THE ELI AND EDYTHE L. BROAD COLLECTION / PHOTO: DOUGLAS M. PARKER STUDIO
Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 13 juin 2015
ARTS 4 VIES DANS L’ART
TOUT TONY OURSLER
OLIVIER MOSSET
LA BIENNALE DE VENISE VUE PAR MARC-OLIVIER WAHLER
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Le Temps l Samedi 13 juin 2015
Arts
ÉDITO
Le rituel revient chaque année avec la même régularité que le printemps après l’hiver. La semaine prochaine, le pèlerinage de l’art contemporain, après être passé par Hongkong (Art Basel déjà) et Venise (pour la Biennale), s’arrête à Bâle, avant d’embrayer en octobre sur Londres (pour Frieze London) et Paris (pour la Fiac). Mère de toutes les foires internationales, Art Basel reste, sur ce parcours global, l’indépassable référence malgré la concurrence. Un étalon-or qui augmente de volume chaque année. En 2014, la section «14 Rooms» rappelait aux collectionneurs qu’une performance est aussi un objet d’art à vendre. En 2015, ce sera Photo Basel, signe du regain d’intérêt commercial pour l’image numérique. C’est dire aussi que la foire a passablement évolué. Depuis sa création en 1970 par les galeristes Ernst Beyeler, Trudi Bruckner et Balz Hilt, elle s’est professionnalisée, s’est agrandie et a très vite saisi, à l’orée des années 2000, l’opportunité de la mondialisation en dispersant ses franchises sur trois continents. Elle est aussi devenue un sujet médiati-
SOMMAIRE
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Top left: Dr. Evil spook show lobby card, 1950s-60s. Philip Morris, known by his stage name, “Dr. Evil,” was a stage magician and owner of Morris Costumes in Charlotte, North Carolina. Middle left: Photograph of a midnight horror-film screening, 1952. Bottom left: Spread from Nelson Enterprises catalog, 1948. Nelson Enterprises – a Columbus, Ohio company – manufactured a variety of products for stage magicians, mind readers, and astrologers.
Manière de dire que tout l’art contemporain ne s’expose pas à la 45e foire de Bâle. Il se trouve peut-être à Venise, à la Biennale qui a ouvert ses portes il y a un mois. Même si, là aussi, il s’agit d’une certaine vision de la création actuelle, celle d’Okwui Enwezor, commissaire nigério-américain qui dresse sur la lagune sa proposition de tous les futurs du monde. Et que ce horssérie vous propose de visiter avec le curateur suisse MarcOlivier Wahler.
Le «Rabbit», sculpture de Jeff Koons de 1986. Produit à trois exemplaires, ce lapin en inox préfigure les œuvres géantes de l’artiste américain inspirées de jouets gonflables. Image publiée avec l’aimable autorisation de The Broad Foundation, de la galerie Gagosian et de Jeff Koons.
DOUGLAS M. PARKER STUDIO/ROY LICHTENSTEIN FOUNDATION
Quatre vies pour l’art
Deux galeristes, deux collectionneurs: quatre manières d’envisager l’art qui s’achète et qui se vend. Mais une seule motivation, celle du plaisir de vivre avec des œuvres qui racontent notre temps. Par Emmanuel Grandjean
8 8 Eli Broad
L’art par milliards
A la tête de deux des plus grandes collections d’art américaines, Eli Broad a pesé sur le nouveau statut artistique de Los Angeles. Lié aux deux grands musées de la ville, il a pourtant décidé de s’offrir le sien. Par Isabelle Campone
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GUILLAUME ICCARELLI/ COURTESY GALERIE PERROTIN
L’art chinois à la conquête du monde
L’héritier d’une des plus grandes fortunes de Hongkong met l’art dans ses centres commerciaux et a créé une académie pour soutenir les jeunes talents chinois. Il sera à Art Basel en juin. Par Frédéric Lelièvre, Hongkong
Car Art Basel n’est pas la vraie vie de l’art. Elle en est un certain reflet, celui du top du marché avec ses artistes stars et ses cotes parfois mirobolantes. Certes, il y a là sans doute ce qui se fait de meilleur en termes de qualité et ce qui se vend de plus cher. Mais pour la découverte, il faut savoir dépasser l’effet de mode et ne pas viser uniquement les grosses signatures. Collectionner l’art contemporain est une discipline rétive à la précipitation. Vendre et acheter. Défendre et collectionner, tout cela réclame du temps à une époque qui ne lui en laisse pas énormément.
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12 Emmanuel Perrotin
Rock stART
Galeriste de tous les superlatifs, marchand d’art self-made-man, roi de la fête, Emmanuel Perrotin détonne dans le monde de l’art français en affichant une réussite internationale. Présent à New York et à Hongkong, il nous reçoit à Paris. Par Linn Levy
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The pages here include listings for instruction manuals explaining how to perform illusions involving telepathy. Top right: Ghost show poster, London. Described as the “4th Dimension of Modern Entertainment,” the show featured a séance and a “Crystal Mind Act” involving audience participation. Bottom right: Ghost show poster for the “5 Big Happenings of Horror!” 1960s.
Magic prop hand, c. 1918. Items like this were used to perform illusions onstage.
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ARCHIVES TONY OURSLER
Par Emmanuel Grandjean
que, voire un objet de curiosité depuis qu’Herzog & de Meuron a complètement transformé le paysage urbain de la Messe bâloise. Avec cette formidable constance que, malgré ses prix record, malgré son casting cinq étoiles, malgré son caractère affairiste, elle reste une manifestation ouverte à tous. On peut y aller en badaud en se contentant d’avoir juste les yeux pour regarder. On peut, en revanche, difficilement envisager d’y acheter quelque chose, à moins d’avoir un budget solidement charpenté.
18 Tony Oursler
L’art pour destin
Dans les années 50, Alice Pauli a été happée par la puissance de l’art contemporain en visitant les musées de Londres et de New York. La galeriste lausannoise s’est depuis fait un nom. Portrait d’un ovni autodidacte. Par Géraldine Schönenberg. Reportage photographique: Véronique Botteron
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Portfolio
A l’occasion de la publication chez JRP | Ringier d’«Imponderable, les archives de Tony Oursler» par la Fondation LUMA, «Le Temps» vous offre un extrait de cet ouvrage où l’artiste américain exprime son attachement pour la magie. Par Emmanuel Grandjean
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DANIELA & TONATIUH
Pour tout l’art du monde
Marc-Olivier Wahler, visite vénitienne Nous avions donné rendez-vous au commissaire d’exposition neuchâtelois à l’ouverture de la Biennale internationale d’art. Il nous a confié ses impressions sur l’exposition d’Okwui Enwezor.
Par Elisabeth Chardon. Reportage photographique: Eddy Mottaz
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26 Olivier Mosset
Sur la route avec Olivier Mosset
Prix Meret Oppenheim 2015, l’artiste a fait un tour du côté de la Cité des Doges. C’est là que nous lui avons proposé de le retrouver dans ses Montagnes neuchâteloises Par Elisabeth Chardon. Reportage photographique: Eddy Mottaz
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Rêves d’enfant
Plongée dans le monde de l’imaginaire de Sylvie Fleury. L’artiste des Shopping Bags et des mascaras brisés, auteure de l’affiche du Montreux Jazz et lauréate du Prix de la Société des Arts, nous raconte l’enfant qu’elle a été. Par Isabelle Cerboneschi
Editeur Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01
Rédacteurs Isabelle Campone Isabelle Cerboneschi Elisabeth Chardon Frédéric Lelièvre Linn Levy Géraldine Schönenberg
Président du conseil d’administration Stéphane Garelli
Photographies Véronique Botteron Eddy Mottaz
Administrateur délégué Daniel Pillard Rédacteur en chef Stéphane Benoit-Godet Rédactrice en chef déléguée aux hors-séries Isabelle Cerboneschi Rédacteur responsable du hors-série Arts Emmanuel Grandjean
Internet www.letemps.ch Gaël Hurlimann Courrier Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01
Correction Samira Payot
Publicité Ringier SA Publicité Le Temps Pont Bessières 3 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 70 00 Fax +41 21 331 70 01 Directrice: Marianna di Rocco
Conception maquette Bontron & Co SA
Impression IRL plus SA
Responsable production Nicolas Gressot Réalisation, graphisme, photolitho Christine Immelé
La rédaction décline toute responsabilité envers les manuscrits et les photos non commandés ou non sollicités. Tous les droits sont réservés. Toute réimpression, toute copie de texte ou d’annonce ainsi que toute utilisation sur des supports optiques ou électroniques est soumise à l’approbation préalable de la rédaction. L’exploitation intégrale ou partielle des annonces par des tiers non autorisés, notamment sur des services en ligne, est expressément interdite. ISSN: 1423-3967
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Arts
JESÚS RAFAEL SOTO/ARTISTS RIGHTS SOCIETY (ARS), NEW YORK/ADAGP, PARIS, 2015/ PHOTO: LIVIA SAAVEDRA/COURTESY GALERIE PERROTIN
THE ELI AND EDYTHE L. BROAD COLLECTION/VISUAL ARTISTS AND GALLERIES ASSOCIATION (VAGA)
ELI BROAD
EMMANUEL PERROTIN
Robert Rauschenberg, «Untitled», 1963.
Jesús Rafael Soto, «Doble progresión azul y negra», 1975.
VOCATION
Deux galeristes, deux collectionneurs: quatre manières d’envisager l’art qui s’achète et qui se vend. Mais une seule motivation, celle du plaisir de vivre avec des œuvres qui racontent notre temps. Par Emmanuel Grandjean magnat new-yorkais de l’immobilier Sheldon Solow qui choya pendant quarantecinq ans L’Homme au doigt, sculpture en bronze de Giacometti adjugée sous le marteau 141 millions de dollars. Pas sûr que son nouveau propriétaire patiente un demi-siècle avant de la reproposer à l’encan. Car le temps, n’est-ce pas l’ennemi du retour sur investissement? C’est oublier que cette histoire de relation n’unit pas uniquement une œuvre à celui qui la possède. Elle concerne aussi le lien de confiance qu’entretient un artiste avec son galeriste, un marchand avec son collectionneur. L’histoire de l’art est remplie d’esthètes audacieux qui crurent, sans calcul, à l’avantgarde en dépit des goûts de leur époque. C’est Paul Durand-Ruel qui mise sur les Impressionnistes marginalisés par les institutions officielles. C’est Daniel-Henry Kahnweiler qui trouve chez un jeune peintre catalan une fougue nouvelle, présageant ainsi du triomphe cubiste de Picasso. Plus proche de nous, voici quatre autres de ces passionnés de l’art de leur temps. Il y a des galeristes qui défendent depuis des années l’art qui les fait vibrer. Et des collectionneurs qui trouvent dans leurs œuvres matière à inspiration et décident de la faire partager.
POUR
L’ART
ADRIAN CHENG
WWW.VERONIQUEBOTTERON.COM
ALICE PAULI
VIES
TIANZHUO CHEN/BANK GALLERY
D
e l’avis des professionnels de l’art, 2015 marquera un jalon, un point de non-retour face à un marché qui foule au pied les communes mesures. Il y a un mois, Christie’s dispersait en deux soirs à New York un peu plus d’un milliard de francs d’œuvres d’art. Une somme folle, colossale, pour des œuvres d’artistes certes réputés – mais pas toujours réputés majeurs – qui illustre désormais un marché de plus en plus en phase avec le principe du Mercato. L’art comme une marchandise. La chose n’est de loin pas nouvelle, elle interroge les commentateurs depuis que des œuvres se vendent et s’échangent. Les résultats des dernières vacations new-yorkaises tendent cependant à occulter le caractère particulier de cette marchandise. Car on n’achète pas un tableau comme on remplit son caddie le samedi au supermarché. Ou comme un produit seulement vu à l’aune de son potentiel spéculatif. L’art est avant tout un support de réflexion, un objet avec lequel son propriétaire envisage de vivre un certain temps. Avant de décider un jour de s’en séparer pour faire évoluer sa collection et s’ouvrir l’esprit à d’autres horizons. C’est le cas du
QUATRE
Tianzhuo Chen, «Picnic», installation vidéo, 2014.
Pierre Soulages, «Peinture», 25 avril 2011.
