Edition Nº4, 2022-2023

Page 1

19

A MATHEMATICAL PROBLEM

NINE INTERVIEWS ABOUT DATING (OR NOT) IN MENTON BY SARA DELL’ ACQUA

10 • LE FEMINISME IDENTITAIRE NOUVELLE LUBIE DE L’EXTRÈME DROITE PAR CAMIILLE LEBÈGUE

8 • ETHIQUE, BIENTRAITANCE, BIENVEILLANCE LES GRANDS OUBLIÉS DU MILIEU HOSPITALIER? PAR FRANCESCA-MARIA DURAZZO

MERCREDI 25 MAI 2023 - ANNÉE 2022-2023 - NUMÉRO 4

Emmanuel Macron, ou l’exploit d’unir le peuple par

Lebègue

Être Femme

Ethique, Bientraitance, Bienveillance:

Les grands oubliés du milieu hospitalier ? par

Le féminisme identitaire

Nouvelle lubie de l’extrême droite par Camille Lebègue

Comment va la prostitution ?

3 Great Movies to keep you inspired to fight the system

A Mathematical Problem:

9 Interviews about Dating (or not) in Menton

2 4 6 8
la démocratie
Sur
10 12 14 Table of Contents
16 19

Editor-In-Chief

AWordfromtheEditorinChief

Quelle année !

Et enfin, c’est fini, nous sommes arrivés à la fin du semestre. Cette année, vous avez lu une diversité d’articles aux thèmes globalement politiques. Même si nous avons parfois touché à la culture et l’art, les sciences pistes du Zadig vous ont montrés qu’ils restent fidèles à la politique. This issue may not surprise you in its largely political undertones, but Sara Dell’Acqua’s blunt undertaking of the politics of romance in Menton is bound to swoop you away. Perfectly timed for the last few days of may, this edition will have you reflecting on your time at Sciences Po, whether or not you have another year left. Donc ouvrez les pages, et laissez-vous transporter …

MeettheWritingTeam

Responsable Chroniqueur.euse.s Francais.e.s

3 ÉDITION N˚4 | MAY 2023
Communications Layout Designer Layout Designer Communications Chroniqueuse Relectrice Chroniqueur Chroniqueuse Columnist Columnist Chroniqueuse Columnist Columnist Head of English Columnists Head of Design Head of Communications

EMMANUELMACRON OUL’EXPLOITD’UNIRLEPEUPLE!

CAMILLE LEBÈGUE CHRONIQUEUSE

Qu’avez-vous fait de notre démocratie ? Les néerlandais te l’ont scandé lors de ta visite au Pays-Bas, le 13 avril. Qu’as-tu fait de la démocratie française ? Tu t’es trouvé bien incapable de répondre. Tu as déclaré que tu pourrais prendre le temps, si nécessaire, d’expliquer en quoi tout cela est démocratique ; chose que tu n’as pas faite. La France se déchire, les 94% d’actifs opposés à cette réforme se sentent méprisés, ton gouvernement refuse le dialogue. Mais que s’est-il passé ?

Les institutions de la Veme république ne sont pas parfaites. Au contraire, elles regorgent d’imperfections. Le président français est idolâtré ou détesté, la fonction de la présidence de la République est entièrement personnifiée : tu as été élu en émergeant en neuf mois sur la scène politique, en créant ton parti. Les partis n’ont donc qu’un poids relatif dans la Vème République, et plus encore sous l’ère jupitérienne dont tu rêves. A titre d’exemple, qui connaît le secrétaire général de Renaissance !, le nouveau nom de la République en Marche, hormis les journalistes du service politique de BFM TV ?

La personnification des fonctions républicaines comme partisanes semble totale. La Nupes, c’est Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau et Fabien Roussel. La droite, c’est Valérie Pécresse, Éric Ciotti, Laurent Wauquiez. L’extrême droite, c’est Marine Le Pen, Jordan Bardella, Éric Zemmour. Les partis semblent très a aiblis, ne reposent que sur quelques personnalités que l’on adore où l’on déteste, toujours peu de femmes, soit dit en passant. Et pourtant, ton gouvernement a décidé de ne pas laisser les coalitions transpartisanes s’exprimer à l’Assemblée, alors même que Renaissance dispose de la majorité relative dans l’Hémicycle. Qu’as-tu fait de notre démocratie ?

Emmanuel,laissenoustedireunechose.Noussommes jeunes, et nous sommes nés au pays des Lumières. Nous sommes jeunes, et nous aspirons à la liberté. Nous sommes jeunes, et nous sommes brimés, épiés, réprimés. Les institutions qui nous entourent font tout pour nous décourager d’agir. L’Etat, qui demande aux préfets de sévir, les préfets, qui demandent aux policiers de taper. Les policiers, qui tapent. Nos facs, nos écoles, nos patrons qui menacent de nous virer

en cas d’absences répétés ou de blocages. Pendant que le monde institutionnel frémit de peur quand il sentle sou edela jeunesse,nousbouillonsdecolère.

Emmanuel, tu es prévenu. Les gilets jaunes en 2017, c’était toi. L’œil, le bras, la jambe perdus sous les tirs de la police, c’était toi. Alexandre Benalla, c’était toi. Les manifestations contre la réforme des retraites en 2020, c’était toi. Les centaines de milliers d’euros de salaire perdus en grève, c’était toi. Les manifestations pour protéger notre agriculture de l’industrie et de ses megabassines, c’était toi. Les blessés, le chaos, la panique, c’était toi. Les manifestations contre la réforme des retraites en 2023, c’est toi !

Emmanuel, tu es prévenu. Tu t’épuises à essayer d’anéantir un mouvement protestataire qui sort renforcé à chacune de tes interventions. Une révolutionestsivitearrivée.Noscerveauxlobotomisés parnosécransneselaisserontpasbernerlongtemps. La mascarade a bien trop duré, les consciences se réveillent. Si seulement tu savais ce que tu as allumé, tu le regretterais toute ta vie. Une génération entière se joint à ses aînés et se fabrique une conscience politique. Enfin, les jeunes comprennent le pouvoir de la rue.

Vas-y,passetaréforme.Étou elecridela colèresous des coups de matraque.Explique nous la démocratie haut et fort pour masquer l’écho de ta lâcheté. Nous sommes toute ouïe. Ton 49.3, nous l’avons entendu. Ton mépris, nous l’avons ressenti. Ton orgueil, nous l’écraserons. Emmanuel, tu es prévenu.Une révolution, c’est la réunion de plusieurs facteurs. La peur. La colère. La misère. L’injustice. Des erreurs politiques.

