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Ethique, Bientraitance, Bienveillance: les grands oubliés du milieu hospitalier ?
by Le Zadig
Par Franscesca-Maria Durazzo
Le 16 Janvier 2023 paraissait le “Suivi des recommandations du rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées en EHPAD”, pour faire suite au premier rapport paru en Mai 2021, qui émettait 34 recommandations auprès des pouvoirs publics. 18 mois plus tard, une infime minorité de ces recommandations ont été mises en œuvre, et souvent à moitié. Ce rapport fait état, de façon acerbe, d’une prise de conscience collective du “caractère systémique du problème de maltraitance au sein des EHPAD”, mais aussi d’un délaissement total de la part de l’État. Ce rapport est d’ailleurs passé à la trappe, tant dans les médias, qu’au parlement ; le débat public ignore ses aînés de façon criante, et continue de normaliser la maltraitance. Parmi les recommandations les plus importantes apportées par le Défenseur des droits, il est notamment question d’un “ratio minimal d’encadrement des résidents”. En effet, on peut lire un exemple d’EHPAD dans lequel les résidents ont droit à une douche tous les 15 jours, demeurent en blouses, et sont alités au moins deux jours par semaine, bien qu’ils soient autonomes. Ce type de maltraitance est favorisé par un manque de personnels soignants, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, le taux d’encadrement des EHPAD serait en moyenne de 63 ETP pour 100 résidents en 2015. À la différence, le Défenseur des Droits établit qu’il faudrait au moins 8 ETP pour 10 résidents… Nous en sommes très loin, surtout que ce taux d’encadrement de 63% en 2015, prend en compte des établissements très divers, des situations géographiques variées, et inclut tant les auxiliaires de vie, les aides soignants, que les infirmiers qui sont dans une proportion inférieure à celle des soignants du paramédical. Ces situations de sous effectif des soignants, favorisent la maltraitance, c’est-à -dire tout acte d’une personne, portant atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique, et aux libertés individuelles des résidents. Ces violences, ne sont pas forcément physiques et directes, elles peuvent être psychiques, économiques, médicamenteuses, et s’étendent aussi à la négligence active et passive. En outre, tout manquement à la bientraitance constitue un acte de maltraitance. O. étudiante en Terminale ASSP a effectué ses périodes de formation en milieu professionnel dans un EHPAD à Nice, où , lors d’une garde de nuit, une de ses collègues enceinte, ne pouvant soulever un résident ayant fait une chute, a dû lui disposer des coussins au sol, en attendant de l’aide. En effet, elle était seule… Elle prend un exemple parmi tant d’autres, mais selon elle, le manque de moyens n’explique pas la maltraitance, toutefois, le manque d’effectifs contraint les soignants à écarter les principes fondamentaux de leur métier, notamment l’hygiène. “À cause du manque de personnel, il y a des choses vues en cours qui sont impossibles à mettre en place”, bien consciente des risques de propagation des maladies nosocomiales. Si cette idée paraît simple, comme le montre le rapport du Défenseur des Droits, nous sommes très peu sensibilisés aux différents types de violences. Souvent les enfants et proches des résidents n’ont aucune connaissance des sévices subis, du fait d’une méconnaissance des différentes types de maltraitance, ou tout simplement parce que l’administration fait en sorte que ces violences soient dissimulées à la famille. Une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer par exemple, ne pourra pas témoigner, et dans le meilleur des cas, on attribuera son appel au secours, à de la sénilité. Le personnel soignant est certes formé à ces thématiques, mais le manque de moyens investis dans le milieu hospitalier favorise les situations de “burn-out”, ou de dépression, qui sont des terreaux fertiles à la maltraitance. Nous pouvons retrouver dans les manuels de formation en Baccalauréat Professionnel Accompagnement Soins, Services à la personne ou encore dans les manuels d’IFSI. “éthique”, “bientraitance”, “posture professionnelle”, ce sont des concepts clés, répétés sinon constamment, de façon récurrente par les enseignants aux futurs professionnels de santé. En bac professionnel ASSP, les professeurs font toujours le lien entre un cours théorique et un enseignement pratique. S’ils étudient en biologie la peau, et la formation des escarres, alors en travaux pratiques ils apprendront à faire un