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Arts
VOCATION
ELI BROAD A la tête de deux des plus grandes collections d’art américaines, Eli Broad a pesé sur le nouveau statut artistique de Los Angeles. Lié aux deux grands musées de la ville, il a pourtant décidé de s’offrir le sien. Rencontre à quelques semaines de l’inauguration.
HUFTON + CROW
Par Isabelle Campone
suivi d’un autre de Matisse et d’un tableau de Miró. Eli Broad étudie alors les profils des collectionneurs qui ont marqué l’histoire. Il comprend que les plus grands ensembles ont été constitués alors que les artistes étaient encore vivants: «De cette manière, la collection représente une époque et le goût personnel du collectionneur, souligne-t-il. Malgré la prise de risque, j’ai décidé d’aller vers l’art contemporain parce que c’est ce qui m’émouvait et me faisait réfléchir. Pourtant, au début je n’y comprenais rien, mais c’est plus stimulant d’observer le présent que de se tourner vers le passé.» Le milliardaire apprend vite et finit par échanger le Van Gogh dont il s’est lassé contre un Rauschenberg que le couple possède toujours et qui reste l’une de ses œuvres préférées. Eli Broad attrape alors le virus de l’art contemporain: «Il ne s’agissait pas seulement d’acquérir des œuvres mais de découvrir comment d’autres personnes, des artistes, pensent le monde et la société, autrement que les gens que je fréquentais dans le business.»
Cindy Sherman. J’apprécie encore la théâtralité de son travail et la manière dont elle me surprend toujours. Aujourd’hui, c’est nous qui possédons la plus grande collection de ses œuvres.»
Art accessible RYAN MILLER/CAPTURE IMAGING
E
li Broad incarne le rêve américain dans toute sa splendeur. Né dans le Bronx en 1933, ce fils unique d’immigrés lituaniens a bâti une fortune colossale, estimée aujourd’hui à plus de 7 milliards de dollars. Il compte parmi les plus grands philanthropes américains, régnant sur Los Angeles tel un Laurent de Médicis moderne. Au classement Fortune 500 établi par le magazine américain Fortune, il est aussi le seul à posséder deux entreprises florissantes dans des domaines différents. Elevé à Détroit par un père épicier et une mère couturière, le jeune Eli fait tout très vite. A 21 ans, il épouse Edythe, aujourd’hui encore sa meilleure partenaire. A 24 ans, il emprunte 25 000 dollars et monte Kauffman&Broad, qui vendra des maisons clés en main. En 1971, il acquiert une compagnie d’assurances qu’il transforme en géant de l’épargne retraite, SunAmerica. Il la revend en 1999 pour 18 milliards de dollars et ne se consacre plus dès lors qu’à la philanthropie et à sa passion pour l’art.
Cette passion amène le couple, installé depuis 1963 à Los Angeles, à passer du temps à New York et à croiser les routes de jeunes créateurs. «Nous avons eu la chance de rencontrer Basquiat quand il travaillait dans sa cave, et Keith Haring. Figurez-vous que les deux ont même fumé de l’herbe dans notre salle de bains!» se souvient le collectionneur dans The Art of Being Unreasonable, son bestseller, publié en 2012. «Mais la plus grande découverte que nous ayons faite à cette époque a été
Les acquisitions se succèdent si rapidement que le couple n’a bientôt plus de place sur ses murs et décide en 1984 d’établir une fondation. «Nous voulions continuer à collectionner et aussi partager l’art que nous aimions avec une audience plus large.» Eli Broad, président du Museum of Contemporary Art, Los Angeles (MOCA) depuis sa création en 1979, comprend les défis qu’affrontent les institutions qui souhaitent exposer de l’art contemporain. Ce sera la mission de la Broad Art Foundation, devenue une immense bibliothèque d’œuvres qu’elle prête aux musées du monde entier pour rendre l’art accessible à tous. Alors que la collection privée du couple comprend aujourd’hui plus de 500 œuvres, essentiellement de l’art américain d’après-guerre, la col-
De gauche à droite: Roy Lichtenstein, «I… I’m Sorry!», 1965-1966, huile sur toile, 152,4 x 121,92 cm. Cindy Sherman, «Untitled Film Still #6», 1977, tirage argentique, 25,4 x 20,32 cm. Jordan Wolfson, «Female figure», 2014 , installation multimédia.
THE BROAD ART FOUNDATION/IMAGE COURTESY OF DAVID ZWIRNER GALLERY
Dans les bureaux de la Broad Foundation, vous êtes accueillis dès l’entrée par des œuvres d’Ed Ruscha, John Baldessari et Charline von Heyl, ainsi que par une équipe qui va filmer le milliardaire pendant quelques jours. Le ton est donné. L’homme est une figure majeure de la ville et sa collection est monumentale. Même si ce goût pour l’art vient d’Edythe, rapidement rejointe par son mari, influencé par les riches collectionneurs de son entourage. Leur première acquisition est un dessin de Van Gogh,
THE BROAD ART FOUNDATION/IMAGE COURTESY OF METRO PICTURES
De Van Gogh à Rauschenberg
DOUGLAS M. PARKER STUDIO/ROY LICHTENSTEIN FOUNDATION
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lection de la Fondation s’est attachée à documenter le travail des plus grands artistes contemporains avec plus de 1500 pièces. Parmi les dernières acquisitions: Mark Bradford, Julie Mehretu, Doug Aitken, Sterling Ruby, Mark Grothjan… Le travail de certains artistes est représenté de manière quasi exhaustive, c’est le cas notamment d’Ed Ruscha, Cy Twombly, Roy Lichtenstein et Jeff Koons. Aujourd’hui plus grand collectionneur au monde de ce dernier dont il est devenu un ami proche, l’œuvre de Koons représente pour Eli Broad «la continuation de celles de Duchamp et de Warhol. Il fait constamment évoluer son travail et restera dans l’histoire comme un artiste majeur.» Parmi les œuvres favorites du philanthrope, le lapin en inox Rabbit que le couple expose chez lui avec une monumentale sculpture de Richard Serra, et aux côtés d’œuvres de Piet Mondrian, Anselm Kiefer, Roy Lichtenstein et d’un immense tableau d’Andy Warhol. «Je me suis intéressé à lui assez tard. Edythe avait failli acheter un print de Can Soup pour
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HUFTON + CROW
Ci-dessous de gauche à droite: l’intérieur et l’accès extérieur du Broad Museum dessiné par le bureau d’architectes new-yorkais Diller Scofidio + Renfro.
100 dollars dans les années 60, mais elle n’a pas osé, pensant que je la trouverais folle. Quarante ans plus tard, c’est moi qui ai acheté un Pepper Pot dans une vente pour 11 millions, et elle qui s’est demandé qui était l’idiot à payer ce prix-là», s’amuse-t-il encore.
L’ART PAR
L’ami Gehry
MILLIARDS La dernière folie d’Eli Broad > Un monument pour une collection monumentale
IWAN BAAN
Suite à la création de la fondation, la vie philanthropique du couple, déjà très impliqué dans l’éducation et la santé, s’accélère. En parallèle, l’influence d’Eli Broad dans la vie publique et artistique croît de manière exponentielle. Il veut faire de sa ville une capitale internationale de l’art et, tout en naviguant entre le MOCA et le Los Angeles County Museum of Art (le LACMA, auquel il donna 60 millions de dollars en 2008 pour construire une aile dédiée à l’art contemporain), il va s’investir corps et âme pour sauver le projet du Walt Disney Concert Hall de Frank Gehry, aujourd’hui construction emblématique de L.A. Le milliardaire se réconcilie alors avec l’architecte, fâché depuis qu’Eli Broad, trop impatient, avait pris quelques libertés avec la maison qu’il lui avait commandée. Cette pugnacité et cette obsession du contrôle lui valurent de nombreuses inimitiés au fil de sa carrière. Mais pour ses admirateurs, seules comptent ses réalisations grâce auxquelles Eli Broad a rendu la ville plus intéressante et plus riche. Le milliardaire inaugurera d’ailleurs dans quelques semaines son propre musée, contigu à l’auditorium de Frank Gehry. «Le bâtiment que nous avions construit au LACMA n’était plus satisfaisant pour une si grande collection, nous avons donc choisi de construire le nôtre», explique-t-il. «C’est une décision d’avenir aussi: le musée durera alors que nos fondations n’existeront plus. Il nous survivra. C’est la meilleure manière de conserver nos collections comme un tout, de faire de Downtown L.A un grand centre artistique et de rassembler des œuvres qui seront toujours prêtées pour amener la beauté au plus grand nombre.» Et de laisser son nom à la postérité.
Le Broad Museum ouvrira ses portes le 20 septembre mais est déjà considéré comme l’un des plus beaux bâtiments de Los Angeles et comme un musée d’un nouveau genre. Les architectes, le bureau Diller Scofidio + Renfro, ont conçu une «chambre forte» recouverte d’un «voile» qui permet de marier les deux missions du musée: exposition et stockage. Ses 11 000 m2 accueilleront deux espaces d’exposition aux premier et troisième étages tandis que le deuxième sera consacré à la conservation des œuvres que l’on verra par des fenêtres creusées dans les voies de circulation. L’admission sera gratuite et un accès très fluide se fera ainsi dans un lobby aux formes organiques, par une entrée creusée dans le voile. Voisin du Walt Disney Concert Hall, le nouveau musée dialogue déjà avec le monument, explique Liz Diller. «Alors que celui-ci est brillant, lisse et réfléchit la lumière, le Broad est mat et poreux et invite la lumière naturelle à l’intérieur.» Isabelle Campone
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ADRIAN CHENG L’héritier d’une des plus grandes fortunes de Hongkong met l’art dans ses centres commerciaux et a créé une académie pour soutenir les jeunes talents chinois. Il sera à Art Basel en juin. Par Frédéric Lelièvre, Hongkong
TIANZHUO CHEN
Soutien aux artistes chinois Après Hongkong en 2009, un deuxième K11 a été ouvert à Shanghai en 2013. Entre-temps, Adrian Cheng, marié à Jennifer, elle aussi ex-banquière, a créé la K11 Art Foundation. Cette organisation à but non lucratif soutient les jeunes artistes chinois et organise des expositions dans le monde entier. L’an dernier, en collaboration avec le musée Marmottan, elle a monté au K11 de Shanghai la plus grande exposition de toiles de Claude Monet jamais organisée en Chine. Le mois prochain, elle va investir le Palais de Tokyo à Paris pour présenter le jeune artiste chinois Tianzhuo Chen. En 2013, la fondation K11 avait invité à Shanghai des designers de l’ECAL. Adrian Cheng passera en Suisse en juin, à la foire de l’art contemporain de Bâle. «Adrian, c’est un Hongkongais international. Il est partout», le présente Mikael Kraemer. Ce Français s’occupe d’une exposition organisée jusqu’en août à Hongkong par sa famille et le musée Liang Yi. Les Kraemer s’affichent comme «la plus ancienne galerie familiale de Paris». Leur spécialité, depuis 1875: le mobilier et les objets d’art du XVIIIe siècle «de qualité muséale». Mikael Kraemer, lui aussi collectionneur d’art contemporain, se souvient d’avoir rencontré Adrian Cheng «à Art Basel Miami, en décembre 2012, lors d’un déjeuner organisé par des amis. Il était simple, gentil, curieux; et en tenue de vacances comme l’étaient là-bas tous les collectionneurs. Vous verrez, il est très ouvert et disponible. Il est d’ailleurs venu à notre exposition ici.» Avec la fondation K11, «j’ai deux objectifs clairs en tête», répond Adrian Cheng par courriel, faute d’avoir pu trouver dans son agenda un moment pour une interview. «Soutenir le développement de l’art contemporain chinois dans le monde et promouvoir l’art mondial auprès du public en Chine», note-t-il, précisant que son institution était, en 2010, la première fonda-
TIANZHUO CHEN
L
a chaleur humide de ce mois de mai à Hongkong pousse les touristes à se réfugier dans les «shopping mall». Comme ces deux Chinoises venues de Shenzhen qui se reposent au frais, au K11 Art Mall. Les yeux rivés sur leur smartphone, elles ont à peine remarqué qu’elles s’étaient assises sur des sculptures de Man Fung Yi. L’œuvre de l’artiste hongkongaise fait partie des travaux exposés dans ce mall pas comme les autres. Situé à Tsim Sha Tsui, dans ce quartier de Kowloon qui déborde de boutiques de luxe, le K11 revendique le titre de premier centre commercial artistique au monde. Son concepteur s’appelle Adrian Cheng, héritier d’une des plus grandes fortunes de Hongkong. A 35 ans, ce diplômé de Harvard et ancien banquier chez UBS passe désormais le plus clair de son temps à piloter les affaires de la famille. Son grand-père et son père ensuite ont créé NWS, un empire du commerce, de l’immobilier ou encore des transports. Forbes évalue la fortune de la famille à plus de 14 milliards de dollars américains. En mars, Adrian Cheng Chi-kong, de son nom complet, a été promu vice-président de NWS, connu du grand public notamment pour ses boutiques de joaillerie, Chow Tai Fook, dont les murs rouges tapissent Hongkong, et aussi de nombreuses villes en Chine continentale.
