E6, 2019-2020

Page 1

Le Zadig

Goodbye, Menton!


Contents Edito: Au revoir Menton Ryan Tfaily p. 4

Entretien avec Gilles Kepel: Retour à Menton pour l’ « enfant du pays » Alban Delpouy p. 8 The Menton ExperienceTM Oskar Steiner p. 20 Un seul être vous manque et tout est dépeuplé Tom Azoulay p. 24 Place des lumièrees Victoria Bruné p. 26 La comédie mentonnaise Gaspard Moretto p. 28

On coming of age Emma Pascal p. 32


Wrapping an LGBT-Pride Flag Around Palestine - but With Care Santosh Mudaliran p. 34

Phase après phase, voilà comment nous faisons face Arianne Le Gall p. 44

Confinement, ou comment le revenge porn s’impose comme outil majeur du harcèlement Elza Goffaux p. 48

Dossier: Méditerranée, la voie mentonnaise: une ambition universitaire à l’épreuve de l’histoire Alban Delpouy p. 50


Edito: Au revoir Menton

par Ryan Tfaily

Parmi ce que le snobisme ambiant de l’élite littéraire appelle « la littérature jeunesse », il est des chefs d’œuvre inconnus qui devraient pourtant être mis dans les mains de chaque enfant entrant dans l’adolescence. Moi, Daniel, cireur de chaussures, de Jackie French Koller en fait partie. Ce roman initiatique nous invite à suivre l’évolution d’un adolescent irlandais fraichement débarqué aux Etats-Unis et tentant de survivre dans le marasme de la crise des années 1930. Que retiendra donc le protagoniste de ses aventures humaines ayant bouleversé sa vie ? Rien, si ce n’est ce détail insignifiant, teinté de nostalgie, qui conclut le livre : « Désormais j’ai 16 ans, et je me rase ». Le lecteur, lui, sait que les deux dernières années qu’a vécues le personnage ont été fondatrices de son identité et le marqueront à vie. C’est que la distanciation temporelle romanesque est la seule à pouvoir rendre compte de l’étrange vide éprouvant celui qui vient de traverser une période fondatrice. Ce vide, c’est celui de l’incertitude et de l’attente : si le héros ressent dans sa chair l’intensité des temps passés, il ne peut savoir pour l’instant à quel point ils auront été importants. Pour y faire face, seule l’insignifiance tient lieu de refuge, celle-là même qui permet de se souvenir sans avoir à réfléchir. Les romans initiatiques sont ainsi les seuls dont la fin n’est pas la même pour le lecteur et le personnage : le premier a fini le livre au moment où la période initiatique s’achève, le second devra attendre que le doute suivant la fin de la période initiatique s’estompe, pour comprendre totalement le livre. Problème : dans cet ubuesque récit initiatique qu’a été Menton, nous avons été à la fois les lecteurs et les personnages. Et c’est peut-être ce dédoublement qui a fait la spécificité des deux années que nous venons de vivre.

Douter jusqu’à l’absurde Des hypothèses rationnelles ont maintes fois été suggérées pour expliquer la particularité de la vie mentonnaise. Il y a cet isolement physique et émotionnel des étudiants qui force un rapprochement dont il n’est pas franchement prétentieux de dire qu’il n’existe nul part ailleurs ; il y a cette soif de vivre et de découvrir caractérisant chacun des élèves arrivant au village, eux qui viennent souvent de passer des difficiles années de labeur et qui vont se rendre compte qu’ils ne connaissent finalement que peu de choses de la vie ; il y a cet enfermement absurde qui pousse aux sentiments et aux comportements les plus exacerbés. Mais quiconque a fait l’expérience d’apporter

ces explications à d’anciens amis étant restés dans la ville natale, a pu constater à quel point elles ne sont pas totalement convaincantes pour rendre compte du vécu mentonnais. Une part d’irrationnel, que seuls ceux étant passés par Menton pourront comprendre, subsiste dans ce vécu. Un irrationnel dédoublement de nous-même, entre le personnage qui vivait des moments bouleversants, et le lecteur qui avait conscience de la signification de ces bouleversements sur lui-même. De sorte que le lecteur mettait une pression sur le personnage pour vivre avec consistance ce moment important, en même temps que le personnage suppliait le lecteur de cesser son activité


introspective. Ce dédoublement permanent, cette introspection de tous les temps de chaque étudiant ne pouvaient conduire qu’à une chose : le doute.

temps, douter à ce point d’eux-mêmes et de leurs acquis aura été une chance importante.

Car nul ne niera qu’il n’y a pas eu une, mais plusieurs expériences mentonnaises. Il suffit de se remémorer qui nous étions lorsque, le 27 août 2018, nous franchissions le portail du 11 place Saint-Julien, pour comprendre que la diversité de nos expériences passées impliquerait forcément une diversité d’expériences mentonnaises. Pourtant, un point commun nous unit tous au terme des deux années : l’effondrement total de tout ce que nous tenions jusqu’à ce 27 août 2018 pour des certitudes et des acquis. Le doute jeté sur nos croyances provient justement de cette activité de lecteur que nous effectuions en permanence sur nos actions de personnage : le lecteur n’est-il pas celui qui étudie et analyse le comportement du personnage, qui le met en relation avec les autres protagonistes, le compare, le confronte et le hiérarchise ?

De la Rue Longue au Boulevard Saint-Germain

L’évidence est que cet ébranlement de nos certitudes a eu et aura quelque chose d’incroyablement salvateur. Se confronter à des univers radicalement différents, repousser les limites de ce que l’on pensait existant, et découvrir l’autre sont des clefs indispensables pour apprendre à penser contre soi-même et être libre. Aller chercher au fond de soi, questionner son identité et la mettre en doute, sont des étapes essentielles de la constitution d’un soi autonome. Ne pas se borner à un paradigme de pensée est un précieux outil qui nous servira à vie pour nous adapter. Au risque pourtant de douter jusqu’à l’absurde. De tout questionner chez soi, quitte à passer à côté de ce qui méritait vraiment une remise en cause. Quitte aussi à perdre confiance, à faire du doute non pas un outil de dialectique empêchant l’autosatisfaction, mais un mode d’existence empêchant l’assurance. Qu’importe, finalement : pour tous, le doute a été bénéfique. Et même ceux qui ressortent totalement ébranlés de ces deux années s’apercevront qu’avoir pu, un

En dépit et en contraste de ces personnalités en questionnement, que l’on ne découvrait souvent que dans l’intimité d’un dîner à deux, s’affichaient sur le campus et dans la vie sociale de forts caractères dont l’égo n’avait d’égal que la fausse assurance. Ce petit jeu ne surprenait guère personne tant il a été banalisé et normalisé : chacun savait que l’autre se torturait de doutes au fond de lui-même, mais acceptait qu’il étalât publiquement un égo et une prétention qui font la caractéristique de bien d’entre nous. La plupart avait conscience que leur assurance était superficielle et cachait un esprit bouleversé. Mais certains à Menton ont sincèrement cru qu’ils étaient uniques et spéciaux, à la faveur des deux années qu’ils ont vécues. Ceux qui pensent avoir pu révéler leur personnalité à Menton, s’être créés une identité pérenne, ou qui ont profité de l’effet de


groupe pour affirmer leur timide esprit, seront terriblement déçus. De la Rue Longue au Boulevard Saint-Germain, le choc ne sera pas seulement physique ni spatial : il fera voler en éclat la prétention à l’unicité dont certains se sont gargarisés avec ferveur, il noiera dans l’anonymat de la masse l’égo surdimensionné d’étudiants pensant être devenus célèbres parce qu’ils ont acquis une réputation parmi soixante-sept individus. De leurs jacasseries et de leur assurance déconcertante, il ne restera rien. Car Menton n’était pas un endroit propice à la construction de soi. Il était favorable à la déconstruction d’un moi pétri de certitudes et de préjugés -ce qui était encore mieux qu’une construction. Ne subsistera de ces deux années que l’apprentissage du doute que nous avons acquis. Sur de nouvelles bases, il nous appartient de nous construire réellement, et non pas de croire naïvement que la personnalité superficielle qui a été la nôtre dans un endroit aussi spécifique que Menton perdurera ailleurs.

Résister au temps Puisque nous avons été à la fois lecteurs et personnages de notre roman initiatique, peut-être pourrions-nous penser que le vide accablant le personnage incertain après l’époque initiatique nous sera épargné. Ce n’est pas le cas. Car si, en tant que lecteurs, nous savons ce qui a résulté de ces deux années -le doute de nous-même-, nous ne savons toujours pas ce que l’on fera de ce doute. D’où le vide que nous éprouvons, singulièrement accentué par le confinement. La seule tâche qui nous incombe pour l’instant, est de résister au temps. Résister à la nostalgie, ce souvenir perpétuel du temps passé qui empêche l’accomplissement du présent. Résister au regret, ce sentiment de ne pas avoir profité du temps. Résister à l’amertume, ce sentiment de s’être vu priver de son temps. Pour ce faire, je ne vois que deux solutions. Lire et relire Que sont mes amis devenus, ce poème médiéval de Rutebeuf qui sublime mieux que n’importe quel autre texte la nostalgie et la peur de l’oubli. Et s’engager dans quelque chose, trouver une cause transcendantale et universelle, qui puisse perdurer ailleurs qu’à Menton, et être indépendante de l’endroit et du moment où nous nous situerons à l’avenir. Dans mon premier éditorial, j’avais promis que Le Zadig tenterait cette année de contribuer à cet engagement, parce que j’ai la conviction qu’il est le seul à même de pouvoir épanouir l’individu dans la durée. J’espère que le journal, et sa formidable équipe ayant travaillé toute l’année, y sont humblement parvenus. Peut-être le meilleur moyen de dire au revoir à Menton est-il finalement de remercier ce journal qui m’a tant tenu à cœur. Et de garder à l’esprit qu’il est désormais un palimpseste sur lequel s’ajoutera à notre trace, celle des futures plumes, elles-aussi hésitantes et incertaines.

Photo: Sasha Antonioli



Entretien avec Gilles Kepel: Retour à Menton pour l’ « enfant du pays » par Alban Delpouy La tenue de MedMUN devait à l’origine consacrer le retour officiel de Gilles Kepel sur le campus de Menton, et cet entretien devait couvrir l’événement qui a été annulé compte tenu des conditions sanitaires. En exclusivité pour le Zadig, le spécialiste mondialement reconnu du Moyen-Orient nous annonce son retour en tant qu’enseignant au campus l’année prochaine. L’occasion pour lui d’exprimer son attachement à Menton, raconter ses précédentes années à Sciences Po sur la Côte d’Azur mais surtout de se tourner vers l’avenir, aux côtés de la directrice Yasmina Touaibia. Aussi à l’aise en italien avec le propriétaire du restaurant qu’en dialecte égyptien pour me raconter une blague à propos de la zebiba de Anouar El Sadate, qu’il me répètera courtoisement en français à la vue de ma capacité limitée à la comprendre en langue originale, le professeur aborde tour à tour Villa Jasmin, certificat de baptême et randonnée dans un entretien haut en couleurs.

Quelle a été votre implication initiale dans la création du campus ? En fait, à l’époque, Richard Descoings était le directeur de Sciences Po et il avait commencé à ouvrir des campus en région. Le maire de Menton, JeanClaude Guibal, avait lu un article dessus, je ne sais plus dans quel média, et l’avait contacté. Et donc un jour, on allait ensemble à un dîner et dans sa voiture il m’a demandé si je connaissais Menton. Il ignorait que j’étais pour partie originaire de cette région et du village de Gorbio situé au-dessus. Je lui ai dit que je connaissais Menton et il m’a demandé ce que je penserais a priori de l’idée. Je trouvais personnellement, évidemment pour des raisons qui n’étaient peut-être pas rationnelles, mais personnelles, que c’était une excellente idée. Quelques semaines plus tard, on est venus avec lui et la dame qui dirigeait les chaires à l’époque. Dans un premier temps, avec Jean-Claude Guibal, on nous avait montré dans la vallée de Gorbio, justement, la villa Mer et Monts mais qui n’était pas adéquate, car très enclavée. Ensuite, en passant là où nous sommes actuellement [ndlr : place du Cap], j’ai vu l’hospice Saint Julien. Je lui en ai parlé, mais à l’époque le musée Cocteau devait être là. Les discussions étaient donc en train

de tourner court. On avait dîné avec le directeur, le maire et la sénatrice [ndlr : Colette Giudicelli, épouse de Jean-Claude Guibal], qui n’était pas encore sénatrice à l’époque, à la villa Maria Serena. A la fin du dîner, l’accord s’est fait sur Saint-Julien d’une certaine façon, ce n’était pas gagné au début, mais c’était ça ou rien. Et le paradoxe est que je me suis un peu occupé de ça jusqu’en 2010 où je suis parti à l’ombre et après je ne suis plus revenu. Je n’avais jamais vu jusqu’alors Saint Julien fonctionnel, j’ai connu le campus en d’autres lieux. A l’époque, une partie de l’électorat voulait en faire un EHPAD. En fait, il y a eu un peu de frictions, c’était un enjeu de luttes, notamment pour les élections municipales à l’époque. Je crois qu’aujourd’hui, donc quinze ans après, plus personne à Menton, même des opposants de l’époque ne le regrettent puisque campus a considérablement dynamisé et rajeuni la ville. Il fait non seulement la joie de bailleurs qui peuvent louer leurs appartements pas seulement en saison d’été, il y a là-dessus un fort soutien électoral. Je l’ai vu en revenant ici, le campus est très populaire, indéniablement et ça c’est une excellente chose. Au début, quand nous l’avons créé, c’étaient les années héroïques, la première année je crois qu’il y avait une trentaine d’étudiants, c’était du cousu main, et il y avait une ambiance très,


Les affaires reprennent! Photo: Alban Delpouy


comment dire, familiale. Et donc, je me souviens à la fin de l’année, j’emmenais les volontaires qui aimaient marcher, on montait en car à St Agnes et faisait le chemin Sainte-Agnès-Gorbio par la Baisse de Bausson et on était accueillis par le maire sur la place avec une pissaladière géante et les jeunes marocains et marocaines avaient

vous voulez, c’était très sympa. Et puis pour moi, c’était l’occasion de venir ici dans ma famille et ce qui est assez amusant finalement, c’est que ma mère est née dans la Villa Jasmin, le bâtiment des filles. Ca a toujours été une maison municipale et c’était une maison d’accouchement, donc d’une certaine façon je suis totalement attaché.

Normale Supérieure, où j’ai recréé une chaire Moyen-Orient Méditerranée et un master, alors même qu’aujourd’hui le master a disparu à Sciences Po. Et puis, il se trouve que le directeur Frédéric Mion m’a demandé de reprendre le cours d’amphithéâtre à Boutmy le lundi ce semestre, qui est assez bourré, il y a 380 étudiants je crois, et dans cette perspective, comAu début (...) c’étaient les années héroïques, la me par ailleurs je suis première année je crois qu’il y avait une trentaine aussi installé en partie d’étudiants, c’était du cousu main, et il y avait ici, il m’a semblé une une ambiance très, comment dire, familiale bonne idée de voir si je pouvais, comme je des émotions parce qu’ils se Mais bon, a partir de 2010, Scienc- serai de toute façon ici, joindre croyaient dans l’Atlas, les Levan- es Po est entré dans une période l’utile à l’agréable, ou l’agréable à tins parce qu’ils se croyaient dans un peu turbulente comme cha- l’utile. J’ai fait la connaissance de l’Anti-Liban, je garde un souvenir cun le sait, et moi j’ai donné une Madame Touaïbia, la nouvelle dimerveilleux de ces moments-là. autre orientation à ma carrière rectrice, qui a beaucoup de projets On était un peu les pionniers si qui m’a amené à passer à l’Ecole que j’ai trouvés formidables pour

Villa Mer et Monts, proposition initiale de Jean-Claude Guibal pour accueillir Sciences Po à Menton ( © Mentons info et page Facebook « Villa Mer et Monts – Menton » )


aller de l’avant, basés sur son expérience personnelle, anglais était extrêmement faible donc je faisais cours son savoir, ses connaissances. L’idée est donc de faire en arabe, mais c’étaient des cours assez basiques prinen sorte avec le réseau que j’ai ac- J’ai fait la connaissance de Madame Touaïbia, la nouvelle quis , toutes les directrice, qui a beaucoup de projets que j’ai trouvés initiatives à Paris, formidables pour aller de l’avant, basés sur son expérien Suisse où je ence personnelle, son savoir, ses connaissances. suis aussi professeur à l’université de la Suisse italienne à Lugano cipalement sur la région. J’ai toujours plutôt enseigné où on organise maintenant un forum Moyen-Orient ma spécialité et c’était intéressant parce que ça leur Méditerranée chaque été au mois d’août, et donc de donnait quelque chose dans leur langue sur la région mettre un peu davantage Sciences Po Menton sur la qu’ils n’avaient jamais entendu. carte, de favoriser son désenclavement en assurant de En quoi consistait votre poste de dinouveau un flux d’enseignants de qualité, avec une recteur scientifique du campus, que direction très intellectuellement et pédagogiquement vous partagiez avec M.Fitoussi c’est très dynamique. Je suis très heureux si je puis être ça? utile et très enthousiasmé à l’idée d’y participer. J’enseignerai l’année prochaine un cours en français au Oui c’est ça oui, nous étions tous les deux profespremier semestre et en anglais au deuxième semestre seurs d’université donc nous assurions le pilotage. sur les crises du Moyen-Orient et Méditerranée, un Sciences Po a perdu une période un peu difficile à peu comme celui que je fais à Boutmy, mais adapté ce moment-là et donc cela a perdu sans doute de sa à des étudiants de Collège avec une dimension plus dynamique. structurante et plus pédagogique, puisqu’il m’a sem- Vous voulez dire à quelle époque, blé avec la directrice qu’il était très important qu’au post-2010 ? début d’un cycle universitaire d’avoir un certain nom- Oui au tournant de ces années-là. Après je ne sais bre de points de références. Certes, on peut les cri- pas, parce que je n’étais plus là, donc je ne peux pas tiquer, mais encore faut-il les avoir, or c’est peut-être dire ce qu’il s’était passé. un peu des choses comme ça qui ont manqué. Dans ce projet que la direction de Sciences Po à Paris, et ici, Quelle était la marge de manœuvre souhaitent mettre en place, si je puis être utile, pour académique possible par rapport à la direction parisienne à l’époque ? des raisons personnelles ça me fait très plaisir. Si l’on effectue un petit retour dans Quand j’étais là, elle était assez grande. Fitoussi et le passé, quels sont les cours que moi étions écoutés. vous avez dispensés à Menton ? Ecoutez, je ne me souviens plus ! La première année, c’étaient des cours assez généraux, des choses plus générales sur l’histoire du Moyen-Orient ancienne et puis, je me souviens que les premières années, j’avais

Justement, on va dire que le son de cloche qu’il y a ici parmi les étudiants est qu’on a l’impression que Sciences Po hésite tout le temps entre la maison-mère parisienne et la délocal-

réussi à faire venir une demi-douzaine d’étudiants du isation, qu’ils sont tout le temps sur Golfe et Saoudiens dont le niveau en français et en un des deux pieds et qu’ils ne savent


pas sur lequel danser, qu’est-ce que thèse. Il y avait tout un ensemble articulé. La crise de 2010 a défait tout ça, il y a eu des erreurs stratégiques vous en pensez ? qui ont été faites, je pense, à l’école doctorale à ce Je pense que justement, si des professeurs d’universimoment. Du coup, le paradoxe, alors qu’on dispoté comme moi reviennent, c’est l’occasion de pouvoir sait de la plus grosse force de frappe dans l’universiconstruire un pont plus efficient, de rompre cette té française sur ces questions, en décembre 2010, le coupure, d’après ce que m’ont dit certains étudiants mois où Mohamed Bouazizi s’immole par le feu, la qui m’en ont parlé, qui leur semblait problématique chaire Moyen-Orient Méditerranée a été fermée. On entre être à Sciences Po comme institution et être à n’a plus eu de thèses alors qu’on était très en avance Menton si vous voulez. L’idée, c’est de faire en sorte en terme de concurrence internationale, Sciences Po que ça ne soit plus perçu comme un souci mais cométait en train de devenir l’un des pôles principaux me un atout. Bien sûr, ça dépend, repose beaucoup de la recherche Moyen-Orient dans le monde, là ça sur le projet de la direction et la congruence des pros’est dégradé, et en particulier, on aurait pu, mais bon jets et puis du fait qu’il y a des professeurs qui ont on va pas relater le passé, certainement envoyer des un certain renom, j’ai cru comprendre que c’était la étudiants faire des thèses sur les soulèvements aravolonté aussi de Frédéric Mion que celle de la direcbes, ou les printemps arabes en train de se produire, trice du campus. mais bon après je l’ai fait moi-même avec mon livre A l’époque, chronologiquement, il y a Passions arabes mais c’était différent dans la perspeceu la création de la chaire Moyen-Ori- tive. Je crois qu’on a indéniablement manqué une ent Méditerranée qui a précédé celle marche, pas seulement à Sciences Po, mais en France du campus de Menton ? en général, et c’est dommage parce qu’on avait vraiEcoutez je n’ai plus de souvenir, à mon âge vous me ment les éléments. Tout ça appartient au passé, et de permettrez de perdre la mémoire, quand même ! Mais toute façon, la région Moyen-Orient Méditerranée on va dire que ça faisait partie de l’ensemble, c’est-à- n’est pas véritablement en dehors de l’actualité et dire que quand le campus a été créé, au fond, on avait chaque jour réserve son lot de surprises, ce jour où monté à Sciences Po, si j’ose dire, de la maternelle nous nous parlons [ndlr : début du mois de mars] on à l’université, c’est à dire qu’on avait gens qui com- vient d’apprendre qu’un certain nombre de membres mençaient ici, y compris à faire de l’arabe et à voy- de la famille royale saoudienne ont été incarcérés. ager, et l’objectif était qu’ils fassent le master Moy- De toute façon, je pense qu’on est maintenant en en-Orient Méditerranée, et puis après qu’ils aillent ordre de bataille et il ne faut pas penser exclusivejusqu’à la thèse, s’ils souhaitaient. On avait aussi créé ment en termes de stratégie purement d’établisseà ce moment, et ça a coïncidé avec le lancement du ment. Je crois que le master que j’ai recréé à l’Ecole campus justement, le premier forum Euro-Golfe qui Normale Supérieure, dans le cadre PSL, est bien sûr avait eu lieu en juin 2005 à Menton, qu’on avait pensé tout à fait ouvert à des étudiants de Sciences Po qui pour mettre Menton sur la carte de notre spécialité. le désireraient, et rien n’empêche d’avoir un diplôme Donc étaient venues Cheikha Moza, la femme de dans deux établissements à la fois, je pense qu’il faut l’émir du Qatar de l’époque, le prince Turki Al Faysal, voir tout ça avec un esprit d’ouverture, en ce qui me qui avait été le fondateur de la fondation Faysal au concerne je suis vraiment très heureux de pouvoir nom de son père, qui était celle qui avait accueilli, en consacrer ces années de ma vie que désormais je vais Arabie d’ailleurs, après 2001 la plupart des étudiants, en partie passer à Menton à contribuer à ça. Je crois dont Stéphane Lacroix, à ma demande pour faire leur que c’est dans une vision beaucoup plus globale,


