pureté. Le jus de belle fraîcheur, sur les agrumes et les fruits blancs croquants, reste frais et léger, avec une agréable sensation zestée.

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Ci-dessus, à droite : l’équipe de Ventealapropriete, Anthea Martinenghi et Maël Vincent, en dégustation.

la force des éléments

Au Roc des Anges, Stéphane et Marjorie Gallet sculptent des vins de lumière, imprégnés d’une nature sauvage, façonnés de tout leur talent. Partenaires du domaine depuis ses origines, nous en sommes les premiers soutiens.

Racines 29 Grand format Défricheurs Texte Véronique Raisin Photos Stéphane Remael

LORSQUE L’ON PREND un peu de hauteur et que l’on grimpe au Força Réal, le plus beau panorama du Roussillon se découvre. Celui d’une nature brute mais sereine, cernée de forêts de chênes verts, barrée par les Pyrénées et bordée, au loin, par la Méditerranée. Tout le vignoble catalan se découvre en contrebas, révélant ses sols de schistes tournés vers le nord. Ces terres de garrigue offrent une fraîcheur salutaire, portant les vins vers davantage de rigueur et d’élan. C’est ici qu’il y a 20 ans, Stéphane et Marjorie Gallet ont choisi de s’exiler. Ingénieurs agronomes, passionnés de vins et d’équitation, ils ont apprivoisé ces lieux. Peu pariaient sur leur réussite ; eux y ont cru. Nous les avons suivis, encouragés, certains qu’ils deviendraient grands. La suite nous a donné raison. Depuis, nous façonnons à quatre mains la cuvée l’Aiglon, un blanc et un rouge sur mesure réservés à nos membres. L’occasion de leur rendre visite, en ce début du mois d’avril.

L’esprit du lieu

« Il ne faut pas ajouter de la contrainte et de la souffrance à la vigne », explique Marjorie en nous faisant faire le tour du propriétaire. Sur ces terres situées à une quarantaine de kilomètres de Perpignan, la sécheresse est rude. « L’équilibre se fait dans le vignoble ; pas en cave. » Les 45 hectares cernés de bois se découpent en îlots de vignes étagés entre 150 et 300 mètres d’altitude. Des parcelles qui expriment chacune leurs nuances et content les expressions de ces sols de sables et de schistes, par endroits d’argiles ou de granites. « C’est très tellurique, il y a quelque chose de spécial qui se dégage ici », explique Marjorie.

Restituer ce que donne le lieu et le traduire par des choix techniques et esthétiques en des cuvées majestueuses. Voilà la vocation du Roc des Anges. Une quête d’insistance née en 2001, lorsque Marjorie arrive sur ces terres quasi vierges, bientôt rejointe par Stéphane. De cet amour pour la région et ses paysages est né le projet d’une vie. « Il faut

pouvoir exprimer le lieu ; et pour faire de grands vins, non pas les meilleurs nécessairement, mais des vins qui ont une raison d’être, il faut être capable de lâcher, accepter de ne pas tout contrôler », témoigne Marjorie, qui s’amuse parfois de ce lâcher-prise, elle, la cartésienne rompue aux méthodes scientifiques. « Ce qui compte renchérit Stéphane, c’est d’être singulier. » Au départ, les deux vignerons voulaient juste faire un blanc et un rouge, comme à la Grange des Pères 1. Puis ils se sont fondus dans ce paysage et en ont apprivoisé les contours. « À chaque dégustation, on ne décidait de rien ; notre envie est passée derrière le vignoble », détaille Marjorie. Une démarche d’écoute attentive inspirée des vignes dispersées dans toute la garrigue, des parcelles multiples qui offrent chacune une face de l’identité du site. De ce maillage essentiel sont nés des vins opiniâtres, sculptés par la rudesse des éléments, la tramontane et des sols secs, résistants sur la fraîcheur et la verticalité. Chaque parcelle proposait ainsi une part du sens, un petit morceau de vérité. « C’est une question de sincérité de traduire tout cela dans nos vins », résume Stéphane Gallet. L’Aiglon, une réalisation main dans la main

Parvenus au domaine, dont la silhouette de pierre ocre se découpe sur fond vert, on mesure toute l’étendue du labeur, ses exigences et ses joies. Ici éclosent des cuvées de lumière, tendues vers le ciel, des vins singuliers qui nous ont toujours touchés et émus et que nous avons proposés à nos membres dès les premiers temps du site. Peu à peu, la gamme s’est étoffée, les méthodes se sont affinées, la réflexion a cheminé. Bien vite, la culture biologique s’est installée, dès 2008, suivie en 2011 par la conversion du domaine en biodynamie.

1. Domaine culte du Languedoc, parmi les premiers au début des années 1990 à avoir réalisé des vins cultivés en biodynamie rivalisant avec les plus hauts standards internationaux

« Pour l’enracinement des vignes, le style des vins et notre santé », justifie Marjorie. La fertilité des vignes a augmenté dans la foulée, la tension et la vibration des vins se sont exprimées plus librement, les Gallet ont trouvé là les réponses à leur questionnement. En conséquence, le découpage en petites parcelles s’est naturellement installé, augmentant logiquement le nombre de vins produits. « En biodynamie, la connexion de la vigne avec le sol est renforcée », remarque Marjorie. C’est cette identité que le couple cherchait à restituer. Le travail en cave a aussi été allégé, pour ne rien influencer. « C’est beaucoup plus difficile de ne rien faire, confirme Stéphane. Il ne faut surtout pas mettre d’ego dans le vin. » « Il faut goûter sans cesse, rester proche du vin ; faire preuve de précision, de prévenance et d’anticipation. Si on contrôle tout, on verrouille tout », explique Marjorie. Une conscience du détail et de l’intégrité qui va jusqu’à écarter une cuve qui ne donnerait pas le résultat escompté.

Modestes, les Gallet maîtrisent en experts toutes les étapes de la vinification et de l’élevage et surtout, ils ne s’embarrassent pas des modes, élaborant des vins à leur image. Aujourd’hui, ils peuvent être fiers du travail accompli et des choix imposés. C’est cette sincérité et cette singularité qui nous ont tout de suite plu chez eux ; Ventealapropriete a veillé ce talent dès les origines, à rebours d’une certaine critique de l’époque qui pointait des vins étriqués parce qu’ils n’exprimaient sans doute pas assez la chaleur du Sud, sa faconde et ses exubérances. À leurs côtés, nous avons imaginé cette cuvée unique, l’Aiglon, magnifique introduction aux vins du domaine et à l’appréhension de la région. En dégustant les vins, une seule image se forme : une ligne de

Ci-contre : Marjorie Gallet. Ci-dessus, à g. : les strates géologiques à découvert sur l’une des parcelles du domaine ; à dr. : Stéphane Gallet et Christian Martray, membre du comité de sélection de Ventealapropriete, le 11 avril dernier.

rectitude, de précision, d’honnêteté. Non sans reliefs de douceur, d’un fruit pur et scintillant, d’arabesques de parfums portés par un macabeu exalté, un grenache libéré, un carignan de 1903, une magistrale syrah de fraîcheur et d’élan. Dans cette quête du sublime, de l’étincelle, les vins du Roc des Anges proposent une voie vitale et sereine. Où la brusquerie et l’effort ont été mis de côté, ultime politesse de ne pas révéler les coutures d’une œuvre opiniâtre.

Blancs comme rouges portent cet élan, cette facilité de corps, glissant comme l’eau de roche, jamais entravés par trop de tanins, de bois ou de force. Même les degrés sont pondérés, le fruit naturel, la salinité porteuse de fraîcheur, la persistance jamais sur la puissance, traduisant toute l’intensité que ces vignes ont eu à rester en vie. Des vins comme des pages qui se tournent dans le vent du Sud, contant l’histoire de deux passionnés, toujours dans la lumière.

LE ROC DES ANGES

Appellation / IGP Côtes Catalanes

Superficie / 45 ha

Cépages / macabeu, grenaches blanc et gris pour les blancs ; grenache, syrah, carignan, mourvèdre, lledoner pelut pour les rouges.

Production / 100 000 bouteilles par an

Aiglon Rouge 2021. Rayonnant d’un fruit pur, ample et gourmand, ce métissage de grenache et mourvèdre sur calcaires et argiles offre l’expression la plus juste du Roc. Un jus fin et ciselé parfait pour entamer l’été.

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Ruinart, une incroyable désirabilité

Ce champagne occupe une place à part dans le cœur des dégustateurs. Son nom valorise autant celui qui l’offre que celui qui le reçoit. La Maison Ruinart traverse les siècles et rencontre le goût de l’époque grâce à des innovations anciennes et audacieuses devenues des évidences aujourd’hui. Décryptage d’une légende plus que jamais désirable.

Racines 33 Grand format Icône
Texte Sylvie Berkowicz
Photos Romain Guittet

« LA PLUS ANCIENNE et, nous l’espérons, la plus moderne des Maisons de champagne », c’est ainsi que Frédéric Dufour, Président de Ruinart, aime à la définir. Peut-être n’est-elle pas la plus ancienne, car bien avant sa fondation, on élaborait des vins effervescents en Champagne, cherchant à apprivoiser ce qui fut d’abord un défaut du vin.

Au XVIIIe siècle, Reims est l’une des villes françaises les plus riches et les plus développées, notamment dans le commerce des tissus. Elle s’impose rapidement comme le centre névralgique et stratégique entre l’Italie et les Flandres, qui produisent les tissus, Reims en faisant le commerce. Le transport des bouteilles, lui, est interdit jusqu’en 1728. Pour faire connaître ce nouveau produit qu’est le champagne, Nicolas Ruinart, marchand d’étoffes prospère, a l’idée d’en glisser une bouteille dans chacune de ses expéditions. Il est ainsi le premier à créer une maison de négoce du champagne. Un succès. Ruinart est lancé, et en 1736, son fondateur décide de s’y consacrer entièrement. Depuis, de génération en génération, ce nom bâtit sa réputation, basée sur des savoir-faire œnologiques autant que commerciaux.