Comme un bel apprenti tyran, tu as provoqué tous ces facteurs. La première sommation du peuple a pourtant tonné une première fois en 2017. Puis en 2019, puis en en 2023… Tu sais ce qu’il se passe, à la troisième sommation ? La charge. La violence. Les coups de matraque. Les gaz lacrymogènes, qui étou ent les poumons, brûlent la gorge, font pleurer les yeux, mais surtout, les cœurs. Les grenades de désencerclement, qui attisent les colères et font taire nos espoirs en la démocratie, nos rêves d’un monde meilleur.

4

Sais-tu ceque l’on ressent, lorsque que l’onfait face à desdizainesdepolicierssurarmés,quinousregardent à travers leurs visières et leurs masques à gaz, qui se cachent derrière des protections disproportionnées, couvert des pieds à la tête, protégés par leur boucliers transparent, qui portent les stigmates de la colère du peuple, alors que nous ne sommes armés que de nos drapeaux et de nos chansons, protégés par notre espoir de vivre en démocratie, et qu’on se dit que non, ils ne chargeront jamais une trentaine de manifestants etdelycéens pacifistes, quidansent, le visage découvert ? On a mal. La douleur nous assaille. On comprend que ce qu’on apprend à l’école, que la liberté, l’égalité, la fraternité, les valeurs de la République, tout ça, c’est du vent. Et puis, soudain, retentit la dernière sommation. Les boucliers avancent, les matraques sortent. On entend des cris de colère, de peur, de douleur. Les coups pleuvent, les gens courent, certains foncent dans les boucliers, d’autres au contraire fuient et sèment la panique. Le LBD contre nos rêves, les grenades contre nos drapeaux, les boucliers contre notre rage.

Emmanuel, c’est la troisième sommation. Nous aussi, on va passer en force, scandent les manifestants. Que te faut-il de plus ? Des morts ? C’est ça que tu attends, du sang ? Mais qui es-tu ? Un banquier assoi é de pouvoir ? Un énarque qui jouit à l’idée de réprimer le peuple ? Un ancien ministre complexé ? Pourquoiinfliges-tuçaaupays?Anotredémocratie.?

Lajeunessegronde.Noussommesleshéritiersde1789, de 1830, de 1848, de 1871, de 1968, de 1995, de 2005, de 2017. Le pouvoir peut vaciller. Le pouvoir vacillera, si tu t’obstines. Le peuple français t’as fait confiance pourempêcherl’extrêmedroited’accéderaupouvoir. En détruisant les services publics, en réduisant le nombres de fonctionnaires, en promulguant des lois scélérates sur le communautarisme et la sécurité, tu plantes les graines de l’extrême-droite sur un terrain fertile, un contextedecrise quetu alimentes ;demain, nous nous réveillerons trop tard, et l’extrême-droite aura fleuri partout.

Emmanuel, quand ton pouvoir ne tiendra plus qu’à un fil, à une poignée de policiers et de militaires qui resteront obéissants, rappelle-toi. C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien…

Le problème ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. Dis-moi, atterriras-tu sans anicroches alors que le sol sous toi sera mouvant, brûlant, puissant, prêt à te submerger ? •

Photos by: Jeanne Menjoulet, Luna Ragozino, Mathias Gaillard

ÊTRE FEMME

MAHÉ BINCAZ CHRONIQUEUSE

Être une femme c’est être moins

Moins de matière entre les jambes

Moins d’opportunités

Moins de salaire

Moins de respect

Moins de liberté

Moins

On connaît tous les combats actuels Mais la domination au quotidien est dure à dénoncer Elle est rarement concrète, pas réellement factuelle Et pourtant elle est là Omniprésente, di use et insaisissable

Être une femme c’est se faire couper la parole dans les discussions

C’est entendre un homme que l’on aime prononcer la phrase de trop, Parfois la famille, parfois les amis La misogynie, sournoise et implacable qui s’immisce partout où on ne la veut pas Et juste comme ça, on se rappelle violemment, qu’un homme est un homme, et le restera

L’oppression est subtile et contagieuse, elle est dans le cinéma, dans les repas de famille, à l’université, en couple, sur les réseaux sociaux.

Être une femme c’est avoir un corps encombrant, qui prend toujours trop de place, trop d’attention

C’est avoir honte

C’est une amie dans une relation abusive

L’impossibilité de l’en tirer et cette frustration qui germe

« Je hais les hommes »

Suis-je misandre ?

« Pas tous les hommes » Oui. Mais toutes les femmes.

C’est comprendre que ce garçon aime l’idée de ce que tu es, mais pas toi

Qu’il regarde des filles nues sur Instagram

Qu’il ne te respecte pas vraiment

C’est voir une fille se réduire à être « fille » et comprendre qu’elle est victime elle aussi

Être une femme c’est vouloir être quelque chose d’autre.

Un chat, une plante, un homme.

C’est la jalousie de ceux à qui tout est o ert, ceux qui n’ont pas à avoir peur

« J’adore me balader seul la nuit dans Menton, c’est apaisant » m’a dit un garçon un jour

Le cœur serré, j’aurais aimé dire que moi aussi Mais je ne l’ai jamais fait, et je ne pourrai jamais le faire

6

Être femme c’est envier l’autre sexe qui obtient tout plus facilement

L’approbation, la validité de faire des bêtises, le droit de parler, le pardon

Être femme c’est rêver d’être définie par autre chose que par mon vagin, par mon visage, par mes seins. C’est avoir des publicités sponsorisées pour des crèmes rajeunissantes à 18 ans.

Être femme c’est la violence

La violence des mots, la violence des infos, des journaux

Le droit à l’avortement révoqué, des femmes séquestrées, violées, tuées (souvent dans cet ordre) les faits divers qui font froid dans le dos, la décrédibilisation des femmes en politique Des articles ridicules sur la philosophie de la tenue portée la veille.

Pourquoi ce choix de tailleur Mme la Ministre ? Et ses idées sinon ?

C’est aussi la violence sous les draps

L’envie de vomir et l’urgence de crier « ne me touche pas » Sursauter quand quelqu’un nous frôle Vouloir disparaître

Pourquoi on se sent en sécurité quand un garçon nous raccompagne le soir chez nous ?

On se protège avec ceux qui nous agressent

C’est mon ami il ne ferait jamais ça Ah oui ?

