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Dépôt légal : septembre 2006 ©Les Refusés 2006 ISSN : 1777-8832
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Sommaire
Numéro 4
SOLLICITUDE POÉTIQUE • • • • • • • • • • • p.9 Tanguy WUILLEME
LA GARE DE BUENOS AIRES • • • • • • • • p.13 THEO
LA NUIT ME BRÛLE • • • • • • • • • • • • • • p.17 THEO
sommaire du dossier JE DOIS TOUT À TCHERNOBYL • • p.39
LES TRIBULATIONS D’UN SANS-LOGIS • • • p.19
Yves FREMION
MONSIEUR GAÉTAN • • • • • • • • • • • • •
p.26
Gérard STREIFF
MARIE-CLAIRE • • • • • • • • • • • • • • •
p.29
Ossip MANDELSTAM - Eric SAULNIER
RETOUR DE FLAMME • • • • • • • • • • • •
p.33
Olivier THIRION
Atelier d’écriture du Centre Social Arts et Loisirs de Thaon-les-Vosges
LES VISAGES DANS LE NUAGE • • • p.77
DOSSIER SPÉCIAL TCHERNOBYL • • • • •
p.37
INTERVIEW DE CHANTAL MONTELIER
ECCE HOMO • • • • • • • • • • • • • • • • •
p.119
Angelo KAPURAL
Th.A. Yoghill - Jérôme PERRIN NINA
Voir sommaire du dossier Sonia RISTIC
JALOUSIE • • • • • • • • • • • • • • • • • • p.129 Evelyne KUHN
SUR L’ÎLE ROUGE • • • • • • • • • • • • • • p.137 Véro BLANCHOT
J’AI FAIT UN CAUCHEMAR • • • • • • • • • p.147 Xavier BROCKER
ON NE TOUCHE PAS • • • • • • • • • • • • Jacques NICOLLE
p.151
JE DE SOCIÉTÉ • • • • • • • • • • • • • • • p.155 NINA
CARNET DE CAMPAGNE 3 • • • • • • • • •
p.161
CHRONIQUE DU TEMPS DES MURS 4 • • •
p.171
du soldat Anicet Canus au 150 R.I. Olivier THIRION
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TCHERNOBYL OU .. • • • • • • • • p.43 TCHERNOZIOM • • • • • • • • • • • p.52 LE DERNIER JOUR • • • • • • • • • p.67
NIGUEB
• • • • • • • • • • • • • • • • • • • •p.83 DIALOQUE AVEC MICHEL PARFENOV • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •p.93 MA CONTRIBUTION • • • • • • • • • p.97 GAMAY
TOUT À ÉTÉ DIT • • • • • • • • • • • p.99 Didier JACQUEMIN
ÇA Y EST DONC • • • • • • • • • • p.101 Joe LABAT
LE BON GROS NUAGE • • • • • • • p.108 Jean-Marc SIVEL
HIROSHIMA MON AMOUR • • • • • p.111 Claude NAUMANN
BIBLIOGRAPHIE • • • • • • • • • • p.117
Editorial
BARU
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Sollicitude
poétique Tanguy WUILLEME
Je lis dans Calligrammes ce vers d’Apollinaire : Où est le Christophe Colomb à qui l’on devra l’oubli d’un continent et me trouve en compagnie d’une définition de la sollicitude.
O
n commence à rêver d’une Histoire réversible où le poète aurait été à la barre des Caravelles, croyant chercher quelque chose de précis, gonflant ses voiles afin d’y attraper tous les vents et finissant par se
tromper pareillement. Mais là s’arrête le parallèle avec le colonisateur. La terre découverte restera à jamais inconnue des cartes, vouée à l’illisibilité. Le lecteur perd ses repères car toute grande géo-poétique ignore le tracé des frontières. Continent entrevu et sitôt oublié. On aura beau apprendre par cœur les lieux, leurs appellations, les vivre comme le poète les a vécus, ils s’écoulent entre les doigts. C’est que le poète demeure sur cette terre en passant, véritablement en l’effleurant. Ses conquêtes ne peuvent être objet de mainmise, d’appropriation. De qui que ce soit. Pas d’expert, de critique, de professeur ou de lecteur plus compétent. À peine lui-même. Pas de chien de garde, au poil esclave qui se croit maître du domaine. Est poète celui qui laisse les choses livrées à elles-mêmes. On pose le pied pour saluer ce qui vient. Indéfiniment premier jour. J’ai toujours détesté le chercheur, celui qui n’a fait que trouver un filon et l’épuise sa vie durant. Le poète, lui, entrebâille la porte. Puis elle claque ! À chacun de l’ouvrir à nouveau comme un livre oublié sur une étagère mais dont le contenu ne pourrait être emporté avec soi. On se prend un instant à respirer autrement. Rythme autrement naturel. De ce qui coule de source.
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Ne nous trompons pas, il ne s’agit aucunement d’un produit de l’imagination, d’une utopie. Le continent est réel mais il s’est nommé lui-même en se révélant au poète : cosmopolite, source au jaillissement infini. Continent-fleuve. Le goût de ce continent est pareil au goût du Léthé, fleuve d’oubli au-dessus duquel les âmes se penchent, se repaissent donc s’alourdissent. Elles sont mises à l’épreuve. Le lecteur leur ressemble et pressent lui aussi que ce qui a été su de la Nature et de la Bonté reste tapi dans l’ombre lourde et profonde de son être. Car Immémorial, Jadis, sont les mots pour désigner ce continent. Vérités immenses qui trouvent depuis toujours accueil en nous : tu n’es rien devant l’Infini et la Vertu, il n’appartient qu’à toi de les suivre. C’est pourquoi le poème est une expérience fugace, piqûre de rappel, sur ce que la vie exige de nous : un surcroît et une adresse : « Quel continent créateur rendras-tu intact au jour de ta mort ? » Oui. Imaginons que situés dans l’éternité nous ayons à passer par toutes les formes d’existence, tantôt roc, vague, lièvre, abeille ou chêne… et qu’il nous soit donné pour une seule séquence d’être humain. Ne faudrait-il pas en puiser toute l’énergie, et ramener chaque saison à son point de bascule, et comme un seau qui plonge dans un puits remonter la lumière dérobée à l’ombre ? Je ne crois pas à l’apologie de la vie simple, réconciliée sans effort avec le monde. Et l’imitation est toujours sottise. Me touche davantage la perfection que chacun recèle et développe, et qu’il offre brute à celui qui accepte de se forger à son contact. Il y a une poésie parfaite comme il y a un cordonnier, un boulanger, un violoniste, ou un tapissier parfaits. Chacun apporte un supplément d’habileté manuelle, de beauté ou d’esprit. Le poète y participe, pas plus que les autres. À sa mesure, il dépose dans l’oubli des images qui ne seront vues que de quelques-uns, ou plutôt des citations qui se recommandent à ses contemporains. Un risque subsiste, que les rares équipages qui se croisent en mer ne s’envoient plus aucun signe de reconnaissance.
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La
gare de
Buenos Aires THEO
À quoi peut bien ressembler la gare de Buenos Aires ? À une fourmilière ? À un nid de misère ? À un port perdu dans le désert Les quais aux dunes offerts...? J’aime toutes les gares du large Leur verrière l’hiver Leurs foules en tristesse Leur dépotoir de vie Coulant vers les sorties... J’aime toutes les promesses du soir Les amours en détresse Le regard de l’enfant Et puis le désespoir... J’aime les trains qui partent Et qui jamais n’arrivent Chargés jusqu’à la gueule Des âmes imbéciles... J’aime ces quartiers glauques Où s’échouent les corps jetés Par les voies enfiévrées…
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J’aime tous les hôtels Peuplés De voyageurs suspendus Sans appartenance En absence d’identité En attente d’ailleurs... J’aime les bars borgnes Les trafics de nuit Les putes qui sourient Perchées sur leur laideur... J’aime le bruit des gares La nuit Le sommeil qui ne vient pas Sur les bancs alanguis J’aime le gris des quais Les armoires électriques Les poutrelles d’acier Et les rails infinis... J’aime les corps usés Des machinistes fatigués... J’aime le bonheur de l’amant À l’instant où le train apparaît Et la détresse du regard De cette fille rouge Quand le dernier wagon Dans le virage là-bas disparaît...
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Et l’odeur... L’odeur abandonnée Par tous ces morts passés... À peine entr’aperçus Et déjà disparus Dans le ventre Des grandes cités.... J’aime les gares en dérive Leur immobilité Sur la grande photo Floue N’être qu’un point de fixité... Aimer toutes les gares du monde Avant que rien n’arrive Avant que rien ne change Avant que rien ne bouge Avant que les fleuves ne gèlent Que le vent ne tarisse Que la mort ne vienne... Aimer ce bout de quai Arrimé au brouillard Fermer les yeux Un instant... Se demander : À quoi peut bien ressembler La gare de Buenos Aires ?
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La
nuit me brûle
La nuit me brûle Comme un alcool La flamme envahit L’âtre de mon ventre Et incendie Ma vie
La chaleur est partout Mes organes fondent Et mon rêve s’écrase À la surface d’un soleil
Je deviens cendre Pâle et légère Portée par un souffle lointain Vers l’horizon marin La brèche à peine éclose Vers demain...
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THEO
Les
tribulations d’un sans-logis la veille du
14
juillet
Angelo KAPURAL
L
a fête battait son plein au quartier « Les Aulnes », ce qui est normal la veille du 14 juillet ! Ayant faim, je me suis approché du stand du vendeur de merguez, en lui disant : « J’ai faim, est-ce que vous pouvez m’offrir une
merguez ? - Bien sûr, Monsieur, mais il faut payer. - Mais je n’ai pas d’argent. - Dans ces conditions, on ne peut rien faire pour vous. » Ayant constaté que ce quartier n’était pas digne de mes aptitudes, je décidai d’aller exercer mes talents au quartier chic des Tamaris. En m’approchant du quartier chic des Tamaris, la musique tapait fort, à casser les oreilles à deux sourds. Evidemment, ce n’était pas la musique qui m’intéressait, c’était plutôt l’odeur de merguez, car il y avait appel de l’estomac qui réclamait son dû. Tel un chien affamé, je me suis penché sur le comptoir de merguez, en reniflant leur odeur. -Elles sentent bon mes saucisses, dit le vendeur, vous n’en voulez pas une ? - Ah, si j’avais un peu d’argent, peut-être ! Vous pourriez pas m’en offrir une gratuite, des fois ? - Je peux pas, je suis juste vendeur. Adressez-vous à lui ! me dit-il en pointant le doigt vers son chef. - Monsieur le chef, dis-je, j’ai faim et je n’ai pas d’argent, pourriez-vous m’offrir une saucisse ? - Ecoute, si tu veux une saucisse, il faut la payer. D’abord t’as rien à faire dans notre quartier chic des Tamaris, fous le camp ! Je me suis replié humblement, méditant sur mon banc et invoquant le Dieu des pauvres, persuadé que j’allais être exaucé.
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Peu de temps après, Monsieur le maire
de la République, c’est justement le
est arrivé, avec sa suite, en hochant
temps propice aux doléances.
la tête, et en levant et abaissant les
- Tout à l’heure, je me suis adressé au
bras, tel un Imam dans la Mosquée. La
marchand de merguez. Par compassion
musique assourdissante s’est arrêtée,
envers les démunis, je lui ai demandé
laissant la place à une musique plus
de m’offrir une merguez. Ce qu’il a
traditionnelle pour recevoir le Maire.
refusé.
Etant grand connaisseur de bonne
- Evidemment, vous devez avoir faim.
musique,
En plus, vous n’avez pas d’argent je
je
ne
pus
pourtant
pas
réussir à déchiffrer de quel morceau
suppose ?
il s’agissait. Je suppose que ce devait
- C’est presque ça… En plus, j’ai perdu
être l’Internationale, ou peut-être la
ma femme, vous voyez ?
lutte finale. Je ne peux vous affirmer
- Alors
malgré mes compétences à ce niveau-
condoléances.
là ; je les soupçonne d’avoir les mêmes
- Mais non, Monsieur le Maire, je ne
origines.
suis pas veuf, juste… Ma femme est
Monsieur le Maire, avec sa suite, était
partie avec un autre…
planté au milieu du village, et je me
- Ah, je préfère ça.
suis demandé pourquoi. Personne ne
- Pas moi.
réagissant, je me suis décidé à réagir à
- Alors je retire mes condoléances.
ma guise, car j’avais des revendications
- Vous pouvez les garder si cela vous
à lui exposer. En me levant d’un pas
convient.
mal assuré, je me suis avancé vers
- Mon brave, ne vous plaignez pas
le Maire. Mais je peux vous affirmer
trop. Tout le monde a des problèmes
solennellement que je n’étais désigné
actuellement. Tout est de la faute
par aucune organisation, officielle ou
de
officieuse, pour parler au maire. Au
internationale. Il faut être patient
contraire, j’avais juste une requête
dans la vie. C’est rose pour personne.
personnelle à lui faire.
Vous voyez, vous vous plaignez et
- Bonsoir, Monsieur le Maire, lui dis-
qu’est-ce que je devrais dire moi ! Je
je.
viens de perdre ma place de député et
- Bonsoir mon brave, quel bon vent
ça a été très difficile à avaler !
vous amène ?
- Alors vous êtes au chômage comme
- Monsieur le Maire, j’ai une doléance
moi. Je vous plains un peu.
à vous faire.
- Ah non, je ne suis pas au chômage !
- Faites, mon brave, en ce jour glorieux
J’ai toujours ma place de Maire. Mais
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la
vous
êtes
conjoncture
veuf.
nationale
Mes
et
l’autre
plus
- Juste pour notre corporation, dit
juteuse. Pour connaître les causes
Monsieur le Maire, car je ne vois pas
exactes de mon déclin, hier, je suis
une voyante qui pourrait prévoir votre
allé voir ma voyante officielle. Vous
avenir et celui de vos semblables, tordu
ne devinerez jamais ce qu’elle m’a
et recroquevillé que vous êtes ! Je crois
dit, même moi j’étais pendu à ses
que, pour vous, c’est imprévisible !
lèvres en écoutant ses prévisions très
- Mais Monsieur le Maire, je suis pas
étonnantes. Il paraît que tout ça,
mal instructionné, j’ai ma licence de
c’est la faute aux Américains. Depuis
Lettres Modernes.
qu’ils ont mis les pieds sur Mars, ils ont
- Sans
déréglé le système cosmique.
conseillé de prendre cette
- Je n’étais pas au courant de cette
là ?
avancée technologique car je n’ai
- Mais Monsieur le Maire, c’est le
pas de télévision, ni aucun moyen de
conseil d’orientation qui m’a préconisé
communication, mais je ne vois pas
ça, en fait qui me l’a imposé.
quelle influence Mars peut avoir sur la
- Pas croyable, vous êtes tombé dans
vie courante sur terre.
leur piège. Il paraît qu’ils passent leur
- Eh oui mon brave, eh oui, une grande
temps à se tourner les pouces toute
influence. C’est-à-dire la conjonction
la journée, en rigolant sur le sort de
entre Mars et Jupiter ne peut pas se
pauvres jeunes qu’ils ont plantés,
faire tant que leur machinerie est là.
évidemment en les orientant à leur
- Alors il n’y a aucun espoir, tout est
manière. Voyez-vous, il y a des gens
foutu ?
à qui il ne faut absolument pas faire
- Mais que non ! vous ne connaissez
confiance. Par contre, si vous aviez
pas ma voyante, elle a la réponse
une Licence de Politique Moderne, je
et la solution à tous les problèmes.
pourrais discuter avec vous. Je pourrais
Elle m’a dit que, si par hasard, les
vous proposer un C.E.S. ou par exemple
Américains trouvaient des Martiens sur
un T.U.C. en politique moderne. De
la planète, tout pouvait changer. Les
toute façon, je ne vois aucune solution
choses se mettraient en ordre et tout
pour vous et vos semblables, ou peut-
recommencerait comme avant.
être une un peu difficile à avaler.
- Alors
place
prions
était
le
beaucoup
bon
Dieu
qu’ils
blague !
Quel
idiot
vous
a
branche-
- Dites toujours, Monsieur le Maire,
trouvent des petits hommes verts et
peut-être la place me conviendrait ?
que la vie recommence normalement.
- Pour vous et vos semblables, je ne
Alors la voyante a fait cette prévision
vois qu’une solution…de trépasser
juste pour vous ?
et d’outrepasser. Je vous conseille
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ça, mais je ne vous garantis aucun
observent…
résultat, même en passant de l’autre
- Je ne peux pas me redresser l’estomac
côté, c’est très difficile d’y rentrer. Il
vide, et puis, n’exagérons rien, il n’y a
paraît que c’est encore plus difficile
même pas trois mille personnes !
que d’obtenir les papiers de séjour pour
- Détrompe-toi,
les étrangers qui rentrent en France
beaucoup
illégalement. Il paraît qu’on vous met
stéréoscopique,
sur une balance, et si elle fléchit de
même astronomique de mes électeurs.
l’autre côté, c’est fini, un charter et
Alors,
hop ! Vu l’état tordu et recroquevillé
merguez !
dans lequel vous êtes, pour vous c’est
- Monsieur le Maire ! Tous les supplices,
presque sûr.
mais pas celui-là !
- Ah bon, même là-bas, ils ont des
En faisant un effort surhumain, je
charters ?
réussis à me redresser. Nous nous
- Mon pauvre ami, je veux dire, mon
dirigeâmes
brave, des charters immenses ! Rien
merguez, et en chemin, je m’aperçus
de
comparable
mon
plus !
plus,
une
vision
J’ai
stéréophonique
redresse-toi
vers
aux
brave,
ou…
le
pas
comptoir
et de
aux
que le chef des merguez
nôtres ! En attendant,
Un peu de dignité, trente
il me vient une idée
siècles nous observent…
vitesse
géniale qui va faire
Ah, hum… Qu’est-ce que
habituel
remonter
je dis ? Vous me troublez.
substituer à sa place.
ma
cote
auprès des électeurs.
avait
-
repoussé son
pour
Bonsoir,
en
vendeur se
Monsieur
Je vais faire un geste de bienfaisance
le Maire, dit-il en me regardant de
et je suis sûr que ça va marcher. Je vais
travers. Nous sommes honorés de votre
vous payer un sandwich, deux même, si
présence dans notre quartier chic des
vous voulez !
Tamaris.
En joignant le geste à la parole,
- Je vous remercie, dit Monsieur le
Monsieur le Maire me prit par la main,
Maire, pourriez-vous servir un sandwich
en veillant bien à ce que tout le monde
à ce Monsieur ?
nous regarde.
- Même
- Redressez-vous,
me
dit-il,
vous
deux,
si
vous
le
désirez,
Monsieur le Maire !
êtes tout tordu et recroquevillé. Un
- Si vous pouviez mettre double ration
peu de dignité, trente siècles nous
de moutarde, ajoutais-je (car j’aime
observent… Ah, hum… Qu’est-ce que
les choses piquantes).
je dis ? Vous me troublez. Je devrais
- Je vous offre le pot complet, si vous
dire :
voulez.
trente
mille
électeurs
nous
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Alors Monsieur le Maire mit sa main dans la poche droite de son veston et en sortit un gros billet vert et bleu. Je ne peux pas vous dire quelle valeur il avait car, dans mes souvenirs, je n’avais jamais ni eu ni vu un tel billet. Le chef des merguez s’empressa alors de dire : « Monsieur le Maire, s’il vous plait, avec tout le respect que je vous dois, ce soir, c’est ma tournée ! » Monsieur le Maire ramassa le billet en levant doucement le bras. J’étais persuadé qu’il allait me le filer. Mais, par un geste machinal, il le remit dans la poche de son veston. Je m’aperçus que le gros billet était assez usé, il avait dû servir souvent dans de telles circonstances, et je suis sûr qu’il va resservir pareillement… Après monsieur le Maire est parti avec sa suite en levant et en abaissant les bras et en hochant la tête, comme quand il était arrivé. Je me suis assis à la dernière place disponible, pour déguster mes deux sandwichs. Je les avalais à une telle vitesse que la jeune demoiselle, assise en face de moi, en eut les yeux sortis de la tête. M’étant bien rassasié, je me suis essuyé la bouche avec ma main droite puis avec ma main gauche. Ensuite, je me mis à rechercher ma chique, car je ne me souvenais plus où je l’avais mise. À la fin, je la trouvai, je la coupai en deux parts car c’était la dernière qui me restait. J’étais bien revigoré, j’avais repris des forces et alors je me suis dit : c’est la veille du 14 juillet, pour quelles raisons, je ne ferais pas un tour de piste ? Je jetai mon dévolu sur la demoiselle qui m’avait observé pendant la dégustation de mes sandwichs. Je l’observais moi-même, à ma manière, qui m’est bien particulière. Elle avait de beaux yeux mais elle était grasse et assez moche. Je pensais : « Que diable, impossible de louper ma coche ! » En tenant la moitié de ma chique dans la main droite, j’avançais dignement vers elle. En m’inclinant légèrement et, en tendant ma main droite vers elle, je lui dis : « Demoiselle, je vous offrirais la moitié de ma chique si vous acceptiez de faire un tour avec moi. » Etant ému par sa splendeur, j’avais oublié de préciser que c’était un tour de piste de danse. Telle une tigresse, elle bondit en criant : « Au secours, on veut me violer. » Le public le plus proche n’y fit pas attention car il avait bien vu que je n’étais nullement mal intentionné, mais il devait y avoir quelques faux jetons qui observaient la scène de plus loin, alertant les forces de l’ordre républicaines. Car je ne peux m’expliquer par quel miracle ils furent là à une telle vitesse, la mitrailleuse au poing, avançant vers moi en criant : « Les mains en l’air et que personne ne bouge ! »
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J’étais
surpris
de
les
voir
arriver
disant :
avec l’artillerie lourde, car j’avais
- Laisse-moi m’occuper de ces choses-
l’habitude de les voir se promener avec
là, c’est mon domaine. Ouvre ta main !
leur artillerie légère. Le petit chef de
Montre-moi de quoi il s’agit.
la force avança vers moi en me disant :
J’ouvris ma main et il prit la moitié de
« Alors vaurien, comme ça, on voudrait
ma chique. Il se mit à l’examiner.
sauter la grosse… eh…hum… je veux
- Ce n’est pas de la dure, dit-il, la dure
dire… comme ça, tu voudrais violer la
est blanche ; ce n’est pas du pavot, le
dame ?
pavot est en plaquette ; ce doit être
- Demoiselle, répliqua-t-elle en lui
du cannabis ou du hachisch. D’abord,
adressant un regard angélique, je suis
dites-moi où vous avez eu ça.
encore une demoiselle. »
- Je l’ai acheté au buraliste du quartier
Evidemment, il n’était pas à la hauteur
chic des Tamaris.
d’apprécier
- Tiens, tiens, il est très coopératif,
son
regard
angélique,
il n’y a que moi qui étais capable de
d’habitude,
l’apprécier, à ma manière particulière.
craquer. Vous avez les circonstances
- Bon,
demoiselle,
atténuantes.
quand
on
vous
attendant,
vous
répondrez
questionnera,
taisez-vous !
ils
sont
très
durs
à
en
- Il n’y a pas de quoi, tous les
Venons-
buralistes de France vendent ça et
en aux choses sérieuses, dit-il en se
tant que vous voulez.
tournant vers moi. Alors tu voulais
- Ah bon, à ce point-là ? Tous les
violer la demoiselle ?
buralistes se sont mis à vendre de la
- Mais non, monsieur de la Force, je
drogue ! Quel monde à l’envers ! A quelle
voulais juste emmener la demoiselle
époque on vit ! Demain matin, dit-il en
sur la piste.
s’adressant à ses subordonnés, vous
- En plus tu voulais faire ça sur la
allez me coffrer tous les buralistes
piste, devant tout le monde ! Sadique,
de France et de Navarre, de bonne
va, satyre !
heure, quand ils sont encore dans les
- Ecoutez, s’exclama
monsieur la
de
la
Force,
vaps, surtout celui du quartier chic
demoiselle,
il
voulait
des Tamaris, car contre lui, on a des
même me droguer avant d’abuser de
preuves accablantes. Quant à toi,
moi… Regardez dans sa main droite, il
vaurien, réglons les choses. Tu voulais
a de la drogue !
violer la demoiselle, oui ou non ?
- Ouvrez la main, dit le petit chef.
- Non, monsieur de la Force, je voulais
Il fut interrompu par le grand chef
juste aller danser sur la piste avec la
de la force qui s’avança vers moi en
demoiselle.
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- Ah bon, ça change tout. Entre temps, derrière les forces, j’aperçus la moustache du chef des merguez qui rigolait. Je suis persuadé que c’est ce faux jeton qui a téléphoné aux forces de l’ordre républicain. - Bon, dit le grand chef de la Force, en s’adressant à tout le public, dorénavant, vous ne nous dérangerez plus pour des sujets aussi banals, tant qu’il n’y a pas de sang, nous n’intervenons pas. - Il allait y avoir du sang, répliqua la demoiselle, il allait peut-être y avoir du sang car je suis encore vierge. - Taisez-vous la vierge, dit le grand chef de la Force. Quant à vous, vaurien, remerciez Dieu que ce soit la veille du 14 juillet et qu’on t’ait fait une grâce. Disparais et ne remets plus jamais les pieds au quartier chic des Tamaris. En déduisant que cette société ne voulait pas de moi et qu’en plus, elle n’était pas digne de moi, je pris la décision de rejoindre mes comparses pour noyer mon chagrin dans une bonne bouteille de mauvais vin.