détachée des contingences exclusivement administratives et organisationnelles. Je pense que ça sera très bien parce que, de ce que je comprends, ce qui a manqué ces dernières années à Menton, justement, c’est l’ouverture. La volonté de la directrice c’est justement ça, je trouve que les projets qu’elle a sont excellents, si elle le souhaite bien sûr, je me tiendrai à ses côtés. Dans le domaine de recherche sur le Moyen-Orient, et plus particulièrement de l’islamisme et djihadisme dans lequel vous vous êtes imposé, comment expliquez-vous qu’aucun ancien de Menton ne soit sorti du lot jusqu’ici ? Aucun d’ancien de Menton n’est sorti du lot ? [dit –il en reposant son verre ] En ce moment, vous me le confirmerez, la génération qui pointe son nez c’est surtout M.Rougier et ses doctorants, il me semble, qui sont en train de faire leur place dans le champ académique ? Rougier a 50 ans quand même, il est professeur des universités. M.Micheron qui va venir [une conférence sur le campus était initialement prévue avant les précautions prises par rapport au coronavirus]

est un de ses étudiants partir de Menton c’est une façon c’est ça ? qui n’est pas médiocre de le comNon, c’est un de mes étudiants prendre, parce que c’est une façon [ndlr : mea culpa], il a fait sa thèse de le déconstruire à partir d’un avec moi, Bernard Rougier était au point de vue qui est extrêmement jury aussi. Justement, la disparition important comme ça peut l’être à du master à Sciences Po a fait que, partir de la Chine à l’âge du corosi vous voulez, à parler d’un pro- navirus, ou autre. Prenez l’exemfesseur, c’est assez contraignant. ple, qu’est-ce qui fait que l’Iran est C’est pour ça que j’avais voulu à tellement impacté par le coronavil’époque que parmi les étudiants rus ? C’est aussi que la Chine est le de Menton, il y ait un vivier, après principal partenaire économique on peut faire beaucoup de choses, de l’Iran et du fait des sanctions s’initier au début de sa scolarité américaines, les Chinois peuvent aux enjeux du Moyen-Orient, et obtenir du pétrole à des prix disc’est que j’espère expliquer dans count, ils sont très nombreux en les cours que je ferai l’année pro- Iran. Après, vous avez l’hybris de chaine ici, ce n’est pas seulement la République islamique, avec qui en soi et pour soi le Moyen-Orient nous avons interrompu toute remais le Moyen-Orient c’est une lation, comme vous le savez deux manière de réfléchir au système universitaires de Sciences Po sont du monde, comprendre comment détenus dans des conditions inacen octobre 1973, avec la guerre du ceptables et extrêmement préocRamadan ou du Kippour, com- cupantes aujourd’hui [ndlr : à la me on voudra, le roi Fayçal, just- date de l’entretien Roland Marchal ement, arrive à tordre le bras à était encore détenu] dans la prison l’Occident pour faire du pétrole d’Evin, où le virus est répandu. La une arme et ensuite la salafisation religiosité chiite est un accélérateur et l’islamisation du langage poli- du virus hallucinant, puisque dans tique se transforme, ça n’est pas les mausolées des imams en Iran seulement quelque chose qui a de vous avez des gens qui viennent l’importance pour le Moyen-Ori- embrasser et lécher les barreaux ent, ça permet de penser com- du tombeau. On ne peut pas imagment l’Union Soviétique s’effon- iner un mode plus terrifiant et plus dre à partir de la déroute à Kaboul efficace de propagation du virus. le 15 février 1989. Je pense que Toutes ces choses-là, savoir ça, ce qui avait été fait ici, bien sûr, j’ai observé à Qom c’est halluciil y a eu quelques spécialistes du nant, après les gens retournent en Moyen-Orient, mais c’est aussi un Iran bien sûr, mais au Bahrein… banc d’essai, une manière de pens- [il tousse et prévoit en rigolant la er le monde, étudier le monde à publication à titre posthume de


cet entretien]. Donc, il faut bien voir que ce qui est enseigné ici, et ce qui va, j’espère, être enseigné l’année prochaine, sera quelque chose qui permettra de penser le monde. Pour revenir à votre question d’une manière plus précise, je crois que c’est un effet de la disruption qu’il y a eu entre 2010 et 2020. Mais maintenant, j’ai bon espoir que cette disruption soit levée. Vous ne pensez pas que les générations entre 2010 et 2020 ont été en quelque sorte sacrifiées ? Générations Mentonnaises ? Oui, de Sciences Po. Ecoutez je n’ai rien à dire là-dessus, je n’y étais plus. Maintenant, chacun tirera les conclusions qu’il souhaitera, moi je suis plutôt forward thinking. Je pense qu’il faut dépasser les clivages universitaires. Il y a eu bien sûr des enjeux intellectuels importants. Il n’est un secret pour personne qu’il y a des conceptions différentes de l’analyse de ce qu’il se passe au Moyen-Orient aujourd’hui. Certains considèrent que, « ça ne sert à rien de connaître l’arabe pour comprendre ce qu’il se passe en banlieue », d’autres au contraire, dont votre serviteur, estiment qu’il n’est pas du tout question d’essentialiser les objets. Moi-même à partir de 2010, déjà dans mon livre Les banlieues de l’islam en 1987, j’ai été extrêmement sensibilisé aux enjeux sociaux ; ceux qui aujourd’hui prétendent que j’étudie le monde de la région à partir des textes sacrés se trompent. Je les intègre dans une perspective qui n’est pas que [Il insiste sur cette phrase]. Si vous voulez, mais c’est toujours assez affligeant que des gens peuvent se targuer de leur ignorance pour en faire une vertu. Ca malheureusement, c’est un petit peu ce qu’il s’est produit et qui a abouti à la fermeture du master, mais je suis convaincu qu’il est possible dans une perspective inclusive à l’échelle de l’université française en général de reconstruire les choses. Et

arabes, parce que l’état français est d’une laïcité que je qualifierais d’hypocrite. Quand j’ai obtenu la bourse en 1977 pour faire mes études d’arabe à Damas, qui était un peu le sésame ouvre-toi, si vous voulez on est tous passés par là, c’est pour ça que la question syrienne nous touche si profondément. J’ai reçu une lettre, dont malheureusement j’ai perdu la copie, signée par je ne sais qui aux Affaires étrangères qui disait « bravo pour la bourse » -il faut quand même dire que ce n’est pas très difficile, je ne devais pas dire ça pour les étudiants mais il y avait 10 postes et 7 candidats, comme on disait toujours quand j’étais enfant à Nice, « au royaume des aveugles les borgnes sont rois » (prononce-t-il avec l’accent local). On avait donc reçu une lettre disant « bravo vous avez été sélectionné » mais ce n’était pas difficile puisqu’il y avait plus de postes que de candidats ça vous donne l’idée de l’état dans lequel étaient tombées les études arabes à l’époque, « je crois devoir vous signaler que *virgule* dans le passé *virgule* les autorités syriennes ont demandé un certificat de baptême pour délivrer le visa ». Et c’était une chose pour moi complètement ahurissante, moi j’étais gauchiste, je mangeais des prêtres, je pendais des bourgeois avec les boyaux des prêtres ou vice versa, je ne sais plus quelle était la formule marxiste de l’époque, et de devoir retourner vers mon arrière-grand-mère gorbarine croyante qui avait obtenu que je sois baptisé pour éviter la honte au village, si vous voulez, pour pouvoir faire des études d’arabe, ça avait un côté totalement surréaliste, d’autant plus que le parti Baath au pouvoir se réclamait de la laïcité, mais bon j’ai obtenu mon certificat de baptême. C’est grâce à ça que j’ai pu être arabisant. En fait c’était pour vérifier qu’on n’était pas Juifs, bien évidemment. Ce qui est amusant, au cours de ma carrière, du fait de mon patronyme, qui vient de mon père qui était tchèque, j’ai été abondamment traité, appelé le Juif Kepel dans un certain nombre

tant que Dieu me prête, même si je ne suis pas croy- de médias arabes, alors que, malheureusement pour ant, même si j’ai été baptisé à l’Eglise Notre dame mes détracteurs, je n’ai aucune origine particulièredu Port à Nice, ce qui m’a permis de faire des études ment sémitique, mais c’est ça d’être arabisant, c’est


finalement de regarder les choses avec un peu de distance. Je crois que ma condamnation à mort par Daech en 2016 m’a fait regarder le monde avec un peu de distance. En vieillissant aujourd’hui, à la fin de ma carrière, je suis un peu plus distancié par rapport à tout. C’est ça de revenir à Menton pour moi, ca a un côté, une sorte de fontaine de jouvence. A mon âge c’est un sentiment qui est assez agréable. Si je peux de ce fait, faire bénéficier de mon expérience la jeune génération ça me fera personnellement un très grand plaisir. Revenons-en à l’ambition de plateforme, forum de la Méditerranée du campus, et qui je pense va le redevenir. Ecoutez In sha’Allah. Nous en avons parlé avec Fréderic Mion. Bien sûr, le campus est inscrit dans Sciences Po, mais qu’il puisse s’ouvrir à l’international. Cet été au forum de Lugano, si le coronavirus nous le permet, la directrice, qui a une très bonne connaissance du mouvement du Hirak algérien, par exemple, est invitée, l’idée c’est de permettre de peut-être désenclaver Menton. On l’a vu avec le MedMUN. Il y a 15 jours les malheureux étaient encore confinés parce qu’on était en stade 1 ou 1 et demi du virus, donc ils n’ont pas pu venir à l’Institut du monde arabe MedMUN mais j’ai demandé que ce soit en streaming et je leur ai fait un petit salut en disant « on pense à vous ». Disons l’inscription du campus de Menton dans le grand mouvement européen des idées et la zone Moyen-Orient Méditerranée, je pense que c’est un enjeu très important, et ça à ma modeste mesure, je suis tout à fait déterminé à aider. Vous aviez parlé de la tenue du rassemblement EuroGolfe, il y a-t-il eu d’autres rassemblements de la sorte qui ne seraient pas documentés ? Il y a eu d’autres Euro-Golfe ensuite, qui étaient à Riyad, puis à Venise, et le quatrième qui devait avoir lieu à Koweit a échoué, ou plutôt n’a pas eu lieu. C’était en 2008 au moment de la crise financière. Toutes les entreprises qui nous aidaient ont dû s’abstenir parce qu’elles n’avaient plus d’argent. C’est un peu, toutes choses égales par ailleurs, un peu annonciateur du coronavirus aujourd’hui alors on va voir, la crise qui va transformer l’économie mondiale, on va voir comment les choses vont évoluer, on annule rien jusqu’à ce qu’on décide d’annuler, on prépare les choses parce que ça va pas durer éternellement, de même je pense qu’il faut qu’on se prépare à ce que les étudiants de Menton puissent être les jeunes qui constitueront un pont d’autant plus important aujourd’hui que ça ne l’était à l’époque quand on l’a créé entre les deux rives de la Méditerranée, puisqu’on voit bien comment depuis les révolutions, enfin les soulèvements, les « printemps » arabes de 2010-2011, le rôle de la jeunesse est fondamental, nota- C’est ça de revenir à Menton pour moi, ca a un côté, une sorte de fontaine de jouvence. A mon âge c’est un senmment de l’autre timent qui est assez agréable. Si je peux de ce fait, côté. Or, les in- faire bénéficier de mon expérience la jeune génération ça stances étatiques, me fera personnellement un très grand plaisir. les machines ministérielles, les Affaires étrangères etc. ne sont pas à même elles-mêmes à travers leurs administrations de prendre ce phénomène en compte. Et donc, c’est pour ça que je crois que Menton peut jouer un rôle absolument cardinal dans cette question et servir de trait d’union justement à un moment, où comme on le voit, avec la nouvelle crise des migrants dûe au chantage de M.Erdogan, on a besoin de penser ce phénomène. A Garavan, tous les jours le train de Vintimille est arrêté et les CRS procèdent à des interpellations de clandestins. On n’est pas n’importe où ici. C’est quelque chose qui n’est pas sans impact. Est-ce que le campus a réussi à jouer le rôle d’intermède et de plateforme


politique que vous lui assigniez au départ ? Je ne peux pas parler de ce qu’il s’est passé quand je n’étais pas là, on a essayé de le faire au début. On a des choses qu’on a réussies et d’autres qu’on n’a pas réussies, on avait pas du tout la masse critique à l’époque qu’il avait aujourd’hui avec près de 400 étudiants, en tout cas pour l’année prochaine. Je crois qu’il y a des enjeux très importants. Dans les projets de la nouvelle directrice et de la façon dont Frédéric Mion assigne les objectifs, je vois une raison très forte d’espérer, je suis convaincu que ça peut être mis en œuvre dès l’année prochaine, assez rapidement. En tout cas, moi je me tiendrai à leur côtés, après moi j’appartiens à une autre institution désormais mais ce n’est pas un problème. Vous avez recréé une chaire Moyen-Orient à Paris Sciences et Lettres c’est ça ? Oui voilà. Pourquoi le campus n’est pas plus connu ou reconnu ? D’un œil extérieur j’ai écumé internet pour récupérer tous les documents qui avaient un lien avec Menton mais il n’y a finalement pas grand-chose, on a l’impression qu’il y a une aura ésotérique autour du campus. Oui alors ça peut-être, je préfère parler de l’avenir que du passé, par courtoisie, je pense que ce n’est pas un problème, c’est quelque chose qu’on peut remettre à flot très vite. A partir du moment où on a les bonnes personnes, où on a une équipe de direction et une équipe pédagogique qui est motivée. Vous savez un campus, c’est bien sûr une direction mais ce sont aussi des universitaires et des étudiants, il faut que les trois fonctionnent en phase, ça je suis convaincu aujourd’hui qu’il y a cette volonté pour Menton 2020. Concernant les pays du Golfe, est-ce que vous êtes satisfaits de la promotion que vous aviez effectuée auparavant ?

des retombées

Ce sont des choses qui sont dues aux Pays du Golfe. La vis s’est serrée en Arabie. Quand le livre de Stéphane Lacroix, qui avait fait sa thèse avec moi à l’époque, et avait été publié dans la collection que je dirigeais aux PUF, puis en anglais, puis je lui avais fait obtenir une bourse pour Stanford et après trouvé un job à Sciences Po, quand son livre est paru, le cartographe des PUF avait fait une erreur et avait utilisé une vieille carte qui mentionnait, je n’y avais pas fait attention, qu’il y avait une frontière commune entre le Qatar et les Emirats alors que les Saoudiens avaient fait une guerre pour éviter qu’il n’y en eût une. Ca a été considéré comme un crise de lèse-majesté, pendant 7 ans, par ailleurs j’étais éloigné de l’institution, j’ai été interdit de séjourner en Arabie Saoudite. Alors que c’était le travail de M.Lacroix

qui avait été publié ?

Oui mais bon, il était dans une collection que je dirigeais. C’était un prétexte je pense, mais maintenant les choses ont changé parce que de l’Arabie Saoudite, sur qui on peut porter tous les jugements qu’on souhaite, mais quand j’y suis retourné en 2017, dans un contexte où j’étais invité au mois de mai, juste avant la première disgrâce de celui qui a été arrêté ces jours-ci, Mohammed Ben Nayef, qui était celui qui avait pris les mesures contre nous. Et de ce fait il nous est maintenu possible d’y aller et le pays dans sa dimension socioculturelle, du moins, s’est transformé. Les femmes ne sont plus confinées, le voile n’est plus obligatoire, après on peut débattre à l’infini de la situation politique saoudienne, et je crois qu’aujourd’hui justement il y a un nouveau


défi pour le Golfe qui devrait sans doute permettre pent, je n’ai pas à me prononcer là-dessus. C’est une de recommencer une présence dans cette région coïncidence, je suis un providentialiste athée, donc à comme on ‘avait fait au début. partir du moment où je reviens moi-même m’installSi vous deviez dresser un bilan de vos er partiellement ici et où on pense que je peux peutêtre aider un petit peu, je vois là un signe que je n’ose années mentonnaises ? pas interpréter. Vous voulez dire les années mentonnaises au campus ? C’était très exaltant, il y avait un esprit pionnier Si vous aviez une anecdote sur le camqui était merveilleux. C’était une chance extraordi- pus ? naire pour moi de pouvoir mêler mon enfance, parce De l’époque héroïque ? Oui justement c’était, quand quand j’étais enfant, j’habitais à Nice chez ma grand- j’y repense, cette promenade, ce trekking, quand mère qui était institutrice et directrice d’une école j’ai emmené les étudiants on a pris le petit bus de à Terra Amata, et tout l’été je le passais à Gorbio Sainte-Agnès, donc on était vingt-cinq, une vingtaine donc pour moi Menton, c’était une sorte de grande mais c’était presque la majorité, ensuite tout le monde métropole. Si vous voulez aujourd’hui, les étudiants était là avec ses chaussures de marche, son sac à dos, du campus considèrent que c’est moins bien que sa petite bouteille d’eau, sa casquette, ses lunettes et Manhattan, mais pour moi c’était au-dessus, donc sa crème solaire et on a marché les trois heures qui, chacun voyait midi à son heure. J’en garde un très par la Baisse de Bausson, séparent Sainte-Agnes de bon souvenir mais bon après je n’ai rien à dire sur les Gorbio et cet enthousiasme, dans toutes les entre10 ans où je n’ai pas été là, j’ai fait autre chose et puis prises on fait du team building, c’est-à-dire on apcertainement c’était très bien que d’autres s’en occu- prend aux informaticiens d’Apple à construire un

Photo: Alban Delpouy Col du Berceau et aperçu de la baie de Menton


radeau dans la forêt amazonienne ou je ne sais pas trop quoi. C’était merveilleux, les étudiantes étaient mignonnes et les étudiants, aussi, étaient mignons. C’était, je me souviens que les étudiantes avaient cueilli des cerises sauvages sur le passage dans la Vallée de la Roya. Quand on est arrivés, il y avait de la pissaladière offerte par le maire de Gorbio qui était un bon peintre, sympathique, M.Michel Isnard. Pour moi c’était quelque chose d’assez merveilleux d’arriver à joindre l’érudition, tout ce que j’avais construit pendant ma vie, mon village, et ces jeunes gens qui en parcourant ces Alpes de ‘l’Extrême Sud faisaient spontanément le lien avec les paysages de l’Atlas ou de l’Anti-Liban. Vous savez, avec l’âge, la mémoire efface, il vaut mieux qu’elle efface un certain nombre de souvenirs. Vous connaissez cette célèbre phrase de Renan, ce qui fait une nation, ce n’est pas qu’on se souvient de la même chose, c’est qu’on a oublié les mêmes choses, donc je vais me situer dans la lignée d’Ernest Renan, par ailleurs un auteur dans la filiation intellectuelle du quel je me sens assez bien, et c’est sans doute la plus belle anecdote du campus, je ne sais plus quelle année c’était, sans doute 2008, j’ai oublié. Puis tout le monde est redescendu du car de Gorbio à Menton et l’histoire s’est refermée, mais bon elle peut revenir, je suis prêt à organiser de nouveau du trekking, à part que maintenant il va falloir bientôt m’hélitreuiller si ça continue. J’imagine que vous avez fait le col du berceau ? Alors ça c’est un projet de mon installation ici ! Sospel-Garavan, si j’y arrive parce que quand même j’ai l’âge pivot, donc des choses qu’il faut malheureusement accepter, des choses qu’on ne peut plus faire.


Note de publication : remerciements au service urbanisme de la ville de Menton pour les précisions sur la villa Mer et Monts. Un grand merci par ailleurs à Asma A., secrétaire générale de MedMUN, pour avoir rendu cet entretien possible !