Être une femme c’est être seule

Ne pas avoir foi en la police, en la justice, en son fils

C’est avoir peur

Peur des autres, peur de ses proches, peur du soir, peur des rues

C’est développer un instinct de survie omniprésent, malgré nous

C’est envoyer sa localisation en direct

C’est regarder devant mais surtout derrière nous

C’est parfois perdre espoir et ne plus oser espérer mieux pour nos filles

C’est se sentir modifiée par ces violences. Se demander « à quel point suis-je transformée ? »

C’est vouloir tout désapprendre et tout e acer

Mais être femme c’est aussi l’espoir

La perspective utopique d’un monde moins oppressant

De balades nocturnes en toute impunité

De transports en commun à trois heures du matin

De dormir dans le lit de son meilleur ami

De porter la robe la plus courte de son armoire

Sans jamais, aucun jugement, aucun regard, aucune frayeur

Être femme, c’est une solidarité dans le supplice,

C’est une nouvelle amie dans les toilettes d’une boite de nuit,

C’est le regard rassurant d’une vieille dame dans le métro

C’est Norman Fucking Rockwell, c’est Me and My Husband

C’est se remettre à aimer le rose à 16 ans

C’est la beauté, c’est la féminité, le plaisir d’être soi

C’est ressembler à sa mère et en être fière ou pas

C’est apaiser le tourment des une et des autres

C’est guérir et grandir toutes ensemble

Être femme c’est une aventure que personne ne nous prépare à vivre

Et c’est la chose la plus belle que le monde a à nous o rir •

7 ÉDITION N˚4 | MAY 2023

Le 16 Janvier 2023 paraissait le “Suivi des recommandations du rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées en EHPAD”, pour faire suite au premier rapport paru en Mai 2021, qui émettait 34 recommandations auprès des pouvoirs publics. 18 mois plus tard, une infime minorité de ces recommandationsontétémisesenœuvre,etsouventàmoitié.

Ce rapport fait état, de façon acerbe, d’une prise de conscience collective du “caractère systémique du problème de maltraitance au sein des EHPAD”, mais aussi d’un délaissement total de la part del’État.

Ce rapport est d’ailleurs passé à la trappe,tantdanslesmédias,qu’auparlement;ledébatpublicignoresesaînés defaçoncriante,etcontinuedenormaliserlamaltraitance.

Parmilesrecommandationslesplusimportantes apportées par le Défenseur des droits, il est notamment question d’un “ratio minimal d’encadrement des résidents”.Eneffet,onpeutlireunexemple d’EHPAD dans lequel les résidents ont droit à une douche tousles15jours, demeurent en blouses, et sont alitésau moinsdeuxjoursparsemaine,bienqu’ils soientautonomes.

Cetypedemaltraitanceestfavorisépar un manque de personnels soignants, selon la direction de la recherche, des études,del’évaluationetdesstatistiques, letauxd’encadrementdesEHPADserait enmoyennede63ETPpour100résidents en2015.Àladifférence,leDéfenseurdes Droitsétablitqu’ilfaudraitaumoins8ETP

FRANCESCA-MARIA DURAZZO CHRONIQUEUSE

pour10résidents…Nousensommestrès loin,surtoutquecetauxd’encadrement de 63% en 2015, prend en compte des établissementstrèsdivers,dessituations géographiquesvariées,etincluttantles auxiliairesdevie,lesaidessoignants,que lesinfirmiersquisontdansuneproportion inférieureàcelledessoignantsduparamédical. Ces situations de sous effectif dessoignants,favorisentlamaltraitance, c’est-à -dire tout acte d’une personne, portant atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique, et aux libertés individuelles des résidents. Ces violences, ne sont pas forcément physiques et directes, elles peuvent être psychiques, économiques, médicamenteuses, et s’étendentaussiàlanégligenceactiveet passive.Enoutre,toutmanquementàla bientraitanceconstitueunactedemaltraitance.O.étudianteenTerminaleASSP aeffectuésespériodesdeformationen milieu professionnel dans un EHPAD à Nice, où , lors d’une garde de nuit, une de ses collègues enceinte, ne pouvant souleverunrésidentayantfaitunechute, adûlui disposerdescoussinsausol,en attendant de l’aide. En effet, elle était seule…Elleprendunexempleparmitant d’autres, mais selon elle, le manque de moyens n’explique pas la maltraitance, toutefois, lemanqued’effectifs contraint lessoignantsàécarterlesprincipesfondamentaux de leur métier, notamment l’hygiène. “À cause du manque de personnel,ilyadeschosesvuesencoursqui sontimpossiblesàmettreenplace”,bien consciente des risques de propagation desmaladiesnosocomiales.

Si cette idée paraît simple, comme le montre le rapport du Défenseur des

Droits,noussommestrèspeusensibilisés aux différents types de violences. Souventlesenfantsetprochesdesrésidents n’ont aucune connaissance des sévices subis, du fait d’une méconnaissance desdifférentestypesdemaltraitance,ou toutsimplementparcequel’administrationfaitensortequecesviolencessoient dissimuléesàlafamille.Unepersonneatteintedelamaladied’Alzheimerparexemple,nepourrapastémoigner,etdans lemeilleurdescas,onattribuerasonappelausecours,àdelasénilité.

Le personnel soignant est certes formé à ces thématiques, mais le manquede moyensinvestisdanslemilieuhospitalier favorise les situations de “burn-out”, ou de dépression, qui sont des terreaux fertiles à la maltraitance. Nous pouvons retrouver dans les manuels de formation en Baccalauréat Professionnel Accompagnement Soins, Services à la personne ou encore dans les manuels d’IFSI. “éthique”, “bientraitance”, “posture professionnelle”, ce sont des concepts clés, répétés sinon constamment, de façonrécurrenteparlesenseignantsaux futurs professionnels de santé. En bac professionnel ASSP, les professeurs font toujours le lien entre un cours théorique etunenseignementpratique.S’ilsétudient en biologie la peau, et la formation desescarres, alors en travaux pratiques ilsapprendrontàfaireunsoin,etuneréfection d’un lit occupé. Les professeurs sonttrèsinsistantssurlefaitdeparlerau patient, de l’informer des mouvements, et de l’encourager. Par ailleurs, dès la première expérience professionnelle, ces étudiants sont confrontés à une toute autreréalité.C.étudianteenTerminaleen

8

BaccalauréatASSP expliqueque le premiercoursàsonarrivéeaulycées’intitulait “Éthique et bientraitance”, et que de loin qu’ellesesouvienneilluiestconstamment demandé de se comporter au prisme de la bientraitance. Elle prend l’exemple “si nous étudions le diabète en biologie, alors en Ergonomie-Soins nous devons être très attentifs aux pieds du malade pouréviterlesrisquesdecomplications!”. Pourtant,C.témoigneavoirétéfortement “déçue” de sa première expérience en EHPADenclassedePremièreaupointde vouloirs’orienterverslapetiteenfance:“j’ai été surtout témoin de violences douces, il n’y avait aucune communication avec le patient, ce qui importait le personnel soignant ça n’était pas de faire une toilette pour le confort du patient, mais de faireunetoiletteleplusvitepossiblepour rejoindrelescollègesenpause…”.

