Le Temps Hors Série MODE

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MODE LA MODE EN RÉVOLUTION

Buonomo & Cometti

Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 9 avril 2016

DEMNA GVASALIA VANESSA SEWARD MARCO DE VINCENZO JAMES GOLDSTEIN RENCONTRES


Mode

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Le Temps l Samedi 9 avril 2016

ÉDITO

Où va la mode? Elle fait sa révolution. A tous les étages et pas seulement au rayon vêtements. Ces deux dernières saisons, le monde de la mode a été ébranlé par des départs très médiatisés: Raf Simons quittant Dior et Alber Elbaz sortant de chez Lanvin. Entre-temps, on a appris que Jonathan Saunders avait été nommé chez Dior et Bouchra Jarrar à la tête de la création féminine de Lanvin. Est-ce que tout est rentré dans l’ordre pour autant ? Pas vraiment. Le mercato de stylistes passant d’une maison à l’autre va en s’amplifiant. Le temps où, à l’instar de Karl Lagerfeld, on pouvait entrer chez Fendi en 1965, chez Chanel en 1983, et y rester à vie est révolu. Aujourd’hui, les créateurs passent en moyenne entre deux et six ans à la direction artistique d’une maison. Parce que la nature même du métier a changé. Il n’est plus nécessaire d’avoir étudié le design dans une grande école de mode pour prendre la direction artistique d’une maison. Il est moins question de savoir dessiner que de savoir vendre et communiquer. C’est ainsi que Justin O’Shea vient d’être nommé directeur de la mode chez Brioni (marque du groupe Kering), en remplacement de Brendan Mullane, qui sera resté quatre ans à ce poste. Cette figure du street style, ancien directeur des achats et directeur de la mode chez MyTheresa (un site de vente de luxe en ligne), ne possède aucune formation «mode» traditionnelle. En revanche, il a une solide connaissance du marché et sait vendre son image: avec sa compagne Veronika Heilbrunner, ex-journaliste du Harpers Bazaar Allemagne, ils totalisent l’un 83 600 et l’autre 74 700 followers sur Instagram, soit au total… Je vous laisse compter. En termes de création aussi, les changements sont radicaux. Une nouvelle génération de créateurs

Une autre révolution ébranle la structure même du système des calendriers de la mode. On a beaucoup parlé cette saison du principe du See now/Buy now (je vois, j’achète), soit le fait pour une maison de vendre les vêtements au moment même où ils défilent et non six mois plus tard, comme c’est la règle. Burberry a fait une déclaration en ce sens, Julien Fournié applique ce système depuis ses débuts (p. 4). Il s’agit de répondre aux désirs d’une société qui pratique la culture de la satisfaction immédiate. Il s’agit aussi de protéger les créateurs et designers (il en reste) et de lutter contre la contrefaçon. Désir d’éthique, d’immédiateté, d’image: la planète mode est en phase de transformation. Tous les acteurs concernés vont devoir apprendre cet art de «danser avec ses chaînes» dont parlait Voltaire dans ses correspondances*. Les chaînes qui naîtront de ce nouvel ordre en train d’émerger.

PIERRE-ANGE CARLOTTI

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Où va le monde de la mode?

La mode vit une révolution. Depuis que quelques marques ont décidé de vendre leurs collections au moment même où celles-ci défilent, tout le programme des défilés pourrait être remis en question. Analyse et entretien avec Julien Fournié. Par Isabelle Cerboneschi

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Demna Gvasalia, la mode du futur

Le chef de file du collectif VETEMENTS, nommé directeur artistique de Balenciaga, s’apprête à bouger les lignes de la mode. Rencontre. Par Elisabeth Clauss

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Souffle de printemps

Les designers ouvrent les portes d’un paradis bucolique où les rayons du soleil révèlent une nature candide. Une folle envie de fraîcheur. Par Séverine Saas

DR

Isabelle Cerboneschi

A tout cela répondent des créatrices irréductibles qui dessinent une mode, non pas pour plaire aux acteurs des réseaux sociaux, mais à des femmes, des vraies, qui vivent, aiment, respirent. Elles s’appellent Julie de Libran (chez Sonia Rykiel), Clare Waight Keller (chez Chloé), Véronique Leroy ou Vanessa Seward (p. 10) pour ne citer qu’elles. Ces créatrices font une mode-autoportrait, dessinent (oui, on peut encore utiliser ce mot) des vêtements qui leur ressemblent et semblent sortis tout droit de leur dressing. Elles en sont les meilleures ambassadrices et connaissent l’art subtil de rallier des tribus de femmes dans leur sillage, sans passer forcément par les cases Twitter, Instagram, ou Facebook. Juste grâce au pouvoir du désir généré et de l’effet miroir.

6 Demna Gvasalia

8 Souffle de printemps

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Le chic, c’est chic

Vanessa Seward a créé sa propre griffe il y a trois saisons. Il n’est pas tant question de mode que d’allure. Avec son élégance décalée, elle esquisse la silhouette d’une Parisienne cosmopolite. Rencontre. Par Séverine Saas

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Backstage

En coulisse des défilés parisiens. Photographies: Sylvie Roche

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FRÉDÉRIC LUCA LANDI

arrive sur le devant de la scène. Ils entendent dessiner un futur possible de la mode, inspiré de la rue, de l’image, des banlieues américaines, des objets et rituels de notre quotidien, de la normalité de la vie, à l’instar de Demna Gvasalia, fondateur du collectif VETEMENTS et nommé à la tête de la création Balenciaga (p. 6), ou Virgil Abloh, créateur de Off White, qui est accessoirement le directeur artistique de Kanye West.

SOMMAIRE

10 Vanessa Seward

Sur la route de la soie

Du déshabillé au bomber, en passant par le manteau ou le kimono, cette saison, la soie est mise en lumière. Elle caresse les corps des hommes et des femmes, les épouse, les dévoile. Beauté d’un été. Par Antonio Nieto

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La dentelle, ou l’homme dévoilé

Les «points en l’air », ou encore «bordures à dents », plus communément appelés «dentelles» sont de rigueur dans la garde-robe masculine. Par Antonio Nieto

Marco De Vincenzo, designer 20 de «prêt-à-couture »

A la tête de sa propre marque, dans le groupe LVMH, le designer sicilien déroule une collection printemps-été éblouissante de contrastes et de liberté. Rencontre. Par Antonio Nieto

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La mode en métamorphose

James Goldstein, le flamboyant

Ceux qui le croisent aux Fashion Weeks de Paris à Moscou, en passant par New York et Berlin le reconnaissent entre mille, mais ne savent rien de lui. Nous avons tenté de percer le mystère James Goldstein chez lui, dans sa villa réalisée par John Lautner. Rencontre. Par Isabelle Campone

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Portfolio

REINES DE CENDRE Réalisation et photographies: Buonomo & Cometti Concept et stylisme: Isabelle Cerboneschi

20 Marco De Vincenzo

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De la HEAD aux grandes maisons de prêt-à-porter

Plusieurs diplômés de la Haute Ecole d’art et de design de Genève travaillent pour des marques de renom. Par Emilie Veillon

*Au sujet de la poésie italienne, Voltaire, dans une lettre adressée à Monsieur Deodati de Tovazzi, sur la littérature italienne, du 24 janvier 1761 écrivait: «Vous êtes moins asservis que nous à l’hémistiche et à la césure, vous dansez en liberté et nous dansons avec nos chaînes» (in «Œuvres complètes»). Métaphore reprise par Nietzsche.

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Bryan Ferry

Qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant? Par Isabelle Cerboneschi

Photographies, réalisation et stylisme: Buonomo & Cometti Concept: Isabelle Cerboneschi Mannequin: Sunniva @ Vivia Assistant/production: Antonio Crescenzo A gauche: robe en mousseline de soie rose à découpes asymétriques, collier en métal avec ruban et manchette dorée. Dior. Ci-contre: longue robe en satin de soie gris perle et liens brodée. Yiqing Yin.

Editeur Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01

Photographies Buonomo & Cometti Sylvie Roche Responsable production Nicolas Gressot

Président du conseil d’administration Stéphane Garelli

Réalisation, graphisme Mélody Auberson Nicolas Gressot Christine Immelé Margaux Meyer

Direction Ringier Axel Springer Suisse SA

Responsable photolitho Denis Jacquérioz

Directeur Suisse romande Daniel Pillard

Correction Samira Payot

Rédacteur en chef Stéphane Benoit-Godet

Conception maquette Bontron & Co SA

Rédactrice en chef déléguée aux hors-séries Isabelle Cerboneschi Rédacteurs Isabelle Campone Elisabeth Clauss Antonio Nieto Emilie Veillon Secrétaire de rédaction Emilie Veillon

Internet www.letemps.ch Gaël Hurlimann Courrier Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01

Publicité Ringier SA Publicité Le Temps Pont Bessières 3 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 70 00 Fax +41 21 331 70 01 Directrice: Marianna di Rocco Impression Swissprinters AG Zofingen La rédaction décline toute responsabilité envers les manuscrits et les photos non commandés ou non sollicités. Tous les droits sont réservés. Toute réimpression, toute copie de texte ou d’annonce ainsi que toute utilisation sur des supports optiques ou électroniques est soumise à l’approbation préalable de la rédaction. L’exploitation intégrale ou partielle des annonces par des tiers non autorisés, notamment sur des services en ligne, est expressément interdite. ISSN: 1423-3967



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Mode

Le Temps l Samedi 9 avril 2016

ÉVOLUTION

Où va le monde de la mode? La mode vit une révolution. Et il ne s’agit pas seulement de style, mais de la structure même du système. Depuis que quelques marques ont décidé de vendre leurs collections au moment même où celles-ci défilent – selon le principe du «See now/ Buy now», tout le programme des défilés pour ait être remis en question. Une manière de contrer la contrefaçon? Analyse. Par Isabelle Cerboneschi

SYLVIE ROCHE

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Dans les coulisses du dernier défilé dAlber Elbaz pour Lanvin.

Julien Fournié: «Une industrie de la mode à repenser» Cela fait deux ans que le couturier Julien Fournié met en vente ses collections le lendemain de son défilé. Et il en end aller plus loin grâce à un projet de «Haute Couture On Cloud». Vous vendez vos collections de prêt-à-porter le lendemain de votre défilé hau e couture en juillet. Comment cela peut-il fonctionner? Nous montrons ces modèles plusieurs mois avant le défi é, mais seulement aux acheteurs des magasins multimarques, pendant la semaine des collections de prêt-à-porter. On prend les commandes à ce moment-là et on les livre aux dates où ces collections devraient arriver normalement en boutique. Cela me laisse trois ou quatre mois de fabrication pour les livrer en temps et en heure. Il n’y a plus de stress. Et cela tombe exactement au moment où défile la haute couture. Le premiers modèles du défi é sont en réalité du prêt-à-porter. Grâce à ce système, on ne subit plus les copies de nos collections par les marques du «mass market» ou du «masstige». Vous vous faites beaucoup copier? Il y a des lignes que l’on retrouve dans de grandes enseignes, oui. Je ne vais pas rentrer dans les détails. Mais il ne s’agit pas que de moi! Depuis quand appliquez-vous les règles du «See now/Buy now»? Depuis le début, il y a deux ans. Quand j’ai monté ma maison, j’ai développé mon prêt-à-porter avec Maria Luisa*, qui mettait son nez dans mes plans de collection jusqu’à ce qu’elle ferme les yeux définitivement. Elle pensait qu ma collection devrait être dans sa boutique en même temps qu’elle défilerait sur le podium. Elle était visionnaire! C’est une opération où l’on est tous gagnants. Les boutiques peuvent construire une histoire avec nous et vice-versa. Comment construisez-vous cette histoire ensemble?

qu’il faut que je raconte mon histoire.

