Le Temps Hommes

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Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 31 octobre 2015

HOMMES LES FLEURS DU MÂLE

FREDERIC STUCIN / PASCO


Hommes

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Le Temps l Samedi 31 octobre 2015

ÉDITO

SOMMAIRE

Rudesse poétique

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Ferragamo réenchanté

Depuis que Massimiliano Giornetti a pris les rênes de la création chez Salvatore Ferragamo, il a insufflé dans la maison un supplément d’âme. Rencontre.

DR

Par Antonio Nieto

4 Massimiliano Giornetti

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Toys 4 boys

Un drone, un nœud papillon, des jumelles, un foulard en soie. Au cœur de l’hiver, l’homme moderne s’inspire du soldat et se prend à paraphraser Clausewitz: le camouflage est la continuation de l’automne par d’autres moyens. Par Séverine Saas

FRÉDÉRIC LUCA LANDI

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Ces banquiers qui se libèrent en cage

Gérant de fortune à la banque Bordier & Cie, Bertrand Clavien oublie son stress dans le MMA. Une pratique plus courante chez les financiers qu’il n’y paraît. Par Laurent Favre

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On peut apprendre à se battre pour ne pas avoir à le faire. On peut aussi choisir la voie douce, celle de la disparition, l’effacement, se mettre à l’abri d’une écharpe en laine format XXL. Chaque fois qu’il a été question d’une prise de liberté politique ou vestimentaire (les deux vont ensemble), la maille a joué son rôle: celui de tenir les contraintes à distance, les étouffer. La maille est bienveillante avec les corps, elle les enveloppe, les camoufle, elle s’adapte, elle n’oblige pas. Marcel Proust avait trouvé refuge à l’intérieur d’un manteau couleur gris tourterelle, dans lequel il vivait de jour comme de nuit, été comme hiver. Doudou d’adulte. Sébastien Tellier s’isole dans un studio d’enregistrement, bien à l’abri, «seul dans une petite pièce, mais avec un univers immense à disposition dans ma tête». Avec ses chansons, il réinvente un monde à sa mesure. «Je suis un enfant dans un corps d’adulte», dit-il. Ce numéro est dédié aux hommes, à tous les hommes, et surtout ceux qui n’ont jamais renoncé à leurs rêves d’enfants.

Portfolio Tribus de Paname Réalisation, photographie et stylisme Buonomo & Cometti Au Café Noir: Jules (à g.) porte un spencer en laine, une chemise en coton, un jean en coton noir et des boots en cuir noir. Tom (à dr.) @ 16MEN, porte une veste en tweed de laine entièrement rebrodée, un pull en laine noir, un jean en coton noir et des boots en cuir noir. Le tout de la collection prêtà-porter automne-hiver 2015-2016 Saint Laurent par Hedi Slimane.

A la recherche du manteau de Proust

Le pardessus a refait son apparition sur les podiums. Certains évoquent le fameux manteau porté par l’auteur de «A la recherche du temps perdu». Par Antonio Nieto

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Les vrais hommes

Vous n’avez pas fait la Légion? Dommage. Séance de rattrapage et revue de détail de ces gestes de base qui signent un homme élégant. Par Pierre Chambonnet

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Portfolio

Tribus de Paname

Réalisation, photographie et stylisme: Buonomo & Cometti

gars de la marine 20 Les La renaissance du nom Ferdinand Berthoud, célèbre

horloger et chronométrier du XVIIIe siècle, offre l’occasion de faire un tour d’horizon des maisons ayant un lien direct et historique avec l’horlogerie de marine.

DR

L’époque est ce qu’elle est. Elle porte en elle quelque chose de médiéval. Mais on est loin du raffinement littéraire, poétique et musical de la cour d’une Aliénor d’Aquitaine. On ne joue plus à l’amour courtois. Le contexte n’est pas non plus propice à l’émergence d’un nouvel Averroès. Quelqu’un a dû éteindre les lumières. Pas étonnant que dans cette époque dérégulée, dysfonctionnelle, émergent des sports de combat comme le MMA où presque tous les coups sont permis.

10 Manteaux proustiens

20 Horlogerie de marine

Par Vincent Daveau

21 FREDERIC STUCIN / PASCO

Il n’y a pas de point commun apparent entre Sébastien Tellier, Marcel Proust et Massimiliano Giornetti, le directeur artistique de la maison Salvatore Ferragamo. Sauf peut-être cette manière avant-gardiste pour Proust, et totalement ancrée dans notre époque pour les deux autres d’afficher leurs fragilités, de les traduire à travers le médium qu’ils maîtrisent le mieux: la musique et le chant d’un côté, la mode de l’autre.

DR / CANALI

Par Isabelle Cerboneschi

22 Sébastien Tellier

Ainsi tu séduiras

Depuis deux mille ans, les spécialistes dispensent aux hommes les règles de la bonne séduction. Du fantasme à l’essor scientifique, parcours d’un art qui ne cesse de charmer. Par Fabio Gaffo

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Sébastien Tellier,

qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant? Interview. Par Isabelle Cerboneschi

Editeur Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01

Rédacteurs Pierre Chambonnet Vincent Daveau Laurent Favre Fabio Gaffo Antonio Nieto Séverine Saas

Président du conseil d’administration Stéphane Garelli

Photographies Buonomo & Cometti Lionel Flusin

Administrateur délégué Daniel Pillard

Responsable production Nicolas Gressot

Rédacteur en chef Stéphane Benoit-Godet

Réalisation, graphisme Pascale Toschini

Rédactrice en chef déléguée aux hors-séries Isabelle Cerboneschi

Photolitho Ringier Romandie Correction Samira Payot Conception maquette Bontron & Co SA

Internet www.letemps.ch Gaël Hurlimann Courrier Le Temps SA Pont Bessières 3 CP 6714 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01 Publicité Ringier SAPublicité Le Temps Pont Bessières 3 CH – 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 70 00 Fax +41 21 331 70 01 Directrice: Marianna di Rocco Impression IRL plus SA

La rédaction décline toute responsabilité envers les manuscrits et les photos non commandés ou non sollicités. Tous les droits sont réservés. Toute réimpression, toute copie de texte ou d’annonce ainsi que toute utilisation sur des supports optiques ou électroniques est soumise à l’approbation préalable de la rédaction. L’exploitation intégrale ou partielle des annonces par des tiers non autorisés, notamment sur des services en ligne, est expressément interdite. ISSN: 1423-3967



Le Temps l Samedi 31 octobre 2015

Hommes

Le Temps l Samedi 31 octobre 2015

Collection automne-hiver 2015-2016.

I

l a grandi à Carrare, la ville du marbre, entouré des carrières de cette pierre si prisée. L’Italie est son berceau. Son sens de l’esthétisme, la finesse de ses créations viennent de là. Massimiliano Giornetti, le directeur artistique de Salvatore Ferragamo pour l’homme depuis 2004 et pour la femme depuis 2010, a commencé par étudier les langues étrangères et la littérature, avant de se diriger vers le Polimoda International Institute of Fashion Design de Florence, dont il est diplômé. Issu d’une famille d’orfèvres où la minutie et le perfectionnisme sont les maîtres mots, il revendique ces valeurs au service de la maison italienne. C’est un homme d’une grande discrétion, qui croit en la patience et considère la rapidité comme néfaste: il aime la lenteur du geste. C’est sans doute pour cela qu’il sert si impeccablement Ferragamo depuis tant d’années. Quand on lui demande qui l’inspire, il évoque des personnalités aussi méticuleuses que lui : Diana Vreeland ou Gianni Agnelli. Des figures fortes, droites, qui apprécient la rigueur et portent l’attention au détail. Le luxe est, pour lui, avant tout une expectative. Il ne s’arrête pas d’embellir et de dorer ce blason familial italien connu pour son élégance. Il ajoute et ajoute la touche de légèreté qui manque trop souvent à ces maisons centenaires. Le Temps: Quel est votre lien entre le Ferragamo d’hier et d’aujourd’hui? Massimiliano Giornetti: C’est un dialogue clairement onirique. Je n’ai pas eu la possibilité ni l’honneur de connaître Salvatore Ferragamo, c’est donc une conversation virtuelle. Cet échange sur le mode interactif entre deux êtres qui ne se connaissent pas est fascinant. C’est une relation qui s’est établie à travers la créativité, Salvatore Ferragamo lui-même, le musée, l’histoire et beaucoup grâce à sa famille. C’est une aventure qui a commencé il y a 15 ans. J’ai débuté comme Networking Designer. Un gros défi, car mon parcours a été assez éclectique. C’est un compromis que je définirais de familial. Mon père, qui est un homme très concret, d’une autre culture, d’une autre génération,