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Monsieur Gaétan Th.A. Yoghill - scénario Jérome PERRIN
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Marie-Claire
NINA
-
T
u es à l’heure ! Bien sûr que je suis à l’heure ! Le premier jour de ma nouvelle vie, il ne manquerait plus que j’en rate une seule seconde… Je me suis acheté
une très jolie robe, une occasion comme ça, ça se fête, je suis allée chez le coiffeur, le total look nouvelle vie. - Tu n’as rien oublié ? Rien, mon homme, rien ! Pour le lui prouver, j’exhibe mon passeport avec un sourire crâne. - Et les enfants ? - Chez ma sœur, j’ai promis de leur rapporter un cadeau à chacun. Je sais déjà quoi… - Tu es parfaite, tu penses à tout. De la tendresse dans ses yeux… Il me détaille de la tête aux pieds, se dandine comme un débutant, replace une mèche de cheveux. Il n’ose pas me toucher. Pourtant, je trouve que les lieux publics autorisent toutes les audaces. Tous les mots, tous les gestes nous sont permis, ou presque. Tout est possible maintenant, je rayonne. - Ça va aller ? Tu n’auras pas de regrets ? - Pas le moindre ! Et là, à nouveau, le truc magique opère : il m’émeut, il est beau, viril et attendrissant, maladroit. Son air penché me touche, il m’amuse. Je vais encore le choquer : - Embrasse-moi. Il rougirait s’il avait dix ans. - Quoi ? - Embrasse-moi, roule-moi une pelle, un gadin, une galoche. Tu sais, tu mets ta langue dans ma bouche et tu la bouges… - Tu es incroyable ! Tu te rends compte ?
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J’adore cette vulnérabilité, son côté effarouché. Mais je ne céderai pas d’un pouce, je l’aurai, mon baiser pour nous tout seuls, ma petite planète intime, juste cet homme et moi… - Allez, mon Bon Monsieur, juste un petit palot devant les badauds. Pour marquer d’une pierre blanche cette inoubliable journée… - Tu es la reine des perverses… Ha ! Quand il commence à commenter mon impudence, c’est le signe de sa reddition. J’ai vaincu ses réticences de beau gars bien élevé. - Dis-moi encore que je suis la femme la plus bandante que tu… - Arrête ! Mais je l’entoure de mes bras, je serre son cou de taureau et l’oblige à se pencher. Je sais déjà que j’ai gagné ! Mon homme, je t’ai, je t’ai eu ! Sa grande bouche entoure ma bouche, il me fait le baiser-qui-engloutit, un truc qui marche à tous les coups. C’est celui que je préfère, ça tombe bien. Un magnifique et profond baiser. Un baiser qui mérite d’être verbe à force d’indécence. C’est bien baiser qu’on fait et plus seulement une jolie chose glissante. Il continuerait bien, cet animal sensuel, d’entrepris il devient entreprenant. Quelle journée, quelle embrassade, quel embrasement ! Mais trêve de pousseau-lit, je clos d’un petit bisou mouillé. Poc. Il reprend ses esprits, il m’a donné tout ce qu’il pouvait. Merci mon chéri, viril et généreux, merci pour la force que tu m’as envoyée et dont je vais avoir besoin à l’avenir. Il est étonné de ce qu’il a osé. C’est moi qui parle en premier : - C’est à nous, je crois. - Oui, allons-y. C’est d’une main commune et affermie que nous poussons la porte du juge aux affaires familiales, une porte sur laquelle est notifié : « Divorces ».
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Retour
de flamme Stéphanie Ambroise Maria Nonyme
Atelier d’écriture du Centre Social Arts et Loisirs de Thaon-les-Vosges
L
a jeune blondasse éclata : - Vieille peau ! - Je ne te permets pas, petite punaise ! répondit la vieille chiffonnée.
- Pourquoi c’est toujours toi qui dors avec Elle ? - C’est parce que je suis la préférée, tout simplement. - La préférée ! Non mais je rêve, dis plutôt qu’Elle n’ose pas s’afficher ailleurs avec toi. Remarque, je La comprends, tu as vu comment tu es habillée ? - Cause toujours, ma petite, tu oublies que je l’ai souvent accompagnée à l’école maternelle. - C’est bien ce que je dis, tes habits doivent dater de cette époque. La porte s’ouvrit et une petite voix commanda : - Sandy, tu viens avec moi, nos invitées sont là. Et Sandy disparut dans un tourbillon d’étoffe. ______________________________ Enfin seule ! Je ne supporte plus cette petite bêcheuse, ses histoires de chiffon et ses airs supérieurs. Quand même, à mon âge, je me passe très bien de son avis sur ma façon de m’habiller. Je ne suis pas méchante mais quand on est déguisée en Barbie à longueur d’année… Où sont-elles allées habillées comme ça ? Ni en courses, ni à l’école. Quant à la gamine, si je comprends bien, je ne suis bonne qu’à éponger Ses pleurs et écouter
Ses jérémiades. Mais quand Elle a besoin d’un faire-valoir
devant ses copines, Elle préfère l’autre écervelée. ______________________________
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Ouf ! Enfin débarrassée de Georgette et de ses sermons. J’ai bien fait de venir, ici tout le monde s’amuse profitons-en. J’espère qu’elle se morfond, la vieille, toute seule dans sa chambre à l’étage. De toute façon, elle s’ennuierait ici ; les anniversaires ça n’a jamais été son truc. Toutes les petites filles sont bien habillées. Je ne fais pas tache avec ma robe rose. Vivement qu’Elle ouvre ses cadeaux, c’est le moment que je préfère. Oh zut ! Elles reprennent du gâteau. Je me demande ce qu’il y a dans le gros paquet que Sa maman a apporté. J’espère que ce n’est pas une nouvelle poupée… Ah ! On va enfin savoir. _____________________________ Mais qu’est-ce qu’elles fichent ! Deux heures qu’elles sont parties. Et ces vaet-vient, ces coups de sonnette, toute cette musique, ces rires… Mais oui, c’est Son anniversaire ! Avant j’étais de toutes les fêtes. Jusqu’à l’arrivée de l’autre… Tiens, on entend plus rien. Ce doit être le déballage des cadeaux. Pourvu qu’il n’y ait pas une nouvelle poupée. _____________________________ Elle en met du temps à ouvrir son paquet. Je veux bien qu’Elle fasse durer le plaisir mais quand même ! Ça y est, c’est déballé. Je ne sais pas ce que c’est mais ça a l’air de lui faire drôlement plaisir. Comment ça une console? Mais nous sommes là, nous, pour La consoler ! ______________________________ - Ah ! Te voilà ! J’espère que tu t’es bien tenue pour une fois. - Tu peux prendre ton air pincé, vieille jalouse, n’empêche que je me suis bien amusée. - Tu parles d’un amusement ! Je suis bien contente d’être restée au calme. Le seul truc intéressant dans ces fêtes, c’est l’ouverture des cadeaux… Alors ? - Elle a eu une console. - Une console ? - Oui, une espèce de boîte avec des boutons. En tout cas ce n’était pas une poupée. - Et à part ça ?
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- À part ça, une grande nouvelle ! Elle nous emmène à la bourse aux jouets. - Super ! Depuis le temps qu’on n’est pas sorties. - Petites malheureuses ! Vous appelez ça une bonne nouvelle ? Elle va vous vendre ! - Qu’est-ce que tu radotes, vieux bougon ? - Ne l’écoute pas Sandy, ce n’est qu’un vieil ours en peluche. Déjà qu’il lui manque un bout d’oreille et un œil, il n’a peut-être pas toute sa tête non plus… - Je n’ai peut-être pas toute ma tête, mais ça fait trois générations de petites filles que je suis là. Vous n’êtes pas les premières poupées que je vois partir dans une bourse aux jouets. Et aucune n’est jamais revenue. Jamais ! ________________________________ - Georgette, j’ai peur. - Moi aussi j’ai peur. Dans la chambre au moins, on avait une veilleuse, et puis Elle était là… - Quand même, après tout ce qu’on a fait pour Elle… La sale peste, l’hypocrite, Elle nous a bien endormies. - Tu vois, l’Ours avait raison. Elle nous a jetées et bien jetées. À propos de jeter, tu sais ce que m’a dit la poupée Bella ? - Qu’est-ce qu’elle t’a encore chanté la joufflue ? - Il paraîtrait que celles qui ne sont pas vendues au bout de trois fois sont jetées à la poubelle. - T’inquiète, je suis sûre qu’on va nous acheter toutes les deux, ensemble. - Oh oui, je ne supporterais pas une séparation de plus, et puis je n’aurais plus personne avec qui me chamailler. - Mais qu’est-ce qu’on entend ? - C’est la Poupée qui Tousse. - Mais non, il faut de la fumée pour la faire tousser. - C’est la Poupée qui Chante ! Elle fume ! - Mon Dieu ! Elle avait menacé de se faire un court-circuit. - Ça y est, elle flambe ! - Georgette ! Ma robe, elle brûle ! - Sandy ! Au secours ! Mes cheveux ! AU SECOURS !
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Dossier
spĂŠcial
Tchernobyl
Je
dois tout à
Tchernobyl
Yves FREMION
Ecrivain, ancien Député Européen, Conseiller Régional (Vert) d’Ile de France
J
’ai changé de vie grâce à Tchernobyl. Si si. Les dégâts, constatés surtout l’année suivante et celle d’après, ont sensibilisé les citoyens de l’époque. Finalement, ce nucléaire était peut-être moins « sans danger » qu’on
nous l’avait dit. Du coup, cela a dopé l’écologie politique dans notre pays et en 1989, lors des élections européennes, une première vague d’écolos sont devenus députés. J’en étais, alors que ce n’était pas prévu. Donc, je dois beaucoup à Tchernobyl : cinq ans de ma vie où j’ai eu l’impression de servir à quelque chose. Pour que nous servions tous à quelque chose, il faudrait donc beaucoup de Tchernobyl pour que les écolos soient partout. Vous me suivez ? Non ? Dommage, parce que c’est justement ce qui est en train de se passer. Si, regardez autour de vous. Il y a encore cinq-six ans, je me cassais la tête pour expliquer aux gens ce qu’était l’effet de serre. Plus besoin maintenant, on l’a sur la tête, on se mange des canicules chaque été, des sécheresses chaque printemps, des tempêtes et des incendies de forêt même là où y en avait jamais. Il y a vingt ans, j’expliquais pourquoi l’eau potable serait bientôt un mythe, ou bien que l’énergie allait se raréfier très vite. Plus la peine d’expliquer en 2006, aujourd’hui même les plus bornés glosent sur la fin du pétrole et sur l’eau polluée partout. L’écologie devient facile, suffit de laisser les gens regarder : tout ce que nous leur avions annoncé, ils marchent dedans et ça ne leur porte pas bonheur. Bien fait, ils n’avaient qu’à nous écouter au lieu de persister à (ré)élire les mêmes amis des pollutions, du nucléaire ou les ennemis des énergies renouvelables, d’une moindre production de déchets ou de l’agriculture raisonnée. BIEN FAIT !
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J’en resterais là, laissant tous ces irresponsables patauger dans leur bourbier, si, en même temps, je n’étais moi-même englué dans la même couche, mangeant les mêmes légumes et fruits irradiés, respirant le même air embagnolé, buvant la même eau encochonnée, élevant les mêmes enfants empublicités, causant aux mêmes voisins entélévisés, et n’ayant avec l’autre sexe que des rapports protégés. Voilà qui me conduit à encore me répéter, gueulant les mêmes alertes dans les mêmes oreilles (ensablées) et manifestant à mon âge pour les mêmes causes qu’au siècle dernier, poussant les mêmes slogans que dans ma jeunesse, car rien n’a avancé d’un iota. Rien n’a avancé pour nous, ni depuis Tchernobyl ni depuis la crise du pétrole, mais en face, dans le camp des dégâts, là ils n’ont pas perdu leur temps, là ça avance : fin annoncée du pétrole, amoncellements de déchets (y compris nucléaires) partout dans le monde, nouvelles maladies, accumulation des pollutions (amusez-vous par exemple à faire des additions des « doses acceptables » que vous avalez chaque jour), changements climatiques rapides, fonte des calottes glaciaires, mutations provoquées, etc etc. Le plus grand mensonge des temps modernes est de répéter partout que « le monde bouge » et que nous subissons des « mutations rapides de nos sociétés occidentales », alors que notre monde est d’une immobilité de poteau électrique et nos sociétés coincées ne bronchent plus d’un petit poil. Il est remarquable, par exemple, que les tant vantées « innovations technologiques majeures » que nous voyons débouler dans nos vies, ne font que reproduire l’existant à l’infini sans surtout rien changer sur le fond (Internet en étant la caricature parfaite). Notre univers n’est pas en expansion, mais notre misère, elle, se rapproche de l’infini. Tchernobyl aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, quand on s’en souvient encore (« C’est pas le frère de Buffalo ? »), ce n’est plus qu’une catastrophe quasi-naturelle, un peu comme un tremblement de terre auquel on ne peut rien, une malédiction divine tombée sur ces vilains Soviétiques qui n’avaient pas choisi le bon régime et qui ont été bien punis, allez… Alors que Tchernobyl n’a pas été une catastrophe, il a été la conséquence directe et rationnelle, prévue, annoncée, presque voulue d’une logique industrielle productiviste, parfaitement capitaliste (capitalisme d’état en ce cas précis mais ce n’est qu’un détail). Ce qui aurait été extraordinaire c’est que Tchernobyl ne pète pas. Non, Tchernobyl n’était pas une catastrophe, c’est le nucléaire qui est une catastrophe. Ce qui serait extraordinaire c’est que d’autres drames de cette
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envergure ne surviennent pas dans les années qui suivent. Y compris en France où E.D.F. nous garantit que dans notre pays on sait y faire, mieux que ces crétins de Russes incompétents. Eh bien, avec des certitudes pareilles, on peut être sûr que s’il y a une bavure, elle sera grandiose : les désastres vont bien avec toutes les langues de bois du monde. Autant être prêts quand ces « catastrophes » reviendront comme les hirondelles au printemps. Je les attends de pied ferme : pour peu qu’il y ait encore plus de morts et qu’ils soient bien français, ce sera un comble de malchance si je ne deviens pas ministre, ce coup-ci !
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Tchernobyl ou le crash de l’information. Carnet
de route d’un correspondant de presse. Gérard Streiff journaliste, écrivain, ancien correspondant de «l’Humanité» à Moscou (1982 1986)
J
ournaliste en poste à Moscou en avril 1986, au moment de la catastrophe de Tchernobyl, pour le quotidien «L’Humanité», je consacre alors aux événements une quinzaine d’articles au cours du mois qui va suivre
l’explosion. On trouvera ci-dessous la chronologie de ces principales correspondances ; on y mesurera peut-être combien ce drame va mettre aussi à jour le marasme du système soviétique d’information, et comment il va contraindre le pouvoir et les médias moscovites à une ouverture inédite. Mardi 29 avril 1986 Mon premier papier est expédié le 29 avril (publié dans L’Humanité du 30). L’accident a eu lieu samedi 26 avril à 1h du matin mais l’opinion russe n’en saura rien de tout le week-end ; les médias de Moscou sont silencieux samedi 26, dimanche 27, lundi 28. C’est la rédaction parisienne du journal qui m’alerte à la fin du week-end ; elle s’impatiente. Comme mes confrères, qu’ils soient français, soviétiques ou étrangers, il m’est alors impossible de décrocher le moindre commentaire. Il faut attendre le mardi 29 avril pour que l’agence Tass donne un communiqué du Conseil des ministres, tombé, dit-on, lundi matin mais jusque-là non publié ; il annonce qu’à Tchernobyl, «un des réacteurs était en panne, que des mesures étaient prises en vue de liquider les suites de l’accident et qu’une commission gouvernementale a été créée». Une panne, le mot est faible.
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L’agence ajoute un court commentaire
Jeudi 1er mai
polémique, banalisant la situation : « Cet accident est le premier en Union
Pas de presse à Paris le 1er mai, donc
Soviétique. Des accidents identiques
pas de correspondance envoyée le 30.
se sont produits plus d’une fois dans
Ce 30 avril, justement, le journal
d’autres pays ».
télévisé
Elle évoque le programme nucléaire
centrale où l’on devine les dégâts,
soviétique et insiste : « Il est difficile
mais la photo est floue. Un «expert»
de trouver un domaine où il existerait
interrogé estime alors que ce cliché
un contrôle aussi strict».
montre bien le caractère «limité» du
Les Izvestia, quotidien du soir, est le
problème.
premier journal moscovite à faire état
Le
de ces infos le mardi après-midi.
communiqué du Conseil des ministres ; il
montre
même
jour
une
tombe
photo
un
de
la
nouveau
De mon côté, je n’obtiens toujours
parle de la poursuite des travaux autour
aucun
du
de la centrale, d’une diminution de la
côté de l’Académie des sciences, ni du
dispersion des matières radioactives,
Ministère des affaires étrangères. Je
d’une baisse des taux de radiation.
parviens toutefois à joindre un adjoint
« La réaction en chaîne de la fission du
du secteur international du PCUS, le
combustible nucléaire a été maîtrisée,
parti communiste soviétique, Vitali
le réacteur a été mis en sommeil».
Goussenkov.
informateur
De manière générale, les commentaires
sérieux mais discret ; il ne peut que
se veulent apaisants ; le bilan officiel
me dire que l’affaire est «grave».
parle de 2 morts.
commentaire
C’est
officiel,
un
ni
Dans ce pays où l’info est une denrée rare, chaque mot compte. Et chez
N ’e m p ê c h e ; d e u x c o m m u n i q u é s
cet ancien diplomate au vocabulaire
officiels en trois jours, la répétition
d’ordinaire pondéré et euphémisant,
est exceptionnelle et trahit la gravité
le qualificatif est important. Foin
de la crise. Dans mon article, (Humanité
de la «panne» évoquée par Tass ; il
du 2 mai), j’observe que Moscou donne
faut comprendre que la situation est
« des informations laconiques mais
très sérieuse. Je mentionne aussitôt
régulières et ce fait vaut d’être noté
sa réaction à Paris et j’en fais le titre
car en des circonstances analogues on
de mon premier papier: « Une affaire
restait auparavant ici d’un complet
grave».
mutisme».
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Vendredi 2 mai J’ai
pu
Dimanche 4 mai
finalement
interviewer
un
rencontrer
collaborateur
et
On
annonce
qu’une
délégation
du
officielle, conduite par le premier
président du Comité d’Etat (ministère)
ministre, s’est rendue le 2 mai sur le
pour l’énergie nucléaire. Tout est sous
site de la centrale. Tous les articles
contrôle, me répète-t-il. Il dément
jouent
certaines
informations
parues
la
carte
de
l’apaisement.
en
On continue de polémiquer avec le
Occident faisant état de 2000 morts ou
«catastrophisme» occidental ; on se
de l’explosion d’un deuxième réacteur ;
moque par exemple d’un rapatriement
il a cet argument assez étonnant :
d’urgence de touristes anglais en
« Je crois savoir que des photos prises
Ukraine
de satellites occidentaux confirment
estime que de nombreux politiciens
amplement qu’il n’y a qu’un réacteur
en Occident « ont piqué dans la
qui ait eu des ennuis».
production
Je lui demande : « Pourquoi n’a-t-on
Hollywood des scènes qu’elles ont
pas des informations plus précises ?»;
imaginées à Tchernobyl».
décidé
par
Londres.
cinématographique
Tass
de
jésuite, il me répond : « Tant que toutes les causes de l’accident ne sont
Lundi 5 mai
pas connues, on ne peut pas donner plus de détails» (Humanité du 3/5).
Premier reportage au journal télévisé du soir, «Vrémia», sur la centrale ;
Dans
les
médias
soviétiques,
des
on survole depuis un hélicoptère le
images apaisantes des grandes villes
réacteur ; on découvre la ville voisine
d’Ukraine veulent montrer que le pays
désertée. (Humanité, 6/5)
est calme. Les journaux locaux dénoncent la «campagne» de dramatisation en
Mardi 6 mai
Occident, essentiellement aux EtatsUnis. Et trouvent que cette façon de
La
faire
trahirait
la
gêne
commission
d ’e n q u ê t e
américaine
gouvernementale sur la catastrophe
face aux propositions soviétiques de
donne une conférence de presse, la
désarmement.
première. Onze jours se sont passés
On retrouve là un tic de la propagande
depuis l’explosion, rappelons-le. À la
soviétique : la sous-information est
tribune, le président de la Commission,
compensée par une sur-politisation.
Boris
Chtcherbine,
vice-premier
ministre, est entouré des principaux
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responsables des affaires étrangères,
d’Occident, subissant une masse de
du nucléaire civil, de la santé, de la
rumeurs.
météo, de l’énergie.
On apprend qu’une zone de trente
La salle est bondée, avec une affluence
kilomètres autour de la centrale est
record de journalistes soviétiques et
évacuée.
étrangers ainsi que de diplomates. Dans
une
déclaration
préliminaire,
Jeudi 8 mai
Chtcherbine parle des circonstances de l’accident, du retard d’informations
La presse locale multiplie les infos
imputable -selon lui- à la direction de
sur
la centrale, de l’état de l’usine, du
commentaires
travail du personnel, de l’entreprise
exemple, selon la Pravda de Moscou,
d’étouffement du quatrième réacteur,
« La situation ne justifie aucune
du taux de radioactivité, du bilan de
mesure
deux morts et de 204 irradiés, de la
à la télévision ukrainienne Anatoli
présence de spécialistes étrangers,
Romanenko, ministre de la santé». Mais
de l’évacuation de la population. Puis
le journal ajoute «qu’il est arrivé que
il répond aux questions.
des citoyens recourent imprudemment
Le retard ? « Je récuse l’idée de
à des médicaments sans contrôle et
rétention d’informations».
pouvant entraîner des complications
La visite de l’AIEA ? « Nous n’avons
de santé».
rien à cacher».
Il est question de travaux pour élever
Les centrales d’URSS ? «Elles sont
une digue entre le Pripiat, le cours
fiables.
d’eau qui passe à Tchernobyl, et la
L’explosion
est
due
à
un
concours de circonstances». L’énergie
nucléaire
?
«Elle
Tchernobyl,
avec très
parfois
des
légers.
prophylactique,
a
Par
répété
centrale. a
de
l’avenir».
Un reportage évoque le local du parti à Tchernobyl, déserté et transformé en
Il polémique à son tour avec les
QG où «scientifiques, techniciens et
«c o nt r evé r ités»
constructeurs» auraient les «pleins
qui
seraient
véhiculées par l’Occident.
pouvoirs» pour agir. Il est fait état, de plus en plus, de
Mercredi 7 mai
cette équipe, de son animateur, le vice-président
Je
correspondance
des
sciences,
combien les gens jusque-là vivaient
note
dans
ma
des
techniques
au rythme des seules infos venues
«e nte r r e r»
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de
l’Académie
Eugene
Velikhov,
employées le
pour
réacteur
:
bombardement de sacs de sables par
Interrogé
hélicoptères, creusement de tranchées
soviétiques, Blix déclare que Moscou
souterraines.
aurait informé l’AIEA dès le 28 avril
Le
même
papier
insiste
sur
le
silence
des
sur
au soir (avant donc toute information
«l’originalité» de la crise, le fait que
publique à Moscou même), et que
«personne jamais n’a eu affaire à un
l’agence
tel accident».
données «détaillées» à «tous Etats
aurait
redistribué
ces
membres» (Humanité, 10/5). Les médias soviétiques continuent de
polémiquer
avec
les
positions
Dans mes notes, je retrouve l’écho
occidentales «propagandistes» et se
d’un
échange
plutôt
félicitent des démarches de solidarité
correspondant
notées dans tel ou tel pays.
Blix, le correspondant demandant au
du
vif
Figaro
entre et
le
Hans
diplomate s’il «était du côté de l’URSS Vendredi 9 mai
ou de celui de l’Ouest».
Au terme de leur visite, les dirigeants
Dimanche 11 mai
de l’AIEA, notamment le directeur Hans
Blix,
ce
suédois
que
l’on
Après moult démarches, j’ai enfin la
retrouvera en pointe sur la question
possibilité de me rendre en Ukraine,
des armes de destruction massive,
avec
lors de la guerre américaine en Irak
correspondants
dix-sept ans plus tard, et l’américain
jours après l’explosion.
Rosen, tiennent une conférence de
Sur le vol Moscou/Kiev, les journalistes
presse ; ils confirment les informations
sont
données trois jours plus tôt par la
quelqu’un propose de désigner celui
commission
qui sortira le premier de l’avion.
gouvernementale
sur
un
groupe
tendus
étrangers.
;
ils
Quinze
plaisantent
secrétaire du parti, Grigori Revenko,
d’évacuation, les premiers soins, le
nous «briefe». Il parle d’un taux de
nombre d’irradiés (204), l’état du
radiation en ville « de 0,32 millirems/
réacteur, le bétonnage en cours. Le
heure», nullement dangereux, dit-il ;
ton est rassurant.
selon lui, un patient lors d’une radio un
le
;
À
«envisage
verte,
de
taux de radioactivité, les conditions
Rosen
ville
dizaine
les circonstances de l’accident, le
L’américain
Kiev,
d’une
premier
chez un dentiste subit une radiation
repeuplement à bref délai de la zone à
trois fois plus forte.
présent contaminée».
Il annonce: « La santé des personnes
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qui ont subi des irradiations tend
On
à s’améliorer mais leur traitement
baptisée « La pelouse des bois»,
va prendre du temps»; le contrôle
où réside le personnel qui continue
des
de
produits
alimentaires
serait
visite
la
faire
colonie
de
fonctionner
vacances
les
autres
«rigoureux». Sur place, les choses se
réacteurs, ceux aussi qui s’occupent
normaliseraient : «On envisage à plus
des transports ; je ne crois pas qu’il y
ou moins brefs délais un retour des
ait eu parmi eux ceux qu’on appellera
populations dans la zone aujourd’hui
les «liquidateurs». Tous ces gens sont
évacuée» (Humanité, 12/5).
suivis par une équipe médicale.