tion pour l’art en Chine «non contrôlée par l’Etat». En alliant des Mall et une fondation, «j’ai créé un nouveau modèle hybride, combinant art et commerce, continue Adrian Cheng. Exposition et œuvres d’art s’installent dans l’espace public.» La fondation ne fait pas qu’organiser des expositions. Elle gère aussi une sorte d’incubateur à artistes. Près de Wuhan, à 800 km à l’ouest de Shanghai, Adrian Cheng a créé 11 studios pour des talents qu’il juge «prometteurs» et qu’il accueille en résidence afin de les décharger de tout souci matériel. Avec l’art, pourtant, Adrian Cheng refuse de parler affaires alors que le marché grandit. La demande, en particulier chinoise,
pour les productions contemporaines ne cesse de grandir, comme l’attestait ce printemps l’édition hongkongaise d’Art Basel. Mais le trentenaire veut seulement «partager sa passion» pour l’art, qu’il a étudié au Japon. «Mon grand-père et mon père ont chacun leur propre collection», répond-il, tout en admettant ne pas en connaître la taille ni la composition. «Une collection, c’est très personnel, écrit-il encore. Je ne collectionne que les travaux reliés à mes propres centres d’intérêt. J’aime rencontrer les artistes et parler de leur travail avant de me porter acquéreur d’une de leurs œuvres.» Sa première acquisition remonte à il y a «une dizaine d’années», se souvient-il. C’était à Shanghai. Il a acheté «une énorme peinture qui traitait de l’urbanisation en Chine, du travail et des ouvriers migrants, mais je ne me souviens par pourquoi [j’ai choisi celle-là]. C’était très spontané.» Séparée de la K11 Collection, la sienne comprend notamment des œuvres de la plasticienne italienne Tatiana Trouvé, du sculpteur argentin Adrián Villar Rojas et du Ci-contre: installation vidéo «PARADI$E BITCH», 2014 de Tianzhuo Chen.
Ci-dessus: image tirée de la vidéo «19:53 Trailer», 2015, de Tianzhuo Chen.
peintre chinois Zhang Enli. «Ce qu’Adrian a créé en Chine me rappelle le XVIIIe siècle, mon époque et ses académies d’art, remarque Mikael Kraemer. Il fait encore penser à Guillaume Houzé à Paris, qui a fait venir l’art au sein des Galeries Lafayette et a créé sa fondation.» Le jeune Hongkongais a aussi obtenu la reconnaissance du milieu. Il vient d’entrer au classement d’Art Review des 100 personnes les plus influentes dans le monde de l’art, à la 100e place. Editeur du Temps, Michael Ringier y figure en 59e position.
Temples de la consommation Professeur à la School of Creative Media de la City University de Hongkong, et lui-même artiste, Maurice Benayoun a rencontré Adrian Cheng «à Shanghai, l’été dernier. J’étais invité à participer à une exposition franco-chinoise de la fondation K11. J’avais été en contact avec son équipe un an auparavant pour This happened, un autre projet de sa fondation.» Maurice Benayoun rappelle qu’«à la Renaissance, les princes engageaient les artistes pour dé-
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L’ART
CHINOIS À LA CONQUÊTE
TIANZHUO CHEN/BANK GALLERY
DU MONDE
la création, mais il ne cherche pas à provoquer le pouvoir du Parti communiste: «Sa démarche n’est pas à caractère politique; il s’intéresse au beau, à l’esthétique.»
Puissance culturelle La démarche d’Adrian Cheng s’inscrit aussi dans une tendance de fond, que Maurice Benayoun décrit comme «une volonté de retrouver la puissance culturelle qu’a eue la Chine pendant des siècles, et qu’elle a détruite au cours de la Révolution culturelle.» Devenue prospère, Hongkong est également à la recherche d’un «supplément d’âme», observe le professeur. Un vaste projet culturel est supposé répondre à cette quête. Le West Kowloon Cultural District, ambitionnent ses promoteurs, comblera le retard accusé par Hongkong sur les autres capitales mondiales que sont New York ou Londres en matière d’offre culturelle. Adrian Cheng siège au conseil d’administration de cette institution qui doit notamment faire construire le M + d’ici à 2019 si les délais sont tenus. C’est dans ce musée que prendront place les quelque 1500 œuvres d’art moderne chinois données par le Suisse Uli Sigg, le plus grand collectionneur privé dans ce domaine.
TIANZHUO CHEN/STAR GALLERY
corer leur palais ou leur temple. Les Mall ne sont-ils pas les temples de la consommation?» «En Asie, on vit dans les Mall, complète Mikael Kraemer. Cela surprend les Européens, habitués à vivre à l’extérieur.» Pour le représentant de la 5e génération des Kraemer, «les K11 représentent une chance pour les artistes d’être vus. Or un artiste qui n’est pas vu est un artiste mort.» Maurice Benayoun tranche pourtant:» Pour l’artiste, un Mall ne représente pas le lieu de valorisation préféré, car le lieu fait l’œuvre. Sur le marché de l’art, la galerie tient un rôle important pour déterminer la cote des artistes. Il existe tout un système de reconnaissance. Pour beaucoup d’acheteurs, l’art est un investissement, qui peut s’avérer très rentable, plus que l’immobilier.» Néanmoins, Adrian, lui, est «sincère et authentique. Il soutient la création de façon positive, sans but financier», assure l’artiste français, qui le compare à une autre Hongkongaise, la galeriste Agnès Lin. «Elle promeut la création avec succès. Chaque année, elle parvient à placer les artistes qu’elle défend dans des espaces clés de Art Basel Hongkong.» En Chine, note enfin Mikael Kraemer, Adrian Cheng soutient
Ci-dessus de haut en bas: Installation vidéo «Picnic», 2014, de Tianzhuo Chen. Le «Tianzhuo’s Acid Club», 2013, du même artiste.
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GUILLAUME ZICCARELLI/COURTESY GALERIE PERROTIN
STEVEN GILBERT/VEILHAN/ADAGP, PARIS & SACK, SÉOUL, 2015/COURTESY GALERIE PERROTIN
EMMANUEL PERROTIN
Galeriste de tous les superlatifs, marchand d’art self-made-man, roi de la fête, Emmanuel Perrotin détonne dans le monde de l’art français en affichant une réussite internationale. Présent à New York et à Hongkong, il nous reçoit à Paris. Portrait. Par Linn Levy
une certaine forme d’éducation artistique, mon père, passionné d’art, nous a fait découvrir de nombreux musées à travers l’Europe où figuraient notamment les œuvres de Vermeer, son peintre préféré. J’ai voulu devenir scénariste et ai même été reçu par France 2 parce que je leur avais envoyé un scénario pour une émission de télé que j’avais appelé Megalo Joke! Mais ils ont trouvé qu’à l’âge de 17 ans j’étais trop jeune. A l’époque, je sortais beaucoup, au Palace, aux BainsDouches, au Rex… Une amie rencontrée en boîte m’emmène un jour au vernissage de la galerie de son père Gilbert Brownstone, et je découvre que le lieu est ouvert de 14 h à 19 h: un horaire compatible avec ma vie nocturne! Peu après, on me présente Cartwright, qui me propose un poste. J’étais son assistant – en plus des expositions, je m’occupais de faire des recherches pour ses cours à Sciences Po –, lorsque j’ai reçu le coup de fil de Marcel Fleiss. A la galerie, tout le monde était trop occupé ce jour-là pour se déplacer, alors j’ai proposé d’y aller moi-même, en métro, le tableau sous le bras. Et j’ai conclu la vente.» Vingt-sept ans après, l’enthou-
siasme de celui qui est devenu l’un des plus gros businessmen européens de l’art contemporain semble intact. Et sa gourmandise à revenir sur son parcours de selfmade-man, sans rien occulter de ses difficultés – «j’ai pris tous les risques, je me suis donné corps et âme, j’ai ramé pendant longtemps, c’est si dur de réussir en France» –, ni rien cacher des blessures qu’ont laissées sur lui les critiques d’une partie de l’intelligentsia, fascine.
Damien Hirst en solo A la fin des années 80, il organise le premier solo show de Damien Hirst: «J’avais emprunté la vieille Peugeot 205 de ma mère pour aller le voir à Londres, se souvient-il. Son assistant n’en croyait pas ses yeux lorsque j’ai chargé les tables d’autopsie sur le toit de la voiture pour les ramener et les exposer en France.» Pourtant, l’artiste britannique, qu’il a contribué à rendre célèbre, lui préférera in fine Jay Jopling et sa White Cube pour la suite de sa carrière. «Mais Damien et moi sommes restés en bons termes. Nous envisageons d’ailleurs de monter à nouveau un projet très prochainement. Et je fais le rêve qu’il me propose une exposi-
KARL LAGERFELD
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l a sauté sur l’occasion. Et il a réussi sa première vente: un tableau de John Armleder, cédé à Marcel Fleiss, le directeur de la Galerie 1900-2000, pour quelque 6000 francs français de l’époque (1500 francs suisses, ndlr). Emmanuel Perrotin avait alors 17 ans. «C’était une somme énorme pour moi à ce moment-là. Je n’en revenais pas», glisse-t-il dans un sourire, l’œil frise, les mains s’agitent. Le galeriste de 47 ans se lève pour nous apporter un café, ajoute un sachet de sucre sur lequel figure une minuscule reproduction d’un Murakami, l’un des artistes phares de son catalogue varié à l’extrême, qui compte aujourd’hui quelque 45 noms. Parmi lesquels Maurizio Cattelan, Wim Delvoye, Xavier Veilhan, Sophie Calle, Tatiana Trouvé, Claude Rutault, Gianni Motti mais aussi Terry Richardson, JR ou Pierre Soulages. Il s’enquiert de notre confort, s’assied, se relève soudain, traverse son élégant bureau pour demander à l’une de ses assistantes si elle a bien reçu l’Apple Watch qu’il attend. Puis, il s’attable à nouveau en s’excusant, il est charmant, avant de reprendre. «Après avoir enchaîné plusieurs petits boulots, j’ai commencé à travailler, un peu par hasard, dans la galerie de Charles Cartwright. On était en 1988. Faire partie du monde de l’art n’était pas du tout mon rêve, mais je voulais trouver un job sérieux pour me cadrer. J’avais arrêté les cours, je n’étais pas bon à l’école, j’étais hyperactif. J’ai tout de même baigné dans
tion qui renouvelle sa pratique et qui marque les esprits!» Au début des années 90, Perrotin monte la première exposition de Takashi Murakami hors du Japon et découvre, le premier, le travail de l’Italien Maurizio Cattelan (pour lequel Perrotin acceptera, en 1995, de se déguiser pendant six semaines en «Errotin le vrai lapin», arborant un costume de phallus aux longues oreilles, référence à son goût immodéré des femmes. L’anecdote fera le tour du monde et participera à lancer leurs carrières à tous les deux).
«Aujourd’hui, certains esprits grincheux me reprochent de gagner beaucoup d’argent avec leurs œuvres, mais il a fallu les repérer ces artistes-là en 1992 et 1993 quand je les vendais pour seulement 500 dollars. Si je les avais pris à partir des années 2000, on pourrait me soupçonner de le faire par intérêt commercial. Mais à leurs débuts, je vous garantis que c’était une vraie aventure intellectuelle et il fallait du courage pour s’engager dans le financement de projets toujours plus fous. Je me souviens de ceux qui, à l’époque, critiquaient les pièces de Cattelan, les considérant comme de simples «plaisanteries». Ce sont les mêmes qui trouvent aujourd’hui que Maurizio est l’un des artistes les plus importants de sa génération.»