La bientraitance inclut aussi une réflexion collective de l’ensemble du personnel soignant. Or il est difficile d’identifier des situations de maltraitance lorsque celles-ci sont dites “douces”, et dans un contexte d’affinités entre soignants et de hiérarchie. Une aide soignante aura plusdedifficultésàdénoncerunactede maltraitancelorsqu’ils’agitdesacadreinfirmière. C’est donclecône despiralede l’enferquiemportelesrésidents.O.exprime avoirététémoind’uncasdemaltraitance quil’afortementheurtée:“cettestagiaire qui poussait la personne âgée à bout, au point que la personne âgée s’énervait et tombait, ça je n’ai pas pu, même pour ma conscience personnelle, je suis doncalléevoirlapsychologue.”Toutefois O.admetquependantsesautresstages elleestrestéedansle silence face à des cas de maltraitance “je n’avais pas autantconfianceenmoi”,maissouligneque dessoignantsbienplusâgésqu’elle,pouvaientrire decasdemaltraitance.

L’ouvrage Les Fossoyeurs du journaliste d’investigation Victor Castanet, qui a bouleverséledébatpublicàsaparution en2022,faitétatd’unechapedeplomb que la hiérarchie faisait peser sur le personnel soignant pour les contraindre au silence. Victor Castanet a notamment suivi Saida, une aide soignante pour le groupeOrpeaauxBordsdeSeine,unlieu où les tarifs peuvent varier entre 6 500€ et12000€,etoùpourautant,lesprotectionshygiéniquesétaientrationnées,voire remplacées par de simples serviettes de bain…Lecadreinfirmierdecetétablisse-

menttémoignequantàlui,desesplaintesmensuellesauprèsdeladirectricecoordinatrice,toujoursinfructueuses.Celle-ci refusant de faire des stocks dans une logique comptable, inévitablement les soignantsrationnaienteuxmêmelesrésidentsà3protectionsparjour(avectous les escarres qui s’en suivent ). Laurent, a d’ailleursétélicenciépouravoiroséaspireràaccompagnerdanslabientraitance ses patients. Si selon C., sur les lieux de stage qu’elle a fréquentés en France la gestion des stocks était convenable, elle dit avoir découvert un système de prise enchargeglobaleauseindel’UnionEuropéenne lors d’une Période de Formation en Milieu Professionnel en ERASMUS au Portugal “Au Portugal il y a une réelle traçabilité des stocks, une coopération totaleavecl’administration,deplusladirectrice, et les cadres infirmières sont au contact des patients et participent aux soins ! Le résident est toujours accompagné,j’yaivuunprofondrespectpourla personneâgée”.Peudechancesqu’une étudianteportugaiseenéchangeERASMUSenFrancepuisseendiredemêmede nosEHPAD…Commedanstoutelogique comptable, si les personnes âgées et les soignants en sont les grands perdants, les grands groupes n’en obtiennent que les bénéfices. Ce n’est qu’une hausse de 8,9%dechiffred’affaires legroupeOrpea, unecroissanceorganiquede6,2%pourle groupeKorianparrapportàl’année2021.

vestissement sécurisé, du fait de la progressiondesindicesboursiersdesEHPAD. En parallèle, on peut trouver un grand nombredepagesexpliquant “comment financer le loyer” d’une chambre en EHPAD. Les prix ne cessent de progresser, alorsquelaqualitédessoinsestcorrélée négativement. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie a relevé un prix médian pour un hébergement permanent d’une chambre individuelle en EHPADs’élevantà2004€parmois.L’additionestsalée,lorsqu’oncompareàdes tarifs des pays limitrophes : en Belgique parexempleenmoyenneunrésidentdéboursera1487€pourunhébergementen Maison de repos selon l’union nationale desmutualitéssocialistebelge.

À qui attribuer les torts, à qui en donner raison ? Certainement que l’économie a sa part de responsabilité : les enfants quittentleursparentspourrejoindrelaville et les opportunités professionnelles qui s’ensuivent,renvoientleursresponsabilités àunetiercepersonne,quielle-mêmedu faitdeladéfaillancedusystème,nepeut assurer correctement ses services. Pourtanttoutlemondesaitqu’unepersonne âgéeauraunepluslongueespérancede vieàsondomicile,maisquis’enoccupera ?Ilexistedesdizainesd’alternativesàl’EHPAD:hospitalisationàdomicile,l’Allocation personnalisée d’autonomie, l’Allocation Représentative de Service Ménagers ou encorelePland’ActionsPersonnalisé.Tant de prestations de l’État ou des collectivités qui sont inconnues des familles, qui pensent alors que l’EHPAD est le couloir depassageobligatoire,avant derejoindrel’au-delà.

Onvoitlàquelaprisedeconscienceest relative,et que la santédenos aînés est devenue une valeur marchande. En une simplerecherchesurinternet, ilest possible de trouver des conseils d’investissements dans les “Chambres médicalisées à acheter ou à vendre”. Par exemple, le site “guide du patrimoine” assure un in-

O. aaussieffectuédesPFMPencrèche, elleexpliquequelescasdemaltraitance ne sont pas aussi violents dans le milieu de la petite enfance, notamment parce que les parents sont plus regardants, que leurs enfants une fois qu’ils sont eux même placés en EHPAD. Pour autant dans le dernier rapport de l’IGAS, intitulé “Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches” du mois deMars2023,pointaitdes«descarences dans la sécurisation affective et dans l’éveil»ouencoredescasd’enfantsprivés desiesteetnourrisdeforce.Làencorele gouvernement a prévu “d’agir rapidement”commeill’avaitindiquéàlaparution du premier rapport du Défenseur des droits pour les personnes âgées en EHPAD.•

9 ÉDITION N˚4 | MAY 2023
Nous sommes très peu sensibilisés aux di érents types de violence.
Souvent, les enfants et les proches du résident n’ont aucune connaissance des sévices subis

CAMILLE LEBÈGUE CHRONIQUEUSE

Le féminisme identitaire a surgi en France en 2019, après la di usion du mouvement Metoo. Alors fortementmédiatisés, les mouvementsféministes plus « traditionnels » ont vu émerger parmi leurs rangs une mouvance identitaire, qui ne cache pas ses a liations politiques avec l’extrême-droite. Unique en son genre, le collectif « féministe identitaire et anticonformiste » Némésis fait depuis régulièrement irruptions lors de rassemblements féministes à grands renforts de déguisements, de faux sang et de slogans coups de poings pour dénoncer les dangers de l’immigration en France. Il est intéressant de relever qu’aucune allusion au patriarcat n’est faite ; la principale menace pour les femmes en France vient à leurs yeux des transgenres et des « hommes de nationalité étrangère », qui selon une a che brandie à Nice en 2021 commettraient 52% des viols sur le territoire français. En matière d’anticonformisme, le collectif fait figure de proue : évoluant aisément dans la fachosphère, elles prônent le « vote patriote » pour le Rassemblement National et alertent sur les incohérences mensongères et populistes de la gauche.