VESTIAIRE

«UN LUXE FAIT DE COMPORTEMENTS ET D’ATTENTES» Depuis que Massimiliano Giornetti a pris les rênes de la création chez Salvatore Ferragamo, il a insufflé dans la maison un supplément d’âme. Rencontre avec un poète du vêtement. Par Antonio Nieto

m’a toujours laissé le choix. Même celui de me tromper, de commettre des erreurs, nécessaires pour me construire. J’ai grandi à Carrare, une ville de province, qui a façonné mon parcours esthétique et personnel. Là, je rêvais d’espaces plus grands. C’est un endroit très spécial, anarchique, confiné dans ces carrières de marbre qui sont vraiment le cœur battant de cette ville balnéaire. Mais c’est aussi un lieu qui donne la possibilité de voir le travail d’artistes comme Louise Bourgeois, qui venaient ici pour sculpter ses œuvres monumentales. Finalement, j’ai trouvé que la vraie dimension d’une personne n’est pas celle que l’on perçoit, mais la sienne propre. A mon arrivée, chez Ferragamo, la maison ne proposait que peu d’articles; des cravates, des chaussures et quelques accessoires pour

homme. C’est encore aujourd’hui l’essentiel de l’esprit de la marque. Ces dernières années, la mode masculine a connu une évolution fulgurante. Comment l’avez-vous vécue ? Le menswear est passé de deux mondes très distincts à une complexité de valeurs et d’éléments et même d’images esthétiques, représentations aujourd’hui de ce qu’est le monde masculin. Il existait le dogme du classicisme exigeant qu’un homme soit impeccable. J’ai en tête des références masculines très élégantes, très milanaises, très florentines, faites presque d’uniformes. L’évolution du menswear, cette capacité du consommateur à décrypter, à lire à différents niveaux, détermine mon inspiration. Et puis, il y a des inspirations

concrètes. Cela peut être des artistes, parfois des films, parfois des personnes rencontrées mais la plus grande source d’inspiration est l’évolution du menswear lui-même. J’ai la chance de travailler avec les meilleurs artisans existants qui me permettent d’expérimenter encore aujourd’hui avec la même qualité et avec la même maîtrise que le faisait Salvatore Ferragamo en 1940. J’aime souvent définir la mode non pas comme un art, mais comme on le considère en France, une forme d’art mineur. Pour vous, la mode serait donc un acte culturel? Oui, ce qui est extrêmement fascinant dans la mode, c’est ce qu’elle représente. Cette capacité même à transmettre est une forme de culture qui ne doit pas être une fin en soi. Elle ne doit pas être limitée à un show, à une image sur un podium. Chaque représentation, chaque saison doit avoir une unité, un fil conducteur avec la précédente. Le consommateur est bombardé par une myriade d’informations souvent excessives. C’est pourquoi j’ai depuis quelques saisons décidé de rester distant des pré-collections. La mode a besoin de temps; c’est cela le vrai luxe. La rapidité est néfaste. Le plus beau dans la mode, surtout dans un contexte social devenu si virtuel, si instantané, c’est ce sens de l’attente. Ferragamo a été un symbole avant-gardiste, du glamour hollywoodien mais aussi du confort. Vous suivez le même sillage ? Je ne crois pas en la définition du glamour. Le sens du glamour n’existe plus; il existait sûrement à l’époque de Salvatore Ferragamo, mais celui d’aujourd’hui est extrêmement vide. Je travaille avec de nombreuses célébrités et j’ai la chance de les choisir. Cela me permet d’œuvrer non pas sur l’idée du glamour mais sur certaines valeurs que je partage avec celles-ci. Ce que je trouve captivant aujourd’hui c’est l’idée de démocratie dans la mode, la possibilité pour n’importe quel consommateur d’y avoir accès. Ce n’est plus un club fermé, mais la possibilité pour tous

de s’approprier une forme de beauté, un sens de l’esthétisme. J’aime collaborer avec les célébrités dans la vraie vie parce que c’est le seul moment où elles se dévoilent vraiment. L’intimité devient alors magique. Travailler avec Angelina Jolie et Brad Pitt, les voir dans leur contexte personnel, leur maison, permet de comprendre qui est vraiment la famille Pitt. Dans la collection homme automne-hiver 2015-2016, on perçoit votre amour pour la nature, pour les animaux, presque une symbiose… C’est une collection qui est née de manière très curieuse. J’ai visité une expo à Londres sur l’art folklorique et j’ai été impressionné par la section dédiée aux marins, aux soldats, souvent analphabètes; des hommes qui affrontaient de longs périples et leur aisance à raconter à travers un journal ce qu’étaient ces voyages qui les amenaient souvent à découvrir des mondes inconnus, à croiser pour la première fois des hommes différents, des animaux rares ou exotiques. Pour s’occuper l’esprit pendant ces longues traversées, certains se mettaient à la broderie et accomplissaient des travaux d’aiguilles délicats. La famille de mon père est une famille d’orfèvres, et cette idée du travail des mains est quelque chose qui a peut-être été déterminante dans ma jeunesse. Voir à Carrare ces sculpteurs utiliser le scalpel, contempler mon père travailler et forger l’or, mais aussi lire les lettres de ces hommes raconter leur histoire à leur famille, à leur fiancée a été vraiment comme une illumination. Je ne suis jamais à la recherche d’une inspiration. J’aime que le travail en lui-même porte l’inspiration; la rue, les personnes que je rencontre. Il y a un moment qui est comme une illumination, celui du commencement d’une collection. Mais ce que je trouve féerique dans ce show hivernal, c’est cette récupération après des saisons extrêmement sèches, parfois même stériles d’une sensibilité; une sensibilité à pratiquement 360 degrés, faite d’expériences tactiles, une expérience qui doit être lue à travers les mains, ces broderies,

ces tricots brodés ou tissés artisanalement, cette idée d’un monde de fusion pensée/geste. Il semblerait que vos souvenirs d’enfant, l’exemple de votre père par exemple, aient été déterminants dans la construction de l’homme que vous êtes aujourd’hui et de votre univers créatif. Ce n’est pas un monde gothique, cela n’était pas une expérience victorienne dark, c’était une expérience particulièrement poétique. Cela a été aussi la raison pour laquelle j’ai dû beaucoup insister sur l’idée de sonorité presque féerique du défilé. Pour moi, c’était comme la fable des fables. Le récit des nouveaux mondes. C’était presque une provocation. Nous parlions de l’attente, qui est un des moments les plus troublants, que ce soit dans la mode ou dans la vie privée, mais en même temps nous évoluons dans une société qui devient de plus en plus faite d’instantané, de technologie, où la seule forme de communication passe à travers un message. Une image envoyée sur Instagram ou sur Facebook a quelque chose de stupéfiant. On passe alors instantanément de l’onirique au sensoriel. C’est presque une invitation pour les nouvelles générations à redécouvrir ce qu’est un dialogue de vie, qui n’est pas seulement fait de virtuel mais aussi de réel, d’imaginaire, de sens, de tact, de tout. C’est la raison pour laquelle, par exemple, j’ai voulu de la tourbe sur le sol parce qu’on pouvait vraiment sentir l’odeur de la terre.

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ANDRÉ LUCAT - SGP

Hommes

DR

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Je me souviens de Sergio Salerni, la personne qui imagine le show, me disant «mais la tourbe a une odeur» et je lui ai répondu «tant mieux, cela te poussera à fouiller à travers ta mémoire olfactive». Que retrouve-t-on quand on fouille dans sa mémoire olfactive? Aujourd’hui, le fait d’être européen se traduit par diverses influences: grecques, latines, méditerranéennes, arabes, sûrement américaines et anglosaxonnes. C’est notre force d’avoir été sur la «Route» de Marco Polo, ce grand passage entre l’ouest et l’est, ce mélange des esprits, de diverses cultures. J’aime explorer les sens, et comme dans le dernier défilé, cette idée de signes. Gabriella Crespi, un designer des années 70, travaillait avec des éléments de récupération kitch – tapis de Mauritanie et du Maroc – avec l’idée que nous sommes des oiseaux migrateurs allant de l’est à l’ouest. L’idée de ma collection d’été est dans le prolongement de celle de l’hiver. Je suis un perfectionniste, même dans les petits gestes du petitdéjeuner, mais je pense qu’il est important d’envoyer un message d’une certaine modernité. Les personnages qui m’ont le plus fasciné ont peut-être aussi eu une incidence sur ce qu’est aujourd’hui ma culture, mon sens de l’esthétisme. Des grandes personnalités m’ont influencé; de Diane Vreeland à Helena Rubinstein, jusqu’à un grand monsieur à l’esprit éclectique comme Gianni Agnelli. Cet hiver, nous avons élaboré un projet que nous avons appelé

La famille de mon père est une famille d’orfèvres, et cette idée du travail des mains est quelque chose qui a peut-être été déterminante dans ma jeunesse. Massimiliano Giornetti

«Immense Story». Le charme de ce projet résidait dans la quête d’une certaine authenticité. Aujourd’hui, l’esthétisme est fait de manipulations avec Photoshop et de retouches des imperfections. Qu’y a-t-il de plus insensé que de trouver une image imparfaite, ce qu’était le monde d’Helmut Newton, ce qui est, qui a été et qui est encore aujourd’hui la base de l’esthétique de Bruce Weber et d’autres photographes. Une culture, une doctrine philosophique qui est l’antithèse de la culture de la perfection. C’est pourquoi la collection hivernale doit être considérée comme un hymne à cette poésie faite de signes parfois confus, à l’esthétique imprécise mais volontairement contrôlée. Que représente le luxe aujourd’hui pour vous ? Le luxe est un mot extrêmement galvaudé aujourd’hui. Selon moi, la seule valeur actuelle et réelle du luxe est liée à celle de l’idée du temps et donc sûrement l’espace de l’attente, au jeu de l’expectative. Un film qui pour moi a été fondamental dans ma maturité esthétique et philologique est In the Mood for Love. Il y en a beaucoup d’autres qui m’ont marqué, peut-être bien avant celui-ci, mais mon attirance particulière pour ce film est liée à sa sensualité, à cette attente d’une histoire qui n’est jamais consommée entre ces deux personnages. La lenteur des gestes et la sensualité exprimée par cet homme, cette femme, toujours dans l’expectative d’une rencontre, faite seulement d’attentes, de moments, de gestes. Je crois que ceci est véritablement le luxe. Le luxe est achetable, c’est une marchandise d’échange: cela peut être un hôtel, la location d’un jet privé. Mais ce que je souhaite transmettre à travers le monde de Salvatore Ferragamo est un luxe fait de comportements et d’attentes. C’est un travail qui a encore besoin de cet artisanat. Aujourd’hui tout est instantané mais il y a encore des moments qui ne peuvent pas l’être, et je ne veux pas qu’ils le soient. Ils doivent avoir cette lenteur du geste qui pour moi est le vrai charme du luxe moderne.