Lundi 12 mai
La population évacuée a été répartie dans les villages environnants, les
Dans
mon
reportage,
j’évoque
fermiers avec leur cheptel.
l’étrange atmosphère qui règne à Kiev,
L’administration
les
batteries
retrouve à Nimichaievo, dont le maire,
qui
lavent
de
les
camions-citernes
rues,
le
contrôle
de
Tchernobyl
se
Anatoli Amelkine (Humanité, 14/5).
dosimétrique effectué aux portes de la cité sur les véhicules qui entrent ou
Jeudi 15 mai
sortent. Je parle de notre rencontre avec
Je rédige un long reportage (Humanité
un
(santé,
du 16) sur la centrale comparée à un
agriculture, sciences, météo); il y
volcan qui crache ses radiations et
est question de «mini exode» des
que des commandos, au pas de course,
populations locales. Nos interlocuteurs
pour limiter le temps d’exposition,
récusent encore l’idée d’une erreur
tentent d’étouffer. Le vice président
humaine sur la centrale. On parle à
de
présent de 3 morts et de 204 irradiés.
inquiétude ; le ton ici est moins
aréopage
de
ministres
l’Académie
ne
cache
pas
son
propagandiste que celui des officiels Mardi 13 mai
de Kiev ou de Moscou. « Il peut y avoir de l’eau sous le bloc.
Nous
accédons
de
Comment va réagir le coeur du réacteur ?
Nimichaievo, district de Borodianski, à
Va-t-on réussir à le maintenir dans
la limite de la zone interdite, à trente
cet état ou va-t-il s’engouffrer dans
kilomètres, au sud, de Tchernobyl.
la terre ? Personne nulle part au
Impossible centrale.
au
d’approcher
village
plus
de
la
monde n’a jamais vu une situation aussi complexe. Il est nécessaire de
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donner un diagnostic juste et de ne
deux victimes du premier jour.
faire aucune faute d’appréciation». Il parle de l’évacuation, du relogement,
Lundi 19 mai
et plus généralement de la lutte contre le réacteur comme d’une opération
La presse parle de la place prise par les
militaire.
militaires, largement sollicités autour
La question, récurrente, revient:
de la centrale ; des premiers retours,
« L’accident est intervenu samedi à
provisoires, de quelques habitants.
l’aube. Pourquoi ne l’avoir annoncé que lundi soir?»
Jeudi 29 mai
Selon lui, le retard est imputé à des divergences sur la nature de l’accident,
Dans un long commentaire sur les
la peur de paniquer l’opinion».
retombées de Tchernobyl en matière d’information, je note : « Les autorités
Dimanche 18 mai
locales, par souci d’apaisement ou par incompétence, ont tardé à avertir le
Dans
une
sorte
d’autocritique,
La
centre ; celui-ci se demanda comment
Pravda évoque le retard mis à informer
informer sans paniquer».
sur l’explosion : « Les premiers jours
J’ajoute: « Les dix premiers jours,
du drame, l’émotion des gens provenait
radios, télé, presse n’ont pas fourni
de
le
le moindre reportage ou commentaire.
retard de l’information sur la situation
Tout s’est passé comme si les autorités
réelle à Tchernobyl. Voilà qui sera une
se
leçon et pas seulement pour nous
mêmes ne faisaient guère confiance à
journalistes : il faut faire confiance
l’opinion».
aux gens, aux Soviétiques qui en ces
À propos de cette «censure» puis de
jours difficiles ont fait preuve de
l’adaptation progressive du pouvoir et
courage et de calme ».
de l’évolution des médias, je propose
l’incertitude
provoquée
par
défiaient
des
médias
qui
eux-
cette conclusion : « Le paradoxe n’est Un spécialiste américain de passage
qu’apparent:
en Ukraine commence à modifier à la
le droit à l’information a marqué un
hausse les conséquences humaines de
point en URSS».
la crise ; il estime que 92 000 riverains
Les
devront être «surveillés pour le reste
à s’entrouvrir ; a été battue une
de leur vie» ; 35 ont été très exposés,
conception
onze irradiés sont morts, outre les
propagande où «le ton était à la
PAGE_49
médias
dans
en de
cette
effet
affaire,
commencent
l’information
-
mobilisation, le style déclamatoire et le genre euphorisant». (L’Humanité du 29/5). De fait l’explosion de Tchernobyl va ébranler tout l’édifice soviétique. Et
l’ouverture
médiatique,
ou
démocratique
plus
exactement,
appelée
«glasnost» (transparence), qu’elle va entraîner sera un des détonateurs de la «perestroïka» gorbatchévienne. On connaît la suite.
PAGE_50
Tchernoziom
Ossip MANDELSTAM - photos : Eric SAULNIER
PAGE_52
Trop vénérée, trop noire, de soins toute gâtée,
Toute en garrots velus, toute d’air et d’égards,
S’effritant tout entière et formant un choral,
Mottes humides de ma terre et de ma liberté !
Dans les premiers labours, noire jusqu’à l’indigo,
Et le travail dÊsarmÊ prend en elle naissance :
Collines par milliers dans les labours des mots
Comme s’il existait un cercle sans circonfÊrence.
Terre pourtant, tête de hache, égarement –
Même à qui se jette à ses pieds, toujours rebelle,
Flûte qui rabote l’oreille en son pourrissement,
Clarinette matinale figeant l’ouïe sous le gel.
Et comme elle se tait, la terre retournĂŠe en avril,
Et comme elle est grasse sur le soc, et jouissance !
Eh bien ! je te salue, Tchernoziom aux grands yeux, sol viril,
Noir langage en labeur du silence !
Le
dernier jour Olivier THIRION
C
’était une froide journée de novembre. Les nuages en fusion semblaient vouloir couvrir le monde d’une cloche grise et cacher le soleil pour les mille années à suivre. L’humidité envahissait tout. Le sol était brillant,
les cols des manteaux étaient relevés, les hommes portaient des casquettes et les femmes des parapluies. La chaleur avait quitté le monde. Le vent du nord s’engouffrait entre les maisons tristes et secouait les quelques cerisiers aux branches largement dégarnies, par-delà, il soulevait les tas de leurs feuilles que personne ne songeait à balayer. De grandes flaques occupaient les nids de poule de la rue mal entretenue. Les herbes jaunes des jardins, mêlées aux touffes éparses de chardons et aux restes frileux de rosiers où survivaient, sur les branches les plus hautes, de valeureuses rescapées aux coupes de l’été, courbaient, telles de frêles esquifs, leurs têtes sous la pluie qui redoublait. La pluie envahissait la vision et l’air semblait vibrer sous les hallebardes. L’homme s’arrêta un instant, sortit les mains de ses poches et frissonna. Il vivait ici depuis des années et pourtant ne s’habituait pas au climat. Oublieux de la précédente, chaque saison lui paraissait toujours plus pourrie. Il glissa un doigt dans son col. L’eau s’était infiltrée malgré l’écharpe et il se sentait humide de l’intérieur. Il était près de dix-sept heures. Sa casquette était détrempée. Quelle absurdité de porter une casquette là où un solide anorak aurait fait l’affaire. Et puis ce manteau de laine, éponge lourde et froide. Mais l’homme avait le sens de la dignité et un anorak n’aurait pas été porteur d’une dignité suffisante. La dignité dépend de détails infimes. Ici, les gens étaient sensibles à la dignité et apportaient une grande importance aux détails. Et puis, de toute façon il y a bien longtemps que l’on ne trouvait plus d’anorak, sauf peut-être à la ville, mais personne ici ne s’aventurait plus vers la ville.
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D’un
geste
rageur
il
tordit
sa
le ravitaillement en vivres...
casquette. Il jeta un regard furtif autour de lui pour voir une vieille
Traversant la rue il mit les pieds dans
disparaître derrière ses rideaux de
un creux rempli de boue blanche et
molesquine. La boue blanche recouvrait
s’y enfonça jusqu’aux chevilles... Il
ses chaussures de cuir noir. Avec un
jura en sentant la boue pénétrer ses
soupir il reprit sa route vers le bas du
chaussures. Il poursuivit sa marche en
village.
toussant. Il entendait le chuintement
C’était, comme on disait ici, un village
de ses chaussettes mouillées dans le
rue. Toutes les maisons se distribuaient
cuir rêche. Il se retrouva entouré de
le long de la route départementale.
feuilles qui s’élevaient en tourbillons
De larges trottoirs, témoins d’anciens
et le recouvraient tout entier.
terre-pleins où l’on entretenait des tas de fumier, bordaient la route et
Un vieillard, drapé dans une couverture
permettaient aux piétons, à condition
jaunâtre et sale, un antique béret
qu’ils marchent le long des murs gris,
vissé sur une tête chauve, lui barra le
d’échapper aux éclaboussures infligées
chemin.
par les rares véhicules militaires qui
« Hé là, jeune homme, si tu veux des
traversaient le village sans jamais s’y
œufs c’est trop tard, la poule ne pond
arrêter. Néanmoins on prenait le risque
plus d’œufs, il faut tuer la poule et la
de passer sous une gouttière et d’être
bouffer, ouais, faut la bouffer… ».
tout autant trempé. Il
s’éloigna,
laissant
le
vieux
Il passa devant l’école mairie. De
déblatérer sur les poules, ses deux
fait, l’école était fermée et la mairie
yeux morts cherchant vers l’intérieur
ouverte une fois par semaine. A quoi
on ne sait quelle image à jamais
bon une école quand tous les enfants
enfouie.
étaient partis ? L’édifice avait besoin d’être repeint. La rigueur de l’hiver
Il fut content d’atteindre la guérite du
détériorait
l’humidité
cimetière. Il faisait un peu plus chaud,
dissolvait le crépi. Il hocha la tête
la
on était à l’abri, les murs offraient une
sachant que les gens d’ici avaient
protection contre le vent et le toit de
renoncé
tôle protégeait de la pluie.
depuis
peinture,
bien
longtemps
à
entretenir quoi que ce soit face aux éléments. Et puis pourquoi dépenser
Une foutue douleur aiguë, lancinante
en peinture quand on réduisait même
commençait à lui broyer la tête.
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Il savait qu’il ne tiendrait plus très
on devinait une poitrine proéminente
longtemps.
jeune,
et des cuisses larges et lourdes.
pourtant il aurait pu avoir mille ans, le
Il
était
encore
Deux petits yeux bleus, des joues
poids de ces quelques années d’enfer,
tombantes et quelques mèches grises
le poids terrible du ressentiment et de
apparaissaient sous son fichu. On
la culpabilité.
voyait la sueur ruisseler malgré le vent. De grosses gouttes se mêlant à la pluie
Debout dans la guérite, il écoutait le
et tachant le col de sa robe.
bruit de la pluie sur les tôles. De là, il pouvait voir en contrebas la vallée
En le voyant sous la guérite, elle cracha
inondée d’où émergeaient quelques
par terre et, tout en poussant de plus
bosquets de pins et le toit de plusieurs
belle sa brouette, fit un écart sur le
fermes. Plus loin, le paysage gris
chemin et disparut derrière le rideau
rejoignait brutalement le ciel chargé
de pluie.
de nuages. Il se mit à trembler, la fièvre revenait. Au-delà du bruit lancinant de la pluie,
Il était là, étranger aux gens et
nul cri d’animal, pas un oiseau si ce
aux
n’est de temps à autre un corbeau.
attendant la mort comme eux tous. Le
Presque tous les habitants étaient
pays était en train de le réduire en une
des vieux qui tentaient de survivre
servitude humide.
en raclant une terre inepte et en ne
Il se sentait malade et seul. Sa femme
récoltant que l’amertume et la mort
n’avait
lente.
avaient disparu. Il avait peur.
La cloche de l’église sonna à l’autre
Tout était difficile sous la pluie.
choses.
pas
Etranger
survécu,
à
lui-même,
ses
enfants
bout de la rue. Il imagina la cohorte des vieilles, rabougries sous leurs
Il fit un mouvement vers l’entrée du
manteaux noirs défraîchis, ouvrant
cimetière. Sa tête était douloureuse
leurs parapluies troués, face au vent
et il dut faire un effort pour pousser
et s’en retournant en procession vers
la grille.
leur misère. Il
remonta
à
grand-peine
l’allée
Il vit alors s’approcher une forte et
centrale. Le cimetière était vide, les
puissante femme qui poussait une
tombes abandonnées. L’eau coulait en
brouette vide. Sous sa robe épaisse,
multiples ruisseaux entre les stèles
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aux
pierres
défaites.
Les
herbes
on l’avait apprivoisée. Certes beaucoup
folles, la mousse et la boue avaient
de gens mouraient, de plus en plus en
tout envahi.
fait, mais on s’était convaincu que la mort ne venait pas des morts. Alors les
Aucune
force
contraint
les
au
monde
gens
à
n’aurait
venir
ici.
vieux rites avaient repris le dessus, les
enterrements
avaient
repris,
entraînant une foule de plus en plus C’est pour cela qu’il y venait.
maigre de l’Eglise au cimetière. Le curé assurait avec constance sa tâche,
Il toussa, une douleur lancinante lui
rassurant les vivants, assurant aux
martelait le crâne. Il passa devant
morts la paix du ciel. Et puis un jour,
plusieurs tombes nouvelles. La terre
on avait mené le curé lui-même à sa
était
ne
dernière demeure. Depuis, on n’était
prenait plus la peine d’y apposer
plus trop regardant sur le cérémonial.
une croix ou un nom, on se pressait
On se débrouillait.
fraîchement
remuée.
On
d’enterrer le mort puis l’on rentrait chez soi pour se mettre à l’abri. Pour
Au début, on pensait que c’était
gagner
trous
une maladie, que celui qui souffrait
attendaient leurs futurs locataires.
mourrait aussitôt. On ne savait pas
du
temps,
plusieurs
que c’était une chose qui s’insinuait Il hocha la tête, cherchant du regard
dans la terre puis dans les os et qui
l’endroit où, quelques semaines plus
lentement nous envahissait jusqu’à
tôt, on avait enterré sa femme. Ayant
la fin où tout le corps, brûlé de
repéré le petit tas de terre, près
l’intérieur, s’effondrait sur lui-même.
du mur de clôture, il hocha la tête, renifla bruyamment, sentit comme un
C’était
pincement au creux de sa poitrine puis,
pluie l’entraîna au plus profond du
comme
une
poussière…
La
reprenant son masque flegmatique, il
sol. Là, elle s’installa puis ressortit,
enfonça ses mains au plus profond de
tranquillement, dans l’eau bue, dans
ses poches et se traîna vers la sortie.
les plantes qui poussaient, elle entra dans la chaîne alimentaire et tout fut
Au début, les gens avaient peur de
empoisonné.
leurs morts, alors on les enterrait à la va-vite, dans une fosse éloignée du
Les gens étaient effrayés au début,
village, ou on les brûlait.
effrayés de ne rien voir, de ne rien
Petit à petit, la peur s’était distendue,
sentir, de se retrouver malades et puis
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de mourir.
du plastique brûlé à la chair calcinée. Une odeur qui devait vite devenir
Il aurait fallu ne pas manger de pommes
l’odeur du village. Imprégnant tout,
de terre, ne pas manger de salade…
recouvrant
Il aurait fallu ne plus travailler la
la
terre… Il aurait fallu nettoyer les
campagnardes.
bûches avant de les brûler. Il aurait
Les lueurs persistaient et l’on ne voyait
fallu fermer les puits, ne pas manger
pas le soleil.
le poisson pêché dans la rivière…
Ils
toute
quotidienneté
écoutèrent
la
la
familiarité,
des
radio
senteurs
mais
des
parasites couvraient toute émission. Il remonta la rue principale lentement.
La télé ne fonctionnait plus.
La pluie redoublait.
Un peu plus tard, il se mit à pleuvoir… De grosses gouttes noires, porteuses
Lundi prochain cela ferait un an que
d’une épaisse suie qui, très vite,
tout avait commencé :
couvrit tout.
Il dormait auprès de sa femme, au
La rivière se mit à charrier des cadavres
premier étage de cette vieille ferme
d’animaux, des vaches, des chevaux…
retapée.
puis des cadavres d’hommes, et puis
Au milieu de la nuit, il y eut un bruit.
des voitures, des poussettes, des
Une
arbres…
sorte
de
sourd
grondement.
Regardant par la fenêtre, ils virent, à
Et puis l’eau devint grise, puis jaune,
l’horizon, une lueur pareille à l’aurore.
enfin noire.
Les nuages reflétaient des taches
Plus tard des tonnes de poissons morts
rouges, jaunes et mauves.
s’échouèrent sur les rives.
La terre se mit à trembler. C’était comme un orage, les échos
La pluie ne cessa plus…
du tonnerre se répercutaient sans vouloir cesser.
Vers midi on vit passer le maire dans
Le lendemain matin, l’horizon portait
son automobile.
de lourds nuages noirs et la terre
« Alors ? Que se passe-il ?
tremblait toujours.
Personne
Au loin, on entendait l’orage qui
nouvelles ».
ne
sait,
je
pars
aux
tournait. Le vent se leva et porta une odeur où se
Il fit un signe de la main, démarra,
mêlait une infinité de nuances âcres,
prit la route de la ville… personne ne
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le revit.
y invitent, restez chez vous, attendez les consignes ».
Il
s’était
passé
quelque
chose,
quelque chose que l’on n’avait jamais osé
imaginer,
quelque
chose
Puis ils disparurent dans le fracas de leurs engins.
que
depuis ce jour personne n’a osé ou
Deux jours plus tard, les plus jeunes
réussi à formuler.
du village, les plus forts passèrent fièrement devant les vieux qui étaient
La vie était là, les oiseaux chantaient,
rassemblés sur la place :
l’eau
« On va voir ».
était
limpide,
les
bourdons
tournaient dans les pommiers en fleur,
Une heure plus tard, on entendit une
les filles cherchaient des amants et
fusillade de l’autre côté de la colline.
les hommes regardaient leurs jambes
Une heure passa encore et l’on vit
fines.
revenir les jeunes portant les cadavres de deux des leurs.
Il s’était passé quelque chose et les
Un vieux haussa les épaules :
gens avaient commencé à mourir.
« Les soldats… »
Ce qui s’était passé n’entrait pas dans
Ils furent les premiers à mourir.
la conscience. Il y avait avant et puis
Plus personne ne tenta de partir.
l’enfer. Quelque chose de totalement inconnu était venu détruire le monde
« Cela a eu lieu. »
antérieur, s’était glissé dans les corps et avait commencé à les ronger.
Il arriva devant chez lui. De grandes flaques d’eau faisaient
Quelques jours avaient passé puis les
comme
militaires étaient arrivés.
château
des
douves
Ils étaient venus en colonnes dans
qui avait été la cuisine. Seule pièce
leurs véhicules blindés.
équipée d’un poêle, elle gardait un
hanté.
Il
autour vivait
de dans
son ce
peu de la chaleur d’autrefois. Ils avaient traversé le village, de gros haut-parleurs diffusaient des conseils
Nul chien pour l’accueillir, nul chat
et des appels au calme. Et puis surtout
pour sauter sur ses genoux, une table,
une consigne :
un lit, deux chaises.
« En aucun cas vous ne devez quitter le
Il raviva le feu, étendit ses affaires
village avant que les autorités ne vous
détrempées sur la chaise la plus proche
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de l’entrée, mit une casserole d’eau à chauffer et s’étendit sur le lit.
ensemble, ils tombèrent les uns après les autres, ils s’éteignirent.
Un an. Parfois il perdait tout repère
La seule révolte visible fut le suicide
dans
de plusieurs villageois.
le
temps.
Les
souvenirs
se
mêlaient. Ce
soir-là,
il
s’endormit
vite,
Les militaires n’étaient pas revenus,
recroquevillé dans un manteau sec, il
parfois un hélicoptère survolait le
ne rêva pas.
village, parfois un véhicule blindé traversait le village à vive allure,
Un peu plus tôt, à la tombée de la nuit,
sans s’y arrêter. Personne n’y prêtait
deux compagnies de soldats s’étaient
attention.
mises en route. Elles progressèrent pendant deux heures sans rencontrer
Quand il y réfléchissait, il se disait
âme qui vive. Les hommes étaient
que le plus bizarre était que personne
disséminés en deux colonnes de chaque
ne semblât s’étonner de la nouvelle
côté de la route. Les soldats avaient
situation.
chaud dans leurs lourdes tenues de combat. Les soldats avaient peur. La
Plus
l’extérieur,
pluie n’apportant pas la fraîcheur, la
plus de radio, plus de téléphone,
de
contact
avec
sueur et la poussière se mêlaient sur
impossible de partir du village, la mort
leurs visages et sur leurs armes.
qui rodait, la pluie, les odeurs, et pourtant les habitants firent comme si
A l’orée de la forêt, l’officier leva sa
de rien n’était.
main,
Ils travaillaient dans leurs champs,
Il consulta une carte, puis indiquant
du moins jusqu’à ce que leurs champs
le
soient inondés. On aurait cru qu’ils
contrebas il dit, doucement « vous
s’obstinaient à vivre.
avez vos ordres, alors en route ».
Les plus lucides, les plus fous tentèrent
Les soldats constituèrent une ligne et
de partir. On n’en revit aucun. Etaient-
reprirent leur progression.
ils parvenus à passer ? Impossible de
On aurait dit une bande de chasseurs
le savoir.
partant à la battue.
Et puis les enfants moururent, très vite,
Ils pénétrèrent dans le village par
dès les premières semaines, presque
le
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les
village
Nord
soldats que
s’immobilisèrent.
l’on
entrant
apercevait
dans
toutes
en
les
maisons. La violence fut inutile. Les
par le froid, souhaitant l’humidité,
vieux dormaient, malades, fatigués,
au-delà de toute colère, suspendu
soumis.
dans un irréel, à la fois abstrait et
Formes silencieuses, systématiquement ils
fouillèrent
chaque
recoin.
prégnant.
On
emporta les vieux, on embarqua les
Ses larmes se mêlaient à la pluie.
bêtes. On évacuait, on transférait, personne n’était en état de résister.
Au matin, il se mit en marche.
Il fut réveillé par le vêlement des
Dès qu’il franchit l’orée de la forêt,
vaches. Il sut tout de suite ce qui se
le bruit de la pluie s’atténua, cela
passait, il avait toujours su que cela
sentait la mousse, le bois humide, la
finirait ainsi. Il enfila ses chaussures,
décomposition.
son manteau, mit sa casquette encore
Mais aucun chant d’oiseau, seul le
humide,
bruit de succion de ses pas dans la
sortit
par
la
fenêtre
de
derrière et s’enfuit par le jardin.
terre imbibée venait troubler le repos des arbres qui mouraient.
De l’autre côté du village, les incendies
Il respira à fond. Cela déclencha une
commençaient.
toux inextinguible qui dégénéra en un flot rauque et purulent. Il se plia
Il passa par-dessus plusieurs murs,
en deux tant la douleur était forte et
remonta
vomit du sang.
la
colline
au
milieu
des
vergers La douleur réapparut dans son univers, D’instinct,
il
perçut
son
immense
n’avait-elle jamais disparu d’ailleurs ?
solitude. Il reprit sa progression, à moitié En
fait
il
avait
toujours
su
qu’il
courbé, d’arbre en arbre, toussant
resterait seul.
toujours.
Assis sous un arbre, il regarda le
Au sommet de la colline, il déboucha
village qui brûlait dans la nuit.
sur ce qui avait été une vaste prairie
Sur la route du nord, les camions qui
et n’était plus maintenant qu’une
étaient venus charger leur cargaison
sorte de terrain vague boueux.
d’âmes malades repartaient. Ils étaient là, en contrebas, il les Il attendit le matin se laissant envahir
entendit avant de les voir, il les sentit
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avant qu’ils ne le voient. Aussi, quand ils le mirent en joue, il eut le temps de sourire avant qu’une balle entre les yeux n’achève ce récit.
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Les
visages dans le nuage NIGUEB
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Tchernobyl
mon amour
Dialogue avec Chantal MONTELLIER
à propos de son dernier album, et de quelques autres choses. Dessins extraits des planches originales de la BD «Tchernobyl mon amour» de Chantal MONTELLIER avec l’autorisation de l’auteur.
C’était le soir de France-Brésil, à Ivry chez Chantal. Après un bon repas, assis sur le balcon avec dans l’axe la télé ouverte sans le son et la clameur de la cité à chaque but ! Magnéto en route... Tchernobyl mon amour, quel lien fais-tu avec le livre de Marguerite Duras et avec le film d’Alain Resnais ? Peu de lien, surtout qu’il est plus question d’amour que d’Hiroshima dans le roman de Duras. Reste le titre lui-même qui est une façon de dire aux lecteurs : « Vous ne le savez pas, mais Tchernobyl = Hiroshima ». Pourquoi cet album ? S’agit-il d’une opportunité « célébrative » ou d’une histoire que tu avais en toi et qui est sortie à cette occasion ? Il y a eu commande d’Actes Sud (BD). Plus précisément de Michel Parfenov qui codirige la collection avec Thomas Gabison. Michel avait beaucoup apprécié le travail fait chez Denoël Graphic, concernant l’affaire ReyMaupin et publié en album sous le titre « les Damnés de Nanterre ». Est-ce que ça veut dire que Tchernobyl est pour toi un sujet comme un autre ? Oui et non. Oui parce que la procédure a été la même que pour « Les Damnés d¹une petite
de fiction
Nanterre » ayant
journaliste
:
pour
que
recherche principale
l’on
trouve
«
documentaire héroïne
dans
»,
l’album
et Chris
publié
construction Winckler, par
la
Denoël.
Non, parce que le sujet abordé est considérable : la plus grande catastrophe technologique de l’histoire de l’humanité. C’est autre chose que la dérive gauchiste de deux jeunes gens, même si elle s’était soldée par des morts. Là, les victimes sont innombrables et continuent, 20 ans plus tard, à mourir.