Infiltrée dans le cortège Nous Toutes du 19 novembre 2022, les militantes de Némésis s’étaient alors vêtues de faux niqab, la tenue islamique qui couvre l’intégralité du corps et du visage de la femme, ne laissant un trou que pour ses yeux, afin de dénoncer « l’incohérence du néoféminisme face à l’islam politique », prochaine menace pour la France à en croire leurs a ches. L’action, qui avait pour but d’être médiatisée, avait consisté à brandir des a ches chocs où on pouvait lire « Féministe et islamiste », « ma burqa, mon choix », « mon coran, mes lois ». Alice Cordier, membre fondatrice du collectif, explique qu’elles ne se sont pas faites prendre à parti comme elles en ont l’habitude lorsqu’elles ne se déguisent pas, que « dénoncer l’immigration nous avait valu

des coups les autres fois. En revanche cette année, déguisées en tenue islamiste, 0 stress. » L’intégration des musulmans en France semble donc couver un grave danger de glissement de la société vers l’islam. Après leur « action éclair », visiblement rejetées par le cortège, les militantes déguisées sont rapidement parties, préférant « la sécurité de [leur] militantes ». En réponse, Nous Toutes s’était fendu d’un communiqué condamnant l’islamophobie ainsi que l’action de Némésis. Deux ans plus tôt, elles s’étaient déjà faites remarquées avec des a ches telles que « femmes = frontières violables», ou« Cologne,Roterham, bientôt Panam’ », où des faits de viols avaient été attribué à des migrants.

Si leurs principaux « ennemis » semblent être les hommes issus de l’immigration, leur doctrine préserve en revanche les « français », comprendre ici les citoyens à la peau blanche, qui sont pourtant les premiers oppresseurs aux yeux des autres collectifs féministes, puisque ce sont qui accèdent aux postes de pouvoir. « Parce que les hommes ne seront jamais nos ennemis mais nos alliés », explique l’un des premiers post Instagram du compte de Némésis. Il n’est fait aucune allusion au patriarcat au cours de leur 341 posts, seulement à « la soumission » des femmes, à laquelle est étroitement associée le port du voile, mais aussi aux violences faites aux femmes, dont « les hommes de nationalité étrangère » sont les principaux auteurs à en juger par les statistiques phares brandies lors des rassemblements dans lesquelles elles font irruption. Le collectif estime par ailleurs que l’égalité des sexes est atteinte, et refuse desepositionnersurd’autressujetscommelaPMAou la GPA. Némésis ajoute qu’il y a « énormément sinon trop » d’avortements et refuse de voir l’interruption volontaire de grossesse comme anodine.

10

NOUS

Les militantes identitaires ne semblent pas si nombreuses, à en juger par les photos qu’elles partagent,oùcinquanted’entreellesfigurentaugrand maximum, mais elles semblent en revanche attirer une sympathie marquée d’une partie de la sphère d’extrême droite dont elles se revendiquent sans trop de gêne. Les militantes à l’origine de la fondation du collectif en 2019, Alice Cordier et Mathilda, ainsi que plusieurs autres membres ne cachent pas leurs opinions politiques, et s’a chent fièrement aux côtés de Marine Le Pen (Marie Emilie Euphrasie, ancienne membre de la Cocarde étudiante et membre fondatrice de Némésis, s’engage dans la campagne de Marine Le Pen à la présidentielle et aux élections législatives de 2022), Julien Rochedy ou encore parmi les militant-es de Génération Z. Plusieurs militantes fondatrices de Némésis Suisse, dont sa présidente régionale Sarah Prina (pseudonyme)11, sont issues du groupe néonazi Militants suisses.

Enfin, pour achever de se démarquer des cercles féministes majoritaires et parfaire son intégration aux cercles d’extrême droite, Némésis prône une transphobie décomplexée, refusant de considérer les transgenres comme des femmes, et a chant dès que possible des crimes, délits ou exploits sportifs commis ou accomplis par des personnes issues de la communauté trans. Le collectif utilise la même stratégie généralisatrice : quand un fait divers est commis par une personne immigrée ou issue de l’immigration,oubienparuntransgenre,ellespublient sur instagram un post sur le sujet, ne manquant pas de dénoncer la lâcheté politique du gouvernement qui « refuse de stopper » l’immigration.

Le dernier champ de bataille du collectif non déclaré est la justice. Les militantes dénoncent ainsi à cors et à cris le laxisme de la justice en matière de harcèlement de rue, de droit des réfugiés, ainsi que son incapacité à faire respecter les Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF). La justice ferait partied’unengrenagepro-migration,etdoncfaillirait à sa mission de protéger les françaises, qui, comme elles aiment à le rappeler, « ne sont pas des frontières violables ».•

11 ÉDITION N˚4 | MAY 2023
AFFICHES DU COLLECTIF NÉMÉSIS, BRANDIES LORS DU RASSEMEBLEMENT TOUTES, LE 19 NOVEMBRE 2022 PHOTO: COLLECTIF NEMESIS, INSTAGRAM RASSEMBLEMENT DU COLLECTIF NEMESIS AU PIED DU SACRÉ COEUR POUR L’ACTION “#NOHIJABDAY” LE 29 JANVIER 2023 PHOTO: COLLECTIF NEMESIS, INSTAGRAM

COMMENTVA LAPROSTITUTION?.

MAHÉ BINCAZ CHRONIQUEUSE

Sale pute !

… ou « travailleuses du sexe » ?

Il est courant d’ignorer la prostitution, il est di ciledelacontrôler,ilestcommundelacondamner, il est choquant de l’exposer et il est récent de la défendre, mais qu’en-est-il vraiment du plus vieux métier du monde ?

Cet article ne dénonce pas, il est un écrit de réflexion ouvert sur la cause de la prostitution et se concentre sur les enjeux majeurs de la prostitution contemporaine.

Si plusieurs thématiques principales se dégagent des di érents débats sur la prostitution, la question qui revient le plus est le contraste manichéen entre une prostitution à laquelle les femmes sont contraintes, victimes des proxénètes et des institutions, et de l’autre côté une prostitution libératrice, synonyme d’uneémancipationdesfemmes,détentricesdeleurs corps. Cette vision par les extrêmes pose problème : entre le postulat d’une liberté de se prostituer ou, au contraire, l’a rmation d’une contrainte structurelle rendant impensable la notion de choix, ces discours, tour à tour libertaire ou misérabilistes, tendent à réduire l’imaginaire collectif en forçant à une vision ou à une autre.

Par ailleurs, ce contraste est souvent motivé par des raisons de provenance. On observe l’émergence d’une dichotomie européenne entre prostitution « forcée » et « volontaire » : d’un côté, la figure de la travailleuse du sexe de l’Ouest ou du Nord, dont l’activité est choisie, et de l’autre celle venue du Sud ou de l’Est, issue contre son gré de l’immigration clandestine, victime de traite et forcée de se prostituer. Ce contraste supplémentaire établit une nouvelle hiérarchie poussant à ne « sauver » qu’un des deux types de prostitués. Aider l’innocente et stigmatiser la déviante.