JOANNA LORENZO

a planète mode vit des bouleversements tels que l’on se demande de quoi la saison prochaine sera faite. La question récurrente posée aux créateurs après les défi és était celle de savoir s’ils allaient suivre ou non le principe du «See now/Buy now» (Soit la mise en vente de la collection juste après le défi é), instauré déjà par certaines marques américaines, anglaises mais aussi italiennes et françaises. C’est Christopher Bailey, directeur artistique de Burberry, qui a jeté le pavé dans la mare en déclarant que, désormais, la marque ne présenterait plus que deux défi és par ans, l’homme et la femme en même temps, et que les collections seraient mises en vente dans la foulée. Si certaines maisons pratiquent déjà cette vente en temps quasi réel – comme Julien Fournié (lire cicontre) – la grande majorité s’en tient au calendrier traditionnel. A savoir: l’automne-hiver défile en février-mars, le printemps-été en septembreoctobre, soit avec six mois de décalage par rapport à leur mise en vente, période d’attente nécessaire pour en assurer la production. Sauf que l’époque n’encourage pas à la patience. Les clients, qui ont accès visuellement à la collection en temps réel grâce aux télévisions et aux réseaux sociaux, veulent assouvir leur désir de manière immédiate et non dans six mois. Par ailleurs, ce délai favorise les copieurs qui peuvent lancer des modèles similaires dans les quinze jours, et rendre ces collections obsolètes avant même qu’elles soient sur le marché. Mais modifier les dates de mise en vente équivaudrait à changer de paradigme. Certaines maisons y ré échissent, convaincues qu’à terme, elles ne pourront faire autrement. Mais «pour que cette révolution soit efficace et permanente, il sera nécessaire d’intervenir à chaque étape du développement afin de créer un mécanisme opérationnel», déclare Giorgio Armani dans un communiqué. Comment en est-on arrivé là? Les défi és autrefois étaient réservés aux professionnels et à quelques critiques de mode. «Les maisons remettaient trois photographies identiques à toute la presse, explique l’expert Donald Potard, directeur du département mode au Collège of Art à Paris. Les rédactrices avaient une date de parution avant laquelle elles ne pouvaient publier les photos et le système pouvait fonctionner. Les acheteurs passaient leurs ordres et la maison fabriquait et livrait six mois plus tard.» Puis vint l’époque des défi és spectacles où les maisons ont commencé à inviter les télévisions, la presse et même le public. C’est Thierry Mugler qui fut le précurseur de ces shows avec son défi é automne-hiver 1984-1985 présenté pour les 10 ans de sa marque au Zénith: 2000 invités et 4000 spectateurs payants. «Le système dérapa tout d’abord à cause de la copie, relève Donald Potard. La surexposition médiatique des défi és entraîna une véritable industrie de la contrefaçon. Les photographes doublaient les tirages de leurs photos et les vendaient à la sauvette à La Coupole, le soir de chaque défi é. Les acheteurs étaient le Sentier, les grands magasins américains puis les industriels japonais. Ceux-ci n’hésitèrent pas à demander aux journalistes nippones de prendre elles-mêmes des photos avec des appareils miniaturisés. Je me souviens d’une époque où les maisons fouillaient les sacs des invités aux défi és pour confis quer ces minuscules caméras. Le phénomène s’amplifia avec les smartphones. Les collections furent ainsi pillées en direct alors que le podium était encore tiède. Les maisons sont volontairement passées d’une communication réservée aux professionnels, avec des règles bien établies, à une anarchie totale, incontrôlée et incontrôlable.» Changer les règles et les calendriers équivaudrait à protéger la création. Elle le mérite.

En proposant aux boutiques partenaires du «Wow effect», en leur apportant un univers en plus de notre nom. Lorsqu’une boutique multimarque achète ma collection de prêt-à-porter, je peux, par exemple, lui prêter deux ou trois robes de haute couture pour ses vitrines, parce qu’elles racontent la même histoire que mon prêt-à-porter. En effet, j’utilise certains tissus que j’ai fait créer pour les deux collections, mais pour la couture, ils sont rebrodés, retravaillés, peints à la main… La cliente comprend ainsi mon univers et s’offrira la jolie veste dans la même matière que la grande robe du soir. Quant aux boutiques, elles vont pouvoir orchestrer leur communication. C’est du donnant-donnant: cela me procure une visibilité, ça fait rêver les clientes. Finalement, elles achèteront un vêtement «made in France» fabriqué dans l’optique de redorer les métiers de la main, de créer de l’emploi en France et recréer une industrie. Je n’ai rien inventé. C’est une vision horizontale des choses. J’ai 40 ans! C’est maintenant

C’est important pour vous de participer au remaillage du tissu économique français? La mode n’est pas que «bling bling et paillettes»: c’est une industrie. Et si la France veut se sortir de ce marasme économique et créer les usines du futur, les créateurs doivent comprendre les problèmes des fabricants et se rendre compte qu’il y a une industrie de la mode à repenser via les nouvelles technologies. C’est génial de créer de l’emploi! C’est un métier qui est en train de disparaître. Elle est où la prochaine Madame Jacqueline (sa première d’atelier, ndlr)? Elles sont où les brodeuses de demain? Et pas seulement en France: dans toute l’Europe. Ce pourrait être intéressant d’avoir un label «made in Europe». J’ai la chance de travailler avec Dassault Systèmes, qui s’est justement décrété «made in Europe». L’outil de fabrication est primordial et il faut le préserver. Il faut que tout le monde s’allie: les maisons de couture, les fabricants et les boutiques multimarques. Notre but, avec Dassault Systèmes, c’est de mettre tout le monde en lien, grâce à notre projet Haute Couture On Cloud (HCOC). Vous voulez dire que le processus de création serait sur un «Cloud»? Tout le monde serait lié: le créateur de mode – qui deviendrait le chef d’orchestre de la chaîne d’approvisionnement –, ma fabricante de prêt-à-porter Cécile Kosmalski, et la boutique multimarque. A partir du moment où je commencerai à dessiner, tout le monde sera au courant et on pourra mesurer les risques ensemble. La mode est une industrie très

risquée. On dessine des choses et on ne sait pas si cela plaira. Le créateur pourra donc décider de prendre les risques ou pas, mais en fonction des échos qu’il aura eus, que ce soit du fabricant ou du marché. Ensuite, on aimerait mettre la cliente finale dans l boucle. Ce système permettra à tout le monde de s’écouter et de travailler ensemble. Dassault Systèmes possède une entité de R&D pour la mode qui s’appelle «Fashion Lab». Ils ont adapté un logiciel qui existait déjà pour leur chaîne d’approvisionnement d’avions. C’est ainsi qu’est né HCOC, un projet sur lequel nous travaillons depuis deux ans. Et je suis la maison d’incubation. Ce système a déjà été choisi par de belles marques, mais je ne peux pas en parler. Vous dites que l’on peut encore relancer la production française malgré le prix de la main-d’œuvre? Quand je travaille avec Cécile Kosmalski qui dirige Asc Atelier Styl Couture et fabrique mon prêt-à-porter, on regarde ensemble à quel prix une pièce va arriver en boutique et on ajuste. On mène des études de marché et on s’adapte pour que les prix finaux soient plausibles pour un fabrication «made in France». Et on y arrive! C’est une histoire de justesse. Faire de la mode, c’est le travail d’une vie: on doit avoir un regard sur toute l’industrie qui va avec. Si on choisit la mode juste pour être riche et connu, on ne fait pas ce métier pour les bonnes raisons. Propos recueillis par I. C. *Maria Luisa Poumaillou était une acheteuse professionnelle visionnaire, une découvreuse de talents, qui avait fondé les boutiques multimarques Maria Luisa et qui est décédée l’an passé.



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Le Temps l Samedi 9 avril 2016

PHOTOS: GIO STAIANO

Automne-hiver 2016-2017

Automne-hiver 2016-2017 Printemps-été 2016

Printemps-été 2016

RÉVOLUTION

Demna Gvasalia, la mode du futur

Printemps-été 2016

Le chef de file du ollectif VETEMENTS, nommé directeur artistique de Balenciaga, s’apprête à bouger les lignes de la mode. Rencontre. Par Elisabeth Clauss, Bruxelles

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e défi é automne-hiver VETEMENTS a eu lieu début mars dans la nef de la cathédrale américaine de l’avenue George V. Une grand-messe de l’anti-fashion, l’un des deux shows les plus attendus de cette Fashion Week parisienne (l’autre, c’était Balenciaga). Demna Gvasalia, Géorgien de 34 ans élevé en Russie puis formé en Allemagne et à l’Académie d’Anvers, a œuvré chez Martin Margiela et Louis Vuitton, avant de former son collectif VETEMENTS. Il y a encore deux ans, son nom était inconnu du grand public. Désormais, avec sa vision subversive de la création et le succès exponentiel de sa marque fondée sur un phénomène de communauté et l’attisement du désir par l’exclusivité, il focalise tous les regards de

l’industrie, des médias et d’une jeunesse qui se reconnaît dans sa vision «oversize», alternativement enfantine et trash du monde. En 2014, ils étaient une poignée, issue des quatre coins de l’Europe, pour la plupart engagés auprès d’autres studios de création en parallèle, à déstructurer les pièces de vêtements classiques pour leur donner une nouvelle philosophie. Forts de leurs succès, ils ont démultiplié leurs points de vente et triplé leurs effectifs, désormais attachés à demeure. Ensemble, ils créent, mais d’abord, ils ré échissent. «Tous les vendredis, nous réunissons tout le studio pour discuter de la collection, de la façon d’inscrire les vêtements dans leur époque, du sens de chaque pièce. Les conversations sont animées, ça finit toujours très tard, il est arrivé que la police débarque.» Fait

inédit dans un studio de création, l’année dernière, Demna Gvasalia a engagé un sociologue pour participer à la construction de la prochaine collection.

Less is more

Si VETEMENTS s’applique à proposer un nouveau vocabulaire au vestiaire de l’époque, il s’implique aussi dans la pérennité de l’artisanat du secteur. Ils font fabriquer leurs pièces dans de petits ateliers, en Europe et au Sentier à Paris: «Aujourd’hui, ces ateliers manquent de travail, ils sont extrêmement compétents, et open. En plus, il est très facile pour nous d’aller vérifier l’avancement de la production.» En termes de création, Demna Gvasalia n’entend pas «réinventer le manteau». «Nous n’avons absolument pas l’ambition de créer de nouveaux vête-

ments, il y a tellement de choses à faire à partir de ce qu’on connaît déjà, ce serait presque pervers: le jean, le T-shirt, le bomber, ils existent déjà. Nous, on va mettre l’accent sur la diversification de l’étymologie des vêtements. Ce qui m’intéresse, c’est de proposer des pièces utiles, identitaires et désirables. Ce que je veux, c’est que la mode ne soit plus un rêve, qu’elle devienne pragmatique, qu’elle soit une volonté.» Il a lancé un mouvement qui ambitionne désormais d’aller contre le calendrier des saisons, de repenser le système, qui finirai de toute façon par s’effondrer sur lui-même, d’injecter la notion de «justesse» dans une industrie qui s’empêtre dans sa surproduction et en oublie la justice: «cette hyperproduction à longueur d’année, ça étouffe la créativité. Pourquoi

s’épuiser sur une collection qui sera fabriquée à l’arrache et soldée dans deux mois?» Pour Demna Gvasalia, si le système change, ça devra aussi venir des acheteurs, qui, au lieu de dépenser tout leur budget en une seule fois lors des présentations des collections, devraient garder des enveloppes pour chaque marque, avec un parti pris. Alors VETEMENTS étend sa réflexion et ses collections, autour du détournement de la garderobe. Ils ne composent pas de silhouettes toutes faites, ils creusent une essence, des pièces identifiables. Pour l’automne-hiver 2016, Demna Gvasalia a présenté deux collections complètes, féminine et masculine. Il préparait cette diversification depuis longtemps, avec quelques pièces et accessoires pour homme, afin de


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Printemps-été 2016

Printemps-été 2016

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créer ce qu’il appelle «une communauté VETEMENTS». Une tribu qui existe déjà, en témoigne l’interminable file des fans qui voulaient le livre reportage photos des backstages du défi é précédent. Recueil sold out en une heure partout dans le monde, et aficionado prêts désormais à donner leur chemise pour obtenir… un T-shirt affichant les mantras néo-punks et provocants de la marque («Sexual Fantaisies», «You Fuck’n Asshole», ou le «Love» & «Hate» tatoués sur les bottes, hommage aux Guns N’Roses). Sa définition de la mode: «La désirabilité. A chaque fois qu’on fait un essayage, on se demande «y a-t-il une femme ou un homme qui aura envie de ça?» Pour les vêtements dont on a besoin, il y a des marques de basiques qui font ça très bien.»