Hommes

Le Temps l Samedi 31 octobre 2015

AR. Drone 2.0 Elite Edition couleur jungle, Parrot.

Foulard en modal et soie, Alexander McQueen.

Sweatshirt en néoprène «Liberty Camouflage» Neil Barrett, disponible sur www.harrods.com.

Casque Solo2 Edition Royale Hunter Green Beats By Dr. Dre.

Skis Freeride «Raffaello» fabriqués à la main avec 300 différents morceaux de bois, Ullak.

Défilé hommes Burberry Prorsum automne-hiver 2015-2016.

Appareil photo numérique Coolpix AW130 Camouflage, Nikon.

Jumelles «Futurus Woodworth» 12 x 50WA, Yukon.

FLAGRANTS DÉSIRS

TOYS 4 BOYS Un drone, un nœud papillon, des jumelles, un foulard en soie. Au cœur de l’hiver, l’homme moderne s’inspire du soldat et se prend à paraphraser Clausewitz: le camouflage est la continuation de l’automne par d’autres moyens. Parole de général prussien. Par Séverine Saas

Crème hydratante, Perricone MD.

Eau de toilette «Spicebomb», Viktor & Rolf. PHOTOS: DR

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Veste cirée «Brantmoto», Barbour x White Mountaineering.

Gants ajustés en cuir, couleur duffle green, Gant. Baskets Rockrunner «Camoucouture», Valentino Garavani. Nœud papillon, Billy Reid pour Tie The Knot.

Montre Tudor Heritage Ranger avec boîtier en acier et bracelet en tissu camouflage.

Amplificateur «Astoria Classic», Marshall.

Défilé hommes Dries Van Noten automne-hiver 2015-2016.

Bougie au tabac à base de cires naturelles, Malin + Goetz.



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Le Temps l Samedi 31 octobre 2015

MMA

CES BANQUIERS QUI SE LIBÈRENT EN CAGE Gérant de fortune à la banque Bordier & Cie, Bertrand Clavien oublie son stress dans le MMA. Une pratique plus courante chez les financiers qu’il n’y paraît. Par Laurent Favre

LIONEL FLUSIN

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U

n soir de semaine, dans le Carouge populaire. Au fond d’une arrière-cour mal éclairée, une rampe. Et en bas de la rampe, une salle de sport anonyme. Ici, pas de diffuseur d’ambiance aromatisé à l’eucalyptus, de cours collectif de spinning ni de grands miroirs aux murs pour s’admirer. Ça sent la sueur et l’effort. Les poires de vitesse suspendues au plafond, le hip-hop en fond sonore, les tags au mur et le claquement étouffé des coups dans les sacs de cuir l’attestent: on ne pratique ici que les sports de combat. Boxe et MMA, le Mixed Martial Art, ce «combat libre» qui se pratique dans une cage grillagée et qui suscite autant de vocations que de polémiques. Depuis dix-huit mois, Bertrand Clavien vient ici deux ou trois fois par semaine pour pratiquer le MMA. A chaque fois, il ôte son costume de banquier. La quarantaine dynamique, il est gérant de fortune à la banque Bordier & Cie. «Je ne suis pas un bagarreur et je n’aime pas prendre des coups, prévient d’emblée ce gestionnaire senior. Il y a environ deux ans, j’ai voulu me remettre au sport. Entre le stress et les déjeuners d’affaires,

j’avais besoin d’une activité physique. Le tennis ne m’attirait pas, le golf est chronophage et fait perdre peu de calories. Et puis je me suis souvenu qu’adolescent, j’avais bien aimé pratiquer la boxe thaïe. J’ai donc cherché une salle. La plus proche de chez moi, c’était ici.» Bertrand Clavien est donc entré à la Cage Academy (le nom du club). Il a tout de suite adoré. «C’est très varié et ludique, on travaille toutes les parties du corps dans un même cours, aucun entraînement ne ressemble au précédent.» Il ne compte pas disputer de véritable combat mais est déjà entré dans la cage. Elle est ce soirlà occupée par un professeur qui fait travailler un jeune au sol. A les

observer se battre avec virulence mais sans porter les coups, il apparaît rapidement que la force du MMA provient de son absence de règle. Puisque tout est permis (sauf les coups dangereux à la nuque, sur la colonne vertébrale et dans les parties génitales), chaque erreur est immédiatement sanctionnée d’un coup. Vous maîtrisez votre adversaire au sol mais ne protégez pas votre tête; il vous frappe au visage. Il n’y a pas vraiment de conséquence dans les arts martiaux traditionnels. Si vous projetez votre adversaire au sol au judo, vous marquez koka ou yuko et c’est à peu près tout. Le MMA lie les techniques, les coups, les frappes, dans

Sans échappatoire, le combattant doit optimiser ses ressources. C’est à lui-même, à ses peurs et à ses doutes qu’il se confronte. Bertrand Clavien

«A l’entraînement, on apprend à aller contre son instinct, qui nous dicterait de fuir. C’est de la gestion de risque, en fait», compare Bertrand Clavien. une chorégraphie certes brutale mais qui ne tolère aucun geste irréfléchi. C’est cette exigence qui a séduit Bertrand Clavien. «Il faut y être à 100%, sinon vous prenez des coups. Pour oublier le stress d’une journée de boulot, c’est radical.» A l’origine, cette discipline devait arbitrer l’éternel débat sur les arts martiaux: lequel est le plus efficace? Très vite, le MMA a montré qu’il combinait quatre spécialités – la boxe anglaise, la boxe piedpoing, le ju-jitsu, la lutte – et démontré que le tout était plus que la somme des parties. «En boxe, il est interdit de tenir son adversaire. En boxe thaïe, la coutume veut que le bras inactif reste pendant le long du corps. Mais si vous faites ça en MMA, où seule importe l’efficacité, vous êtes «mort». Il faut donc adapter ses habitudes. Dans un cours de karaté, le prof va vouloir imposer sa façon de faire alors qu’au MMA, c’est à lui de s’adapter à l’élève. Certains sont bons en boxe mais ne savent pas utiliser les pieds, d’autres ont

le problème inverse», explique Bertrand Clavien. Son professeur s’appelle Vincent Barro. Ce garde du corps international a créé la salle en 2003 et construit ce qu’il présente comme la première cage de Suisse. Il la réserve à une clientèle sélectionnée. «Le gars qui veut visiblement en découdre ou le grand balèze qui serait capable de tuer quelqu’un, on évite, insiste-t-il. On ne prend pas les casse-cou ni les gens dangereux.» La cage. Peu de sports sont autant identifiés à leur aire de jeu que le MMA à cet octogone grillagé. On la découvre au fond de la salle comme dans le travelling qui conduit à Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux. Y pénétrer vous fait paraît-il perdre 50% de vos moyens. «Sur 100 personnes qui font de la boxe, 5 vont faire des combats. En MMA, il n’y en a qu’un, et encore il est fréquent qu’il renonce au dernier moment», résume Vincent Barro. «C’est con mais tu stresses, avoue Bertrand Clavien. Tu te sens comme une souris prise au piège.» Sans échappatoire, le combattant doit optimiser ses ressources: ne pas stresser, respirer calmement, ne pas s’épuiser trop vite. Réfléchir. Ne jamais tourner le dos. C’est à lui-même, à ses peurs et à ses doutes qu’il se confronte. «A l’entraînement, on apprend à aller contre son instinct, qui nous dicterait de fuir. C’est de la gestion de risque, en fait», compare Bertrand Clavien. Et à ce jeu-là, le gérant de fortune n’est pas le moins bien armé. «Bertrand est précis, agile, souple du bassin grâce à son passé dans la boxe thaïe. Il peut donner des coups de pied au visage sans problème. Mais surtout, c’est quelqu’un qui a beaucoup de sang-froid. Il arrive à se remettre en question très vite pour toujours aller de l’avant», estime son professeur. «Comme dans mon métier, je dois comprendre instantanément, développer une stratégie», ajoute le banquier. Connaît-il d’autres pratiquants dans son milieu? Il avoue peu parler de son sport à la banque et guère plus avec les autres habitués de la salle. «Mais on ne doit pas être très nombreux dans la finance à faire du MMA», se hasarde-t-il. Son entraîneur le détrompe. «Une bonne moitié de ma clientèle vient des professions libérales ou à haut niveau de revenus et responsabilités. Cela représente une soixantaine de personnes, presque toutes dans des cours privés. Il y a des banquiers, des médecins, des avocats, des architectes, des patrons de boîtes. Même des gens inscrits au Rotary!» Le reste, ce sont des étudiants ou des gens qui veulent se former pour travailler dans la police ou la sécurité. «Ces gens viennent pour la confiance en soi, pour se booster, explique Vincent Barro. J’ai eu récemment un chef d’entreprise qui a pris dix cours pour retrouver la pêche.» Après tout, Pythagore a bien participé à des compétitions de pugilat lors de la 57e olympiade.


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Hommes

Le Temps l Samedi 31 octobre 2015

AUTOMNE-HIVER

À LA RECHERCHE DU MANTEAU DE PROUST Le pardessus, dans son acception classique, a refait son apparition sur les podiums. Certains évoquent le fameux manteau porté par l’auteur de «A la recherche du temps perdu». Par Antonio Nieto

I

VALERIO

Gucci l y a une vingtaine d’années que le tout-puissant loden vert et son succédané le bleu marine ont cessé d’être le manteau passe-partout de la gent masculine, remplacé par des vêtements polymorphes et sportifs réalisés dans des matériaux techniques. La moto ou la Vespa s’accommodent mal du port d’un manteau. La vie a une logique que la mode n’a pas. Cette année ont réapparu sur les podiums les manteaux, les vrais, déclinés sous de nombreuses formes classiques ou audacieuses dans des tissus qui sont souvent pure réminiscence de ces pardessus qui furent l’apothéose d’une garde-robe masculine pendant de longues années. Chaque créateur présente un modèle qui lui est propre: «croisé» comme chez Hermès, Raf Simons, Louis Vuitton, Dior, Gucci ou Etro; trois ou six boutons, ceinturé ou pas; dans des teintes sombres comme chez Dior, Saint Laurent, Berluti, Bottega Veneta ou Cerruti; «forme droite» longue ou courte, boutonnage caché ou visible, en poil de chameau, chez Carven, Giorgio Armani, Prada ou Fendi; en cachemire, en vigogne. Les cols varient: revers audacieusement larges et très échancrés chez Dolce & Gabbana, Ann Demeulemeester, Jil Sander, Versace; plus sobres ou invisibles chez Givenchy, Alexander McQueen, Wooyoungmi, Rick Owens ou Balenciaga.