The Menton ExperienceTM

by Oskar Steiner

I am an incredibly forgetful person, which might explain why this is my first contribution to the newspaper I’ve been a part of for the last two tears, or so I like to tell myself. My memory is a frustration of mine (when I remember how forgetful I am). So much so, in fact, that much of my general angst around leaving comes from a distrust in my own mind. How will I remember my two years? What if I don’t remember them correctly? What if I lose all of this because my neurons decide my 6th grade phone number is more worthy of a tenured position in my memory? For much of my time in Menton, as I’m sure all of us have to some degree, I’ve been exceedingly conscious of the expiry date on our time here. Because of this, the preoccupation with how I’ll immortalise my time in Menton has surfaced now and again. Quite frequently, it comes down to one specific question: did I really get to live the Menton ExperienceTM? The buzz of the three-euro wine tints the world a soft gold, easing each moment into the next with a gentle warmth. The embrace of a friend, the smile of another. The droplets of sweat are washed away by a plunge of salty water tainted with Carrefour sunscreen. Leaning back, the warmth of the September sun bounces off the vielle ville, splashing an orange glow across our faces as the Mediterranean stings the cut of unknown origin on your forearm. Back on the beach, some rest, some dance. Cigarette smoke and the smell of cheap orange juice drift loosely on the breeze. More wine is opened and we drink straight from the bottle, swirling the lukewarm white with the occasional grain of Sablettes sand. The air is heavy and warm, and it begs of us to stay put, the glare of the concrete promenade too oppressing to face. Time passes in near bliss, the speaker dies, the sun dips, and the tickling evening wind nudges us back into our t-shirts and up the stairs where we make our way to the nearest apartment—yours is just big enough to fit us all. As pasta boils unsupervised, naps are taken—voluntarily or otherwise— and Dancing Queen plays somewhere for the 4th time that day. The last gasp of sunlight threads through the single-pane windows, falling on the table and painting your apartment with an elegant radiance. There is a party tonight somewhere. Earlier in the day you wanted to go but are now unsure; that would mean moving. You’re comfortable, peaceful. No need to decide yet, you think softly. Maybe you’ll make it out that night, maybe you won’t. Your eyelids gain weight and fall slowly, the HEMA blanket sitting just right on your lap. Outside, the chorus of seagulls and cheap Vespas soften the air, and you fall asleep. The Menton ExperienceTM is a hard one to pin down. It is everywhere, permeating our interactions and poking at our social lives. It is the flag bearer of Fun and the guardian of Good Times. The Menton ExperienceTM is a sultry mix of unabashed chaos and curated content. It is Frites City, it is Soundproof parties. It is La Loca, Flixbus, brunch, stress, Ventimiglia, MEDMUN, Minicrit and the 5am morning train back from Nice. It is a dinner party and tequila shots followed by a late night on Sablettes with a walk to SuperU returning a rogue shopping cart. It is a trip to Eastern Europe, problématiques, and Canva. The Menton ExperienceTM, however, is a phantom. It exerts its subtle pull over all of us, guiding us towards an ideal-type of shared memory. Of course though, all our experiences will be different. There are common threads, no


doubt, yet the phrase ‘I really just want to live the Menton experience’ carries a certain all-encompassing weight to it. Because of this, I’ve noticed a personal tendency to idealise memories as I’m creating them. I can’t let them stand on their own, no; they must make up one piece of the broader pie that is the perfectly written storyline of my time here. This isn’t to say I’ve never fully appreciated moments here, rather the opposite. I’ve enjoyed some moments so thoroughly that the fear of losing them forces me to think ahead to how I’ll preserve them, thus pushing me to feel as though I never really grasped them in the first place. The Menton ExperienceTM, entirely unintentionally, becomes an idealised set of criteria that we apply to our time here. Moreover, it’s one that can never be entirely satisfied—there must surely be one more thing you could be doing right now to maximise your time here, right? You leave the party at 11:30, tired and spent. The music fades as you make your way down the stairs and stepping out into the evening air, the bite of the October wind presents itself to your cheek. As you walk slowly along the promenade, hands sheltered in your pockets, you wonder passively if this is it. Is this the best that you can be doing? You stop and perch yourself on a bench overlooking the sea. Below, a group makes their loud and tipsy way back to the very party you just escaped. Within ten minutes you’ll be home, yet you now question whether you should double back. It’s still early. The moon is an awkward slice, neither full nor empty, and the half glow it spatters over the town is just strong enough to cast a shadow. You sit and stare, unsure. As you may have gathered by now, I firmly believe that the spectre of the idealised Menton lifestyle is a crock of shit. Each of us find our own way to make this place our home for two years, and reducing that down to a flashy series of Instagram stories runs the risk of letting the most vocal among us dictate what it means to be Mentonnais(e). Moreover, the idea that there exists a core set of experiences shared by all students wholly misses the point. What I mean to say is: there is no ‘Menton Experience’ beyond that which we create for ourselves—the community. From the day we arrive, our peers are the entirety of what we have to work with here. For many of us, living alone in a new country for the first time, there is nowhere to turn other than outwards, embracing people as lifelong friends whom we met two weeks previously. The beauty of our time in Menton reveals itself in these moments. It is not the artfully plated brunch nor night out in Monaco that matter. The awkward eye-contact made on Rue Longue before you’re close enough to say hi—that matters. The moments that make up the one experience we can claim to share—the experience of each other—are for the most part mundane. They are routine and banal yet constitute the bulk of our time here. Life in Menton is not a kooky ride along a laundry list of quirky experiences, it is stunningly normal. Once this realisation sinks in, the issue of memory becomes a lot easier to address. There is no narrative you need to satisfy and no expectation to live up to. Worrying about whether in twenty years you’ll still be able to wear the same set of rose-tinted glasses you’re wearing today is an exercise in futility. Memory is not a slideshow. Our memories make up the core of who we are and we make up them—we are the sum of all our previous experiences. The act of living itself is a process of constant remembrance, and when viewed as such, there is no conceivable way to forget what were, at any rate, two batshit crazy years. To do so would be to lose a part of ourselves. Sure, the specifics may fade. Maybe you forget an experience here and there, the visuals you can conjure up slowly reduce themselves down to a simplified line drawing coloured with pastels,


and the timbre of an old acquaintance’s voice slips from your grasp. Such is life. That said, the essence of our time here will endure as long as we do. For worse or for better (I’d argue the latter), these two years have shaped us, and this experience will be something we carry with us in some capacity throughout the rest of our lives. It is sunny again, although the crisp temperature still warrants hoodies for English track and scarves for the French. The incessant wind of the last few days has taken a temporary break, and you step out into the brightness of the courtyard, eager to escape your third hour of imperfect competition and pareto improving projects. Someone cracks a joke about marginal utility (or their lack thereof). Cigarettes are lit impatiently and we congregate in the sunlight, conversation less important than the simple pleasure of being anywhere other than the classroom for five minutes. For those who are lucky enough to charm the temperamental machine, hot coffee is clutched tightly. Another class spills out and you seize the chance to mingle, aimlessly passing time before the last hour of class calls you back to your feigned attention. Five minutes become ten, and eventually we begin to reluctantly filter back into the now harshly dark hallway. You’re one of the last to head back, preferring to let the faint warmth of the November sun tickle your neck for a minute longer.


To all my fellow classmates and friends, thank you. Simply put; the two years spent here were the most formative, beautiful, and unique of my life. In the face of all this chaos, it sometimes feels like the world is ending, and in many ways it is. The world here that we have inhabited and built for ourselves, the world we have adjusted to and found our roots in, is changing. It is true, that there will never again be a time like these last two years, for worse and for better. The utter insanity of this campus is something that cannot be replicated. Nowhere else in the world can you find such a small, closely-knit, and stunning group of people from quite literally all over the world. Nowhere else on the planet can you find such a high concentration of incredible, interesting, talented and frankly weird—but cool—nerds. In my time here I have met the best musicians, poets, writers, athletes, dancers, thinkers and friends I have ever known, which is obscene given the fact that this school is built with such a narrow objective in mind. For a group that is so similar we are so remarkably different. I truly believe that by having this last year yanked away from us so abruptly, we had an opportunity to witness the power of our experience. The theme of this issue is Goodbye Menton, except it isn’t. This issue—no matter how many articles get written about the end and the farewell—is first and foremost about everything else. A goodbye is given meaning by what came before it. In February, I went to Paris. One evening, over drinks with a group of four former Menton students now in grad school, the permanence of the community formed here impressed itself on me. Here were students from four years ago, still living together, still laughing cynically about the administration, and still friends. We traded stories of maniacal Rue Longue dogs, unanswered emails, parties (outside) Gar Hira, and chaotic classes. The extended community we had both shared locked us in a conversation not unlike any of the ones I’ve shared here, and at that point, my fear of forgetting tucked itself up into a neat little ball and quietly began to wither. The truth is, you can’t forget Menton, Menton won’t let you.

You lie in bed on a Thursday evening, the Arabic lesson you escaped only 15 minutes prior rattling around in your head. Your room is unkempt, and four coffee mugs lie stashed in the corner, awaiting further orders. It’s raining outside with the accompanying twilight gloom seeping under your window and into your room, casting a shadow on your already fragile mood. You are annoyed, exhausted, overwhelmed, and crumbling. You have a math test tomorrow. Fuck math. Your phone buzzes with the incessant chirps of one of the numerous group chats you wish you could leave, and when your parents attempt to call you you let it ring to silent, preferring to sprawl face-down over your duvet. As you lay deep in your self-induced, self-indulgent stupor, the sound of the rain shifts. It changes softly at first, but soon the random pitter-patter has a certain music to it, and the chill of the evening is chased out by your space heater. You stand up, make yourself some tea, and migrate to your couch. Today was not a good day, nor was it a particularly bad one. As you reflect on the utter mediocrity of your mood, your roommate bursts in, joyful as ever—he bought a roast chicken. You sip your tea hiding a reluctant smile; your insistence on despair steadily weakening. Maybe today wasn’t so awful after all. The rain continues, the chicken is salty and warm, and after a brief stint on Netflix you settle under the covers, oblivious to the deadline you’re about to miss and retroactively discover tomorrow morning. Life is ok, life is good, life is here. Photo: Laura Fairlamb


Un seul être vous manque et tout est dépeuplé par Tom Azoulay C’est là que j’ai pris mon premier repas. Fin août ou début septembre, je ne sais plus trop. Mais il faisait chaud. Une belle journée. Le soleil d’été qui tape encore sur la peau. Je ne me souviens pas tant que ça du discours de bienvenu, seulement peut-être l’allusion d’El Ghoul aux Menton babies. En revanche, j’ai cette image très précise de ce petit resto. Fin de rue Longue, quand le passage étroit s’ouvre sur la Place du Cap. Chaises blanches, tables grises, des deuxièmes années déjà attablés. On s’assoit, on commande, et puis tout commence. Le début d’un an et trois-quarts au campus de Menton, d’un an et demi à manger au Milady… S’il est un record que je détiens parmi la promotion c’est sans doute celui-là. À raison d’une présence sans faille deux à trois par semaine au cours de ma première année et d’une assiduité hebdomadaire toujours honorable lors de ma deuxième, je fus sans doute le plus gros consommateur de « sandwich kebab sauce algérienne ». Alors même que mes colocs se ramenaient avec leurs Tupperwares sur le campus, que les uns préférait la Brioche dorée plus « healthy » et les autres le McDo plus « corporate », c’est avec un point d’honneur que je donnais mes 5€ et repartais avec mon kebab, mes frites et parfois un thé. Et à mesure que les mois passaient, que le soleil se faisait de plus en plus haut et de plus en plus chaud dans le ciel mentonnais, qu’un groupe de potes se formait, c’est le Milady qui se remplissait. Bientôt, il fallut mettre deux tables côte à côte ; parfois trois, et le temps d’un kebab c’est Apéro qui se réunissait. Alors on goûtait à la saveur de tout ce qui faisait Menton, l’espace d’un midi. Étrange au début, différent de ce que chacun de nous avait connu dans sa ville. Mais c’était une saveur irrésistible, qui nous poussait à revenir trop de fois. Revenir, revenir jusqu’à que tout ça devienne si familier. À s’assoir tant de fois au même endroit qu’on aurait pu y inscrire nos noms sur les chaises ou en garder une en souvenir. Ce qui nous paraissait étrange devint une habitude. Un lieu qu’on connaissait par cœur. On prenait nos propres commandes, cinq fois le même sandwich. Parfois plus. Parfois même une pizza se rajoutait. On pensait y aller trop de fois, on se jurait de pas enchainer deux jours de suite. Mais c’était trop bon et on aurait eu tort de pas rompre nos promesses. Les meilleurs moments c’étaient ceux-là, ceux improvisés, à se demander qu’est-ce qu’on faisait encore autour de cette table. Les mêmes sandwichs, les mêmes frites, le même thé à la fin mais surtout les mêmes potes. Tout paraissait trop beau et tout s’en est allé trop vite. C’est le premier nuage qui


s’est profilé au-dessus de la mer. Un nouveau kebab, une rumeur d’un bar à chicha. Au final, on s’en est peu soucié, pourtant dès le début du second semestre un bout d’âme de ces années ici s’en était déjà allé. Et puis il n’y a pas eu de bar à chicha et le nouveau kebab n’a jamais eu le même goût. Alors, il ne reste que les souvenirs, des moments arrachés au passé pour vibrer encore une dernière fois. Comme ces fois où le débat faisait rage à savoir s’il fallait prendre baguette ou galette. Comme ces fois où les premiers arrivés commandaient pour les derniers. Comme ces fois où les commandes se mélangeait entre la cuisine et nos tables. Comme cette fois où la sauce algérienne devint la meilleure sauce au monde. Comme ces fois où l’on débriefait des soirées du week-end. Et comme ces innombrables fois où l’on profitait : des potes, des histoires, de Menton. Le Milady était au kebab ce que Gar Hira était à la soirée étudiante, ce que Menton est à Sciences Po. Petit, pas prévu pour ça, mais symbolique. Preuve qu’il ne fallait pas grand-chose pour animer la Ummah. Il ne fallait rien, en fait, juste deux cents étudiants et la même joie d’être ici, en vert et contre tout.

Photo: Laura Fairlamb


Place des lumières

par Victoria Bruné

Du haut du puit de sciences, chantre du savoir et de sérépendicité, les esprits bourgeonnants et effervescents bâtissent tour à tour leur plan de vie dès les aurores. L’érudition et l’humanisme forgés dans la place des Lumières, soufflent d’heureux augures.

thaumaturges politiques sonnent le péan en exaltant les lithopédions identitaires et des axiomes improbables, inoculant le virus de la peur, muant l’Autre en bouc émissaire à immoler sur l’autel de la vindicte. Leurs philippiques corrosives portent les brandons Face au flot incoercible des fracas géopolitiques et des d’un avant apocryphe et d’un phalanstère monocuivres guerriers, des générations de plus que vain- lithique épuré des scories désignées par la férule de queurs se lèvent et se succèdent, se forgent, s’arment ces augures démagogues. de connaissances économiques, sociales, historiques, Propulsés par notre Puits de sciences, nous sommes politiques, humaines… et d’espoir coruscant. Dans à l’aube de nos responsabilités pour entrer dans nos cette haute sphère des sciences azuréennes, foison- plans de vie respectifs. nent des débats pour repenser un monde vicié par L’érudition et l’humanisme forgés dans la place des les forfaits des beltaguis, des bonzes, des ingénus et Lumières nous conduiront à refuser cette forme de autres esprits malléables, créant des empires capital- théorie de la sensibilité kilométrique. Elles réveillent istes-néolibéraux qui détruisent et exterminent sans et nourrissent des âmes créant des ponts en réponse merci. à l’édification sinistre de murs-frontières dans les « La jeunesse est la seule génération raisonnable » af- coeurs. Isaac Newton disait « les hommes construfirmait Françoise Sagan. isent trop de murs et pas assez de ponts », il revient Aujourd’hui plus que jamais, la planète en état de aux esprits bourgeonnants et effervescents, de naître dilacération, nécessite la sagesse d’esprits bourgeon- de nouveau, de lever une armée empreinte d’esprit nants et effervescents pour repenser un nouveau de discernement brandissant le feu de la sagesse humaniste. dogme fondé sur la biodignité. Un devoir moral nous échoit ; briser du talon les sept têtes de l’Apep économique et social, combattre les perspectives mortifères promises à notre avenir. La culture des esprits s’appropriant les outils de sciences et d’aptitudes, pour rebâtir les traverses de l’espoir et démanteler les bulldozers syncrétiques et dogmatiques, prend un sens quand elle devient le flambeau de notre génération.

Façonnés par les sciences reçues, porter les étendards d’une aube nouvelle et agiter le drapeau de la dignité pour tous, sont les clés de voûte de mobilisations, des indignations. Dans ce maelström inégalitaire, il appartient aux soldats de la sagesse de briser les chaines et de mener la joute contre les toiles d’oppression, d’iniquités et de misères. La recherche de richesses immatérielles pour faire tomber les murs de hontes, pour conjuguer vers l’humanisme, est le devoir des bâtisseurs de liberté forgés sur les bancs du savoir du Puits de sciences, que nous deviendrons.

Cette nouvelle génération issue du chantre du savoir, doit s’affranchir et briser les liens patriarcaux formés par le pouvoir pervers de l’argent, pour refuser cet héritage funestement abyssal qui pèse déjà sur nos épaules. « Nous devons nous rappeler que notre première Parallèlement à cet environnement erratique, des tâche est d’éradiquer la pauvreté et d’assurer une meilleure vie à tous » – Nelson Mandela.


Photo: Laura Fairlamb


La comédie mentonnaise Menton, une comédie… Mais quelle comédie ! Nous voilà, 2As, arrivés au terme de cette fresque cocasse que sont ces deux années passées (ou presque) en terre mentonnaise. « Presque » car nous n’avons finalisé que trois semestres sur les quatre prévus initialement. De la comédie en quatre actes nous sommes passés à la tragédie en trois actes… Tel un coup de théâtre, le coronavirus est venu anéantir notre fin d’année, nous a privés d’un dénouement que nous imaginions grandiose. Pire, le Minicrit, censé couronner une année d’efforts et d’engagement, a été annulé. Le coup fut rude. Habitués à une grande proximité dans notre quotidien, nous avons été soudainement isolés, condamnés à nous terrer dans les coulisses sans trop comprendre la teneur des évènements. Un sentiment d’inachevé, un goût d’inaccompli nous ont alors traversé. Nous n’avons pu jouer le dernier acte de notre pièce… Nous sommes « morts sur scène », tels des Molière désabusés. Oui, l’utilisation du lexique théâtral est délibérée. Je vous l’ai dit, Menton, quelle comédie ! Le décor d’abord : un campus dont la façade arquée n’est pas sans rappeler les théâtres à l’antique, avec l’Espace étudiant pour scène, les étudiants pour acteurs. La mer et la vieille-ville sont les spectateurs médusés de nos manœuvres quotidiennes. D’aucun dira que nous avons la patrie de la Comedia dell’Arte pour voisine directe. Les personnages ensuite : L’analogie entre étudiants et comédiens est infamante ? Je ne pense pas. N’avons-nous pas tous, à des degrés différents, joué un rôle à Menton ? Qui n’a pas déjà eu l’impression d’être une parodie de lui-même ? Qui n’a pas surjoué un de ses traits de caractère ? Qui n’en a pas inventé un parfois ? Et en même temps, comment nous le reprocher ? Que celui qui n’a pas péché lui jette la première pierre, dit la formule consacrée. Nous avons tous débarqué, une fin de moi d’août

par Gaspard Moretto

2018, des quatre coins de France, de Navarre et du reste du monde, incertains de ce que nous allions vivre, souvent impatients, quelques fois effrayés. En investissant le décor, nous avons dû apprendre à connaître nos partenaires de scène. Puis, très vite, il a fallu se faire une place dans le récit, se trouver une réplique dans le dialogue. Nous avons aussi dû nous familiariser avec les petites habitudes de la maison :


un amour inconditionnel pour la couleur verte, des chants d’une rare élégance, des accessoires toujours très sophistiqués. Que d’apprentissages, d’introspections, de remises en question durant ces quelques mois ! Nous avons plus d’une fois été assaillis par le doute, inquiets de ne pas être à la hauteur. Mais n’était-ce pas là un doute salvateur ?

vie étudiante peut-elle éclore dans une ville si morne, où le nombre de retraités est inversement proportionnel à celui de bars dignes de ce nom ? Que font tant de personnalités uniques dans un tel endroit ? Ce contexte a d’ailleurs accouché de bien des esclandres, de bien des comiques de situation. Entre l’apathie du « november blues » et l’hystérie des chants L’intrigue après : entre drames et farces, vaudevilles de la Ummah, nous avons parcouru tout le spectre et péripéties, notre vie mentonnaise nous a réservé des états de conscience. Parfois la compagnie s’est bien des surprises. À moi le premier. Comment une divisée, ne s’entendant plus sur la direction à suivre, s’écharpant sur quelques répliques mal interprétées.

Photo: Laura Fairlamb


La rancœur a pu être tenace, l’exaspération profonde. Il fallait occuper le devant de la scène. Mais que d’affection, que d’amour également ! Rarement j’ai vu tant de solidarité qu’à Menton. Rarement j’ai vu tant d’approfondissement dans les relations, tant d’efforts pour conserver des amitiés chères. Et tout cela, c’est peut-être grâce à cette comédie dont je vous parle, et à son effet cathartique. Tous assignés à des rôles distincts, imprégnés par une tradition omniprésente, catalysés par des évènements collectifs, limités par un périmètre restreint, nous avons peut-être été en fait… libérés. Libérés de cette légèreté qui empêche souvent de s’intéresser à l’essentiel, qui dissout les évènements de la vie dans une indifférence diffuse. À Menton, nous avons découvert la grandeur et la petitesse de chacun, mais surtout notre misère lorsqu’on veut « donner la réplique » seul. Et peu d’endroits peuvent se targuer de prodiguer de si riches enseignements. Le dénouement enfin : comédie ou tragédie ? C’est à vous de choisir, selon la résonnance que vous voulez donner à cette fin brusquée, et selon votre ressenti général de la pièce. Mais une chose est sûre : tous, nous avons joué un rôle essentiel, sans lequel Menton n’aurait pas été ce que nous lui connaissons et que, pour beaucoup, nous chérissons.

Photo: Laura Fairlamb



On coming of age by Emma Pascal I am becoming a woman.

ments. I grew up in among Swedish expatriates – and you only need to sit through one (1) lecture at Sciences Po to learn that Sweden is the best at all forms of equality, right? We still have work to do.

I am progressively leaving teenage girlhood, as I enter an academic environment where I am expected to Female solidarity be an adult. In this new world, I can’t act as a seem- When I arrived here and saw the female majority on ingly clueless, smiling, lenient little girl anymore. campus, I caught myself being slightly disappointWhen I arrived in Menton in September, the word ed. I realized I still had a socially-constructed bias woman felt heavy and boring to me. It was much eas- toward women, when I thought I had unlearned it ier to be a girl. It felt youthful, naïve, sexy, and very years ago. I had been taught to value women as less non-threatening. I like being a girl—but I didn’t like fun and interesting, and it was still deeply ingrained that it was all I knew how to play. Now, I know that in me. The past year has permanently taught me that a majority of girls in a room is not boring, or silent, women are not only capable, but beautiful, too. or tame. There is no gendered difference when peoThis article is to thank the entire campus—both stuple know they can do anything. dents and teachers—for the inspiration they have Having a majority of girls around, combined with the given me during this coming of age. culture of validity and respect for women described above, has created such an empowering space. I have Gender equality discovered what female solidarity is. Here, girls do This campus has taught me what real equality and not compete for space and speaking time. There is no slut shaming. Simply the fact that such a healthy respect feel like. mindset can exist feels magical to me. My gender has never mattered less. My value here is determined by my work and intellect as a student. I am considered a friend in the community, before be- Good role models ing an object of desire. This is the place where I have I want to thank all the girls and women on campus been the least exposed to sexist remarks and bias in who have been inspiring real-life models to me. my life. I have never felt so empowered to speak up, take the lead, and launch projects before. Because Women whose poems are worth publishing. Women who rap. Women who recite angry Palestinian poetry. when I do, I feel valid. It feels natural. Women who start debate clubs. Women who write It is also the safest place I’ve lived. I feel safe going about their natural hair and women who draw sharp out and having fun around (most) boys on campus. arguments à la française. Women who study anthroI have never had so many allies looking out for my pology and women who quote Plato. Women who safety, supporting each other and intervening, even if play basketball and women who dance. Women who just in case. This community lets 1As know from the stand up on the first day of class ever, and loudly start that crimes will be punished. state their political opinions on the hijab in France. I am sad to say that all of this is refreshing to me. I Women with short hair and women with natural hair am surprised, as someone who until now thought she and women with shaved heads and women with the had grown up in the most progressive of environ-


longest hair I’ve ever seen. You’ve proven to me that women can do whatever men do, without having to mask any part of themselves. You’ve shown me that women are capable and legitimate. I want to support you all and see you grow, all of you.