«La désirabilité. A chaque fois qu’on fait un essayage, on se demande «y a-t-il une femme ou un homme qui aura envie de ça?» Le phénomène VETEMENTS déchaîne les imaginations, dans tous les milieux, ce qui est rare dans le monde de la mode. Leur univers incarne une forme de dérision via les fondamentaux restructurés, appelle aussi une notion de protection (avec ces épaules si larges, ces capuches enveloppantes), évoque une certaine candeur. Pour sa collection printemps-été, Demna Gvasalia a taillé

des robes-tabliers dans des toiles cirées fleuries, souvenir des goûters pris avec sa grand-mère. La ligne d’épaules dépasse et les manches courtes sur certaines pièces inspirent l’image d’un adulte qui aurait grandi dans ses vêtements d’enfant. Ailleurs, ce sont les volumes exagérés qui perdent la silhouette dans des gabarits trop grands (mais si bien coupés). Un peu comme les biscuits d’Alice au Pays des Merveilles, les collections de Demna Gvasalia propulsent dans d’autres dimensions, attentives à adopter un nouveau mode d’expression plutôt qu’à contribuer à accélérer le temps. Car avec VETEMENTS, il est toujours question du temps: celui qu’on quitte, celui qu’on rejoint, celui des collections, de la vente et de la production. Le temps qu’on a laissé passer, celui qu’ils vont gagner. Une ère de Fashion Weeks fabrication-mise en boutique rythmée par un cycle semestriel qui perd son sens à l’ère du tout-puissant Internet.

Indépendance

Cette radicalité brute dans leur approche ramène aux fondamentaux, et c’est ça qui nous touche. Ils se développent, grâce à l’étroite collaboration entre Demna et son frère Guram, qui gère toute la partie business de la société. «Mon frère s’occupe des recherches de marché, jusqu’en Chine, en Corée du Sud, en Scandinavie. Il va personnellement dans les boutiques, il fait l’analyse, il parle avec les acheteurs. Le fait que la marque ait pris cette importance, ça n’est pas uniquement grâce à notre approche créative, c’est le sens aigu des affaires de Guram, qui a une vision très forte. C’est un équilibre indispensable. » Jouant sur les côtés niche, élitiste et à la fois sociologiquement

accessible de leurs collections, ils souhaitent rester indépendants, notamment pour garantir leur liberté de création. «VETEMENTS, c’est de la haute couture de réflexion dans la mode. On fait ce qu’on veut, c’est ça notre luxe. Nous ne sollicitons pas de partenaire financie , ce qui implique de limiter la production. D’ici à la saison prochaine, nous arriverons à une quantité de points de vente que nous stabiliserons, comme le fait par exemple Comme des Garçons. Le but est de garder le contrôle, dans les bonnes boutiques, avec les bons clients.» Successfull et discret, Demna Gvasalia est-il le nouveau Margiela? Il répond, avec humour (en toutes choses, le créateur est très porté sur le second degré): «Faire du VETEMENTS, c’est facile, il suffit de rallonger les manches!» En réalité, il se pose beaucoup de questions. D’autant qu’il partage son temps entre deux maisons qui captivent l’attention (et la tension): œuvrer pour VETEMENTS et Balenciaga, est-ce le grand écart? «J’ai commencé par trouver la bonne dynamique pour moi, en tant que personne, que styliste, mais aussi d’individu qui a besoin de garder une part de vie privée. Je veux pouvoir continuer à sortir et à prendre du temps pour moi. Garder une vie équilibrée était une condition essentielle, et je l’ai cadrée dès le début. Dans les deux studios, je mène les essayages de la même façon, et je travaille en équipe. Je suis le même homme, je n’ai pas une double personnalité! Un soir, je me couche Balenciaga, le lendemain matin, je me réveille VETEMENTS. C’est clair et distinct dans mon esprit.» Esprit qu’il a structuré et foisonnant à la fois. Quand il marche dans la rue ou fait la queue à l’épi-

PIERRE-ANGE CARLOTTI

Automne-hiver 2016-2017

Demna Gvasalia, Géorgien de 34 ans, est à la tête du collectif VETEMENTS. cerie, si une inspiration le saisit, il remplit des listes, et sait déjà quelle idée ira à quelle collection. Ce sont ses contemporains, ses amis, la palpitation du monde et de Paris qui le nourrissent. «Chez VETEMENTS, on se base sur des choses qui nous parlent directement, il n’y a pas de background historique existant. Le message vient de moi et des gens avec qui je travaille.» Demna Gvasalia a travaillé quatre ans sur la collection «femme défi é» au studio de Maison Martin Margiela. Si au début de VETEMENTS, on a pu lier son travail à l’influence de Margiela, il s’en démarque: «J’adore Martin, on ne peut pas le rejeter, il est très important, et mon approche a été très influen ée par lui. Mais je m’en éloigne à chaque

collection, le plus possible. Même s’il fait encore partie de mon esthétique. Avec VETEMENTS, je veux créer un dialogue créatif avec ma génération.» De même qu’il a attentivement étudié les archives de Balenciaga avant d’y apporter sa propre signature: «Le passé est essentiel pour défini le futur, mais après, je préfère toujours fermer les portes derrière moi. Pour avancer, il faut regarder devant.» Comme il le revendique sur un sweat-shirt: «May the bridges I burn light the way» (que les ponts que je brûle éclairent ma voie, ndlr). Par leur réflexion commune, ils secouent les codes de la mode et l’industrie. On lui demande ce qu’il fait quand il ne travaille pas: «Quand je ne travaille pas? Je travaille.»

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Bracelet fleurs, diamants noirs et or rose, Christina Debs.

Vernis à ongles «Lilac», édition limitée, Dior. Minaudière «Foliage» en bois et laiton, chaîne détachable, Sarah’s Bag.

Slip-on en cuir cognac et vinyle rose orné de broderies florales, semelle en gomme blanche, Dior.

Bague de phalange en or 18 carats, perle et diamants «Khepri», Daniela Villegas, disponible sur net-a-porter.com.

Kimono en soie «Sigo Stay Wild Moon Child», Athena Procopiou, disponible sur matchesfashion. com.

FLAGRANTS DÉSIRS

Souffle de printemps Les designers ouvrent les portes d’un paradis bucolique où les rayons du soleil révèlent une nature candide. Une folle envie de fraîcheur. Par Séverine Saas

Montre Blancpain Ladybird, boîte en or rouge, cadran soleillé opalin, porte-bonheur coccinelle serti de rubis et de diamants.

Eau de toilette Gardenia, Penhaligon’s.

Barrette en plaqué or ornée de cristaux, Marni, disponible sur net-a-porter.com.

PHOTOS DR

Sandales en cuir «Evangeline», Sophia Webster.

Défilé prêt-à-porter printemps-été 2016, Chloé.

Minaudière «Skull» en satin recouvert de fleurs fabriquées à la main, chaîne détachable, Alexander McQueen.



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UNE FEMME

Vanessa Seward, le chic, c’est chic Après une carrière passée à travailler pour d’autres marques – Chanel, Yves Saint Laurent époque Tom Ford, et Azzaro, Vanessa Seward a enfin créé sa p opre griffe il y a trois saisons. Il n’est pas tant question de mode que d’allure. Avec son élégance décalée, elle esquisse la silhouette d’une Parisienne cosmopolite. Rencontre. Par Isabelle Cerboneschi

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nfin on va pouvoir s’habiller!» lui lancent quelques amies en se bousculant pour l’embrasser juste après le défi é printemps-été 2016. Vanessa Seward a l’ambition d’habiller des femmes qui lui ressemblent. «Vanessa’s Way», lit-on sur un T-shirt. Des femmes cosmopolites, qui passent d’un pays à un autre et rapportent de leurs périples de longs manteaux de brocart de Tanger façon Talitha Getty, des bijoux en provenance d’Argentine, des sandales indiennes. Des globe-trotteuses en saharienne qui auraient comme port d’attache la France. Elles en portent les couleurs, d’ailleurs – «Bleu-blanc-rouge» –, et marchent à plat, en sandales ou pieds nus. «Je trouvais que les tenues étaient très glamour, avec beaucoup de lamé, et marcher à plat leur donnait un côté décontracté. En été, on mélange ce qu’on rapporte de voyage: il y a des inspirations argentines, indiennes, marocaines, dans cette collection. J’ai utilisé beaucoup de tissus couture», explique Vanessa Seward. Les tissus couture, Vanessa Seward connaît: elle a passé neuf ans chez Chanel avec Karl Lagerfeld, deux ans chez Yves Saint Laurent avec Tom Ford, et huit années chez Azzaro. Et depuis 2012, elle dessine une collection par saison pour A.P.C., le chantre de l’épure. Comme quoi le glamour mène à tout. A soi surtout: un jour, Vanessa Seward a décidé de mettre son nom sur ses créations. Il était temps. En trois collections, ses silhouettes sont devenues des objets de désir. Pour l’automne-hiver qui vient de défiler en mars, elle a su créer le bon smoking en velours, le chemisier à lavallière dont toutes les femmes auront envie en automne, le bandana en cotte de mailles, le pantalon taille haute un peu «Drôles de Dames», les chaussures à plateforme en velours ou en vernis qui réveillent une tenue. Mais revenons au printemps avant qu’il ne se ternisse. Sur la bande-son de son défi é printemps-été, Vanessa Seward, la compagne du producteur-musicien-chanteur Bertrand Burgalat, a posé sa voix, harmonisée par le compositeur Christophe Chassol, et récite comme un mantra les mots «bleu-blanc-rouge». «C’est mon hommage au charme de la femme française», dit-elle avec l’accent indéfinissable de celles qui ont été transportées d’une ville à l’autre – Buenos Aires, Londres, Paris – et qui ont étudié dans des langues qui n’étaient pas les leurs. Vanessa Seward est née à Buenos Aires, d’une mère anglaise et d’un père argentin, diplomate. Elle possède cette distinction qui s’apprend par infusion dans les cours privés parisiens du XVIe arrondissement. Ces établissements (Cours Victor Hugo, Notre-Dame-des-Oiseaux, Institut de L’Assomption) où les filles portent le chemisier blanc et la jupe plissée bleu marine de circonstance. Il ne reste pas grand-

> Vanessa Seward en quelques dates : 1969 Naissance à Buenos Aires 1991 Etudie au Studio Berçot 1993 Intègre l’équipe de Karl Lagerfeld chez Chanel 2000 Rejoint le studio de Tom Ford chez Yves Saint Laurent 2002 Nommée chez Azzaro et en reprend la direction artistique jusqu’en 2011 2012 Dessine une collection capsule par saison pour A.P.C. 2014 Création de sa propre marque avec Jean Touitou, le propriétaire d’A.P.C. 2015 Ouverture de deux boutiques à Paris