Reconnaissable entre tous : le flacon Ruinart. Née au XVIIIe siècle, cette bouteille aux courbes emblématiques figure sur le tableau Le Déjeuner d’huîtres, commandé par Louis XV, en 1735, au peintre Jean-François de Troy. Un modèle abandonné à la fin du XIXe siècle à cause de l’industrialisation du verre, puis remis au goût du jour en 1997 par Roland de Calonne, Président de la Maison de 1994 à 2003. C’est d’ailleurs au cours de cette période que Ruinart déploie, dans le continuum du style qui a fait sa légende, toute sa modernité, dont elle détenait déjà les attributs. Un nouvel élan marqué par l’adoption de

la bouteille transparente pour le Blanc de Blancs, la renaissance du Ruinart Rosé (une méthode d’élaboration commercialisée dès 1764) et la naissance de la cuvée R de Ruinart, son champagne d’assemblage. La séduction est en marche, le charme opère et, comptant notamment sur l’appui de LVMH, Ruinart débute l’irrésistible ascension qui atteint aujourd’hui son apogée.

La suprématie du chardonnay

« Cette signature basée sur le chardonnay et la réduction sur lies [ la mise à l’abri de l’oxygène] est aujourd’hui ce qui est le plus recherché », constate Alaric de Portal, Directeur de Ventealapropriete. « Ce procédé était totalement novateur dans le paysage champenois. Ruinart a fait le pari audacieux du chardonnay et c’est le cépage actuellement le plus demandé par les consommateurs. Les blancs de Bourgogne ne sont-ils pas considérés comme les plus grands vins blancs du monde et les Blancs de Blancs ne sontils pas les champagnes les plus recherchés ? Tous ces éléments participent à l’extraordinaire désirabilité de Ruinart. »

Ce profil fut adopté par la Maison bien avant les autres, à la fin des années 1940, alors que la guerre a réduit les stocks à presque rien. « Un vin élégant et agréable à boire à toute heure de la journée. » C’est ainsi que Bertrand Mure, dernier héritier de la famille, décrit le champagne qu’il souhaite alors élaborer. En choisissant de tout miser sur un cépage peu considéré, le chardonnay, il élabore son premier Blanc de Blancs en 1947. Ruinart trouve son style : une structure précise, une rondeur et une fraîcheur aromatique qui mettent en valeur ce cépage. La Maison ne dérogera plus à cette ligne. « Ce que nous recherchons, c’est l’expression

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Ci-dessus : portrait de Nicolas Ruinart ; Florence Boubée-Legrand, Œnologue de la Maison Ruinart.

Champagne Ruinart Blanc de Blancs. Tout en élégance, ce pur chardonnay déroule de fines notes de fruits blancs et d’agrumes avec une touche légèrement pâtissière. Un grand vin de Champagne, très pur, à la finale citronnée rafraîchissante.

En Champagne, la recherche est en marche

Dans le vignoble historique de Taissy, on observe en bordure des vignes de jeunes plants d’arbres, des abris pour les insectes, des nichoirs pour les oiseaux. Un monde visible et invisible grouille entre les pieds de chardonnay. Ici s’écrit le futur de Ruinart et plus largement, celui de la vigne en Champagne, avec un projet pilote lancé par la Maison en 2021. Une initiative qui s’ajoute à celles prises par de nombreux acteurs de la filière Champagne pour faire face aux enjeux du changement climatique.

Depuis 2003, la précocité des vendanges s’accélère, le cycle de la

vigne, qui était autrefois d’environ 100 jours, est aujourd’hui de 90. Le taux de sucre dans les raisins augmente. Victor Gandon, membre de l’équipe œnologique de Ruinart, veille sur les 40 hectares de Taissy, où la biodiversité s’épanouit, favorisée par la plantation de nombreux arbres et arbustes. Appliquant les principes de la vitiforesterie, Ruinart n’a pas hésité à sacrifier des rangs de vignes pour expérimenter ce modèle. Le retour de la faune et de la flore est spectaculaire : 160 espèces sont ici recensées, des auxiliaires aidant à lutter contre les prédateurs de la vigne et les maladies cryptogamiques (le mildiou, l’oïdium, la pourriture…).

À terme, le système racinaire des 22 000

arbres plantés décompactera le sol, contribuant à la chaîne de la dégradation de la matière organique qui apporte les éléments fondamentaux nécessaires à la vigne : azote, potassium, phosphore. On trouve même à Taissy, et c’est une rareté en Champagne, un espace non cultivé, une grande prairie volontairement laissée en l’état. Il n’y a pas qu’à Taissy que la recherche est en marche. En collaboration avec l’INRA, le Comité Champagne s’intéresse à la création de cépages plus résistants au changement climatique. Tous travaillent en bonne intelligence, mus par la même inquiétude quant à la sauvegarde de ce terroir exceptionnel et de ses savoir-faire.

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Ci-dessus : Habitats, une création de Nils Udo, dans le vignoble de Taissy, a pour but d’enrichir la biodiversité et d’abriter la faune locale. Photo : Mathieu Bonnevie

du fruit tel qu’il est à la vendange », explique Florence Boubée-Legrand, Œnologue de la Maison, qui fait partie de la petite équipe menée par le Chef de Caves, Frédéric Panaïotis. « Pour y parvenir, notre objectif est, à chaque étape, d’éviter au maximum le contact entre le vin et l’oxygène. Nous choisissons aussi de réaliser nos vinifications dans des cuves en inox, un matériau neutre d’un point de vue aromatique, avec un contrôle strict des températures de fermentation pour permettre l’expression des ces arômes frais et fruités. Quant au vieillissement, il est de 24 à 30 mois pour le Blanc de Blancs, de six à sept ans pour les cuvées millésimées, de neuf à dix ans sur lies pour les Dom Ruinart qui, désormais, vieillissent sous liège. »

« Simplexité » est le néologisme créé par Ruinart pour décrire l’équilibre à retrouver pour chacune des cuvées, entre une composition étudiée et la clarté du cépage. Ce champagne n’est peut-être pas celui des plus aventureux, mais sa régularité, la constance de son style séduisent les dégustateurs et les jurés des prix internationaux. En 2022, Dom Ruinart Blanc de Blancs 2010 a été élu Supreme World Champion par le Champagne & Sparkling Wine World Championships, et en 2021, Dom Ruinart Rosé 2004 recevait la même distinction.

Savoir-faire commercial et image moderne

Est-ce l’héritage inconscient laissé par l’avisé fondateur de Ruinart ? Il y a aussi, dans la Maison, un savoir-faire commercial qui la distingue de ses concurrents. « L’image de Ruinart s’est construite dans les années 1990, un peu en marge des couloirs de distribution habituels de LVMH, rappelle Alaric de Portal, avec plus de discrétion que pour les autres grandes marques du groupe. La commercialisation s’est alors axée

sur un circuit spécifique et prescripteur : celui des cadeaux d’affaire pour les cadres supérieurs et dirigeants d’entreprises. Un positionnement qui a fait fonctionner le bouche-à-oreille et a peu à peu installé la marque dans les cocktails de prestige et auprès des personnalités importantes. Ruinart devient alors un champagne recherché et de surcroît, grâce à son flacon et à son goût facilement identifiables, un choix rassurant et confortable pour quiconque se considère comme connaisseur. »

Cette connivence entre la marque et les clients est entretenue par une communication soutenue, au ton sobre et élégant. Art contemporain, design, gastronomie… La Maison s’exprime sur de nombreux terrains de la création, avec désormais, en toile de fond récurrente, son engagement environnemental. Chez Ruinart, toute action est teintée d’écoresponsabilité, avec pour preuve la plus éloquente pour le grand public, l’adoption, en 2020, de l’étui seconde peau, une enveloppe de fibres de cellulose épousant la forme des flacons qui remplace le traditionnel coffret unitaire.

Autre innovation : la construction, sur son site historique de Reims, du Pavillon Nicolas Ruinart, lieu d’accueil des visiteurs de la Maison, un projet de grande envergure dont la première phase sera ouverte au public en 2024. Une œuvre architecturale conçue en résonance avec l’image de Ruinart : transparence, écoresponsabilité, soutien à la création contemporaine. Cette offre promet de nombreuses expériences autour du champagne, un coup d’avance sur le terrain de l’œnotourisme, qui explose dans la région et pour lequel les infrastructures manquent. De quoi rendre encore plus attractive la marque… qui file vers ses 300 ans avec une insolente vigueur.

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Ci-dessus : l’équipe de Ventealapropriete avec Olivier Livoir, Responsable Hospitalité de Ruinart, le 18 avril dernier.

Anne-Sophie Pic UN VERRE AVEC…

Pourquoi avoir choisi un vin rouge ? Je précise : un vin rouge vinifié par une femme. Et un côte-rôtie merveilleusement ciselé. Je l’aime particulièrement parce que c’est une manière de tordre le cou à l’idée que l’on n’attend pas les femmes sur le vin rouge, comme en cuisine, où l’on n’attend pas les femmes sur la viande rouge. Comme si les hommes avaient préempté ce vin… Christine Vernay trouve d’ailleurs qu’il est plus facile de faire ses blancs que ses rouges. Je sais l’engagement que cela lui a demandé et le résultat est magnifique.

Quel lien entretenez-vous avec la syrah, le cépage roi du Rhône Nord ?

Qu’est ce qu’on boit aujourd’hui ? Le côte-rôtie 2011 du Domaine Vernay. J’aime beaucoup ce vin. Il est issu de la vallée du Rhône, mon lieu de naissance. Et il est produit par l’une de mes meilleures amies, Christine Vernay. Ce vin est émotionnellement important pour moi, pour plusieurs raisons : son territoire, la vigneronne qui le fait, mais aussi les accords qu’il permet avec ma cuisine. Le côte-rôtie, c’est la syrah, le cépage endémique de la vallée du Rhône. C’est l’une des plus belles expressions que ma région peut proposer. Christine [Vernay, ndlr ] parle de ce millésime 2011 en ces termes : « Je l’aime pour son raffinement. Il faut savoir l’écouter pour suivre sa musicalité, sa délicatesse et sa touche très poudrée. »

Je vais vous montrer quelque chose. C’est une lettre que mon arrière-grand-père écrit en 1914 à mon arrière-grand-mère Sophie. Il s’inquiète qu’elle n’ait plus d’argent. Il demande si son fils André – mon grand-père – a reçu le mandat qu’il a envoyé. Et la dernière question en postscriptum est : « As-tu toujours en cave du vin de Mauves ? ». C’est la guerre et mon arrière-grandpère parle de vin ! C’est dire l’importance du sujet dans ma famille.