I want to thank the entire campus collectively, for proving to me that my expectations were way too low. You have created a healthy, empowering space where I have thrived. I have learned that women and girls can achieve anything, and that men are fully capable of being the excellent allies that they are here.

I have learned that becoming a woman is not a bad thing. Becoming a woman is blossoming.

Thank you all for teaching me how equality is actually done.

Photo: Nour Aljowaily


Wrapping an LGBT-Pride Flag Around Palestine - but with care by Santosh Mudaliran Like a rooster’s resounding morning crow at sunrise that propels an entire village out of their night’s sleep, the loud chants from the voices of the 250,000 people gathered in the bustling city of Tel Aviv every June during LGBT Pride Week reverberate around the globe, echoing in the ears of those miles and miles away. The rest of the world listens and catches a glimpse at an illuminated gay-friendly Israel managing to thrive afloat in an ocean of Middle Eastern homophobic darkness— paving the way, if you will, for the Jewish nation to cry to the liberal democracies of Western Europe and North America: I am one of you.

to mean that between two men. Violating the law ensued at least a minimum of 10 mandatory years in prison. For comparison’s sake, the consequence for “hav[ing] unlawful sexual intercourse with a female against her will” was 14 years, only four more mandatory years in prison.

The law was modeled under the English Common Law and applied throughout the British Empire. Hebrew newspapers from the Mandatory Palestine reported various cases of (mostly male) Arabs and Jews from the Arab World residing in Mandatory Palestine who were punished and tormented under the law for commitThe entirety of the Holy Land’s ting “unnatural” sexual acts. soil used to be deep-rooted with In the present day, with the Holy anti-LGBT sentiments, planted by colonizers themselves. The Land having been transformed thought of a highly populated into the multi-party parliamentary port city flying rainbow flags on democratic state of Israel and the flagpoles amidst a parade of gay Palestinian territories of the West men and lesbian women kissing Bank and Gaza Strip which Israel their lovers would have nauseat- militarily occupies and blockades ed British colonial powers. The (respectively), scrutinizing LGBT British Mandate Criminal Code rights in the context of the IsOrdinance, No. 74 of 1936 crimi- raeli-Palestinian conflict is tricky nalized “carnal knowledge” (sexu- without succumbing to the comal intercourse) which was “against monly propagated “liberal Israel, the order of nature”—interpreted conservative Palestine” depiction of the Holy Land that the Western

world has largely accepted. Yet it is far more convoluted than such a generalized (and incomplete) depiction; it is a question of the calculated and specific way in which Israel promoted its pro-LGBT laws, the presence of homophobia embedded in Palestinian political and social spheres, and ultimately, what “liberation” can entail for LGBT Palestinians.

“Real Liberals Love Israel”—Or, Israel’s Gay Propaganda War Starting in the early 2000s, Israel began abusing their progressively sterling record in advancing and protecting the rights of their LGBT community by politicizing it and diminishing the complex stories of Israeli LGBT communities to that of pawns in a dehumanizing game of political chess. Yelling “checkmate” meant international political dialogue focused on Israel’s seemingly unconditional acceptance of their gay and lesbian communities and the community’s enjoyment of their enhanced civil and other rights rather than anything remotely related to the myriad of issues sprawling from the ongoing occupation of the West Bank and military blockade of the


Gaza Strip. Israel had an unquenchable appetite for a more Western self-image that resembled more of the seemingly egalitarian and liberated countries of Western Europe and North America than what they often generalized as the war-torn and archaic Middle East. In 2006, then-Foreign Minister Tzipi Livni described it best: “let [the word ‘Israel’] invoke not fighting or soldiers, but a place that is desirable to visit and invest in, a place that preserves democratic ideals while struggling to exist”. Thus, the Israeli government themselves launched the “Brand Israel” campaign, of which one of the national projects was the, as the UCLA Queer Cats Journal of LGBTQ Studies refers to it, “Gayfication of Tel Aviv”. That same year, the Israeli Minister of Tourism launched a website to appeal to LGBT tourists, and in 2010, with the help of the Tel Aviv Tourism Board and the Aguda, a non-profit that works to engage Tel Aviv’s LGBT community in the economy, created the “Tel Aviv Gay Vibe”. This was a website that advertised Tel Aviv’s gay bars, nightlife, “biggest parties”, and even encouraged LGBT tourists to download and use “Atraf Dating”, the country’s equivalent of the LGBT dating app Grindr. Efforts to attract LGBT tourists complemented a general rise of fervor and enthusiasm within Israel’s LGBT community, many of whom—more than 250,000, to be exact—vehemently marched every June in the Tel Aviv Pride Parade which, 26 years after the inaugural march in 2019, was promulgated as the largest LGBT pride parade in the Middle East and Asia.

on the basis that, at the very least, the legal protection of LGBT communities against discrimination and written law declaring the equality of LGBT and non-LGBT communities (both of which are enshrined in Israeli law) is not to be confined within national borders but is rather a global necessity, and Israel’s LGBT-friendly nature is along those lines an indication that, on the global scale, progress is being achieved. Even the branding of a city as “gay-friendly” to capitalize on the economic potential of an influx of LGBT tourists to the growth of a national economy is not unique to the Israeli case; notable other cities such as Berlin have marketed themselves in similar ways to attract more tourism. What is unique to the Israeli case, however, is the role that of Israeli government and pro-Israel organizations using the seemingly increasing tolerance towards its LGBT communities plays in larger, propagandist and dehumanizing political ploy that aims to reflect Israel in the Western, liberal mirror to illustrate a dichotomy between them and a comparatively, as they describe, bigoted Middle East. An official of the Zionist American organization StandWithUs did not beat around the bush to the Jerusalem Post in 2009: “As far as a lot of people are concerned, Israel is Gaza and the West Bank and tanks, and they don’t see the beautiful culture and the liberal side.” Caroline Glick, journalist of the American newspaper The Jewish Press, specifies what the “liberal side” entails: “[Israeli] Ministry officials view ‘gay culture’ as the entryway to the liberal culture because . . . gay culture is the culture that creates ‘a buzz.’” And the “buzz” was not only created, but thundered around

the world, so clamorous in its volume that, on a globBut in and of itself this advancement of LGBT al scale, it offered little to no room for the amplifirights merits commendation and celebration merely


cation of Palestinian voices in detailing the ongoing struggles and systematic oppression they face as a result of the illegal Israeli occupation. Take, for example, StandWithUs distributing a flyer, which on the left side listed Egypt, Gaza and the Palestinian Territories, Iran, Iraq, Kuwait, Lebanon, Oman, Saudi Arabia, Qatar, Syria, and Yemen and on the right side listed Israel, the latter whose name under which there was the caption: “The Most LGBTQ Progressive Nation in Africa and Asia”. The same company allows you to, with just 0.46€, purchase a 6x9 flyer titled “Real Liberals Love Israel” with the caption “The best army in the Middle East does not discriminate against gay men and women,” highlighting the fact that LGBT individuals can openly serve in the Israeli army but also intended to, as the product description says on the StandForUs website, prove that “Israel has record of being more open-minded about gay rights than most other countries in the world, including the U.S.” Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu said to the U.S. Congress in 2011, employing disturbingly orientalist generalizations of the Middle East: “In a region where women are stoned, gays are hanged, Christians are persecuted, Israel stands out. It is different.” In 2014, a full-page advertisement in the New York Times designed by StandWithUs titled “Hamas, ISIS and Iran kill gays like me” featured a brief story of a gay American—neither a Jew nor Israeli—who attended the Jerusalem Pride Parade and “felt at home” because Israel was the only country in the Middle East where he could live “without fear”. In another speech, Netanyahu told Palestinian peace activists to go to Tehran or Gaza where they “hang homosexuals” if they were not willing to accept that “anyone for whom human rights are truly important needs to support liberal democratic Israel.” Amir Ohana, right-wing Israeli Jewish member of

the Knesset originally of Moroccan origin who identifies as gay himself, said “I don’t see how anyone who considers human rights important, not to mention LGBT rights, can say, ‘Yes, the establishment of the 22nd Arab state is the answer for the Palestinian LGBT community.’”, referring to all Muslims as “cultural[ly] murderous”. And, albeit not the most widespread in terms of popularity but nonetheless perhaps the most indicting example was during Operation Cast Lead, a three-week armed conflict between the Gaza Strip and Israel. During the conflict, the questionable and deadly military tactics of both Israel and the Gaza Strip were vulnerable to and did receive international criticism. However, Israeli film actor Omer Gershon was hired to create a YouTube video (under the account “marc3pax”) titled “Who you get in bed with- human rights, gay rights” where he introduced himself as “Marc” and detailed his experience trying to participate on behalf of his LGBT network in one of the Free Gaza Flotilla (with flotillas coming from Europe, the United States, and Africa carrying humanitarian aid to the Gaza Strip with the intent to disrupt and end the Israeli and Egyptian military blockade of the Gaza Strip) but was denied when they responded saying it would “not be in the best interest of the flotilla”. He then outlined that the flotilla who he had contacted had an affiliation with Hamas and proceeded to underscore the hostility and brazen intolerance of Hamas towards the LGBT community in the Gaza Strip. While it would make sense that he would feel the need to condemn Hamas as he was specifically barred from aiding a flotilla that aimed to liberate the Gaza Strip due to his affiliation with the LGBT activism, Gershon is a zionist and a strong defender of the state of Israel, for whom the thought of offering support to the other side of the conflict would never have crossed his mind if not as part of a ploy to expose the anti-LGBT stance of Hamas to shift the spotlight from the military blockade to Hamas’ discrimination. He ended with: “Be careful


who you go to bed with, if you hook up with the same group, you might wake up next to Hamas”.

thoroughly intertwined with Israel or general LGBT rights are used to transcend their boundaries Evidently, it becomes impossi- into unrelated areas of stretched

ble to stand in solidarity with the LGBT community of Israel as they exercise their well-deserved rights without being inundated with statements of how, in fact, these progressive laws are an

analysis for the sake of solidifying Israel’s liberal and gay-friendly image in stark contrast to its neighbors. For instance, using an advertisement of a gay American anomaly in the Middle East and who had not a drop of Israeli or must be treated and remembered Jewish blood in him but attended as such. Even cases that are not one Jerusalem LGBT pride parade

and confirmed that he can live Israel freely as opposed to Iran or ISIS- or Hamas-controlled regions is as arbitrary of a comparison as

him attending one Helsinki pride parade and subsequently investing time and energy into creating an advertisement expressing his love Finland because he can live in Finland freely as opposed to neighboring homophobic Russia. Both statements are indeed true,


but as a man who never intended to live in Israel (and certainly not under Iran, Hamas, or ISIS—not to mention the fact that the representation of all three as inherently similar is inaccurate and absurd in itself) and merely visited as a foreigner, he was used, in a disturbingly clear way, to speak on a broader scope of an argument to further perpetuate a propagandist political agenda. Moreover, when addressing the Israeli army, only shedding light on the fact that LGBT individuals can openly serve in it is alarmingly misleading, for if one were to engage in a constructive discussion regarding Israel’s military it would by nature of the gravity of the lingering Israeli-Palestinian conflict have to, at the very least, center around how that the same military is being used to occupy the West Bank and militarily blockade the Gaza Strip. Yet StandForUs conveniently omitted the latter point, misrepresented the reality, and narrowed the lens through which the world should examine the Israeli army: as an egalitarian, inclusive, and progressive one that celebrates its gay and lesbian fighters and that any “real liberal” would love. Condemning this form of pinkwashing serves to neither discount the progress of the LGBT community in Israel in gaining their well-deserved rights nor deceive others into believing the countries of the Arab or Muslim world of-

fer a safer society for the LGBT community (they do not, in any way, shape, or form), but rather to, as Katherine Franke, professor of Law, Gender, and Sexuality studies at Columbia University says, highlight that “[t]he status of gay people in Israel is beside the point insofar as fundamental human rights are understood to be universal and not subject to zero-sum calculations: Israel’s illegal occupation of Palestine cannot be somehow justified or excused by its purportedly tolerant treatment of some sectors of its own population”.

“Traditional”—anti-LGBT—“Palestinian Values” However, digesting this conclusory statement regarding Israel’s pinkwashing only partially encompasses the intersections of LGBT political issues within the Israeli-Palestinian conflict. From an objectively comparative standpoint, the facts remain clear: Israel does guarantee by law equality of LGBT and non-LGBT communities, does permit the participation of LGBT Israelis in the military, does recognize same-sex marriages (though only those performed abroad), and does grant the right to adopt to lesbian and gay couples. On the other hand, the contrary anti-“unnatural acts” laws from the British Mandate did

not lose its roots in the Palestinian Territories. In the Gaza Strip, from which the Israeli government withdrew all settlements in 2005 but still maintains a military blockade, No. 74 of 1936 of the British Mandate Criminal Ordinance punishing homosexuality with at least 10 years of prison still functions as the law of the 365 km² land. The Human Rights Watch reported that in 2006 the armed wing of Hamas persecuted and killed one of its fighters for engaging in same-sex relations. In the West Bank, homosexual acts are not explicitly made illegal but are considered a taboo in much of society and just one year ago the West Bank formally banned Al-Qaws, a pro-Palestinian organization advocating for “Sexual and Gender Diversity in Palestinian Society” and who has offices in both Israel (Haifa and Jaffa) and the West Bank (Ramallah) as well as the disputed Jerusalem from hosting any events in the West Bank. Palestinian police declared their organization contradictory to “traditional Palestinian values”. The organization, instigated in 2001 and formalized in 2007, manages hotlines for LGBT Palestinians and regularly hosted events in the West Bank and vocally denounces homophobic attacks on LGBT people that occur both in Israel and the Palestinian territories. Evidently, Israel is undoubtedly not only a safe nation for its


own LGBT citizens (save opposition from ultra-Orthodox Jews and right-wing politicians which is no different than religious Christians and right-wing politicians opposing the advancements of LGBT rights in the United States), but also in comparison to neighboring Palestine.

Anti-Zionism with a Queer Twist—But Not Really Yet the rights of LGBT communities in Palestine (or the rest of the Middle East) are only ever addressed by Israel to contrast it with the underwear-clad men unashamedly kissing in a Tel Aviv or Jerusalem pride parade. LGBT Palestinians cannot exist freely within their own territories because it seeks to erase them (sometimes metaphorically, sometimes literally), but to Israel, as C. Heike Schotten, professor of political science at University of Massachusetts, Boston, beautifully describes, LGBT Palestinians can only exist as “the asylum-seeking victim of homophobic Palestinian culture, the infiltrator blackmailed by Israeli security forces, the ‘terrorist’ who lures the unsuspecting gay Israeli lover, and so forth.” If not to be contrasted with Israel’s progressiveness and to depict the “backwardness” of Palestinian society and culture, the Israeli government’s concern for

the rights of LGBT Palestinians is a dry, ingenuine one that never even remotely sought justice for the LGBT Palestinians facing systematic discrimination, much less the ones brutally executed in the Gaza Strip. Moreover, Israel has never in its 72 years of existence offered the right of LGBT Palestinians to seek asylum within their territory, and their LGBT-friendly policies do not ease Zionist ambitions. Amir Ohana used the words to refer to his sexuality and its relation to his political ideology by saying: “Being attracted to men doesn’t mean you have to believe in creating a Palestinian state.” Yet he was the same Knesset member who denounced Palestine saying a Palestinian state would never provide basic rights for its LGBT community (as previously quoted in this article)—and just to add salt to the wound, Ohana identifies as a strong Zionist and supporter of preserving the Jewish majority demographics of Israel meaning even if the most radical neo-zionist dream of annexing every part of the West Bank as Israeli territory came to reflect a reality on the world map, the first concern would be to ensure Jews still constitute the majority of the population and it would be a miracle if even a word about specifically LGBT Palestinians were uttered by the officials carrying out the neo-zionist project.

tinians in the West Bank and the Gaza Strip are barred from the hot gay nightlife of Tel Aviv, to assume all LGBT Palestinians’ dreams involve gaining access to the said gay clubs in lieu of continuing to potently resist against the Israeli settler-colonialism that has inhibited many facets of their daily lives is to fundamentally misunderstand the Palestinian struggle and the long history behind it.

As Joseph Massad, professor of modern Arab politics at Columbia University exclaims that Euro-American LGBT activism inflicts narratives of a Western definition of gay identity and liberation that cannot be neatly implanted in many Arab and Muslim countries and societies. Schotten discusses how Western LGBT movements directed at marriage equality, equality in military service, and inclusion in hate crime statutes resembles a “solidarity with the state” that is unattainable for the occupied, segregated, displaced, and refugees. The right to marry for same-sex couples in Palestine establishes and upholds a standard of equal marriage for all but what benefit does it offer to a Palestinian gay or lesbian couple whose primary concern is their home demolished used for the construction of an Israeli settlement? The right to openly serve in the military would have saved the Gaza man who fought against IsThen again, while LGBT Pales- raeli forces from being murdered


by Hamas for having same-sex relations but would it have terminated the military blockade around the Gaza Strip that is contributing to the “open-air prison” that currently characterizes Gazan society? An inclusion of hate crimes would theoretically protect the Palestinian LGBT community from the worst forms of discrimination on the basis of their sexuality but would it erase the history of trauma of the Nakba and Palestinian intifadas or provoke a change of heart in the Israeli army, who never in the first place discriminated between LGBT or straight Palestinians when targeting them? Still, some LGBT Palestinians do flee to Israel or do long to flee Palestine and their stories ought to not be discredited. The Canadian charity organization Rainbow Railroad, for example, was founded in 2006 to aid sexual minorities in homophobic countries in escaping to the United States, Canada, or Western Europe, and was, after all, inspired by, as CTV News reported, the World Pride Event in Israel where the organization’s founders met a young gay Palestinian who had illegally escaped to Israel after being tied up in his basement and stabbed by his parents who objected to his sexuality. Tel Aviv university published a report in 2008 titled “Nowhere to Run: Gay Palestinian Asylum Seekers in Israel”, a 47-page report detailing the different cases of LGBT Palestinian asylum seekers in Israel and the process by which they seek (usually eventually denied) asylum. But to understand, on the other hand, why U.S. congresswomen Ilhan Omar and Rashida Tlaib, for example, known for their anti-Zionist political ideologies, champion both the rights of Palestinians as well as LGBT people, and to contextualize the emergence and persistence of LGBT Pro-Palestinian organiza-

tions such as Queers Undermining Israeli Terrorism (QUIT!), the aforementioned Al-Qaws (who continues to function despite being banned from organizing activities in the West Bank), Aswat - Palestinian Feminist Center for Gender and Sexual Freedoms, among others, one can look at the words of Schotten, who quoted Edward Said: “Palestine is a question not only for the Zionists who would have it disappear, but for Zionism itself insofar as Palestine’s existence troubles, disrupts, and disturbs the violent and hegemonic workings of colonial and imperialist power.” In a similar vein, queerness is a question not only for traditional (typically religious) conservatives (who are present to varying degrees in all societies and countries, no matter how LGBT accepting the area’s laws may be) who would erase it from the world, but also for the idea of “tradition” in itself to the extent that nearly everything LGBT-related disturbs and challenges the fixed, traditional definition of what love, marriage, sex and other related concepts should look like. And from the viewpoint of the oppressed, to merely exist as a living manifestation of the oppressors’ worst nightmare is

Note: the acronym “LGBT” is used throughout this article to refer to any sexual minority who may fall under the LGBTQ+ umbrella, unless otherwise specified.


the very embodiment of resistance. Thus, as Schotten concludes, “radical queer commitment to [Palestine’s] decolonization may” naturally “be the very meaning of liberation.” Like a rooster’s resounding morning crow at sunrise

that propels an entire village out of their night’s sleep, let the voices of the courageous anti-zionist LGBT Palestinians reverberate around the world just as loudly too, echoing in the ears of the West, the East and, for that matter, everywhere in between.

Photos: Shutterstock


References 1

“Human Rights Watch, Women’s Centre for Legal Aid…” Human Rights Watch, 2018

2

Official Mandate Document

3

“Judaism and Homosexuality: A Brief History” Haaretz, 2016

4

“250,000 March in Largest-ever Tel Aviv Pride Parade” Haaretz, 2019

5

“Gay Pride Being Used to Promote Israel Abroad” Jerusalem Post, 2009

6

“Real Liberals Love Israel Card Flyer $0.50” StandWithUs

7

“Dating the State: The Moral Hazards of Winning Gay Rights” Columbia Law School, 2012

8

“Ad promotes Israel’s LGBTQ rights record, condemns neighbours” Al Jazeera, 2014

9

“Pinkwashing Debate / Gay Rights in Israel Are Being Appropriated…” Haaretz, 2015

10

“Muslims Are Prone to ‘Cultural Murderousness’ and...Says Lawmaker Amir Ohana” Haaretz, 2017

11

“Human Rights Watch Country Profiles: Sexual Orientation and...” Human Rights Watch, 2017

12

“Palestinian police vow crackdown on LGBTQ events in West Bank” NBC News, 2019

13

“‘Rainbow Railroad’: Toronto charity helping LGBT people escape violence” CTV News, 2015

14

“Nowhere to Run: Gay Palestinian Asylum-Seekers in Israel” Tel Aviv University, 2008


Photo: Nour Ajowaily


Phase après phase, voilà comment nous faisons face par Arianne Le Gall

1ère phase : l’inconscience et le déni Cette phase, nous l’avons vécue en France il y a maintenant plus d’un mois lorsque le gouvernement a commencé à prendre des mesures de confinement pour ceux revenant de Lombardie-Vénétie ou de Chine. Les élèves mis alors en quarantaine ont pour certains ignoré la réalité du risque et ont en profité pour partir en vacances. Evidemment ils considérèrent que ce n’était qu’une simple grippe qui passerait vite et qui ne revêtait aucun danger pour les jeunes bien portants. Et pourtant… et pourtant, nous voilà maintenant tous en confinement et les morts s’entassent. Je pense que cette inconscience et ce déni ont majoritairement frappé les jeunes, se croyant invincibles, ce déni a survécu jusqu’à l’annonce présidentielle du jeudi 12 mars déclarant que l’ensemble des universités françaises fermaient à partir du lundi suivant. A l’annonce de cette mesure, tous se sont empressés de réserver des vols afin de rentrer chez eux, tous ont fui Menton. Et ceux qui restèrent profitèrent une dernière fois du soleil et de la mer à Menton. Les soirées s’enchaînèrent, avec câlins, embrassades, alcool, beaucoup d’alcool. Nous étions à chaque fois plus de 100 inconscients, étudiants que nous étions. 4 jours d’affilés nous fîmes la fête, jeudi 12, vendredi 13, samedi 14 avec notre Gala improvisé, bière et barbecue sur le campus à midi, joie et désespoir, photos et vidéos, dimanche 15, le dernier soir. Je ne peux le reprocher à personne, faisant moi-même partie de ces jeunes. Les évènements nous tombaient dessus, nous avions besoin de temps, nous ne pouvions nous résigner à croire que c’était la fin. La dernière fois que nous verrions nombre d’entre nous. Nous devions dire au revoir, adieu à cette année mentonnaise qui comme chacune restera unique. Les adieux étaient déchirants, pire encore avec la situation dans laquelle nous nous trouvions. Deux mois nous avaient été volés, et cela nous semblait terriblement injuste.