SYLVIE ROCHE

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chose de son uniforme d’écolière dans ses collections. Encore que: on y retrouve une certaine austérité mesurée, mâtinée d’une sensualité qui ne dit pas son nom. Pourquoi ce choix du bleu, du blanc et du rouge pour l’été 2016? J’ai toujours aimé cela. Je ne sais pas si c’est l’influence de la Franc ou des Etats-Unis, mais je m’habille beaucoup en bleu-blancrouge. Et j’aime les uniformes des hôtesses de l’air. En trois saisons, vous avez réussi à définir la silhouet e Vanessa Seward. Quels sont vos codes, qui reviennent à chaque collection ? Il y a des choses qui ont marqué dès le premier défi é: les imprimés. Cela fait partie de mes codes. Je travaille depuis le début avec des imprimés Abraham et j’utilise beaucoup leurs archives. Il y a aussi un artiste américain qui en dessine pour moi – Jason Glasser. Je fais aussi souvent des chemisiers à lavallière, et pour l’automnehiver, j’ai créé une lavallière en cotte de mailles. Quelle silhouette voulez-vous dessiner ? Une silhouette plutôt longiligne. Je n’ai pas spécialement de longues jambes, mais je fais illusion. Je crée des vêtements qui donnent l’impression que celles qui les portent ont de plus longues

jambes ou une taille plus haute qu’en réalité. Parce que c’est le genre de silhouettes que je trouve jolies. Vos collections ont une élégance qui m’évoque les films de laude Sautet. Pourquoi avez-vous convoqué ce style ? C’est marrant parce que quand je crée des collections, je ne pense pas à la mode, je pense juste à des choses qui vont mettre une femme en valeur. Finalement, ce n’est pas une histoire de mode, mais de silhouette et d’allure. Peut-être que j’ai un regard de metteur en scène. J’ai d’ailleurs travaillé pour le cinéma*. J’ai envie qu’il y ait une allure, une pureté. Je travaille beaucoup les coupes pour qu’elles mettent en valeur la silhouette, mais je n’aime pas trop les détails. Dans le cinéma aussi, les détails peuvent déranger. Ma principale préoccupation, c’est la simplicité. Vous dites que vous n’aimez pas les détails, or il y en a quand même de très beaux dans les collections qui défilent Si, j’aime les détails – tout est dans le détail! – mais j’aime qu’ils soient discrets. Je ne les aime pas quand ils ne servent à rien. Comme ces sacs portés à la ceinture de la collection automne-hiver, ou encore ces lavallières en cotte de mailles portées dans le dos, comme

si la femme, en partant, laissait un trait de lumière sur son sillage ? Oui, c’était cela, l’idée. Et cela permettait un décalage entre le tailleur en jean et le chic de la cotte de mailles. A quelle femme vous adressez-vous ? A une femme proche de moi dans le sens où elle pourrait être Parisienne, mais en même temps je suis aussi Argentine donc elle a un côté un peu international. Je parle à une femme qui n’a pas envie d’être connotée, d’appartenir à une tribu en particulier. Elle n’est pas spécialement bobo, rockeuse ou modeuse. Elle a juste envie d’avoir des vêtements qui lui vont bien, qui la mettent en valeur et qu’elle peut garder dans sa garde-robe et mélanger avec d’autres choses. Il y a beaucoup de femmes comme ça, qui n’ont pas envie d’être déguisées. Ou en tout cas qui veulent mettre leur personnalité en avant. Il y a quand même l’esprit des années 70 qui flot e sur toutes vos collections Oui, je sais. Mais je ne le fais pas exprès. C’est inconscient. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’un message «mode». J’essaie toujours de ne pas être passéiste parce que, pour moi, c’est une sorte de déguisement et je n’en ai pas envie. Mais je trouve que les années 70, comme

les années 30, sont des décennies qui vieillissent mieux que d’autres parce qu’il y a un côté intemporel dans ces lignes assez épurées. Que ce soit dans la mode ou le design, d’ailleurs. Mais je ne souhaite pas du tout faire une panoplie. Est-ce que cette décennie, les années 70, vous inspire parce que tout semblait être possible ? Oui, les vêtements étaient moins codés. On sentait les femmes plus libres par rapport à la mode. On portait un jean, une jolie chemise et sa beauté. Comment dire? La mode était moins cérébrale. Elle ne jouait pas non plus ce rôle d’indicateur de statut social comme aujourd’hui. C’était le style qui comptait. Il y avait la place pour une mode subtile, chic, et qui mettait la femme en valeur. C’est aussi pour cela que, dans mon casting du défi é automne-hiver, j’ai choisi plein de femmes différentes. Je ne voulais pas le côté robotique que l’on peut voir dans certains défi és. Je voulais que ce soit la personnalité des mannequins qui soit mise en valeur. On sent la volonté de certains créateurs – et c’est nouveau – de montrer une mode incarnée sur les mannequins, qui ne soient pas stéréotypés. C’est ce que je voulais et c’est important pour moi. D’ailleurs aujourd’hui c’est la Journée de la femme (rires). Finalement, c’est elle la première intéressée dans cette histoire et parfois on peut l’oublier quand on est créateur. C’est tentant de laisser parler son ego. Mais on doit toujours se souvenir que l’on est au service des femmes. C’est courageux de créer une marque aujourd’hui. Je pense que je ne l’aurais jamais fait si Jean Touitou (le propriétaire d’A.P.C., ndlr) ne me l’avait pas proposé. Un créateur qui commence aujourd’hui, s’il n’a pas derrière lui une structure comme celle-là, c’est très, très difficile. D’ailleurs je les admire beaucoup les indépendants, car derrière une marque, il y a tout un travail d’équipe – bien sûr, il y a la création – mais il y a aussi toute une stratégie de boutiques, de prix, de positionnement. J’ai la chance de travailler avec une équipe formidable et je ne parle même pas de la production et des ateliers! Jusqu’à il y a trois saisons, vous avez créé des collections pour de grandes marques. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de mettre enfin otre nom sur vos collections? C’est marrant, j’ai l’impression que dans ma vie, j’ai eu la chance que les choses me soient tombées dessus. Au début, quand j’étudiais au Studio Berçot, je me disais que si je pouvais plus tard travailler dans un studio de mode, ce serait bien. Plus tard, j’ai travaillé chez Azzaro et quand Monsieur Azzaro est mort, on m’a proposé la direction artistique.


Mode

Le Temps l Samedi 9 avril 2016

Mais je ne pensais pas auparavant que cela allait m’arriver. Et là, c’est un peu pareil. En tant que créateur, on met beaucoup de son âme dans une collection et je me suis dit que ce serait bien de le faire sous mon nom. Celui qui me l’a permis, c’est Jean Touitou et je l’en remercie.

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Collection automne-hiver 2016-2017 (ci-contre et ci-dessous).

Qu’est-ce que cela a changé dans votre vie, la création de votre propre marque ? C’était pile le bon moment pour moi. Chez Azzaro, je m’étais spécialisée dans un truc très chic, très robe du soir. Mais les trois ans durant lesquels j’ai travaillé chez A.P.C., avant la création de ma marque, m’ont aidée à changer de perspective. Ma vie aussi a changé: j’ai eu un enfant, je me suis un peu détendue et du coup j’ai pu penser à une garde-robe pour le jour. Maintenant, je peux vraiment penser à un vestiaire complet, amener un chic au quotidien. C’est vraiment ça que je veux faire: un chic pour tous les jours. Quelques directeurs artistiques continuent de créer des collections pour une femme qui ne sort pas sans un chauffeur. Et vous, pensez-vous habiller une femme qui prend le métro ? Complètement! Parce qu’aujourd’hui, c’est ce que je suis. Je vais chercher ma fille à l école, mais j’ai quand même envie de ressembler à quelque chose.

Votre collection automne-hiver, par exemple, est sexy, mais de manière très discrète. Elle est austère, mais sensuelle. Pour le jour, je mélange des imprimés avec du denim ou avec du velours côtelé, car j’aime bien le contraste entre ces matières et le chic. Pour le soir, je voulais retravailler le smoking, un classique dans toutes les garde-robes féminines, mais avec des variantes en velours, ou avec une robe kimono que l’on peut mettre sur des pantalons. Je voulais que ma collection évoque une séduction subtile, suggérée. C’est le point de départ. Je n’aime pas que les choses soient trop évidentes. Il faut rêver… *Vanessa Seward a collaboré avec les réalisatrices Valérie Donzelli («Main dans la main») et Siegrid Arnold («Miroir mon amour»), créant des costumes pour Valérie Lemercier, Aurore Clément et Fanny Ardant.

PHOTOS: SYLVIE ROCHE

La mode a énormément changé ces dernières années. Elle est moins théâtrale, l’on remet le vêtement au centre. Vos collections semblent régies par le principe de réalité. Oui, parce que c’est la mode que j’aime. Plus ça ira, plus je pourrai aussi créer quelques pièces un peu plus fortes dans mes collections. Je pense qu’il y a la place pour tout le monde. Je suis une créatrice qui veut juste faire des vêtements séduisants, qui donnent confianc aux femmes. Mais je peux aussi créer des choses sexy.

Collection printemps-été 2016.

«Je travaille beaucoup les coupes pour qu’elles mettent en valeur la silhouette, mais je n’aime pas trop les détails. Dans le cinéma aussi, les détails peuvent déranger. Ma principale préoccupation c’est la simplicité.»




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Mode

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BACKSTAGE

Un printemps-été graphique Elie Saab

Sacai

Dior

Sonia Rykiel

Galliano

Officine Géné ale

Akris

Chanel


Mode

Le Temps l Samedi 9 avril 2016

Dans les coulisses des défilés de p êt-à-porter printemps-été 2016 qui se sont tenus à Paris Reportage photographique exclusif: Sylvie Roche

Lanvin

Julien David

Kenzo

Lutz Huelle

Hermès

Dior

Andrew GN

Iris van Herpen

Talbot Runhof

Louis Vuitton

Véronique Leroy

Lanvin

Leonard

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Mode

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Bottega Veneta

Dior

Haider Ackermann

PHOTOS DR

Antonio Marras

Gucci

Hermès

Dolce & Gabbana

Thom Browne

Givenchy

Saint Laurent

Dolce & Gabbana

Versace

Kean Etro

LEGÈRETÉ

Sur la route de la soie Du déshabillé au bomber, en passant par le manteau ou le kimono, cette saison, la soie est mise en lumière. Elle caresse les corps des hommes et des femmes, les épouse, les dévoile. Beauté d’un été. Par Antonio Nieto

S

i l’on en croit la légende*, nous devrions la superbe de la soie à une princesse chinoise nommée Xi Linshi. Après qu’un cocon fut tombé dans sa tasse de thé, elle fut la première à en dévider un fil. Tout comme les contes sont de belles échappatoires, la soie est une matière à nourrir l’imaginaire. C’est elle que les designers ont décidé d’utiliser pour ce printemps-été 2016, pour sa douceur et sa fluidité, chez la femme comme chez l’homme. Les pyjamas de nuit et déshabillés de soie se portent le jour. Différents créateurs ont décidé d’adapter ces classiques de la garde-robe féminine et masculine. Le sleepwear devient prêt-àporter cette saison et les femmes se lovent dans ces vêtements de tendresse. Chez Céline et Saint Laurent ou encore Calvin Klein Collection, les robes évoquent la nuisette de soie dans laquelle on se glisse pour entrer dans ses draps, avec un éventail de teintes de peau, jusqu’au blanc neige. Riccardo Tisci pour Givenchy l’exprime à travers un nuancier différent: la soie noire et le mystère sont les atouts de la femme qu’il défend. Elle semble dire: «Je suis votre plus beau cauchemar.» Ou

votre plus beau rêve… Il faut une certaine assurance pour vivre sens dessus dessous. Alexander McQueen et Saint Laurent ont réalisé de sublimes imprimés pour des robes merveilleuses de légèreté. Les jeunes filles ressemblant à des nymphes, les robes en volant, caressent leurs démarches.