Galeriste instinctif Et le marchand d’art, qui a fêté ses 25 ans de carrière en 2013 en organisant une gigantesque rétrospective au Tri Postal de Lille et en ouvrant, un an après Hongkong, une antenne de quelque 400 m2 sur la très chic Madison avenue de New York, de balayer d’une main les reproches d’une partie du milieu qui juge sa réussite trop bling-
Arts
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rock
CLAIRE DORN/ADAGP, PARIS 2014/COURTESY GALERIE PERROTIN
COURTESY GALERIE PERROTIN
stART
En haut, de gauche à droite: Xavier Veilhan, «Hong Kong Mobile no 8». Paola Pivi, vue de l’exposition «Ok, you are better than me, so what?» 2013 JR, vue de l’exposition «Encrages», 2011. Ci-dessus: Xavier Veilhan, «Les Rayons (Tri Postal)», 2013, vue de l’exposition «Happy Birthday, Galerie Perrotin», organisée au Tri Postal à Lille.
bling, blâme le manque de cohérence de son catalogue d’artistes, désapprouve son goût pour la fête, comme ses incursions dans les milieux de la mode, du design ou de la musique. «J’en ai beaucoup souffert, j’en souffre moins, avoue-t-il. Je suis un instinctif, pas un intellectuel. Je n’ai pas fait d’études, j’ai tout appris sur le tas et je pense que cela m’a aidé. Même si, bien sûr, je regrette de ne pas avoir appris à discuter d’histoire de l’art comme un spécialiste. Il me semble parfois que, plus on en sait, plus on est paralysé. Nombreux sont ceux qui parlent beaucoup, mais n’agissent pas. Moi j’ai osé. J’ai fait. J’ai ouvert ma première galerie à 21 ans, sans argent. Avec une certaine dose d’inconscience, c’est vrai. Je venais de la banlieue, je n’étais pas un gosse de riche, mon père était employé de banque, mon grand-père, boucher. J’ai fait le choix d’être un aventurier, dès mes débuts. J’ai d’ailleurs continué de l’être lorsque, en 2008, la faillite de Lehmann Brothers a plongé le monde de l’art dans la tourmente.» Le galeriste raconte avec fougue de quelle façon il a tiré son épingle du jeu. «J’ai eu près de 6 millions de dollars d’annulation, ai dû fermer les 1300 m2 de ma galerie de Miami. Malgré l’angoisse, j’ai tout de même décidé d’organiser une fête mémorable à la Foire de Bâle, avec Pharrell Willams. Comme les autres galeristes avaient choisi d’être prudents en économisant sur les soirées, tout le monde est venu chez nous. Je me souviens que Jay Jopling était là, et même le marchand Larry Gagosian, venu
accompagné du collectionneur Roman Abramovitch. Et nous avons vendu la pièce The Simple Things, une collaboration entre Murakami et Pharrell, pour 2 millions de dollars, le premier jour de la foire. C’était énorme. Fait rarissime, le New York Times nous a même consacré une demi-page. On avait osé, et on a gagné.» Et Emmanuel Perrotin d’ajouter. «L’une des choses qui a lancé ma carrière, c’est certainement d’avoir pris le risque, très jeune, de produire moi-même les œuvres de mes artistes, à une époque où cela ne se faisait pas. Les gens oublient que lorsque je me suis lancé dans le métier à la fin des années 80, le monde de l’art était en crise. Choisir de devenir galeriste était donc un véritable sacerdoce.» Les débuts semblent effectivement bien loin tandis que nous devisons au numéro 76 de la rue de Turenne. L’hôtel particulier, d’une beauté à couper le souffle, abrite sur deux étages, les bureaux et la galerie d’Emmanuel Perrotin. Depuis l’une des fenêtres du premier, on aperçoit la minuscule impasse Saint-Claude, au cœur de laquelle se dresse un espace autonome d’exposition. Derrière la façade enlierrée de l’aile Est, la librairie. Et, à une cinquantaine de mètres de là, de l’autre côté de l’église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement, au numéro 60 de la même rue, un second hôtel particulier, Le Grand Veneur. Qui cache un gigantesque showroom privé, ainsi que les appartements du > Suite en page 14
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JESÚS RAFAEL SOTO/ARS, NEW YORK/ADAGP, PARIS/PHOTO LIVIA SAAVEDRA/COURTESY GALERIE PERROTIN
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maître des lieux. «J’ai ouvert 14 lieux en vingt-cinq ans de carrière, dévoile Emmanuel Perrotin. J’en ai fermé quelques-uns, j’ai déménagé, mais j’ai encore de grands projets. Comme celui de creuser le jardin, pour ajouter deux nouvelles salles d’exposition de 100 m2 chacune. J’aime offrir à mes artistes des écrins qui les inspirent. Vous savez, j’ai passé les trois quarts de ma vie d’adulte à habiter dans mes galeries. Je me suis beaucoup mis en danger, ai longtemps économisé, réinvesti ce que je gagnais. Je n’ai jamais porté de belles montres, ni attaché d’importance aux voitures. J’ai aussi longtemps mis en veilleuse ma vie privée. Cela a été le prix du succès. Mais heureusement, depuis peu, ce n’est plus le cas.»
Catalogue éclectique A l’instant même, un rire sonore se fait entendre de l’autre côté de la porte. Une sylphide apparition blonde, lunettes de soleil et talons vertigineux, fait son entrée dans le bureau. Emmanuel Perrotin se lève à nouveau, d’un bond. Il nous présente Anne-Sophie, sa «fiancée». Il se rassied après l’avoir embrassée. Elle s’installe à nos côtés, silencieuse, y restera tout au long de l’entretien, les yeux rivés sur son laptop. A quoi rêve encore Emmanuel Perrotin? «Je rêve de pouvoir faire mon métier dans les meilleures conditions possible, souffle-t-il, ses yeux bleus soudain tournés vers l’extérieur. De continuer à offrir ce qu’il y a de mieux à mes artistes. Ces deniers nous font
réfléchir à plein de choses, alors j’essaie au maximum d’accompagner leurs projets.» Le marchand explique tout de même ne pas pouvoir avoir la même proximité avec chacun de 45 artistes qu’il représente. «C’est clair que je ne peux pas passer autant de temps avec eux qu’à mes débuts, mais je garde des liens forts et je mets à leur disposition un nombre important de collaborateurs. Oui, mon catalogue est très éclectique, mais vingt-cinq ans se sont passés, mes goûts ont forcément évolué. Tout n’est pas cohérent mais complémentaire. J’ai toujours aimé jeter des ponts entre différents domaines. J’ai été l’un des premiers à travailler avec le monde de la mode, puis de la musique. J’ai collaboré avec Nina Ricci en 1992, emmené mes amis du Baron jusqu’à Miami. J’ai toujours voulu intéresser le public à notre univers, démocratiser l’art. C’est très émouvant d’avoir inauguré la première commande permanente faite à un artiste dans les jardins du château de Versailles depuis Louis XVI: l’artiste JeanMichel Othoniel a collaboré avec le paysagiste Louis Benech. Et, nos dernières expositions de JR et de Takashi Murakami ont d’ailleurs battu le record du nombre de visiteurs par jour (750), tandis que celle de Jesús Rafael Soto a, elle, eu le plus de visiteurs sur la longueur (24 000). Dans chacune de mes galeries, un capteur compte le nombre d’entrées. Dès mes débuts, j’ai tout informatisé, j’en avais d’ailleurs fait ma spécialité alors même que je
Ci dessus: Daniel Firman, «Nasutamanus», 2012. Vue de l’exposition «Happy Birthday, Galerie Perrotin» organisée au Tri Postal à Lille. Ci-dessous et de gauche à droite: Jean-Michel Othoniel, vue de l’exposition «G I R L», commissaire Pharrell Williams, 2014. PARK Seo-Bo, vue de l’exposition «Ecriture», 2014.
PHOTOS: CLAIRE DORN/COURTESY GALERIE PERROTIN
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MAXIME DUFOUR/COURTESY GALERIE PERROTIN
Jesús Rafael Soto, «vue de l’exposition «Chronochrome», 2015.
n’étais qu’assistant. Aujourd’hui, sur mes 65 employés, j’ai cinq programmeurs à plein-temps qui travaillent sur le logiciel que j’ai mis au point pour tout rationaliser et aider mes collaborateurs à éviter les tâches répétitives.» Quand on évoque le nom d’Emmanuel Perrotin avec Gianni Motti, l’un de ses artistes installé à Genève, ce dernier sourit et lance, énigmatique, «c’est un bon galeriste parce qu’il soigne même les fleurs à l’entrée de la galerie». Aussi poétique qu’elle soit, la remarque n’en est pas moins pertinente: l’omniscient
Perrotin est connu pour tout contrôler dans les moindres détails, se tenir au courant de tout, et aller très loin pour mener à bien les projets de ses artistes. «J’étais même prêt à aller en prison pour Maurizio Cattelan, se souvient le marchand. A l’époque, il avait eu deux idées qui m’auraient conduit derrière les barreaux. Je n’étais pas d’accord avec l’une d’elles, j’ai accepté l’autre. Finalement, ça ne s’est pas fait. Mais je ne vous dévoilerai rien, parce que, qui sait, peut-être l’artiste va-t-il décider de la mettre à exécution un de ces jours.»
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Arts
VOCATION
ALICE PAULI
Sur les murs de la galerie, à gauche: «Peinture», 25 avril 2011, Pierre Soulages. A droite, œuvres de Giuseppe Penone: «L’Impronta del disegno – main gauche, index», 2001 et «Riflesso di Ulexite», 2003.
Dans les années 50, totale autodidacte, Alice Pauli a été happée par la puissance de la création en visitant les musées de Londres et de New York lors de ses missions de déléguée commerciale d’une fabrique horlogère. Et c’est par le biais des lissiers que la galeriste lausannoise s’est tissé un nom dans le monde de l’art contemporain. Portrait d’un ovni. Par Géraldine Schönenberg. Reportage photographique: Véronique Botteron
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es yeux d’aigue-marine, une voix de jeune fille et des manières d’une douceur confondante. Difficile d’imaginer que tant de féminité enrobe une implacable ténacité qui a fait d’Alice Pauli une des plus grandes traqueuses de talents depuis les années 60. Et l’une des collectionneuses les plus avisées: Mark Tobey, Vieira da Silva, Jim Dine, Julius Bissier, Emil Schumacher, Rebecca Horn et encore Jaume Plensa ou Louise Nevelson. Sans oublier ses artistes phares, les pensionnaires attitrés de sa galerie du Flon: Giuseppe Penone, l’un des ténors de l’arte povera ou la peintre calligraphe Fabienne Verdier. Et puis il y a Soulages, ami de toujours, dont le charisme l’impressionne encore aujourd’hui, autant que son œuvre au noir. Dans le showroom de sa galerie où elle reçoit ses clients, son regard se perd dans les reliefs d’un de ses tableaux au noir profond travaillé à la spatule. Un attachement particulier la lie au peintre originaire de Rodez. A travers le souvenir de son fils disparu, son
complice, qui avait écrit une lettre passionnée à l’artiste pour le convaincre d’exposer à Lausanne lorsque la galerie logeait encore dans une maison bourgeoise du quartier de Rumine. Soulages avait dit oui à condition de trouver un autre local pour accrocher ses œuvres monumentales. Et Alice Pauli avait consenti à s’installer au Flon, quartier alternatif insalubre, malgré ses appréhensions.