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Quel âge avais-tu à l’époque ? 20 ans de moins ! Peux-tu me dire quels sont tes souvenirs ? Comment as-tu réagi sur le moment ? J’ai peu de souvenirs. J’étais moi-même dans un « Tchernobyl » personnel. Je luttais pour ma survie. Mais je me souviens tout de même avoir été étonnée par la façon dont les médias et notamment la télévision ont parlé de cet accident. L’histoire du nuage radioactif qui s’arrête à la frontière m’avait semblé assez énorme. Je m’attendais à ce qu’il y ait des réactions, que les gens bougent, mais rien ou presque. Quand aux conséquences sur la vie et la santé des populations, j’en étais restée à la quarantaine de décès officiellement reconnus. J’ai découvert avec stupeur que 800 000 hommes, appelés des « liquidateurs » avaient été jetés contre la centrale en feu. Beaucoup sont morts, d’autres malades. Et il n’y a pas qu’eux. Aujourd’hui que reste-t-il de Tchernobyl ? Beaucoup de choses. Des témoignages édifiants, comme ceux recueillis par Svetlana Alexievitch dans son livre « La Supplication », que tout le monde devrait lire. Le travail de gens comme Wladimir Tchertkoff, avec son admirable film sur les liquidateurs et son livre «Le crime de Tchernobyl » publié lui aussi chez Actes Sud. Il reste un sarcophage qui menace ruine et des matériaux radioactifs dans le quatrième réacteur explosé. On ne sait trop ce que ça devient, mais le danger d’une autre explosion ne semble pas totalement exclu. Il reste un pays blessé, la Bielo Russie, qui a reçu des doses de radiations considérables. Il reste des enfants souffrant de cancer de la thyroïde. Il reste un savant en exil, le professeur Bandajevsky, persécuté par le pouvoir pour avoir rendu publiques ses recherches sur le césium 137. Il reste encore beaucoup de choses à éclaircir, notamment au niveau de certains responsables qui ont minimisé les risques de contamination, comme par exemple, en France, le professeur Pellerin. Il reste à se poser bien des questions sur une « démocratie » ou les citoyens sont traités comme des enfants idiots. Il reste des prises de conscience et des gens que Tchernobyl a réveillés quant aux risques de l’énergie nucléaire. Acte sud ? C’est une rencontre ? Raconte. C’est une rencontre avec Michel Parfenov, lors du festival d’Angoulême, il y a
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trois ans. Nous avons été mis en contact par l’éditeur de Cococino press, Igor Tuvéri, qui a republié certaines de mes histoires, la période Métal Hurlant. Igor crée aussi des BD sous le nom d’Igort. Michel et moi avons sympathisé et nous nous sommes découvert des expériences et une culture politique communes. Comment as-tu travaillé ? Comme une journaliste ? Comme un écrivain ? Quelle est la part de l’imaginaire dans le documentaire ? Quelle est ta thèse si l’on peut parler de thèse? « Journaliste », le mot est fort, mais j’ai, comme pour les Damnés de Nanterre, fait une recherche de ce que la presse avait publié sur ce drame. Par ailleurs, j’ai pu bénéficier, via Michel Parfenov, du savoir considérable de Wladimir Tchertkoff sur ce sujet, qu’il étudie depuis vingt ans. Parfenov supervisait la fabrication des 2 livres en même temps, ce qui lui a demandé un travail énorme. Mais Michel est un vrai éditeur, un passionné, qui n’hésite pas à s’investir personnellement dans le travail de création et à y mettre beaucoup de son énergie. Je dois dire que c’est la première fois que je rencontre cela, surtout à ce point-là. Je lui suis très reconnaissante de l’aide qu’il m’a apportée. Idem pour Thomas Gabison, qui m’a aidée à faire les couleurs. J’ai aussi beaucoup exploré Internet où il y a beaucoup de choses et notamment des reportages photographiques dont je me suis inspirée au moment de la réalisation de la bande. Pour ce qui est de l’imaginaire, il est nécessaire à toute oeuvre qui n’est pas simplement documentaire. Le réel, le symbolique, et l’imaginaire, sont pour moi indissociables. Sans une dose de « réel » une création ne me semble pas crédible. Sans imaginaire, elle m’ennuie. C’est parfaitement documenté et le réel est un pont pour entrer dans ton univers. Tu es d’accord sur cette analyse ? Mon imaginaire est aussi, je l’espère, un pont pour entrer dans le réel. Quoique le réel de Tchernobyl semble parfois être de la fiction. D’ailleurs beaucoup de gens ont pris le livre de Svetlana Alexievitch pour un roman, alors qu’il est un document. J’ai l’impression que Tchernobyl est presque un prétexte. Non, pas du tout. Tchernobyl fut pour moi une découverte, celle d’une réalité effarante, totalement masquée par les médias.
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Au-delà de l’accident on y retrouve une sorte de «théorie du complot» qui se balade à travers tes BD prétexte à l’expression d’un univers paranoïaque. Est-ce que cette parano est la tienne ? Quelle est l’angoisse qui est derrière tes images ?
Je n’illustre aucune « théorie du complot ». Je ne crois pas au complot permanent des pouvoirs. Il y a juste des dominants qui se serrent les coudes, des intérêts et des mentalités qui convergent, et une armée de larbins aux ordres, comme celui qui présentait la météo au moment où le nuage radioactif survolait la France dans la réalité et s’arrêtait à la frontière dans la fiction présentée par la télévision. Cela peut ressembler à un complot à l’arrivée, en effet.
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De la même façon on peut penser que dans Tcherno et dans les Damnés de Nanterre c’est le même ORDRE que tu dénonces ? (Ponia-Staline
même
combat
ou
plus
exactement ordre libéral/ordre socialiste même recette?) Non, pas même combat, mais parfois même art du mensonge et même mépris des gens, de leur vie, de leur souffrance, de leur liberté. Ceci dit, ce n’était pas Staline qui était au pouvoir au moment de Tchernobyl, mais Mickaël Gorbatchev et la charmante Raïssa. Il n’empêche que pour eux, rien de grave ne s’était produit à « l’Armoise Noire », juste un petit incendie très rapidement éteint. Ne pas affoler les populations, d’accord, mais prendre les gens pour des débiles, c’est autre chose. Tes deux dernières BD s¹inscrivent dans le réel (plus exactement dans l’événementiel) C’est nouveau dans ton parcours. Peux-tu expliquer ce tournant ? Est-ce une rupture ? Non, ce n’est pas nouveau du tout. J’ai commencé ma de
avec
première la
non
le
dessin
bande
de
presse
dessinée
application
de
la
et
traitait loi
Veil
dans les hôpitaux. J’ai continué avec les bavures policières (la série Andy Gang). «Odile et les crocodiles» m’a été inspiré par
une histoire de
viol (celui de MARIE MARION) dont le traitement par la justice avait fait scandale et avait mobilisé les féministes. J’ai aussi travaillé, pour un tome de la série Julie Bristol, sur l’histoire du Japonais cannibale qui avait tué et mangé une étudiante hollandaise, mais avait été déclaré sain d’esprit par les psychiatres français. Ils avaient conclu à un «désordre passager de la personnalité» et l’avaient presque immédiatement relâché. Enfin, j’ai publié chez Dargaud, un roman-BD inspiré par l’affaire du sang contaminé. Entre autres choses.
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Dans le sujet on retrouve la Montellier de Shelter etc. (jusque dans les autocitations) Pourtant j’ai beaucoup changé. Personnellement je ne m’y retrouve guère et je dirais, heureusement. Quant aux autocitations, elles sont surtout graphiques. Est-ce
que
liberté
créatrice
Je
n’avais
mais la
elle
tes pas
nouveaux que
souffrait
faiblesse
des
tu
vraiment
éditeurs
avais
perdue
perdu
beaucoup.
avances
sur
t’ont
ma
(entre
liberté
Aujourd’hui droits
permis
et
la
de
autres créatrice
je
souffre
coupure
retrouver chez
Dargaud) ?
chez
Dargaud,
d’autre
d’avec
une
un
chose
:
certain
public qui a abandonné la bande dessinée car elle l’a souvent déçu. C’est un avis personnel, mais j’ai vécu tes deux dernières B.D. comme un réveil... As-tu le sentiment d’être passée par une crise créatrice ? Non, je ne suis pas passée par une crise créatrice, j’ai été mise « en dehors de la horde », ( je cite Jean-Paul Mougin, ex-responsable de la revue (A Suivre). On peut même dire que j’ai été ostracisée assez violemment. Au moment de la sortie du premier album de Julie Bristol, par exemple, alors que l’accueil par la presse et le public était plus qu’excellent, je n’ai pas été invitée à Angoulême, car, dixit le même Mougin (qui par ailleurs me publiait, on admirera la cohérence) : « On invite pas les Staliniens » ! Cela parce que je me disais, surtout par provocation, proche du PCF. Je crois que le tandem Jean-Pierre Thévenet et Edouard Leclerc, ne m’a guère été favorable. Et pas seulement eux. La bande dessinée, ses éditeurs et ses institutions sont globalement aux mains d’une certaine droite et d’une fausse gauche bourgeoises, qui ne brillent ni par leur progressisme ni par leur féminisme. Ni même par leur intelligence. Tes BD sont toujours violentes, quelle est la part du sexe dans tes histoires? Euh ? Le sexe ? Pas dans Andy Gang (trois albums), ni dans Julie Bristol (trois albums), ni dans Shelter, 1996, Wonder City ; ni dans Paris sur sang, ni dans Voyages au bout de la crise, ni dans La Toilette, le Sang de la Commune ; ni dans les Damnés de Nanterre ou Tchernobyl. Non, le sexe aurait même tendance à briller par son absence dans mes BD, à quelques albums près. Je ne vois d’ailleurs pas trop lesquels. Mais peut-être qu’étant une femme, je ramène du sexe, de l’autre sexe, dans le monde unisexe de la BD. D’où fantasmes ? En fait non, il y a tout de même un album où la sexualité est très présente, c’est «faux sanglant» (le second «Julie Bristol»). Honnêtement, je n’en vois pas d’autres.
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Par contre de la violence oui, beaucoup. Dans mes histoires, les femmes subissent de la violence, du sexisme et parfois se font violer (Odile dans « Odile et les crocodiles », Thérésa dans « Shelter »), mais on ne peut pas dire que je satisfasse les pulsions scopiques du lecteur, puisque le premier viol n’est pas représenté et le second seulement suggéré. Mais de la violence, oui, il y en a dans mes bandes, comme dans la vie où des jeunes filles sont victimes de tournantes, d’autres brûlées vives dans des locaux à poubelle ; où six femmes par mois tombent sous les coups de leur conjoint, (combien sous les coups d’étrangers ?) Une affaire d’Etat que l’Etat ignore pudiquement. Où l’on ouvre des bordels aux portes des stades. La femme, égout séminal de l’homme ? Parfois, on aimerait mieux être né chimpanzé, on aurait moins honte. La BD a, elle aussi, été en partie réquisitionnée pour satisfaire les pulsions scopiques et libidinales des pré et post pubères. C’est une forme de régulation qui fait le bonheur du tout mercantile. Mais n’estce pas une forme de prostitution symbolique ? Quand on sait que la revue de bandes dessinées féminines « Ah ! Nana » a été interdite au 9e numéro pour une pornographie qu’elle ne contenait pas, on se dit parfois que ce monde est aux mains des macs et de leurs vigiles, et il y a de quoi désespérer. Est-ce que pour toi dessiner est un acte violent ? La création difficile ? Dessiner si
je
fut
suis
longtemps
moins
dans
un le
acte
besoin
de de
libération cette
et
libération
le
reste,
même
aujourd’hui.
La
création m’est rendue difficile par tous les bâtons que l’on me met dans
les
roues.
Sans
cela
elle
ne
serait
que
plaisir
et
sublimation.
Dénonciation ? Edification ? Thérapie ? Que recherches-tu dans tes BD ? Je ne recherche pas, je trouve. Du plaisir. J’aime créer, depuis toujours. Le dessin est ma respiration. L’imaginaire mon ballon d’oxygène (même si j’y rencontre quelques caïmans et quelques monstres). Le réel, social surtout, m’afflige tellement ! Connais-tu les oeuvres de Joel Peter Witkin et Nebreda, deux photographes de l’extrême ? Non ils me sont inconnus. Je crois savoir qu’ils sont fascinés par les monstres. Il suffit de revisiter mon « oeuvre » pour découvrir que je suis, moi, fascinée par bien d’autres choses. Ceci dit, les monstres ne m’effraient pas
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et je ne les évacue pas, seule la bêtise me fait peur. Et puis comme il est dit dans le dictionnaire des symboles « là où est le monstre est le trésor ». Dans les contes de fée, le trésor est en effet gardé par une créature monstrueuse qui se transforme en prince charmant moyennant un baiser. Je crois que ce sont surtout la peur et la haine de l’autre qui engendrent le monstrueux. Tu as dans ton salon une reproduction de Bacon, cela me fait penser que tu as travaillé avec Pierre Charras sur l’album « La toilette » ... J’ai rencontré Pierre Charras en 1968, j’étais encore aux Beaux Arts, l’année du DNBA. J’étais très impressionnée par Bacon dont je recopiais les toiles à ma manière. La représentation du corps, la souffrance, la convulsion, l’isolement. (Ma mère souffrait d’une épilepsie incurable qui l’isolait et faisait d’elle un monstre pour les cons. Elle est tombée malade après un avortement qui ne s’est pas bien passé). Je retrouvais, chez Francis Bacon, une émotion semblable à celle que me procurait le spectacle des crises de ma mère. Bien sûr cela me rendait les toiles de ce peintre très familières et m’arrachait à ma solitude. Idem, devant les tableaux de Van Gogh, autre épileptique. Il me semblait que quelque chose d’indicible m’unissait à eux et à leurs oeuvres. Leur souffrance ainsi sublimée. Une chose que nous partagions en secret. Des émotions, des angoisses, des vertiges que nous étions seuls à connaître et ne pouvions transmettre à personne. Il y avait chez ces deux peintres un travail de dépassement et de sublimation de la souffrance physique, de la douleur qui me faisait du bien. Le fait qu’ils soient reconnus, me restituait quelque chose, nous faisions bien partie de la même humanité que les autres. Cette brûlure que je ressentais était perçue par d’autres. Que Pierre Charras soit, lui, perçu comme un « spécialiste de Bacon » m’amuse. Je renvoie le lecteur à son livre intitulé je crois « le ring de la douleur »: Un certain Francis ( !) visite l’exposition Bacon à Beaubourg, et que voit-il des oeuvres de ce peintre ? Rien. Le travail plastique, artistique, esthétique ? Pas un mot. Les modelés, les aplats ? Les harmonies colorées ? Le travail du dessin, les jeux formels et les perspectives ? Néant. Pierre Charras commence le livre en disant que les toiles de F.B. lui font le même effet qu’un rat crevé dans un égout ! Il ne voit que son propre pathos, c’est un peu court. Une dernière question : Ségolène Royal, ça t’inspire quelque chose? C’est qui ? Un nouveau jouet des médias ?
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Dialogue
avec
Michel Parfenov
Editeur chez Actes SUD
Autour des vingt ans de Tchernobyl, il y a essentiellement 2 ou 3 livres qui sont sortis chez ACTES SUD ? Surtout deux. Celui de Chantal (Chantal MONTELLIER : « Tchernobyl mon amour ») et celui de Tchertkoff (Wladimir TCHERTKOFF : « Le crime de Tchernobyl, le goulag nucléaire »). Il y avait un autre livre en route, « Atomic Park », (Jean-Philippe DESBORDES : « Atomic Park. À la recherche des victimes du nucléaire »), qui est beaucoup plus général. Il y a une partie sur Tchernobyl mais c’est beaucoup plus sur le problème du nucléaire. Comment ça s’est passé avec Chantal ? C’est vous qui l’avez sollicitée ? C’est quelqu’un que j’admirais depuis toujours. On s’est rencontrés, il y a trois ou quatre ans, à Angoulême grâce à un auteur italien, Igor, absolument formidable. Vous avez vu une adéquation entre le personnage et le sujet ? Ça m’a paru évident qu’il fallait qu’elle travaille sur le sujet. C’était l’auteur idéal pour cela. À tout point de vue. Son passé, son passé communiste, sa vision du monde, son souci écologique, la violence qu’elle porte. Elle a absorbé une quantité invraisemblable d’informations. Et la traduction graphique est superbe. C’est une belle réussite. Une des meilleures ventes d’Actes Sud BD. Et pour Tchertkoff, ça s’est passé comment ? Je connaissais ses films depuis longtemps. Je l’ai connu quand j’étais gamin. En voyant ses films (*), je me suis dit, c’est pas possible, quelqu’un qui a cette connaissance, cette approche, toute cette empathie avec ce qui s’est passé, son côté très militant, il faut absolument lui faire faire un livre ! Ça a été dur car il n’avait jamais écrit de livre. Il avait une angoisse terrible. En plus, une disproportion ; il voulait absolument tout mettre. On n’a peut-être pas eu assez de temps pour réduire la masse de ce qu’il voulait dire.
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Il vit en France ? En Suisse. Il est d’origine russe. Il est né en Yougoslavie et, à 20 ans, il est parti en Italie. Là, il travaillait à la RAI. Il a fait un très long film de commande sur les syndicats. Il a eu plein de problèmes. Quand le film a été fini, il y a eu des changements de gouvernement. Le film a été interdit. Il n’est passé que dans le circuit militant. Puis, il est parti en Suisse où il est devenu réalisateur. Et vous, vous êtes d’origine russe ? Oui, et très sensible évidemment à tout cela ! Mes parents sont venus en France après 17. J’y vais souvent. J’y ai des attaches sentimentales mais plus de famille. Quels sont vos souvenirs de Tchernobyl ? Moi, j’avais trouvé ça incroyable. C’était clair et net qu’il se passait quelque chose d’absolument énorme. C’était clair et net qu’ils étaient complètement dépassés. Et c’est à ce moment-là que le régime soviétique commençait à craquer. C’était fou quand on pense aujourd’hui à la richesse en pétrole qu’ils avaient ! Pourquoi ils se sont embarqués dans cette incroyable histoire du nucléaire ? Il y avait là une espèce de folie scientifique. Et puis, après, une négation totale de l’homme ! Oui, c’est une vieille tradition. Dans le passé, déjà, cette façon de sacrifier les gens. Pendant la retraite de Russie, face à Napoléon et à son artillerie, il y avait des vagues de soldats russes qui arrivaient, les unes après les autres, sur les canons. Ils se faisaient massacrer. Négation de l’individu. Ce sentiment qu’on peut demander le sacrifice. Et, en même temps, la capacité des Russes à se sacrifier. Quand il faut, ils le font.
• « Le sacrifice », un film de Emanuela Andreoli et Wladimir Tchertkoff sur les liquidateurs (sorti en 2003). • « Enfants de Tchernobyl » documentaire de Wladimir Tchertkoff (sorti en 2003).
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Ma
contribution GAMAY
Dans ce monde, dans cette vie dépourvue de sens Dans cette vie qui est à la fois unique et mortelle Dans cette cuisine, remplie de denrées grasses, sucrées et salées, caractérisée par la société de consommation. Dans cette vie destinée à servir la société, corps et âme contre une manne financière de plus en plus ténue. Dans cette servitude volontaire, qui nous lie au Dieu suprême le « CAC 40 » Dans cette nuisance que l’homme inflige à son environnement pour créer des emplois et de la croissance. Dans cette salle de bains, où l’eau est trop froide ou trop chaude, Dans ce poil de cul que je supporte plus dans ma bouche que sur ma savonnette Dans cette voiture, où le cendrier n’est jamais vidé. Dans cet univers que nous ignorons et qui a raison de nous ignorer. Dans cet autre qui est en nous. Dans cette foutue tartine qui tombe toujours du côté beurré. Dans cette bière à forte teneur en ferments
lactiques
et
de
levures
biologiques, favorisant l’incontinence diurétique
tout
en
augmentant
le
potentiel de flatulences matinales.
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Tout
a été dit Didier JACQUEMIN
Tout a été dit : univers zéro. Zombies nous ne voulions pas être, Après toutes ces guerres, tout ces combats, Peu à peu zombies nous devenons. Chaque jour, un peu plus, Devant nous l’abîme s’ouvre ; Attirance, attractivité morbide Nous poussent à nous jeter Dans la gueule béante de la facilité. Les eaux calmes sont devenues torrents ; Impétueux, violents, Nous sombrons dans le cloaque immonde De l’extase imbécile du jour sans lendemain. Univers zéro et que vive la conso ! Gavons-nous, buvons mes amis ; Mais demain que ferons-nous Quand notre planète sera devenue détritus ? Luttons, redevenons HOMME, Ne laissons pas sur le chemin Les exclus de la Terre : nous n’avons pas le droit ! Prouvons notre dignité ! Repartons, à nouveau, combattre L’injustice, le mépris : nous sommes tous Don Quichotte. Au point zéro il n’est pas trop tard Mais à moins un, nous sommes morts.
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ça y est donc ! quoi ??
Joe LABAT
L
e texte de loi sur la gestion des déchets radioactifs en couche géologique profonde a été voté par le parlement le 15 juin 2006 (666). Autant dire la loi d’engrossement de notre mère terre.
Nous devenons tous complices (malgré notre résistance active) du viol collectif techno-industriel de notre mère nature. L’humanité condamne le viol éthiquement et législativement. Je me fais du mauvais sang ! pour elle, car elle vient de voter par nos «politiques» inféodés à la lobbycratie et « propres sur eux » comme des nucléocrates, l’inceste et le viol en couche bien profonde (comme quoi le législatif…ment) de notre mère à tous ! Votre matrice originelle, pour quelle fécondité morbide va-t-elle subir cette grossesse « monstrueuse » à venir ? Le Léviathan techno-industriel a encore frappé ! Quelle représentation avons-nous encore de l’anthropologie du corps de la nature et de son ventre ? De son intimité ? Quel supplice l’humanité va lui affliger ? Pour quelle brûlure nucléoïde ? Je me fais du mauvais sang ! Pour elle ! « Dans le ventre de la terre, ils vont tout balancer, on ne peut tout balancer » chante et joue le groupe « alternatif », radicalement anti-nucléaire, les « stop bure brothers and sista » (54)
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Déjà, le
Jacques
Ellul
disaient ;
on
et a
Yvan
perdu
Illich
pouvoir et de ses intérêts « égotico
notre
carriéristes ».
perception du monde par les sens à
Echec encore une fois de l’éthique et
cause de l’overdose de rationalité
du pouvoir, par ces dominants, par
technicienne !
la marchandisation du sol de notre
On menace par l’ignorance ensorcelée
planète et de ses enjeux économico
de
guerriers.
notre
développement
techno-
industriel l’anthropologie de notre propre existence ! Prométhée
est
parvenus
de
« Malaise
réenchainé
par
les
disait
dans
Freud,
la
la
civilisation »
malaise
culturel
de
fondements
ses
biosphère que nous
par
sommes !
« suicidaire » et de
Et
tout
une
et
cela au nom de la
son
raison
déviant ».
scientifique
conduite
« conformisme
et du progrès.
Nous
Nous
planète et son (notre)
sommes
victimes
du
bluff
devenir.
technologique. L’homme faire
n’a
précarisons
la
Sortirons-
nous vivants de ce feu que
atomico chtonien, par
ses
cet
de
utérus
originel
nous
sommes
paradoxes puisqu’il
d’où
en est le maître ;
issus ?
il, elle signe pour
Sortirons-nous
l ’e n f o u i s s e m e n t
vivants
à Bure (le 6 août
catastrophisme,
1999)
disant « éclairé » ?
notre
ex-
vert
ou
ministre
de
ce soi-
verdâtre ? et vote contre ; confusion
Cette
loi
de la subjectivité de l’être quand il est
passée
comme
aux rênes du pouvoir, et confusion de
poste !» derrière le décor opiacé du
la démocratie.
mondial du foot.
Nous en
citoyens, otage
par
nous la
d’engrossement une
« lettre
est à
la
sommes
pris
Vive la liberté de conscience ! Et vive la
violence
des
manipulation des médias !
dysfonctionnements de l’être quand il
se
prend
au
jeu
atomique
du
Puisque nous participons allégrement
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(à nos dépens pour ceux qui sont contre) par cette loi votée du 15 juin 2006, de manière quasi consensuelle (avec à peine une trentaine de parlementaires dans l’hémicycle) à l’accélération de la menace tant naturelle (même si l’enfouissement est prévu pour 2025) que technique et politique par ce jeu de funambulisme de l’apprenti sorcier et de sa toute puissance ! Connaissez-vous
le
sophisme
de
l’amortissement ? Vous avez acheté un poste T V très cher, vous constatez que les programmes sont débiles, mais vous regardez quand même la T V… Vous avez investi 15 milliards et plus dans un « laboratoire », et vous ne voulez pas qu’il devienne obsolète, malgré votre questionnement sur les conditions « écologiques » de notre terre mère ; vous prenez alors « quelques mesures » pour son effet de serre, et vous décidez d’enfouir, de cacher vos rebuts nucléides, vos déchets, votre poubelle nucléaire, sous la carpette… Nous alternons d’un casse-tête (via la tête et le ciel) à un casse-pieds (via les pieds et nos racines). Ainsi va la modernité et son « alternative » ! « L’homme est le rêve d’une ombre ». L’homme se prend les pieds en transformant sa terre en poubelle plutoniumisée, et butte pour tituber et tomber la tête la première dans ses marmites bouillantes, ses citernes ensorcelées, ses bidons radioactifs, ses fûts explosifs, ses colis piégés, ses super cheminées chéries, ses supercheries nominées, ses combustibles non recyclables, ses cons de bustibles cyanogènes qui nous gênent. Nous « payons » notre filiation au siècle des lumières, par la religion du progrès, et la société positivisme comtienne ; nous participons, « complices » à cette désacralisation de la nature.