HaiderAckermann

selon les habitudes de l’écrivain. Ce point était surprenant car, très tôt, il s’était inscrit dans le cercle des jeunes dandys distingués, connaisseur des bonnes adresses, sachant ce qui lui convenait, sans pour autant laisser suffisamment de traces pour signer de son nom sa façon de s’habiller, sauf pour «ce fameux manteau».

Rangé comme une relique

Etro Berluti

Une figure de style

Cette marée de pardessus rappelle une énigme qui a longtemps occupé les amateurs de Marcel Proust: un manteau. Pour ne pas dire «son manteau», celui qui pouvait se résumer à cette caricature si connue, faite en 1913 par Jean Cocteau, de l’écrivain qui, pour se protéger des frimas, portait une énorme pelisse, ses moustaches perdues dans un col de loutre, une bouteille d’Evian sortant d’une poche, en couverture du superbe livre de Lorenza Foscini, auteur de

Canali

MEZZAN

OTTI

Alexander McQueen

PHOTOS: DR / «LE MANTEAU DE PROUST» ÉD. PORTAPAROLE

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ce texte du même nom Le manteau de Proust. Pourquoi parle-t-on d’énigme? Parce que Proust et ce manteau ne faisaient qu’un, hiver comme été, sans que l’on puisse savoir si l’écrivain avait vraiment besoin d’être réchauffé ou si ce «lourd manteau» aux contours indéchiffrables n’était pas en lui-même une figure de style. «Son image apparaissait comme figée, embaumée dans ses années de jeunesse.

Ceux qui le rencontraient pour la première fois avaient l’impression de voir une apparition, un homme très pâle, ensaché dans une vieille pelisse bien que la nuit fût tiède», disait Paul Morand de son ami dans son ouvrage Le visiteur du soir (1949). Cela alors que nulle part il n’était vraiment fait de description précise de l’objet, en tout cas du temps de sa splendeur, ni signalé le nom du tailleur, que l’on peut supposer être un grand faiseur,

C’est là que Lorenza Foschini, journaliste italienne, proustienne dans l’âme, va démontrer avec maestria l’importance des détails dans l’identification de tel ou tel personnage, y compris «d’un vieux manteau décousu». Le manteau est décrit dans cet ouvrage tel qu’il existe aujourd’hui au Musée Carnavalet, trop abîmé pour être présenté au public, mais où il est précieusement rangé, comme une relique. L’objet devenu mythique a pris forme. Il s’agit d’une lourde pelisse qui serait d’un gris tourterelle. Couleur objectivement discutable, car si le manteau fut gris tourterelle à l’origine, teinte élégante entre un gris rosé et un gris sable bleuté, ce que Jean Paul et Raphaël Enthoven confirment dans leur dictionnaire Amoureux de Marcel Proust, aujourd’hui, il serait plutôt d’un noir délavé par le temps. Sa forme? Une pelisse, mais doublée de fourrure, croisée et fermée par un double boutonnage de trois boutons, du moins à l’origine. A l’examen minutieux par l’auteur de cette enquête, un fait apparaît: le manteau a été rétréci pour une personne plus mince. Les marques du «sacrilège» sont flagrantes : on voit encore les anciennes traces des premières séries de boutons. Le manteau avait donc vécu après Proust!

Dior Homme Ce que l’on a toujours su, c’est l’usage permanent, du moins à l’extérieur de ce manteau mythique. Ce que l’on savait moins, sauf les proches de l’écrivain, c’est que ce vêtement, qui avait dû être un pur manifeste de l’élégance du dandy que Proust était à sa manière, l’accompagnait chez lui quand, allongé sur son lit, dans sa chambre du boulevard Malesherbes, il écrivait avec fièvre A la Recherche du temps perdu emmitouflé dans cette pelisse qui lui servait également de couverture. Grâce à cette auscultation au Musée Carnavalet faite par Lorenza Foschini, ce vestige non seulement a pris forme et a dénoncé les ravages particuliers du temps et comme le souligne l’auteur «je ne parviens pas à me détacher de cette idole inerte et poignante. Le manteau gît maintenant ouvert, râpé et mangé par les mites.» Cet opuscule, qui aurait pu tout aussi bien s’intituler «A la recherche du manteau de Proust», s’est attiré la critique très élogieuse du biographe et critique littéraire Edmund White lors de l’émission Proust et les écrivains diffusée sur France Culture en 2013. «C’est exquis, délicat, fascinant. Je place Le manteau de Proust au même rang que Le bouton de Pouchkine de Serena Vitale ou Le Pendule de Foucault d’Umberto Eco.» Combien de créateurs, qui cette année ont travaillé sur le manteau dans ses différentes formes, ontils pensé au fameux manteau de Proust? Cela ne semble pas avoir été leur fil conducteur. Et pourtant, dans certaines collections, on retrouve l’idée de ce pardessus protecteur, dont Marcel Proust n’a jamais changé, au point d’aller, comme le souligne Lorenza Foschini, dîner au Ritz avec lui, «en son unique compagnie», l’élevant ainsi au rang d’alter ego. Lorenza Foschini, «Le manteau de Proust». Traduction de l’italien de Benoît Puttemans. Ed. Portaparole, 2008.



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N’oubliez pas que le regard qu’on porte sur vous est concentré verticalement du visage aux chaussures, en passant donc par la cravate.

Vous n’avez pas fait la Légion? Dommage. Séance de rattrapage et revue de détail de ces gestes de base qui signent un homme élégant.

Mauro de Luca chef de vente au Bongénie, à Genève

Par Pierre Chambonnet

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ous n’avez pas 25 ans de bons et loyaux services à la Légion étrangère? C’est regrettable, car vous auriez fière allure, à l’image de ces pionniers du 1er Régiment étranger d’Aubagne. Comme ces hommes – dont la devise «Honneur et Fidélité» pourrait inspirer nombre de gentlemen –, vous auriez vu du pays et sentiriez bon le sable chaud. Plus intéressant: vous maîtriseriez surtout les gestes de base qui signent un homme élégant. Oui, élégant. Passons en revue les sapeurs ci-contre. La barbe est nette, la chemise parfaitement repassée, la cravate bien choisie et ajustée, et les souliers (on le devine) maniaquement cirés. Problème: pour accéder à un tel savoir-faire via la Légion, il faut signer un contrat de cinq ans d’engagement au minimum. Pour tous ceux qui ne disposent pas d’autant de temps, nous sommes allés demander conseil à des professionnels. A vos carnets de note.

L’entretien des souliers

Julie, «bichonneuse» chez John Lobb à Paris http://www.johnlobb.com/fr/ «Souvent, j’entends dire: «Je vais cirer mes chaussures.» Or on ignore que l’on doit aussi et surtout les crémer. C’est le plus important, car la crème nourrissante pénètre à l’intérieur du cuir et le ravive en profondeur. Pour un soin standard, il faut donc de la crème et du cirage. Jamais de cirage seul, car les couches de cirage restent en surface, accumulées sur le dessus de la tige, c’est-à-dire la partie supérieure de la chaussure. Il faut retirer les lacets avant l’entretien et travailler avec les embauchoirs dans les chaussures. Il faut d’abord appliquer la crème, puis laisser reposer, le temps que le cuir se nourrisse. Une nuit, une heure au minimum. Quand la semelle est en cuir, on doit la nourrir aussi. Avec de la crème incolore, pour ne pas laisser de traces en marchant. On applique la crème directement, avec un chiffon doux, en coton. Il faut bien insister sur la trépointe, la partie qui relie la tige à la semelle. On peut s’aider pour cela d’une vieille brosse à dents. La crème incolore ne sert que pour les semelles et les trépointes. Il faut de la crème de la couleur du cuir pour la tige, car la crème incolore laisse des traces blanchâtres aux endroits où la chaussure plie. La couleur de la crème dépend du goût. Pour un simple entretien, il faut faire du ton sur ton. Si vous voulez donner du caractère vous montez des tons au-dessus, progressivement, en utilisant par exemple du marron foncé sur un cuir marron clair. Une fois la crème appliquée et le cuir reposé, on casse les traces avec une brosse dure en frottant énergiquement. La chaussure commence à briller, avant l’étape du cirage, qui ne concerne que la tige.

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JEAN-BAPTISTE DEGEZ - ED. NIMROD / WWW.JBDEGEZ.COM / STUDIO : +33 (0) 1 45 85 12 1 / CELL : +33 (0) 6 11 76 58 39

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Jean-Baptiste Degez «Légionnaires, portraits», Ed. Nimrod.