2ème phase : la fuite, la peur et la psychose Les images d’aéroports bondés, les milliers de personnes portant des masques et des gants pendant leurs courses. La peur s’est presque généralisée. Les questions se répètent sur les médias, l’info en continue passe les mêmes vidéos en boucle histoire de ne pas nous faire oublier que nous sommes mal barrés. Tout le monde se plaint et les français continuent à être têtus et sortent. Que faut-il faire ? Où aller ? Comment se protéger ? La peur, la peur mais toujours l’inconscience. Nous ne réalisons toujours pas. En une semaine Menton s’est vidé. Les messages d’étudiants cherchant un bus, un train, un taxi se multiplièrent sur le groupe du campus, c’était sauve qui peut, mais nous sommes restés solidaires. C’est la beauté de notre campus, la psychose ne nous a pas gagnés, aucun d’entre nous ne s’est retrouvé seul. Certains aidaient à porter les valises, d’autres partageaient leurs provisions ou accueillaient des amis pour se confiner sans être seul. Nous pouvons être fiers de notre campus car nous sommes restés soudés.

3ème phase : la critique du gouvernement Les internautes, les médecins, les journalistes, les parents, les étudiants, tous critiquent le président et le gouvernement, soutenant qu’ils n’ont pas réagi assez vite. Il nous fallait quelqu’un à blâmer pour ce qui nous tombait dessus. Alors qui d’autre que ceux qui sont censés nous guider ? Lorsque la moitié des français continuait de sortir, l’autre moitié critiquait le gouvernement. Les questions qui reviennent et qui blâment, « où sont les masques ? » « Où sont les tests ? », le gouvernement français était et est encore bombardé de critiques et de questions. Il s’agit évidemment de son rôle de nous apporter des réponses et de nous fournir les protections nécessaires, mais n’oublions pas que nous sommes tous humains, que cette épidémie était imprévisible et que la France n’est pas gouvernée par des surhommes. Nous avions besoin de personnes ou d’institutions à critiquer et nous avons choisi le gouvernement. Mais rappelons-nous que ce n’est qu’unis que nous avons une vraie force.


Photo: Europe 1

4ème phase : la prise de conscience et la vraie peur Au fur et à mesure qu’avançait l’épidémie et que les statistiques tombaient, la prise de conscience s’enclenchait. On comprenait l’importance de rester chez soi. Je me rappelle du moment où j’ai lu une notification de BBC World News, « Confirmed global cases pass one million » c’est à ce moment que l’on se dit « le monde ne sera plus le même après ça ». On commence tous à avoir un proche atteint ou malheureusement mort. La prise de conscience n’est alors plus une option.


5ème phase : la course au remède et l’impatience Les recherches pour un vaccin se multiplient, les scientifiques du monde entier tentent de trouver un remède à cette épidémie meurtrière. Alors, la moindre possibilité se transforme en débat national, en affrontement entre professionnels. Faut-il sacrifier certaines procédures scientifiques sous prétexte que le remède est peut-être là ? Je n’ai pas la réponse en revanche je crois sincèrement que les mesures exceptionnelles que nous prenons et prendrons ont des conséquences et qu’il ne faut pas oublier cela. Cette course au remède s’accompagne de l’impatience de plus en plus généralisée. Aux infos on parle de vacances, les gens veulent partir en vacances. Nous en sommes à présent à un mois de confinement, mais il faut se rendre à l’évidence, ce n’est certainement pas fini, il va falloir tenir. Le confinement n’est pas toujours simple, je pense à tout ces parents qui doivent jongler entre télétravail, enfants, ménage, courses, ou à ces personnes âgées qui se retrouvent isolées au sein même de leur EHPAD. « L’homme est un animal social » et ce confinement le pousse dans ses retranchements.

6ème phase : regret La dernière phase, nous n’y sommes pas encore mais je la vois arriver. Nous regretterons certaines mesures, nous regretterons de ne pas avoir respecté certaines autres mesures, mais nous n’y pourrons plus rien. Nous devrons accepter le bilan final sachant qu’il n’y a pas de retour en arrière. Ceci est mon témoignage, il ne relate que mon expérience et mon analyse car chacun vit cette épreuve différemment. Je veux croire que l’humanité se relèvera et sortira plus forte de cette pandémie, mais pour l’instant, restez chez vous.


Confinement, ou comment le revenge porn s’impose comme outil majeur du harcèlement par Elza Goffaux

Depuis le début du confinement, le nombre de comptes fisha se multiplient sur les réseaux sociaux. Le groupe de militantes #StopFisha sur Instagram, les traque et apporte de l’aide aux victimes. Les comptes fisha sont des groupes sur les réseaux sociaux qui partagent des photos et vidéos privées, souvent des nudes, sans le consentement de la personne qui les a envoyées. Ils s’inscrivent dans une

logique de revenge porn, puisque le « diffuseur a pour but de se venger » selon les membres de #Stop-

s’agit donc d’une dynamique de cyberharcèlement et de slut-shaming. Ils pullulent sur les réseaux tels que Snapchat et Telegram et le groupe le plus important réunissait plus de 230 000 personnes. Ces comptes diffusent plus de contenus et drainent plus d’utilisateurs avec le confinement. Selon l’avocate Rachel-Flore Pardo, qui accompagne le groupe #StopFisha dans la lutte contre le revenge porn, « le confinement a un triple effet multiplicateur » : l’augmentation du trafic internet augmente la quantité d’images diffusées et donne un plus grand public aux comptes, et l’impact du cyberharcèlement est plus important sur les victimes puisqu’elles sont elles-mêmes isolées. Sur le compte Instagram de #StopFisha, un.e abonné.e ajoute : « à défaut de la rue, les réseaux sociaux sont devenus des plateformes de domination ». En effet, ce sont les mécanismes qui entrent en jeu puisque le harcèlement, qu’il ait lieu en ligne ou dans la rue, est une question de violence et vise à humilier les jeunes filles et les femmes.

« Nous luttons contre le revenge porn grâce aux Fisha. Les diffuseurs partagent aussi les informations signalements sur différentes plateformes telles que d’identité des jeunes filles et les membres des groupes Pharos, Net Ecoute et Point Contact, ces platefisha harcèlent la victime sur les réseaux sociaux. Il formes traitent de cyberharcèlement dans toute la


Leur compte Instagram : stop.fisha

Photo: Les poupées en pantalon

Contact : jenesuispasseule@protonmail.com Pour signaler un contenu illicite (liens publiés par #StopFisha) : Plateforme de lutte contre le cyber harcèlement Net Ecoute : https://www.netecoute.fr/formulaire-de-signalement/ ou au 0800 200 000

France. Nous signalons aussi directement sur l’application qui a été utilisée pour diffuser le contenu » explique le compte #StopFisha. Le groupe appelle aussi les utilisateurs des réseaux sociaux à signaler en masse et à ne pas entrer dans les groupes où les photos sont diffusées. Depuis le début du confinement, plus de 200 comptes ont été fermés. Un des posts de #StopFisha rappelle la loi : la diffusion d’un contenu à caractère sexuel sans consentement est punie de deux ans d’emprisonnement et 60 000€ d’amende. Le collectif a aussi déposé un dossier de signalement au parquet, en expliquant la situation et en espérant une action des autorités.

Site du ministère de l’intérieur pour contenus illicites sur internet Pharos : https://www.internet-signalement.gouv.fr/ Contact avec la gendarmerie par chat 24h/24 : https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/Avotre-contact/Contacter-la-Gendarmerie/Discuter-avec-la-brigade-numerique Plate-forme de signalement en ligne de violences sexuelles et sexistes : https://www.service-public.fr/cmi

#StopFisha vient en aide aux victimes en les écoutant, conseillant et les dirigent vers leur avocate si elles souhaitent porter plainte. Comme mis en avant par l’avocate, le confinement rend les conséquences du revenge porn sur les victimes encore plus violentes, du fait qu’elles soient isolées, physiquement, mais aussi psychologiquement. Il est difficile de porter plainte, par peur de violences intrafamiliales ou par

« Quand le revenge porn s’adapte au confinement » https://www.vice.com/fr/article/bvg4pz/quand-le-revenge-porn-sadapte-au-confinement « Harcèlement sexuel : avec le confinement, le retour en force des comptes ‘fisha’ sur les réseaux sociaux » https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/04/07/harcelement-sexuel-avec-le-confinementle-retour-en-force-des-comptes-fisha-sur-les-reseaux-sociaux_6035853_4408996.html Photo: Les poupées en pantalon


Dossier: Méditerranée, la voie mentonnaise: une ambition universitaire à l’épreuve de l’histoire par Alban Delpouy

Préambule J’ai écrit cet article sur la base de mes recherches, d’entretiens personnellement

menés

par

visioconférence

ou par mail, et d’un sondage anonyme ayant recueilli 30 réponses anonymes, disponible en annexe avec les sources. Ce papier ne peut donc prétendre à aucune exhaustivité. Le principal défaut de mon travail est de ne pas avoir pu interroger l’administration du campus, contactée mais très occupée en ces temps mouvementés. Par ailleurs, étant directeur de publication du Zadig, j’assume l’entière responsabilité légale des propos énoncés dans ce dossier.


Photo: Oskar Steiner


Pour reprendre les mots des Nèg’Marrons, le « temps passe et passe » à Menton depuis la création du campus en 2005. Pour autant, est-ce que « beaucoup de choses ont changé » ? Pour répondre à cette question, il m’a semblé nécessaire de faire le bilan de l’installation de Sciences Po sur la Côte d’Azur. Avant tout, la raison d’être du campus est son attachement pédagogique et culturel au Moyen-Orient ainsi qu’au pourtour méditerranéen. Proposer une brève histoire du campus par le biais d’une synthèse de l’évolution de l’importance accordée à sa spécialisation semblerait ainsi très utile. Comment est-ce que le campus de Menton s’est inscrit depuis sa création dans les enjeux du Moyen-Orient et de la Méditerranée ? De plus, la réforme du Collège Universitaire lancée par Sciences Po en 2017 semblait tendre vers un alignement de la formation des différents campus en région par rapport à la maison mère parisienne. Dans ce contexte, le campus de Menton préserve-t-il toujours sa spécificité ? Cet article replace le campus de Menton dans le cadre des ambitions initiales qui avaient été formulées par la direction de Sciences Po. Cela a été un honneur pour moi de me consacrer à cette entreprise, et j’espère que cet article servira tant de mémento pour les Anciens que de passage de témoin pour les générations qui continueront à faire vivre ce campus. Il est bon de préciser que je ne souhaite pas provoquer de polémiques et que le développement qui suivra n’est pas un pamphlet. Après deux années in utero à Menton, il me paraissait logique de prendre du recul et de soulever cette question de fond. Cette modeste synthèse se base sur les entretiens personnellement menés avec des enseignants et des anciens étudiants du campus, un sondage posté sur le groupe Facebook « La Ummah mentonnaise » ainsi que des archives trouvées sur Internet. Du fait de cet échantillon limité, mon article ne prétend à aucune exhaustivité quelconque, et il en incombe donc à mes successeurs de produire une enquête plus rigoureuse. Pour reprendre les mots de notre camarade Victoria B., « à vous Saint-Julien ! ».


Un campus délocalisé à l’ambition de plateforme méditerranéenne Sciences Po entame l’installation de campus en province dans l’intention de délocaliser des premiers cycles d’études universitaires spécialisés sur une zone géographique. Bernard El Ghoul, directeur du campus de sa création jusqu’à 2019, opposait cette démarche à celle d’autres universités qui s’adonnent au traitement de « global issues » en installant des campus à l’étranger – comme Yale Singapour ou Sorbonne Abu Dhabi. « Richard Descoings, déclare-t-il dans les colonnes du Zadig en 2015, a favorisé une autre approche en mettant en place des campus internationaux en France et en accueillant des étudiants du monde entier ». Le campus franco-allemand de Nancy avait ainsi ouvert la marche en 2000, suivi des campus de Dijon (Europe de l’Est) et Poitiers (Europe - Amérique Latine) l’année suivante. Parallèlement à cela, la chaire Moyen-Orient - Méditerranée est créée en 2003. Pour rappel,

l’ouverture d’une chaire consacre, dans le cas présent, la promotion d’un programme de recherche sur une zone géographique. Dans l’entretien de cette édition, Gilles Kepel décrit que l’objectif était de proposer un parcours cohérent « de la maternelle à l’université », c’est-à-dire de suivre des étudiants depuis leur apprentissage de l’arabe jusqu’au Master Moyen-Orient - Méditerranée rattaché à cette chaire, avec la possibilité de se lancer dans une thèse par la suite. La création d’un campus en région ad hoc faisait ainsi « partie de l’ensemble ». Plusieurs villes du sud de la France se proposaient d’héberger un campus de Sciences Po Paris. Des articles font état d’Aix-en-Provence, qui accueille pourtant déjà un Institut d’études politiques depuis 1956, mais également de Toulon, candidat à l’installation d’un programme Europe - Afrique, finalement implanté à Reims. Le choix de la ville de Menton est à

Richard Descoings et Gilles Kepel, photo probablement prise dans les locaux de l’hospice Saint-Julien © The Middle Eastern and Mediterranean Undergraduate Program. A Hub of Knowledge, Sciences Po, année inconnue


attribuer initialement au zèle employé par Jean-Claude Guibal dans la promotion de sa commune. Interrogé par l’Express en 2006, le député-maire est présenté comme un « fervent partisan du dialogue euro-méditerranéen ». Il est alors vice-président des groupes d’amitié avec l’Algérie et la Tunisie à l’Assemblée, et confie avoir « dû mener un lobbying intensif à la Fondation nationale de sciences politiques et organiser une tournée au Moyen-Orient pour monter ce projet ». Cela commence en 2003 lorsque Jean-Claude Guibal entre en contact avec Richard Descoings. L’ancien directeur de Sciences Po revient dessus en 2011 à l’occasion de l’inauguration des locaux de l’Hospice Saint-Julien : « j’ai reçu un appel de Jean-Claude Guibal, député-maire de Menton, qui avait entendu parler de nos campus internationaux. La Méditerranée, m’a-t-il dit, n’est pas qu’une affaire de passé et d’histoire, c’est aussi une affaire d’avenir, pourquoi ne pas ouvrir à Menton une antenne de Sciences Po dédiée à la Méditerranée ? ». Gilles Kepel me raconte que Richard Descoings lui avait demandé ce qu’il pensait d’une implantation à Menton ; c’était sans compter sur le lien affectif qu’entretient le professeur des universités avec le pays mentonnais. Le choix de la ville étant validé, les pourparlers s’engagent entre les différentes parties comme le détaille l’entretien pub-

lié dans cette édition. On arrive finalement à un accord sur l’Hospice Saint-Julien, qui s’inscrit finalement dans la logique entreprise par Sciences Po de ne pas établir des campus ex nihilo et de plutôt revaloriser d’anciens bâtiments. Ainsi, l’Hôtel des missions roy-

Il s’agit pour Jean-Claude Guibal de renforcer l’attractivité internationale de Menton, plus particulièrement dans les affaires méditerranéennes, ce qu’il résume lors d’une déclaration en 2016 : « si je devais rêver, j’aimerais qu’il [le campus] serve de support à

« l’ensemble du projet repose sur la volonté pédagogique de Sciences Po, et la volonté intellectuelle et logistique de Menton de nous accueillir » Bernard El Ghoul, 2015 ales, ancien séminaire jésuite, avait précédemment été rénové en vue d’accueillir le campus nancéen, comme c’était également le cas d’anciens locaux de l’université dijonnaise de médecine ou encore du Collège Aliénor d’Aquitaine de Poitiers. Nous retiendrons que cet emplacement est un point de friction du fait des enjeux électoraux que revêt le bâtiment. Brièvement, sa rénovation actée a elle-même été l’objet de contraintes administratives, du fait de sa location dans le périmètre sauvegardé de la vieille ville, mais également financières, avec une augmentation de 60% du coût du projet par rapport aux estimations initiales au jour de son inauguration en 2011. Comme le résumait déjà Bernard El Ghoul dans le Zadig, « l’ensemble du projet repose sur la volonté pédagogique de Sciences Po, et la volonté intellectuelle et logistique de Menton de nous accueillir ».

un ‘Davos de la Méditerranée’ ». Bernard El Ghoul dépasse même cette ambition lors d’une interview pour le site officiel de Sciences Po en annonçant l’objectif de « faire travailler des étudiants français et européens avec des étudiants venus des rives sud et est de la Méditerranée, dans un dialogue de type Orient-Occident ». Depuis sa création, le campus a en effet porté dans une certaine mesure une importance stratégique et politique intimement liée à sa zone de spécialisation.


Mise à l’agenda politique de Menton À la journée portes ouvertes du 16 novembre 2019, la vénérable responsable pédagogique Lamiss Azab avait attiré l’attention de son auditoire pendant l’allocution de présentation de Madame Yasmina Touaibia, nouvelle directrice du campus de Menton, en déclarant qu’il s’agissait là du « campus le plus politique ». Différents éléments convergent en effet à situer le campus de Menton dans des sphères d’influence. Ce phénomène a néanmoins décru et l’ampleur relative de l’attractivité de Menton ne permet pas de la rapprocher d’un « Davos de la Méditerranée », si ce n’est dans sa dimension symbolique.

Enjeux institutionnels aux rentrées solennelles, ce qui Il est bien sûr impossible de quantifier l’importance du campus de Menton aux yeux des cercles décisionnels publics et privés. Nous pouvons cependant en saisir une certaine portée en se penchant sur la liste des personnalités invitées

donne au moins une idée des enjeux de représentation. De cette manière, à la première rentrée solennelle dans les nouveaux locaux de Saint-Julien en 2011, l’entreprise pétrolière et gazière privée Total et le Ministère

des Affaires étrangères français étaient respectivement représentés par Xavier Preel, directeur Moyen-Orient de la multinationale, et Patrice Paoli, directeur Afrique du Nord/Moyen-Orient au sein du Ministère. Des diplomates américains étaient également présents, comme Philips Richards, consul des Etats-Unis à Marseille, et Johnnie Jackson, représentant de l’ambassadeur en poste à l’époque, Charles Rivkin. À l’échelle des Alpes-Maritimes, le préfet Jean-Michel Devret et le président du Conseil général Eric Ciotti étaient également présents. En tout, on dénombrait à cette occa-

Inauguration des locaux de l’hospice Saint-Julien en 2011. De gauche à droite, Jean-Claude Guibal, Bernard El Ghoul, Richard Descoings, Jean-Michel Devret et Eric Ciotti © Royal Monaco.net


sion une centaine de personnalités ; élus, militaires, chefs d’entreprise ou encore présidents d’association étaient en bonne place dans le principal amphithéâtre. Par le biais d’une telle liste, le campus démontrait son ancrage local assorti d’une ambition internationale certaine. Cette affluence s’explique certainement par le fait qu’il s’agissait là de l’inauguration des nouveaux locaux, soit l’occasion pour tous les partenaires publics et privés de se manifester. Cependant, 2011 est également une année où le Moyen-Orient est plus que jamais au cœur de l’actualité en raison du développement des Printemps arabes. Le campus redoublait alors d’intérêt pour les décisionnaires publics et privés ayant trait à la région de spécialisation, comme le prouvent les premiers noms cités. Par ailleurs, les nouveaux locaux les nouveaux locaux du campus sont para- du campus sont paradoxalement inaugurés doxalement inaugurés près d’un an après près d’un an après la fermeture de la chaire la fermeture de la chaire Moyen-Orient - Moyen-Orient - Méditerranée de SciencMéditerranée de Sciences Po, qui avait en es Po, qui avait en quelque sorte enfanté le campus. quelque sorte enfanté le campus Évidemment, il est difficile pour moi de mener une analyse poussée sur la seule base des différents invités en place dans les représentations officielles, d’autant plus que toutes les rentrées solennelles ne sont pas documentées. Néanmoins, nous noterons la présence en 2014 de Senen Florensa, président du Comité exécutif de l’Institut européen de la Méditerranée (IEMed) ainsi que Fawaz A. Gerges, professeur de relations internationales à la London School of Economics (LSE). En bref, sans se prononcer outre mesure, nous ne pouvons rien conclure quant à une baisse de l’attention accordée au campus dans les milieux décisionnels, d’autant plus qu’il serait naïf de se fier uniquement à l’aspect officiel. Un enseignant m’a ainsi confié qu’« en très hauts lieux [du gouvernement], on s’intéresse à ce campus », ce qui pourrait notamment être consécutif à la fermeture de la chaire.

