SUPERNATURE anthologie de la scène pastorale
VOLUME VI
berger et troupeau avec voyageurs dans des ruines antiques la série d’éditions supernature se concentre sur une étude contemporaine des thèmes de la scène pastorale, sa tradition, son éthique, son esthétique. contributions par chloé cappelli fanny garcia sylvain kln garcia
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commissionné par
LE VILAIN collectif artistique, le vilain se construit au sein du contexte rural de son lieu de création, le pays foyen, aquitaine, france. publié par
NŒUD ÉDITION
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jean-pierre dall’anese, loubès-bernac, le 10 novembre 2009 J’ai pris ce grand espace quand j’ai eu la commande d’une sculpture monumentale. Il a fallu que je fasse faire l’atelier pour la structure. Le nom de l’œuvre ? C’est la porte du temps à Marmande. C’était pour la commémoration du troisième millénaire. J’avais représenté toute la partie extérieure qui a été érodée par le temps, par toute l’histoire, et qui a laissé apparaître l’intérieur. L’intérieur c’est quoi ? C’est des éléments de machines agricoles. Donc ça représente un peu l’inconscient collectif de la région. Y’en a une quinzaine de tonne à peu près. Votre œuvre a-t-elle suscité des critiques ? Bein comme toujours : « Un tas de ferraille ». Si je leur avais fait une statue équestre de Jeanne d’Arc, j’aurais eu des critiques de l’autre côté. De toutes façons, quand on fait un métier comme ça, il faut accepter la critique. Au départ j’avais sous dimensionné ma sculpture. Elle faisait 8 métres de long, et puis j’ai réalisé qu’il fallait passer en 12 métres. Donc j’ai fait 4 métres de plus pour le même budget, 40 000 euros. Pourquoi avez-vous choisi ce rond-point plutôt qu’un autre ? Parce qu’il était isolé. On a 4 kilomètres de recul depuis Sainte-Bazeille. J’avais aussi demandé aux services techniques de la ville, qu’ils me surélèvent le rondpoint de 3 mètres. Et puis y’a une charpente métallique qui a été réalisée pour pouvoir accrocher la sculpture dessus. Ça fait que quand on arrive en voiture, on la voit de dessous, ce qui augmente l’impression de monumentalité.
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Ça devait être pas mal l’arrivée de la sculpture en semi-remorque ? Ça, ça a été une aventure. Ça passait juste sous les fils électriques. J’aime pas trop quand y’a des végétaux sur les ronds-points parce que ça bouffe. D’ailleurs à Marmande, ils m’avaient foutu des cyprès ces cons là. À partir du moment où vous mettez un élément parasite ça vient distraire l’œil. Alors j’ai mis 2 ans pour les faire enlever.
Quelle formation avez-vous ? Moi, j’ai une formation technique. Et puis après je suis allé aux Beaux-Arts pendant une année entière à Bordeaux. Tout ce que vous apprenez aux Beaux-Arts faut l’oublier. Oui, autrement vous faites du sous-ce-que-vous-avez-appris. Il faut travailler beaucoup. Vous savez ce que disait Baudelaire : « L’inspiration, c’est de travailler tous les jours ». Là, y’a mon atelier de gravure. C’est la technique du gaufrage. Ça, je l’ai fait avec du sable de plage, ça c’est du fer, ça c’est du bois, des tissus froissés, une manche de chemise très ancienne. Ça c’est une sculpture érotique en réponse à l’œuvre de Courbet. Ça c’est de la ficelle. Vous devez passer beaucoup de temps à récolter des matériaux ? Non, moi j’ai un principe, je fais avec ce que j’ai. Je fais le tour de la maison, je demande à ma compagne si elle a pas des dentelles. Ça c’est un couvercle de boite de conserve. Vous ne savez jamais ce que ça va donner ? Non, c’est vachement empirique comme travail. Des fois, ouah, c’est le pied ! Et puis des fois, c’est un désastre. J’ai été invité à faire une expo de gravure avant d’avoir fait de la gravure. C’est mon ami Balitran, qui m’a inscrit à mon insu. Vous pensez que tous les artistes sont dans le doute, dans l’hésitation ? Non, y’en a qui sont dans la certitude. Moi je fais partie de ceux qui sont dans le doute. On n’est jamais sûr de rien. Quel est votre thème de prédilection ? Moi, c’est le temps. Alors, je réponds à la manière d’un poète. Et puis ça se décline depuis 40 ans. Ça vous fait combien de sculptures ? Ça doit se rapprocher du millier. Vous travaillez tous les jours ? Oui, je me lève à 6 heures. Je prends mon café à l’atelier. Je regarde. Je fais un truc, et je regarde à nouveau. Vous faites beaucoup d’essais ? Je me laisse une grande part de liberté. J’ai compris que c’était dans la surprise qu’il se passait des choses. Il faut essayer de faire remonter des trucs qui sont à l’intérieur, qui sont en arrière plan. Quand on travaille le fer, c’est un matériau qui résiste à votre volonté, donc il faut être plus malin que lui. visite de son premier atelier Ça c’était un trophée pour le basket. Et puis j’ai fait aussi un trophée pour les Girondins de Bordeaux. J’avais exposé une sculpture à Loubès sur la place du village. Elle a été volée. C’est le métal qui les intéresse. Le fait de détruire une œuvre d’art, c’est nier l’esprit et donc nier l’humanité. Où êtes vous né ? Je suis né dans le village. Mon père jouait de l’accordéon. J’ai été immergé dans la musique tout le temps… Ça c’était pour une entreprise de garde meubles/déménagement. Vous avez toujours gardé un pied-à-terre ici ? Non, j’ai beaucoup voyagé parce que pendant quelques années, j’ai été musicien professionnel. J’ai arrêté de faire de la musique en 70 et à partir de là, j’ai fait de la
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Quel instrument ? Je jouais de la batterie. Il m’est arrivé de me réveiller dans les hôtels. Je ne savais même plus où j’étais. Alors je me suis dit, faut que j’arrête. Vous faites beaucoup d’allers et retours entre ici et Paris ? Quand je suis à Paris, j’ai qu’une idée, c’est de revenir retrouver ma campagne. Vous êtes attaché à ce village ? Oui, mais pour nous Loubès, ça se résume à la maison et au jardin, la poste, un peu l’épicerie. Nous, c’est Sainte-Foy notre ville. On est des foyens. On aime beaucoup Bergerac aussi. Que représente la sculpture pour vous ? C’est quelque chose de noble. C’est le premier geste de l’humanité. C’est l’archétype fondamental. La fraîcheur d’esprit de Lascaux, on l’a jamais égalée. Quel lien entre la musique et la sculpture ? Mon travail est très rythmique. Une devise ? Je plie mais ne romps pas. C’est la devise du chêne et du roseau.