Attirance hypnotique A l’origine de ce destin d’artiste par procuration, Alice Pauli «n’ayant jamais essayé de créer quoi que ce soit», il y a ce feu sacré, cette attirance hypnotique pour les musées new-yorkais au cœur des années 50. Musées qu’elle visitait inlassablement pendant son temps libre lors de ses déplacements en tant que représentante pour une fabrique horlogère suisse. Elle qui venait d’une famille jurassienne dans laquelle «jamais il n’y a eu d’artiste», développe cette intuition quasi surnaturelle de repérer les œuvres de qualité. «J’avais ça en moi», ditelle. Une passion qui lui est
d’abord insufflée par les œuvres d’artistes lissiers tel Jean Lurçat. «A Londres où j’avais fait escale, j’étais tombée sur une exposition intitulée Le renouveau de la tapisserie française. J’avais été subjuguée. Je ne peux pas vous dire à quel point…», se souvient-elle. C’est la rencontre avec son mari, le graphiste Pierre Pauli, qui lui donne confiance en sa vocation et la propulse bientôt comme une actrice incontournable sur la scène de l’art. «Je voulais rencontrer ces créateurs lissiers. Jean Lurçat, voyant ma motivation, a bien voulu travailler avec moi. Après le succès de mon exposition à Lausanne, nous avons ouvert, avec le soutien des autorités, un centre consacré à la tapisserie contemporaine dans les années 60. Il y avait des créateurs incroyables qui venaient du Japon, des Etats-Unis ou d’Europe de l’Est, telle la Polonaise Magdalena Abakanowicz.» Une période propice pour promouvoir les artistes: «Dans cette époque d’aprèsguerre, on avait soudain envie d’agrémenter son intérieur et besoin de renouveau.»
En parallèle, elle investit le monde de l’art contemporain non figuratif, et le fil de son destin de galeriste internationale se déroule sans accroc jusqu’à aujourd’hui. Engagée avec le même enthousiasme et la même fraîcheur qu’à ses débuts, ne manquant aucune Biennale de Venise, aucune session d’Art Basel ou édition de la Documenta de Kassel et rendant visite aux artistes dont elle suit le parcours avec l’attention d’une mère et la délicatesse d’une amie. «En 1962, j’ai commencé avec les Américains, ma première exposition était consacrée à Sam Francis, qui avait séjourné à l’Hôpital de Berne.»
Femmes de l’art Etre une femme ne paraît pas être un handicap dans ce milieu à l’esprit de chapelle. «Il y a de très grandes galeristes telles Marian Goodman ou Denise René qui est morte centenaire.» Le parcours du combattant s’éprouvant plutôt avec les artistes eux-mêmes dont le génie confine parfois à l’autisme. Et qu’elle va jusqu’à harceler dès lors que leur vision du
monde l’interpelle et que leur souffle créateur la transperce. «J’avais repéré Fabienne Verdier dans une émission culturelle. Cette femme m’a frappée par son intelligence. Je lui ai écrit 5-6 fois, pas de réponse. J’ai cherché son adresse et suis allée sonner chez elle un beau jour, en France. Elle m’a reçue et montré ses œuvres. Pointant du doigt une esquisse, je lui dis: «Si dans une année vous avez évolué dans ce sens-là, je vous représente» L’exposition a eu un énorme succès.» Chez Alice Pauli, le marchandage ne s’évalue pas en billets de banque mais en rapports de force autour d’une même cause: la passion des artistes. Comme lorsque le cinéaste Claude Berri, «collectionneur très raffiné», voulut lui acheter son dernier Soutter après avoir épuisé sa réserve de tableaux du peintre, année après année. «Je tenais absolument à rencontrer Giuseppe Penone. L’arte povera m’a intéressée très tôt. Mais c’était impossible de joindre ces artistes, qui travaillaient entre eux en clan et ne s’exposaient que dans les musées. J’ai écrit de nombreuses fois à Penone qui ne répondait pas. Claude Berri, qui était ami avec lui, parlementait depuis plusieurs heures pour que je lui vende ce Soutter, il était dans le canapé où vous êtes. Et je lui ai dit: «Si vous m’amenez Penone sur un plateau, je vous vends mon dernier Soutter.» Il prend aussitôt le téléphone et lui dit: «Tu es un idiot, Alice Pauli t’écrit et tu ne lui réponds pas. Tu prends le train la semaine prochaine ou non?» Penone lui répond: «Si tu insistes, j’irai la voir.» J’ai cédé le Soutter à Claude Berri et Penone est venu.» Un coup de cœur artistique et humain qui signa le début d’une collaboration permanente.
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Le Temps l Samedi 13 juin 2015 ARCHIVO PENONE/VÉRONIQUE BOTTERON
L’ART
pour destin
Ci-contre: «Gouache 3 – 2015» de Rebecca Horn. A droite: Giuseppe Penone, «Germinazione», 2005.
Passion Soulages Si on lui demande ce qui fait la valeur d’un artiste, elle répond «le pouvoir de se renouveler»: «Un vrai artiste a toujours quelque chose à dire. Par exemple, Soulages a une très longue carrière et a toujours évolué, car il a une très grande rigueur vis-à-vis de luimême. Ce qui est très intéressant chez Soulages, c’est le passage à la conversion vers le noir.» Et elle regrette le temps où les artistes exprimaient une réelle révolte contre le système, comme en Pologne avant l’avènement de Solidarnosc: «Avec mon mari, nous avons été les premiers à sortir des
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œuvres du pays, à l’époque nous en étions responsables: on retournait soit l’œuvre, soit l’argent de la vente. C’étaient les années 60, les artistes avaient quelque chose à dire. Jusqu’en 82, je me rendais régulièrement en Pologne, je leur apportais tout ce qui leur manquait dans leur vie quotidienne.» Un nuage passe dans son regard d’eau claire. Une divergence d’opinion avec son fils Olivier, avec qui elle était en symbiose parfaite quant à la sensibilité artistique, sauf en ce qui concernait l’expression figurative. Un style qui n’a jamais vraiment parlé à l’âme d’Alice Pauli. Même si elle avoue apprécier
l’œuvre des Italiens Michelangelo Pistoletto, Mimmo Paladino et des Français Philippe Cognée et Loïc Le Groumellec. La galeriste évoque son affection pour les jeunes collectionneurs, ceux qui payent une œuvre par acomptes sur une année. «Je n’aime pas ceux qui investissent, après les œuvres stagnent dans les Ports francs…» Chez elle, son parc ou sa véranda s’ornent de compositions en trois dimensions. «J’aime beaucoup la sculpture. C’est le volume plus que le matériau qui m’intéresse. Je les touche souvent, je les caresse. Ce sont des présences…»
«L’arte povera m’a intéressée très tôt. Mais c’était impossible de joindre ces artistes, qui travaillaient entre eux en clan et ne s’exposaient que dans les musées.» Alice Pauli
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TONY OURSLER ARCHIVES
«Imponderable», les archives de Tony Oursler
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Above: Spectro-Chrome, 1940s-50s. The purpose of the instrument was to expose a subject to a specific set of bright, intensely colored lights to alleviate an ailment or even cure a disease. Dinshah P. Ghadiali invented it in 1920; he earned more than one million dollars through its sales. His theory was that the elements that make up the human body (mostly nitrogen, carbon, hydrogen, and oxygen) were responsive to colored light,
ony Oursler, c’est l’artiste des installations vidéo qui font peur, celui qui s’invente une famille de poupées aux têtes grotesques sur lesquelles il projette des visages filmés en vidéo répétant en boucle les mêmes logorrhées insanes. Le spectacle de ces mannequins de chiffon plongés dans le noir suscite chez le spectateur quelque chose de l’effroi: face à ces presque humains, entités fantomatiques coincées dans leur corps en réduction, n’est-ce pas le côté obscur de l’homme que l’artiste américain explore? Depuis des années, Tony Oursler accumule aussi une vaste documentation rigoureusement classée par genre dans des cartons oubliés dans des placards. Des archives colossales – 2500 entrées – essentiellement consacrées à l’illusion, à la magie et au spiritisme,
Pour accompagner l’exposition des archives de l’artiste américain à Arles cet été, la Fondation LUMA publie chez l’éditeur suisse JRP | Ringier un catalogue de 700 pages qui raconte les liens familiaux de Tony Oursler avec la magie et les croyances populaires. Et, au-delà, explore le rapport de l’être humain avec les sciences occultes. Par Emmanuel Grandjean
and became diseased only when our exposure to the colored wavelengths was out of balance. Facing page: Man Visible and Invisible by C.W. Leadbeater (New York: John Lane, 1903).
aux fanatiques satanistes et aux faux médiums, aux objets censés faire surgir l’invisible et aux photographies de ces manifestations extralucides. En 2014, la Fondation LUMA décide de réunir dans un vaste ouvrage de 700 pages une partie de cet ensemble d’affiches de prestidigitateur et de tarot divinatoire, de piles de livres et de magazines occultes et d’appareils de chromothérapie. Car plus que des objets de collection, ces documents prolongent l’œuvre de l’artiste chez qui le surnaturel reste chevillé aux gènes. Ils racontent ainsi l’obsession de Charles Fulton Oursler, le grand-père de l’artiste à la fois éditeur, auteur de théâtre, magicien à ses heures et, comme Houdini dont il fut l’ami, chasseur de médiums bidons – pour ces croyances populaires. Et offre une nouvelle lecture du travail de Tony Oursler dont l’œuvre fut très tôt nourrie par cette inclination fami-
liale. Plus qu’un catalogue, «Imponderable» (c’est ainsi que les scientifiques du XVIIIe siècle qualifiaient les effets des énergies magnétiques et électriques alors impossibles à mesurer) montre aussi à travers l’histoire cette propension de l’humain à une certaine crédulité dont la pensée magique des technologies numériques représenterait le dernier avatar. Les textes qui accompagnent cette galerie d’images constituent ainsi une somme sur le rapport de l’art, de l’homme et de la famille Oursler avec l’au-delà et ses fantômes, vrais ou faux. Le livre est publié à l’occasion de l’exposition «Imponderable: les archives de Tony Oursler» organisée entre le 6 juillet et le 20 septembre 2015 par la Fondation LUMA à l’espace Les Forges d’Arles. 700 pages, éd. JRP | Ringier.
A gauche: un Spectro-Chrome des années 1940-1950. L’appareil était censé guérir des maladies par la projection de jeu de couleurs. A droite «L’homme Visible et Invisible» par le prêtre anglais et auteur théosophe C. W. Leadbeater.
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Top left: Dr. Evil spook show lobby card, 1950s-60s. Philip Morris, known by his stage name, “Dr. Evil,” was a stage magician and owner of Morris Costumes in Charlotte, North Carolina. Middle left: Photograph of a midnight horror-film screening, 1952. Bottom left: Spread from Nelson Enterprises catalog, 1948. Nelson Enterprises – a Columbus, Ohio company – manufactured a variety of products for stage magicians, mind readers, and astrologers.
The pages here include listings for instruction manuals explaining how to perform illusions involving telepathy. Top right: Ghost show poster, London. Described as the “4th Dimension of Modern Entertainment,” the show featured a séance and a “Crystal Mind Act” involving audience participation. Bottom right: Ghost show poster for the “5 Big Happenings of Horror!” 1960s.
Magic prop hand, c. 1918. Items like this were used to perform illusions onstage.
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A gauche: ensemble de photos, affiches, guides et illustrations de spectacles de pratique magique et télépathique. A droite: fausse main utilisée par les prestidigitateurs, aux alentours de 1918. TONY OURSLER ARCHIVES
Houdini’s Spirit Exposés from Houdini’s Own Manuscripts, Records and Photographs, Vol. 1, by Joseph Dunninger (New York: Experimenter Publishing Col, Inc., 1928), which explained many of Houdini’s methods for exposing fraudulent mediums.
Houdini in fake spirit photograph, made to demonstrate the double-exposure method, c. 1920s.
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Couverture de livre et photographie des années 1920, à l’époque où le magicien Harry Houdini expliquait comment débusquer les faux médiums.
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Illustrated gypsy fortune-telling cards by Nemesi, with titles in German, Serbian, Hungarian, and Slovenian, early 20th century. From left to right, top to bottom: Falseness, Longing, Disaster, Letter, Stability, Death, Annoyance, Thief, Sadness.
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Cartes divinatoires en langues allemande, serbe, hongroise et slovène pour dire la bonne aventure. Avec de gauche à droite et de haut en bas: le Mensonge, le Regret, le Désastre, la Lettre, la Stabilité, la Mort, le Souci, le Voleur et la Tristesse.
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Photograph, 20th c.