Des mécènes discrets dans l’ensemble Sans rentrer dans les détails financiers, le campus est une institution mixte au même titre que Sciences Po dans son ensemble, et reçoit donc tant des fonds privés que publics. La question des mécénats privés du campus de Menton reste un angle mort de mes recherches. La liste des entreprises partenaires est certes disponible sur le site officiel de Sciences Po, mais ne précise pas des spécificités ou des montants alloués par campus. En plus d’une documentation quasi inexistante, je n’ai pas pu conduire d’entretiens avec les membres de la direction du campus dans le temps que j’escomptais pour la rédaction de cet article et une autre source qui m’aurait été utile à ce sujet n’a pas donné suite à la relance de mes questions. Le partenaire sans doute le plus visible du campus est le groupe Chalhoub, leader dans le domaine du luxe Moyen-Orient. Quiconque fréquente assidûment la bibliothèque du campus, et je sais que nous sommes nombreux, aura remarqué les plaques en verre en anglais, français et arabe qui trônent devant les livres gracieusement mis à disposition par le groupe. On retrouvait également Patrick Chalhoub, PDG du groupe, à la rentrée solennelle du 4 septembre 2015 de célébration des 10 ans du campus. Selon le site de Sciences Po, l’entreprise fondée en Syrie fait partie du Cercle Emile Boutmy des mécènes, ce qui traduit un investissement à hauteur de plus de 100 000 euros. Cet engagement concerne Menton dans la mesure où des bourses peuvent être accordées à des étudiants possédant la nationalité des pays du Moyen-Orient de l’Egypte jusqu’à l’Irak en


passant par le Golfe. Le montant trême opacité sur les chiffres de 2009, signée par une mystérieuse alloué est de 12 300€ par an, prior- ce partenariat », selon elles d’un Laurence, rapporte qu’un cocktail itairement aux étudiants primo-ar- montant d’environ 300 000 euros. Total se tenait alors chaque année rivant à notre campus, ainsi qu’au master, pour une durée de respectivement trois et deux ans. À vrai dire, c’est le partenariat Total-Sciences Po qui refait régulièrement surface sous la pression d’associations écologistes du campus parisien (Sciences Patrick Chalhoub, PDG du groupe Chalhoub interrogé par la Po Zéro fossile et chaîne YouTube de Sciences Po à l’occasion de la rentrée solennelle de 2015 (c) Sciences Po Sciences Po Environnement) qui militent pour le tarissement de la De son côté, Sciences Po répond à Menton et était assorti d’une « source de financement pétrolière que la part du financement alloué présence de tous les élèves recomen direction de l’établissement. par Total représenterait 0,1% du mandée ». De plus, quel crédit La direction de Sciences Po a budget total de l’établissement et accorder à ce même article, qu’ausoutient que « l’utilisation des fi- cune autre source ne recoupe, confirmé à ces associations que le premier mécénat a été étab- nancements est transparente » et lorsqu’il rapporte le témoignage li en 2005, une date qui coïncid- « servent quasi exclusivement à d’une ancienne élève du camerait avec la création de la chaire financer des bourses d’excellence pus selon laquelle « les étudiants Moyen-Orient - Méditerranée. Un et de mérite ». Les sources sont du Golfe sont mis en avant et partenariat stratégique a ensuite trop peu nombreuses pour con- présentés individuellement à Total été conclu pour une durée iniLa liste des entreprises partenaires est tiale de 2 ans. Ce dernier est pubcertes disponible sur le site officiel de Sciliquement adressé à la procédure ences Po, mais ne précise pas des spécificités Convention Éducation Prioritaire ou des montants alloués par campus de Sciences Po (CEP) ainsi qu’au financement de bourses d’étudiants internationaux du campus clure sur l’importance du finance- : les Saoudiens, les Emiratis… » ? Europe - Afrique de Reims. Les ment de Total par le passé pour Faute de temps, je n’ai pas pu conassociations écologistes nommées le campus Moyen-Orient - Médi- tacter Total mais j’imagine que le précédemment dénoncent l’ « ex- terranée. Une tribune datant de groupe se fera un plaisir de répon-


dre aux prochains journalistes du Zadig se penchant sur cette question. Il est néanmoins certain que des étudiants originaires des pays du Golfe étaient scolarisés au campus pendant ses premières années, ce qui est à lier aux nombreux efforts de promotion du programme Moyen-Orient - Méditerranée de la part de Sciences Po dans les pays de la zone.

Une promotion internationale du campus

avec un niveau de français « limité » selon différents enseignants que j’ai interrogés à ce sujet, et suivaient une scolarité généraliste de trois ans. Au cours de leur expérience mentonnaise, ils assistaient aussi bien à des cours de français, notamment dispensés par Frédéric Houam, toujours enseignant de FLE (Français comme Langue Étrangère) à Menton, qui m’a fait état d’étudiants en difficulté avec la méthodologie, mais aussi avec les exigences du commentaire et de la dissertation à la française. La présence de ces élèves suscitait l’étonnement de certains enseignants, comme ceux dépêchés du lycée Masséna de Nice par exemple, pour qui les travaux de ces étudiants contrastaient avec les représentations qu’ils se faisaient des standards méthodologiques de Sciences Po. En

Sciences Po a toujours mené activement une campagne internationale de promotion du campus de Menton, ce qui a contribué à renforcer son maillage institutionnel et la diversité de ses promotions. Outre des oraux qui peuvent se dérouler au Caire comme Sciences Po a toujours mené activement une à Casablanca, des délégations campagne internationale de promotion du camd’officiels de l’établissement se pus de Menton, ce qui a contribué à renforcer rendent régulièrement dans les son maillage institutionnel et la diversité lycées de la francophonie. Ken- de ses promotions za Aloui, étudiante en 2008 et 2009 à Menton et désormais en charge aux côtés de outre, des cours généralistes dispensés en arabe par son amie de promotion Inès Weill-Rochant du cours Gilles Kepel et Stéphane Lacroix complétaient ce Arts engagés en Israël et Palestine : imaginer un futur cursus. Ce dernier dispensait en particulier le cours « pour la Terre Sainte, se souvient avoir été informée Introduction à la sociologie politique » ainsi que « Le de l’existence du campus de Menton lorsqu’une telle Moyen-Orient au 20e siècle » l’année 2006-2007, bil délégation s’est rendue au lycée français Descartes de foṣḥā ṭabʻān. Frédéric Houam retient néanmoins Rabat, où elle était alors scolarisée. Dans cette logique des « choses innovantes » de la part de ces étudiants de promotion, Bernard El Ghoul et Ruth Grosrich- du Golfe, qui constituaient « une force de proposiard, alors directrice adjointe des relations internatio- tion » au niveau de suggestions d’intervenants exnales, se sont déplacés à Beyrouth en 2006. On peut térieurs par exemple. évidemment supposer que d’autres déplacements de De notre œil extérieur, il apparaît assez clairement la sorte ne sont pas documentés. que ces étudiants n’ont pas été admis principalement Surtout, l’effort le plus proactif de promotion du campus à ses débuts a peut-être été effectué par Gilles Kepel dans les pays du Golfe. Des étudiants de cette région composaient alors une informelle Gulf Track, dont 7 étudiants saoudiens la première année, pédagogiquement distincte du tronc commun suivi par les francophones. Ces étudiants arrivaient

pour leur profil académique ; leur recrutement s’inscrivait dans une logique de rapprochement entre les pays du Golfe et la France, a minima la promotion de Sciences Po dans la région. « Très peu d’étudiants du Golfe viennent étudier en France. Traditionnellement, ils partent dans les pays anglo-saxons » comme le souligne Stéphane Lacroix, enseignant au campus


depuis sa création. Il ajoute que « dans les années qui ont suivi le 11 septembre, le climat de défiance aux Etats-Unis avait fait que les flux s’étaient un peu redirigés vers d’autre pays européens, et Sciences Po avait su en profiter ». Aussi, un témoignage d’une étudiante saoudienne sur la brochure officielle de présentation du campus rapportait que les femmes n’étaient pas encore autorisées à étudier la science politique dans leur royaume d’origine. Ces éléments convergent à expliquer que l’entreprise de Gilles Kepel a été couronnée de succès. Il a certainement pu compter sur le soutien de Bernard El Ghoul, ayant soutenu sa thèse consacrée à Doubaï (De la Cité Marchande à la Cité Globale : pouvoir et société à Doubaï, Sciences Po, 2003) sous sa direction et qui, avant d’être nommé directeur du campus en 2005, était en poste à l’ambassade de France à Abu Dhabi. En lisant entre les lignes, une véritable formule sur mesure a été mise en place à Menton pour les recrues en provenance du Golfe. Néanmoins, cette dynamique semble s’être essoufflée, en particulier avec l’Arabie Saoudite. Dans notre entretien, Gilles Kepel raconte qu’une erreur de cartographie dans l’ouvrage de Stéphane Lacroix (Les islamistes saoudiens. Une insurrection manquée, 2010), publié dans la collection « Proche-Orient » qu’il dirigeait aux Presses Universitaires de France, a jeté un froid dans ses relations personnelles avec le royaume. S’il s’agissait sans doute d’un « prétexte » comme il le concède, il n’en soutient pas moins qu’il a été « interdit de séjourner en Arabie Saoudite ». Aujourd’hui, on retrouve dans les rangs de la promotion passant en troisième année huit étudiants, francophones et anglophones, issus de lycées internationaux des Émirats arabes unis. À cet égard et sans tirer de conclusion hâtive, nous sommes en mesure de rappeler l’attachement et l’assise de Bernard El Ghoul dans ce pays du fait de son précédent poste.

Par-delà les murs du campus, une nouvelle importance de Menton Plus encore, la nature du lien formé à l’initiative de Gilles Kepel a par la suite dépassé le cadre de la coopération universitaire stricto sensu pour aboutir à la venue de décisionnaires politiques à Menton dans le cadre du forum Euro - Golfe, extérieur à Sciences Po. Dans une certaine mesure, cela a contribué à « mettre Menton sur la carte », selon une formule chère au professeur qui se surnomme aquel magnan del paï di gwo (« l’enfant du pays »), quand ce n’est pas ibn al balad. Il me raconte que le premier forum Euro - Golfe a eu lieu en juin 2005 et coïncidait avec le lancement du campus. Ce colloque avait réuni des personnalités de premier plan, dont Cheikha Moza, épouse de Hamad ben Khalifa Al Thani (émir du Qatar de 1995 à 2013), mais également le prince saoudien Turki Al Faysal, notamment créateur de la fondation Faysal (du nom de son père), qui « avait accueilli en Arabie […] la plupart des étudiants dont Stéphane Lacroix, à ma demande, pour faire leur thèse » comme le précise Gilles Kepel. On retrouvait également à cette occasion, entre autres, Hubert Védrine, Ghassan Salamé – la source que je ferai figurer en annexe récapitule l’intégralité des intervenants. Il s’agit là de l’évidence la plus claire du cadre politique dans lequel peut s’inscrire le campus. Par la suite, le forum Euro - Golfe s’est de nouveau tenu à Riyad, puis à Venise où l’on retrouvait notamment Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères. La dernière édition qui devait se tenir au Koweït n’a pas eu lieu, ce que Gilles Kepel m’explique par les difficultés financières des soutiens privés de l’initiative au moment de la crise de 2008. Preuve de la plateforme que Menton a pu constituer, il s’est tenu le 28 et le 29 mars 2009 une conférence, dont la confidentialité n’est pas documentée, au sujet des « expériences françaises et britanniques en matière de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme dans le contexte d’une société multiculturelle britannique, ou


d’un modèle intégrationniste français ». Cet événement rassemblait des représentants du Office for Security and Counter-Terroism, un organisme du Bureau de l’intérieur du Royaume-Uni, du Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth, de la London School of Economics, leurs homologues français ainsi que le chercheur britannique Ed Husain, fondateur du think tank Quilliam consacré aux questions de « contre-terrorisme », qui rapporte avoir répondu à l’invitation de Gilles Kepel. Tous ces éléments reflètent ce qui documenté sur internet ou ce qui m’a été rapporté durant mes entretiens. D’autres rassemblements de la même nature se sont certainement tenus sans qu’ils ne laissent pour autant d’archives. Nous mentionnerons tout de même la présentation de l’Annuaire IEMed 2018, organisme notamment partenaire du Gouvernement de la Catalogne et du ministère espagnol des Affaires étrangères. En résumé, la ville de Menton s’est affirmée par l’accueil d’un campus de Sciences Po et la tenue concomitante de colloques internationaux. De là à soutenir aux côtés de Jean-Claude Guibal que « ce campus devient une référence au niveau universitaire mondial sur la Méditerranée », il n’y a qu’un pas, que nous ne franchirons néanmoins pas du fait des moyens accordés à ce petit article et de la documentation limitée disponible. Néanmoins, nous pouvons supposer que le repli progressif de Gilles Kepel de Sciences Po à partir de 2010, in extenso de Menton, a eu un impact sur l’attractivité de la ville

le premier forum Euro - Golfe a eu lieu à Menton en juin 2005 et coïncidait avec le lancement du campus en tant que forum méditerranéen. Loin de moi l’idée de faire reposer tout un édifice institutionnel sur un seul professeur, aussi renommé soit-il. J’imagine cependant que les réseaux engrangés au cours de la carrière académique de Gilles Kepel ont pu être extrêmement utiles au campus. De manière évidente, je

n’ai pas la capacité de me prononcer sur les probables défauts et dysfonctionnements non documentés qui sont toujours le lot des administrations partout dans le monde, le précisant particulièrement à mes amis issus du programme anglophone qui semblent en faire un mal endémique à la France. L’établissement a tout à fait pu survivre à la fin des « années Kepel », et Bernard El Ghoul pouvait faire valoir une certaine légitimité à s’exprimer sur des sujets touchant de près ou de loin à la zone de spécialisation de son campus. Tout d’abord, son nom est parfois apparu de temps en temps dans les médias francophones et arabophones sur des questions géopolitiques. En ce qui concerne les cercles politiques, il a notamment pris la parole aux sessions plénières du réseau des villes EuroMed en 2012 et 2016, et a été convié aux échanges informels du Monaco - US Economic Forum, auxquels prenaient aussi part l’Association des Consuls Honoraires de Monaco. Yasmina Touaibia pourrait très bien bénéficier de ce statut, et Gilles Kepel citait par exemple une prise de parole possible au forum Moyen-Orient - Méditerranée de Lugano, du fait de l’expertise de la nouvelle directrice sur le Hirak algérien. Ceci dit, le rôle primordial dont dispose le campus réside certainement dans les promotions qu’il forme. Contacté par le Zadig, Jean-Pierre Filiu confirme que le campus revêt une importance politique « dans le sens le plus noble du terme […], celui d’un environnement privilégié en bord de Méditerranée, pour en comprendre les enjeux que l’on soit ou non originaire de cette région ». Surtout, Bernard El Ghoul a déjà évoqué dans ces colonnes comme à nos homologues de Sciences Polémiques que l’objectif principal assigné par Richard Descoings à l’antenne mentonnaise était de « faire travailler des étudiants français et européens avec des étudiants venus des rives sud et est de la Méditerranée » et de « former ensemble des jeunes du monde entier qui vont développer des liens d’amitié et des connivences intellectuelles, et la convergence de ces deux sous-objectifs


doit permettre, on l’espère dans 15 ou 20 ans quand chacun de nos étudiants occupera des postes de responsabilité, de contribuer à faire tomber les barrières de la méconnaissance ». En des termes moins sophistiqués, il s’agissait de créer une Oumma. Sciences Po s’est-il donné les moyens de ses ambitions ?

Les premières promotions : les « années héroïques » Toutes les personnes que j’ai interrogées s’accordent à donner une aura spéciale aux premières promotions. Gilles Kepel, alors officiellement au poste de directeur scientifique, les qualifie d’ « années héroïques », assorties d’un « esprit pionnier qui était merveilleux ». À titre d’exemple, la première promotion qui avait fait sa rentrée dans les locaux de l’IUT était composée d’une trentaine d’élèves, de 17 nationalités différentes. C’est véritablement la Oumma qui a donné son âme au campus, pour reprendre prosaïquement la formule arabe al makân bilmakîn, « les gens font le lieu ». Étudiante entre 2006 et 2008, et désormais enseignante au campus pendant l’École d’hiver en sa qualité de chercheuse spécialiste de la Turquie, Jana Jabbour précise : « nous formions une véritable “oumma”, une communauté de passionnés du Moyen-Orient. Ce ne serait pas exagéré de dire qu’il s’agissait à l’époque d’un campus “arabe”, tant nous baignions dans la culture arabe et moyen-orientale ». Soulignant la démographie réduite du campus, elle se souvient d’un campus « imprégné d’un air moyen-oriental » : « on parlait souvent arabe entre nous, on apprenait le dialecte des uns et des autres, on organisait des fêtes avec de la musique orientale, nos blagues faisaient alluWsion à la culture de la région ». Dans un premier temps, cette sociologie moyen-orientale reflétait « fatalement », pour consacrer un mot cher à mon ami Aly-Remy E-S-Y, les clivages politiques de la région. Inès Weill-Rochant avoue même avoir pris connaissance de clivages qu’elle ne Jana Jabbour, étudiante en 2006-2008 à Menton connaissait pas. En fin de compte, elle et désormais enseignante au campus et son amie concluent avoir « beaucoup appris entre [eux] » au sein de la promotion, et quelques mois ont suffi à déconstruire les clichés. Néanmoins, elle qui a grandi à Jérusalem ressent parfois avoir été abusivement « identifiée comme Israël » au départ. Désormais enseignantes, les amies concluent avec le sourire avoir fait partie « d’une promotion iconique, en tout modestie », ce qui a même été reconnu par l’administration, selon leurs dires. Il faut bien leur accorder que c’est leur promotion qui a organisé le Minicrit à Menton en 2009. Pour la petite anecdote, leur camarade de promotion Najib Messi-

« nous formions une véritable “oumma”, une communauté de passionnés du Moyen-Orient. Ce ne serait pas exagéré de dire qu’il s’agissait à l’époque d’un campus “arabe”, tant nous baignions dans la culture arabe et moyen-orientale »

hi, président du comité Yalla !, chargé de l’organisation, détaillait à La Péniche la logistique déployée : « les participants seront logés à nos frais au Lycée Pierre et Marie Curie de Menton qui nous ouvert les portes de son internat, à la base aérienne de Carnolès [!], dans les logements étudiants et enfin chez les étudiants qui


disposent d’appartements ». Sur l’échelle du Havre, en référence à l’édition de l’année dernière particulièrement spartiate, j’espère que ces conditions d’hébergement n’étaient pas trop rugueuses pour les participants en provenance des autres campus. Les articles de Medinat Al Shabaab, l’ancêtre du Zadig, reflétaient un tel bouillonnement intellectuel dirigé vers le Moyen-Orient. De nombreux articles étaient signés en arabe, dont un par « doktura » Lamiss Azab, alors enseignante de langue, qui a la particularité de lancer ses jeunes pousses dans l’écriture de petits paragraphes. L’association Babel Initiative était également active depuis les premières années du campus, avec un premier voyage à Istanbul. Un article alarmiste faisait état de la situation délicate dans laquelle s’était retrouvée l’association après le départ de Gilles Kepel, qui lui fournissait « l’essentiel de son soutien », ce qui n’a néanmoins pas empêché la tenue d’un voyage en Jordanie. Concernant les conférences, on y lit aussi bien un compte rendu détaillé du cycle de conférences donné par feu Mahmoud Azab, conseiller du Grand Imam d’Al Azhar pour le dialogue religieux et directeur du programme d’études islamiques en langues étrangères à l’Université d’Al Azhar, qu’une prose triste se désolant qu’un autre intervenant n’ait réuni que 9 personnes sur le sujet « Tocqueville et l’islam », ce qui vient un peu nuancer cette idée d’âge d’or intellectuel. Comme nous le savons tous très bien, les mémoires de la dolce vita mentonnaise s’accompagnent de souvenirs plus difficiles d’heures de travail passées à soutenir les exigences intellectuelles de Sciences Po. Sur la question de l’épanouissement intellectuel, Kenza Aloui confesse que les cours étaient parfois « même un peu trop exigeants », avec le souvenir d’une 1A difficile, ce que confirme Inès Weill-Rochant, concernant notamment l’acclimatation à la « méthode Sciences Po ». Coline Houssais, qui faisait partie de la première promotion de 2005 et 2006 et qui enseigne désormais au campus, se rappelle d’années formatrices, néanmoins pas « agréables à chaque instant » comme elle le nuance, se remémorant ainsi « la charge de travail importante, les rendus en série, certains cours interminables tôt le matin ou tard le soir ». Actuellement en charge des cours « East in the West » et « From Tan-Tan to Teheran - Music & Politics in Contemporary MENA », elle relativise en soulignant qu’« avec le temps, on oublie les petits désagréments pour apprécier aussi tout ce que nous avons appris, à la fois en termes de contenus et de réflexes de travail », qui font, selon elle, « toute la différence, même aujourd’hui ». Toutes les anciennes étudiantes s’accordent par ailleurs à retenir l’aspect positif de ces contraintes. Soulignons que ce petit aperçu de l’esprit des premières années aurait pu être enrichi par des réponses de témoins de ces « années héroïques » au sondage que je proposais sur Facebook. Malheureusement, aucune réponse ne provenait d’une personne ayant étudié à Menton avant 2012. Encore une preuve que l’âge avancé inhibe l’utilisation des réseaux sociaux ? Je laisse le soin à chacun de rapporter ces anciens temps à son expérience personnelle. Enseignants comme étudiants convergent à louer ces premières années comme une sorte d’âge d’or, même si j’ai brièvement suggéré que les Mentonnais « pionniers » connaissaient les mêmes méandres que nous. Mettons donc en garde tout lecteur pointilleux en citant la morale du film L’homme qui tua Liberty Valance (J. Ford, 1962), habilement rappelée par Christophe de Voogd lors de la première leçon de son cours « Narratives, Representations and Uses of the Past » et adaptons celle-ci à notre contexte méditerranéen chéri. This is the Riviera, sir. When the legend becomes fact, print the legend!


Vers une spécialisation sans spécialistes ?

De gauche à droite, Stéphane Lacroix, Bernard Rougier, Gilles Kepel. Tous trois ont enseigné au campus Comme je l’ai déjà exposé en introduction de l’article, la raison d’être du campus de Menton est à l’origine sa spécialisation géographique. Un enseignant du campus glissait qu’il s’agissait d’une véritable communauté de « geeks du Moyen-Orient », ce que confirment les anciennes étudiantes interrogées par le Zadig. Jana Jabbour se souvient de l’orientation pédagogique de son époque : avec « une très forte concentration régionale » […], nous avions la chance d’avoir comme professeurs les meilleurs spécialistes du monde arabo-musulman en France, comme Gilles Kepel, Jean-Pierre Filiu, Omar Saghi, Stéphane Lacroix. Nous suivions des cours généraux sur le Moyen-Orient […], mais aussi des cours très pointus et spécialisés, comme “La finance islamique”, “Médias et journalisme dans le monde arabe”, “l’Union pour

qu’elles suivaient toutes les deux à l’époque. Parmi les cours qui l’ont marquée, Kenza Aloui mentionne pêle-mêle « Marketing islamique » de Čedomir Nestorović, « Histoire de l’islam » de Nabil Mouline, « Minorités en terre d’islam » de Ruth Grosrichard ou encore les classes d’espagnol qu’elles suivaient. Inès Weill-Rochant et elle se joignent pour décrire le cours de Gilles Kepel comme un « événement » pour le campus. Elles racontent que des séances « Introduction au Moyen-Orient, entre crise et espoir » avaient lieu tous les quinze jours le vendredi après-midi, en amphithéâtre. C’était quelque sorte l’occasion pour les étudiants les plus volubiles de jouer des coudes au niveau des questions pour faire entendre leurs voix. Au final, les deux amies gardent le souvenir d’un « cours pédagogique » aisé à suivre.

la Méditerranée entre succès et échecs” ». Inès Wei- Il serait cependant incomplet de décrire ces années ll-Rochant et Kenza Aloui dressent un constat an- pré-réforme de Menton uniquement sous le prisme alogue en mentionnant les enseignements exigeants


des enseignements en rapport avec la spécialisation géographique, puisque les étudiants restaient des étudiants de Sciences Po Paris. Les sciencespistes mentonnais connaissaient déjà les joies des enseignements parisiens retransmis, en direct, avec le cours magistral d’économie de Dominique Strauss-Kahn. De plus, contrairement à son amie Kenza Aloui qui cite principalement des cours ayant trait au Moyen-Orient, Inès Weill-Rochant confie que ses favoris ne sont pas liés à la spécialisation affichée de Menton et se confond en éloges des cours de Ali Benmakhlouf (« Humanités scientifiques ») et de l’indéboulonnable Christophe de Voogd (« Imaginaire »), enseignant depuis 2008 au campus.