ECCE HOMO

LES VRAIS HOMMES On utilise de petites quantités de cirage et d’eau, en alternance, pour cristalliser le cirage et obtenir un glaçage. Pour un brillant comme un miroir, il faut cirer une première fois, laisser poser un quart d’heure, reprendre, puis laisser à nouveau poser le cirage. On applique plusieurs couches les unes au-dessus des autres. C’est difficile à obtenir, cela requiert beaucoup de pratique. On laisse ensuite sécher quelques heures ou mieux, une nuit, puis on passe une brosse douce. Il faut de temps en temps graisser ses chaussures, avec des produits à base de beurre de karité ou d’huile de pied de bœuf. On le sent à son pied, si le cuir est un peu raide. Quand on graisse la chaussure, on s’occupe bien évidemment aussi de la semelle et de la trépointe. La prévention est importante: bien penser à les graisser avant d’aller dans la pluie ou la neige… Pour des chaussures de ville standard qu’on met 2-3 jours par semaine (jamais deux jours de suite), on nourrit et cire ses chaussures en moyenne une fois par mois.»

L’entretien de la barbe

Alain, maître barbier à Paris http://www.alain-maitrebarbiercoiffeur.com/ «Avec le rasage «traditionnel», beaucoup d’hommes utilisent aujourd’hui les rasoirs de sûreté, de type «Gilette» ou autre. Les puristes utilisent eux le «coupechoux», le rasoir droit. Pour ce type de rasoir, il faut une initiation et il vaut mieux ne pas se lancer tout seul. Avant de parler de rasage, il faut d’abord parler de préparation au rasage. Il existe des produits pour cela, comme les huiles de rasage, qu’on utilise quand on a une pilosité pas trop importante, ou pour conserver le contour d’une barbe déjà tracée ou des moustaches. Pour un rasage complet, on utilise une huile et un savon (ou une crème). Grâce à l’huile de rasage, on obtient une hydratation beaucoup plus importante. On l’applique au blaireau, puis on ajoute soit de la crème à raser, soit du savon à raser. Eventuellement des gels, ou des mousses en aérosol.

Ensuite le rasage proprement dit: on rase donc, après avoir hydraté le poil. En deux temps. D’abord dans le sens de l’implantation du poil. Puis on savonne à nouveau et on rase dans le sens contraire de l’implantation du poil. Ensuite on rince le visage et on passe une pierre d’alun, qui calme le feu du rasoir et évite les rougeurs. On applique après une crème hydratante pour atténuer les effets d’irritation dus au passage de la lame, et le côté astringent de la pierre d’alun. On masse pour faire pénétrer la crème, et on applique au final un linge humide chaud sur le visage, pour dilater les pores et hydrater en profondeur les couches superficielles de l’épiderme. Dernière étape: on essuie son visage et on applique du talc officinal, pour adoucir la peau. Pour ce qui est du rasoir droit, le geste demande plus d’application et une initiation par un professionnel. Beaucoup de barbiers vendent du matériel de rasage et proposent des leçons. Quand on porte une barbe, on l’entretient soit avec une tondeuse et des sabots, soit avec un peigne et des ciseaux, quand sa longueur

dépasse 1 cm. Si la technique peigne-ciseaux vous fait peur, il faut aller chez un barbier. Les gestes étant inversés face au miroir, il y a tout une gestuelle à trouver. Pour contrebalancer la difficulté, on utilise un miroir à trois faces, pour voir son visage sous différents angles. Pour le tracé de la barbe, il existe des règles qui correspondent aux différentes morphologies, à la densité de la pilosité et aux différences de couleurs de poil d’une même barbe. Là où la barbe est plus foncée et plus fournie qu’ailleurs, on fera plus court. On triche en jouant sur les épaisseurs. Et il faut des zones claires et dégagées, par exemple au niveau de la bouche, pour ne pas noyer le visage sous la barbe. La première des choses à faire est d’aller voir un barbier, qui est aussi visagiste, pour se faire tracer la barbe et ensuite suivre le tracé chez soi. Quand on finit par perdre le tracé, il faut retourner chez le barbier. Enfin, quand on porte la barbe et que cette dernière est raide, il faut utiliser des produits de lissage après la taille, pour hydrater le poil.»

Le choix de la cravate

Mauro de Luca, chef de vente au Bongénie à Genève http://www.bongenie-grieder.ch/fr/ «N’oubliez pas que le regard qu’on porte sur vous est concentré verticalement du visage aux chaussures, en passant donc par la cravate. Avec la chemise, c’est l’élément essentiel à changer pour ne pas donner l’impression d’être toujours habillé de la même manière. Aujourd’hui, la règle pour les jeunes est de porter des cravates dont la largeur est comprise entre 6 et 8 cm. On observe cependant un retour au goût des années 5060 et on voit de plus en plus de cravates étroites et droites. Pour une cravate «classique», on choisira une largeur standard de 9 cm. La cravate doit avant tout être adaptée au costume que l’on porte: c’est-à-dire que sa largeur doit être à peu près la même que celle des revers de la veste. Pour ce qui est de la longueur, une fois nouée autour du cou, les deux pointes doivent se rejoindre au niveau supérieur de la ceinture. Une cravate normale

mesure entre 1,47 m et 1,50 m. Si l’on est de petite ou de grande taille, il est préférable de recourir au sur-mesure. On devrait théoriquement glisser la partie arrière de la cravate dans l’étiquette pour avoir un résultat plus propre. La pince à cravate est à éviter. Elle n’est justifiée que pour certaines professions, comme les serveurs par exemple, pour ne pas être gêné par sa cravate. On la porte pour une raison technique. En ce qui concerne la couleur, dans le cas d’un costume sombre porté avec une chemise blanche, la tendance est depuis deux ou trois ans à la cravate unie. Il faut avoir à l’esprit qu’en privilégiant les tons unis, on ne court pas de gros risque de se tromper. La règle est de tenir compte du ton du costume. La cravate doit être coordonnée. Mais il faut du contraste: avec un costume sombre, on porte une cravate plus claire, pour qu’elle ressorte. Et vice-versa. Il faut à tout prix éviter de porter une cravate de la même couleur que sa chemise. Pour ce qui est des motifs, on peut porter des cravates à micro-dessins. C’est une tendance qui revient aujourd’hui. Pas de motifs extravagants! Uniquement des motifs discrets, ou des rayures (les cravates régimentaires). Si l’on porte ce type de cravate sur une chemise à fines rayures, celles de la cravate doivent être un peu plus larges. Il est bien d’avoir au moins cinq cravates différentes, qui s’adaptent à tous les costumes de base, à savoir noir, gris et bleu foncé. Si on veut porter une pochette, pour ne pas prendre de risque, le plus simple est le blanc. Quoi qu’il arrive, il est préférable que la pochette ne soit pas assortie à la cravate. Concernant la façon de l’attacher: j’aime personnellement le double nœud, car il ne bouge pas, contrairement au nœud simple qui a tendance à glisser et se défaire. Mais à ce chapitre, l’idée générale est d’avoir un nœud proportionné, c’est-à-dire étroit dans un col étroit et plus large dans un col plus ouvert. Enfin, pour conserver une cravate, que l’on ne doit jamais porter plus de deux ou trois jours, il faut la rouler une fois détachée le soir. La laisser roulée dans une boîte une nuit au moins le temps que la soie reprenne sa forme. Ensuite, on la pendra à un cintre pour la conserver.»

L’entretien de la chemise

Marie-José Rodriguez, responsable de la lingerie du Beau-Rivage Palace à Lausanne http://www.brp.ch/fr/accueil.html «Quand on assure l’entretien de ses chemises soi-même, voici quelques conseils d’abord pour le lavage. S’il y a des taches, il faut utiliser des détachants avant le lavage. D’abord mouiller à l’endroit de la tache, puis appliquer le produit. Laisser agir puis mouiller à nouveau, puis sécher. Il ne faut pas mettre la chemise dans la machine mouillée, car cela l’abîmerait.

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On utilise ensuite un blanchisseur, sous forme de détachant concentré. On le pulvérise avant le lavage à proprement parler sur les cols et les poignets, qui se salissent le plus. Cela donnera un résultat impeccable. Il est très important d’utiliser le savon en petite quantité. On pense souvent à tort qu’en mettant beaucoup de savon, les chemises seront plus propres. Or c’est précisément le contraire. Si l’on en met trop (en poudre ou liquide), cela fera de la mousse, mais ça ne lavera pas. En plus, le linge se rincera mal et sortira de la machine collant. Pour une machine standard remplie, pour le lavage et le prélavage, 100 ml au maximum, soit l’équivalent d’un bouchon. Même chose avec les adoucissants: en petite quantité! On peut laver ses chemises mélangées au reste du linge. L’important est de respecter les couleurs et les températures.

On peut aussi ajouter de l’amidon dans la machine, toujours en petite quantité, sans quoi les chemises sortiront comme du carton. En ce qui concerne le repassage, je recommande de sortir les chemises du sèche-linge encore un peu humides. Si elles sont sèches, ce sera très difficile de les repasser, même en utilisant la vapeur du fer. Il faut alors les humidifier à nouveau avec une éponge. En fonction du pourcentage de coton et du type de coton, certaines chemises se repassent plus facilement que d’autres. Si l’on n’est pas un expert du repassage, je conseille de privilégier les chemises avec le moins de coutures possible. Au fer, on commence toujours par le col. On repasse le côté visible, jamais l’intérieur, pour ne pas faire de marques de plis. Ensuite, on repasse les épaules, puis les poignets, les manches. Enfin le reste de la chemise. On choisit

pour repasser toujours le côté qui sera visible, pour toutes les parties de la chemise. Si on fait un pli, pour l’enlever, on applique une éponge avec de l’eau, pour remouiller le tissu. La vapeur du fer ne suffit pas toujours. Mieux vaut éviter le vaporisateur, qui peut laisser des tâches jaunes. Si le fer est équipé d’une semelle, on repasse directement par-dessus les boutons. Pas besoin de slalomer autour. Une fois que la chemise est boutonnée, on retourne le col. Les chemises en lin se repassent aussi. Il faut en revanche les laisser sécher à l’air libre. Si on les met au séchoir, elles sont impossibles à récupérer. Le secret d’un repassage réussi consiste à tendre d’une main le tissu, pendant qu’on appuie fort avec le fer de l’autre. On passe une seule fois à chaque endroit.»