La réalité est bien plus complexe, puisqu’il s’agit tout d’abord de se demander ce qu’englobe la prostitution. La Cour de cassation définit en 1992 la prostitution comme le «

». Depuis 1996, elle considère que la prostitution consiste «

».

Ainsi, cette définition exclut de la prostitution les plateformes de partage de contenu sexuel tels qu’OnlyFans. Si les individus produisant du contenu sur ce réseau génèrent un revenu en vendant des images et vidéos virtuelles très intimes de leur corps, il est di érent de vendre son corps de manière charnelle. La vision de ces deux professions divergent beaucoup, pourtant les deux monétisent le corps humain. Cela amène à se questionner sur l’aspect moral et sur notre rapport au corps : suis-je un corps, ou ai-je un corps ? C’est entre une approche du tout monnayable, où le corps n’est qu’une marchandise comme une autre, et une approche invoquant son inaliénabilité au nom de la dignité humaine, que la question éthique de la prostitution se pose. Vendre son corps est-il déshumanisant ? Même lorsque cette profession est voulue, n’a ecte-t-elle pas de trop près l’intégrité de la prostituée ? Le rapport sexuel est-il le plus haut stade d’intimité ? La sacralisation du rapport sexuel fortement liée à l’idée religieuse de la préservation, amène la certitude que partager un rapport sexuel oblige un lien fort entre les deux (ou plusieurs) parties impliquées. Le sexe, acte banal, ou échange physique quasi-spirituel ?

Pour certaines féministes, cette problématique est elle-même teintée du prisme patriarcal, incitant à la honte de la sexualité féminine, à la primordialité de la dignité et à l’honneur de la famille, quand pour d’autres, les travailleuses du sexe, au même titre que les ouvriers ou que les masseurs gagnent leur vie en utilisant leur corps.

12

» Elisabeth Badinter, philosophe et féministe, dans son livre encourage les femmes à profiter des failles du patriarcat plutôt que de les subir. Cette opinion traduit simultanément un progrès de l’opinion publique vers l’émancipation de la sexualité féminine et un retour en arrière, soutenant l’asservissement volontaire desfemmes aupatriarcat, pour le plus grand bonheur… des clients.

ELISABETH BADINTER, PHILOSOPHE ET FÉMINISTE,

Aussi, la conception de la prostitution comme une exploitation et une atteinte à la dignité humaine est un des arguments les plus récurrents des abolitionnistes. Cette logique est très chargée d’une morale visant à protéger l’institution de la famille et de mettre en avant l’idée que la prostitution est construite seulement à l’initiative des hommes. En e et, 85% des personnes prostituées en France sont des femmes. On appréhende alors mieux qui sont les clients de ces réseaux. Malheureusement, force est de constater que les mesures prises s’orientent davantage vers les autres acteurs de la prostitution. Paradoxalement, les clients et les proxénètes sont les inconnus du système prostitutionnel. Les études relatives « aux clients » portent essentiellement sur les risques de maladies sexuellement transmissibles et les divers contrôles imposés à travers l’histoire aux personnes prostituées visent surtout la protection du client et de sa famille et non celle de la personne prostituée. Cette activité condamnée çà et là « a souvent été assimilée à un mal nécessaire » reconnue ainsi par l’opinion publique mondiale.

Certains organismes de défense des prostituées a rment que pénaliser les clients reviendrait à accentuer la précarisation des prostituées, les poussant à se tourner vers des intermédiaires, donc des réseaux, pour pratiquer leur activité. Alors faut-il légaliser la prostitution afin de mieux la réglementer ? Faut-il l’interdire complètement ? L’État est-il en droit d’intervenir sur l’usage que font les individus de leur corps ? La prostitution est-elle compatible avec un État de droit protégeant les libertés fondamentales et où la non patrimonialité du corps ? Qu’il faille interdire la prostitution des mineurs et les réseaux de proxénétisme ne fait pas de doute, mais le reste des questions restent en suspens et trouveront des réponses avec l’évolution naturelle de la loi, l’éclaircissement des ambiguïtés actuelles et l’avancée des di érents courants d’idées.

La prostitution est complexe et amène des questions éthiques, étatiques, sociétales et de genre. La diaboliser ou la banaliser n’est jamais la bonne réponse. La prévention de la traite des êtres humains, de la violence et de l’exploitation sexuelle est un objectif important, à traiter avec recul, humanité, empathie et intransigeance.

“Les prostituées sont des femmes du monde à l’état brut.”

13 ÉDITION N˚4 | MAY 2023 «
ENCOURAGE
À PROFITER DES FAILLES DU PATRIARCAT PLUTÔT QUE DE LES SUBIR
LES FEMMES

MARTIN UGALDE CHRONIQUEUR

Macron, les syndicats comme les manifestants, affirment le plus souvent détenir la véritable définition de la démocratie. Alors que le premier, a ublé d’une humilité digne de ses prédécesseurs monarques, n’a rempli que son devoir de représentant démocratique du peuple en imposant un « texte qui va poursuivre son chemin démocratique ». Syndicats et manifestants ne partagent pas cette même définition de la démocratie se réclamant souvent comme porteur si ce n’est détenteurs de celle-ci. Ils semblent s’atteler de cette manière à la fameuse maxime d’Abraham Lincoln « Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Or ce paradoxe repose sur l’appréhension du peuple; chaque parti s’en réclame, l’un comme l’étant lui-même, l’autre comme son émanation, mais qu’en est-il?

Pour reprendre les mots de Pierre Rosanvallon, nous retrouvons un bon nombre de peuples; un peuple électeur, un peuple manifestant, un peuple opinion et j’en passe. Tous coexistent et participent à la vie démocratique et se réclament détenteur de LA démocratie « mais précisément pour cette raison, le mot (démocratie) perd son sens précis. Par le fait que, pour obéir à la mode politique, on croit devoir l’utiliser à toutes les fins possibles (…) cette notion, dont on a abusé plus d’aucune autre notion politique, prend les sens les plus divers (…), lorsque même le vide intellectuel que recouvre habituellement la langue politique vulgaire ne la dégrade pas au rang d’une phrase conventionnelle, ne prétendant plus à aucun sens précis » pour citer Hans Kelsen.

Comment redonner alors un sens à des termes devenus si vagues, un leitmotiv protocolaire devenu naturel, comment les redéfinir concrètement alors que même l’article 1er de la Constitution syrienne proclame un « Etat démocratique »? Leur usage intempestif a usé les termes de démocratie et peuple. Mais au-delà de ce constat, il est manifeste que la légitimité démocratique du président de la République, puisque c’est tout l’enjeu de l’usage du terme démocratie : se légitimer grâce à la légitimité la plus légitime aujourd’hui, la démocratie vous l’aurez deviné, a décliné. Preuve que la démocratie n’est pas

un attribut substantiel mais une caractérisation exogène d’un objet ou sujet donné, c’est-à-dire qu’elle se définit essentiellement à partir du regard extérieur que l’on porte sur un régime ou un acteur.