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Marc-Olivier Wahler, Nous avions donné rendez-vous au commissaire d’exposition neuchâtelois à l’ouverture de la Biennale internationale d’art. Il nous a confié ses impressions sur l’exposition d’Okwui Enwezor, mais aussi sur le Pavillon islandais, auquel le Suisse Christoph Büchel a donné la forme d’une mosquée. Par Elisabeth Chardon. Reportage photographique: Eddy Mottaz
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ous l’avions croisé en mars au Centre d’art de Neuchâtel. Il s’offrait alors un revival de sa jeunesse de curateur en remontant l’exposition de Jonathan Monk de 1997. Il avait fondé le CAN deux ans plus tôt, en 1995, et déjà son talent pour repérer des artistes et les mettre en scène, leur donner la meilleure visibilité possible dans l’espace d’exposition, était remarqué. Nous nous étions alors donné rendez-vous à Venise en mai. Nous souhaitions son regard sur la Biennale internationale d’art curatée par Okwui Enwezor et éventuellement sur quelques pavillons nationaux. Ce serait quelques heures avant qu’il reprenne l’avion. Nous verrions sur place où nous retrouver, entre Giardini et Arsenal, selon ses coups de cœur. Finalement, le lieu s’est imposé. En cet après-midi ensoleillé, nous nous verrions au joli bar à vins au bord d’un canal où la Confédération helvétique invitait à découvrir ses Prix Meret Oppenheim 2015 (Marc-Olivier Wahler a été lauréat en 2013). Une adresse habilement trouvée dans Cannaregio, à deux pas du pavillon islandais, tout juste inauguré. Entre les deux événements, un homme, Christoph Büchel. L’artiste suisse est lauréat 2015 du Prix Meret Oppenheim et il vit depuis quelques années à Reykjavic. Au point que l’Islande lui a confié son pavillon à la Biennale de Venise. Une vraie
prise de risque au vu du parcours parfois chaotique du personnage. Nous avons donc commencé par parler de ce dernier, tout aussi invisible à l’ouverture de son pavillon qu’au discours d’Isabelle Rochat, directrice de l’Office fédéral de la culture, pour l’annonce des Prix. Le Pavillon en question a depuis été fermé par les autorités vénitiennes. Bien sûr, ce n’était pas un pavillon comme les autres, mais une église déconsacrée – l’Eglise catholique locale semble divisée sur ce fait – que Christoph Büchel a transformée en mosquée pour les musulmans de Venise. Marc-Olivier Wahler nous a livré ses impressions à chaud après avoir jeté un œil aux lieux et même échangé quelques mots avec l’artiste. Un privilège de curateur puisque Christoph Büchel refuse de parler aux journalistes. Le Temps: Vous aviez une curiosité particulière vis-à-vis du pavillon de Christoph Büchel. Marc-Olivier Wahler: Ce qui m’intéressait, c’était les détails. Jusqu’à quel degré était-il allé? Je suis un grand fan. Je l’ai exposé en Suisse, à New York et à Paris. Je dirais presque qu’il est un pirate. Il sait mettre le doigt là où ça dérange, pointer les limites d’un système, les mettre au jour. Il connaît les éléments qui font qu’un objet ordinaire se transforme en œuvre d’art. Il maîtrise en quelque sorte
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rencontre vénitienne Helen Marten, «Lunar Nibs» (ci-contre) et «Night-blooming genera» (ci-dessous). Ces deux pièces de 2015, dont les titres pourraient se traduire par «plumes lunaires» et «genres de floraison nocturne», jouent avec d’autres œuvres placées des deux côtés d’une paroi oblique dans l’Arsenal. Née en 1985, Helen Marten vit à Londres.
l’ontologie de l’œuvre d’art. Si en A on a l’objet ordinaire et en B l’œuvre d’art, Büchel s’arrange pour que son travail ne vienne se fixer ni sur un point ni sur un autre. A Venise, ce qu’il présente est une église, une mosquée et une œuvre d’art. L’un n’exclut pas l’autre. Il convoque une logique additionnelle, alors que nous sommes habitués à ne fonctionner qu’avec une logique sélective. De tout temps, les artistes ont cherché à développer des œuvres convoquant une multitude d’interprétations. C’est ce que j’appelle le quotient schizophrénique de l’art. Plus une œuvre offre de pistes d’interprétation, plus elle gagne en densité. D’autre part, j’endosse volontiers une phrase d’Olivier Mosset qui souligne l’importance de l’art comme hygiène de l’esprit: «Si l’on arrive à voir l’art comme de l’art, alors la réalité peut rester ce qu’elle est.» Dans ce projet de mosquée, tout le monde a pris des risques. La Biennale est le lieu pour cela. Elle est plus libre qu’une institution qui se développe dans la durée, qui a des obligations patrimoniales. On peut y revisiter les frontières de l’art et du réel, additionner les interprétations et cultiver notre hygiène de l’esprit. On a tendance à présenter Christoph Büchel comme un simple artiste politique. C’est beaucoup plus compliqué.
La Mosquée de Christoph Büchel, le jour de son inauguration, le 8 mai. Musulmans en prière et visiteurs de la Biennale sont réunis. Depuis, les autorités vénitiennes ont fermé l’église. «Cette idée de créer une œuvre qui soit un objet d’art et qui existe dans la vie quotidienne n’a pas été comprise par les politiciens. Cette logique additionnelle appartient pourtant à notre nature», regrette Marc-Olivier Wahler, contacté à Paris après cette fermeture.
Votre séjour a été trop bref pour faire le tour des pavillons nationaux. Mais vous avez pu apprécier l’exposition d’Okwui Enwezor. Je le suis depuis longtemps. Au fil du temps, et avec beaucoup de travail, il a développé son idée de l’art. Lorsqu’il a été le commissaire de la Documenta 11, en 2002, j’avais une réserve. Je trouvais qu’il était trop enfermé dans les archives. Aujourd’hui, il regarde le présent. Il évoque les «futurs du monde» dans le titre de son exposition, mais c’est avant tout les problèmes du présent qu’il traite. Avec le principe que tout bon art est politique. Dire qu’on fait de l’art politique est une redondance. Quand j’ai commencé à regarder l’exposition à l’Arsenal, j’ai trouvé que la disposition rendait la visite très physique. Elle ne permet pas beaucoup de recul avec les œuvres. On nous impose une intimité avec elles qui n’est jamais reposante. Je suis très sensible à cela. Pour moi, une exposition est une expérience corporelle. C’est le seul médium qu’on traverse physiquement. Même si la chorégraphie est aussi décidée par le visiteur, la disposition pose tout de même un cadre. Okwui Enwezor n’a pas disposé les œuvres à la suite dans ce long couloir qu’est l’Arsenal, comme c’est habituellement le cas. Il nous oblige régulièrement à revenir en > Suite en page 24
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> Suite de la page 23 arrière. Ainsi, on voit certaines choses plusieurs fois, sous des angles différents. Vous avez sélectionné pour nous quelques œuvres qui vous ont spécialement marqué. Dans les vieux bâtiments qui sont au fond des Jardins de la Vierge, derrière l’Arsenal, une projection vidéo s’est imposée. Il s’agit du travail d’un groupe syrien anonyme, Abounaddara. Les gens y sont montrés dans leurs expériences quotidiennes. On peut regarder tous les documentaires qu’on veut, jamais on ne partagera l’expérience des Syriens. Mais ici, nous ne sommes pas seulement dans l’image documentaire. Le collectif joue avec les genres. Il réalise des sortes de trailers, des clips de format publicitaire. Avec ces
séquences vidéo, on dépasse le militantisme. Et dans l’Arsenal? J’ai apprécié les œuvres d’Helen Marten. C’est une artiste dont j’ai suivi les débuts. Je suis très admiratif. Elle fait partie de ces gens qui ont une telle créativité qu’ils ont sans cesse des idées, un peu à la manière d’un Olaf Breuning. Quel que soit ce qu’elle élabore, on est sûr d’avoir un univers d’une grande efficacité. Il est difficile de parler de ses sculptures. Et je pense que c’est le meilleur compliment qu’on puisse faire à un artiste. Il se dégage une sorte d’évidence visuelle de ses œuvres et en même temps on se sent très vite pris dans une sorte de maelström interprétatif. Ses sculptures font sens en affirmant leur non-sens. Toujours dans l’Arsenal, l’installation de Mika Rottenberg a égale-
Mika Rottenberg, «NoNoseKnows», 2015. Les visiteurs pénètrent dans l’arrière-boutique d’un marchand de perles en gros. Une vidéo montre les petites mains qui cultivent ses petits trésors. Dans une continuité fascinante, on suit aussi une femme dont le métier semble consister à respirer des bouquets de fleurs. Son nez s’allonge démesurément alors qu’auprès d’elle s’entassent les restes de repas à l’emporter. Entre ces mondes, un corridor aux multiples portes s’emplit de bulles géantes qui éclatent les unes après les autres. Mika Rottenberg, née en 1976, vit à New York.
ment retenu mon attention. C’est aussi une artiste que je suis. Je l’ai découverte pendant ses études new-yorkaises, il y a une dizaine d’années. Au fur et à mesure, j’ai vu son univers se développer. Son installation ressemble à une dénonciation des conditions de travail à la chaîne, du régime fordien appliqué dans les usines chinoises. Et en même temps, Mika Rottenberg crée une sorte de poésie, elle s’échappe dans un univers onirique. Vous souhaitiez signaler aussi une œuvre, non pas pour elle-même, mais pour sa présentation. Les deux grands hangars marins qu’on peut admirer avant d’arriver aux Jardins de la Vierge sont rarement utilisés. Et même si je ne suis pas du tout sensible à l’esthétique de l’œuvre du Chinois Xu Bing, je trouve que ces grandes sculptures sont ici tellement bien installées
qu’elles rendent le lieu plus dense. On a grâce à elles un autre type de relation avec le site. L’exposition d’Okwui Enwezor occupe aussi le Pavillon central des Giardini. Chaque matin, on y lit un passage du Capital. Qu’en pensez-vous? On voit l’intérêt du curateur pour Marx et pour les implications du Capital. C’est intéressant. Et sortir la Biennale de l’exposition pure en lui apportant un aspect performatif est tout à fait dans l’ère du temps. Il s’agit de créer des événements qui viendraient souligner la densité de l’exposition. Harald Szeemann faisait cela de manière magistrale. Mais cette lecture qui se prolonge sur toute la durée de la manifestation alors que les visiteurs ne restent que quelques jours à Venise est paradoxale. Et l’exposition d’Okwui Enwezor a de toute façon une réelle densité par elle-même.
Les «Phénix» de Xu Bing sont construits à partir de matériaux pauvres, en grande partie des objets recyclés. Avant de planer au-dessus des eaux de la lagune dans les anciens hangars pour navires de l’Arsenal vénitien, ils ont été exposés l’an dernier dans la nef de la cathédrale Saint-Jean le Divin, à New York. L’artiste, né en 1955, vit entre Pékin et New York.
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Abounaddara (l’homme aux lunettes, petit clin d’œil à «l’homme à la caméra», Dziga Vertov) est un collectif de réalisateurs syriens créé en 2010. Son «cinéma de l’urgence», produit dans l’anonymat, est distribué sur Internet. Mais il a aussi obtenu des Prix dans différents festivals de cinéma et d’art contemporain. Le film Syrie: instantanés d’une histoire en cours est un montage des séquences mises chaque vendredi sur Internet. Le film reste visible au fond des jardins de la Vierge, à l’Arsenal. Mais Abounaddara a quitté l’Arena où ses films hebdomadaires devaient être diffusés. Selon le collectif, la Biennale ne respectait pas les conditions prévues pour la projection.
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«Plus une œuvre offre de pistes d’interprétation, plus elle gagne en densité. C’est ce que j’appelle le quotient schizophrénique de l’art»
Marc-Olivier Wahler > Bio express Né en 1964 à Neuchâtel. Etudes d’histoire de l’art et de philosophie aux Universités de Neuchâtel et de Lausanne. 1987-1993 Enseigne l’histoire et la littérature anglaise au Lycée de Neuchâtel 1993 Conservateur au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne 1993-1994 Participe à la mise en place inaugurale du Mamco à Genève 1995-2000, cofondateur et directeur du Centre d’art de Neuchâtel 2000 Commissaire de Transfert, 10e exposition suisse de sculpture, à Bienne 2000-2006 Directeur du Swiss Institute – Contemporary Art, à New York 2006-2012 Directeur du Palais de Tokyo, à Paris 2012 Fonde la Chalet Society, structure indépendante et nomade pour penser des expositions différentes et servir de laboratoire multidisciplinaire. En 2015, des événements ont lieu à Los Angeles, à Istanbul, au Portugal ou encore au Mexique. Nombreuses publications et expositions en tant que commissaire indépendant. Parmi ses derniers projets, la mise sur pied d’un jardin de sculptures qui ouvrira à la fin de l’été au Portugal, à Grandola. Et la première Commission d’art annuelle d’Audemars-Piguet. La pièce de l’artiste Robin Meier qui en résulte est dévoilée à Art Basel. El. C.