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« Soyez tendre avec la terre ! » nous dit le holy Dalaï Lama. Démocratie totalitaire, aucun référendum, Bure a été construit avant que la loi soit votée ; qu’on ne s’y trompe pas, l’enfouissement des déchets nucléaires représente un danger pour les générations de nos enfants et petits-enfants ! Nous ne sommes que les usufruitiers de cette terre ; nous n’en sommes pas les propriétaires ! Qu’allons-nous transmettre ? Nous ne sommes que procréateurs. Je me fais du mauvais sang pour notre mère nature ! Comment pouvons-nous rester « condamnés » à l’optimisme ? « Nous nous considérons comme les fils de la terre mère. Le cosmos, l’univers sont une totalité ; nous refusons de séparer le naturel et le surnaturel, la nature et la culture. Et vous, occidentaux, vous pratiquez l’écologie politique » (*1) Arrêtons d’instrumentaliser la nature ! « Si nous pouvons refaire le monde, faisons en sorte qu’il ne se défasse pas ! » A. Camus ARRETER D’EN PRODUIRE SURTOUT, NE PAS ENFOUIR Joe (cacendr 54) (*2) *1 : John Trudell, poète et rocker, né d’un père sioux Dakota, devenu président de l’AIM (mouvement d’indiens d’Amérique), ennemi du FBI. *2 Cacendr : collectif d’action contre l’enfouissement des déchets radioactifs.
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Le
bon gros nuage Jean-Marc SIVEL
(printemps 1986) «Rouge, violet, rouge, violet, rouge, violet… L’air est frais, il fait bon…» «Rouge, violet, rouge, violet… Deux ou trois fourmis grimpent sur mon pied…» «Rouge, violet… Je n’arrose pas, voici un bon gros nuage qui vient de l’est…»
A
ssis en tailleur devant son jardin potager, dans le pyjama trop ample que son grand-père lui avait légué, Gilbert se sentait bien, tout simplement.
«Rouge, violet, rouge, violet…» L’alternance des couleurs qui s’offrait à sa vue lui rappelait le collier de perles bicolores qu’il avait confectionné à l’école maternelle pour ce même grand-père dans les années soixante. Cette année, tomates, aubergines et autres légumes avaient atteint une belle taille, grâce à la clémence de ce printemps 86. Gilbert adorait la ratatouille. Maintenant que toute sa production était arrivée à maturité, il était fier d’avoir bêché, semé, biné et arrosé son modeste lopin de terre. Le fruit de son travail s’étalait enfin devant ses yeux, le faisant saliver à l’avance en pensant à son plat préféré. Les premières grosses gouttes commencèrent à tomber, et Gilbert resta encore un long moment assis dans l’herbe, remerciant le bon gros nuage de lui épargner sa corvée d’arrosage quotidien. Une semaine plus tard, la ratatouille était en conserve, dans des bocaux en verre hermétiquement clos et stérilisés dans la grande lessiveuse en galva de son grand-père. Alignées sur des clayettes, les verrines étaient juste à côté des champignons que Gilbert avait récoltés le jour même, après l’averse du bon gros nuage. « J’en ai pour un an à me régaler…» pensa Gilbert en refermant la lourde porte de la cave.
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(Printemps 2006) - « Docteur, soyez franc, répondez à mes questions. - Je n’ai pas l’habitude de mentir, Monsieur Gilbert… - Parfait. Aimez-vous la ratatouille ? - Ce n’est pas mon plat préféré… - Vous avez tort, les légumes de mon jardin ont poussé sans engrais chimiques… Docteur ? - Oui ? - J’aime la vérité. - Je vais vous la dire. - Cancer ? - Oui. - Thyroïde ? - Oui. -
Merci Docteur… je suis soulagé de le savoir… et pour la ratatouille, c’est
vraiment sans façon ?
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Hiroshima
mon amour Claude NAUMANN
L
orsque Hiroshima mon amour d’Alain Resnais est projeté au printemps 1959 pour le festival de Cannes, le comité de sélection n’ose l’inscrire dans la compétition officielle par peur de fâcher les Américains en leur
rappelant de mauvais souvenirs… Projeté hors compétition, le film provoque une véritable onde de choc dans la critique, suscitant de nombreux débats entre ceux qui louent la modernité de sa mise en scène (les revues spécialisées comme Les Cahiers du cinéma, Positif, la presse de gauche comme L’Observateur ) et ceux qui n’apprécient pas du tout le style cinématographique novateur de Resnais renforcé par le scénario de Marguerite Duras dont les dialogues très « littéraires » vont en irriter plus d’un, notamment dans la presse conservatrice (comme Le Figaro, L’aurore) ou le président du jury du festival Marcel Achard qui prononce, à l’issue d’une projection cette élégante analyse, toute en finesse : « c’est de la merde ! ». Malgré la polémique, le film de Resnais va remporter une multitude de prix en France et à l’Etranger (prix de la Fédération Internationale de la presse cinématographique, prix Méliès, prix de la critique à New York, Grand prix annuel de la critique à Bruxelles… sauf au Japon, sans doute par solidarité avec le nouvel ami américain, et dans les cantons de Vaux et de Lucerne pour des raisons religieuses !). Avec le recul, il paraît évident qu’hormis Godard, Hiroshima mon amour est d’une audace formelle, narrative et
thématique bien plus grande que
celle des représentants officiels de La Nouvelle Vague française apparue à la fin des années cinquante (Chabrol, Truffaut, Rohmer…). Et qu’aujourd’hui encore, il représente un des exemples les plus aboutis de cette modernité cinématographique qui va renouveler profondément le cinéma français au début des années soixante.
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Et pourtant, tout n’était pas joué d’avance pour Resnais. Au départ, il y a une commande faite au réalisateur par une coproduction franco-japonaise pour un documentaire sur la bombe atomique lancée en 1945 sur Hiroshima. En pleine période de guerre froide où les deux superpuissances (Etats-Unis/URSS) détiennent la bombe H beaucoup plus destructrice que celle tombée sur le Japon, l’opinion publique est très sensible à la menace nucléaire et nombre de films de fiction ou de documentaires évoquent cette peur atomique (Docteur Folamour de Kubrick, En quatrième vitesse de Robert Aldrich…) mais rien en France. Si Resnais est sollicité, c’est bien comme documentariste (puisqu’il n’a encore jamais réalisé de fiction), et notamment comme auteur reconnu de Guernica, Van Gogh, Les statues meurent aussi… sans oublier évidemment le magistral Nuit et Brouillard, 1956, qui a tant marqué les esprits par son sujet (premier film français sur la Shoah) et par son style très singulier qui annonce à bien des égards Hiroshima mon amour : même type de mise en scène qui combine de longs travellings à des plans fixes et courts, utilisation des images d’archives insérées dans les plans au présent, intérêt pour les grands sujets historiques (le génocide, la guerre nucléaire)… Pourtant, Resnais prend très vite conscience de la difficulté d’un tel sujet d’autant qu’il a visionné de nombreux documentaires japonais sur Hiroshima qu’il trouve très bons et qu’il n’a pas envie de copier, notamment Hiroshima de Sekigawa (1953) dont on voit les extraits au début de son long métrage. Chris Marker, avec qui il est chargé d’écrire le documentaire, abandonne le projet, convaincu lui aussi de l’impasse. Mais l’argent est là, une équipe de tournage déjà disponible au Japon qui n’attend plus que lui. C’est alors que Resnais envisage la possibilité d’une fiction dans laquelle « on ne parlerait pas de la bombe atomique mais où elle serait là quand même… Je voyais une jeune femme seule à la terrasse d’un café ; le café disparaissait brusquement et la place devenait déserte…Puis j’ai eu l’idée de deux histoires qui s’imbriqueraient et qui seraient toutes deux racontées au présent… ». On voit donc qu’assez tôt, avant même l’écriture du scénario, le cinéaste se fait une idée précise de son film avec cette volonté de mêler une fiction au thème de la bombe atomique (l’histoire d’amour entre le Japonais et Emmanuelle Riva se déroule effectivement dans la ville symbole de l’apocalypse nucléaire), construite sur une structure binaire (il y a effectivement deux histoires qui s’imbriquent l’une dans l’autre : la relation amoureuse à Nevers en 1944 avec le soldat allemand puis celle avec le Japonais en 1958 à Hiroshima ).
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Mais Alain Resnais n’est pas scénariste, il ne le sera d’ailleurs jamais pour aucun de ses films ultérieurs, à la différence de la plupart de ses confrères français (notamment de La Nouvelle Vague) qui écrivent ou co-écrivent toujours le scénario de leur film. A l’instar des grands cinéastes classiques hollywoodiens (Ford, Hawks, Walsh…), Resnais préfère faire appel à un collaborateur extérieur, avec lequel il discute beaucoup mais sans écrire une ligne, avant de s’approprier le scénario (avec l’imaginaire et le style de l’auteur) pour en faire un film personnel. D’où peut-être cet éclectisme de l’œuvre de Resnais qui déroute souvent les spectateurs, capable de passer de l’univers cérébral ou poétique de Robbe-Grillet (L’année dernière à Marienbad), Cayrol (Muriel) à celui plus politique de Semprun (La guerre est finie, Stavisky) ou plus léger de ses derniers films : Bernstein (Mélo), Jaoui-Bacri (On connaît la chanson) jusqu’à l’opérette (Pas sur la bouche). C’est ainsi que pour son premier long métrage de fiction, Resnais contacte Marguerite Duras dont il apprécie beaucoup le travail littéraire et à qui il demande, non seulement d’écrire le scénario et les dialogues, mais aussi toute l’histoire des événements et des personnages qu’on ne verra jamais dans le film mais dont se nourrissent les personnages (la « continuité souterraine » selon les mots de Resnais). Duras écrit ce texte, en contact permanent avec Resnais qui, comme à son habitude, ne le retouche pas : il suffit de comparer le film avec le scénario publié chez Gallimard pour s’en convaincre. Seules quelques scènes ne seront pas tournées. De cette collaboration étroite et rare entre un écrivain et un cinéaste va naître un des films les plus originaux de cette période, mêlant l’audace et la précision de la mise en scène de Resnais à l’imaginaire si singulier de Duras, avec ce style si envoûtant, irritant pour certains, qui irrigue tous les dialogues du film. Hiroshima mon amour : déjà le titre, génial oxymore qui inscrit dans la même phrase, la grande Histoire (Hiroshima) et la petite (la relation amoureuse), la Tragédie collective et la souffrance individuelle, souligne l’évidente originalité du projet. Pourtant, loin de faire un parallèle entre les deux, de comparer l’un à l’autre, (Resnais/Duras n’ont évidemment jamais eu cette idée saugrenue), le titre du film symbolise plutôt la structure binaire du film, cet éclatement du récit traditionnel en plusieurs temporalités (le passé de 1944 et le présent de 1958), plusieurs lieux (Hiroshima/Nevers), plusieurs histoires (la liaison
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amoureuse d’Emmanuelle Riva avec un soldat allemand et celle avec l’architecte japonais) qui s’imbriquent et se nourrissent l’un l’autre, entremêlant jusqu’au vertige la mémoire d’un passé douloureux qui resurgit de l’oubli (le personnage d’Emmanuelle Riva tondue et séquestrée dans une cave à Nevers pour avoir aimé un Allemand ) au présent prometteur d’une nouvelle rencontre amoureuse (avec le Japonais). Comme Adorno qui annonçait l’impossibilité d’écrire une littérature traditionnelle après Auschwitz, Resnais sait bien
qu’on ne peut plus filmer
comme dans les années trente et ce, d’autant plus quand on évoque, même indirectement, la seconde tragédie du 20e siècle après Auschwitz : l’explosion de la première bombe atomique sur Hiroshima le 6 août 1945 qui rayera de la carte une ville entière, en quelques secondes, sans compter les milliers de morts et les conséquences terribles pour la population survivante (cancer, malformation…). C’est vrai que Hiroshima mon amour est davantage un film sur l’amour que sur Hiroshima car Resnais pensait qu’il était impossible de traiter frontalement ce problème, impossible de filmer cette souffrance indicible des corps, cette chaleur qui détruit la matière, les conséquences infinies des radiations nucléaires sur l’environnement et sur les êtres. Mais en même temps, l’explosion nucléaire irrigue tout le film, de manière souterraine, d’abord par cette histoire d’amour entre ce Japonais et cette jeune française qui se déroule dans le lieu même de la tragédie (Hiroshima) ; ensuite par le choix d’une forme narrative éclatée, comme en écho à la déflagration nucléaire. Un récit « atomisé », explosé en quelque sorte, en plusieurs niveaux (Passé/Présent ; France /Japon…) sans oublier les vingt premières minutes qui évoquent tout de même (images d’archives à l’appui) les stigmates de l’explosion atomique. Souvenons-nous du début si caractéristique de ce film : quatre gros plans en fondus enchaînés qui montrent des corps enlacés, des bras croisés qui s’entremêlent l’un l’autre. Fusion de deux corps encore anonymes, sans visage, recouverts d’une poudre (de cendre nucléaire ?) qui disparaît pour laisser place à la netteté de la peau des deux amants avant que de longs travellings parcourent les allées du musée atomique, de l’hôpital, filment ces corps suppliciés, mutilés, brûlés par les radiations atomiques : ces femmes sans cheveux, cet enfant sans bouche, ce visage sans yeux. L’horreur absolue mêlée à l’image de l’amour et de la sensualité, montrant que le monde peut être à la fois beau et sauvage, sensuel et désespéré mais que l’un ne peut oublier l’autre, l’un se substituer à
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l’autre. Que ces deux mondes font l’Humanité. À travers cette longue introduction, Resnais nous rappelle aussi, comme dans Nuit et Brouillard, l’impossibilité de comprendre réellement l’étendue de la souffrance humaine dans de telles tragédies ; qu’aucune tentative muséographique, cinématographique… ne peut représenter l’indicible. « Tu n’as rien vu à Hiroshima, rien »
ne cesse de répéter l’amant Japonais au
personnage joué par Emmanuelle Riva qui se berce pourtant de l’illusion du savoir : « J’ai tout vu, tout…le musée…les reconstitutions…l’hôpital…la place de la Paix... ». Le cinéma ne peut filmer que les traces du passé qui subsistent dans le présent : les baraquements vides d’Auschwitz en 1956, entre lesquels l’herbe commence déjà à repousser dans Nuit et Brouillard ; la ville nouvelle d’Hiroshima reconstruite sur les ruines de l’ancienne, la place de la Paix, immense, le musée dans Hiroshima mon amour… Toute tentative de reconstitution est toujours vaine, illusoire. Resnais le sait très bien et ne le fera pas. En revanche, à vouloir oublier son passé, on est condamné à le revivre. C’est l’autre grande idée du film de Resnais, complémentaire mais appliquée cette fois à l’histoire individuelle. Celle de cette jeune femme qui, en expliquant ce qu’elle ressent dans la ville-symbole du danger atomique, voit resurgir en elle le souvenir traumatique de l’Occupation à Nevers par association entre les deux hommes (l’amant allemand et l’amant japonais), parce que les deux événements se sont déroulés le même jour (sa fuite vers Paris après sa séquestration, l’explosion d’Hiroshima). C’est le sens profond de ces paroles apparemment contradictoires, répétées comme une incantation et qui révèlent le retour de ce Passé douloureux au moment de la redécouverte de l’amour avec le Japonais : « Tu me tues, tu me fais du bien ». Cet amant japonais qui ne cesse de l’implorer de revivre le grand Amour avec lui en croyant se substituer définitivement à l’amant allemand : tentative impossible et sans lendemain comme elle le lui rappelle « Je t’oublierai ! Je t’oublie déjà ! Regarde, comme je t’oublie ! Regarde-moi ! » Hiroshima mon amour ou l’impossible mémoire, l’impossible oubli.
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Bibliographie
Dans la masse des livres et des sites sur Tchernobyl, nous avons retenu ceux-ci, pour les lecteurs qui souhaiteraient aller plus loin : La Supplication Svetlana Aliexievitch JC Lattès 1999 La philosophie de ma vie Youri Bandazhevsky Ed. Jean Claude Gawsewitch Le crime de Tchernobyl Wladimir Tchertkoff Actes Sud Les silences de Tchernobyl Galia Ackerman, Guillaume Grandazzi, Frederick Lemarchand Autrement Tchernobyl, retour sur un désastre Galia Ackerman Buchet-Chastel Retour de Tchernobyl, journal d’un homme en colère Jean-Pierre Dupuy Seuil Tchernobyl en France Stéphane Lhomme Ed. Yves Michel Atomic Park Jean-Philippe Desbordes Actes Sud Et bien sûr : Tchernobyl mon amour Chantal Montellier Actes Sud BD
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Ecce Homo
Sonia RISTIC
C
’était un de ces cieux de début de printemps lorsque le climat hésite encore entre la grisaille plombée de l’hiver et les premiers rayons de soleil. Un soleil de fin d’hiver qui serait presque bête, un soleil con de
naïveté, si pur, si propre, con et prétentieux, comme s’il s’agissait vraiment des débuts du monde. Comme si l’univers venait tout juste d’être créé et que Quelqu’un, au son de roulements de tambour, d’un coup sec et forcément théâtral, tirait le pan de velours anthracite et découvrait un monde tout neuf, tout beau, avec son ciel immense et son soleil un peu con. Il y a quelques jours dans l’année qui ressemblent à ça, incongrus, incrustés bizarrement entre l’hiver et le printemps. Sur le guéridon du bistrot, le journal étalé, un livre ouvert par-dessus, un carnet à côté, le cendrier qui déborde, une tasse vide... le tout jeté sur la table, abandonné rageusement après n’avoir que trop brièvement suscité de l’intérêt, après n’avoir que trop furtivement pallié à l’ennui. Il y a des jours comme celui-là, des jours d’ennui intense. Après l’angoisse, après la douleur, après les larmes, après le désespoir, les insomnies, l’incompréhension, le déchirement. Après toutes les morts, l’ennui. Des jours où l’on n’en peut plus, de n’avoir aucune envie, des jours où même le besoin de cogner et hurler n’y est plus et qu’il ne reste rien, juste un temps vide et cruellement long qui se répand sur chaque battement de coeur et qu’il n’y a même plus de sens à chercher. Alors, rien à faire, juste machinalement peut-être, se forcer, prendre une douche, s’habiller et sortir et marcher. Marcher, sans savoir où l’on va, épuiser les jambes, s’écrouler dans un troquet, commander un thé, faire semblant de lire le journal, un livre, faire semblant d’écrire, de dessiner, même pas se leurrer vraiment, faire semblant, égrener quelques heures, faire diversion.
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Elle alla au comptoir reprendre un thé puis changea d’avis et demanda un kir. C’est de mieux en mieux, maintenant je me mets à me torcher à l’heure de l’apéro... Succession d’images. Le verre d’absinthe et la dame au regard vague du tableau impressionniste, Prévert devant son ballon de rouge au Jardin du Luxembourg sur une photo de Doisneau, scènes de nouvelles d’Hemingway... Habiller de références culturelles pour le rendre moins sinistre. C’était au moins ça, elle avait réussi à avoir trois heures, à les looser autrement qu’au fond de son lit à scruter les fissures du plafond et à s’engouffrer dans les crevasses de sa vie. Bientôt, il fera nuit, restera plus qu’à remballer tout le barda, se rentrer d’un pas décidé, comme s’il y avait quelque chose qui attendait à la maison, autre chose que des pâtes au piment, seule saveur de sa vie actuelle, et un téléfilm d’une idiotie accablante. Elle referma et rangea le livre. A quoi bon s’obstiner, elle n’arrivait pas à suivre plus de trois phrases d’affilée. Même le soleil cubain et un bonheur aigredoux, arraché à la misère et au néant quotidien, lui paraissaient lointains et étrangers, ne réussissant pas à percer les voiles opaques de l’ennui. Elle laissa le journal déployé. Elle aimait la photo du résistant afghan. Voilà quelqu’un avec de la foi et des couilles au fond des yeux. Elle revint vers le ciel en repoussant avec dégoût son breuvage trop sucré. Un bleu encore transparent qui n’allait pas tarder à s’assombrir. Elle aimait ces cieux-là. Elle les guettait. Quand il en arrivait un, elle était capable de laisser en plan ce qu’elle faisait, ne pas répondre au téléphone, oublier quelque chose sur le feu, juste pour ne pas perdre ne serait-ce qu’une miette de ce qu’elle appelait mes cieux façon Chapelle Sixtine que Michel-Ange peint là-haut pour moi. La lumière est toujours si fugace. Il faut y prêter attention, s’arrêter et regarder, on ne sait jamais savoir quand est-ce qu’un de ces cieux nous enverra un message, un signe d’importance cruciale pour la suite des temps. Parfois, en riant, elle se disait à elle-même que ce qu’elle attendait, c’était qu’un nuage s’écarte et qu’au milieu de toute une ribambelle d’angelots roses et dodus, la main de Dieu apparaisse, et là, sur Sa paume ouverte, qu’Il lui présente l’Homme. Que les cieux du mois de mars se transforment en fresque mouvante, que Michel-Ange en personne vienne y jouer au metteur en scène, qu’ils se démerdent tous ensemble pour lui fabriquer l’Homme si extraordinaire, qu’elle en oublierait celui dont l’image la hantait. Un genre de sauveur. Pas pour faire le deuil d’un homme dans les yeux brillants d’un autre, non, elle savait
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depuis longtemps qu’il est des hommes dont on ne fait jamais le deuil et que celui-là était de la trempe. Elle attendait l’incarnation de l’impossible. Quelqu’un qui saurait à sa place, qui pourrait répondre à la question: Et maintenant ? Et maintenant ?... alors qu’il lui était impossible d’oublier, ne serait-ce que quelques instants, les traits de son visage, l’odeur de sa peau, impossible d’oublier, le timbre de sa voix, le frisson de ses caresses, le velours de son regard, impossible d’oublier, l’émerveillement que créaient ses mots, impossible d’oublier, de remballer tout, de le poser quelque part, pour s’alléger, pour avancer, pour se sentir, soi d’abord, son corps, léger à nouveau peut-être. Impossible, du moins pour l’instant, parce qu’on l’avait assurée que ça allait passer, que tout finit par passer, que le temps, ce traître, ce tortionnaire, deviendrait un ami. Elle s’était accrochée à ces mots de salut. Elle n’arrivait pas encore à l’imaginer tout à fait, mais elle s’y accrochait parce qu’ainsi, il y avait au moins une lueur d’espoir. Comment fait-on pour en arriver là, sans même s’en rendre compte ? Il paraît que c’est d’une banalité affligeante, que tout le monde l’a vécu au moins une fois dans sa vie. Elle ne comprenait pas que ça ait pu lui arriver, à elle. Elle savait que sa capacité à tomber amoureuse était immense, elle savait que tant de fois, elle s’était jetée en amour, follement, éperdument. Avant, bien avant de le rencontrer lui, cet homme de sa vie qui ne fut jamais sien, elle avait aimé déjà. Depuis ses treize ans, elle n’avait fait que ça, aimer, comme une môme un peu dingue qu’elle était. Elle avait aimé, des bons et des mauvais, se lassant des premiers pour courir vers les seconds, elle avait aimé, en courant, en dansant, en riant, elle avait aimé, dans les larmes, dans la fusion, dans la passion, dans la faim insatiable de l’autre, dans le manque qui comme une pierre se niche au creux de l’estomac noué. Elle avait déjà connu, bien avant lui, le corps épuisé et le coeur heureux, la tristesse nostalgique si pleine de saveur que l’on tourne et retourne dans la bouche, faisant rouler ce noyau sous sa langue jusqu’aux dernières gouttes de sève aigre-douce, la rupture d’où jaillissent les torrents de colère, de rage, elle avait connu et elle avait pourtant pensé comme une gamine qui n’avait pas encore vécu qu’avec lui ce serait peut-être encore une fois tout ça, mais en mieux. Avec lui, ça a été tout ça, en mieux. En plus grand, plus limpide, plus éblouissant. Elle savait aussi dès le début que toujours était un délai de temps relatif et qu’il y avait de fortes probabilités statistiques pour que leur toujours
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s’achève un jour. Elle n’était pas complètement conne, elle savait aussi qu’il y aurait douleur, souffrance, manque et que ça aussi, ce serait à la mesure de l’amour éprouvé. Ce à quoi elle n’était nullement préparée, ce qui l’avait mise sur le tapis en fin de course, c’était de se rendre compte, une fois que tout fut terminé, qu’elle ait traversé toutes les tempêtes, de se rendre compte qu’elle pouvait continuer à pleurer, qu’elle avait toute sa vie pour pleurer car de sa vie, il ne restait rien. Ça, elle ne le savait pas avant. Comment une histoire d’amour, aussi exceptionnelle et fulgurante soit-elle peut-elle prendre autant de place, peut-elle prendre toute la place, la place de la vie, la place du monde, la place du soi. On pouvait perdre et beaucoup dans une histoire d’amour. Perdre sa santé, perdre ses amis, perdre de l’argent, perdre la raison, perdre surtout le plus souvent du temps, du temps de vie, mais comment était-ce possible de s’y perdre soi, complètement, et de ne plus pouvoir se retrouver, se réunir, se remonter de toutes pièces, se réintégrer, ne plus savoir où chercher ce soi que l’on a perdu et sans lequel ni la vie ni le temps ni le monde n’avaient de sens. Elle avait tout donné et tout perdu dans cette histoire. Ce n’étaient pas des regrets. Si c’était à refaire, elle aurait probablement joué avec les mêmes feux chatoyants, pris les mêmes risques, elle aurait juste fait attention à une petite chose, à un menu détail. Ne pas se perdre, ne pas oublier qui elle était parce sans ça, ni les cieux de fin d’hiver, ni l’ivresse, ni les résistants afghans avec la foi et les couilles au fond des yeux, ni les mots qui chantent Cuba, ni les notes qui résonnent, ni les traits que sa main esquisse sur la feuille, ni les phrases que sa bouche tisse n’avaient de sens. Il faisait presque nuit à présent. Elle commença à ranger ses affaires parce qu’à cette heure sombre entre chien et loup, les démons s’apprêtaient à sortir dans une ronde sanglante et macabre, et qu’elle allait à nouveau être possédée par cette rage aveuglante de rouge et de noir, que l’envie de hurler et cogner et gémir et pleurer était là à nouveau, encore et encore, chaque jour plus forte, l’écartelant de l’intérieur, la consumant aux petits feux des enfers, la menaçant d’implosion, de tempêtes, de raz de marées de laves, encore et encore, tout était là, bouillonnant sous la surface de sa peau si lisse, et il fallait vite s’enfermer comme docteur Jeckyl lorsqu’il tentait de se protéger de l’irruption de Monsieur Hyde. C’est à cet instant qu’elle le vit. Il était installé au comptoir, seul, un demi pas encore entamé devant lui. Il