Qu’est-ce que le vin de Mauves ? Cela fait simplement référence à la commune de Mauves [située sur la rive ardéchoise des bords du Rhône, à une quinzaine de kilomètres au nord de Valence]. On n’emploie plus cette expression. On utilise désormais les appellations : hermitage, saint-joseph…

Il s’agit donc d’un lien très intime et ancien. On pourrait même dire que la syrah coule dans vos veines ! C’est exactement ça. À l’origine, la famille Pic, ce sont des paysans. Ils deviennent restaurateurs avec le temps, mais le vin est au centre des discussions depuis toujours. Votre grand-père et votre père étaient de grands chefs, comme vous. Comment s’est fait votre apprentissage du vin ? Pas facile de démarrer avec la syrah…

C’est vrai. J’ai commencé avec un peu de rusticité, d’âpreté. Mon père adorait les cornas. Ce sont les premiers vins que j’ai goûtés. Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu une initiation au vin par mon père à proprement parler. Mais très jeune, j’ai goûté des choses extraordinaires. Je me rappelle un Pétrus pour lequel mon père m’avait mis une pression considérable en me disant : « Apprécie ! Apprécie ! ». Pas le meilleur moyen d’apprécier… [rires ]. Mon initiation s’est faite avec les vins rouges et les champagnes. Le vin blanc est arrivé plus tard. J’ai eu beaucoup d’appréhension à entrer dans l’univers du vin. En tant que femme, on se dit toujours qu’on n’a pas cette légitimité. Et aussi, je n’ai pas reçu une éducation comme je l’ai eue pour la cuisine et le goût par mon père. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais de fait, j’y suis rentrée par une porte dérobée, en autodidacte. Goûter, sentir, c’est le meilleur moyen au quotidien de s’exercer. Devenir une bonne

dégustatrice m’a permis d’entrer dans le vin.

À quel moment considérezvous être entrée pleinement dans le monde du vin ?

Il y a une quinzaine d’années, grâce à Christine Vernay. Et cela s’est renforcé avec l’arrivée de Paz Levinson [ chef sommelière du Groupe Pic]. Ces deux femmes me transmettent, sans jugement, ce qu’elles savent du vin. C’est grâce à elles que je m’y épanouis désormais.

Qu’est-ce que Paz Levinson vous a apporté ?

Une complicité, une ouverture d’esprit. Le monde liquide existait déjà dans mes restaurants, mais tout était très cloisonné. Les sommeliers décidaient des accords, mais sans s’intéresser au thé et au café, qui étaient déconsidérés, tout comme la mixologie. Paz a insufflé cette volonté – que j’avais – de décloisonnement. Aujourd’hui, tout le monde se parle. Et tout le monde est complémentaire. C’est une vision nouvelle et une rencontre majeure pour moi. On ne vit pas en vase clos. C’est la force de l’imprégnation, personne n’est mis de côté.

Comment approfondissezvous vos connaissances ?

Pendant le confinement, j’ai voulu apprendre et passer le WSET [ Wine & Spirit Education Trust, un organisme international qui délivre des formations et des examens dans le domaine des vins et spiritueux]. Je n’ai jamais eu le temps de passer l’examen, mais ça arrivera parce que j’ai ça en

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Tête-à-tête
La cheffe la plus étoilée du monde est une fille de la vallée du Rhône amoureuse de la syrah et des rouges de caractère. Elle partage avec nous une bouteille de son amie vigneronne Christine Vernay.
Photos Dorian Prost

tête. Tant que je ne l’aurai pas fait, ça va m’obséder [ rires] Pour moi, entrer dans l’univers du vin, c’est déjà reconnaître un cépage. Ensuite, il faut visiter les vignobles pour apprendre l’aspect technique. Il y a aussi des livres extraordinaires, dont celui de Pascaline Lepeltier [Mille vignes, publié fin 2022 ] qui est une bible.

Votre passage en Champagne a été déterminant pour la construction de votre identité culinaire. Étudiante, j’ai passé un an à Épernay, dans une grande maison de champagne. J’ai assisté à l’assemblage, comme une petite souris. Je fais aujourd’hui le lien avec l’importance de l’assemblage dans ma cuisine. Dans mon travail sur les sauces, je travaille de la même manière. Ce parallèle m’émeut.

Quelle amatrice de champagne êtes-vous ?

J’ai eu tellement d’émotions avec des maisons différentes.

J’ai été la marraine de la cuvée Elisabeth Salmon 2008 de Billecart-Salmon. C’était extraordinaire de prendre conscience de l’importance du temps long. Une autre révélation, c’est Krug, à l’occasion d’un voyage au Japon. L’univers de la Maison m’a transportée. J’ai toujours aimé faire des accords avec le champagne. Ça a commencé avec Perrier-Jouët. Je n’oublie pas les champagnes de vignerons, qui sont sublimes : Egly-Ouriet, Bérèche et Fils… Ce sont tous des amis.

Quelle importance revêt le vin dans votre cuisine ?

Les alcools occupent une place fascinante, selon moi. Tout au long de ma vie, j’ai goûté des plats contenant de l’alcool. Le « rouget, lie de vin » de mon père – que Gérard Chave adorait, du reste – est un bon exemple. Le vin a toujours été là, en continu, dans le travail culinaire de mon père. Puis dans celui de mes débuts. Qu’est-ce que j’aime capter dans le vin ? Ce n’est pas l’alcool qui m’intéresse, mais ce qui reste à la fin. Les déglaçages,

les sauces à base d’alcool : c’est un univers extrêmement large et variable. Souvenons-nous du beurre blanc, un pilier de la cuisine française. L’alcool est partout en cuisine et beaucoup dans les desserts.

Comment appréhendezvous les accords avec votre cuisine ? Longtemps, j’ai considéré que le plat devait vivre seul. Mais avec la découverte des accords, j’ai l’impression d’être Alice au pays des merveilles. Et ça dure depuis 15 ans. J’aurais aimé le découvrir plus jeune. Cela aurait encore plus porté mon travail. Ce souvenir en Champagne de l’assemblage entre chardonnay, pinot noir et pinot meunier résonne comme un premier choc émotionnel du goût.

Vous aimez aussi faire des pas de côté, avec des accords non alcoolisés. Comment la Valentinoise s’autoriset-elle à s’éloigner parfois du vin pour les imaginer ?

Comme tout m’intéresse, je n’exclus rien. C’est une question de complémentarité et de moments. Il m’arrive, lors d’un repas, de n’avoir envie que de vin. Mais sur un menu long, comme c’est aujourd’hui le cas dans les restaurants gastronomiques et qu’on nous propose un chemin avec plusieurs choses à goûter et des portions plus petites qu’avant, on a besoin d’avoir des coupures, des moments d’apaisement. Ces pauses mettent d’ailleurs en valeur le vin. On a tort de vouloir opposer les accords avec alcool et sans.

À quoi ressemble la cave personnelle d’Anne-Sophie Pic ?

Elle est à pleurer… [rires].

Cela fait trois ans qu’on se dit avec Paz [Levinson] qu’on doit se pencher sur le sujet. D’autant que j’ai chez moi une super cave qui n’attend que ça ! Je passe plus de temps dans la cave de mes restaurants que dans la mienne. Plus sérieusement, ma cave se remplit au gré de mes visites chez les vignerons.

J’ai un vrai coup de cœur pour l’Alsace, dont on n’entend pas assez parler. Les rieslings alsaciens sont dingues. Évidemment, il y a des vins de la vallée du Rhône. J’ai aussi quelques belles bouteilles, notamment de Bourgogne.

Comment s’équilibre la proportion entre blanc et rouge ? Il y a plus de rouge. Saint-joseph, hermitage, cornas… et beaucoup de vins corses aussi.

Lesquels ? Abbatucci, dont je suis fan. Clos Canarelli aussi, qui est magnifique.

Je me souviens très bien du jour où, à l’apéritif, en compagnie de la famille Chave et de mes parents, Bernard Cathelin a décidé de dessiner une étiquette pour la cuvée Hermitage de Chave. Ce sont vraiment les plus beaux millésimes qui sont ainsi célébrés. J’ai hésité à en ouvrir une bouteille aujourd’hui…

Vous êtes également associée à Michel Chapoutier pour faire votre propre vin.

Vous entretenez une relation amicale de longue date avec la famille Chave, géant de la vallée du Rhône… Jean-Louis Chave est un ami, oui. Son père Gérard était aussi un ami de mon père. J’ai un souvenir ému de la création de la cuvée Cathelin [née en 1990, elle tire son nom du peintre Bernard Cathelin, ami intime de la famille Chave, qui a dessiné l’étiquette du domaine. Élaborée uniquement dans les grands millésimes, sa production est restreinte à environ 2 000 bouteilles et en fait l’un des vins les plus prestigieux et les plus chers du monde]. J’étais là au moment où est née cette étiquette. Il se trouve que lorsque j’étais enfant, j’assistais tous les étés à la création des nouvelles toiles de Bernard Cathelin dans son atelier.

Avec David [Sinapian, le mari d’Anne-Sophie Pic, président du Groupe Pic], nous possédons L’Auberge du Pin, sur les hauteurs de Saint-Péray [en Ardèche], le lieu de naissance de l’histoire familiale Pic. Je ne me suis jamais résolue à la vendre, même si c’est en ruine. Nous avons souhaité remettre en route ce lieu grâce à la terre. Mon grand-père André faisait sa fameuse cuvée du patron chaque année. Il reste encore le pressoir, gage de cette histoire. Avec David, nous avons souhaité remettre en route le vignoble. C’était génial d’entamer en 2003 cette aventure avec Michel [Chapoutier] parce qu’il était extrêmement précurseur dans ses vignes, en étant en biodynamie avant tout le monde. Depuis trois ans, nous produisons également un saint-péray pétillant, toujours avec Michel Chapoutier. Même si nos droits de plantation grandissent, la vendange se fait très vite. Une heure suffit ! [ rires]. Il y a un hectare et demi. Cela reste confidentiel, c’est un vin de copains. BORIS CORIDIAN /

— La Maison Pic, c’est… Un hôtel 5* et un restaurant gastronomique Anne-Sophie Pic3*, à Valence ; Le Bistrot André, à Valence, qui propose régulièrement des dîners/rencontres avec des vignerons de la vallée du Rhône à l’occasion des « Rencontres épicuriennes » ; le restaurant La Dame de Pic * (20, rue du Louvre, 75001 Paris). Retrouvez les établissements de la Maison Pic sur anne-sophie-pic.com.