La principale conséquence est, qu’au-delà du conflit de la représentation entre Macron, syndicats et manifestants, entre détenir les intérêts du peuple ou œuvrer pour l’intérêt général de la nation (formule si chère à Macron qu’il répète six fois pendant les dix premières minutes de son entretien du 22 mars 2023), ces divers acteurs ne sont pas substantiellement démocratiques. Malgré le su rage universel sou rant de sérieuses limitations pour le premier et encore moins les revendications des syndicats qui même s’ils devaient représenter l’intérêt commun ne respectent pas toute une série de conditions que l’on attribue historiquement aux régimes démocratiques telles que la représentation d’une minorité opposée.

Il semblealorsabsurdeou pourlemoinsinsensé,qu’ils se réclament d’une certaine légitimité démocratique car celle-ci n’étant ni une idéologie ni l’attribut d’un groupe ou d’une personne même s’ils s’en revendique ou s’en a rme porteur, est avant tout un système de relations. Elle est un tout, on ne peut pas nécessairement s’en revendiquer, les manifestations et le gouvernement macroniste ne sont que des composantes d’un système démocratique complexe qui, s’ilnepeut existersanseux,perdraitsonessencedepluralismeet démocratie en se matérialisant seulement et nécessairement en eux. Les voix de ces di érents acteurs sont alors composantes et condition d’un système plus vaste qui n’est démocratique qu’en sa totalité.

Or, au vu des évènements de ces derniers mois, une des composantes de ce système, que l’on considérait auparavant comme une des clés de voûtes du système de représentation, c’est-à-dire la figure du président de la République, semble avoir perdu selon les dires de certaines catégories de la population sa légitimé démocratique. Si nous envisageons la démocratie comme un système de relation entre groupes sociaux, nous pouvons alors appréhender cette situation non comme la fin d’un certain type

14

de démocratie, la démocratie représentative mais la transformations des relations et des perceptions au sein du système. Certaines institutions sont alors délégitimisés au profit d’autres qui recherchent à incarner le système lui-même.

Que la figure du président de la République soit aujourd’hui remise en cause est d’avantage le signe d’un changement d’époque et de relations du système qu’une crise de la démocratie représentative dans son ensemble. En e et, ce ne sont pas tant les dérives autoritaires de l’État qui ont amené une partie de la population française ces derniers mois à se mobiliser mais la perception de nouvelles limites au modèle représentatif à court de sou e. Paradoxalement, la démocratie française est aujourd’hui bien plus vivante que lorsque la figure du Président n’était pas remise en cause, non pas dans le sens où son fonctionnement politique soit plus e cace en termes de représentation, mais dans celui où le système est traversé par des questions sur la représentativité que l’on ne se posait pas auparavant.

Un des enseignements que l’on doit tirer de ces critiques est bien la nouvelle perception de nouvelles limites à la démocratie représentative mais si nous nous concentrons au-delà du seul taux d’abstention, les mobilisations successives réclamant une meilleure représentativité voire un renouveau du système prouvent que celui-ci est toujours vivant. Et en e et, la démocratie se caractérise historiquement par sa capacité à se réformer d’elle-même par et pour répondre à des demandes sociales fluctuantes à travers le temps. Nous pourrions même a rmer qu’elle se définit par la capacité des joueurs de changer les règles d’un jeu qu’ils se sont, après nombre de dicultés, appropriés pour répondre à leurs espérances. Ces groupes réclamant alors plus d’expériences démocratique sont le levier de nouvelles représentations de la démocratie au-delà de la démocratie électoraliste. Ils facilitent l’avènement de nouvelles expériences de la démocratie. Car oui, cette dernière est avant tout une ou des expériences multiformes, des pratiques désa ectées que nous n’utilisons plus, des pratiques existantes et des pratiques à inventer, un système historique toujours vivant et que nous devons projeter vers le futur. Si son paradigme s’est profondément transformé, nous ne pouvons pas moins établir une constante à travers l’Histoire, bien que grossière mais pérenne, celle des sociétés de décider de son présent et du cap à suivre, « le plébiscite de tous les jours » en somme, si cher à Renan.•

15 ÉDITION N˚4 | MAY 2023
16
17 ÉDITION N˚4 | MAY 2023
18

A Mathematical Problem: Nine Interviews About Dating (or not) in Menton

In the last weeks I had some conversations, with di erent friends, about how relationships and dating in Menton are a bit di erent than the experience one would expect in university. We had always thought of ourselves in big cities and schools, meeting new people, going to so many di erent places. Menton presented some challenges, with a cohort of less than 400 hundred students and very few places to meet up. This article is the result of nine interviews with students about dating (or not dating) in Menton. The names used in the article are made up.

All of the interviews started with the question: ”What didyouexpectfromdatinginuniversity?”Theanswers were amusingly di erent. “My expectations were very high. Here’s the thing: my parents met in university. My grandparents met in university. My aunt and uncle met in university. My cousin and their partner met in university. In my family you find the love of your life in university. Until now, I didn't find the love of my life but it's okay,” said Freya, a 1A student.

Kristina, another 1A, was very influenced by some conversations she had: “I met some 2A students this summer and they told me that in Menton everyone hooks up and it gets really crazy. They were like: ”It gets insane and like, everyone just does it.” And I was like: ”Oh, wow, I don't know how to do that stu .” Most people, though, seemed to just “have expected a few more options.” The “mathematical problem” of the number of students came up a lot and especially in the form of the lack of privacy and of the girls to boys ratio. We also talked about some other stu : the price of planes, the lack of meeting spaces, a world made for extroverts, the beauty of discovering places with someone else and the issues of long distance in Menton.

“Do you feel like there is enough privacy in Menton?” Maria, a 1A student, has quite a clear answer to the question: “Absolutely not. Absolutely not.” She did say “absolutely not” twice, as if once did not convey the concept. In the words of Melissa, instead, “A walk here becomes a catwalk.”

Most people I interviewed almost laughed when asked about privacy on the Menton campus, then they looked at me to try and understand if I was joking. “In so many occasions people knew who the person I made out with was before I knew who the person was,” recalls Edward, a 1A. During the interviews, I heard some picturesque stories about how the Mentonese gossip spreads.

More than one person told me that they heard voices about being involved in relationships while they were at the very initial stages of dating.

“Everyone started saying we were together just because they saw us holding hands,” said Vera, a 2A, while talking about people speculating about her and another student she dated for a while. “After all that gossiping, I even avoided being seen around with him,” she adds.

“Attheendofthedaythereareonlytwotrainstations, you cannot even escape. It happened to me last week. I was getting on the train (to go on a date) and three di erent people asked me where I was going,” says Freya.