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n’avait pas ouvert un journal pour se donner une contenance, n’avait pas l’air d’attendre quelqu’un, il était juste posé là, flegmatique, avec l’expression de celui pour qui l’ennui était un vieux compagnon de route. L’expression de quelqu’un qui ne cherchait plus à faire diversion, qui avait accepté de perdre ce duel avec le temps, qui s’y accommodait même avec un plaisir malsain. Elle le connaissait vaguement, ils s’étaient croisés une ou deux fois auparavant. Ils avaient quelques connaissances en commun et elle crut se souvenir qu’il avait été l’amant de passage d’une de ses amies. Paul, il s’appelait Paul. Elle esquissa un sourire grimaçant. Elle sentait les vents intérieurs se lever, il lui fallait filer, vite. Il glissa du tabouret, prit un temps fou pour traverser les deux mètres qui les séparaient, comme s’il voulait donner du temps au monde pour l’admirer. Elle remarqua qu’il avait des cuisses longues et fuselées et une démarche d’adolescent en train d’acquérir une nouvelle et effrontée aisance de son corps. Elle remarqua que ça lui plaisait, et en fut surprise. Il s’installa en face d’elle, lui offrit son corps de plus près, comme si c’était pour lui une évidence, cet effet qu’il faisait sur les femmes. Un début de conversation, quelques phrases trébuchantes. Ils s’échangèrent leurs prénoms, des considérations inintéressantes au possible sur le temps qu’il faisait et l’heure qu’il était. Elle décida de rester un peu. Il recommanda la même chose. Ecce Homo. Alors, il m’avait bien pondu quelque chose, le Michel-Ange du crépuscule, pensa-t-elle. On le lui avait planté là, sous son nez. Elle était restée. Pourquoi? Elle trouva la conversation pénible, comme s’il s’agissait de deux acteurs ne faisant absolument pas partie de la même histoire, obligés par un glissement de scénario foireux à se donner la réplique mais las d’avance, sachant que cette scène serait nulle et finirait coupée au montage. Aucun des deux n’avait de coeur à mettre à l’ouvrage, ça manquait de tout, de conviction, de sincérité, d’intérêt, les mots rampaient hors de leurs bouches et retombaient platement sur le marbre sale du guéridon entre eux. Pourquoi restait-elle? Leurs verres s’entrechoquèrent un peu brutalement pour un toast qui se voulait léger. À quoi pouvaient-ils bien boire ensemble ? Elle trempa les lèvres dans son troisième kir et senti la nausée l’envahir. Mieux valait la nausée que ce qui la menaçait quelques instants plus tôt et que l’alcool avait réussi à assommer. Profiter du répit, quel qu’il soit. Paul s’était lancé dans une tirade dithyrambique sur un auteur américain qu’elle trouvait galvaudé et dont il était en train de
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préparer une scène pour son cours de théâtre. Elle se dit qu’il serait plutôt un Stanley Kowalski convaincant. Elle se souvint avoir entendu qu’il possédait un petit talent, et il avait cette gueule qui allait lui ouvrir des portes... Elle glissait de sa chaise, soudaine toute molle elle-même, et sa cuisse toucha celle de Paul. Une lueur d’intérêt s’alluma dans ses yeux. L’appel de la chasse. Elle trouva la situation excitante. Elle sentit que son pouls s’accélérait, sa bouche devenait très sèche, son entrejambe moite. Elle serra les cuisses et eut très violemment envie de lui, si violemment que ça la réveilla de sa rêverie, la choqua même, elle n’était pas préparée à ça. Ma pauv’ fille, tu ressembles à Blanche Dubois, se dit-elle, mal à l’aise. Pourquoi restait-elle? Comment se retrouvait-elle à le suivre chez lui ? D’où c’était venu, ça ? Elle ne comprenait plus rien. Ce n’est pas avec trois kirs qu’elle serait saoule. Arrivés chez lui, il mit de la musique et alla faire du thé. Elle se déchaussa et regarda autour d’elle. Elle scruta le choix des tissus, les livres et les disques qui traînaient. C’était propre, agréable, il y avait quelques plantes qui se portaient bien, de jolies photos aux murs. Mais ça manquait désespérément d’âme, tout comme lui, tout comme son rire, tout comme sa conversation, tout comme son regard. Elle n’avait rien à faire là. Ils burent le thé, fumèrent un pétard. Il augmenta le volume et le silence n’en devint que plus bruyant. Elle alla aux toilettes et se planta devant la glace. Tu ressembles vraiment à Blanche Dubois ma fille, et tu n’as pas trente ans... Tu es laide de ce vide. Tu n’existes plus tellement t’es vide. Rentre chez toi, c’est idiot, tu n’y prendras pas de plaisir. Ce n’est sûrement pas ça qu’On t’a envoyé. Personne ne t’a rien envoyé. Tu continues à te perdre à force de chercher si désespérément. Alors que peut-être il suffit juste d’apprendre à accepter... Rentre chez toi, t’as rien à faire là. Ce qui brûle dans ton ventre, c’est l’absence de celui que tu t’obstines à ne pas vouloir oublier. « Je vais y aller » dit-elle en revenant dans la chambre à la recherche de ses chaussures. Il eut un regard vide d’émotion, juste une surprise, il devait la trouver étrange, complètement tarée. « On se fume un petit dernier » dit-il en léchant son collage. C’était de la politesse, il n’avait pas particulièrement envie de la retenir. Du coup, elle se rassit. Il y eut un regard un peu plus appuyé et à nouveau, ce désir violent. « Je crois que je suis trop vieille pour ça, Paul »
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« Pfft... à d’autres... Tu dois avoir au max cinq ans de plus que moi... » « Je ne parle pas d’état civil... J’y crois plus... Tu vois, tout ça, je le connais trop bien, j’y crois plus. Je vois tous les trucs, toutes les ficelles, ça ne me fait pas rêver... En plus, ça manque de conviction, on joue mal, on joue faux. On s’est retrouvé par hasard, parce que nous sommes deux paumés qui ne savent plus où ils en sont et on devrait s’envoyer en l’air pour se donner le change. Je trouve ça affligeant, nous sommes d’un glauque... » Sa voix s’était cassée, râpeuse et le pétard n’y était pour rien. « Tu ne peux pas comprendre... » Elle chuchota et ce n’est que lorsqu’il fit un mouvement vers elle qu’elle se rendit compte qu’elle pleurait. La musique s’était arrêtée et ses reniflements marquaient le temps. Paul s’appuya contre le mur et l’attira dans ses bras. Il ne bougeait pas, ne disait rien et elle, elle pleurait, secouée par des sanglots qui lui paraissaient si neufs. Elle pensait qu’elle avait déjà pleuré tout le stock de larmes qu’elle possédait, que la source était tarie de tous ces mois de pleurs. Et pourtant, il y avait là de nouvelles larmes, étrangères et vierges. Elle ne pleurait sur rien cette fois-ci. Elle pleurait, c’est tout. Elle s’était recroquevillée contre la poitrine de Paul, le visage dans son cou et ça, c’était parfait. Ses bras qui l’entouraient, son odeur un peu sucrée qui ne lui rappelait absolument personne. Et surtout, le vide, l’absence, le néant et aucun démon, aucune ronde macabre, aucune rage aveuglante, aucune douleur. Rien. Le trou noir, l’univers avant le big-bang, habité par rien, aucun souvenir, aucune image, aucun mot, aucune émotion… Puis, une fluette percée de quelque chose qui pourrait ressembler à de la joie. Une voix. De ce néant, tout pouvait naître. La main de Paul qui glisse sur ses seins, sa bouche sur sa nuque, ses doigts entre ses cuisses et un éclat de rire, un rire immense qui surgit de sa gorge, un rire qui déchire le vide, l’absence, déchire la peur. Ce fut violent, pressé, animal. Ce fut vierge de toute comparaison. Elle eut très mal et trouva ça bon. Ils jouirent en même temps et restèrent imbriqués longtemps, haletants. Elle ne ferma les yeux que lorsqu’ils se détachèrent l’un de l’autre. Et là, les images défilèrent. Les visages de tous ceux qu’elle aimait. Les réminiscences de tous les instants de magie heureuse. Les fresques de la Renaissance. Toutes les Pietàs du monde. Les phrases cubaines. Des trains. Des feux de bois. Des chants. Des ivresses. Et même lui, l’homme qu’elle avait aimé, même lui, sans douleur,
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juste cette joie immense. Elle chuchota « Je sais qui je suis », mais Paul dormait déjà. Elle ne dormit pas. Elle resta toute la nuit assise sur le lit, à fumer. Elle ne pensait plus à rien. Elle regardait les ombres danser sur les murs et écoutait les bruits de la nuit. Il la découvrit dans la même position lorsque le réveil sonna. Elle est barge, cette fille, se dit Paul. Tordue, compliquée. Il n’y comprenait rien. Et pourtant, se dit-il encore, avec elle ça aurait pu le faire. Si seulement, elle était un peu moins sauvage. Justement parce qu’elle était aussi sauvage. Il se souvint l’avoir trouvée belle la première fois qu’il l’avait vue. Non, pas vraiment belle, mais elle avait quelque chose. Quelque chose d’ailleurs. Qui faisait un peu peur. Il fit un truc fou. Se redressa, s’agenouilla derrière elle et la serra dans ses bras. Elle ferma les yeux et se cala contre son épaule. À cet instant, elle se sentit aimée. Et lui, son coeur battit très fort, pris d’un bonheur inconnu. « Qu’est ce qu’on fait? », ce fut lui qui posa la question. Elle fut touchée de l’attention. Il lui laissait le dire. C’était élégant. « Rien, justement. Rien. Rideau. Rencontre brève. Pfft.... » Elle dessina de sa main dans l’air un oiseau qui s’envole. Ils ont descendu la rue en silence. Arrivés sur le boulevard, elle lui a souri. Au métro, il a pris sa main et embrassé sa paume. Puis, ils se sont tourné le dos.
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Jalousie
Evelyne KUHN
M
a vue se brouille. J’actionne le levier de commande des essuie-glaces
qui crissent sur le pare-brise. Le véhicule qui me précède me paraît toujours aussi flou. Je passe à la vitesse supérieure et le va-et-vient
des balais scande mes pulsations cardiaques. Mais les essuie-glaces protestent de plus en plus fort ; il ne pleut pas. Ce sont mes larmes qui troublent ma vision. Je bifurque sur une aire de repos déserte et gare la voiture. J’arrête le moteur, je sors et me dirige vers les sanitaires. Un lavabo. J’asperge mon visage d’eau fraîche. J’essaie de respirer plus lentement et plus profondément. Mon rythme cardiaque diminue. L’organe se calme mais le cœur, lui, est en lambeaux. Je relève la tête et fixe le visage que me renvoie le miroir. Un visage d’homme marqué par les quelques rides annonciatrices de la cinquantaine imminente, le teint hâlé par l’activité sportive au grand air, la chevelure grisonnante mais encore fournie. Un visage d’homme en bonne santé. Un visage d’homme que j’ai du mal à reconnaître ce soir comme étant le mien. « Carole ». Le prénom murmuré provoque immédiatement un pincement au cœur. Et le souvenir de notre rencontre, dix ans auparavant, vient m’apaiser. Des amis communs avaient organisé une marche dans les Vosges pendant un week-end. Ma femme n’avait pas voulu y participer, préférant rester à la maison avec les enfants. Le mari de Carole avait également décliné l’invitation. Le rendez-vous avait été fixé dans un café de Gérardmer. Mes amis, Anne et François, y attendaient les huit autres randonneurs. C’est là que j’avais fait connaissance avec l’ensemble du groupe : trois autres couples, sans compter Anne et François, et surtout Carole. Ses yeux rieurs et son sourire me l’avaient rendue immédiatement sympathique. Pendant cette première journée de marche sur la route des Crêtes, nous étions restés côte à côte et, alors que nous ne nous connaissions pas la veille, nous nous racontions mutuellement nos vies, nos envies, nos regrets. Cela s’était fait tout naturellement. Le soir, nous
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avions fait halte dans un refuge. Après le repas pris dans la salle commune, nous avions gravi l’échelle qui menait au dortoir. Des bottes de paille avaient été dispersées sur le plancher et nous y avions disposé nos sacs de couchage. J’avais mis le mien à deux mètres de celui de Carole. Malgré les nombreux kilomètres effectués dans la journée, je n’étais pas fatigué. La lune, par la lucarne du dortoir, éclairait ses boucles brunes et leur donnait des reflets dorés. Je ne parvenais pas à en détacher mon regard et je me rendais compte que ses yeux me fixaient également. Nous étions restés ainsi près d’une heure, sans bouger. Nos huit autres compagnons dormaient. Sans qu’aucune parole ne fût prononcée, nous avions glissé, dans nos sacs de couchage, l’un vers l’autre. Ses boucles me chatouillaient le cou. Je caressais son visage, ses cheveux, ses épaules quand soudain elle avait fait glisser la fermeture éclair de son sac. Elle était nue. Elle avait pris mes mains dans les siennes et ma bouche était partie à la découverte de son corps. Je l’avais rejointe dans son sac et, lorsque je l’avais pénétrée, nos bouches jointes nous avaient empêchés de crier notre plaisir et de réveiller nos voisins. Plus tard dans la nuit, alors que je m’étais endormi dans mon sac, j’avais été réveillé par une chaleur humide qui irradiait mon sexe. Elle léchait mon pénis et j’avais mis quelques minutes à comprendre que sa langue y traçait des lettres. ENCORE. Nous avions refait l’amour avec encore plus de volupté que la première fois. Le lendemain, pendant la randonnée, nous nous étions comportés en bons camarades. Nos compagnons n’avaient rien soupçonné. Le soir, lorsque le groupe s’était séparé, elle m’avait glissé, dans la main, un billet avec son numéro de téléphone. De retour chez moi, j’étais très perturbé ; j’avais déjà eu auparavant des aventures extraconjugales, mais aucune qui aurait pu mettre mon couple en danger. Avec Carole, j’avais pressenti que ce serait différent. Dès le lendemain, je l’avais appelée et nous avions convenu de nous retrouver dans un petit hôtel. En attendant de la revoir, j’avais eu bien du mal à me concentrer sur mon travail et mes obligations familiales. Nos retrouvailles furent aussi intenses que les moments partagés dans les Vosges. Nous vécûmes ainsi deux mois. Notre désir de l’autre était de plus en plus impérieux. Notre passion nous rendait imprudents et nos conjoints respectifs devinrent soupçonneux. Il nous fallait vivre notre amour sans concession ; nous avions quitté nos foyers et emménagé ensemble dans un petit appartement. Dix années s’étaient écoulées sans altérer notre passion. Dix années de vie commune où l’habitude n’avait pas réussi à prendre le pas sur le désir des premiers mois. Lorsque nous nous retrouvions dans des fêtes, je ne voyais qu’elle. Toutes
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les autres femmes me paraissaient fades à côté d’elle. Dans la journée, je lui téléphonais une dizaine de fois, voulant sans cesse savoir ce qu’elle faisait, avec qui elle était et lui dire mon amour. Dix années pendant lesquelles j’avais remercié la vie chaque jour du fabuleux cadeau qu’elle m’avait fait. Dix années de bonheur sans une ombre… jusqu’à la semaine dernière. En rentrant à la maison, ce soir-là, je l’ai entendue rire au téléphone et, lorsqu’elle s’est aperçue de mon retour, elle a ajouté : « Je te laisse. Le voilà ! ». Elle a coupé son portable et m’a souri. Lorsque je lui ai demandé à qui elle téléphonait, elle m’a répondu : « Oh, une copine ! ». Elle m’a assailli aussitôt de questions sur ma journée. Son empressement m’a paru suspect. J’ai attendu qu’elle quitte la pièce pour fouiller son sac et y prendre son portable. J’ai consulté son dernier appel et découvert avec stupeur que son correspondant, c’était Maxime, mon meilleur ami. Dans les appels entrants et les appels sortants, le numéro de Maxime apparaissait de nombreuses fois. Machinalement, j’ai remis le portable à sa place avant de m’effondrer dans un fauteuil. Maxime était mon plus vieil ami. Nous nous connaissions depuis le collège. Au début de ma rencontre avec Carole, je les avais présentés l’un à l’autre et j’avais été ravi de voir qu’ils s’appréciaient. Alors, pourquoi ne m’avait-elle pas dit que c’était à lui qu’elle téléphonait ? Mais, à ce moment-là, je ne pouvais pas croire à leur trahison. Carole m’aimait et elle me le prouvait chaque jour. Et Maxime m’était plus cher qu’un frère. Pendant toute la soirée, cette question m’a obsédé mais je n’en laissais rien paraître. Le lendemain, je l’ai appelée sur son portable et elle m’a dit qu’elle était au bureau. J’ai rappelé un quart d’heure plus tard mais sur la ligne de l’entreprise, et une secrétaire m’a répondu que Carole avait pris congé pour l’après-midi. Pourquoi me mentait-elle ainsi ? Le soir, à la maison, lorsque je l’ai retrouvée, elle m’a raconté sa journée de travail sans évoquer son absence de l’aprèsmidi. La jalousie a commencé à me miner le cœur et l’esprit et je me suis mis à chercher des indices de sa trahison dans tous ses faits et gestes. Je relevais le compteur de sa voiture matin et soir, et, si le kilométrage me paraissait anormalement élevé, j’imaginais qu’elle avait rejoint Maxime qui habitait, depuis son divorce, la ville voisine. Lorsqu’elle m’embrassait, le matin au moment de partir travailler, j’examinais sa tenue, vérifiant si celle-ci n’était pas trop sexy pour une journée de travail. Et puis, je la reniflais, recherchant sur elle une odeur d’eau de toilette pour hommes. Je me torturais également à imaginer leurs étreintes et
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leurs lieux de rendez-vous. Un soir, j’ai invité Maxime à venir prendre l’apéro pour les observer. Ils étaient, comme à leur habitude, très amicaux l’un envers l’autre, mais, à un moment, j’ai fait semblant de me rendre à la cuisine et les ai guettés derrière la porte. Ils se sont mis à parler à voix basse et je n’ai pas pu saisir leur conversation. Lorsque je suis revenu dans le salon, j’ai entendu Carole murmurer : « Chut, le revoilà ! » et Maxime lui a fait un clin d’œil. Il me fallait en avoir le cœur net. Ce matin, j’ai prévenu mes collègues du commissariat que j’étais souffrant et que je ne viendrai pas travailler aujourd’hui. J’ai dit à Carole que j’avais une urgence et je suis parti. Je suis monté dans ma voiture et j’ai roulé jusqu’au carrefour proche de la maison qu’elle empruntait tous les jours pour se rendre au bureau. J’ai attendu là un quart d’heure et, lorsque sa voiture s’est engagée dans l’avenue devant moi, je l’ai suivie. Les filatures faisaient partie de mon travail quotidien mais c’était la première fois que je filais la femme que j’aime. Je me suis laissé guider par mes réflexes professionnels. Je l’ai suivie ainsi à distance jusqu’au parking de l’entreprise et je l’ai vue franchir la porte d’entrée. J’ai stationné un peu à l’écart mais, avec mes jumelles, je pouvais surveiller l’entrée du bâtiment. Je l’ai même aperçue, à un moment, à la fenêtre de son bureau. Je ne savais plus ce que j’attendais. Est-ce que j’espérais avoir confirmation de son infidélité ou, au contraire, est-ce que je souhaitais que, comme prévu, elle passe huit heures derrière ces murs ? Je lui ai téléphoné, comme à mon habitude, à 11 heures. Elle m’a dit qu’elle était surchargée de travail et qu’elle n’avait pas beaucoup de temps pour me parler. Elle a raccroché en me disant qu’elle m’aimait. À midi, alors qu’habituellement elle déjeunait sur place, je l’ai vue sortir de l’immeuble et monter dans sa voiture. J’ai mis aussitôt le contact et l’ai suivie. Elle se dirigeait vers le centre ville. Elle a garé sa voiture derrière la cathédrale et j’ai fait de même. En prenant bien soin de ne pas me faire repérer, j’ai arpenté la même rue qu’elle. Elle marchait vite. Elle s’est arrêtée enfin devant une brasserie et a fait un signe de la main. J’ai cru qu’elle m’avait vu mais j’ai remarqué Maxime sur le trottoir d’en face. Il l’a rejointe et tous deux sont entrés dans la brasserie. Il ne m’en fallait pas plus. J’ai fait demi-tour, suis remonté dans la voiture et me suis mis à rouler au hasard jusqu’à cette aire d’autoroute où je me trouve actuellement.
Quinze jours s’étaient écoulés depuis cette filature. Même si j’essayais de
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donner le change, Carole me trouvait très déprimé. Je lui disais que c’était le travail qui me minait, que j’étais fatigué. Elle me souriait et m’embrassait. Sa trahison m’était d’autant plus insupportable. Comment pouvait-elle être aussi tendre avec moi alors qu’elle me trompait avec mon meilleur ami ? Celui-ci était également toujours aussi chaleureux. Ils me dégoûtaient. Les deux êtres qui m’étaient les plus chers m’avaient trahi. J’avais perdu tout goût à la vie. J’ai d’abord pensé me suicider mais je n’ai pas voulu leur laisser ainsi le champ libre. Et puis, j’ai envisagé leur mort ! Mais j’ai également abandonné ce projet car je connais trop bien la vie carcérale pour risquer d’y finir mes jours pour un double homicide. C’est alors que j’ai conçu le stratagème de ma vengeance. Je vais mourir mais eux ne vieilliront pas ensemble car ils seront accusés de mon meurtre. Il y a trois jours, en espionnant, comme je le faisais régulièrement, sa messagerie électronique, je suis tombé sur un message de Maxime dans la liste des éléments supprimés : Carole, rendez-vous chez moi, lundi à 17 heures. J’ai compris aussitôt que mon plan devrait voir son aboutissement ce jour-là. Il me fallait semer des indices de leur culpabilité. Par Internet, avec la carte bleue de Carole, j’ai réservé deux places sur un vol pour le Mexique, prévu mardi, à son nom et à celui de Maxime. J’ai réussi à intercepter, dans la boîte aux lettres, les deux billets d’avion et les ai cachés dans un tiroir de sa table de nuit. J’ai confié à quelques collègues que je n’allais pas très bien et que je soupçonnais ma femme de me tromper. Je me suis mis ensuite en rapport avec Loïc, un jeune voyou auquel j’avais évité la taule et qui m’était depuis très dévoué. Je l’ai mis au courant de ce que j’attendais de lui et lui ai donné une forte somme d’argent en liquide contre son silence. Ce matin, avant de partir au travail, j’ai demandé à Carole de me donner mon arme de service rangée dans la commode de l’entrée. Elle a imprimé ainsi ses empreintes digitales sur la crosse. À 17 h 30, j’ai fait monter Loïc dans ma voiture et j’ai roulé jusqu’au domicile de Maxime.
La voiture de Carole est garée devant le portail. J’ai arrêté la voiture à quelques mètres de là et nous sommes entrés sans bruit dans le jardin qui se trouve devant la maison. Les fenêtres du salon sont éclairées mais je ne les vois pas. Voilà, tout est prêt. Loïc enfile un gant sur sa main droite, je lui donne mon
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arme. Je vais me placer à 2 mètres de lui. Il va me tuer puis me mettra l’arme dans la main. Mais aucun flic ne croira au suicide. L’absence de poudre sur ma main, l’impact de la balle, les empreintes de Carole sur la crosse, tout leur paraîtra suspect et leur fera conclure au meurtre déguisé en suicide. Et pour qu’ils n’aient aucune chance de fuir, Loïc vient d’appeler le commissariat pour leur signaler un coup de feu dans le quartier. Je suis prêt à mourir. Adieu, Carole !
Communiqué de presse : Carole M. et Maxime S. ont été mis en garde à vue, soupçonnés du meurtre du mari de madame M. mais ils réfutent cette accusation ainsi que le fait d’être amants et d’avoir voulu se débarrasser du mari gênant. Ils assurent que s’ils se trouvaient ensemble au domicile de monsieur S., c’était avec l’intention de préparer une fête surprise pour les 50 ans de la victime.
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Sur l’île
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rouge Véro BLANCHOT
J’ai 10 ans avec un O qui flotte comme une île sur l’Océan Indien. Je suis déjà un peu grand et je retourne d’où je viens, du ventre d’une mer fertile qui a engendré une île, mon île, avec son petit chapeau rassurant. L’île de mes illusions gagnées. L’île de mes débuts dans laquelle je me redécouvre. Chapeau bas madame Gaspard, vous êtes bien jolie mais si pauvre que la tristesse me reste.
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Dans la nouvelle gare d’Antisarabi, le chef de gare bien habillé flâne dans le hall désert. Quelques trains de marchandises mais pas âmes qui vivent, les poussepousse colorés, garés sur le parvis, mais pas de voyageurs. De l’endroit où l’on part, on reste là, avec une limonade au goût passé à deviser sur le train qui jamais ne vient.
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La lumière joue à cache-cache, fabrique des losanges qui ménagent des petites fenêtres, petites percées vers la mer. Envie d’une sieste, voile blanc d’une possible mariée qui attend un prétendant. Envie d’une sieste paix-sible.
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L’homme est absent. Zafimaniry au creux des montagnes. Partager le riz dans la pénombre de la maison. Les murs noircis par la fumée dans la maison qui raconte sur sa porte de bois. Zafimaniry protégé du monde. L’homme est absent, un mois, 6 mois, un an, l’homme part. Zafimaniry perdu au milieu des forêts. L’homme revient, l’enfant naît, on repeint la maison de blanc.
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J’voudrais un vélo, pour mon baptême, à Noël, à Pâques, pour mon mariage. J’voudrais un vélo. J’arrêterais un peu de marcher et même je voyagerais, je porterais, transporterais. Un jour, j’aurai un vélo. Un jour, ce jour, je serai riche mais je ne ramènerai pas mon mari, ivre les soirs de retour de marché.