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Ci-contre : Anne-Sophie Pic déguste un côte-rotie 2011 du Domaine Vernay.
« J’ai un souvenir ému de la création de la cuvée Cathelin.
J’étais là au moment où est née cette étiquette. »

Le premier verre du reste de leur vie

je me voue à le faire connaître, à travers un concours que j’ai créé [Kura Master, ndlr], des voyages, des conférences. J’ai aussi aidé Pascaline Lepeltier dans sa préparation du concours de Meilleur Sommelier du Monde. Et l’empereur du Japon m’a honoré du titre de Saké Samouraï. »

Xavier Thuizat

Chef Sommelier du Crillon, MOF Sommellerie et Meilleur Sommelier de France

« C’est la ville de mon enfance, Beaune, qui m’a mené au vin. Je suis d’ailleurs né aux Hospices ! Tous mes copains de classe étaient fils de vigneron et je me rappelle avoir pris conscience, vers 12-13 ans, de cette alchimie du raisin qui se transforme en vin, au moment des vendanges, lorsque les rues des villages sont traversées de ces parfums enivrants. Cela m’avait fasciné. Le premier qui m’a pris sous son aile fut Vincent Girardin, à Meursault ; il m’a beaucoup appris et guidé et c’est chez lui que j’ai goûté mes premiers vins étrangers. Je me souviens d’un Langhe Darmagi 1998 du célèbre Angelo Gaja : ses arômes fous de réglisse m’avaient impressionné ! Bien sûr, il y avait eu les tout premiers pas avec mon père qui, même s’il n’était pas un vrai connaisseur, m’avait réservé un Pommard 1985, mon année de naissance, pour éprouver la garde d’un grand vin. Et c’était étonnant de voir ce qu’il donnait, plus de 10 ans après. Devenu sommelier, passé par Le Meurice, Pierre Gagnaire – le plus grand chef de tous les temps ! – et Le Peninsula, j’ai pu apprécier les alliances, la garde et cette notion de terroir, si fascinante ; c’est dans le saké qu’elle s’est le plus révélée pour moi. Le choc esthétique a eu lieu à Paris, avec le maître en la matière, Toshiro Kuroda1, qui m’a fait goûter un Daishichi Masakura. J’ai compris la délicatesse de ce breuvage, son extraordinaire pureté et sa faculté à exhausser les goûts. Le saké crée le lien là où le vin échoue, c’est un formidable pourvoyeur d’accords, avec l’œuf par exemple, les soupes, les légumes vinaigrés, l’amertume : tout ce qui est un enfer à accorder en sommellerie ! Depuis,

Anthea Martinenghi

Chargée de projets trade marketing chez Ventealapropriete

« Aussi étonnant que cela puisse paraître, je n’ai pas de culture familiale du vin, pourtant, le destin avait placé des indices sur ma route, puisque j’ai grandi rue des Vignes ! C’est une première rencontre avec un vigneron, au club d’œnologie de mon école de Toulouse, qui m’a mise sur la voie. Ce jour-là, j’ai vu son regard pétiller en évoquant son métier ; j’ai voulu en savoir davantage, plonger dans cet univers de passion et d’excellence, semblable au secteur aéronautique auquel je me destinais. J’ai ensuite eu la chance de me rendre à Gevrey-Chambertin, chez Sylvie Esmonin : les panneaux des villages renvoyaient aux appellations les plus mythiques, je descendais pour la première fois en cave, pour goûter les barriques. Je me sentais à la fois loin et pourtant si proche de cette femme qui m’intimidait et me fascinait. Nous avons bu ce jour-là un Clos Saint-Jacques 1er Cru 2010 [parcelle d’1,60 ha d’un seul tenant, ce clos de pinot noir est l’un des fleurons de Gevrey-Chambertin]. Jamais je n’avais goûté de vin si ancien et je fus surprise par la délicatesse de sa texture, son côté pétale de rose si délicat, ses épices douces ; je touchais du doigt la grande Bourgogne, c’était encore tellement frais ! Ma voie était trouvée, après La Revue du vin de France, j’ai saisi l’opportunité de rejoindre le groupe de passionnés de Ventealapropriete fin 2020.»

Julien Depollier

Membre VIP+ de Ventealapropriete, Directeur des partenariats stratégiques en biotechnologie

« J’ai été sensibilisé d’abord par le Rhône ; Vacqueyras, Gigondas, Vinsobres m’ont éveillé aux plaisirs du vin. Je me souviens des côtes-du-rhône Brézème que l’on buvait le dimanche en famille ; j’avais à peine 10 ans à l’époque, on le coupait avec de l’eau. C’étaient des appellations peu connues, abordables, que mon père et mon grand-père maternel affectionnaient ; pour les grandes occasions, ils nous réservaient un châteauneuf-du-pape ou un côte-rôtie. Je me souviens avec émotion du jour où mon grand-père ouvrit un mercurey de Faiveley La Framboisière : on avait tant apprécié son parfum ! Quelque temps après, vers 22 ans, j’ai eu la chance de goûter un richebourg de Méo-Camuzet de la fin des années 1980 ; la claque ! Jamais je n’avais ressenti autant de complexité dans un vin, cette ampleur dans la finesse et cette explosion de saveurs, c’était éblouissant. Lorsqu’on est jeune, on aime les vins fougueux ; moimême, je découvrais des vins opulents, ceux du Languedoc notamment, avec le Mas Jullien, Pierre Vaïsse ou le Mas de Daumas Gassac ; je me souviens d’un 1992 en rouge que l’on avait bu à la maison pour fêter la Coupe du monde 1998 ! Et puis on vieillit et les goûts gagnent en finesse. J’ai voyagé et élargi mes connaissances, découvrant le Bordelais, la Touraine, les blancs du Mâconnais. Je me suis aussi nourri des récits et des mythes, de celui du Château Rayas en particulier, où mon grand-père se rendait du temps de Jacques Reynaud2 ; mais je n’ai jamais eu la chance de goûter ces vins. »

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« Le saké crée le lien là où le vin échoue. Le Daishichi Masakura fut une révélation. »
« Un Clos Saint-Jacques
1er Cru 2010 de Sylvie Esmonin m’a appris le grand vin. »
« J’ai touché du doigt la complexité du pinot avec un richebourg de Méo-Camuzet. »
Deux professionnels et un amateur éclairé racontent cette expérience intime, esthétique et sensorielle qui a transformé leur rapport au monde.
Épiphanies 1. Issé, 12 rue Saint-Augustin, 75002 | 2.
L’oncle d’Emmanuel Reynaud, actuel propriétaire, qui géra Rayas et Fonsalette entre 1978 et 1997.
Illustration Federica Del Proposto

Italie, Espagne, Portugal, Grèce ou Maroc… Pour ensoleiller votre table, savourez notre sélection de vins du monde à travers cinq recettes emblématiques escortées du meilleur de la production locale.

accords majeurs et voyageurs

VITELLO TONNATO+ TIBALDI ROERO ARNEIS BRICCO DELLE PASSERE BLANC 2020

Pour 4 personnes – Prépa. / 10 min – Cuisson / 30 min

600 g de noix de veau, 1 bouquet garni, 5 clous de girofle, 20 cl de vin blanc sec, 1 carotte, 1/2 oignon, 1 branche de céleri, 2 c. à s. d’huile d’olive, gros sel. Pour la sauce : 1 jaune d’œuf, 1 c. à s. de moutarde, 2 c. à s. de câpres, 10 cl d’huile de tournesol, 4 anchois dessalés, persil, estragon, cerfeuil, 1 citron, 100 g de thon à l’huile d’olive (en conserve)

Dans un faitout, faites colorer le veau sur tous les côtés dans l’huile d’olive bien chaude. Déglacez au vin blanc, puis complétez avec les légumes épluchés et coupés en morceaux, les aromates et 1 l d’eau ↗ Salez au gros sel et portez à ébullition. Faites cuire 30 min à couvert dans le bouillon frémissant, puis débarrassez la viande hors de la casserole. Laissez refroidir ↗ Mélangez le jaune d’œuf et la moutarde, incorporez progressivement l’huile en fouettant. Récupérez l’huile de la boîte de thon et incorporez-la en procédant de la même façon ↗ Ajoutez le jus du citron, le thon émietté, les câpres, les anchois et les herbes hachées. Salez, poivrez ↗ Coupez la viande refroidie en tranches fines, parsemez de quelques gouttes d’huile d’olive, de câpres et d’herbes fraîches, puis servez avec la sauce. L’accord Une note de printemps tout en légèreté où la fraîcheur du vin, ses notes anisées, ses par-fums de fleurs et de fruits blancs épousent la chair tendre du veau et contrebalance judicieusement la sauce, plus puissante. Offrant beaucoup de finesse, ce blanc du Piémont, très désaltérant, viendra équilibrer la dimension légèrement saline du plat et répondre aux anchois et aux câpres.

Stylisme

Sévérine Augé Photos

Miskin

Caspar

PAËLLA DE FRUITS DE MER + GUÍMARO RIBEIRA SACRA

BLANC 2021

Pour 4 personnes – Prépa. / 10 min – Cuisson / 35 min

3 c. à s. d’huile d’olive, 1 oignon, 2 gousses d’ail, 3 tomates râpées, 1 c. à c. de pimenton, 1 poivron rouge, 1 poivron vert, 2 capsules de safran en poudre, 200 g de riz, 60 cl de fumet de poisson, 12 grosses crevettes crues décortiquées, 6 calamars nettoyés, 0,5 l de palourdes, 0,5 l de moules, 15 cl de vin blanc sec, 150 g de fèves, 1 citron

Colorez dans 1 c. à s. d’huile chaude les crevettes décortiquées et les calamars quadrillés et coupés en morceaux. Débarrassez après 2 min environ. ↗ Faites chauffer de nouveau 1 c. à s. d’huile, puis ajoutez les moules et les palourdes, mélangez et versez le vin blanc. Couvrez aussitôt pour ouvrir les coquillages. Débarrassez en filtrant pour récupérer le jus. ↗ Faites suer dans 1 c. à s. d’huile l’oignon, l’ail haché et les poivrons en brunoise. Après 3 min, ajoutez la tomate râpée, le pimenton, le safran et le riz. ↗ Couvrez de fumet de poisson et du jus de cuisson des coquillages. Faites cuire à feu vif 10 min environ, jusqu’à voir le riz apparaître. ↗ Baissez le feu pour poursuivre la cuisson sur feu moyen. Ajoutez les fèves, les crevettes et les calamars saisis au préalable. Poursuivez la cuisson 8 à 10 min sans plus toucher au riz. ↗ Placez les coquillages dans la poêle et poursuivez pendant 2 à 3 min pour faire caraméliser le riz sur les rebords de la poêle. Laissez reposer 5 min puis dégustez avec une tranche de citron. L’accord Cette recette appelle un vin frais qui détend le plat et lie ses saveurs. Ce pur jus de Galice, au fruité intense, offrira sa minéralité au gras du riz et assez de structure pour tenir tête aux gambas.