Deux tournants : la fermeture de la chaire Moyen-Orient - Méditerranée (2010) et la réforme du Collège universitaire (2017) Un page se tourne indéniablement avec la fermeture de la chaire Moyen-Orient - Méditerranée en décembre 2010, ce qui coïncide funestement avec le mois où Mohamed Bouazizi s’immole par le feu. La journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué impute cette décision à un conflit entre Gilles Kepel et Richard Descoings, ce dernier n’ayant apparemment pas apprécié l’autonomie du professeur hors de son contrôle (Richie, p.215). A posteriori, cette fermeture a constitué une erreur stratégique étant donnée la mesure du développement des Printemps arabes dans les mois qui ont suivi, si l’on raisonne en termes d’opportunités de recherche, alors que Sciences Po « disposait de la plus grosse force de frappe dans l’université française sur ces questions [les affaires moyen-orientales] » selon l’avis de Gilles Kepel. Le système pensé de « la maternelle à l’université », soit du campus de Menton à la thèse de doctorat, était alors mis à mal avec la disparition du Master de recherche Moyen-Orient, qui sombrait avec la chaire. Menton était alors le seul maillon de la chaîne qui restait consacré au Moyen-Orient. Quelle ambition pouvait

alors se donner cette spécialisation géographique dans la formation d’étudiants ? Il est nécessaire de se demander comment a évolué l’assise pédagogique du label « Moyen-Orient - Méditerranée » dont se targue Menton jusqu’à présent. À vrai dire, plusieurs de mes prises de contact m’ont fait comprendre qu’il s’agissait d’un sujet sensible. Tout d’abord, un des premiers enseignants à qui j’ai parlé de mon sujet d’article tenait alors des propos qui contrastaient avec les réponses sur un ton plus « politiquement correct », verbatim, aussi développées et pertinentes soient-elles pour ces pages, qu’il développera à mes questions écrites, ce pour quoi je le remercie sincèrement. De plus, quelle n’a pas été ma surprise de constater qu’un enseignant prestigieux du campus n’a tout simplement pas jugé bon de répondre à la question suivante : « seriez d’accord avec l’idée d’une décroissance de la spécialisation Moyen-Orient - Méditerranée du campus depuis plusieurs années ? ». Aussi, deux de mes interlocuteurs ont initialement essayé de faire valoir un droit de relecture de leur entretien, ce qui témoigne de la sensibilité du sujet traité. Je leur renouvelle mes remerciements pour la confiance qu’ils m’ont finalement accordée dans la réalisation de cet article. Attaché comme vous tous à ce campus, j’estime qu’il faut soulever cette question de fond, sans langue de bois mais avec du respect. Je n’ai jamais compté faire de cet article un brûlot, comme je l’ai déjà souligné en introduction. Mes recherches pour cet article ont appuyé l’impression que je me faisais à propos de la diminution de l’importance de la spécialisation. Différents entretiens l’ont confirmé, plus ou moins explicitement, et 4 participants au sondage (sur 30) sont arrivés à cette idée comme principal reproche à adresser à la direction du campus. Comme premier facteur d’explication, le mouvement global d’alignement pédagogique des différents campus en région a progressivement diminué le nombre d’heures d’enseignement consacrés à la zone géographique. Par exemple, Matthieu Cimino,


enseignant depuis 2013 à Menton notamment en charge du cours « Introduction à la civilisation arabo-musulmane », qui constitue le seul cours annualisé entièrement consacré au Moyen-Orient en première année, explique avoir débuté au campus en tant que chargé de conférence de méthode dans le cadre du cours magistral tenu par Jean-Pierre Filiu. Le volume horaire total du cours, alors de 96 heures sur les deux semestres, a été divisé par deux en 2018. L’enseignant concède qu’il est « compliqué d’aller enseigner à des étudiants dont l’histoire de 1500 ans d’une région énorme est théoriquement la spécialité ». Aussi a-t-il donné ce cours cette année pour la dernière fois, ce qui met un terme à son « expérience positive » à Menton. Coline Houssais estime que « c’est peut-être d’autant plus visible à Menton que cette moindre spécialisation intervient après un élargissement de la zone étudiée, notamment en termes de langues », soulignant la disponibilité de l’hébreu, le persan, le turc. Selon l’avis de l’enseignante, « cet élargissement, compréhensible au regard de la diversité de la zone étudiée, a d’ores et déjà dilué l’expertise régionale que les étudiants visent à acquérir ». Cependant, je précise pour les lecteurs non-mentonnais que l’enseignement des langues orientales est soumis à des conditions de niveau. Il faut ainsi disposer d’un niveau B2 en

anglais, sur l’unique base d’un test de langues pendant les vacances d’été, pour pouvoir commencer à étudier l’arabe, et les autres langues orientales ne sont disponibles qu’à d’autres seuil atteints en arabe. À ce sujet, Hashim S., étudiant irakien co-fondateur de Arab Student Organization (ASO), estime que « les langues du Moyen-Orient, comme l’arabe, le persan, le turc, devraient dès le départ être disponibles pour les étudiants », ce qui accroîtrait la cohérence de son orientation géographique.

pour l’attrait de la « spécialisation géographique centrée sur le Moyen-Orient et la Méditerranée », comme il est écrit sur le site de Sciences Po. Avec la réforme, la direction parisienne menée par Frédéric Mion semble néanmoins inscrire le campus dans une optique sensiblement différente. Jana Jabbour a l’impression que « les enseignements dispensés aux premières promotions visaient à former des “spécialistes” de la région, alors que les enseignements dispensés désormais aux nouvelles promotions sont moins arabo-centrés, et visent à former des Des « spécialistes de profils beaucoup plus diversifiés la généralité », op- de diplômés. »

tion Moyen-Orient

L’objectif de formation du Collège universitaire semble avoir pris un autre virage que celui des origines. Avec sa voix suave habituelle, Jean-Marie Donegani déclarait affectueusement aux diplômés du Bachelor à Paris « vous êtes devenus spécialistes de la généralité ». Le professeur, dont j’ai eu l’honneur de suivre les cours l’année dernière à Menton et qui jouit désormais d’une influence intellectuelle certaine sur les plus brillants esprits de notre campus, reprend en réalité à son compte ce que formulait Auguste Comte (« positivement ») au sujet des philosophes. Cependant, cette appellation peut froisser certains Mentonnais, qui ont principalement choisi ce campus en région

Au final, la focale pédagogique de Menton peut laisser l’impression d’une spécialisation sans spécialistes. D’un côté, une « spécialisation », pour laquelle des cours sont consacrés à l’étude du Moyen-Orient et de la Méditerranée, est toujours affichée et revendiquée. De l’autre, le volume horaire accordé à la maquette pédagogique ne va pas dans cette direction. Comme le soulignait Jana Jabbour précédemment, Sciences Po a l’intention de former d’autres profils que des spécialistes du Moyen-Orient. Dans ce cas-là, quelle est la raison d’être de Menton si les étudiants ne conservent plus de lien avec le Moyen-Orient à la fin de leur formation ? Pour signifier que le degré de spécialisation serait maintenant en quelque sorte


laissé à l’appréciation de chaque étudiant, deux entretiens me parlent d’un « campus à la carte » ou d’un « Mc Drive de l’enseignement », formule que je prie le lecteur de ne pas extrapoler. Outre le nombre d’heures, le contenu des cours est aussi critiqué. Dans des propos qui n’expriment que son opinion personnelle, Aliaa K., étudiante égyptienne et nouvelle présidente de ASO, affirme que de nombreux cours en première année sont orientés vers l’étude du Moyen-Orient- Afrique du Nord (MENA). « Cela dit, je pense qu’ils ne font qu’effleurer la surface et ne vont jamais plus loin que les simples faits auxquels tout le monde a facilement accès. J’ai trou« Je m’attendais à apprendre beaucoup plus vé que c’était comme si je prenais le et plus profondément sur la région et aussi MENA en mineure au lieu que ce soit sur la perception de son propre peuple et de entièrement ma majeure ». Selon elle, ses chercheurs » le seul cours qui lui semblait justifier Rym T., étudiante algéro- libanaise de deux- une orientation MENA était le modième année ule de science politique de Laurence Louër (12 heures pendant le second semestre). Concernant la deuxième année, Hashim constate que même si plus de cours de la sorte étaient disponibles, il ont « fait défaut (they were lacking) ». Cependant, il retiendra les enseignements de l’Ecole d’hiver, qui sont étaient « très détaillés et très bien faits », « de tels cours plus disponibles » amélioreraient selon lui l’orientation du campus.

Malaise dans la spécialisation Les difficultés de la recherche sur le Moyen-Orient ne sont pas exclusives à Menton ou à Sciences Po. C’est plutôt un champ universitaire, voire son épistémologie, qui est parfois remis en cause. Par exemple, Dalia. A, étudiante libanaise et l’autre co-fondatrice de ASO, critique personnellement l’utilisation des « sciences humaines occidentales » dans l’analyse des événements politiques qui ont marqué la région MENA. « Et les sciences humaines occidentales, même si elles revendiquent une référence universelle dans leurs domaines, sont en réalité inefficaces pour comprendre et analyser le phénomène sociétal arabo-islamique en raison des cadres conceptuels entre les cultures arabo-islamiques et judéo-chrétiennes. Ainsi, en général, les modèles sociopolitiques occidentaux ne s’appliquent ni aux contextes arabo-islamiques, ni aux comparaisons interculturelles, car les sciences sociales arabo-islamiques ont des bases ontologiques et épistémologiques différentes de celles des sciences sociales occidentales ». Selon elle, seul le cours « Religions and Modernities Around the Mediterranean » de Lamiss Azab a pris cette spécificité en compte. Dalia ajoute : « je suppose que cela a à voir avec l’effort plus large de “décolonisation de l’éducation”, un phénomène qui aurait peut-être dû être répandu et discuté sur notre campus ». Rym T., originaire du Liban, rejoint sa camarade du bureau d’ASO et renchérit : « cela peut également sembler exagéré, mais pour commencer “Moyen-Orient” est un nom eurocentré et Sciences Po devrait faire un effort et adopter le nom d’ “Asie de l’Ouest”. Il y a encore un long chemin à parcourir dans le processus de décolonisation de la connaissance. Je m’attendais à apprendre beaucoup plus et plus profondément sur la région et aussi sur la perception de son propre peuple et de ses chercheurs ». Ces propos font écho au champ des post-colonial studies, que Rym compte d’ailleurs étudier l’année prochaine à UC Berkeley. De mon point de vue, c’est un courant assez minoritaire chez les French Track que je fréquente mais il me semble qu’il recueille plus d’adhésion parmi les English Track. Bien sûr, ces


propos ne sauraient représenter l’intégralité du corps étudiant et n’engagent que ceux qui les tiennent, bien qu’ils contribuent à alimenter le débat sur nos champs d’études. En outre, les enseignants pourraient par ailleurs manquer de légitimité pour certains étudiants. J’ai relevé une réponse de mon sondage qui reprochait « le fait que des white spies/orientalistes nous enseignent à propos du monde arabe », une terminologie que je « Dans tous les cas, la recherche n’est suis par ailleurs loin de cautionner. Ces idées qu’une option parmi beaucoup d’autres ont des impacts jusque dans l’engagement de la pour les étudiants de Menton. On les communauté étudiante, mais j’y reviendrai plus retrouve dans des domaines divers et variés […]Et ils y excellent, ce qui tard. Hors de tout débat académique et de toute doit être une fierté pour le campus » considération postmoderne, la connaissance de Stéphane Lacroix, enseignant au campus la littérature de recherche sur le Moyen-Orient depuis sa création fait peut-être défaut à nos promotions actuelles. Sans vouloir rétablir un ministère pour la promotion de la vertu et la répression du vice, je trouve dommageable, toutes circonstances critiques de confinement qui soient, que plus de la moitié des étudiants qui ont la chance de suivre le cours « States and Societies in the Middle East » de Stéphane Lacroix désertent la dernière conférence Zoom. Je ne jetterai pas la pierre à celui qui n’aura pas été complètement attentif à sa visioconférence, mais je crois que l’on ne se rend pas assez compte du privilège que l’on a de pouvoir suivre en petit comité l’enseignement d’un spécialiste mondial de la question.

La formation d’un profil-cible différent Tout cela converge à affirmer que l’accent est moins mis sur l’ambition initiale de Gilles Kepel d’établir un continuum de recherche entre le Collège Universitaire et une thèse sur le Moyen-Orient. « Dans tous les cas, la recherche n’est qu’une option parmi beaucoup d’autres pour les étudiants de Menton. On les retrouve dans des domaines divers et variés. Et s’il n’y en a qu’un petit nombre dans la recherche fondamentale […], on en retrouve encore d’autres dans des domaines connexes [par exemple Coline Houssais]. Et ils y excellent, ce qui doit être une fierté pour le campus » me soutient Stéphane Lacroix. En effet, mon sondage confirme à son échelle les différentes trajectoires des anciens Mentonnais. Plus de la moitié des réponses indiquent cependant que l’emploi actuel n’est pas lié à la zone de spécialisation géographique, et les plus stalkers d’entre nous sauront que quelques recherches LinkedIn bien senties confirment parfois cette affirmation. L’échantillon limité de notre sondage ne permet certes pas de tirer trop de conclusions quant au lien entretenu par les Mentonnais avec le Moyen-Orient pendant leur carrière, mais quelle est la plus-value « Moyen-Orient - Méditerranée » de Menton si le campus ne constitue qu’une parenthèse dorée, deux années


de « gap year » pour les étudiants les plus suffisants suivant un double diplôme ? Un ancien étudiant en dual BA avec Columbia, comme il l’indique lui-même dans mon sondage, rapporte son vécu mentonnais « à une expérience de summer school étalée sur l’année plutôt qu’une expérience d’undergraduate ». La question n’est pas exclusive à Menton, et ce serait l’idée même de campus délocalisé qui pourrait être remise en question. « L’idée de campus délocalisés avec une spécificité géographique est une réforme comme une autre dans l’évolution que Sciences Po connaît depuis sa création, et est peut-être amenée à disparaître – même si je demeure personnellement très attachée à l’identité du campus de Menton ». De plus, si l’on veut prendre du recul, Aurélie Daher, enseignante de l’École d’hiver consacrée au Liban et de conférences de méthode du cours « Thinking IR Globally », dont elle a par ailleurs assuré des cours magistraux en binôme avec Aghiad Ghanem suite à la défection d’un enseignant en milieu de semestre, replace le campus de Menton dans le contexte plus large de la recherche sur le Moyen-Orient en France. « La recherche sur le Moyen-Orient en France est en situation critique depuis plusieurs années. La victoire de la “political science” sur les “area studies” y est pour beaucoup. Menton, traîne donc un handicap. Les logiques des universités privilégiant une modélisation théorique à outrance, institutionnellement sur-codée au point de finir souvent par faire l’impasse sur l’observation empirique du réel, ont pris le dessus, face aux cursus dédiés à une véritable maîtrise politique, culturelle, économique, d’une zone ou d’un pays » affirme-t-elle. En étendant la réflexion à une échelle supérieure, la situation de la spécialisation de Menton serait le symptôme d’une crise universitaire. Aurélie Daher complète son propos en insistant sur les conflits internes aux champs : « les guerres intestines par ailleurs, entre plusieurs courants de la sociologie du Moyen-Orient, portent elles aussi une responsabilité lourde dans l’affaiblissement voire l’exclusion qu’ont eu à souffrir de véritables professionnels issus des rangs “sciencespotiens”. À moins d’une réaction concrète et forte, dont la seule provenance possible à l’heure actuelle reste les institutions étatiques, pour contrer les effets des sabotages internes au champ et redonner la main aux universitaires à la fois dédiés, compétents et attachés à l’éthique professionnelle, je ne suis pas optimiste quant à une reprise de l’attrait des études moyen-orientales sur des futures générations potentiellement soucieuses de réellement faire avancer la connaissance de cette région du monde ». La réorganisation à venir des rapports de force au Moyen-Orient à la suite de la pandémie et la crise des marchés pétroliers renforcent d’autant plus le besoin d’une formation de spécialistes de la région, en phase dès le début de leurs études avec les enjeux de la zone, comme nous avons la chance d’y être sensibilisés dans une certaine mesure à Menton. Photo: Laura Fairlamb



Des signes de déclin de la Oumma mentonnaise ? En réalité, il serait naïf de faire reposer toute l’attractivité de Menton dans sa formation pédagogique. Pour reprendre l’idée primordiale de Richard Descoings, l’objectif profond est de fondre des individualités de différents horizons dans un « creuset commun » (B. El Ghoul) de notre exceptionnel cadre méditerranéen d’études.

Une communauté étudiante qui donne ses lettres de noblesse à la spécialisation géographique La vie étudiante est très certainement l’aspect du campus qui rend jusqu’ici le plus justice au label Moyen-Orient - Méditerranée de Menton. On retrouve évidemment nos associations consacrées à certains aspects du Moyen-Orient et de la Méditerranée. Mention d’honneur à MedMUN, qui oriente ses simulations vers le Moyen-Orient, ainsi qu’aux conférences d’Agora, durant lesquelles des intervenants de la région prennent la parole. Ces deux associations ont malheureusement vu leurs plans contrariés par la pandémie actuelle. En outre, ASO a probablement organisé l’événement de l’année avec la pièce de théâtre Tarikhna, jouée dans une salle Saint-Exupéry comble qui comptait notamment la consule d’Algérie, déjà finement analysée dans les colonnes du Zadig. Ensuite, l’association Babel Initiative a mené un voyage de recherches au Caire durant le mois de février, Sciences Palestine a mené des conférences avec des militants, les membres de la danse orientale se sont

Tout d’abord, en dépit ce que j’ai exposé plus haut, de moins en moins de conférences organisées sont en lien avec le Moyen-Orient. À titre d’exemple, la principale association de débat du campus, la Fabrique politique, « oriente beaucoup plus ses thèmes et invités sur la politique franco-française », comme en témoigne l’intervention de François Hollande l’année dernière. De plus, il ressent un reflux des rites sociaux mentonnais, que la bienséance m’oblige à ne pas décrire. Je n’ai moi-même appris l’existence du bil roh bil dâm nafidik ya Mentun que l’année dernière en plein Minicrit et il ne me semble pas l’avoir entendu plus d’une fois cette année sur les terrains de sport. Les playlist des soirées BDE comptent globalement moins d’une dizaine de titres de musique arabe et certaines références ont été oubliées depuis l’année dernière. Enfin, et surtout, de nombreux débats sont ouverts sur le caractère orientaliste de l’identité du campus. En effet, il est vrai que le propre des références moyen-orientales du campus est qu’elles sont souvent

produites dans l’amphithéâtre Richard Descoings lors du Christmas Show et enfin Sciences Boules, prises au second degré. Cela s’explique notamment incarnation d’un modus vivendi méditerranéen à la par le décalage entre la sociologie des premières profrançaise, a tenu deux tournois de pétanque à la plage motions instigatrices de ces traditions, pour la plupart originaires du Moyen-Orient, qui maîtrisaient donc des Sablettes. ces codes pastichés. Or, aujourd’hui, nous assistons Une oumma désaccordée à une diversité dans la démographie du campus qui Cependant, quelques signes de recul de cet esprit peut faire douter de la maîtrise de ces codes par ceux de campus, intimement lié à la spécialisation Moy- qui s’emploient toujours à les parodier. En termes de en-Orient - Méditerranée, sont observables. J’ai posé références culturelles, Julien Gaertner, enseignant du la question à Ryan T., bien connu des lecteurs du Za- cours « Cinémas arabes » depuis 2011, témoigne qu’il dig, qui liste des éléments significatifs de ce déclin. effectue toutes les années un test lors de la première


Tarikhna, pièce de la Arab Student Organization © Caitlyn Buckley séance : « il y a 9 ans, les trois-quarts de la salle connaissaient Farid el-Atrach et Asmahan [ndlr : deux acteurs de l’époque dorée du cinéma égyptien], cette année 2 sur 25 ». Aurélie Daher concède de son côté

désormais beaucoup moins orientale/arabe et beaucoup plus occidentalisée. C’est en fait le changement dans la sociologie des étudiants du campus (un plus grand nombre d’étudiants américains ou de culture

qu’« il est vrai que les promotions d’il y a cinq ou six ans avaient une culture générale sur le Moyen-Orient, son histoire en particulier (XXème et début du XXIème), plus riche et plus solide ».

anglo-saxonne) qui explique ce changement dans la culture du campus ». Julien Gaertner suppose de son côté « un changement du mode de recrutement ». Dans les faits, il existe, comme vous l’aurez compris, un enseignement qui se divise en deux programmes francophone et anglophone, respectivement connus sous le nom de French et English track. Ces deux programmes ne se mélangent pas trop sur le campus, ce que Inès Weill-Rochant et Kenza Aloui remarquent « directement » en enseignant, notamment au sujet des projets qui s’effectuent entre étudiants d’un