Conquête de soie

La femme Dior se dévoile, sans trop en montrer, elle se protège même: sa couverture est l’organza. Avec cette dérivation de la soie, transparente, légère et rigide, Raf Simons a créé une collection où l’enveloppe forme comme une bulle autour des silhouettes. Loin de la dureté, ces formes oversized et cocooning confèrent une certaine innocence à celles qui les portent. Veronica Etro propose une collection de femme assumée où la soie, tantôt robe en chiffon à fleurs, tantôt bomber, reflète une certaine nonchalance. L’esprit bohème de la collection y est pour beaucoup, et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce même esprit est synonyme de force, et non de jeune fille en fleur. De même pour Hermès, loin du girly, Nadège Vanhee-Cybulski attaque la soie en color block

et formes géométriques tranchantes. La matière est pure. Chez Dolce & Gabbana, on reprend un motif floral plus vif pour l’appliquer aux femmes sûres d’elles. La soie est somptueuse et dense de contrastes, comme celles qui la portent. C’est cette faculté de la soie à être transformée, utilisée de différentes manières qui la rend si désirable. Les imprimés brillent en surface. C’est sûrement pour cela que les créateurs ont mis un point d’honneur à utiliser diverses «chinoiseries». Chez l’homme, Louis Vuitton, Valentino et Dolce & Gabbana ont utilisé ces imprimés qu’on avait l’habitude de voir dans les années 1980 et 1990. Ces motifs orientaux de dragons, tigres ou autres animaux sont devenus de vrais bijoux sur des bombers en soie divins de finesse. Ces pièces urbaines se marient parfaitement à ce tissu élégant et font de l’homme une sorte de bad boy princier. Le prince de Bel Air devenant une icône de style, il fallait oser. Si la femme porte un déshabillé sous le soleil de midi, l’homme, lui, n’hésite pas à faire sortir la chemise de pyjama en soie de la chambre à coucher. Elle lui donne un style décontracté et sensuel. Dolce & Gabbana et Umit Benan

en ont fait une très belle démonstration. Alessandro Michele, pour Gucci, s’est bien entendu intéressé à la chemise, mais également à la robe de chambre en soie vert émeraude à imprimé fleuri ton sur ton. Le genre étant toujours au centre de ses préoccupations, il réinterprète ce classique de la plus élégante des manières, et l’on parie que la femme Gucci empruntera les pardessus des hommes. Thom Browne, lui, n’a pas les mêmes références et utilise la soie comme elle fut et est utilisée depuis des siècles, sur des kimonos. La présentation printemps-été 2016 pour homme était une véritable ode au Japon et ses geishas. Les mannequins étaient, le temps du défilé, métamorphosés en poupées de porcelaine. Tout en restant dans la palette de couleurs fétiche du designer américain, les broderies et détails de leurs kimonos sont sublimes. Les nuances de gris n’enlèvent en rien au faste des motifs. La magie opère, la soie maîtrise cette collection si savamment théâtralisée. Et lorsqu’ils ôtent leurs kimonos, ils dévoilent des costumes tout aussi somptueux. Color block en revanche chez l’homme de Costume National. Le rouge, l’orange et le bleu ponc-

tuent le show, rendant la soie éclatante et vivante. Et c’est ce twist de délicatesse que la soie apporte qui intéresse autant les designers, c’est pour cela qu’en cette période où le «no genre» devient presque une tendance, ils l’utilisent pour défendre cette part de douceur qui réside en l’homme. Etro a choisi le crêpe de chine pour des hauts cols V plongeants et des chemises légères boutonnées jusqu’en haut. Kean Etro a d’ailleurs même choisi l’œuf comme symbole pour sa collection, il évoque ainsi le commencement de tout, l’infini. Cette forme ronde s’inscrit dans toutes les pièces qui ont défilé, comme un leitmotiv. La soie est une matière qui se transforme au gré des envies des designers et montre différents aspects de l’homme ou de la femme qui la porte. Cette saison, c’est surtout sa folie douce qui est mise en lumière. L’homme ne rejette rien de sa douceur et de sa volupté, la femme se revendique sciemment fatales, tout en affichant son innocence. La soie caresse les corps, les épouse, les dévoile. Beauté d’un été. *La route de la soie ou les empires du mirage, par Edith et FrançoisBernard Huygue. Payot, 2006.



Mode

Moschino

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Gucci

Dsquared2

Astrid Andersen

MSGM

N° 21

PRÉCIEUX

La dentelle, ou l’homme dévoilé Les «points en l’air», ou encore «bordures à dents», plus communément appelés «dentelles» sont de nouveau de rigueur dans la garde-robe masculine, et cela, loin de la lingerie légère et frivole à laquelle on l’associe de manière générale. Par Antonio Nieto

C’

est sur la pelouse du Perk’s Field, à Londres que la dentelle a fait un retour fracassant en juin 2015, lors de la présentation de la collection printemps-été 2016 de Burberry Prorsum. Les manteaux mi-longs à coupes étroites et les chemises confectionnées en ce point si particulier ont captivé, ou surpris. Les manches des chemisettes respectent les points de la dentelle et répondent même à sa définition première, des bords dentelés. La finesse des volants et des affriolants souligne une certaine noblesse. Sans grand étonnement, tous ne sont pas sensibles au charme de cet ornement qu’on connaissait sur l’homme du XVIIe. Ce même homme dont Molière se moquait. Si l’écrivain trouvait la dentelle ridicule à son époque, Christopher Bailey, CEO et directeur général du groupe de luxe britannique Burberry, sait que ce style «dentelé» ne plaira pas à tout le monde. Lucide, il défend ce choix, «certains hommes porteront de la dentelle, d’autres non. Dans une présentation, il y en a pour tous les goûts. Moi j’aime la poésie qu’elle apporte.» La poésie est bien là, le caractère souple et aérien de la dentelle révèle, sans trop en dévoiler. Les mannequins du défilé Burberry ont la grâce des jeunes éphèbes grecs, leur démarche et la douceur qu’on leur associe. La transparence prend tout son sens sur la peau de l’homme qui la porte. Le vêtement sert à attirer le regard vers la peau du modèle. La chemise révèle l’homme sans le mettre à nu, elle rend sa chair séduisante, mais innocente, intouchable. La candeur est de mise, le pari étant de faire croire en un homme qui n’est pas

un loup. La dentelle lui accorde sa part de pureté perdue. Le blanc, le chair, le beige, Burberry joue sur ces tonalités et donne l’illusion de la nudité, ces couleurs se fondent avec la peau. Le motif également souligne cette impression, la fleur reflétant l’intimité féminine est déclinée de différentes manières. Si l’homme Burberry suggère; chez Moschino, il ne se cache pas. La dentelle noire, ostentatoire et aguicheuse joue du genre de l’homme sans le déguiser. Il est baroque, sûr de lui, la dentelle chez lui veut dire: «Regardez-moi.» L’apparente nudité, l’exubérance de l’intime ne l’embarrasse pas. L’homme est joueur, comme tout droit sorti d’une partie de cartes à Versailles lors d’une nuit tumultueuse, le XVIIIe siècle lui colle à la peau, tout comme ses gants blancs en dentelle, là pour faire croire qu’il montre patte blanche. Il est une sorte de fioriture vivante.

Terrain de jeu

Chez Gucci, Alessandro Michele voit l’homme différemment, plus jeune, plus bohème, moins sûr de lui, et plein d’espoirs. Le créateur questionne le genre finement. La dentelle laisse largement transparaître les corps malgré les couleurs plus fortes: turquoise, bleu, corail, rose… Certaines chemises sont brodées de fleurs et de perroquets multicolores, d’autres sont plus légères. Mais ici, la dentelle reprend aussi sa place de décor raffiné sous forme d’encolure dentelée, en vrai clin d’œil au passé lorsque les finitions sur les manches et les cols étaient synonymes de luxe et d’élégance. Dans un tout autre registre, Dsquared2 et Astrid Andersen retravaillent et transforment l’usage de la dentelle en l’incluant dans

des collections beaucoup plus urbaines. La résille semble être assumée comme étant son dérivé industriel et la broderie argentée se voit mariée à ce filet plus connu sur les basketteurs que pour sa préciosité. Le sportswear a de l’allure et acquiert une certaine élégance. La superposition et l’assemblage de la dentelle originale et de celle que l’on pourrait considérer comme étant sa vulgarisation résultent en une brillante idée et démonstration de délicatesse. A mi-chemin entre l’ode au passé et le saut dans le futur, il y a l’usage du procédé de la dentelle, sans pour autant respecter ses codes classiques. MSGM revisite l’usage de cette dernière en créant des dentelles contemporaines sous forme de plan de ville, Milan et New York, plus proches du travail d’une araignée que de celui d’une dentellière. La transparence est reine dans cette réinterprétation. Parfois la couleur chair se confond quasiment avec la peau, la douceur est de mise. Mais il arrive que le noir dénote et rende le look plus agressif. Nous voilà très loin des motifs floraux de Burberry, Gucci ou encore N° 21, qui d’ailleurs jouent de la transparence de la dentelle d’une autre manière. Ce n’est pas que la peau que l’on montre, c’est aussi le débardeur sous la chemise qui devient apparent. Cette mode n’en finit plus de montrer ce qui devrait être caché, elle renverse les usages. James Long, lui, s’affranchit totalement de la transparence de la dentelle et en fait un motif plus qu’un matériau. Il l’applique aux pantalons, par empiècement sur une veste, en over all sur un manteau et même sur des cravates. Mais la dentelle

se fait donc discrète et moins révélatrice. Le créateur la mélange avec des chutes de tissus de tous genres pour créer des manteaux et des pantalons exubérants et luxuriants. Ce qui est certain, c’est que cette broderie fine, mêlée ainsi à d’autres étoffes prend un tout autre sens. L’intime n’est plus réellement le sujet, la dentelle reprend un rôle un peu plus en second plan, elle fait partie de la finition, c’est à nouveau une dorure. La dentelle est une nouvelle arrivante dans la garde-robe masculine de ces dernières saisons et s’interprète de diverses façons. Qu’il s’agisse de la travailler dans la tradition ou de la réinterpréter, chaque collection raconte un homme différent se jouant des codes. Il se la réapproprie, selon son humeur: sage et rangé ou homme fatal? La parure qu’il endosse le métamorphose. Le vêtement qui joue du paraître se sert donc du transparaître pour révéler ces nouveaux hommes.

PHOTOS DR

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Burberry

* Dentelles et mode féminine, Jean-Pierre Klein, Editions: Musée Historique ** History of Lace, Mrs. Bury Palliser, Dover Publications Inc. * ** Cette arrivée est en fait un retour puisque l’homme et les ecclésiastiques portaient de la dentelle bien avant que les femmes y voient un accord parfait avec la lingerie et que Napoléon la rende exclusive aux vêtements féminins. Mais ce qui a été une question de dessous, reprend le pouvoir et s’empare du dessus. La dentelle est un thème sur les podiums, chez l’homme.



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PSYCHÉDÉLIQUE

Le «prêt-à-couture» de A la tête de sa propre marque, dans le groupe LVMH, le designer sicilien déroule une collection printemps-été éblouissante de contrastes et de liberté. Rencontre. Par Antonio Nieto

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arco De Vincenzo est un designer italien. Il a créé les accessoires Fendi pendant plus de dix ans, et travaille à l’instinct, c’est son moteur. Il se veut loin des tendances et prône une mode courageuse et ambitieuse, il parle de ses rêves et de ses souvenirs d’enfant sicilien au service d’un processus créatif. C’est loin du monde de la mode qu’il a commencé à imaginer, et c’est aujourd’hui, avec sa propre marque, dans le groupe LVMH, qu’il révèle l’étendue de son talent. Quelle influen e a eue Silvia Venturini Fendi dans votre parcours ? Une grande influence… quan je suis arrivé chez Fendi, j’avais 21 ans. C’était mon premier travail après l’école, c’est là que j’ai tout appris, et particulièrement à avoir une méthode, une attitude par rapport aux choses qui m’entourent. La famille Fendi est composée de femmes très courageuses, très fortes, qui fonctionnent par objectifs, elles en atteignent un et en ont déjà un autre en tête. Cela m’avait fortement frappé. Je suis arrivé alors que la maison avait tout juste été achetée par le groupe LVMH, mais cette ambiance familiale se ressentait encore beaucoup. Bien entendu, c’est toujours le cas aujourd’hui, surtout grâce à Silvia. Je suis Fendi dans l’âme, je le suis devenu, c’est quelque chose qui ne me quittera plus, je n’ai travaillé que pour eux en plus, ce qui est assez rare dans ce milieu. Ils ont tous toujours été là, ils étaient les premiers au courant de mes ambitions et n’ont jamais essayé de me freiner, c’est aussi pour ça que je suis resté là-bas tout ce temps, j’ai une véritable relation de confiance vec les gens de cette maison.