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PORTFOLIO

TRIBUS DE PANAME

Réalisation, photographies et stylisme: Buonomo & Cometti

Au Café Noir: Jules (à g.) porte un spencer en laine, une chemise en coton, un jean en coton noir et des boots en cuir noir. Tom, @ 16MEN (à dr.), porte une veste en tweed de laine entièrement rebrodée, un pull en laine noir, un jean en coton noir et des boots en cuir noir. Le tout de la collection prêtà-porter automne-hiver 2015-2016 Saint Laurent par Hedi Slimane.

Emmanuel (à g.) porte un costume impressions «Nemeth» et un sac à dos Monogram Slate, Evane (milieu) un pull en laine impressions «Nemeth» et un pantalon noir en laine. John (à dr.) porte un manteau en laine impressions «Nemeth» et un pantalon en laine gris. Le tout de la collection prêt-à-porter automne-hiver 2015-2016 Louis Vuitton.

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Lucas, @ Bananas (à g.), porte un manteau en laine imprimé «carpet», une chemise et un pantalon en flanelle de laine, tous deux imprimés «carpet». Alexis, @ Management (milieu), porte une chemise polo en coton imprimé «carpet», pantalon en laine noir et boots en cuir. Victor, @ Elite (à dr.), une chemise en coton à imprimé kilt et un pantalon en laine à imprimé «carpet». Le tout de la collection prêt-à-porter automne-hiver 2015-2016 Givenchy by Riccardo Tisci.

Jonathan, @ Elite (à g.), porte un costume en laine bleu nuit, un pantalon à bande de satin noir, une chemise en coton noir et bleu et des chaussures en cuir noir, le tout de la collection prêt-à-porter automne-hiver 2015-2016 Hermès. Chapeau Borsalino, bijoux Giles & Brother. Quentin, @ Elite (à dr.), porte un costume en laine couleur crème et des chaussures en cuir noir, le tout de la collection prêtà-porter automne-hiver 2015-2016 Dries Van Noten. Chapeau Borsalino, bijoux Giles & Brother.

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Chez Blend: Isti,@ Elite (à g.), porte un débardeur en laine et lurex, un pantalon bicolore en cuir brun et noir et des boots en cuir noir, le tout de la collection prêt-à-porter automne-hiver 2015-2016 Maison Margiela. Harrison, @ Elite (à dr.), porte une veste-chemise en cuir et daim, une chemise en coton et un pantalon en prince-de-galles, le tout de la collection prêt-à-porter automne-hiver 2015-2016 Lanvin.

Victor, @ Bananas (à g.), Leo (milieu), et Ggleb, @ Bananas (à dr.), portent chacun un smoking en grain de poudre noir, une chemise blanche en coton et des derbys en cuir noir, le tout de la collection prêt-à-porter automne-hiver 2015-2016 Dior Homme.

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MÉCANIQUES

LES GARS DE LA MARINE La renaissance du nom Ferdinand Berthoud, célèbre horloger du XVIIIe siècle, permet de faire un tour d’horizon des maisons ayant un lien historique avec l’horlogerie de marine. Par Vincent Daveau

L

a relance en septembre à Paris de la «Chronométrie Ferdinand Berthoud» par Karl-Friedrich Scheufele, le coprésident de Chopard, a permis aux amateurs d’histoire horlogère et de belle mécanique de plonger au cœur du siècle des Lumières. Cette immersion a été rendue possible grâce à la présentation d’une montre-bracelet contemporaine éditée à 100 exemplaires qui, dotée d’un mécanisme évoquant ceux de ce maître né en 1727 dans le Val-de-Travers, a agi comme une machine à remonter le temps. Cette étonnante pièce, inspirée par les travaux de ce brillant horloger ayant fait toute sa carrière à Paris, est régulée par un tourbillon et animée par un complexe système communément appelé «chaîne-fusée», identique en tout point à celui que l’on trouvait dans les garde-temps d’époque. Magnifique de modernité exprimée dans le respect des traditions, cette référence d’un nouveau genre rend hommage au génie d’un maître de la précision ultime. Mais ce travail contemporain, en projetant l’amateur dans le passé, lui fera découvrir que Ferdinand Berthoud n’était pas le seul artisan de talent à œuvrer dans le secteur de ce que l’on appelle communément la haute chronométrie; un terme pour évoquer le domaine où les artisans se consacraient à la fabrication d’instruments de mesure du temps ultra-précis, dédiés à l’exploration ou au calcul de la position d’un navire en mer.

Chronométrie Ferdinand Berthoud FB1 Boîtier or rose et céramique noire de 44 mm. Calibre manuel à chaîne-fusée et tourbillon. Edition de 100 pièces. Arnold & Son Sir John Franklin Montre en or rose de 44 mm avec cadran peint à la main. 28 sets de 3 montres. L. Leroy Marine Chronomètre de Pont Boîtier en or rose de 43 mm, calibre automatique. Certificat d’observatoire de Besançon. Breguet Marine Chronographe 5823 «200 ans de Marine» Boîtier en platine de 42 mm, calibre de chronographe à remontage automatique. Editée à 200 exemplaires. Ulysse Nardin Marine Perpetual Boîtier en acier revêtu de caoutchouc de 45,8 mm. Lunette céramique sertie. Calibre automatique. Série de 99 exemplaires. Thomas Mercer Observatory Marine Chronometer Mouvement à remontage manuel régulé par un tourbillon. Boîtier bois, métal, glaces. Affichage des informations calendaires.

PHOTOS: DR

FARTI

Une rapide lecture d’ouvrages relatant l’histoire de cette discipline permet de découvrir qu’un certain nombre de maisons, aujourd’hui toujours en activité ou ayant été ranimées ces dernières années, avaient gravité dans le même univers. Et qu’elles pouvaient, comme la maison Ferdinand Berthoud, revendiquer d’avoir participé à la mise au point des chronomètres de marine et, pour la plupart d’avoir porté, à un moment ou à un autre, le titre envié d’horloger de la marine. Des horlogers du siècle des Lumières, contemporains de ce maître et ayant apporté leur contribution à la mise au point des premiers chronomètres de marine, on peut citer les noms de George Graham, de Larcum Kendall, de John Arnold et d’Abraham-Louis Breguet. Ces artisans doués, dont les ateliers sont devenus pour certains des manufactures puissantes, ont joué un rôle, parfois déterminant, dans l’histoire de la chronométrie de marine. Ainsi, la maison Larcum Kendall, présente pour la première fois à Baselworld 2015, peut prétendre porter le titre de chronométrier et d’horloger de

Ecrire le présent au passé composé

RA TOG FO

Partager une histoire commune

ture portant son nom entretient la mémoire du maître en proposant à son catalogue des montres-bracelets inspirées de chronomètres de marine produits par ses soins, dans le courant du XIXe siècle. A la même époque, la société fondée par Ferdinand Berthoud, reprise par son neveu Charles-Auguste Berthoud (1798-1876) – le premier n’ayant pas eu d’enfants –, s’est retrouvée en concurrence avec la maison française L. Leroy qui remportait, en 1835, le titre d’horloger du Ministère de la marine. Cette société, toujours en activité et aujourd’hui basée en Suisse, a équipé jusque dans les années 1980 la marine française civile et militaire en instruments de tous types. Fière de son patrimoine, elle possède à son catalogue une collection de montres «Marine» aux lignes dictées par celles du passé. On notera par ailleurs que la maison Thomas Mercer, fondée à Londres en 1858 et spécialisée dans la fabrication de garde-temps de précision, a été relancée dans le courant de l’année 2012, en Suisse, pour produire des pendules de table dans l’esprit des chronomètres de marine d’antan.

la marine. En effet, cet artiste anglais réalisait en 1769 la montre K1, la fidèle reproduction de la montre de marine baptisée H4 (1765), créée par John Harrison et commandée par le Bureau des Longitudes. Cet instrument devait accompagner le capitaine Cook, durant son voyage d’exploration, comme l’accompagnaient également, par sécurité, d’autres horloges marines de la création de John Arnold (1736-1799). Ce dernier, brillant horloger anglais, réputé pour sa contribution dans la fiabilisation des mécanismes de chronomètres embarqués en mer, a sans doute croisé Ferdinand Berthoud lorsqu’il se rendait en Angleterre en 1763, diligenté par le roi de France pour connaître l’avancée des Anglais en matière de chronométrie de marine.

Inscrire ses racines avec précision

Il semblerait même que le passage à Londres de cet horloger d’origine suisse, faisant un peu d’espionnage pour le compte de la France, ait incité John Arnold à se lancer, dès 1766, dans la production de chronomètres de marine. Aujourd’hui, la maison Arnold & Son basée en Suisse, se réclame de John Arnold et ses créations contemporaines évoquent, elles aussi, les œuvres historiques de ce précurseur. Soit dit en passant, dans ce monde où tout est imbriqué, John Arnold était lié d’amitié avec Abraham-Louis Breguet qui, sur Paris, devait remplacer Ferdinand Berthoud comme horloger de la marine après son décès le 20 juin 1807. Evidemment, la contribution de Breguet a été essentielle dans le secteur, et la manufac-

Concurrentes dans le passé, toutes ces entreprises le sont encore aujourd’hui car, même si les produits proposés ne sont pas fondamentalement identiques, leur approche dans le mode de construction où chacun mélange tradition et modernité pour toucher une clientèle en quête d’authenticité et d’originalité, finit par trahir une vraie envie. Celle de séduire des clients susceptibles de dépenser beaucoup pour obtenir des garde-temps contemporains dont la mécanique est directement influencée par celles de références ayant contribué à écrire quelquesunes des plus belles pages de l’histoire de l’horlogerie. Le lancement de Chronométrie Ferdinand Berthoud par Karl-Friedrich Scheufele, associé à la présentation d’une montre inspirée des pièces historiques de Berthoud dont une partie sont sa propriété, n’a rien d’innocent. Assurément, cette montre au design puissant s’inscrit dans une logique de conquête d’un marché potentiellement porteur. Travaillée avec soin et animée par un calibre mû par un mécanisme à force constante dit à «chaîne-fusée» au régulateur à tourbillon, elle devrait réveiller les envies des collectionneurs. Elle fera de toute façon réagir tous ces acteurs déjà présents qui, à l’instar d’Ulysse Nardin, maison fondée en 1846 au Locle et récemment rachetée par le groupe Kering, peuvent revendiquer un glorieux passé d’horlogers de marine. Gageons que toutes les entités ayant des droits légitimes sur ce titre réagiront prochainement en mettant au point des créations dignes d’intérêt et surtout capables comme celle de Chronométrie Ferdinand Berthoud, de transformer l’histoire en mouvement.