Comme sous-entendu précédemment, cela est principalement dû à la plus grande diversité des promotions. En l’espace de 15 ans, nous sommes passés d’une trentaine d’élèves à environ 250 étudiants, 1A, 2A et étudiants en échange compris. Jana Jabbour dresse un constat analogue au nôtre et en développe une explication : « il me semble que la culture du campus est


même programme. Cette division sidérations. Sans vouloir parler à qu’il n’y avait « que les Arabes constitue selon elles la principale leur place, il m’arrive de ressentir qui peuvent parler d’eux-mêmes différence entre les promotions comme un sentiment de défiance ». Dans un entretien précédent actuelles et la leur, ce qui désole de certains English track vis-à-vis avec le Zadig, Coline Houssais James K., alias Jacques B., qui sera des « traditions » du campus, pour soutient au contraire qu’en étant d’accord avec moi pour dire qu’il la plupart rapportées en français, qu’étrangère, il a été plus facile est l’un des rares éléments syn- donc perçues à juste titre comme pour elle de « sauter d’une commucrétiques entre les deux tracks : « estampillées French Track. nauté à l’autre et même de voyager c’était tellement triste à voir pour L’épée de Damoclès de la dans différents pays ». L’enseigmoi parce que j’étais pote avec critique orientaliste nante estime que sa « compréhentout le monde. J’avais vraiment dans les études moy- sion des différentes sociétés du deux mondes d’amis […], il y avait en-orientales monde arabe n’est pas aussi prorarement de transfert linguistique fonde [que les natifs] » étant donné La critique orientaliste émerge croisé ». Cet arrivage d’étudiants qu’elle n’y a pas grandi, mais que d’ailleurs le plus souvent du camp américains et internationaux, son expérience « peu profonde anglophone. Les remarques sont parfois non-originaires du Moy(shallow) » est « plus large, donc tantôt dirigées vers les chants en-Orient, est à imputer à la consans aucun doute un atout ». Les caricaturaux du campus que vers clusion de double diplômes entre différentes critiques n’entravent les enseignements, dont le princiSciences Po et d’autres universités néanmoins pas la liberté de débat pal tort est d’être principalement étrangères (principalement Coau campus pour Matthieu Cimino, dispensés par des Occidentaux, lumbia et University of British qui apprécie que des sujets aient Columbia en terme bien été reçus par « des gens Les French Track et English Track d’effectifs), et particpas conditionnés pour les rene se mélangent pas trop sur le ipe forcément à une cevoir », en citant l’exemple campus, ce que Inès Weill-Ro« généralisation » des d’un étudiant saoudien qui chant et Kenza Aloui remarquent promotions. Aussi, ne connaissait pas la contro« directement » en enseignant quelques-uns de mes verse des Versets sataniques. amis n’avaient pas mis Comme le sous-entendait Menton en premier choix lors de mon précédent développement, leur candidature et ont donc été ce qui a déjà été explicitement il incombe aux étudiants d’apen quelque sorte parachuté sur le formulé à une enseignante selon profondir des recherches sur la campus Moyen-Orient - Méditer- un témoignage d’étudiant. Cette zone de spécialisation pour profranée sans éprouver au départ un bride de l’orientalisme a peut-être iter pleinement de l’expérience de intérêt fondamentalement dével- un effet délétère sur l’engagement spécialisation de Menton, ce que oppé pour cette région. Cela dit, des étudiants non-originaires de la me rappelle Coline Houssais : « ce aucun d’entre eux n’exprime actu- région dans la spécialisation géo- sont aussi aux étudiants de faire ellement des regrets quant à leur graphique. Un étudiant me confi- l’effort continu de s’intéresser à affectation. On peut comprendre ait sous couvert d’anonymat qu’il la région en dehors des cours, qui que la division entre les tracks ne se sentait « pas du tout légitime sont naturellement loin d’apportmine un esprit de campus déjà mis pour apprendre l’arabe, l’histoire er toutes les connaissances nécesà rude épreuve hors de ces con- de l’islam » et avait l’impression saires ». À ce propos, Aurélie Da-


her fait le constat suivant : « les étudiants, sur les dernières dix années, semblent aussi avoir perdu le goût de l’effort. Disons qu’alors qu’il était tout à fait normal pour des étudiants il y a dix ans de se voir demander trois ou quatre lectures essentielles par cours, les générations d’aujourd’hui sont bien plus réticentes face à l’effort de lecture - comme l’effort de documentation personnelle », citant l’exemple de la lecture quotidienne de l’actualité en déclin. De mon côté, sans encore une fois me poser en parangon de l’assiduité scolaire, je constate que beaucoup de mes amis non-arabophones ont déchanté dans l’apprentissage de la langue arabe. Il est dommageable pour la postérité du campus de Menton que ses étudiants ne sortent de leur formation qu’avec un niveau très sommaire d’arabe. Une des réponses à mon sondage proposait à cet égard l’alternative d’ « arrêter d’enseigner le fusha [arabe littéraire] aux débutants » au profit des dialectes, en soulignant que beaucoup d’étudiants ne parlent plus arabe après quelques années en raison de l’usage limbeaucoup de mes amis non-arabophones ité accordé à l’arabe littéraire. De plus, ont déchanté dans l’apprentissage de dans la mesure de son échantillon limité, la langue arabe le sondage confirme l’attachement des Mentonnais pour les cours en rapport avec la spécialisation géographique, qui influencent une maquette pédagogique toujours attractive. Sommes-nous pour autant devenus des « étudiants parisiens avec une saveur moyen-orientale » selon la formule choc d’un de mes interlocuteurs ? Dans sûrement l’entretien le plus agréable que j’ai passé pour préparer cet article, Julien Gaertner (qui n’est pas à l’origine de la formule précédente je le précise) considère qu’une connaissance moindre de ses étudiants sur le Moyen-Orient n’est pas gênante, et qu’il est « plus stimulant de partir de rien ».


La 3A, rentabilisation financière du bachelor et gap year ? Même si nous ne restons que deux années dans notre campus respectif, la scolarité du Collège Universitaire s’étend sur trois ans, comprenant la troisième année à l’étranger. Cependant, qui dit harmonisation des campus dit harmonisation des destinations de 3A. Chaque étudiant dispose de ce fait du catalogue entier de destinations, sans discrimination liée à sa zone géographique de spécialisation de départ. Par contre, il faut soit partir dans une université de la région, soit valider un certain nombre de crédits de cours sur le Moyen-Orient pour que la mention spécialisation Moyen-Orient - Méditerranée » soit signalée sur notre diplôme de Bachelor. Par le passé, seules les universités du Moyen-Orient étaient disponibles aux étudiants de Menton, et les dérogations étaient exceptionnelles, comme me le confirme Kenza Aloui. Par exemple, un post du forum sc po (indisponible depuis) faisait état des différentes universités possibles en 2006, deuxième année d’existence du campus : HEM et Al Akhawayne au Maroc, l’université du Caire en Egypte, l’Université Saint-Joseph au Liban, l’université de Sharjah aux Emirats arabes unis et enfin l’université de Tel Aviv en Israël. Aussi, et je m’adresse aux persanophones du campus, Bernard El Ghoul soutenait en 2016 à Sciences Polémiques que Sciences Po avait « donné le feu vert » quant à la réouverture d’un échange universitaire, mais qu’il restait encore à « identifier le bon partenaire ». Malheureusement, cela n’est pas prêt de se rétablir au vu des tensions perpétrées par la détention de chercheurs de Sciences Po dans les prisons iraniennes, Roland Marchal récemment libéré et Fariba Adelkah, toujours emprisonnée à l’heure où j’écris ces lignes. Ce déclin de la 3A au Moyen-Orient est un élément de plus dans le sens d’une baisse de l’importance de la spécialisation de Menton. Jusqu’il y a environ trois Sans stigmatiser ce type de choix, ans, Julien Gaertner témoigne qu’il ressentait une « […] je peux tout de même estimvraie envie de découvrir le Liban et la Palestine » parer qu’une généralisation de choix mi ses étudiants, destinations qu’il promouvait en rad’universités anglo-saxonnes, et contant sa propre expérience personnelle de coopéraplus généralement hors du Moytion dans la région. L’intuition de l’enseignant pour en-Orient, porte l’estocade à la l’expliquer se rapporte à la nouvelle offre « apéritive pérennité de la spécialisation et appétissante » des universités américaines. Suivant géographique de Menton le système de troisième année de Sciences Po, les frais de scolarité cette année sont alignés sur ceux payés à la maison mère parisienne. Il est donc financièrement avantageux de passer une université étrangère, souvent anglo-saxonne, à « moindre » coût. L’historien et réalisateur s’en désole et trouve « effrayant que des jeunes gens privilégient le pragmatisme », soit le calcul économique et le CV, mais « plus envie d’aventure pour une zone géographique ». Pour donner un exemple de configurations plus détaillées qui peuvent motiver le choix d’une université anglo-saxonne, Silya E-M., étudiante en deuxième année, part étudier l’année prochaine à UC Berkeley. Initialement, elle avait défendu à l’oral d’admission un projet de troisième année dans un pays du Golfe, « pour étudier leurs systèmes économiques, et les relations commerciales avec la France ». « En première année,


c’était encore très flou. Mais après avoir reçu mes résultats de 1ere année, la mention de "cum laude" [ndlr : top 10% du campus], j’ai voulu "viser plus haut" et rentabiliser mon diplôme » affirme-t-elle en mobilisant les arguments économiques que j’ai exposés ainsi que la perspective d’améliorer son anglais. Dans un autre registre, un étudiant de deuxième année qui devait partir en Australie m’explique qu’il projetait de partir en troisième année au Moyen-Orient lors de son arrivée au campus : « comme la plupart des élèves qui arrivent à Sciences Po, je voulais faire de la diplomatie », et pensait par exemple évasivement à l’IFPO (Institut français du Proche Orient, centres d’apprentissage intensif de l’arabe à Beyrouth et Amman). Il ajoute qu’il était de toute manière prévu d’aller dans un pays arabe : « c’était clair dans ma tête ». Entre temps, il s’est pris d’intérêt pour le droit, notamment grâce à Werner Hoeffner, enseignant et JOAT (jurist of all time), ce qui a modifié ses ambitions initiales. Comme Silya, mon camarade comptait progresser en anglais et voulait donc « absolument partir dans un pays anglophone pour progresser ». Outre l’impératif parental du prestige de l’université (top 100 mondial), la pratique du rugby occupait une place de choix dans la décision finale. Sans stigmatiser ce type de choix, par ailleurs solidement argumenté, je peux tout de même estimer qu’une généralisation de choix d’universités anglo-saxonnes, et plus généralement hors du Moyen-Ori- « Les compétences humaines transcenent, porte l’estocade à la pérennité de la spécialisa- dent l’excellence académique » tion géographique de Menton. À la mesure de la Julien Gaertner, enseignant au camFrench Track, 13 étudiants sur 67 seulement sont pus depuis 2011 censés partir au Moyen-Orient l’année prochaine. Kenza Aloui soutient que cette troisième année fait partie intégrante du Bachelor. Elle suggère de « sortir des chemins plus tracés » afin de « se confronter à quelque chose de théorique appliqué en vrai ». Quel est l’intérêt de Menton si la majorité des étudiants ne sont sensibilisés au Moyen-Orient depuis notre tour d’ivoire azuréenne, sans jamais y mettre les pieds par la suite ? Cela implique une réflexion plus large sur les intentions de formation a fortiori des décisionnaires politiques, puisqu’il n’est plus tellement question de spécialistes. Julien Gaertner souligne avec vigueur l’« expérience humaine » que représente un échange universitaire en Palestine (ndlr : université en Cisjordanie). « Voir ou vivre la privation de liberté et la privation coloniale », selon ses dires, « vaut tous les cours de géopolitique ». « Les compétences humaines transcendent l’excellence académique » formule-t-il, insistant sur l’importance de l’aventure humaine dans la trajectoire d’un décisionnaire politique. L’enseignant pose la question de savoir s’il s’agit alors de former des technocrates. Cependant, nous pouvons comprendre que cette harmonisation des campus participe d’une coopération universitaire très intense menée par Sciences Po avec ses universités partenaires dans le système des étudiants en échange. Il est sûrement plus attractif au niveau institutionnel de conclure des partenariats avec les écuries anglo-saxonnes, qui fournissent par ailleurs un plus gros contingent d’étudiants. Aussi, l’offre d’universités est compromise par des mesures sécuritaires. Le principal exemple est Damas, autrefois plaque tournante des arabisants français et de Sciences Po. Aussi, les étudiants en échange à Jérusalem-Est sont en situation délicate avec les autorités israéliennes depuis ces dernières années.


‘Asabiyya ‘asabiyya : rayonnement professionnel et culturel du campus Bernard El Ghoul soulignait déjà au Zadig la dy- en-Orient, dans différents secteurs. « L’enseignement namique de Sciences Po de « créer des campus inter- pluridisciplinaire qui m’a été dispensé m’a ouvert de nationaux dans des villes de petite ou moyenne taille, nombreuses opportunités » affirme Jana Jabbour, où les étudiants peuvent développer des liens d’am- qui a successivement commencé sa carrière dans le itié et de solidarité – ce que vous appelez l’ “asabiyya” cabinet de conseil Deloitte, puis fondé une webtélé - et une sorte de proximité intellectuelle. Cela signifie dédiée au Moyen-Orient (Samar Media TV) pour enque nous voulons que les étudiants construisent à la fin poursuivre un doctorat, ce qui lui a permis d’acfois des méthodes de travail communes et un réseau céder au monde de la recherche et de l’enseignement. de relations qui peuAujourd’hui, elle est vent être utiles pour « de manière générale, mes collègues chargée de commul’avenir ». La ‘asabi- nord-américains sont sensibles à la nication au bureau yya formée en deux qualité des conditions d’études à régional de l’UN-

Menton,

un

campus

qui

est

apprécié

ans survit au départ ESCO à Beyrouth, outre-Atlantique » Jean-Pierre Filiu, de Menton. en parallèle de sa enseignant au campus depuis 2006 carrière universiTout d’abord, au taire à l’Université niveau du réseau professionnel, Coline Houssais et Jana Jabbour Saint-Joseph. Outre des Anciens encore scolarisés, un soulignent qu’on retrouve des Anciens du campus à programmateur culturel à l’Institut du Monde Arabe, des postes stratégiques, en lien ou non avec le Moy- des consultants, enseignants ou futurs enseignants, un fonctionnaire du Ministère français des Affaires étrangères ou encore un doctorant, ont à titre d’exemple répondu à mon sondage. C’est sans compter notre alumnus fictif le plus célèbre, Guillaume Debailly (aka Paul Lefebvre, aka Pavel Lebedev, aka Malotru), agent secret dans le Bureau des Légendes (Eric Rochant, 5 saisons). Même si le rayonneMalotru¸ agent secret et alumnus fictif du campus de Menton ment du campus n’est © Eric Rochant, Le Bureau des Légendes


pas quantifiable, je n’ai pas eu accès à beaucoup de ressources en ligne qui en faisaient mention. À Menton, Gilles Kepel considère que « plus personne » ne regrette l’installation de Sciences Po. Dans d’autres cercles, Jean-Pierre Filiu me confie : « de manière générale, mes collègues nord-américains sont sensibles à la qualité des conditions d’études à Menton, un campus qui est apprécié outre-Atlantique ». De son côté, Stéphane Lacroix est « toujours agréablement surpris de voir le nombre de collègues en Middle-East Studies de par le monde qui connaissent le campus de Menton ». La politique d’étudiants en échange participe sûrement répandre l’existence de notre institution dans les milieux anglo-saxons.

l’ambition de départ de Richard Descoings dans la structuration d’une communauté. « Concrètement, le dialogue s’est fait » observe Kenza Aloui. En amitié ou en amour, ajoute-t-elle, « on est maintenant dans les vies les uns des autres ». De plus, Coline Houssais déclare avoir « développé des amitiés pour la vie [...], que je vois mes anciens camarades une fois par mois, par an ou par décennie ». « L’histoire montre que c’est souvent un petit groupe d’individus qui réussit à faire bouger les choses, pour le meilleur comme pour le pire » développe-t-elle par ailleurs. Si l’on se rapporte à l’inénarrable cycle des civilisations de Ibn Khaldoun, espérons que notre ‘asabiyya ne soit pas encore arrivée à sa décadence.

En définitive, le campus s’est montré à la hauteur de

L’expérience d’une vie Le format de mon enquête ne rendait jusqu’ici pas l’Europe à la fin de la deuxième année, où j’ai fait justice à toutes les émotions par lesquelles nous som- la chorégraphie de la dabké libanaise ; les jours où mes tous passés à Menton. on révisait en groupe pour les examens du second Tous chérissent de précieux souvenirs. Jana Jabbour semestre, allongés au soleil sur la terrasse de la Villa considère que ses années mentonnaises sont celles Jasmin ». qui ont laissé les meilleurs souvenirs de tout son parcours à Sciences Po et dans d’autres universités. « 3 souvenirs en particulier que je n’oublierai pas : le premier voyage de Babel à Istanbul, qui a fait naître en moi une véritable passion pour la Turquie, me poussant plus tard à me spécialiser dans les affaires turques ; le spectacle de danse au Palais de Mosaïque des réponses des participants au sondage à la question « Qu’est-ce qui vous manque le plus de Menton ? »


Kenza Aloui se souvient avoir été « cocoonée » dans sa petite promotion d’une cinquantaine d’étudiants. Inès Weill-Rochant retiendra les moments de spectacle, plus particulièrement la danse, ainsi que le Minicrit mentonnais. Elle et son amie se remémorent les heures de libre peu productives sous le soleil au campus. Selon Kenza Aloui, ce sont des « moments de Dolce Vita par rapport à ce que la vie est devenue dans les grandes villes ». Du côté des enseignants, Gilles Kepel conserve un « souvenir merveilleux » d’une randonnée avec des étudiants jusqu’à Sainte-Agnès, qu’il relate dans notre entretien. Stéphane « l’équipe administrative comme les L a c r o i x collègues sur le site font partie des éléments qui rendent le travail sur le hésite entre campus aussi motivant » Aurélie Daher, sa première leçon inauenseignante gurale ou certains de ses cours en 2011, « lorsque les printemps arabes étaient en pleine éclosion et suscitaient un immense enthousiasme chez les étudiants ». Jean-Pierre Filiu note « un magnifique concert de piano » donné par un de ses étudiants égyptiens « dans une église du centre-ville, en présence de tous ses camarades ». En particulier, Aurélie Daher souligne l’environnement de travail, « l’équipe administrative comme les collègues sur le site font partie des éléments qui rendent le travail sur le campus aussi motivant ». « Je dirais ensuite que j’ai pour l’instant toujours eu le grand privilège, al-hamdu lillâh, de développer des relations particulières, à la fois intellectuellement et humainement fortes, avec les étudiants » ajoute-t-elle. « Têtus » et « dissipés », comme elle nous décrit affectueusement, « vous restez dans votre majorité écrasante plein de talents et de ressources, et incroyablement attachants ». Si je puis me permettre, je retiendrai personnellement les moments de cohésion à la MDL et des liens forts que j’ai forgés avec de véritables amis. Les différentes escapades dans Menton et ses alentours constituent déjà une bonne partie de mon capital mémoire. À l’heure où j’écris ces lignes, je ne suis pas encore fixé sur mon sort l’année prochaine, compromis par les mesures sanitaires exceptionnelles mais j’espère avoir la chance de vivre des moments tout aussi forts au Moyen-Orient. Pour conclure brièvement, le sondage a été quasi unanime à désigner « La mentonnaise » comme hymne du campus. Bernard El Ghoul trouvait les chants du campus « dans l’ensemble d’assez mauvais goût », ajoutant qu’ils sont à la chanson « ce que la musique militaire est à la musique », n’en déplaise à mes camarades amateurs du chant du volontaire et de la Strasbourgeoise. Cela fait des années que des générations s’égosillent à chanter tous ensemble à la gloire de Menton, et j’espère que ce mouvement n’est pas près de s’estomper.


Photo: Oskar Steiner


Remerciements Cet article dépasse assurément ma personne et je tiens à cet égard à remercier tous ceux qui ont rendu possible cette petite enquête. Ce fut une chance pour moi de mener des entretiens avec des chercheurs dont les écrits m’accompagnent depuis les débuts de la préparation de mon admission à Menton. Je tiens à honorer la grande disponibilité ainsi que la bienveillance dont Gilles Kepel a fait preuve dans le suivi de la publication de son entretien. Merci à Stéphane Lacroix, qui a répondu à toutes mes questions malgré les circonstances exceptionnelles. De la même manière, j’adresse mes hommages à Jean-Pierre Filiu qui s’est montré très réactif à mes sollicitations. Je remercie tout autant les enseignants et/ou Anciens qui se sont prêtés à l’exercice et apporté leur pierre à l’édifice : un grand merci à Kenza Aloui, Frédéric Houam, Laurence Louër, et Inès Weill-Rochant. Je voudrais signifier une attention particulière à Aurélie Daher, Julien Gaertner et Christophe de Voogd, dont j’ai eu l’honneur de suivre les enseignements et se sont toujours rendus disponibles tout au long de l’année. Enfin, je tire mon chapeau à l’équipe qui s’attache à faire vivre notre campus. En particulier, mille mercis à Lamiss Azab pour tout le dévouement consacré à sa mission. Par ailleurs, je n’aurais rien écrit de tout ça sans l’idée initiale de mon cher Walid, que je tiens à saluer. Mes remerciements les plus sincères à Ryan, rédacteur en chef qui m’a été d’un précieux conseil dans l’orientation de cet article. Un grand merci à Inès, éditrice très professionnelle qui s’est infligé la relecture de ces quelques pages. De plus, si l’article est agréable à la lecture, c’est en grande partie grâce au sérieux de la mise en page d’Emma. Shoutout à mes Thomas, Xavier, Lucas, mes confrères de Dijon, Nancy et Poitiers pour les renseignements qu’ils m’ont fourni sur leurs institutions. Mes discussions avec mes amis, qui se reconnaîtront, m’auront aussi été d’une grande aide dans l’élaboration de cette publication. Mention spéciale à Jean, qui a donné une toute autre ambition à mon intention de départ pour cet article. Mes salutations les plus fraternelles à mes colocataires de cette année dans la vieille ville, Hayaan. et Nicolas, qui m’ont toujours supporté. Ma révérence à celles et ceux qui auront contribué à me faire grandir et à me former intellectuellement ces deux dernières années, surtout lorsque je n’étais pas d’accord avec eux. Pour finir, je n’oublie pas mes professeurs des premières heures. Mes hommages à ceux qui ont mené à bien l’atelier Sciences Po dans mon lycée d’origine, à M. Bénichou, qui reconnaîtra le clin d’œil cinématographique que je lui ai adressé dans mon texte, à M. El Husseini, qui doit être fier que j’apprenne désormais l’arabe et enfin à M. Caillibot, qui n’a jamais cessé de me soutenir et de me former dans mes ambitions. Et bien sûr ma famille, que j’espère rendre fière.


Photo: Laura Fairlamb


Design by Emma Pascal

Our board ryan tfaily: rédacteur en chef oskar steiner: rédacteur en chef adjoint & maquettiste alban delpouy: directeur de publication emma pascal: maquettiste ines mir-moreaux: chargé de la communication hinde bouratoura: chargé de la communication maelle liut: chargé du site internet santosh mudaliran: chargé des chroniqueurs ninon straebler: chargé des chroniqueurs


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.