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Chez Fendi, vous êtes-vous occupé d’autre chose que des accessoires ? Non et pendant de longues années, cela m’a suffi, la liber é était fantastique, leurs sacs ont toujours été au summum de la créativité. Le seul problème était que je ne pouvais m’arrêter de penser aux vêtements, et même si dix ans étaient passés, mon envie d’en créer n’avait pas changé. Mais en dehors, je n’avais de valeur qu’en tant que designer de sacs. Ma seule possibilité d’assouvir cette envie était donc de la satisfaire par moi-même. La première personne avec qui j’en ai parlé a été Silvia Fendi, qui m’a tout de suite dit: «Bien entendu que tu dois le faire, la mode ne peut pas devenir frustrante… Cela n’aurait qu’un impact négatif sur ton travail.» C’est une des choses que j’ai apprises dans cette maison, à travailler en étant serein. Ce n’est pas une marque où l’on crée sous pression, tout le monde est assez détendu, c’est sûrement dû à la vie romaine, beaucoup plus distante du «fashion system».

«Je dois avouer que je suis obsédé par les formes, par l’optique et l’art entre les années 1960 et 1970, très cinétique. Je me rends compte que quand je ne pars pas de là, j’y débouche de toute manière»

Et avant la mode, comment était votre enfance ? Je suis Sicilien, je viens d’une petite ville, mes parents n’étaient vraiment pas issus d’un milieu créatif, mais ils m’ont toujours laissé une grande liberté. Et comme toutes ces personnes ayant grandi dans un environnement loin de la mode, j’ai appris à beaucoup faire marcher mon imagination… Il y avait un seul magasin dans la ville qui vendait


Mode

Le Temps l Samedi 9 avril 2016

Marco De Vincenzo quelques robes Versace, je me rappelle que je passais devant la vitrine en espérant qu’elle ait été changée pour pouvoir voir quelque chose de nouveau. Entrer n’était pas une option, je n’en avais pas le courage, j’étais trop petit. La mode était quelque chose que je vivais à travers la télévision, les journaux… Les réseaux sociaux n’existaient pas, tout cela semblait très lointain. Mais ça ne m’a jamais empêché de rêver les vêtements. En grandissant, à l’adolescence, j’ai compris que cela pouvait devenir mon métier. Petit à petit, j’ai commencé à dessiner des vêtements et j’ai compris, à 14 ans, que ma créativité prenait toute son ampleur lorsque je pensais à la mode. Après le lycée, j’ai déménagé et j’en ai fait ma vie. La géométrie est très importante pour vous. C’est vrai, il y a des obsessions comme ça… Mais j’imagine que c’est aussi dû à Fendi, car la géométrie fait partie de leur ADN. Du coup, je ne sais pas à quel point je l’aimais avant en comparaison avec maintenant. Mais je dois avouer que je suis obsédé par les formes, par l’optique et l’art entre les années 1960 et 1970, très cinétique. Je me rends compte que même quand je ne pars pas de là, j’y débouche de toute manière. C’est une sorte d’aimant. Je ne supporte pas ce qui est statique, ou le monochrome, j’ai bien trop de mal à choisir une seule couleur. Si jamais cela m’arrive d’en faire, j’ai besoin d’être touché par la matière.

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Pourrait-on dire que les couleurs sont votre voix «sotto-voce » ? Je suis très attiré par les couleurs primaires. D’instinct je ne me tournerais que vers celles-ci, mais bien entendu chaque collection a son langage. Et ce qui se passe autour de nous, dans le milieu de l’art en particulier, m’influence, quand un artiste crée une gamme de couleurs qui me semble parfaite, je ne me permettrais pas de la modifier. Je pense qu’on

peut parler d’entraînement à la sensibilité, comprendre que certaines personnes ont exprimé avant toi ce que tu voulais dire, et peut-être même mieux que toi. Prenez la poésie, un autre peut avoir réussi à mettre les mots sur vos sentiments, et cela arrive avec tout art, il faut comprendre qu’il y a toujours quelque chose que tu dois aux autres. Par rapport à ça, je me sens libre, quelque inspiration que je prenne, le filtre sera toujours mien. Je pense qu’on commence à reconnaître que c’est moi qui crée. Je me rends compte que de plus en plus de personnes achètent mes vêtements parce qu’elles reconnaissent mon style. Mais avant cela, je me suis beaucoup cherché. C’est-à-dire? La mode est un milieu où il faut toujours se remettre en cause. J’aime cet effet de surprise de la mode, ce goût du risque. En particulier aujourd’hui où elle s’uniformise. Moi, je suis intéressé par la mode qui raconte une nouvelle histoire tous les six mois. Je suis contre la suppression de l’instinct. J’aime la liberté de créer comme il me plaît sans mettre une étiquette sur mes collections. Cela m’a un peu desservi au début. On me reprochait de mettre trop de choses ensemble. Mais désormais, je vois que cette façon de faire paie, en février j’ai sorti ma première ligne de

sacs et de chaussures à mon nom. Après m’en être éloigné pendant une longue période, j’y reviens. Vous considérez-vous plutôt comme un couturier ou un designer? Je ne pense pas être un couturier, car j’associe cela à la manualité, que je n’ai pas. Mon savoir-faire n’est que graphique, à travers les dessins. Je suis un designer, une personne créative. Mon approche est toujours de créer quelque chose qui ne me rappelle rien de déjà vu, mais ça ne veut pas dire que le résultat soit le plus novateur qui soit! Mais j’ai besoin de rendre le procédé compliqué, j’ai une fascination pour la fatigue dans le travail, j’aime la ressentir dans la mode, l’art… Pourrait-on qualifier vos collections de «prêt-à-couture » ? Absolument. Vous savez, aujourd’hui la vraie difficulté est de transformer sa propre créativité en quelque chose qui fasse vendre. J’ai la chance que notre marque ait du succès, mais il arrive un moment où, pour grandir, il faut faire des compromis, et c’est très difficile à accepter pour moi. J’aime les choses folles, les objets de collection… Je suis ému quand je vois la garde-robe d’une femme qui a collectionné des pièces uniques durant cinquante ans. De nos jours, les choses qui se vendent sont les pulls, les T-shirts… J’aimerais que dans cinquante ans, une femme, une collectionneuse, ait des éléments de mes collections

dans son armoire. Une pièce forte, particulière. En cette période, justement, on se rend compte que le minimalisme se meurt. Oui, et heureusement! J’en suis très heureux, c’est sûrement très italien de ma part, la mode n’a jamais été minimale ici. Mais durant quelques années, l’Italie a dormi, et a même perdu un peu de ce qui fait son identité. C’est pour cela que j’aime beaucoup ce que Gucci est en train de faire. Alessandro Michele redonne un coup de projecteur sur les codes italiens, il est en train de dépoussiérer toute une histoire de la mode italienne aux yeux de tous. C’est pour cette mode-là que je suis, celle qui est courageuse. J’ai envie que ma collection dévoilée en février soit la plus courageuse que j’ai faite jusque-là. J’aimerais que ma signature soit dévoilée au maximum. Faire partie du groupe LVMH, cela vous a-t-il stimulé ? Fait peur ? Vous sentez-vous libre à 100% en termes de créativité? Ça m’a stimulé, c’est certain. Lorsque LVMH est arrivé, c’était un moment très compliqué, j’étais presque en train d’être obligé de renoncer à ce projet. Je l’autofinançais et ça devenait beaucoup trop lourd à porter seul. LVMH m’a donné l’opportunité de travailler avec une équipe, de collaborer et donc de me poser un peu pour avoir le temps d’expérimenter plus, et surtout nous avons pu rendre ce projet réel. La saison suivante, nous étions déjà dans les magasins, alors que les saisons précédentes il m’arrivait d’avoir des commandes, mais que je ne pouvais pas honorer parce que je ne pouvais pas produire la collection par manque de moyens. LVMH m’a donné de la crédibilité sur le marché et aussi une forme d’apaisement. Je suis libre dans mes choix, c’est un petit projet qui doit grandir et il n’y a aucune raison de mettre des obstacles, créativement parlant.

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ICÔNE

James Goldstein le flamboyant Ceux qui le croisent aux Fashion Weeks de Paris à Moscou, en passant par New York et Berlin le reconnaissent entre mille, mais ne savent rien de lui. Nous avons tenté de percer le mystère James Goldstein chez lui, dans sa villa réalisée par John Lautner. Rencontre. Par Isabelle Campone, Los Angeles

J

ames Goldstein est un vieux monsieur très jeune. Sa svelte silhouette magnifie une éclatante garde-robe de rock star, pantalons étroits, vestes à la coupe parfaite en peaux aussi luxueuses qu’exotiques et, sur ses longs cheveux blancs, chapeaux de dandy qu’il dessine lui-même. On le connaît à Los Angeles pour être ce multimillionnaire au style unique, et surtout propriétaire de l’une des plus spectaculaires réalisations de John Lautner, la Sheats-Goldstein Residence, que l’on voit dans The Big Lebowski et tant de shootings de mode. Dans le reste des Etats-Unis, il est célèbre pour être ce richissime excentrique assis au premier rang de tous les matches importants de la NBA et, en Europe, pour être placé en «front row» des défi és des Fashion Weeks. Ces passions au coût extravagant constituent son activité principale, résumée en trois points sur sa carte de visite: Basket-ball. Fashion. Architecture. Sans héritier, il a annoncé le 17 février dernier le legs de son extraordinaire maison, de ses collections de vêtements et d’œuvres d’art, ainsi que de sa Rolls-Royce vintage au Los Angeles Museum of Contemporary Art (Lacma), attirant sur son étrange