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Au long de la Tsiribihina, auprès des pirogues qui lèchent l’eau, avec les crocodiles qui guettent les baigneurs. Au long de la Tsiribihina, avec le soleil qui jaunit le fleuve, avec la terre chaude qui rougit sous le couchant. Au long de la Tsiribihina, tu rentres pour le repas. Buvons la bière tiède à la faible lueur des lampes à pétrole.
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J’ai
fait un cauchemar Xavier BROCKER
C
e matin, je me suis réveillé en criant, plein de sueurs froides et tremblant d’angoisse. Laissez-moi vous raconter.
Tout au début, il y avait eu cette profanation de sépulture, en Italie, à Rimini. La tombe d’un cinéaste, un certain Pasolini, avait été ouverte, et on avait tenté de forcer le cercueil. Ce n’aurait fait qu’une petite info si, deux jours après, une lettre de revendication n’était parvenue à « La Stampa » : un groupe au nom latin se vantait d’avoir fait le coup, ces cathos fondamentalistes affirmant avoir puni le défunt d’avoir blasphémé jadis leur religion, avec son film, dont se souviennent peut-être quelques cinéphiles, « L’évangile selon SaintMathieu ». L’image suivante nous transporte en Irlande, près de Belfast. Une petite commune rurale avait engagé son premier vigile municipal, qui ne se cachait pas d’aller à la messe catholique. Or les automobilistes protestants, environ la moitié des habitants, l’accusaient de les bombarder systématiquement de P.V., tandis que ses corréligionnaires « papistes » avaient été épargnés. Dans nos journaux, la petite info fit sourire. On sourit jaune, puis plus du tout, quand les télés nous montrèrent - du moins dans mon cauchemar – que tous les « pubs » de la localité étaient mis à sac, lesdits « papistes » se battant furieusement à coups de bocks de bière contre les « brits », et réciproquement, au cri de « Aimez-vous les uns les autres » ! Il y eut quand même un mort, et quatre blessés sérieux, toutes confessions confondues. Et ainsi redémarra la guerre civile en Irlande du Nord, au grand désespoir du Pape, qui décida quand même, sous le coup d’une inspiration divine, de doubler les effectifs de la Garde Suisse.
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Se présenta alors devant le Saint-Siège un émissaire secret du Mossad, proposant de remplacer les obsolètes hallebardes par des mitraillettes UZI « made in Haïfa » et offrant des conditions préférentielles, avec paiements échelonnés. La suite de ce cauchemar me fit visionner la dernière expo du Musée Beaubourg, où la fameuse photographe Bettina Rheims exposait, parmi ses œuvres récentes, une femme aux seins nus… mais le modèle tout bonnement mis en croix, à la place habituellement réservée au Christ. Les gardiens du musée furent piétinés, et la photo foulée aux pieds par un « commando mixte » de fidèles et d’infidèles (et vice versa) formés de Chrétiens intégristes et de « ben-ladistes » du même tonneau (pardon, du même métal), les uns hurlant au blasphème à cause de la croix, les autres à cause des seins nus. Puis les furieux se retirèrent à travers le boyau transparent du Centre Beaubourg, tout en se battant entre eux, armés de chapelets à bouts ferrés et bien tranchants. Les hurlements des ambulances me réveillèrent ici une première fois, baigné de sueurs glacées. Mais le cauchemar recommençait : au Liban, la guerre interconfessionnelle avait redémarré. Les sionistes les plus durs songeaient à envahir à nouveau Beyrouth, en mission d’interposition, tandis que les rabbins ultra-orthodoxes se demandaient si la Thora les autoriserait à faire renaître par clonage, en éprouvette, un Sharon jeune. Cela n’empêcherait pas l’Iran d’accélérer ses essais nucléaires (seulement artillerie nucléaire tactique, affirmait-il) ; l’OTAN manœuvré par son mentor les U.S.A. de menacer l’Iran ; la Chine de faire gonfler les muscles de ses innombrables soldats. Aux Philippines, la petite minorité chrétienne était déjà en cours d’éradication, tandis que les pieux Polonais expédiaient par bus en direction de l’Allemagne voisine les huit cents musulmans qui s’y étaient risqués, l’un d’eux ayant craché, assuraient certains - sans aucune preuve d’ailleurs - , sur la Sainte Effigie de Czestochowa. Depuis plusieurs jours d’ailleurs, les banlieues de toutes les grandes villes du monde, sans oublier les Etats-Unis où les « black panthers » remobilisaient, étaient en flammes. C’est alors que des cris indistincts, provenant du jardin, providentiellement, me tirèrent de ce sommeil cauchemardesque : Ciel ! (excusez-moi) Mon petit
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pavillon était pris d’assaut, sur le devant, par des évangélistes (ou « témoins de l’accident » de Jéhovah) cravatés, avec attaché cases ; par derrière, j’entendais chanter « Hare Krishna » ; quant aux Raëliens, ils étaient sans doute sur le toit, car on commençait à démonter les tuiles au laser depuis une soucoupe volante. Ces hurlements et incantations diverses me réveillèrent. Et en prenant mon premier « petit noir » de la journée, je me pris à penser : « C’est quand même pas mal, la laïcité à la Française ».
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On
ne touche pas Jacques NICOLLE
J
ean-Michel va être content. Didier ne prit pas la peine de refermer la porte derrière lui et se retrouva sur le trottoir, au soleil, qu’il regarda droit en face, les paupières juste
mi-closes. Il inspira profondément et remonta la rue à fermes enjambées. Cette fois-ci, il va être content, Jean-Michel. Tout en marchant, Didier reprenait son souffle, repassant dans sa tête en feu les images de la scène qu’il venait de vivre, sans remarquer le vague étonnement des passants sur les vêtements en désordre du jeune homme à la mine à la fois hébétée et ravie. Plus tard ! Je reboutonnerai mon pantalon plus tard ! Il faut d’abord que je me souvienne bien de tout. Parce que c’est sûr, ils vont encore demander à Didi de tout raconter, et il ne faut rien oublier. La fois d’avant, il n’avait rien oublié, Didi, même s’il avait dû répéter tout plusieurs fois à Jean-Michel, et après à l’inspecteur, et après au juge. Avec Jean-Michel, ça va ; il comprend vite et il parle doucement. C’est parce qu’il est éducateur. Mais les autres non. Ils parlaient avec des mots que Didi ne connaissait pas et Jean-Michel, heureusement qu’il était là, il était obligé de lui répéter avec ses mots à lui. Après, ils lui avaient lu ce qu’il avait dit et qu’ils avaient écrit avec la machine, et Didi il n’avait plus rien compris. Mais ça ne fait rien, il paraît que c’est pour le juge. Alors lui, il avait l’air gentil, mais c’est encore pire, quand Didi lui expliquait, il secouait la tête comme pour dire oui, et il disait autre chose à la dame qui tapait à la machine à côté. Didier s’arrêta brusquement et s’assit sous le premier abribus pour reprendre pied et résister à la vague de souvenirs qu’il venait de libérer de sa mémoire et qui à présent l’assaillaient.
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Il avait été tout surpris de la réaction incrédule puis effarée des éducateurs lorsqu’en regardant ce film à la télévision, il leur avait simplement dit : « C’est comme avec tonton Julien ! ». Il l’avait tout de suite regretté car ils avaient immédiatement éteint la télévision et s’étaient regroupés autour de lui en l’accablant de questions. Alors, il avait dû leur raconter, bribe par bribe, sans bien comprendre ce que cela avait de si important, ou peut-être même de grave, ce qu’il faisait avec tonton Julien le samedi après-midi, quand il l’appelait dans sa chambre. Jean-Michel l’avait ensuite pris à part, et tout doucement, comme il sait bien le faire, il lui avait dit que ça, un adulte n’avait pas le droit de le faire avec un enfant ou quelqu’un comme Didi, et que celui qui faisait ça devait être puni. Et puis il avait pris sa grosse voix, comme il sait aussi le faire quand c’est important, mais gentiment quand même, pour lui rappeler qu’il était tout de même un adulte, qu’il était fort et qu’il devait se défendre quand on lui faisait ça : «Ton corps t’appartient, les autres n’ont pas le droit d’y toucher ! Ne te laisse plus faire ! Défends-toi, Didier ! » Et c’est vrai qu’il est fort, Didier. À plusieurs reprises déjà, les éducateurs avaient dû intervenir dans la cour de l’institut pour le convaincre de libérer de son étreinte impressionnante un compagnon de jeu taquin, réticent à lui rendre son inséparable mouchoir à carreaux rouge. Ce sentiment de puissance ragaillardit Didier qui redressa les épaules, se leva et reprit son chemin. Mais pourquoi il n’est pas venu avec Didi, aujourd’hui, Jean-Michel ? C’est vrai qu’il lui avait dit qu’il n’avait pas le temps, mais quand même… Alors Didier avait trouvé tout seul l’adresse où le monsieur l’attendait. Un monsieur qui ne lui plaisait pas du tout. Non, il n’avait pas l’air méchant, il l’avait même pris par les épaules en l’appelant par son prénom et en le vouvoyant, pour l’emmener dans un coin de la pièce, en le faisant asseoir sur un lit bizarre. Et comme Didier était encore intimidé ou méfiant, il lui avait avancé une boîte de pralines dans laquelle il s’était servi généreusement. Le cœur de Didier avait commencé à cogner très fort, et plus fort encore quand, avec sa voix douce, le vieux monsieur lui avait demandé de se déshabiller et de se coucher. Peu habitué à discuter les ordres, lorsqu’ils viennent d’une personne de cet âge, il s’était exécuté, mais lentement, restant sur ses gardes, conservant son slip comme ultime rempart de sa pudeur. Avec un petit sourire, le monsieur avait saisi le sous-vêtement par la ceinture élastique, l’avait vivement fait glisser jusqu’aux genoux et avait avancé la main vers le bas-ventre de Didier.
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Ton corps t’appartient, Didier ! Défends-toi ! Tu es fort ! La réaction de Didier avait été fulgurante. Immédiatement sur ses pieds, il avait saisi sous son bras gauche la tête du monsieur qui couinait de douleur et, sans desserrer cet étau, avait traversé la pièce en direction de la table sur laquelle il avait violemment frappé le visage de son adversaire, avant de le laisser s’effondrer sur la moquette. C’est en remontant son slip pour couvrir sa nudité que l’évidence du dernier geste à accomplir s’était imposée dans son cerveau en ébullition. Se penchant sur le vieux monsieur inanimé, il lui avait arraché pantalon et caleçon, et, dans sa main un étrange petit couteau nickelé qu’il avait trouvé sur la table, il s’était agenouillé près du corps. Le petit couteau coupait très bien. Jean-Michel n’est pas venu avec Didi chez monsieur l’expert ; ça ne fait rien, Didi est fort et sait se défendre. Il va être content Jean-Michel.
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Je
de société NINA
L
a décision n’a pas été difficile à prendre. En fait, ça m’est venu tout seul, ce matin. Pour une fois, j’ai dormi à peu près correctement, sans cauchemar et sans cette douleur au dos qui vient et qui part sans arrêt. Normale,
quoi, la nuit, comme avant. Je me suis réveillé et je savais ce que je devais faire avant même de poser le pied par terre. Une évidence, la fin de mes ennuis… Je suppose que tout ça, c’est la faute à mes parents. On n’a pas besoin de permis pour mettre des enfants au monde, le premier crétin venu peut le faire. Conduire une voiture, non. Avoir un appartement, un boulot, non. Il faut prouver qu’on en est digne, passer des examens, montrer patte blanche. Ça m’a toujours débecté, de me prêter à ces conneries, je veux dire. Mes parents n’ont pas été chercher bien loin : André. Le prénom de mon ivrogne de grand-père. Pour m’élever non plus, ils n’ont pas été chercher bien loin, ils ont fait comme on leur avait fait. Enfin, ils ne m’ont pas laissé dans un immeuble abandonné, emballé dans une serviette d’hôtel comme l’autre con. C’est déjà ça. Bon. Allons-y. André Deweelde. Je vous laisse deux minutes. Ça y est ? Ben voilà, vous avez tout compris. Vous croyez qu’il y a encore des Monsieur et Madame Hitler assez stupides pour appeler leur fils Adolf ? Des Landru qui trouvent que Henri-Désiré, ça fait chouette, comme petit prénom ? Des Petiot qui veulent devenir docteur ? Bien sûr qu’ils ne pouvaient pas deviner, mes pauvres péquenots de géniteurs, que ce type-là serait le plus grand serial killeur de tous les temps. Mais ils auraient pu se creuser un peu le ciboulot, non ? Trouver un prénom original, un truc avec une référence dans les livres, un titre de poème, une vedette de cinéma. Tyrone, Gary. John. Ou même Jean-André. Moi, si un jour j’ai des mômes, ce qui m’étonnerait, je vous jure que je réfléchirai deux minutes…
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Ces histoires de gosses tués ont commencé quand j’avais, quoi, dix-sept, dixhuit ans… Je commençais à être sérieusement démangé par mes hormones et il y avait cette Françoise, dans le pensionnat des filles. À l’époque, vous pensez bien qu’on n’allait pas toquer à la porte des bonnes sœurs en disant : « Salut, je voudrais bien tripoter la petite brune avec des gros seins, celle avec la jupe de travers et l’air d’être une sacrée salope. Vous pouvez aller la chercher, ma sœur, s’il vous plaît ?». Non. Alors, mon pote, le Paul de la boulangerie, qui était enfant de chœur, lui a fait passer un mot par sa frangine. Comme quoi je voudrais bien l’emmener au cinéma. Si une fille acceptait d’aller au cinéma, on était assuré de passer de bons moments, même s’il fallait faire attention. La fille dit oui. Elle m’avait remarqué, figurez-vous, à la messe, aux matches du dimanche, tout ça. J’étais passablement excité, je lavais mes chaussettes tous les soirs dans le lavabo bien que les pieds ne se voient pas et que je ne prévoyais pas d’ôter mes chaussures, j’éclatais mes boutons avec de l’Eau Précieuse et je ne lésinais pas sur l’eau de cologne. C’était prévu pour le samedi après-midi. En avril. Un film américain. Mais le premier gosse est mort. Je ne sais plus comment. Il avait disparu, tout le monde le cherchait, on voyait sa bonne bouille à la télé, en première page de Paris Match. La photo de classe, vous savez, avec le crayon dans la main pour faire comme si on écrivait et la raie sur le côté. Ses parents pleuraient, juraient de donner une rançon, de ne pas prévenir la police et tout ça. Mais on a retrouvé le gamin au bout de trois semaines, enfin, son cadavre. Ça, c’était le jeudi d’avant, ou le vendredi, juste avant le rancard… Le gars a tout de suite été arrêté parce que c’était le voisin du petit et qu’il avait déjà eu des histoires avec les flics. André Deweelde. Avec les deux «e », comme moi, avec le «de » attaché, comme moi. Il y a des De Weelde, en Belgique, des Dewelde, des Develde. Mais l’autre, pile comme moi. Vous voyez le topo ? Tout de suite après, il est relâché, pas de preuves, pas d’aveux, pas de témoins… C’est un gars jeune, je sais pas vingt-cinq ans, trente ans, une bonne gueule, normal, quoi. Sauf que c’était un vrai pervers, le genre qui arrache les pattes des araignées à huit ans et qui tue les chatons à dix. Il avait failli crever à la naissance, encore tout plein des saloperies du ventre de sa mère mais un clodo l’avait entendu. C’est sûr que ça n’a pas dû l’aider à aimer son prochain ! Le vendredi soir, la fille me fait passer un petit mot. Je ne l’ai pas gardé mais en gros, elle disait qu’elle avait une réputation et qu’elle ne pouvait pas sortir avec quelqu’un qui avait eu, ça je me souviens de l’expression, « maille à partir avec
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la justice ». Moi, j’avais toujours crû qu’on disait « maille à partie », comme une partie de maillet, enfin, c’est pas ça le problème. J’en revenais pas. Elle avait sérieusement pensé que c’était moi, l’autre taré qui tripotait les mômes ! Sur le coup, j’ai eu envie de me justifier, de lui répondre, de dire que non, c’était pas moi. Que moi, j’étais un type normal. C’est sûr que je ne suis pas le plus malin, mais je suis normal, j’aime les filles, quoi. Et puis, comme souvent dans ma vie, je me suis aperçu qu’il valait mieux laisser tomber, que si elle pensait comme ça, cette mijaurée coincée, j’irais pas bien loin avec elle. C’est une attitude qui m’a assez souvent réussi. Vous croisez un imbécile, laissez-le rester un imbécile, sinon, vous y passez la journée. Après, vous êtes vanné et lui, il est toujours aussi bouché… J’ai arrêté mes études. De toute façon, c’était pas mon truc et puis, je voulais de l’argent, tout de suite, profiter de la vie, quoi. J’ai trouvé un patron dans un garage et il m’a appris la mécanique. C’était pas compliqué, tous les moteurs sont faits pareil, vous en avez vu un, vous les avez tous vus. Un peu comme les femmes, enfin non, j’exagère. J’avais mon petit appart, le patron me le louait, au-dessus du garage. Il n’y faisait pas chaud et ça sentait l’essence mais ça ne me coûtait presque rien, en plus de l’eau et de la lumière. Le samedi soir, je sortais avec Paul, on buvait des bières, on était peinards. J’ai rencontré Martine, je ne sais plus, peut-être au bout d’un an... On a vite emménagé ensemble, un gentil petit couple. Elle n’avait pas inventé l’eau tiède mais elle était marrante, pas compliquée comme les autres filles et on s’amusait bien. Et puis, ça a recommencé. Cette fois, je me suis intéressé à l’histoire dès le début, je commençais à me sentir concerné… C’était une petite gamine, douze ans, étranglée. Marie, comme la Vierge. Evidemment, violée, quel intérêt, sinon ? Le journaliste a déboulé au garage. Il voulait me parler. Le patron n’a pas fait de commentaire et il n’a pas râlé alors que d’habitude, les conversations personnelles, il n’aimait pas trop. Il m’a donné ma pause et je me suis essuyé les mains, histoire de ne pas foutre du cambouis sur ma Gitane. - Je suis du Républicain. Je voulais juste vous demander ce que ça fait, la garde à vue, les interrogatoires, tout ça… Comment vit-on avec cette suspicion… Je me suis marré et sur le moment, j’ai été tenté de l’enfumer, le gars, de lui raconter des histoires de prison et tout ça, ça m’aurait bien plu de lui sortir un tatouage ou une cicatrice de bagarre, mais je manque d’imagination, alors, j’ai
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juste dit la vérité. Que c’était pas moi, quoi. Qu’il se trompait de gars. Tout juste si j’ai pas dit que j’étais désolé ! Le patron m’a viré. Il ne voulait pas d’histoire, surtout avec des gosses, que les gosses, c’est sacré et tout ça. C’était un connard mais j’ai quand même essayé de lui expliquer. Mais il m’a dit que dans le commerce, on pouvait pas se permettre, les clients et tout ça, que j’étais un bon mécano et que je retrouverai ailleurs. Il devait quand même se sentir un peu merdeux parce qu’il m’a donné deux mois de salaire et m’a laissé occuper le garage une semaine de plus, le temps de me retourner. Evidemment, que j’ai cherché du boulot ! Mais ça devenait compliqué : il fallait que j’aille voir dans les autres villes, j’avais pas de voiture, je retapais une vieille R 16 mais j’avais encore plein de boulot dessus quand j’ai été viré et il me manquait des pièces. Martine était serveuse au Bilboquet, ça lui plaisait bien, et puis elle commençait à ressembler à ma mère, elle était bien dans son trou. Elle parlait de mariage, de trousseau, tout ça. Moi, chaque fois que je me présentais à une place, il fallait que je raconte tout le topo : le nom pareil, le garage, le journaliste. Je ne sais pas pourquoi, on ne me prenait pas, peut-être parce que je forçais un peu sur la bière à l’époque et que j’avais arrêté de laver mes chaussettes dans le lavabo… C’est quand le type s’est sauvé que ça s’est vraiment gâté pour moi. La police avait découvert des macchabées dans le jardin des gens qui lui faisaient comme ses parents, des gens que l’état payait pour qu’ils élèvent un assassin ! Je ne sais plus combien il y en avait, des enfants, des filles jeunes, un ou deux hommes, des disparus depuis des années qui remontaient avec les pelles, en petits morceaux. Quand je passais devant un kiosque à journaux, je voyais mon nom, en gras, en gros, avec des mots affreux à côté : monstre, boucher, violeur, torture, docteur j’ai kill, assassin. Je pensais que tous les gars qui me connaissaient pensaient à moi. Mes vieux potes d’école, mes maîtres, le curé, les voisins… Tous ces cons que je ne reverrai jamais, ils pensaient à moi. Ils pensaient que c’était moi, le salaud, l’ordure. Les passants qui achetaient le journal, les gars du café, devant les infos à la télé, ils disaient qu’il faudrait la peine de mort pour ces salauds, qu’on les zigouille, les tueurs d’enfants. Qu’on leur fasse la même chose. Un petit garçon avait été brûlé vif, j’ai entendu une grosse dire que ça serait normal
de faire un bûcher, et de sortir les lance-flammes des
Allemands pendant la guerre. Ils disaient mon nom.
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Soudain, Martine ne voulait plus se marier, elle n’en voulait plus de mon nom. Ni de moi. De toute façon, elle m’agaçait, avec ses manières de vouloir parler, savoir pourquoi les canettes de bière s’entassaient devant moi au café, pourquoi j’avais arrêté de chercher du boulot, pourquoi je ne parlais plus aux gens. Elle croyait quoi ? Que ça m’excitait qu’on me regarde comme si j’étais Jack l’éventreur chaque fois que je sortais ma carte d’identité ? Que ça me faisait marrer de rester bloqué deux heures sur le bord de la route à chaque fois que les flics contrôlaient mes papiers ? Que ça me plaisait d’être retourné vivre chez mes parents ? Des gens à qui les commerçants ne voulaient plus faire crédit ? À qui on disait qu’ils n’avaient pas de chance d’avoir élevé une telle vipère ? Partout, tout le temps, l’autre. Lui, il avait une vie. On le connaissait. Il était fort, le salaud, il n’y en avait que pour sa gueule, André le boucher par-ci, Deweelde l’étrangleur par-là. Et des détails ! De toute sa vie ! Sa maîtresse d’école, qui s’en souvenait très bien, un gentil petit gars, effacé mais intelligent, son proprio, qui vantait son amabilité, sa petite amie, qui le trouvait très doux. Il parait qu’il la baisait bien, ce fumier ! Galant et tout le tralala. Faisait traverser les vieilles… Des détails, des gosses. Noyés, étranglés, battus, séquestrés pendant des semaines, avec l’autre pauvre pomme de propriétaire en dessous qui ne s’est jamais douté de rien. Et moi ? Moi ! Moi, j’ai plus rien, plus personne. Je dors mal. L’alcool me fait dormir mais pas aux bonnes heures, je me réveille avec le cœur qui tape et j’ai cette saloperie de mal de dos. On le retrouvera pas. Ils vont le chercher encore des années et lui, il va bien s’amuser. André Deweelde. Il est fort, très fort, le gars… Il va continuer à en baiser et moi… Mais c’est fini. Ce matin, je me suis réveillé avec l’esprit clair. Je sais quoi faire, c’est fini de regarder passer les trains… Le fusil de mon père est bien propre, chargé, quatre boîtes de cartouches, la chasse au sanglier, ça a du bon ! Entrer dans l’école, a été un jeu d’enfant. C’était l’ancien pensionnat de filles, celui de la petite brune. La récréation, c’est à dix heures. Dans dix minutes. L’autre, il aura plus qu’à fermer sa grande gueule. Ouais, tu vas la fermer, connard. André Deweelde, c’est moi. C’est mon tour. A moi….
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Carnet
de campagne
3
du soldat Anicet Canus au 150 R.I.
C
ette nouvelle partie correspond aux premières pages du deuxième carnet en notre possession. Il n’est pas écrit de façon linéaire comme le précédent. En effet, par deux fois, mon grand-père revient sur
certaines dates antérieures pour poursuivre son récit. C’est étonnant. Après étude du carnet et du texte, cela ne peut pas être attribué à un saut de pages involontaire. La place utilisée, l’écriture dans sa forme et le type de crayon employé, les ajouts, nous permettent d’émettre plusieurs hypothèses : - A-t-il laissé des pages blanches pour compléter son texte lors des périodes dites «de repos», en se servant ou non de notes prises par ailleurs ? - A-t-il laissé des pages blanches, ou a-t-il repris la chronologie ultérieurement pour pouvoir y apporter des précisions qu’il n’avait pas le droit d’écrire pendant le déroulement des évènements (une censure était appliquée) ? Ce sont des hypothèses, il en existe peut-être d’autres… J’ai donc retranscrit le texte tel quel, au mieux, en marquant cependant des séparations à chaque «retour en arrière». Les noms de lieux ont été vérifiés. Un seul ne trouve de référence nulle part (à ce jour). Il s’agit du camp «Schwaeble». C’est pour cela que je le fais figurer en italique. Christine Bonamour
PAGE_161
1917 21
13 juin- Le matin quitté Mareuil-enavril-
Départ
de
Chalons-le-
Vengeur. Cantonnement à Courcelles-
Brie pour Vert-la-Gravelle. Demain on va rejoindre Fère-Champenoise.
Sapincourt. 14 24
avril-
Départ
de
Courcelles.
juin-
Quitté
Vert-la-Gravelle
arrivé à Connantray (5 km après Fère-
Cantonnement à Olizy et Violaine.
Champenoise). Y restons le 15, repos.
7
______________________________
mai-
(lundi)-
Départ
de
Olizy.
Baraqués à Romigny. Camp des Grandes Places- Le 20 mai, 14 mai- (lundi)- Le 3
bataillon
combat intéressant d’avions. Un boche
gagne Faverolles. Ils nous cèdent la
est descendu. L’artillerie tire toute la
place le 15 où nous allons avec le 2°.
journée près de nous. C’est assommant.