Miriam, a 1A, is one of those that laughed when asked that question: ”When I started seeing the guy I’m seeing now, I was feeling all private and secretive and mysterious but everyone knew and I did not even tell them!”

“We see it with couples that we do have at school: everyone knows who they are. People pay close attention to them: the way they interact in and out of class,” adds Kristina.

19 ÉDITION N˚4 | MAY 2023
SARA DELL’ACQUA COLUMNIST

I don’t have any data on hand, but the impression I get, and most people around me get, is that in Menton way more people are in long-distance than anywhere else. At the same time, Menton is definitely not in the ideal position: ”Flights from Nice are really freakingexpensive,”saysKarinaandshe’snottheonly one to lament the di culty of moving around. “There were direct flights to the city where my ex-partner lived, but they were always either too late at night or too early in the morning and I could not get there with the trains,” says Marco, a 1A student. Karina also explains that at times her long-distance relationships have sometimes been a way of getting mentally away from here: “My disappointment with the environment, if anything, would have made me be more like, you know, dependent on the person I was dating. My relationship was based on the fact that I hated it here.”

“I hated Menton during the first semester, because in my head I was with this guy in Paris,” says Miriam. She’s telling me about how long-distance impacted her experience in Menton. “I was only waiting to go to Paris, every time, it was the only thing in my mind. I had an app on my phone that would tell me how many days until the next time I could go to Paris,” she continues.

Melissa told me. Miriam had a similar opinion: “When I date someone, I usually don't spend that much time with them because I love having my own life. (…)But here I have so much free time that we do a lot of stu together.” Both of them added that experiencing Menton with someoneelse made it more exciting and fun.

Some, though, feel like there is just enough time for them to build and enjoy a connection: ”The guy I’m seeing is going to a very far away country next year, I don’t think we’ll continue speaking. (…) If I meet someone next year,then I’ll bethe oneto leave.”,says Miriam.

“I mean, it's a very, very temporary thing. We are here for two years. I don't know, the people I've dated in my life were always people I've known for a really long time. Two years is just not enough for me to feel a connection and start dating someone,” Karina tells me.

When asked about why so many people are single on campus Kristina had a straightforward answer: ”It’s a mathematical problem, you know. There are like 70 percent girls and I am not really interested in girls.” Vera said almost the same thing: ”There are like ten boys: some I have been with, some my flatmates have been with, some are gay. That’s it”. Both Kristina and Vera expanded on how they think this impacts the Menton environment.

“It’s like what Levi-Strauss (sociologist who studied family) said: people are monogamous because there is one man for every woman: that just does not apply here,” says Kristina and then she adds: ”They (the boys) are doing the choosing and it brings you to ask ‘Why would they choose me?’ It fucks with your selfesteem.” When asked if they have ever felt restricted in their dating life by the size of campus, most of the women interviewed said yes. Maria, who identifies as bisexual, also brought up that: “There are really not that many queer women.”

“There are plenty of beautiful girls: all the girls are so beautiful and kind and smart. The guys are so few and they are just there,” added Miriam.

Marco tells me about how his perception of Menton changed since he and his partner broke up: ”At the beginning I cared less about everything that was happening in here, I think it was because I had something outside that I was part of. Now that that has ended though, I think I can just be more open. Not even sexually or romantically, I just have more time to do my things instead of being on Face Time.”

When talking about relationships in Menton, one topic that came up in di erent forms is time. “I’vebeenwithsomeoneforsix monthsnow,butIthink six months here are like two years anywhere else,”

Kristina even added: ”This is the worst place to be after a break-up. People tell you there are so many fish in the sea, but there just aren't any, besides the actual fish, you know, in the bay.”.

One of the boys interviewed recognized the problem but also didn’t hide that things were working out nicely for him: ”I've never had so many girls and, like, the ratio is incredible.”

Vera seemed very saddened while pointing out how this influences female friendships: “I know of a lot of friendships that ended because of boys, even important ones. When I got with a guy, I found out one of my close friends liked him. I don’t think stu like this would happen if there were more people.”

20
“This is the worst place to be after a break-up. People tell you there are so many fish in the sea, but there just aren't any.
Besides the actual fish, you know, in the bay.”

All this talking about options and numbers, though, brings another question: is the place that small or do we just always hang out with the same people? Opinions on how easy it is to meet new people, even just as friends, varied. Edward for example says that “There are so many things going on. Between the classes, parties, the association events, just crossing them when you're going shopping. You can meet people anywhere.”

Others, like Kristina, brought up that the environment is more fit for a party-type than anyone else: “If you don't like to engage in the party culture, it's a lot harder for you to put yourself out there.”

Di erent people brought up hookup culture during their interviews: “(At home) people were always in relationships. There wasn’t much of a hookup culture. (Here) especially at the beginning of my first year, everyone was just fucking everyone,”,tells Karina. Some feel like the hookup culture is really not for them: “Usually people get to know each other, go out, and then maybe something happens. Here is the opposite and it just does not suit my personality.”

Melissa instead brought up intentionality in creating new connections: “There are few people, it’s true. But we also only know people from our circles and we don’t try to meet new people. There are 400 people, but I don’t think we really put e ort in meeting and talking to those 400 people. We don’t intentionally expand our community. You can create and deepen your connections if you want to. Menton allows you to spend lots of time with others.”

Some months ago, I was on the phone with a friend studying in London. She was telling me that she felt stilla bitalienatedandlikeshedidnotfindherpeople yet.

“I know it’s not a nice thought but I think, you know, if I was dating someone I would not feel like this.” I had to agree, someone to connect with seemed like a beautiful prospect, especially during the first months in a new place. I was not the only one to think so.

“At the beginning, I thought that if I met someone this could actually be paradise on earth, also because you see all the people in a relationship that seem to be having the time of their life”, Freya told me. She, like me and my friend in London, changed her mind as the months passed.

“Slowly, with time, you understand that it's not like that: that it’s not the only way to actually enjoy what you have here. Actually, friendships are even more important here, in my opinion.”

In fact, friendship is a topic that came up a lot. When asked about the impact of her dating life on her experience in Menton as a whole, Vera commented: “I did not date much this year and, you know, the absenceofithadapositiveimpactonmyexperience. I just had so much more time and energy to deepen my friendships.” I must agree. In the past weeks, maybe thanks to some birthdays and other similarly joyful events, I have felt so grateful for my friends here and the role that they play in my life here. As my friends and I walked home or studied next to each other or cooked dinner or had a drink or chatted or danced, I just felt overwhelmingly lucky. Menton might not make the perfect environment for a crazy dating life, but it allows time and space to createconnection and it might be just as enjoyable.•

21 ÉDITION N˚4 | MAY 2023

THANK YOU FOR READING !

SEE YOU FOR THE NEXT EDITION !

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.