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CROQUETAS DE BACALAO + LUIS SEABRA VINHOS DOURO XISTO ILIMITADO BLANC 2020

Pour 20 croquetas env.

Prépa. / 10 min

Cuisson / 30 min

300 g de morue salée, 500 g de pommes de terre, 3 œufs, 1/2 bouquet de persil haché, 2 échalotes, 2 gousses d’ail, sel, poivre, huile de friture Mayonnaise arrangée : 1 jaune d’œuf, 1/2 citron, 15 cl d’huile de tournesol, 1/2 bouquet de ciboulette hachée, 1 c. à s. de Savora, 1 c. à c. de sauce Sriracha

Dessalez la morue 24-48 heures au préalable (changez l’eau de trempage régulièrement). Placez les pommes de terre épluchées et en morceaux dans une casserole d’eau froide salée. Portez à ébullition et faites cuire 20 min. Égouttez. ↗ Placez la morue dans une casserole, couvrez d’eau et portez à ébullition. Faites cuire 5 min puis égouttez et écrasez avec les pommes de terre. ↗ Incorporez les œufs, le persil, l’ail et les échalotes hachés dans la préparation. Assaisonnez de sel et poivre, réservez. ↗ Mélangez le jaune d’œuf et la Savora puis incorporez progressivement l’huile tout en fouettant. Ajoutez la ciboulette, le jus de citron, une pincée de sel, de poivre et la Sriracha. ↗ Formez des boulettes d’environ 30 g et faites frire 2-3 min dans une huile à 180 °C. Une fois les croquetas dorées, égouttez-les sur du papier absorbant, salez légèrement et servez avec la mayonnaise arrangée. L’accord Minéral, précis, floral, ce blanc portugais assure un accord ton sur ton avec la morue ; frite et croustillante, elle donne de l’accroche à ce vin sapide, campé sur un fruit mûr. La mayonnaise qui l’accompagne apporte du liant et trouve en écho un jus fin, tendu et profond, à la finale saline.

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SALADE DAKOS + DOMAINE KTIMA KISSA MIKROS DROMOS BLANC 2022

Pour 4 personnes – Préparation / 15 min

4 tranches de pain rustique (type seigle), 1 échalote, 8 tomates, 15 olives de Kalamata, 80 g de fromage mizithra (ou feta, à défaut),

1 c. à s. d’origan séché,

4 c. à s. d’huile d’olive de très bonne qualité, fleur de sel, poivre du moulin

Coupez 4 tomates en deux et râpez-les en commençant par la partie plane. Jetez la peau puis mettez la pulpe obtenue à égoutter dans une passoire fine pendant environ 10 min. ↗ Coupez le reste des tomates en quartiers, retirez les pépins et coupez la chair en petits dés. ↗ Mélangez les tomates en dés avec les olives en quartiers, l’échalote finement émincée, l’origan séché, la fleur de sel et le poivre. ↗ Trempez les tranches de pain dans l’eau des tomates, puis disposez sur les assiettes. Couvrez de pulpe de tomate assaisonnée, ajoutez le fromage émietté et terminez avec un filet d’huile d’olive. Astuce : traditionnellement, la salade dakos se réalise avec des biscottes à l’orge appelées paximadia, que vous pouvez trouver en épicerie fine. L’accord Toute la fraîcheur ilienne se retrouve ici sobrement proposée autour de la tomate, quelques olives et du fromage de brebis. Une composition minimaliste qui demande un blanc limpide et sans fard, à l’instar de ce blanc de Corinthe né à 750 mètres. Ses arômes floraux, sa touche crayeuse, sa trame très pure, fraîche et croquante trouvent ici une résonance parfaite : solaire et insulaire par excellence, avec une belle finale saline, il accompagne parfaitement les saveurs sudistes de cette tartine.

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COUSCOUS AGNEAU-MERGUEZ + DOMAINE DES OULED

THALEB ZENATA TANDEM ROUGE 2019

Pour 4 personnes – Prépa. / 15 min – Cuisson / 3 h

1 oignon, 2 gousses d’ail, 3 carottes, 2 courgettes, 2 navets, 3 branches de céleri, 1 poivron rouge, 200 g de butternut, 100 g de pois chiches, 2 c. à s. de ras el-hanout, 1 feuille de laurier, 800 g de collier d’agneau coupé en très gros morceaux, 6 merguez de qualité, 1,5 l d’eau pour le bouillon, sel, 200 g de couscous moyen, 3 c. à s. d’huile d’olive, 30 g de beurre

Hachez l’oignon et l’ail, épluchez et coupez les légumes en gros tronçons. Faites rissoler la viande dans 2 c. à s. d’huile chaude pour la colorer et réservez.↗ Sur un feu moins fort, colorez 5 min les carottes, navets et le céleri. Ajoutez les ingrédients hachés, mélangez, puis versez 1,5 l d’eau.↗ Ajoutez le laurier, le ras el-hanout, le sel et replacez la viande dans le bouillon. Couvrez et portez à ébullition puis faites mijoter 2h à couvert. Ajoutez les légumes restants et les pois chiches. Poursuivez 1h à couvert. ↗ Faites cuire les merguez à la poêle dans 1 c. à s. d’huile. Préparez et égrainez la semoule puis arrosez-la de 30 g de beurre fondu.↗ Répartissez-la dans le fond de votre plat et faites un creux au centre. Placez-y la viande, les légumes et les merguez autour. Arrosez de bouillon. Astuce : pour un couscous encore plus aromatique, mixez 6 brins de coriandre et 6 brins de persil avec 2 cm de gingembre, l’oignon et l’ail. Ajoutez cette pâte dans le couscous en même temps que l’oignon et l’ail. L’accord Agneau et merguez sont domptés par ce vin évoquant les syrahs du Rhône Nord, aux notes de fruits rouges et noirs, de fleurs séchées et d’épices, à la structure tannique souple et veloutée.

Racines 49

nos atouts cœur

La mission de nos acheteurs Thomas Blanquer, Maël Vincent

et Killian Sourice : débusquer sans relâche des trésors réservés à nos membres. Voici une sélection de leurs cuvées favorites.

Château des Jacques

Moulin-à-Vent, rouge, 2020 (16,90 €) 95/100

Propriété de la Maison

Louis Jadot, le Château des Jacques est incontestablement le plus bourguignon des domaines du Beaujolais. Dotés d’un élan et d’une classe inimitables, ces vins surclassent leurs pairs et égalent les plus beaux standards de Côte d’Or. En particulier sur Moulin-à-Vent, où les vins rivalisent de puissance et de finesse, offrant une capacité de garde merveilleuse. Vous serez forcément conquis par ce 2020, l’une des plus belles réussites de l’appellation. Bien proportionné autour d’un bloc de tension acidulée qui s’affranchit du caractère solaire de l’année, libérant un jus plein, élégant, toujours frais, ce grand vin détrônerait bien des bourgognes à l’aveugle. Une institution du Beaujolais à laisser tranquillement vieillir en cave.

Isle of Harris Gin (48 €)

Tout au nord de l’Écosse, dans l’archipel des Hébrides, l’île de Harris est une terre d’exil battue par les flots et les vents.

C’est sur ce bout du monde que se situe la distillerie éponyme, à la pointe de l’île, bordée par les Highlands, à l’est, et ouverte sur l’immensité de l’Atlantique, à l’ouest. Elle y produit un gin « pensé par ses habitants, façonné par les éléments », une traduction en essences florales de cette terre rude et maritime, où le soleil, le vent et l’eau se mêlent en toutes saisons. Séduits par cette association de force et de tempérance, conquis par ce

projet humain qui permet aux habitants de s’investir collectivement dans cette nouvelle production et de rester vivre sur leur île, nous avons craqué pour ce gin d’un genre nouveau, né en 2015. C’est une toute jeune marque que nous ne pouvions manquer, tant sa réussite est louable et prisée. Ce gin figure parmi nos best-sellers. Impressionnant de fraîcheur, de pureté et de complexité, il a pour particularité d’être marqué par le sugar kelp, une algue insulaire spécifique qui entre dans la composition de cette recette, aux côtés de huit autres botaniques. Un bijou des Hébrides qui a bien plus d’une histoire à raconter.

Domaine de la Côte de l’Ange

Châteauneuf-du-Pape, blanc, 2022 (24,99 €) 94/100

Historiquement liée à Châteauneuf-du-Pape, la famille Mestre a œuvré au rayonnement de l’appellation. Le lieu-dit Côte de l’Ange a ainsi donné son nom au domaine actuel et ce sont désormais les héritiers des fondateurs – Corinne Gasparri et son fils Jules – qui gèrent la dizaine d’hectares de vignes répartis entre calcaires, sables, argiles et substrats ferrugineux. Passé sous les radars, ce domaine intimiste mérite tous les éloges et une reconnaissance élargie pour ses vins parfaitement aboutis, judicieusement élevés en cuves béton et barriques, sans outrance. Ne manquez son blanc sous aucun prétexte, une pépite ultra-confidentielle produite à seulement 3 000 exemplaires. Un vin remarquable issu d’1,3 hectare de calcaires mêlés d’argiles, au grand caractère floral, immédiatement séduisant et de grande justesse, livrant un jus mûr sans artifice boisé. Une cuvée confidentielle de grande pureté, étirée par de fins amers minéraux, vouée à la table et à une très longue garde.

Weingut Schneider

Zweigelt Thermenregion, rouge, 2020 (7,99 €) 93/100

Fierté du vignoble autrichien, Weingut Schneider est un domaine particulièrement réputé pour ses rouges. Les cépages bourguignons liés aux variétés locales, le climat continental, les sols de graves et calcaires forment un substrat unique pour ces cuvées d’élite, appréciées dans le monde entier et primées par la critique. Cette cuvée à base de zweigelt, cépage noir le plus répandu d’Autriche issu d’un croisement entre le blaufränkisch et le saintlaurent, est une pépite insoupçonnée, une formidable expression du vignoble autrichien. Offrant un magnifique équilibre sur la cerise noire, ce vin sapide et digeste, juteux et frais, est une très belle entrée en matière pour découvrir toute la richesse du vignoble autrichien !