Le 1° quitte Romigny le 16.
Les ripostes ne viennent pas trop près
ème
heureusement. 15
mai-
Départ
de
Romigny
pour
Faverolles.
Le
lundi
21
mai-
Deux
saucisses
françaises sont abattues en flammes par un avion boche. Les observateurs
16 mai- Départ de Faverolles. Arrivée
descendent en parachute.
à Chalons-le-Vengeur. Le 18 au matin le colonel monte au secteur Berry-au-
Samedi 26 mai- Voilà une semaine que
Bac. Je reste avec le T.C. que je rejoins
je suis aux «Grandes Places». C’est
aux Grandes Places le 19 matin.
une semaine de repos pour moi et de bon repos. Beau temps, pas beaucoup
7 juin- Quitté les Grandes Places le
de travail, pas de patron. C’est la
6 pour rallier le régiment à Vaux-
bonne vie. Il faut bien en profiter,
Varennes d’où nous partons le 7 juin
cela ne va pas durer longtemps.
matin pour aller à Romigny. Dimanche 27 mai 1917- Pentecôte. 8 juin- Quitté Romigny pour aller à Try
L’heureux séjour aux Grandes Places
(2 km de Dormans).
continue.
Beau
temps
jusqu’à
ce
jour. Bonne nouvelle sur les journaux 10 juin- Quitté Try pour Mareuil-en-
interalliés : La coopération effective
Brie. Repos les 11 et 12.
des Américains sur le front français, sous la forme de valeureux soldats du
PAGE_162
Royaume punique en complet kaki et
arrivée à Romigny. Il s’y serait passé
armés de carabines…conduisant des
du grabuge: coup de mitrailleuses par
camions-automobiles ! Bravo. De cette
le 42ème R.I. en ville en 2ème sur le 120°
façon, cela permettra de conduire tous
cantonné à Romigny (!!!?)
les Français valides à la Boucherie. Je crois la France destinée à un réel
Les
martyre, mais le sacrifice accompli, je
permissionnaires. Avec le bon esprit
6
et
7-
me demande pour qui sera l’auréole.
militaire toujours aussi mal équilibré:
Grands
départs
de
on est six mois à faire tirer la langue 30 mai- Une saucisse française est
au poilu, à l’énerver, même l’exciter,
abattue en flammes par un avion
puis brusquement, le mal empirant, on
(avion français paraît-il monté par un
accorde plus qu’il ne faut.
boche).
Je ne change pas d’idée: on ne les a
Nuit du 30 au 31- Coup de main boche
pas encore, par notre faute et si on
vers Sapigneul : sur 22° chasseurs à
les a plus tard ça sera par la force des
pied. Mairie sautant. Prisonniers. Ils
choses.
occuperaient une partie des 1ères 16 juin- Quitté Connantray pour le
lignes.
camp de Mailly. Enfin à destination 4
juin-
23
heures.
Les
avions
pour une douzaine de jours.
boches passent au-dessus de notre campement comme tous les soirs mais ne
8
déposent leurs bombes que plus loin.
Embarquement
juillet-
Aujourd’hui, une de nos saucisses a eu
Arrivée le 9 région de Vaucouleurs
son câble coupé par un obus boche. Le
(Maxey / Vaise).
Quitté par
camp
de
chemin
Mailly. de
fer.
pilote serait descendu en parachute, la saucisse est partie à l’ennemi, la
23 juillet- Départ de Maxey à 15h en
traître !
camions autos pour Belleray près de
Relevé cette nuit et la nuit prochaine.
Verdun. 23 juillet- Arrivée à 20h30 à Belleray
8 juin- Adieu Grandes Places. Dernières vacances
déjà
lointaines.
près de Verdun.
Marches
bien fatigantes depuis surtout le 7, de
30 juillet- Départ de Belleray pour le
Vaux-Varennes à Romigny. Je n’ai jamais
secteur. Arrivée zone de Louvemont le
flanché en route. Cette fois sans le
30 à 12h.
sac je lâche la rampe !avant notre
P.C. carrières d’Haudiomont.
PAGE_163
18
août
17-
Quitté
les
carrières
Arrivée verrerie Allamps (M. et M.).
d’Haudiomont à 3h1/2 le matin, arrivée
6
oct.
17-
à 6h au Faubourg Pavé.
d’Allamps entre Vannes-le-Châtel et
Départ
de
la
verrerie
Allamps. Arrivée vers 11h au camp de 25 août 17- Départ à 19h du Faubourg
Bois l’Evêque après Pierre-la Treiche
Pavé, arrivée à 23h30 à Sénoncourt.
(M. et M.).
27 août 17- Départ de Sénoncourt,
16 oct. 17- Départ camp de Bois
arrivée à minuit à Faubourg Pavé.
l’Evêque en camions.
28 août 17- Le régiment monte le soir
Arrivée camp Schwaeble secteur calme
en secteur.
préférable au repos de Bois l’Evêque
P.C. carrières d’Haudiomont.
( jusqu’alors!).
24 7bre 17- Embarquement à camions
22 mai 18- Arrivée à Villey-saint-
à
Etienne (départ du camp Schwaeble le
Verdun
à
9h.
Débarquement
à
Taillancourt-Montbras près de Maxey-
matin).
sur-Vaise à 8h du soir. Passage à Void. 23 mai 18- Départ de 5 oct. 17- Départ de Taillancourt à 6h.
Villey-saint-
Etienne. Arrivée à Blénod-lès-Toul.
PAGE_164
28 mai 18- 10h soir. Départ de Blénod-
8
juillet-
lès-Toul. Embarquement en chemin de
permission – arrivée 9 matin.
Départ
de
Mailly
pour
fer Domgermain (départ en train le 29 16 juillet 17- Demain je rejoins le
matin de Blénod).
régiment toujours à Maxey. Mais il fait 29 mai 18- Débarquement du train près
justement mouvement demain paraît-
de Pont-à-Mousson. Montée en auto
il. Retour de perm le 17,
pour nous cantonner à Champey.
le régiment toujours à Maxey. Départ peut-être le 20. Non c’est le 23 en
20 juillet 18- Arrivée à Monthelon
auto.
(Marne). Le 28- Les boches doivent bombarder 21 juillet 18- Arrivée à Congy.
Belleray. Tuyau! En effet le 27 à 11h du soir, formidable explosion. Les vitres se
22
juillet
18-
Arrivée
à
Semoine
(Aube).
brisent dans notre pays. Fuite éperdue de tous côtés. Comme réveil c’est un peu brutal. Mais ce n’est qu’un dépôt
25 juillet 18- Départ de Semoine.
de munitions qui saute à 4 km de là !!.
Nuit du 25 au 26- Embarquement en 1er août- Secteur à peu près tranquille,
chemin de fer gare de Sommesous.
sauf quand notre P.C. est bombardé. 26 de
juillet Thaon
18-
Débarquement
(Vosges).
Arrivée
gare au
cantonnement de Mazelay.
Dans deux ou 3 semaines, une attaque française
doit
avoir
lieu
dans
le
secteur. Notre régiment ne doit être qu’en réserve paraît-il.
31 juillet 18- Départ de Mazelay. 1er août 17- Un petit dépôt saute en
Arrivée à Vincey (Vosges).
bas de notre carrière vers midi. Un obus 17 août 18- Départ de Vincey. Arrivée à
est tombé dedans. Cela devient agité.
Virecourt (M. et M.). 3 août 17- Cela s’agite toujours. On 18 août 1918- Départ de Virecourt pour
craint un coup de main cette nuit sur le
Ville-en-Vermois.
3e bataillon. Ils veulent, je crois, nous
Nuit du 18 au 19 août 18- Départ de
«réaliser».
Ville-en-Vermois. ____________________________
PAGE_165
Les boches ont lancé sur Verdun leur
par les gaz. Les boches en font une
380 fusants!!! C’est le progrès.
vraie débauche. Je garde le masque 3 heures sans arrêt ! C’est dur. Enfin on
5 août- Nous déménageons de P.C. Le
se sauve à 3h1/2. Le ravin est encore
G.B.D. nous fait déloger. Nous sommes
tout infesté. Je saute dans une carriole
mal installés. Pluie, brume, moche
dont les cahots me démontent bras et
comme villégiature.
jambes et le reste. Ça ne fait rien on
Carrières d’Haudiomont dimanche 12
file. Faubourg Pavé à 6 heures. Enfin
août. On parle de relève pour la nuit
des feuilles après les arbres et de la
du 14 au 15 par les unités d’attaque
terre
287, 155 et 154. Le coup de torchon
Pavé est pas mal esquinté. Pas une
est donc proche.
maison qui ne soit tombée.
moins
bouleversée.
Faubourg
14 août- Les 2
20 août- Attaque
dernières nuits,
par le 32e corps.
bombardements
Nous en réserve.
avec
à
Ça réussit. Des
gaz. C’est assez
prisonniers
moche.
passent.
Le
obus
soir
le
Détachement
23
d’Elite 105 D.I.
Bombardement
doit
à gros calibres
faire
un
coup de main à 20h40 et juste nous
du
quittons le secteur à 21h pour aller au
est
Faubourg
Faubourg Pavé…
bombardement
Pavé
encadrée.
La par
:
août
notre nuit
17-
cagna
dernière
avions
des
environs. 16 août- La relève a été décalée de 48h, donc a lieu ce soir. Le coup de
25 août 17- Nous quittons ce soir le
main de 2h a eu lieu hier.
Faubourg Pavé pour Sénoncourt. Les journaux nous apprennent ce matin
17 août- La nuit dernière gazeuse.
la prise de la cote 304 à quelques km
Relève remise encore de 24h, doit
de là. Nous ne le savions pas. C’est
avoir lieu ce soir.
brûlant. Nous n’allons à l’arrière que pour
Nuit du 17 au 18 août- Relève retardée
quelques jours. Nous reviendrons
PAGE_166
ensuite Il doit se passer encore un
On parle du départ de Taillancourt pour
petit coup de chien. Je crois que la
le 2 octobre. Destination vaguement
161° attaquera…
inconnue.
26 août- La nuit dernière, voyage
Camp de Bois l’Evêque dimanche 14
de
agité.
octobre 17- Après série de pluies
Bombardements par canons à Dugny. Le
torrentielles jusqu’à ce matin, voici
reste du chemin, les avions bombardent
un peu de soleil l’après-midi. On part
et mitraillent. A Landrecourt tuent un
demain (2 bataillons) et après-demain
aspirant et font des blessés. Ce soir il
du camp pour le secteur de Marbache.
pleut, ils ne viendront pas.
Départ en camions. Le camp de Bois
Verdun
à
Sénoncourt
l’Evêque serait un séjour agréable Le 8 7bre 1917- Attaque pont de
en été mais c’est moche par la pluie.
B e a u m o n t -
A
Dozon-Vaux.
Toul et de Nancy
Le
le 10 au 11 soir,
1er
bataillon
proximité
de
r ep r ésente
on voyait
le
bombes d’action
régiment.
Bouzillage le
dans
éclater
Brouillard.
Maxey,
Genre Sapigneul.
les sur
phares
etc…
On serait enfin au repos.
Camp Schwaeble région de Pont-à-Mousson.
24 7bre- On doit aller à Void puis à Maxey
18 oct. 17- Arrivée ici le 16 après-
et enfin on se fixe pour Taillancourt
midi par beau temps. Chic coup d’œil à
petit trou près de Maxey. Passage à
l’arrivée. Dommage qu’on y vienne pour
Void arrêt un quart d’heure. On doit
la mauvaise saison. Nos prédécesseurs
rester quelques jours seulement ici
(153e R.I.) du 20° C.A. viennent d’y
puis aller je ne sais où peut-être un
passer 3 mois ½. Les veinards ! C’est
petit coin tranquille (est-ce vrai?).
mieux ici qu’au repos au camp de Bois l’Evêque.
30 7bre 17- Départ de 2 collègues en
Cabanes aériennes et cela à peine
perm, un à l’infirmerie. Me voilà seul
à 2km des Boches. C’est de même
sans l’administration des 2 sous-off,
à proximité des 1ères lignes. Cela
sans compter les autorités supérieures.
ressemble plutôt à une guerre pour rire
PAGE_167
cette sorte d’entente avec l’ennemi,
Lundi 14 janvier- Toujours Forêt de
pour réserver de ces petits secteurs
Facq. Le séjour se prolonge jusqu’à la
tranquilles dits de repos.
fin de ce mois paraît-il.
C’est la 1ère
fois que le régiment reste si longtemps 22 oct. 17- L’ordre tant attendu,
au
conférer la fourragère au Régiment de
devient pas plus intelligent pour cela
la division, est arrivé. Les cordeaux sont
et la paix s’éloigne de plus en plus. Il
sortis de quelques cantines !! Enfin.
faudra bien pourtant que les Boches
L’essayage fut long!!… Notre tank ne
en aient «marre» avant nous.
même
endroit.
Le
métier
n’en
porte pas cela très gracieusement, Forêt de Facq- Dimanche 3 février
son bide est trop volumineux.
18- Oui toujours Forêt de Facq ; ne Vendredi 26 oct.17- B C Schwaeble.
plus
A midi nos 90 se mettent à tirer 18
nous laisse si longtemps ici… Bruits
coups sur les vergers d’Eply. Ça se
persistants depuis un certain temps
paye. Riposte violente et pas loin de
de grande offensive Boche. On prévoit
nous! Agréable rappel aux bons usages
sur Nancy. Nous sommes donc aux
du secteur. On se regarde mais défense
premières loges. La Seille forme barrage
de sortir les griffes.
mais ne nous empêcherait pas d’être
s’étonner
de
rien,
puisqu’on
contournés. Pour cela il faudrait une En permission du 2 novembre (départ)
attaque grand style.
au 13 novembre 17 (retour)- Nancy et
Vargas
Void. Ai rejoint le Régiment toujours
comptent
dans la forêt de Facq.
évacuer en masse. Pour le 18 février,
m’écrit
aujourd’hui
quitter
Nancy.
qu’ils
On
fait
il ne doit rester que 10 000 habitants Forêt de Facq- 27 nov. 17- Neige ce
à Nancy. Précautions sans doute. Mais
matin… B R du 26. Nos grosses pièces
cela m’attriste cependant.
ont tiré le 25 sur Vigneulles. Va-t-il y
Le 31 du mois dernier, bombardement
avoir riposte pour Commercy ?
de Paris par avions: plaintes à grand orchestre
sur
tous
les
journaux.
B R du 28- Naturellement Commercy a
Pauvres Parisiens ! C’est la guerre et
écopé en riposte.
vous la voulez jusqu’au bout! Courage voyons –
3 déc. 17- Le séjour se prolonge en Forêt de Facq. Mais il n’y fait pas
Série noire en ce moment: il y a 8
chaud.
jours
PAGE_168
j’apprends
brusquement
les
fiançailles de M.V.!!
Comme beaucoup elle craint sans doute ne plus trouver
amateur après la guerre et saisit la première occasion. Pourtant la bonne marchandise trouvera toujours acquéreur.
PAGE_169
Chronique
du temps des murs (Encore
4
debout)
DIALOGUES REELS ET IMAGINAIRES ENTRE PARIS BEYROUTH ET HAIFA
Olivier THIRION
D
ans « Tsahal », le film de Claude Lanzmann un général israélien explique : « Notre armée est pure ..., elle ne tue pas d’enfants. Nous avons une conscience et des valeurs et, à cause de notre morale, il y a peu de
victimes... ». Depuis le début de la nouvelle guerre au Liban plus de quatre cents morts (presque uniquement civils) illustrent la moralité et les valeurs de l’armée d’Israël, sur ces quatre cents morts, plus du tiers sont des enfants ! J’admirai l’homme et son oeuvre à cause de « Shoah » bien sûr, à cause de ses engagements passés aussi. Il avait été signataire de l’Appel des 121 pendant la guerre d’Algérie, texte appelant à la désertion dans une guerre injuste. Comment cet homme est-il passé de l’anticolonialisme à la justification systématique d’un nouvel impérialisme devenant le propagandiste d’une armée de conquête ? Je me promène dans Paris. Paris vide sous la canicule... Est-on conscient que se promener est un privilège ? Ailleurs on ne se promène pas, on court sous les bombes ou les missiles, espérant ne pas croiser une balle perdue ou un fou de dieu en route vers le paradis de la combustion instantanée. Les gens pique-niquent sur les bords du canal de l’Ourque. Ils rient, ils boivent, les filles sont belles. Je marche librement, sans entrave à la recherche d’un café pour y écluser une bière. Le ciel est libre de nuage. Je marche, abruti de chaleur mais heureux... Sans bombe tombant du ciel, sans obus écrasant au hasard les maisons reconstruites depuis la dernière guerre. Vivant le désoeuvrement d’une ville en paix. Prenant le temps de m’ennuyer à regarder les gens se ventiler avec leurs journaux. Attendant l’orage qui ne vient pas...
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À une terrasse de café, un type explique doctement à une fille beaucoup plus jeune que lui : • J'en ai marre de toutes ces critiques contre Israël... On ne peut rien comprendre d’ici, dans une ville en paix. Eux ont toujours été en guerre. Imagine que des terroristes bombardent la France depuis le Luxembourg et que leurs missiles tombent au hasard sur nos villes et nos villages... Que ferions-nous alors ? Il faut frapper fort pour rétablir la dissuasion. Que les terroristes sachent ce qu’il en coûte d’attaquer Israël. Qu’on laisse enfin Israël en paix… Tu te rends compte... tous ces missiles tombant sur les innocents... Non il faut que cela cesse. Alors autant y aller une bonne fois pour toute. Alors la fille lui prenant la main : • Bon, on y va, on va rater la séance de neuf heures... J’ai lu que les Libanais se réfugiaient dans les camps de réfugiés palestiniens... Que les Israéliens bombardent les banques et les stations-service. C’est sans doute pour ça que le type au café parle du Luxembourg, là-bas aussi il y a beaucoup de banques et de stations-service... Je pense au fils de mes amis dans une cave à Tyr... Une vraie tête de terroriste celui-là, avec ses grands yeux marrons et sa bouille de gamin de quatre ans… La maison de ses grands-parents a été détruite en 82... « Paix en Galilée » ça s’appelait à l’époque. Déjà il fallait aller jusqu’au bout pour chasser les terroristes et protéger le nord d’Israël. Les grands- parents n’ont pas reconstruit, ils sont partis vers la ville la plus proche... Où iront-ils demain...? Le gamin vient d’être rapatrié en France… belle expérience, belles vacances au pays des cèdres. De l’autre côté, les gens travaillent et vivent depuis toujours avec la peur de perdre cette terre qu’enfin ils ont retrouvée. Peur d’être jetés à la mer. De repartir pour un cycle d’errance. Et tant pis si leur présence ici est le fruit d’une épuration ethnique, tant pis si leur implantation a poussé des centaines de milliers d’autres hommes dans les camps de l’exil remplissant des centaines de camps de réfugiés dans tous les états alentour. Tant pis si ces hommes ont laissé leur terre, leurs maisons pour des camps de misère où macèrent la haine et le désir de revanche. Le peuple israélien n’est bien sûr pas responsable. Cette terre est leur pays, ils l’ont construit, leur présence ici est légitime. Quand je parle du peuple israélien je ne parle pas, bien sûr, des colons occupant la Cisjordanie et de leur cynisme national-religieux. Ce sont eux, la cause véritable de la situation actuelle. Eux
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et la politique de colonisation de tous les gouvernements successifs d’Israël (de droite comme de gauche) qui avec constance ont cherché à rendre la situation des « territoires » irréversible ne désirant accorder rien d’autre aux palestiniens que quelques bantoustans où ceux-ci pourraient auto administrer leur misère... La paix généreuse octroyée par Israël, c’est la plus grande prison du monde (à l’exemple de Gaza, ou un million de pauvres « vivent » derrière une triple rangée de barbelés, sans aucune ouverture sur la mer...). Le dessein d’Israël, c’est quelques bantoustans isolés les uns des autres, entourés par des colons à l’abri d’un mur... mur de la honte, mur de l’apartheid... Un peuple a créé son état, après des siècles d’exil. Un autre peuple a commencé son errance. Drame contre drame. Exil pour exil. Diaspora contre diaspora. Comme si la terre était trop petite et qu’un coin devait en chasser un autre. Cela n’excuse rien, ni les bombes humaines, ni la haine religieuse, ni le racisme, ni les délires antisémites. Le cynisme du colon rencontre la haine et son cortège de bêtises. Haine religieuse, haine nationaliste. L’occupant
et
l’occupé
pratiquent
tous
deux
l’amalgame,
la
punition
collective... L’humilié d’hier humilie à son tour et l’autre ne voit de solution que dans l’annihilation du plus fort. Mais la question est et reste : Qui occupe qui ? Qui est la victime ? Qui est l’oppresseur ? Dans une guerre du fort au faible, ce que l’un appelle terrorisme est résistance pour l’autre. • C'est quoi un terroriste ? • C'est un type qui balance des bombes n'importe où et qui tue des innocents. • C'est quoi un soldat ? • C'est un terroriste qui reçoit ses ordres d’un gouvernement légitime. • C'est quoi un gouvernement légitime ? • C'est un gouvernement élu démocratiquement et reconnu par les autres pays. • Mais si des « terroristes » sont élus et font partie d’un gouvernement ? • Ils sont illégitimes. • Et si un gouvernement démocratique utilise des méthodes terroristes ? • Il est légitime. • J'ai du mal à comprendre.
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• Y'a rien à comprendre. En fait si,
passage de ta machine. Et un homme
il existe un critère unique pour s’y
ruiné, est-ce l’habitant d’une ruine ?
retrouver. • Lequel ?
Il est de beaux vestiges romains à
• Si ça convient aux Américains, alors
Tyr... Si hautains qu’on les imagine
c’est légitime !
sans homme. Ils ont toujours été là,
• Ah oui ! C'est vrai que c'est beaucoup
marque du temps qui passe, résistant
plus simple comme ça... Essayons.
au temps qui passe.
• Des
soldat
Les ruines antiques sont majestueuses.
d’un pays occupant leur territoire et
La pierre est belle, le vent s’y engouffre
veulent l’échanger contre des femmes
et les chats s’y promènent. On y prend
et des enfants détenus de manière
des photos de vacances et l’on se perd
administrative, sans procès, souvent
dans le romantisme urbain.
hommes
enlèvent
un
sans preuve. • Illégitimes. • L'état
en
Les ruines sont hantées. Habitées par question
bombarde
le
les morts de la guerre d’avant.
pays occupé, tue des enfants, des innocents, arrête des députés et des
- Eh gamin ! T’as connu la guerre
ministres élus...
d’avant ?
• Légitime.
• J'ai pas connu la guerre d'avant,
• Tu as raison, ça marche !
mais mon frère oui, c’est un héros mon frère...
Je pense à une caricature, à un
• Il fait quoi ton frère maintenant ?
dessin possible : la bannière étoilée,
• Rien il est mort.
cinquante petites étoiles plus une,
• T'as envie de grandir ?
une étoile de David. Israël, cinquante
• Ouais, je veux devenir grand.
et unième état des USA !
• Pourquoi ? • Pour être un héros et pour venger
C’est quoi une ville là-bas ? Les pierres
mon frère !
écrasant des vies. Des bombes écrasant des pierres. Une ville en guerre, c’est
Murs
un tas de ruines dont il nous reste des
impacts de balles. Ville décrépite.
images du temps d’avant les bombes.
Habitants exilés de leur propre ville,
- C’est quoi, gentil pilote de bombardier
rejetés toujours plus loin. J’ai lu que
sans état d’âme, une ruine ? C’est une
certains
maison où vivait une famille après le
été reconstruits cinq ou six fois.
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écroulés,
murs
à
vérolés
Beyrouth
par
les
avaient
? Parce que la défaite,
Dimanche 30 juillet 2006 : « Cana a été
le renoncement seraient de ne pas
totalement dévasté par des frappes
reconstruire...
israéliennes. Le bilan est de 52 morts,
Toujours dans « Tsahal », un colon
tous des civils, dont 30 enfants parmi
dit fièrement : « Les Arabes n’ont rien
lesquels 15 étaient des handicapés
construit, nous construirons ici ! »
physiques et mentaux. » C’est dans ce
Paysan palestinien dont les colons
même village que l’armée israélienne
bouchent
les
avait
oliviers,
détruisent
Pourquoi
puits,
arrachent
les
massacré
lors
d’une
guerre
maison.
précédente des dizaines de familles
Libanais, Musulman ou Chrétien qui
réfugiées dans les locaux de la Finul.
après des années de guerre civile,
Il y a des lieux comme ça où l’on ne
après l’invasion de 82 a remis son
désire
pays debout (plus ou moins d’accord),
secondaire...
tu ne construis rien et les Israéliens
Aujourd’hui, 09 août 2006, le bilan,
le feront à ta place, quand tu seras
brut dans son abstraction et son
parti, bien sûr, ou quand tu seras mort !
absurdité, est le suivant :
Et si je dis que ce colon est raciste parce
- 1100 civils tués au Liban parmi
qu’il présuppose une impossibilité « à
lesquels un millier de civils (combien
construire » basée sur le fait d’être
de terroristes ?)
un « Arabe » alors c’est moi qui suis
- 900 000 déplacés
un antisémite.
- 36 civils et 65 soldats tués en
Oui, les Israéliens rêvent de la paix,
Israël…
mais de leur paix. Une Pax Israelia.
Et la partie continue !
la
Une paix sans la justice, une paix des cimetières et de l’exil. Le premier ministre
d’Israël
le
dit
lui-même :
« Dans cette région, toutes les paix se sont faites à la suite de guerres ». Paix du plus fort, paix imposées par la
plus forte armée sur les ruines et sur l’humiliation de l’autre. C’est quoi la paix? C’est l’absence de guerre, c’est la mort, c’est la vie, La paix n’existe pas... (Paris-Nancy 26 juillet 2006)
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