«Je porte aussi des vêtements pour femme parfois et ce sont les seuls défi és auxquels je vais, les défi és homme sont trop conformistes. Même le show est moins bien» personnalité un regain d’attention. Le mystère qui l’entoure est fait de rumeurs. De son âge, qu’il ne dévoile pas, à sa relation avec Jayne Mansfield, tout jeune, en passant par l’origine de sa fortune. On dit qu’il l’a constituée en construisant des trailer parks, ces sordides lotissements américains faits de préfabriqués, mais il parle, lui, d’investissements

immobiliers. On se fait une idée du personnage lorsque l’on accède à sa résidence, perchée sur les sommets escarpés de Beverly Hills. On reconnaît sa fameuse Rolls blanche et on pénètre avec un frisson d’excitation dans cet antre moderniste en longeant un bassin ouvert sur l’extérieur. Construite par Lautner en 1961, la maison est un jeu de béton et de baies vitrées qui, alors qu’on y pénètre dans une quasi-obscurité, avance son plan triangulaire dans une lumière éblouissante, offrant une vue phénoménale sur la ville, de l’océan Pacifique aux gratte-ciels de Downtown, Hollywood au centre. Les photos de James Goldstein en compagnie de célébrités et de longues lianes blondes recouvrent murs et étagères, mais dans la chambre, ce sont chapeaux et vestes à sequins qui attirent le regard. Dans le jardin, fabuleusement luxuriant et tropical se niche une œuvre de James Turrell, un cube de béton dans lequel les jeux de lumière de l’artiste ensorcellent. On découvre aussi un bâtiment neuf, toujours en travaux, qui abrite ses bureaux – portraits géants et archives de presse – ainsi qu’une boîte de nuit flambant neuve, le Club James. Rihanna y a fêté son anniversaire et on raconte que Jay Z et Beyoncé dansaient sur le bar. Lorsque l’on se rend une deuxième fois à la résidence SheatsGoldstein pour rencontrer son propriétaire, c’est en tenue de sport fluo et sur le terrain de tennis surplombant le vide qu’il nous reçoit. En deux heures d’interview sous le soleil brûlant, on comprend son bronzage permanent et ses passions. Vous semblez être à la fois très anti-conventionnel et très constant, avez-vous toujours été cet extravagant? Je n’ai jamais aimé suivre les règles ou faire comme les masses, je voulais être un individu à part. Pas par principe, mais pour suivre ce qui me semblait juste sans me soucier de l’opinion d’autrui. J’étais un enfant unique et mes parents m’ont donné la liberté de faire ce que je voulais. J’ai été attiré par la mode très jeune déjà, mais ce goût s’est renforcé avec les années. Mon père possédait un grand magasin dans le Milwaukee, où j’ai grandi, et vendait des vêtements. Il s’habillait toujours en costume et je savais que c’était ce que je ne voulais pas porter, le seul costume que je me suis fait faire était rose! Mon premier voyage à Paris, quand j’avais

une vingtaine d’années, a eu un impact considérable sur moi, ça a changé mon regard sur le monde. La beauté de la ville, les gens assis aux terrasses des cafés et une telle conscience de la mode!

chez les hommes, car elles ont peur que personne ne l’achète. C’est l’inverse du règne animal où les mâles sont bien plus flam boyants. Quelles sont les marques que vous portez le plus? Balmain et Saint Laurent sont aujourd’hui mes préférées, mais je commence à porter mes propres vêtements, car j’ai lancé avec des amis la marque James Goldstein Couture, basée à Milan. Nous avons commencé il y a deux ans, mais nous allons très lentement, pas de publicité, pas de défi és encore.

Vos passions se sont donc ancrées en vous très jeune ? La plus ancienne, c’est le basket. Elle a toujours fait partie de ma vie, même quand je n’avais pas les moyens de la vivre comme je le fais aujourd’hui. Je vais à tous les matches des Lakers et des Clippers et voyage six semaines d’affi ée pour les playoffs. Je vois au moins 100 matches par an, il paraît que je suis le plus gros investisseur de la NBA en tickets. Quant à l’architecture et la mode, elles m’ont toujours intéressé, mais ne dominaient pas ma vie comme aujourd’hui. Plus jeune j’étais un scientifique, quand je suis arrivé en Californie pour mes études, j’ai choisi de faire des mathématiques et de la physique. Mais finalement, je me suis orienté vers les affaires. Tout le monde à L.A faisait du cinéma, j’ai voulu une voie plus sûre et grâce à mes investissements, j’ai assez vite pu financer mes passions

Vous n’aviez jamais auparavant souhaité lancer votre propre marque ? Je n’ai pas de formation de couturier, je ne voulais pas commencer une nouvelle carrière et investir trop d’argent, mais ces investisseurs m’ont convaincu. Je suis le directeur artistique de la marque, je la façonne à ma manière: ce style rock, homme et femme, des peaux exotiques, et fabriqué en Italie. Je ne regarde plus les défi és de la même manière désormais!

On dit que vous êtes l’un des meilleurs clients des créateurs de mode pour homme ? J’ai probablement l’une des plus belles collections au monde de mode masculine, digne d’un musée. Elle est unique parce que, pendant longtemps, il y a eu très peu d’intérêt pour la mode masculine. J’achète depuis des décennies ces pièces extraordinaires et uniques de Gaultier, Cavalli, Galliano, Balmain… On parle toujours de mon style rock, mais je ne choisis pas ainsi. D’abord je sais ce qui me va et par-dessus tout, je recherche ce qui est différent, qui n’a jamais été fait, une exécution parfaite. J’ai acheté récemment une veste Balmain recouverte de pierreries. Je ne sais pas si je la mettrai un jour, mais j’aime qu’elle montre mon ouverture d’esprit en matière de vêtements. Mick Jagger est venu à une fête au Club James récemment, il portait une chemise blanche, à côté de lui, on aurait dit que j’étais le rockeur et lui un type banal. Je porte aussi des vêtements pour femme parfois et ce sont les seuls défi és auxquels je vais, les défi és homme sont trop conformistes. Même le show est moins bien, et l’excitation n’est pas la même! Les marques ont peur de faire quelque chose d’un peu différent

Vous venez de léguer votre maison au Lacma ainsi que tout ce qu’elle contient, dont votre collection de vêtements. Quelle annonce ! Je veux que tout le monde puisse voir cette maison et qu’elle inspire de jeunes architectes. Je ne l’ai pas préservée, mais plutôt amenée à un niveau bien supérieur que quand je l’ai achetée en 1972. J’ai commencé à la faire évoluer quelques années après, depuis il n’y a pas eu un jour sans travaux, beaucoup ont été réalisés main dans la main avec John Lautner jusqu’à sa mort. Nous étions sur la même longueur d’onde, il n’aimait pas se conformer aux attentes ordinaires. C’est la seule maison où il a pu dessiner l’ensemble du mobilier. Nous avons ajouté des ouvertures automatiques, comme dans le plafond de la cuisine, rendu plus visibles les parois de pierre dans le salon, installé un jacuzzi caché dans la chambre à coucher, à côté de la salle de bains entièrement faite de verre. J’ai tellement appris en travaillant avec lui que je me sens presque architecte. Une grande part de la création du nouveau complexe vient de moi, aussi bien le plan général que les détails, j’ai déjà fait faire les bureaux et le night-club et l’on va construire une salle de projection.

Quelle vie! Comment faites-vous pour résister ? J’ai la même vie depuis quarante ans, mes passions ne sont pas épuisées, bien au contraire. Internet m’a rendu célèbre au moment où l’intérêt mondial pour la mode et le basket s’amplifiait, mais je vis ainsi depuis très longtemps. Je passe mon temps avec

«Je passe mon temps avec des gens beaucoup plus jeunes, je ne sens pas mon âge. J’aime les mêmes choses que quand j’avais 20 ans et quand je suis avec des personnes qui en ont plus de 50, j’ai l’impression d’être avec mes parents» des gens beaucoup plus jeunes, je ne sens pas mon âge. J’aime les mêmes choses que quand j’avais 20 ans et quand je suis avec des personnes qui en ont plus de 50, j’ai l’impression d’être avec mes parents. Mais il n’y a pas tellement d’énergie à Los Angeles, c’est ennuyeux, ce n’est pas Miami. Je voulais un temps m’installer à Paris, ou à Saint-Tropez où je vais depuis toujours, mais j’ai besoin de bouger tout le temps et puis Saint-Tropez n’est plus pareil, tous les gens cool sont partis. J’aime les fêtes, car j’aime rencontrer de jolies filles, qui semblent d’ailleurs m’apprécier plus que jamais. Je ne me suis jamais marié parce que je ne crois pas vraiment au mariage, je n’aurais d’ailleurs pas eu la vie que j’ai eue. Bien sûr que c’est aussi la raison pour laquelle j’aime les défi és, les mannequins sur le podium, la manière dont elles bougent. J’aime aussi l’attention que j’y reçois, les photographes qui me demandent de poser. Je n’ai jamais recherché la célébrité, mais je l’apprécie. C’est comme cette idée du mystère que je dégage, je ne le fais pas exprès, mais j’aime être défini ainsi


JULIEN LACHAUSSテ右

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Photographies, rĂŠalisation et stylisme: Buonomo & Cometti Concept: Isabelle Cerboneschi Mannequin: Sunniva @ Vivia Assistant/production: Antonio Crescenzo


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Page 25: longue robe en satin de soie gris perle et liens brodée. Yiqing Yin.

Robe en crêpe de soie marron glacé à taille empire et collier doré. Valentino.


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Mini-robe en tulle de soie dorée avec lamelles de rhodoïd, manchettes dorées. Louis Vuitton.

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Robe en mousseline de soie chair, rebrodĂŠe de sequins argent. Lanvin.


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Robe en mousseline de soie noire, veste brodée argent, collier et bracelet «CC». Chanel.

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Longue robe en jersey sable, collier métal argent, bracelet en métal et plaque marbre. Céline.


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Mini-robe en crêpe à manches rebrodées. Saint Laurent.

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Body et jupe en cuir agneau terracotta Hermès, portés avec des sandales Christian Louboutin.


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Fourreau blanc avec ceinture cuir argent. Azzedine Ala誰a.

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PORTFOLIO

Longue robe en mousseline de soie multicolore et liens. ChloĂŠ.


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De la HEAD aux grandes maisons de prêt-à-porter > Qkentin Favrié, junior designer pour les imprimés chez John Galliano, à Paris

> Lucille-Clotilde Mosimann, assistante du designer cuir chez Acne Studios, à Stockholm

Il a la délicatesse des imprimés et broderies qu’il aime développer. Le visage fin. La voix élégante. Le trait facile… Après un passage dans la maison Carven, ce diplômé de la volée 2014 a rejoint l’équipe de Bill Gaytten, à la tête de la marque John Galliano, à Paris. D’abord en tant qu’assistant styliste puis junior designer pour les imprimés des pré-collections femme et homme. «Généralement, on me confie quatre ou cinq imprimés all over et d’autres non répétitifs, qui peuvent être des logos ou des broderies placés. Je suis libre de créer des ébauches de dessin selon l’histoire de la saison, l’ambiance choisie par le directeur artistique et le patrimoine de la marque. C’est une contribution importante, car j’interviens sur des pièces phares, mais aussi sur les sacs, foulards ou chaussures», se réjouit le Français d’origine. A l’instar de cette veste pour homme de la collection automne-hiver 2015-2016 sur laquelle est brodée une rose argentée, en clin d’œil à une broderie que la maison John Galliano avait déclinée dans la collection femme printemps-été 1994. Un poste dans lequel il s’épanouit: «J’ai toujours aimé dessiner des imprimés, que ce soit en sérigraphie ou en impression digitale. Et je me sens en phase avec l’expérimentation, l’exubérance de la maison.» Plus tard, il se verrait bien travailler à Milan ou à Anvers. Mais bien plus tard.

Lors du défi é de sa collection de diplôme à la HEAD qui a remporté le prix HEAD Master Mercedes-Benz en octobre 2015, elle avait ému le public en disant qu’elle n’avait pas percé dans la moto, comme ses parents bikers, mais qu’elle allait peut-être malgré tout réussir dans la mode. On n’en doute pas. Repérée par Acne Studios, qui a apprécié la maîtrise du cuir dans sa collection taillée pour les fausses bourgeoises modernes roulant en deux-roues, elle a rejoint la marque basée à Stockholm en février dernier en tant qu’assistante du designer cuir pour les pré-collections et collections femme. «On est une trentaine. La semaine démarre par un petit-déjeuner pris en commun. Elle se poursuit par des recherches sur les inspirations et thèmes du directeur artistique. Puis le designer commence à dessiner les vêtements, à partir desquels je fais des patrons et des maquettes pour les modélistes. Après un premier prototype en calicot, un second en cuir révèle le tombé du vêtement. On adapte ensuite les finition », développe la jeune diplômée. A la fin de son stage, elle partira à la Nouvelle-Orléans rencontrer un club de motardes afro-américaines, toutes maquillées, en talons aiguilles, leggings ultra-moulants et décolletés. L’idée étant de les suivre pour créer une collection personnelle de vestes inspirées de leur personnalité. Un projet rendu possible grâce à une bourse octroyée par le Fonds cantonal d’art contemporain de Genève.