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RENCONTRE
Olivier Mosset, de Venise à Dombresson Prix Meret Oppenheim 2015, l’artiste a fait un tour du côté de la Cité des Doges pour l’annonce de ces hommages helvétiques. Nous l’avons croisé dans la douceur vénitienne et lui avons proposé de le retrouver dans ses Montagnes neuchâteloises. Par Elisabeth Chardon. Reportage photographique: Eddy Mottaz
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ous étions bien loin des lumières vénitiennes. La pluie noyait le paysage. C’était une de ses journées où l’hiver vient rendre l’âme au milieu du printemps. Une semaine après l’avoir croisé au bord d’un canal, nous allions retrouver Olivier Mosset dans le Val-de-Ruz, le port d’attache helvétique de celui qui, exilé depuis 1977 aux Etats-Unis, passe le plus clair de son temps à Tucson, Arizona. Il nous avait donné rendez-vous à L’Hôtel de Commune de Dombresson. «Nous mangerons là et ensuite nous irons ensemble à la ferme, ce sera plus simple.» Nous nous sommes garés derrière une belle américaine, une Chevrolet Classic, nous doutant qu’Olivier Mosset en était le conducteur. «Oui, c’est bien la mienne, sourit l’artiste après nous être attablés dans le restaurant neuchâtelois. Avant, elle appartenait à Sylvie
Fleury.» Là, devant la terrine et les filets de palée du menu, l’évocation du Prix Meret Oppenheim nous donne l’occasion d’une première plongée dans les années 1960. C’est que dans ces années-là, le jeune Olivier Mosset a croisé par deux fois cette grande dame dont on a donné le nom à un des rares prix attribués à des artistes, designers, architectes et curateurs déjà bien avancés dans leur carrière. «Je l’avais vue dans un train pour Paris mais je ne lui avais pas parlé. J’étais impressionné par cette femme aux cheveux très courts. La fois suivante, je lui ai rappelé cette première rencontre, mais bien sûr, ça ne l’avait pas marquée.» Olivier Mosset sourit de ce jeune homme d’antan, qui faisait ses premiers pas dans le monde de l’art. Les premières toiles d’Olivier Mosset, des reliefs blancs faits de cadres et de toiles, datent de 1964, puis il y eut ces A si graphiques, et surtout ces anneaux noirs sur
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Elite: «Vous êtes peintre?» Olivier Mosset: «Oui, quand je peins.» Entretien réalisé par S. Edouard, paru dans le magazine Elite, Paris, 1966. Repris dans Olivier Mosset, Deux trois choses que je sais d’elle… Ecrits et entretiens, 1966-2003. Edités et présentés par Lionel Bover et Stéphanie Jeanjean, Editions du Mamco, Genève, 2005.
Au bord d’un canal vénitien (à gauche) ou dans sa ferme neuchâteloise, Olivier Mosset affiche le même flegme jovial, la même dégaine décontractée, entre gentleman-farmer et motard des grands espaces tout juste assagi.
fond blanc qui ont été longtemps sa marque de fabrique, du temps notamment du BMPT, le groupe nommé selon les initiales de Daniel Buren, Olivier Mosset, Niele Toroni et Michel Parmentier. Un jour, Olivier Mosset a abandonné ses cercles pour des rayures. «Quand on me disait que je faisais du Buren, je répondais que Buren ne peignait pas des rayures, il les mettait en scène.» Surtout, le cercle était en train de perdre sa neutralité pour devenir une image, un signe, tout ce que l’artiste fuyait, cherchant avant tout à se concentrer sur l’idée de peinture. Mais ce n’est pas de peinture mais de voyages, de cinéma et de politique que nous parlons à table. Le premier mot clé de ces évocations est Zanzibar. Olivier Mosset fréquentait alors un groupe de cinéastes dont la moyenne d’âge ne devait guère dépasser les 20 ans, et qui portait le nom de cette île au large de l’Afrique. On y trouvait Philippe Garrel, Jackie Raynal ou encore Serge Bard. Celui-ci a notamment signé un film qui n’est autre que le vernissage d’une exposition d’Olivier Mosset. Dans Fun and Games for Everyone, les ronds noirs apparaissent en version quasi psychédélique sur l’écran, tandis que Salvador Dalí, Amanda Lear, Nico et les autres déambulent l’air plus ou moins concernés dans une photographie complètement surexposée, réduite à un noir et blanc très tranché. Ces aventures cinématographiques étaient financées par Sylvana Boissonnas, héritière Schlumberger, dont le frère Eric créait pendant ce temps la station savoyarde de Flaine. Elle sera aussi le mécène de L’Idiot international de Jean Edern-Hallier avant de se consacrer au MLF. Olivier Mosset signera luimême un court-métrage, Film porno, qui n’était, s’amuse-t-il encore aujourd’hui, «ni un film ni porno». Le casting était pourtant merveilleusement photogénique et sexy, avec Pierre Clementi et Caroline de Bendern. Le nom de Zanzibar n’était pas tout à fait qu’une chimère. Olivier Mosset a bien pris le chemin du désert, avec quelques membres de cette bande passablement allumée, à travers le Maroc et l’Algérie. Il s’agissait semble-t-il d’un
voyage de repérage pour un film de Serge Bard. Celui-ci finira d’ailleurs par aller y vivre en ascète, converti à l’islam sous le nom d’Abdullah Siradj. Tout cela se passait, précisons-le, autour de Mai 1968. Olivier Mosset fréquentait cet univers arty underground et quelques autres jeunesses qui voulaient refaire le monde et même le refaisaient un peu. Les Mao-spontex et autres amitiés militantes lui valurent d’ailleurs moult problèmes aux frontières. La pluie n’a pas cessé quand nous reprenons les voitures pour suivre à travers la danse des
essuie-glaces la belle américaine à travers quelques routes de campagne. Presque cachée dans les hautes herbes, la ferme soudain est là. Quelques mufles bruns pointent vers ces visiteurs inattendus. Un paysan utilise l’étable, comme il se doit, mais le reste de la maison est rempli des souvenirs personnels et familiaux de l’artiste. Les vaches assisteront plus tard avec bienveillance à la séance photo. Dans les fermes familiales, le jeune Olivier a autrefois gardé quelques troupeaux. Il n’est pourtant pas tout à fait un enfant de la campagne puisqu’il est né à Berne, où son père travaillait
comme chimiste pour la Confédération. Un grand-père qui a laissé la ferme et obtenu un diplôme d’instituteur, toujours accroché au mur de la vieille maison du Val-de-Ruz, pour pouvoir obtenir la main de la jeune fille chère à son cœur. Et un autre qui est une figure de l’horlogerie neuchâteloise, Maurice RobertTissot, fondateur d’Ebauches SA. C’est donc à Berne qu’il a passé ses premières années, avant Neuchâtel où il a commencé le gymnase. Olivier Mosset est un hôte prévenant. Pendant que nous visitons un peu la maison, il prépare
la cafetière italienne, sort les biscuits achetés pour notre visite. Au salon, les petites tasses fleuries contrastent avec la veste de cuir du motard posée sur un dossier de chaise. L’image correspond assez à la vie déjà bien remplie de cet artiste hors normes qui voudrait réduire sa réputation entre la Suisse et Tucson. Mais qui pourtant évoque avec bonheur son rôle de scénographe en 2012 à l’Opéra de Paris. Pour sa première création, l’ex-danseuse étoile Marie-Agnès Guillot lui a demandé une scénographie. Il a notam> Suite en page 28
Même si c’est à Tucson qu’est vraiment son atelier, un petit coin de la ferme est prévu pour bricoler, chercher de nouvelles idées. Le jour de la visite, il baignait dans un vert intense.
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Un vieux bassin historique où venait autrefois paître le bétail, et tout à côté, la délicatesse toute bourgeoise héritée de la mère de l’artiste, à peine réapprivoisée.
> Suite de la page 27 ment posé sur scène une des fameuses sculptures en forme de Toblerone empruntées au paysage helvétique. «Et j’ai trouvé très excitant d’appartenir à cette lignée d’artistes qui, comme Picasso, ont pu concevoir un rideau de scène.» Par la fenêtre, on aperçoit un lilas aux pétales lourds de pluie. La discussion continue sur le mode des allers et retours temporels. Nous voilà repartis dans ces années 60 où le jeune homme a inventé sa vie, pas tout à fait comme ses parents l’avaient prévue. «Après tout, c’est ma mère qui m’a emmené au cinéma voir Le Mystère Picasso, le film de Clouzot. C’est avec elle aussi que j’ai découvert Tinguely. Nous sommes allés voir une exposition à la Kunsthalle de
Berne. Je crois qu’elle avait entendu dire que c’était amusant.» A 18 ans, Olivier Mosset rend donc visite à Jean Tinguely à Paris et devient son assistant. Il lui faudra tout de même revenir en Suisse passer une maturité fédérale. A son retour à Paris, il s’inscrit à l’Ecole du Louvre, se cultive le regard dans les salles de peinture des grands musées parisiens. Il retrouve Tinguely, assiste aussi Daniel Spoerri et, bien sûr, développe son propre travail. Jusqu’à ce qu’il se fasse rattraper par les contraintes administrativo-policières. «Un jour, on m’a simplement dit que je n’avais plus le droit de vivre en France.» Olivier Mosset sera donc bientôt parti pour les Etats-Unis. Il avait déjà quelques points de repère new-yorkais grâce à une visite au milieu de la décennie pré-
cédente où il avait notamment visité la Factory de Warhol. New York, ce sera pendant quelques années la vie en monochromes avant de retrouver plus de complexité. Sans doute cet équilibre entre obstination dans la recherche et souplesse dans la rencontre est-il une des clés pour comprendre le demi-siècle de carrière d’Olivier Mosset. Il égrène la suite des mouvements picturaux qu’a connus le XXe siècle depuis les débuts de l’abstraction. «Aujourd’hui, cette histoire a éclaté. Ce qui compte, c’est comment se déplacer dans le système. Mais je ne sais plus.» Ce recul lui offre sans doute la plus grande des libertés. C’est bien en homme libre qu’il collabore depuis une bonne dizaine d’années aux programmes des Nouveaux Commanditaires dévelop-
pés en Bourgogne, autour de la route nationale 6. Entre deux bourgs, Avalon et Chagny, se met ainsi en place avec la population locale et le Consortium, centre d’art de Dijon, une active politique de revalorisation d’un tronçon routier quelque peu délaissé mais qui était autrefois synonyme de route des vacances. Au cinéma l’Etoile, à Saulieu, un vaste Cercle rouge rappelle le film de Melville, avec Alain Delon. Une scène fut tournée non loin. Une restauration des anciennes publicités peintes sur les façades le long de la nationale est aussi en cours. A Corpeau, en dialogue avec la station-service du Pont-de Paris, restaurée, classée au patrimoine, l’artiste a érigé de l’autre côté de la route une sculpture monumentale baptisée Pont de Paris II. Tout près, dans l’ancien garage
Saint-Christophe, le Frac Bourgogne a ouvert un espace d’exposition inauguré l’automne dernier, avec une exposition Olivier Mosset bien sûr. Loin de Tucson, un peu moins de ce Val-de-Ruz où nous l’avons retrouvé ce printemps, la Bourgogne est ainsi devenue un nouveau territoire pour un homme libre, et plutôt heureux, à voir l’entrain avec lequel il parle de cette expérience. Le Prix Meret Oppenheim 2015, décerné par l’Office fédéral de la culture, distingue les artistes Christoph Büchel et Oliver Mosset, le curateur Urs Stahel et le duo d’architectes Staufer/Hasler. Remise des prix le 15 juin à Bâle, en même temps que les Swiss Art Awards www.swissartawards.ch
ART CONTEMPORAIN COLLECTION #10
Voici la dixième édition d’art contemporain proposée par Le Temps à ses lecteurs. C’est la première œuvre de la collection qui comporte un volume. Ce corps féminin, sensuel et coloré, qui rappelle de grands nus de l’histoire de l’art, est l’œuvre de Denis Savary. Cet artiste vaudois, installé à Genève, a imaginé Stromboli en marge de la préparation de son exposition personnelle au Mamco (du 10 juin au 13 septembre 2015). Moulée dans un mélange de granulats de caoutchouc et de résine non toxique, Stromboli peut se poser sur un meuble, une étagère, ou s’accrocher au mur, comme un tableau. Elle est présentée ici en bleu mais l’artiste a prévu de la décliner
Cette œuvre exclusive peut être commandée sous www.letemps.ch/art ou par téléphone au 0848 48 48 05 (tarif normal). Les souscriptions sont enregistrées par ordre d’arrivée et prises en compte après réception du paiement (carte de crédit ou sur demande par facture). Envoi de l’œuvre dès le 30 juin 2015.
aussi en rose et en orange. Il est possible d’acquérir une couleur ou la série de trois. Une vidéo où Denis Savary commente l’œuvre est à découvrir sur notre site: www.letemps.ch/savary Stromboli, au format 34 x 55 x 6 cm, est éditée à 60 exemplaires, numérotés et signés par l’artiste. Abonnés Non-abonnés Frais de livraison
CHF 400.– CHF 490.– CHF 30.–
Prix spécial pour l’achat de la série de trois couleurs. Abonnés CHF 1100.Non-abonnés CHF 1370.Frais de livraison CHF 90.TVA incluse
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Dans chaque numéro, Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été et de ses rêves. Une manière de mieux comprendre l’adulte qu’il ou elle est devenu(e). Plongée dans le monde de l’imaginaire.