Château de Roquefort

Provence Gueule de Loup, rouge, 2021 (10,99 €) 93/100

Au pied du massif de la Sainte-Baume, le Château de Roquefort jouit d’un cadre enchanteur et préservé. Arrière-poste des ports de Marseille, tour princière puis évêché, la bâtisse riche d’histoire accueille aujourd’hui un domaine viticole de pointe porté par Raimond de Villeneuve, mené en culture biologique. Cette cuvée ultra-fraîche témoigne de la résonance des vignes d’altitude sur argilo-calcaires. C’est un vin simple et croquant, au fruit gourmand, parfait pour la saison estivale.

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Domaine Corinne et Jean-Pierre Grossot

Chablis 1er Cru Vaucoupin, blanc, 2020 (24,99 €) 93/100

Aussi discret qu’adulé par la critique, le Domaine Grossot brille par la qualité et la précision chirurgicale de ses chablis. Avec une régularité de métronome, en agriculture biologique, la famille Grossot œuvre inlassablement à la production de vins d’élite, de formidables coureurs de fond qui fendent les années avec panache. Chaque cuvée est un petit bijou formel, brillant de fraîcheur et de minéralité et ce 1er Cru Vaucoupin, taillé dans l’excellent millésime 2020, a plus que nul autre retenu notre attention, tout en salinité, en délicatesse et en vibration calcaire. D’autant qu’il demeure sans conteste l’un des meilleurs rapports prix-plaisir de Chablis à l’heure actuelle !

Domaine de la Fessardière

Muscadet Coup de Foudre, blanc, 2021 (11,90 €) 92/100

Adossé aux meilleurs terroirs de coteaux du Muscadet, servi par une agriculture biologique, le Domaine de la Fessardière conjugue tous les attributs du succès, talonnant aujourd’hui les plus hauts standards de l’appellation. Cette adresse menée avec rigueur et énergie depuis 10 ans par Jérôme et Émeline Dumanois est un modèle de réalisation. Sur 25 hectares, le couple d’agronomes formule des cuvées de grande rectitude, d’une gourmandise peu commune, avec très peu de soufre, des élevages mesurés en béton et foudres de

chêne. Ce 2020 retranscrit à merveille l’esprit du lieu et la dimension minérale de ces terroirs ; démontrant tout le caractère agile du Muscadet, sa capacité de garde et sa versatilité gastronomique. Une grande et belle bouteille qui n’a rien à envier aux plus beaux chablis par son caractère fin et iodé. Un jus pur, persistant et salin, parfaitement équilibré, qui nous a totalement séduits et que nous vous recommandons chaudement à l’apéritif, et aussi à table.

Château Léoville

Las Cases

Pauillac, rouge, 1996 (400 €)

Sommet de Saint-Julien, Léoville Las Cases cultive une grâce et une élégance hors du temps. Les amateurs le savent : ce 2e Grand Cru Classé possède un charme et un potentiel inégalés, habilement pérennisés par son propriétaire Jean-Hubert Delon, dont la famille veille sur le cru depuis la fin du XIXe siècle. Sa force réside indiscutablement dans son célèbre clos, bordant la Gironde, aux sols complexes de graves et aux parcelles complémentaires. Le grand vin est ainsi issu exclusivement de ce terroir précoce, proche de celui de Pauillac et de son célèbre voisin Château Latour. Une situation et une rigueur qui le placent définitivement à part dans la série des Grands Crus Classés du Médoc. Irrésistible de réussite, millésime après millésime, Las Cases œuvre pour la postérité, offrant après deux décennies les nuances aromatiques les plus fines du cabernet-sauvignon de ces grands terroirs de la rive gauche ; ce millésime 1996 l’illustre merveilleusement, d’une jeunesse toujours rayonnante et d’une profondeur magique. Si vous avez parmi vos proches des natifs du millésime, il est grand temps d’en faire provision : la célébration des prochains trentenaires n’en sera que plus mémorable.

Domaine Guy Bernard

Côte Rôtie Les Méandres, rouge, 2020 (36,90€) 94-95/100

Le Domaine Guy Bernard reste tapi en embuscade. Notre Comité ne s’y est pas trompé qui l’a, avant que la critique ne s’en empare, extrait de l’anonymat pour vous le présenter ! Établie sur les beaux coteaux de Côte Rôtie et Condrieu, sur seulement 6 hectares, cette adresse confidentielle s’affranchit en effet de toute recherche d’ostentation au profit de la pureté, du fruit et de l’équilibre. Habilement vinifiés, sublimés par un élevage sous bois parfaitement dosé et surtout issus des sols les plus finement granitiques du secteur, les vins livrent une matière éclatante où l’élégance l’emporte toujours sur la puissance. Cette cuvée proposée à prix sage couronne une montée en puissance irrésistible. Une adresse discrète à découvrir absolument.

Château Villars

Fronsac, rouge, 2016 (14,99 €) 93/100

Campé sur de belles notes de graphite et de fruits noirs, racé et précis, ce cru est une synthèse idéale du grand vin de Bordeaux. Porté par les calcaires du Fronsadais et toute l’énergie de la famille Gaudrie, qui le couve depuis plus d’un siècle, Château Villars fait partie de nos étiquettes favorites, prisées pour leur rapport qualité-prix. Soigné comme un grand cru, récolté à la main et élevé en barriques (avec un tiers de fûts neufs), ce 2016 à dominante de merlot régale d’un profil mûr, frais et délié. Splendide.

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La Toscane, berceau du Chianti et du bien-vivre

À SON ÉVOCATION, la Toscane renvoie immédiatement l’imaginaire à des paysages de collines parsemées de cyprès et d’oliviers, à des villas patriciennes à l’architecture exemplaire, à des bourgs historiques, à une gastronomie riche et terrienne et bien sûr, aux vignes qui y poussent depuis au moins la période étrusque. Aujourd’hui, on y accourt du monde entier mais déjà, dès le XVIIIe siècle, les Européens du Nord en avaient fait une étape incontournable du fameux « Grand tour » éducatif. Le Grand Duc de Toscane Cosima III délimitait, dès 1716, le meilleur terroir où pousse le sangiovese, le cépage du Chianti. Il posait ainsi les bases du Chianti Classico, appellation finalement adoptée en 1932 pour distinguer les vins produits sur ce territoire de 70 000 ha, des autres Chianti plus… « banals ». Et si Florence et Sienne bordent au nord et au sud ce territoire, elles n’en font pas partie, laissant un peu malgré elles la gloire à des bourgades du nom de Radda, Gaiole, Panzano, Greve… Pour partir à la découverte du Chianti,

c’est pourtant de Florence que le voyage va démarrer. On laissera à chacun le temps qu’il faut pour prendre la mesure de cette cité historique tant le nombre de chefs-d’œuvre artistiques et architecturaux de la Renaissance est impressionnant. À ceux qui voudraient s’immerger immédiatement dans l’univers du vin, il ne serait que trop conseillé de passer à l’Enoteca Pontevecchio 1 . Depuis une quinzaine d’années, ce repaire s’affiche comme un salon où l’on vient déguster des vins au son de vinyles tirés d’une impressionnante collection. « Il ne s’agit pas d’une boutique où l’on entre rapidement pour acheter une bouteille, ici, on prend le temps de goûter, d’échanger, de comprendre les vins », souligne le maître des lieux, Tony Sasa. Quand il n’est pas à s’affairer ici, sur le corso dei Tintori, en train de concocter des micro-cuvées tirées des meilleurs vignobles italiens, ou de voyager à travers le monde, l’expert enthousiaste se trouvera vraisemblablement à la Tenuta Il Palagio 2 , plus connue pour être le domaine viticole de Sting, et dont il assure le développement commercial (sa rencontre a valu association et de cette heureuse connivence est née Shape of my Heart, une cuvée 100 % Ventealapropriete).

C’est à moins d’une demi-heure de voiture en remontant le val d’Arno, dans l’ouest de l’appellation, que se trouve la propriété où l’ex-chanteur de The Police et sa femme Trudie Styler ont élu domicile, il y a plus de 20 ans. La somptueuse demeure déploie une importante activité viticole et agricole à part entière dont on perçoit l’ampleur au Farm Shop du domaine. Durant tout l’été, la boutique de vins et produits de la ferme se transforme également en pizzeria, à grand renfort de tables dressées dans le jardin.

Il faudra forcément revenir, car c’est à Panzano que la halte déjeunatoire est prévue. C’est toute une célébration de la viande par le boucher Dario Cecchini 3 qui nous attend. Largement rendu illustre par sa joie de vivre communicative et la série Chef’s

Table de Netflix, Dario gère désormais deux boutiques, trois restaurants, un food truck… Un repas à Solociccia, Officina della bistecca ou Panzanese propose un formidable tour des saveurs les plus terriennes de la Toscane à grand renfort de crostini, tartares, carpaccios, viandes en sauce ou au four, grillades… La route sillonne à travers les collines du Chianti. Les paysages sont parfois plus rudes, les parcelles de vigne sont souvent rythmées par une nature très sauvage composée de bois épais et de vallées aux pentes abruptes. À Badia a Passignano 4 , il faut découvrir l’Abbazia di San Michele Arcangelo a Passignano, où vécut à partir du Xe siècle l’une des plus importantes communautés monastiques de Toscane qui, évidemment, produisait du vin. « En 1987, la famille Antinori a racheté les terres comprenant une soixantaine d’hectares de vignes tout en passant un accord avec la petite congrégation de moines vivant encore dans les lieux pour pouvoir élever, dans les caves de l’édifice, un vin assez unique composé à 100 % de sangiovese », explique le responsable du domaine, Stefano Carpaneto. Fermé au public, l’endroit peut néanmoins se visiter dès lors que l’on déjeune à l’Osteria di Passignano, table étoilée détenue par la famille Antinori. Une belle occasion pour savourer ce Chianti Classico qui réclame des viandes juteuses pour accompagner sa puissance.