ORIANNELOPES ET CLEMENTINE BOSSARD

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Plusieurs diplômés de la Haute Ecole d’art et de design de Genève travaillent pour des marques de renom. Ces jeunes talents contribuent, souvent en catimini, au rayonnement des collections. Par Emilie Veillon

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> Elodie Verdan, menswear designer au sein d’une grande maison, à Paris Diplômée en 2011, Elodie Verdan fait partie d’une première volée de la HEAD à avoir pris le chemin des grandes maisons plutôt que de lancer leur propre collection. Avec l’envie d’apprendre des meilleurs et de se confronter à d’autres critères que l’expérimentation pure et libre de toute contrainte fonctionnelle ou commerciale. Après un stage chez Bernhard Willhelm à Paris, elle est engagée comme assistante styliste dans le studio de création homme, puis bijou et maille, d’une grande maison de luxe française. Depuis janvier 2015, elle est designer pour la maille et le jersey travaillant pour les pré-collections et les défi és, ce qui représente une grande part de marché. «Je dessine une partie de la collection. Inspiré des thèmes lancés par le directeur artistique, chaque designer apporte sa pierre à l’édifice: ses mood boards, ses recherches, en achetant des pièces vintage ou lors de voyages d’inspiration proposés par la maison à travers le monde. Puis on tisse différentes histoires, on bâtit un plan de collection, on fait le choix des matières, les croquis. On suit tout le processus, qui est sans cesse en évolution, en lien avec le chef de produit et les usines de production en Italie», détaille la jeune femme de 28 ans qui se verrait bien dessiner des chaussures, un jour, peut-être.

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INTERVIEW SECRÈTE

Bryan Ferry, qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant? Dans chaque numéro, Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été, et de ses rêves. Une manière de mieux comprendre l’adulte qu’il ou elle est devenu(e). Plongée dans le monde de l’imaginaire.

B

ryan Ferry promène son attitude de dandy urbain sur les scènes depuis 1972. L’élégance véritable s’accompagne toujours d’une légère violation des règles, sinon elle serait ennuyeuse. Quand on lui demande quelle est sa faute de goût nécessaire, il répond qu’il y en a pas mal. «Je ne suis pas aussi soucieux de mon apparence que vous pourriez l’imaginer. J’aime porter des cravates, des vêtements traditionnels. Je pense que mon style est influen é par les premières images de mon enfance: les film que j’ai vus – Fred Astaire était fantastique d’élégance –, mes héros musicaux, de nombreux artistes de blues ou de jazz qui s’habillaient toujours de manière assez cool.» Charlie Parker et surtout Otis Redding à qui il vouait une admiration telle qu’il a appelé son premier fils Otis L’ancien leader du groupe Roxy Music est né le 26 septembre 1945, à Washington, une ville minière du nord-est de l’Angleterre. Son père était fermier et élevait des poneys. Les samedis, l’adolescent travaillait chez un tailleur. Il y a appris la matière, la forme, l’élégance intemporelle d’un costume masculin «made in England». Il en est resté quelque chose. Bryan Ferry voulait devenir artiste, «quelqu’un qui a pour métier de créer». Peintre fut son premier choix. Il a opté

«Je ne suis pas aussi soucieux de mon apparence que vous pourriez l’imaginer» pour l’Université de Newcastle, «parce que Richard Hamilton y enseignait», le fondateur du pop art. C’est l’Amérique le «role model», à Newcastle. On y porte des t-shirts customisés, des jeans et des baskets. Bryan Ferry roule dans une américaine, une Studebaker qu’il passe plus de temps à pousser qu’à conduire, mais à cet âge-là, on s’en fout. Comme pas mal d’étudiants avant lui, et après lui, il crée son premier groupe de soul music: The Gas Board. Deux

des musiciens de la bande – Graham Simpson et John Porter à la basse – ont fait partie plus tard de Roxy Music.

Naissance d’un style

Après avoir obtenu son diplôme d’art, en 1968, Bryan Ferry débarque à Londres et commence à poser les fondations de Roxy Music. Le premier album est lancé en 1972. La même année où apparaît Ziggy Stardust, le double de David Bowie de deux ans son cadet, qui impose son look glam rock flamb yant. Pour se démarquer, Bryan Ferry adopte une tout autre panoplie: le costume cravate. Celui-là même qu’il a pu étudier sous toutes les coutures tandis qu’il était adolescent. Son allure «camp», un peu fiftie , délicatement nostalgique détonne dans le paysage. Sa délicatesse, sa voix légèrement éraillée, ses musiques aux sons étranges séduisent. On dit que toutes les créatures féminines ayant posé sur la couverture des albums de Roxy Music sont passées entre ses draps. En 1985, alors que Grace Jones chante «Slave to the Rythm» (esclave du rythme), Bryan Ferry se déclare «Slave to Love » (esclave de l’amour). En 1974 sur la pochette de l’album Another Place, another time, Bryan Ferry arbore un smoking blanc, un nœud papillon noir et une ceinture vermillon, devenus mythiques. Si l’on devait trouver une filiation à cette tenue, ce pourrait être les Platters, en 1955. Mais si l’on replace cette pochette dans son contexte, cette même année, Vivienne Westwood et Malcolm McLaren ouvraient leur boutique baptisée Sex, au 430 Kings Road. Dans les rues de Londres à cette époque on est punk ou new romantic. Bryan Ferry choisit d’être un dandy. Il l’est toujours. «Je regarde souvent vers le passé pour y puiser de l’inspiration», dit-il. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait quand la maison Moser lui a demandé de cocréer une montre. «Quand Edouard Meylan (CEO de H. Moser et Cie, ndlr) et moi avons ré échi sur le genre de montre que l’on voulait, on a essayé d’en créer une pour aujourd’hui, mais qui aurait un sens par rapport à l’histoire de la marque.» «Nous lui avons présenté différentes pièces historiques de Moser, et il a ainsi pu choisir la police de caractères,

les chiffres, les teintes, les formes des aiguilles, relève Edouard Meylan. Tous ces détails relèvent entièrement de sa décision. Nous avons essayé de le laisser le plus libre possible dans le choix des combinaisons. C’est intéressant de travailler avec une personne qui pose un regard frais sur notre industrie. C’est là qu’une collaboration devient intéressante.» La montre a un faux air des années 30: elle pourrait être celle de Gatsby, le personnage de Scott Fitzgerald. Intemporelle, mais avec une touche de modernité: le chiffre 12 est rouge. Appelons cela la touche du dandy. Si Edouard Meylan a choisi Bryan Ferry, c’est pour son style, certes, mais aussi son implication dans le projet. «Nous nous sommes rencontrés grâce à un ami commun. Je cherchais une personnalité qui comprenne la marque et ce que nous faisons. Aujourd’hui, il y a beaucoup de partenariats qui tournent surtout autour de l’argent. Mais avec Bryan Ferry, on a les mêmes valeurs, la même compréhension du savoir-faire et de l’artisanat.»

Gentleman sur la réserve

Le chanteur était présent au Salon international de la haute horlogerie (SIHH), qui s’est tenu à Genève en janvier dernier. C’est là qu’eut lieu la rencontre. Lui assis sur le bord du sofa, prêt à se lever et disparaître si les questions devaient tourner court, ou même dévier sur David Bowie, qui venait de disparaître dix jours auparavant. Il répond avec le ton d’un gentleman sur la réserve, comme s’il avait décidé de poser ses mots sur une ligne, disons la ligne des sol d’une partition de musique, et qu’il s’obligeait à ne pas en dévier. Il arrive même que le fil de la conversation se coupe. Tout se met alors à flotte , un peu comme sa musique. Et parfois il rit. Ce projet de garde-temps lui tient à cœur, car il y revient souvent au fil de la conversation. «Nous étions sur la même longueur d’onde concernant les choses que nous aimons avec l’équipe. Je ne voulais pas que ce soit une grosse montre. J’aime porter de petits calibres. J’ai été agréablement surpris de voir que Moser les apprécie aussi.» Le temps, pour un musicien, est essentiel, mais il n’a pas vraiment besoin de

complication. «Elle est discrète. Je ne voulais pas qu’elle devienne un symbole de statut social vulgaire. Quand on porte une montre, on a tendance à la regarder à peu près toutes les heures, pour vérifie . Or j’aime autant regarder quelque chose qui me plaise.» Quel était votre plus grand rêve d’enfant ? Je voulais être artiste et il se trouve que je suis devenu musicien. Mais au départ, je voulais devenir peintre. C’était cela, mon rêve. J’ai étudié la peinture pendant quelques années à l’université. Je voulais aller à celle de Newcastle parce que Richard Hamilton enseignait là-bas. On était très portés sur l’art et la musique américaine. J’étudiais l’art parce que je voulais faire un métier créatif. C’était ce qui comptait pour moi, toujours. Et j’ai dévié assez naturellement vers la musique. Vous avez grandi dans la terre, votre père était fermier. Avez-vous choisi ce métier pour quitter ce monde-là ? J’aimerais le penser. Chaque instant du premier chapitre de ma vie fait entièrement partie de moi. Mais j’ai développé une autre facette de ma personnalité, qui est de communiquer de l’émotion. Et c’est ce que font les musiciens. C’est un don de pouvoir faire ce que l’on aime. Quel était votre jouet préféré ? Un mini-tracteur. Je l’ai toujours d’ailleurs. Il est dans ma maison depuis très longtemps. Il est magnifique. On doit le remonte mais après, il part au quart de tour. A quel jeu jouiez-vous à la récréation ? Au tennis. C’est toujours le cas. C’est un jeu très beau, qui possède une belle tradition. Cela peut être très gracieux une partie de tennis. Federer est un joueur très élégant. L’élégance fait partie de ma fascination pour ce jeu, je suppose. Grimpiez-vous aux arbres ? Oui, bien sûr! J’adorais cueillir les œufs d’oiseaux. C’était un de mes loisirs quand j’étais enfant. Je montais très haut, sur des arbres très élevés. J’avais une belle collection d’œufs. C’est d’ailleurs ma toute première

collection. Après j’ai collectionné d’autres choses. Que ressentiez-vous tout en haut ? Le sens de l’aventure. Quelle était la couleur de votre premier vélo ? Gosh! Je ne m’en souviens plus. Toutes les photos que je possède de cette époque sont en noir et blanc (rires). Quel superhéros rêviez-vous de devenir ? Je voulais devenir alpiniste. J’aimais l’aventure. Je pensais que c’était passionnant d’escalader. J’aimais aussi le cyclisme. J’admirais un cycliste français nommé Jacques Anquetil. Je le trouvais très glamour. Je suis toujours passionné par le Tour de France, d’ailleurs. De quel superpouvoir vouliez-vous être doté ? Je n’ai jamais vraiment ré échi à cela. Rêviez-vous en couleur ou en noir et blanc ? Occasionnellement en couleur, mais il s’agit plutôt de flashs Ce n’est pas l’entier du rêve qui est coloré. Donc la réponse serait plutôt en noir et blanc, et de temps en temps des couleurs vives apparaissent. Quel était votre livre préféré ? Je lisais toutes les histoires d’Enid Blyton, Le Clan des sept, Le Club des cinq… Les avez-vous relus depuis ? Non! Aviez-vous peur du noir ? Oui, j’avais peur du noir. J’avais une imagination très fertile. Je voyais plein de choses effrayantes dans le noir. Vous souvenez-vous du prénom de votre premier amour? Oh! Il y en a eu tellement! Je n’arrive pas à m’en souvenir. Et de l’enfant que vous avez été ? Oui. Absolument. Il est encore là, avec moi, tout le temps. Ma dernière question : j’ai toujours voulu savoir si vous étiez un esclave de l’amour (Slave to Love)? C’est quelque chose que j’ai essayé de maîtriser avec le temps (rires).

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