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INTERVIEW SECRÈTE
Sylvie Fleury,
qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant?
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ublie-t-on jamais sa première rencontre avec un artiste? Avec Sylvie Fleury, ce fut à la galerie Art & Public en 1992. Il y avait, entre autres, des boîtes de maquillage brisées par terre, ses fameux Shopping Bags et ses tableaux reprenant les motifs de Mondrian en fausse fourrure que l’artiste peignait nonchalamment. Avec un peigne donc. A l’époque, la mode et l’art n’étaient pas aussi imbriqués qu’ils le sont aujourd’hui. C’était à la fois séduisant et déconcertant cette manière qu’elle avait de détourner les codes du consumérisme de luxe avec humour. A l’époque, j’avais écrit que tout ce buzz durerait quelques saisons. Sans doute parce que «la mode se démode, le style jamais», comme le disait Coco Chanel. Vingt-trois années plus tard, et après avoir exposé dans les plus grandes galeries et les plus grands musées du monde, Sylvie Fleury remporte le prix de la Société des Arts. Une exposition se tiendra d’ailleurs au Palais de l’Athénée, à Genève, du 25 septembre au 31 octobre. Douces confidences autour d’une tasse de thé.
ment sentimentale qui s’est acheté quelques voitures dans sa vie et qui n’a jamais pu se résoudre à les jeter ou à les vendre. Elles sont un peu vieilles et pas en très bon état, mais je les aime tendrement. Cela fait partie du paradoxe, car je suis par ailleurs très concernée par la question écologique. Cela dit, quand on a trois voitures, on ne roule jamais avec les trois en même temps. Quel métier vouliez-vous faire une fois devenue grande? J’ai beaucoup suivi la Formule 1 quand j’étais enfant. Pilote de F1, c’est un métier qui m’attirait, même si je n’ai pas fait la moindre tentative de m’y lancer. Aujourd’hui, je me dis que c’est presque dommage.
Quelles traces en reste-t-il dans votre vie? Ma tendance à toujours évaluer la question du genre dans mon travail est peut-être liée à cela? Ou peut-être pas? Mais l’amour des grosses voitures, oui, ça, c’est sûr.
Vous suiviez les courses à la télévision ou vous alliez sur des circuits? A la télé. Je suis allée sur les circuits plus tard, quand je me suis mise à faire de l’art, étrangement. J’étais sur le circuit de Silverstone avec Mika Häkkinen en 1999, quand il a remporté le titre de champion du monde, parce que Hugo Boss m’avait demandé de faire une édition spéciale. Dans leur QG de Metzingen, j’ai vu une voiture de formule 1 accrochée sur le mur, qui n’était rien d’autre que la voiture qui avait appartenu à Ayrton Senna. Et soudain, je me suis dit que si je faisais un truc autour de la F1 avec ces gens, j’allais pouvoir me faire inviter sur des circuits. J’ai proposé qu’on choisisse la dernière combinaison qu’avait portée Ayrton Senna, qu’on la recopie et qu’au lieu d’en faire une combinaison, cela devienne une robe longue. C’était un projet assez excitant qui touchait plein d’aspects de mon travail. Mais on a très vite été confrontés à des problèmes de marketing à cause des logos, de l’emplacement du nom des marques, qui coûtent plus ou moins chers selon qu’ils sont posés sur l’épaule gauche, droite ou le poignet. Finalement grâce à MacLaren, on a réussi à faire la robe (Formula One Dress 1999, qui a été éditée à 100 exemplaires, ndlr). Et je me suis retrouvée à me faire photographier avec Mika Häkkinen sur le circuit: il portait la combinaison et moi la robe.
Vous parlez de celles que vous collectionnez? Collectionner, c’est un bien grand mot: j’ai trois voitures. Je suis juste une personne incroyable-
Quel était votre jouet préféré? Malheureusement, ce n’est pas très original: j’avais un vieil ours qui s’appelait Teddy et qui n’avait qu’un œil.
Le Temps: Quel était votre plus grand rêve d’enfant? Sylvie Fleury: Je ne me souviens pas très bien de mes rêves d’enfant. C’est difficile d’ailleurs de mettre une échelle de valeur sur ses rêves. Mon enfance est intimement liée à mon frère, qui malheureusement n’est plus là. Il était plus âgé que moi et je lui vouais une admiration sans borne. Peut-être que j’aurais voulu être mon frère? Beaucoup de choses ont été influencées par lui: j’ai très tôt adoré jouer avec des voitures, je m’amusais avec des Dinky Toys. Ensuite j’ai essayé de les retrouver en grandeur nature. Quand je pense à mon enfance, il y a beaucoup de choses que j’ai traversées avec son image.
L’avez-vous gardé? Je ne crois pas. C’est un sujet assez sensible que vous abordez, car je n’ai jamais très bien su ce qu’étaient devenus mes jouets. J’en avais un autret, Hoby, que j’ai énormément aimé: un phoque en peluche à peu près grand comme cette table de la marque Seiff, que mon père avait acheté aux Jouets Weber. Un jour, j’ai demandé où était Hoby et on m’a dit qu’il était en Allemagne chez mes petitscousins. Je ne sais pas si c’est une excuse mythique qui avait été inventée par mes parents. Je pense que cela fait partie de la réalité de grandir. Un jour, on doit renoncer à ses jouets. A quel jeu jouiez-vous à la récréation? Je n’en ai pas la moindre idée. A l’élastique? Mais ce n’est vraiment pas intéressant. Grimpiez-vous dans les arbres? Oui. J’avais la chance d’avoir un petit jardin avec un petit talus, et en bas du talus il y avait quelques arbres qu’on appelait «la forêt». Et juste derrière, il y avait la maison de la sorcière, qui était la voisine. Le jour où je suis retournée dans cette maison, des années plus tard, et que j’ai regardé ces arbres, je me suis dit: c’était ça, la forêt? Qu’est-ce que vous ressentiez quand vous grimpiez tout en haut? Je n’allais pas tout en haut, car les arbres ne le permettaient pas. Qu’est-ce que je pouvais bien ressentir? La question m’intéresse. J’aimerais bien pouvoir me remettre dans la peau de la petite fille tout en haut pour savoir ce qu’elle ressentait.
«L’héroïne que j’aimais beaucoup, c’était Emma Peel dans «Chapeau melon et bottes de cuir». J’aimais son caractère, son look, tout!» Sylvie Fleury
Savez-vous faire des avions en papier? Oui, j’en fais toujours.
magique. Et avec la magie, il faut être capable de tout faire. J’aurais aussi voulu avoir le pouvoir de grandir. Quand on est enfant, on veut juste être grand. On n’a pas encore compris ce que c’était. Rêviez-vous en couleur ou en noir et blanc? On avait la télé noir et blanc plus longtemps que tout le monde, mais je pense que j’ai rêvé en couleur. Quel était votre livre préféré? Je vais sauter la question pour le moment. C’est un peu confus. Quel goût avait votre enfance? C’est forcément un truc de bonbon, mais quel bonbon? Le «colle-aux-dents» peut-être?
Quel superhéros rêviez-vous de devenir? Barbarella… Non, ce n’est pas juste. Barbarella, c’est venu plus tard. Et en plus, ce n’est pas un superhéros: elle est tout le temps en train de se prendre les pieds dans la porte de son vaisseau spatial. L’héroïne que j’aimais beaucoup, c’était Emma Peel dans Chapeau melon et bottes de cuir. J’aimais son caractère, son look, tout!
Et si cette enfance avait un parfum, ce serait? Plusieurs choses me viennent à l’esprit: ma première bouteille d’eau de toilette, que j’ai reçue enfant et qui était de l’Eau Sauvage de Christian Dior, et une énorme bouteille que mon frère avait dû recevoir, et qui est restée longtemps dans la salle de bains, un truc verdâtre avec une médaille qui sentait assez mauvais et s’appelait Brut de Fabergé. L’odeur du chlore aussi. J’ai passé une grande partie de mon enfance dans la piscine. Quand on a trop nagé sous l’eau, on a une espèce de filtre devant les yeux et quand on regarde les gens, ils ont une aura tout autour d’eux.
De quel super-pouvoir vouliez-vous être doté? Tous si possible! J’ai toujours été attirée par les choses un peu
Pendant les grandes vacances, vous alliez voir la mer? J’adorais aller à la mer, oui. Cela me rappelle l’odeur de l’Ambre
Quelle était la couleur de votre premier vélo? Bleu clair métallisé.
Solaire. On m’a demandé un jour de faire une bougie. Je me suis creusé la tête pour trouver un parfum et j’ai décidé de créer une bougie qui sentait l’Ambre Solaire. C’est l’odeur de mes vacances à la mer, le pur bonheur. Mes vacances d’hiver aussi, c’était le bonheur: j’ai vécu mes plus beaux moments à ski, dans la neige. Skier avec mon père, c’était magique! Il faisait très bien la godille – un mot devenu désuet. Et moi, tant bien que mal, j’essayais de rester dans ses sillons.
Aviez-vous peur du noir? Je pense que j’avais un petit peu peur, car j’ai fait souvent vérifier ce qui se passait sous mon lit avant de me coucher, donc oui, je devais être un peu effrayée par le noir. Mais pas au point d’avoir besoin qu’on laisse la lumière allumée. Vous souvenez-vous du prénom de votre premier amour? (Elle rit.) Oui. Et de l’enfant que vous avez été? Pas très bien. Je n’ai pas une vision très claire de cette enfant. Sûrement turbulente. Est-ce qu’elle vous accompagne encore? C’est inévitable. Je pense même que je l’encourage à m’accompagner très souvent. Les enfants portent un regard magique sur les choses. Quand on arrive à s’en rapprocher, ça donne un petit lifting mental à tout le monde… C’est drôle, mais le mot «lifting» me fait penser à une cassette vidéo que j’avais achetée aux Etats-Unis et dont j’avais fait une pièce qui s’appelait «The Natural Face Lift». Ça me faisait hurler de rire, car c’était une dame qui faisait des grimaces pendant une heure pour se tendre la peau. Quand on est enfant, les grimaces, ça fascine. On n’est pas encore dans la représentation de soi. Une des raisons pour lesquelles il m’est difficile de répondre à des questions, dans des interviews, c’est que je n’aime pas les choses arrêtées. Je déteste arrêter quoi que ce soit. Une fois qu’une chose est posée comme une vérité, cela devient une sorte de fatalité et je n’arrive plus à dire quoi que ce soit, car j’ai peur de figer les choses.
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