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ALEX MAJOLI / MAGNUM PHOTOS

Le Temps l Samedi 31 octobre 2015

L’AMUUUR!

I

l s’agit d’une liste de préceptes. Echafaudés au sein des feuillets d’un parchemin ou encore d’une vidéo sur le Web, ils se déclinent dans le langage le plus soigné jusqu’au jargon le plus cru. Leçons protéiformes, les modalités pour apprendre à bien séduire se démultiplient à l’envi: Internet, DVD, papier ou séances privées (pour garder dans l’intimité les faiblesses inavouables), mais aussi séminaires, ateliers de groupe ou camps d’entraînement in vivo (pour vous convaincre qu’à ramer, vous n’êtes pas le seul matelot). Peu importe leur format, le prix à la clé est le même depuis vingt siècles: obtenir les faveurs de n’importe quelle femme. Entre mystification et envie d’y croire, retour alors sur les bancs d’une école un peu particulière…

Des ambitions laborieuses

Qui lira L’Art d’aimer verra que ces techniques ne datent pas de la veille. Au seuil du premier millénaire, Ovide les promettait déjà à un succès sulfureux. En expert auto-déclaré, il est de ceux qui avaient compris (contrairement au poète Martial*) qu’il ne suffisait pas d’aimer pour être aimé. Mais qu’il fallait s’éreinter davantage, et que si tous les chemins mènent à Rome, seuls les plus escarpés mènent aux Romaines. Car si au fond le schéma varie peu (choisir-conquérir-maintenir), les manières d’y arriver, elles, augmentent vertigineusement. Parce que «vous trouverez mille âmes diverses […] employez mille moyens». Et malheur à celui qui croit encore que l’art du langage suffit: parfaire sa rhétorique, sa confiance de soi, son apparence, sa gestuelle, ou sa rédaction, ne sont que les rudiments d’un

AINSI TU SÉDUIRAS Depuis deux mille ans, les spécialistes dispensent aux hommes les règles de la bonne séduction. Du fantasme à l’essor scientifique, parcours d’un art qui ne cesse de charmer. Par Fabio Gaffo programme tentaculaire, qui a surpassé le développement personnel. Travailler l’approche, maîtriser ses émotions, prévoir les attentes, savoir se détacher, réagir à l’embarras, anticiper les crises… véritable avatar d’une école militaire, «la nuit, l’hiver, de longues routes, de cruels chemins, toutes les épreuves, voilà ce qu’on endure dans ce camp du plaisir». Passant par monts et par vaux, les voies de la séduction avaient tôt fait d’abandonner l’allure du chemin de traverse, pour prendre celle du chemin de croix.

Une œuvre d’art totale

Prises dans le tourbillon du processus de séduction, les nouvelles technologies ont, elles aussi, réadapté le contenu de ces leçons, ne laissant plus rien au hasard: on nous apprend à formuler le premier SMS, à tonifier son profil en ligne, à poster une photo attractive (aussi naturelle «que dans la vraie vie», rassure la Smart Dating Academy de Chicago). Pour rendre la discipline encore plus pointue, de nouvelles stratégies sont mises en place selon des critères hautement spécifiques: si à Paris un programme spécial enseigne à reconquérir un ex (loveisinparis.com, parmi d’autres), aux Etats-Unis et en Australie des formules sont conçues pour séduire une veuve (aprilbraswell.

com) ou une jeune Russe exclusivement riche (socialcoach.com). Plus algébrique encore: auprès de Nicolas Dolteau, on ira jusqu’à maîtriser la juste durée d’un rendez-vous; mais aussi, grâce à coach Mystery, à définir le laps de secondes maximal entre le contact visuel et l’abordage… Dans une surenchère de calculs, et sous couvert de ne négliger aucun homme – de plus en plus pris en charge par la cristallisation de codes de conduite additifs –, on ne pardonnera rien à l’aspirant séducteur. Piégé par les instruments qui l’entourent et les envies qui le transportent, tout se passe comme si chaque intention et attention méritait des formations ad hoc. A la fois confectionnées à l’image de l’Homme et à l’image du particulier.

Surveiller et réunir

Mais quels détours ont suivi cet art de séduire et ses formateurs? Si l’offre de cours est riche, le curriculum du corps enseignant l’est tout autant. D’Ovide à Choderlos de Laclos, en passant par Casanova, niveau qualifications, il fallait autrefois se résigner à les croire sur parole. Prétendument fins connaisseurs du beau sexe, leur conscience encore un peu ankylosée des catégories sentait toujours la vieille théorie des humeurs, mise en place par Hippocrate et Galien.

Un demi-siècle plus tard, Søren Kierkegaard n’était sûrement pas plus versé dans le coaching, mais l’univers introspectif qui s’ouvrait dans son Journal du séducteur (1843) autorisait soudain le sujet à une intellectualisation inédite, sur laquelle la psychanalyse allait pouvoir se greffer et devant laquelle l’ignorance attribuée aux messieurs ne pouvait que s’agenouiller. En effet, après les travaux de Jung au début du XXe – complétés par Briggs Myers dès les années 60 – la catégorisation gréco-romaine des humeurs prenait un nouveau tour. La quête de l’autre devenait d’autant plus alléchante qu’elle se corsait, s’inscrivant dans un système combinatoire. Répartie sur quatre types de personnalité à deux pôles, l’espèce humaine pouvait être circonscrite sans distinctions: lui et elle, hier et demain, ici et ailleurs. C’est sur cette géographie abolie et ce charme tout-puissant («n’hésite pas à espérer triompher de toutes les femmes», rappelait Ovide) que reposent la plupart des méthodes. Aujourd’hui, ces maîtres garantissent leur aptitude à enseigner grâce à leurs diplômes. Si certains arborent le titre de psychologue, sociologue, coach professionnel ou éducateur, d’autres sont financiers, consultants en image, journalistes, pères de famille ou vagues auteurs. Formés pour

beaucoup à l’école de la vie, il faudra encore croire sur parole bon nombre d’entre eux. Et s’en remettre à l’idée qu’ils savent mieux que vous ne savez. Ce pourquoi vous n’en saurez peut-être jamais assez. Toutefois, les dispositifs pour ne pas vous laisser en marge de ces merveilleuses découvertes débordent. Les experts partent en tournée: ils donnent des conférences, publient le calendrier de leurs étapes migratoires, le cas échéant, diffusent leurs conseils sur la Toile, images à l’appui. Véritable croisade, leurs tours de magie se produisent désormais sur la scène mondiale de la sexualité mâle. Placés sous haute surveillance, les rouages de la séduction sont disséqués, puis offerts à tous les séducteurs latents, potentiellement prêts à la métamorphose. Et même si chacune de ces stratégies jure de ne rien sacrifier à la personnalité, force est de constater que dans la prolifération infinie des marches à suivre, on en ressortira tous un peu bouleversés. Au terme de son ouvrage, Ovide brouillait d’ailleurs les cartes dans un ultime coup de théâtre. Après avoir enseigné aux hommes les techniques pour séduire, il apprenait soudain aux femmes comment s’en prémunir. Qui lira L’Art d’aimer verra que ces techniques baignaient déjà dans une ironie malaisée. Non pas l’ironie d’un expert qui tournait sa veste au dernier moment. Mais celle d’un expert qui reconnaissait déjà une part d’insaisissable, propre à la spéculation. Et que développer les outils pour que les hommes content fleurette, là était le vrai marché florissant. *«Si tu veux être aimé, aime.»

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Hommes

Le Temps l Samedi 31 octobre 2015

INTERVIEW SECRÈTE

SÉBASTIEN TELLIER

qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant?