À une dizaine de minutes, dans la commune de Barberino Tavarnelle, le groupe hôtelier COMO a installé l’un de ses établissements, le Castello del Nero 5 . Si la silhouette du château est restée fidèle à sa facture originelle, tous les aménagements intérieurs ont été revisités par l’œil expert de la designer italienne Paola Navone. Le jeu des déclinaisons de gris fait subtilement basculer l’endroit dans une modernité que cultive aussi la table étoilée emmenée par le chef Giovanni Luca Di Pirro. Il y propose notamment un menu végétarien, l’occasion – après un déjeuner très carné chez Dario Cecchini – d’appréhender encore mieux les

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Cette célèbre zone viticole du centre-ouest de l’Italie est un passage obligé pour les amateurs du beau et du bon. Encore faut-il disposer des bonnes adresses pour profiter pleinement des trésors qu’elle recèle.
Dégustation Escapade
Ci-dessus : plat à base d’agneau, à la carte du Borgo San Felice. Ci-contre : le Castello di Ama vu du ciel. Photos : Alessandro Moggi ; DR

Des vins culte nommés « super toscans »

Au tournant des années 1970, une poignée de producteurs décident de s’affranchir des appellations toscanes pour produire des vins rouges de meilleure qualité, plus structurés, sur le modèle des grands bordeaux. Sassicaia, un pur cabernet-sauvignon produit par Mario della Rocchetta, grand admirateur de Lafite Rothschild, fut la cuvée pionnière, en 1968.

D’autres vignerons suivirent, assemblant des cépages non autorisés comme le cabernet-sauvignon et le cabernet franc ou en n’utilisant que le sangiovese au détriment des cépages blancs (trebbiano et malvasia). Ainsi naquirent les cuvées Ornellaia à Bolgheri, Tignanello* et Solaia dans le Chianti, ou encore Masseto (pur merlot), des vins qui devinrent rapidement ultraprisés ; la dénomination « super toscan », quant à elle, serait née d’une réflexion d’experts américains, enchantés par ces vins totalement inédits, structurés et intenses.

* En 1971, ce domaine ouvrit la voie de la commercialisation à grande échelle de ces vins d’un nouveau genre, émancipés des codes de l’appellation, affirmant ainsi leur suprématie.

subtilités nourricières de la saison, tandis que la sommelière Annarubina Cateni, l’une des plus jeunes d’Italie, n’est pas en manque d’accords parmi les 700 références majoritairement toscanes de la cave.

Le cœur du Chianti accueille le plus haut village de l’appellation, Volpaia 6 , pour y admirer un point de vue magnifique. Et si une petite faim pointe déjà, une part de pizza ou de focaccia à dévorer à la terrasse du Forno, accompagnée d’un Negroni ou d’un Spritz, est tout à fait recommandée. Et ce n’est qu’un aperçu de l’offre d’hospitalité mise en place dans le village par la famille Santi : une osteria, une dizaine de chambres et appartements, des cours de cuisine… en plus du domaine viticole.

En poursuivant sa route, le nombre de panneaux traduits en anglais indique que les projets œnotouristiques sont ici pléthoriques. Certains, avec une offre très singulière, méritent toutefois plus d’attention. Le Castello di Ama 7 en est un parfait exemple avec, là encore, un dispositif hospitalier de haut vol : cinq suites et un restaurant occupent les plus belles demeures du petit bourg de Ama. Mais plus encore, la collection d’œuvres d’art contemporain (Anish Kapoor, Hiroshi Sugimoto, Louise Bourgeois, Daniel Buren…) accrochée à différents endroits clés fait toute la particularité de ce projet unique qui célèbre la relation du vin à l’art.

Un peu plus au sud, à Borgo San Felice 8 , la notion d’accueil a été là aussi poussée

à son paroxysme. Cette propriété Relais & Châteaux occupe l’intégralité d’un village et chaque maison et édifice a conservé ses caractéristiques historiques. À ne surtout pas manquer, la table du Poggio Rosso, animée par le chef Juan Camilo Quintero (sous la houlette du chef Enrico Bartolini, au restaurant triplement étoilé) est une parfaite démonstration que la cuisine toscane sait se réinventer, en convoquant saveurs et textures audacieuses : asperge, pistache, carotte et zestes d’orange ; veau, escargot, chimichurri et shiitake ou encore gnocchi de maïs, huître et sauce colombienne titotè. Il y a quelques années, le cuisinier colombien avait été distingué meilleur jeune chef d’Italie !

Le parcours va ensuite nous faire sortir des délimitations du Chianti Classico pour rejoindre les terres d’une petite appellation, de taille plus modeste, mais parmi les plus en vue de la viticulture italienne : Montalcino. Sur la route, non loin de Sienne, un arrêt au domaine Fèlsina 9 permet de bien comprendre ces nuances de territoires, si importantes en viticulture. Ici, alors que l’on vient d’apercevoir sur le bord de la route une sculpture d’un coq noir, le fameux Gallo Nero symbole du Chianti Classico, les terres se partagent avec les Crete Senesi, où la culture des céréales a toujours été majoritaire. Si le domaine produit une dizaine de vins parmi lesquels quatre effervescents qui démontrent le formidable potentiel organoleptique du sangiovese, la polyculture est toujours de mise. Ainsi, Fèlsina s’illustre aussi à travers une production d’huile d’olive dont le domaine souhaite distinguer les différentes variétés à travers quatre cuvées : de la plus douce (Leccino), riche de notes d’amandes fraîches, à la plus intense (Correggiolo), caractérisée par des saveurs de roquette et d’artichaut… On cherche déjà

54 — Racines Dégustation Escapade
Carte : James Eric Jones ; Photos : DR

les accords qui pourraient venir sublimer ces tonalités.

Entre Sienne et Montalcino, la vigne a quasiment disparu, au profit d’une agriculture plus diversifiée. Ce n’est qu’en arrivant à proximité de la fameuse cité que la viticulture refait son apparition. « Si on fait du vin ici depuis toujours, l’appellation DOCG est assez récente, remontant à 1966. Mais grâce à la magie du désormais célèbre Brunello di Montalcino (100 % sangiovese), elle est parvenue à devenir l’un des symboles de l’excellence viticole dans la péninsule, au même titre qu’un Barolo ou un Amarone », souligne Alessandro Bindocci du domaine Il Poggione 10 , dont les vignes se déploient sur les pentes de la localité Sant’Angelo in Colle. Les paysages sont assez différents de ceux du Chianti, beaucoup plus ouverts, plus doux aussi, dignes d’un tableau du Quattrocento. Du chai, on aperçoit parfaitement le mont Amiata dont la stature, haute de 1 733 mètres, abrite la zone des vents. Aujourd’hui, petite entorse aux pratiques de dégustation habituelles, Alessandro propose d’emporter deux cuvées différentes à la trattoria du village pour

les déguster autour d’une bistecca fiorentina (côte de bœuf). Le vieillissement d’au minimum cinq ans a parfaitement assoupli la puissance des tanins du sangiovese. Le jus obtenu, concentré et délicat, qui révèle de légères notes épicées, s’avère un partenaire de choix pour une belle viande rouge.

La poussée vers le sud touche à son terme. Il est temps de regagner la cité florentine, non sans une escale à San Gimignano 11 ne serait-ce que pour admirer l’urbanisme si caractéristique de cette ville fortifiée, de faire éventuellement un tour à la Galleria Continua, qui est pour beaucoup dans la présence de l’art contemporain dans la région. À seulement quelques kilomètres de Florence, le long de la voie express, Antinori 12 , figure incontournable de la viticulture mondiale, vient comme clore le parcours en suggérant une ultime visite dans le dernier-né de ses chais. Ayant fait le choix d’une architecture hyper-contemporaine pour ce chai majestueux, l’illustre famille toscane a fait de ce vaisseau amiral l’incarnation d’un empire colossal qui n’a pas d’équivalent.

SÉJOURNER, SE RESTAURER

COMO Castello del Nero

Strada Spicciano, 7, Barberino

Tavarnelle ; +39 055 806 4701, comohotels.com ; chambres à partir de 800 € ; La Torre : menus à 130, 150 et 160 € ; Pavilion : 45-60 € (carte)

Borgo San Felice

Loc. San Felice, Castelnuovo Berardenga +39 0577 3964 ; chambres à partir de 590 € ; Il Poggio Rosso : menus à 175, 195 et 235 € ; Osteria del Grigio : 50-70 € (carte)

Castello di Ama

Loc. Ama in Chianti, Gaiole in Chianti +39 0577 746069, castellodiama.com ; suites à partir de 490 € ; visite et menu dégustation : 190 €

Tenuta Il Pallagio Farm Shop

Via Sant'Andrea, 11, Figline e Incisa Valdarno ; +39 055 950 2652, palagioproducts.com ; antipasti : 7-15 €, pizza : 10-13 €

Dario Cecchini

Via XX Luglio, 11, Panzano in Chianti +39 055 852020, dariocecchini.com ; plat du jour : 15 € ; menus : 30, 40 et 50 €, panini au food truck : 6-8 €

Osteria di Passignano

Via Passignano, 33, Badia A Passignano +39 055 807 1278, osteriadipassignano. com ; menu dégustation : 125 €, carte : 85-100 €

Volpaia

Loc. Volpaia, Radda in Chianti +39 366 635 1622, volpaia.com. Forno : 10 €, osteria : 35 € (carte) et 60 € (menu) ; chambres à partir de 150 €

Trattoria Il Pozzo

Piazza Castello, Sant'Angelo in Colle +39 0577 844015, trattoriailpozzo.com ; carte : 30-40 €, bistecca fiorentina : 50 €/kg

LES À-CÔTÉS

Enoteca Pontevecchio

Pousser la porte de l’antre de Tony Sasa pour une dégustation inédite. Corso dei Tintori, 21 ; +39 349 630 7869 enotecapontevecchio1.com

Racines 55
OLIVIER RENEAU
Page de gauche, en haut : une des chambres du COMO Castello del
; en
:
Florence
/
Nero
bas
Giovanni Poggiali, du Domaine Fèlsina.
Sienne Montalcino
San Gimignano
Figline Valdano
A1 SR2 SS715 SP73b SS223 SS439 Sant’Angelo SS68 2 1 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 10 10 km VERS MONTALCINO VERS BOLOGNE VERS BOLGHERI
Casole d’Elsa
Castel orentino Sant'Angelo in Colle

Le melon sans prétention

Pour escorter un melon-Jambon de Parme C’est un classique de l’été : une fine tranche d’un jambon cru affiné de qualité, pas trop salé, pour jouer le contrepoint de la sucrosité du fruit. Celui de Parme, protégé par une appellation, est séché naturellement, au sel marin uniquement, sans additif, et déploie ses arômes selon sa durée d’affinage (de 12 à 36 mois). Pour jouer le contraste total, on choisira un blanc sec et parfumé, épuré et digeste, qui cassera le gras et apportera un surcroît de fraîcheur ; un blanc argentin du nord de Mendoza, issu du cépage torrontés aux accents de muscat. Ou un rolle de Provence, aux notes d’agrumes et de fleurs blanches.