C

e jour-là, j’avais rendez-vous avec un géant. Dans tous les sens du terme. Le compositeur-musicien-chanteur-acteur, personnage sublime à l’allure rabelaisienne qui serait doté de la délicatesse d’une libellule, était membre du jury lors du dernier Festival de Hyères. Rencontre dans un jardin abandonné. Quel était votre plus beau rêve d’enfant? Sébastien Tellier: Mon premier rêve, c’était d’être batteur. Le rapport humain/batterie, je le ressentais comme quelque chose de très animal. Mes parents avaient un ami gardien de châteaux, qui jouait de la batterie. Quand il changeait de château, il installait sa batterie au milieu de la plus grande pièce. A chaque fois que mes parents allaient le voir, je jouais de la batterie. Ça résonnait. j’avais un son un peu à la Led Zeppelin, surpuissant. C’était ça mon premier grand rêve, jouer de la batterie, même pas dans un groupe, juste jouer. L’avez-vous réalisé? A Noël, j’avais 9 ans, je suis descendu dans le salon de mes parents et là, au pied du sapin, il y avait une batterie. J’en ai profité pleinement. Mes voisins devenaient fous. Quel métier vouliez-vous faire une fois devenu grand? J’aurais adoré travailler sur une plateforme de forage, un truc hyper-isolé, un milieu un peu rude. J’aime bien la sensation de devoir se confronter aux éléments – le froid, le vent, la pluie – et quand on a fini, on rentre dans sa petite chambre, on boit un petit café et on lit un magazine. Sinon, j’ai travaillé dans la construction. Avant de devenir musicien, j’ai fait un tas de petits boulots, même ouvrier sur le Stade de France. J’adore les chantiers, les grues, les gros camions avec les grosses roues. J’aime bien tout ce qui est gigantesque. L’architecture, ça m’aurait beaucoup plu aussi, mais pour construire des cathédrales, pas des pavillons de banlieue. Quel était votre jouet préféré? J’adorais les Bidibules! Parce que tu as beau les pousser, ils se remettent toujours droit… Les avez-vous gardés? Le seul jouet d’enfance que j’ai encore, c’est un Casimir en caoutchouc. Je ne sais pas si mes parents ont jeté tout le reste. Le côté fétichiste, je n’aime pas ça. Déjà, je suis mal à l’aise avec le passé. Je viens d’avoir 40 ans: si j’avais encore avec moi des jouets d’enfance, je me sentirais mal. A quel jeu jouiez-vous à la récréation? Je n’étais pas très à l’aise à la récréation. J’étais dans une école où ils permettaient d’avoir des jeux électroniques, petits comme un téléphone portable. Il y avait Snoopy fait du tennis, Donkey Kong, que j’adorais! Je détestais le foot, je n’aimais pas la marelle, ni 1-2-3 Soleil. La cour de récréation, c’est vraiment l’espace du jeu ou du sport collectif, mais je n’ai jamais été très collectif. C’est pour ça que

Dans chaque numéro, Isabelle Cerboneschi demande à une personnalité de lui parler de l’enfant qu’elle a été et de ses rêves. Une manière de mieux comprendre l’adulte qu’il ou elle est devenu(e). Plongée dans le monde de l’imaginaire. J’en ai fait beaucoup, mais ce que j’ai fait le plus, c’est des poissons d’avril, même si ce n’était pas le 1er avril. J’ai toujours un peu persécuté les autres élèves. C’est abominable à dire maintenant. Il faut dire que j’ai toujours été grand pour mon âge. J’étais plus fort que les autres, hyper-carré d’épaules et j’aimais bien faire n’importe quoi. J’ai eu très tôt la moustache et donc j’allais dans les classes des plus petits, je me faisais passer pour le nouveau professeur, j’écrivais n’importe quoi au tableau, je dessinais des bites, des culs…

MATHIEU ZAZZO / PASCO

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je ne fais pas de musique dans un groupe. Donc j’étais seul, quoi! Grimpiez-vous dans les arbres ? J’adorais! J’étais fasciné par les lianes. Le côté Tarzan. J’accrochais des cordes à des branches. Les arbres me fascinent encore. On se sent protégé quand on est en haut. C’est dur d’escalader, mais une fois qu’on y est, on est bien. Quelle était la couleur de votre premier vélo ? Jaune. C’était un Gitane et j’étais très mécontent parce que j’ai eu ce premier vélo alors que la mode du bicross commençait à émerger. Avec le bicross on pouvait sauter des bosses, aller dans les bois… Mais moi, mes parents m’avaient offert un vélo de course. Ça faisait ringard. Il avait un côté Tour de France abominable! Mais bon, il était jaune, un beau Gitane jaune. Quel super-héros rêviez-vous de devenir? Superman! Ça m’a toujours beaucoup plu, le côté «tu te changes en cachette». Et puis aussi le fait de paraître normal aux yeux des autres et savoir en secret qu’en fait on est quelqu’un de très spécial. Et puis aussi pouvoir porter des bus dans le ciel, ce genre de trucs. Tu peux t’envoler quand tu le souhaites d’un claquement de doigts et hop. Mais il avait quand même sa faiblesse, Superman, la kryptonite ou je ne sais quoi, un talon d’Achille. De quels super-pouvoirs vouliez-vous être doté? Ben justement, voler! Encore aujourd’hui, je fais beaucoup de rêves où je vole: ça se passe dans des hangars, je suis avec des gens, c’est un cocktail et puis tout d’un coup, j’arrive à m’envoler un petit peu. Tout le monde dit: «Mais non, c’est pas possible!» Et je vais de plus en plus haut et quand je

suis à 10-20 mètres de hauteur, les gens se disent: «Mais putain, il arrive à faire ça!» En fait c’est un rêve récurrent. Rêviez-vous en couleur ou en noir et blanc? Je crois que j’ai toujours rêvé en couleur. J’aime bien la couleur en général. Je ne sais pas comment le cerveau fait pour imaginer toutes ces précisions. Les rêves sont tellement précis. Les ambiances sont tellement concrètes. Rêver la nuit, c’est comme vivre dans un monde parallèle. Quel était votre livre préféré? Vers 10 ans, j’adorais le Petit Prince. Mais tout petit, mes meilleurs souvenirs, c’est le Petit Poucet. J’avais aussi un livre que me lisait souvent ma cousine: Souricette. C’était une souris – bien avant Ratatouille – qui rêvait de faire de la cuisine et qui tombait dans la marmite. Et c’était toute une histoire pour la sauver. Les avez-vous relus depuis? J’ai relu le Petit Prince parce que j’ai fait une cure de désintox il n’y a pas très longtemps et juste avant, j’étais dans la propriété des Saint-Exupéry. Je n’avais pas la chambre où est né le Petit Prince mais celle d’à côté. Je trouvais amusant de lire un livre là où il avait été écrit. Le ton est parfait parce que c’est la simplicité au service de quelque chose de complexe. Le doux paradoxe: aimer la légèreté comme la profondeur. Quel goût avait votre enfance? Relativement amer. Je n’ai pas trouvé l’enfance si géniale que ça. Je me suis retrouvé assez seul. Je m’amuse beaucoup plus en tant qu’adulte. Je trouve que l’enfance c’est ennuyeux et c’est fait de corvées: il faut porter un cartable lourd, il y a l’école… Je détestais faire mes devoirs, je détestais l’école en général. J’étais dans

des écoles hyper-catholiques, hyper-strictes. Je n’aimais pas le sport non plus. Mais j’ai de beaux souvenirs, des paysages, mon premier voyage à New York avec mes parents, par exemple. Je me souviens, il neigeait, c’était hyper-beau et à l’époque, à New York, il y avait le plus grand magasin de jouets du monde, avec un train électrique suspendu au plafond. Si elle avait un parfum, ce serait? Je dirais le chocolat, quand même. J’adorais le chocolat… J’adore toujours le chocolat. Les petites barres Milka qu’on fourrait dans des petits pains au lait, ça me plaisait. Et les Kinder Surprise! Ça, c’était génial. Bon, OK, c’était une surprise pourrie, mais une surprise quand même. Pendant les grandes vacances, vous alliez voir la mer? Alors malheureusement, je viens du Nord de la France, donc mes vacances c’était à Calais. Ce n’était pas vraiment… Mais en même temps, les frites étaient excellentes! Il y avait la fête foraine. La mer était très polluée, mais il y avait des grosses vagues parce que les ferrys qui vont de Calais à Douvres passent très près de la plage et ça crée des vagues énormes. J’aime beaucoup ces villes qui ont été – c’est triste pourtant – détruites par la guerre et qu’il a fallu reconstruire à la va-vite. C’est une architecture hyper-simplifiée, il n’y a pas de corniches, pas de balcons, ça me plaît. Et puis il y a la Côte d’Opale à Calais: des plages immenses, très longues, très larges, les falaises. Et quand il fait beau, on voit l’Angleterre qui est juste à 30 km. Donc on est là, on tend un peu la tête, on lève un peu le menton et au loin, il y a l’Angleterre. Ça me faisait rêver. Savez-vous faire des avions en papier?

Aviez-vous peur du noir? Non, le noir ça m’a toujours rassuré, je me suis toujours senti enveloppé par le noir. J’ai beaucoup plus peur de la lumière. Dans les annonces immobilières, on écrit toujours «plein sud», «plein ouest» pour faire envie. Mais moi, j’aime bien être à l’ombre et regarder le soleil qui tape sur autre chose. Vous souvenez-vous du prénom de votre premier amour? Maya. Elle venait de Turquie mais habitait à Genève. J’avais 14 ans. C’est la première fois que je suis tombé amoureux. Quand on est adolescent, on est amoureux fou, sans aucune retenue, un truc complètement dévoué. Elle aurait pu faire n’importe quoi, me couper une jambe, je l’aurais aimée quand même. Après on s’est perdus de vue. Elle est loin de mon cœur maintenant, évidemment. Et de l’enfant que vous avez été? J’ai l’impression que j’étais un enfant un peu bizarre. Je n’étais pas plein de vie, j’adorais rester allongé dans mon lit, je n’aimais pas beaucoup sortir, j’aimais bien m’enfermer dans des cartons, je passais beaucoup de temps dans le placard aussi. La musique, c’est une suite logique de tout ça: c’est rester enfermé dans un studio, bien protégé du monde extérieur. J’ai toujours été très solitaire, mais avec beaucoup de rêves. Seul dans une petite pièce, mais avec un univers immense à disposition dans ma tête. Est-ce que cet enfant vous accompagne encore? Oui, mais c’est un vrai problème, j’en parle beaucoup à mon psychiatre. Je n’arrive pas à devenir adulte. Je suis un enfant qu’on a mis dans un corps d’adulte. Mais c’est une qualité quand on fait de la musique, parce qu’il faut continuer à rêver, à être émerveillé. Votre quête ultime, ce serait une suite d’accords parfaits? Ma quête ultime, c’est le confort! C’est-à-dire un accord confortable, mais aussi un canapé, une moquette, des vêtements confortables. J’ai envie de me sentir bien.




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