Essayer Miraval, Côtes de Provence Blanc 2021 Ce vin racé, sec, à la fois charnu et minéral, marqué par les fruits blancs et l’amande, ira de pair avec l’onctuosité du jambon cru et la douceur du melon.

Avec un gaspacho de melon, émie é de feta-basilic Préparé en soupe froide avec un trait d’huile d’olive, agrémenté de feta et de basilic, le melon s’entiche de saveurs méditerranéennes qui appellent un blanc à l’équilibre vif, subtilement aromatique, tout en offrant une trame désaltérante qui va dans le sens juteux du fruit. Choisissez donc un cépage parfumé, à la fois affirmé et tendu, comme un muscat d’Alsace aux notes de raisin frais, qui répondra aux tonalités ensoleillées de la recette et offrira à la fois puissance, finesse et parfums. Plus original, un blanc de Dalmatie exprimant la résonance saline de ces sols calcaires et porteur d’un regain de fraîcheur. Essayer Stina Vino, Vugava, Brač Blanc 2019. Un blanc sec, élégant, puissant et aromatique de Croatie côtière, qui fera le lien avec le fromage et le basilic et apportera une fraîcheur naturelle à la recette.

Sur une tarte au melon, framboise et menthe

Minimaliste, ce dessert joue la carte du croquant et de la fraîcheur. Une fine pâte sablée croustillante sert de support aux fruits, posés sur une fine couche de crème d’amande parfumée à la menthe. Un vin doux et fruité viendra faire écho au melon et trancher avec l’acidité naturelle de la framboise. Un double accord pour révéler le contraste des goûts, des textures et même des couleurs. Une première possibilité : se tourner vers Porto, en choisissant un Dry White, aux fins accents de marmelade d’agrumes. Seconde possibilité, un muscat corse, avec la sensation merveilleuse de croquer dans du raisin frais !

Essayer Clos Canarelli, Vin de France, Muscat Petits Grains (MPG) Blanc Doux 2013. Un muscat ultra-frais dans ses arômes et d’une délicatesse suprême, idéal avec la touche mentholée du dessert.

56 — Racines Dégustation Accords
Ce fruit défie les lois de la sommellerie, qui doit éviter l’écueil du vin de dessert lusitanien. Voici trois pistes d’accords imparables.
Photo Pierre Lucet-Penato

Boire bon, manger bien

Paris, Île-de-France—

Auberge Nicolas Flamel

Le choix d’Alaric de Portal. Fraîchement distinguée par le Michelin, la plus ancienne auberge de Paris revendique un esprit minimaliste mâtiné de fraîcheur. Grégory Garimbay (ci-contre) y dresse une cuisine empreinte de réminiscences familiales et de savoir-faire de grandes maisons (Jean-François Piège, le Plaza Athénée). Ses recettes pointues parent le produit – homard de Bretagne, poularde « culoiselle » –d’atours discrets pour accompagner des saveurs teintées de végétal, de minéral et d’iode. Dans le verre, les plus grands sont réquisitionnés, rythmant des associations d’élite.

Essayer Saint-Romain blanc d’Alain Gras 2019, 95 € ; Monthélie Blanc 2016 de Berthelemot, 65 € ; Marsannay 2018 de Jean-Louis Trapet, 100 €. Infos pratiques 51, rue de Montmorency, 75003 Paris (auberge.nicolas-flamel.fr).

Menus de 128 € à 178 € ; déjeuner : 64€.

Paris, Île-de-France

Sagan

Cotignac, Var—

Lou Calen, Jardin Secret

Le choix de Christian Martray. Au milieu des vignes et des oliviers, ce havre de paix trousse une jolie cuisine régionale mitonnée par Benoît Witz. Produits locaux et de saison servent des recettes provençales sincères – légumes en cocotte, volaille fermière truffée, encornets sauce tartare –escortées de bons crus : palette de Château Simone, crozes-hermitage d’Alain Graillot, cahors de Cosse Maisonneuve, sancerre de Lucien Crochet, châteauneuf-du-pape blanc du Château Nalys… Des flacons fair-play jouant la carte du Sud, proposés à prix doux. Essayer Bandol Domaine de Terrebrune Blanc 2020, 68 € ; Cahors Domaine CosseMaisonneuve La Fage Rouge 2014, 45 € ; Pomerol Château Feytit-Clinet 2006, 105 € ; Cornas Domaine du Tunnel Rouge 2020, 140 €. Vins au verre, 8 €. Infos pratiques 1, cours Gambetta, 83570 Cotignac ( loucalen.com). Menu en trois plats : 53 €.

Le choix d’Olivier Poussier. Bistrot japonais dans l’esprit d’un izakaya chic, bordant l’Odéon, cette adresse qui tient dans un mouchoir de poche (15 couverts) déborde de produits bien troussés, cuisinés à l’épure, et de crus d’excellence pour les accompagner. Lafon, Coche-Dury, Roulot, Rousseau, Fourrier, Tollot-Beaut, toutes les stars sont ici convoquées pour s’unir aux tataki de bœuf, sashimi, sômen, ceviche de bar, karaage (beignet de poulet frit) ou gambas. Le chef Katsutoshi Kondo fait virevolter les saveurs en petites portions, et en bon amateur, sait les accorder aux plus belles cuvées. Un repaire d’élus pour amoureux de vins et de culture nippone. Essayer Tous les meilleurs crus de Bourgogne, en compagnie de cadors comme Paul Jaboulet Aîné ou Guigal et une sélection de sakés et de whiskys japonais. Vins au verre, 9–14 €. Infos pratiques 8 rue Casimir-Delavigne, 75006 Paris. À la carte, env. 40-60 € ; assiettes de 6 à 16 €.

Racines 57
Le comité de sélection de Ventealapropriete choisit d’abord ses tables préférées à travers leur carte des vins. Ce trio a tout bon.
DR
Photos :

Le statut du commandeur

CERTAINS choisissent un restaurant pour sa cuisine, d’autres pour sa carte des vins. En principe, si les élixirs annoncés sont à son goût, l’assiette ne devrait pas détonner. Question de cohérence. Jusque-là, tout va bien. Les ennuis commencent une fois attablé, à l’heure de piocher la référence idoine dans une liste qui va de la simple feuille de papier recyclé constellée de taches de vin (on l’espère) à l’incunable lourd comme un foudre alsacien, en passant par le fichier PDF que l’on tente de déchiffrer en zoomant sur l’écran de son smartphone après avoir flashé un QR code. Selon les cas, on restera frustré face à une pauvre petite dizaine de domaines inconnus, ou embarrassés par le choix cornélien entre ses vins préférés et des pépites dont on a entendu parler sans jamais avoir pu les dénicher. Encore faut-il garder la main sur la décision, chaque commensal ayant son mot à dire. Les goûts et les couleurs, l’humeur, les circonstances voire l’inflation, difficile d’échapper aux sempiternels « le blanc, ça me donne la migraine » ; « un rouge léger, ce sera parfait » ; « juste un verre, je conduis » ou « quoi, pas une seule bouteille à moins de 60 euros ! ». On n’en est même pas à l’addition que l’on frôle déjà la crise de nerfs…

Mais ce n’est rien à côté de la bataille qui s’annonce avec un ennemi potentiellement redoutable : le sommelier vintage. Vous sa-

vez, cette personne qui vous met ostensiblement sous le nez sa feuille de vigne, épinglée à la boutonnière comme une légion d’honneur. Celui qui vous parle un sabir sur le ton obséquieux d’un tragédien sur le retour. Le même qui vous noie sous les informations inutiles, détecte des notes de fleurs blanches ou de cuir là où vous êtes persuadé, en amateur de la cuvée en question, que l’on y décèle surtout des touches de fruits noirs et de camphre. Le genre qui ne tend surtout pas le livre de cave aux femmes. Il ne leur propose pas davantage de jauger le breuvage sélectionné, il ne manquerait plus que mesdames aient un palais en plus d’avoir un avis. « Calme-toi, chérie, oui, je sais, le patriarcat… Oui, bien sûr, tu sais goûter un vin. »

Repérer coquilles et « escroqueries »

Pour rabattre leur caquet aux pinardiers arrogants, on s’amusera à repérer les coquilles sur la carte, il y en a toujours : Château Margot ou Laurent Lafitte Rothschild, entre autres bévues orthographiques. On notera, ingénu, qu’il y a tout de même une grande différence de prix entre ce Bourgogne 2020 à 70 euros et ce Grand Cru Corton-Charlemagne 1996 à 3 500 euros du même domaine. À une ligne près sur la liste, on n’a pas intérêt à se tromper. Si l’on est encore plus malicieux – et bien informé – on n’hésitera pas à pointer

une erreur grossière à la limite de l’escroquerie. « Dites, ce Clos Saint-Denis millésime 1961 de Laurent Ponsot, là, vous ne l’auriez pas acheté à Rudy Kurniawan 1, par hasard ? ». On ne se privera pas non plus de reprendre un échanson distrait par le brouhaha ambiant. « On avait demandé le cornas 2001, ça, c’est un 2020. »

La minute embarrassante

On a un peu forcé le trait, la commande du vin étant la plupart du temps un moment d’excitation, en présence d’un professionnel très rigoureux, pédagogue et à l’écoute. Reste tout de même cette séquence gênante : l’échantillon est au fond du verre, on le porte au nez, jusqu’à ses lèvres et là… goût de bouchon. On insiste, on a peur de se tromper. On ne veut pas croiser le regard de celui qui attend le verdict et est censé avoir vérifié l’intégrité du nectar. Dans ces cas-là, se fier à sa première impression. On ne va tout de même pas se gâter le palais par timidité, le client est roi. Après tout, gardons à l’esprit que le participe présent de « commander », c’est « commandant ». STÉPHANE MÉJANÈS /

1. Cet expert en œnologie a escroqué des amateurs fortunés en leur vendant de faux vins ; il a été démasqué lorsqu’il a proposé à la vente un lot de Clos Saint-Denis de millésimes allant de 1945 à 1971 alors que cette cuvée n’a été créée qu’en… 1982.

58 — Racines Illustration Federica Del Proposto Dégustation Dernière gorgée
Sueurs froides et jeu de rôles au moment d’élire son nectar.
Racines 59
Section Rubrique Teaser Teaser

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