soin, et une réfection d’un lit occupé. Les professeurs sont très insistants sur le fait de parler au patient, de l’informer des mouvements, et de l’encourager. Par ailleurs, dès la première expérience professionnelle, ces étudiants sont confrontés à une toute autre réalité. C. étudiante en Terminale en Baccalauréat ASSP explique que le premier cours à son arrivée au lycée s’intitulait “Éthique et bientraitance”, et que de loin qu’elle se souvienne il lui est constamment demandé de se comporter au prisme de la bientraitance. Elle prend l’exemple “si nous étudions le diabète en biologie, alors en Ergonomie-Soins nous devons être très attentifs aux pieds du malade pour éviter les risques de complications !”. Pourtant, C. témoigne avoir été fortement “déçue” de sa première expérience en EHPAD en classe de Première au point de vouloir s’orienter vers la petite enfance : “j’ai été surtout témoin de violences douces, il n’y avait aucune communication avec le patient, ce qui importait le personnel soignant ça n’était pas de faire une toilette pour le confort du patient, mais de faire une toilette le plus vite possible pour rejoindre les collèges en pause…”.La bientraitance inclut aussi une réflexion collective de l’ensemble du personnel soignant. Or il est difficile d’identifier des situations de maltraitance lorsque celles-ci sont dites “douces”, et dans un contexte d’affinités entre soignants et de hiérarchie. Une aide soignante aura plus de difficultés à dénoncer un acte de maltraitance lorsqu’il s’agit de sa cadre infirmière. C’est donc le cône de spirale de l’enfer qui emporte les résidents. O. exprime avoir été témoin d’un cas de maltraitance qui l’a fortement heurtée : “cette stagiaire qui poussait la personne âgée à bout, au point que la personne âgée s’énervait et tombait, ça je n’ai pas pu, même pour ma conscience personnelle, je suis donc allée voir la psychologue.” Toutefois O. admet que pendant ses autres stages elle est restée dans le silence face à des cas de maltraitance “je n’avais pas autant confiance en moi”, mais souligne que des soignants bien plus âgés qu’elle, pouvaient rire de cas de maltraitance. L’ouvrage Les Fossoyeurs du journaliste d’investigation Victor Castanet, qui a bouleversé le débat public à sa parution en 2022, fait état d’une chape de plomb que la hiérarchie faisait peser sur le personnel soignant pour les contraindre au silence. Victor Castanet a notamment suivi Saida, une aide soignante pour le groupe Orpea aux Bords de Seine, un lieu où les tarifs peuvent varier entre 6 500€ et 12 000€, et où pour autant, les protections hygiéniques étaient rationnées, voire remplacées par de simples serviettes de bain… Le cadre infirmier de cet établissement témoigne quant à lui, de ses plaintes mensuelles auprès de la directrice coordinatrice, toujours infructueuses. Celle-ci refusant de faire des stocks dans une logique comptable, inévitablement les soignants rationnaient eux même les résidents à 3 protections par jour ( avec tous les escarres qui s’en suivent ). Laurent, a d’ailleurs été licencié pour avoir osé aspirer à accompagner dans la bientraitance ses patients. Si selon C., sur les lieux de stage qu’elle a fréquentés en France la gestion des stocks était convenable, elle dit avoir découvert un système de prise en charge globale au sein de l’Union Européenne lors d’une Période de Formation en Milieu Professionnel en ERASMUS au Portugal “Au Portugal il y a une réelle traçabilité des stocks, une coopération totale avec l’administration, de plus la directrice, et les cadres infirmières sont au contact des patients et participent aux soins ! Le résident est toujours accompagné, j’y ai vu un profond respect pour la personne âgée”. Peu de chances qu’une étudiante portugaise en échange ERASMUS en France puisse en dire de même de nos EHPAD… Comme dans toute logique comptable, si les personnes âgées et les soignants en sont les grands perdants, les grands groupes n’en obtiennent que les bénéfices. Ce n’est qu’une hausse de 8,9% de chiffre d’affaires le groupe Orpea, une croissance organique de 6,2% pour le groupe Korian par rapport à l’année 2021. On voit là que la prise de conscience est relative, et que la santé de nos aînés est devenue une valeur marchande. En une simple recherche sur internet, il est possible de trouver des conseils d’investissements dans les “Chambres médicalisées à acheter ou à vendre”. Par exemple, le site “guide du patrimoine” assure un investissement sécurisé, du fait de la progression des indices boursiers des EHPAD. En parallèle, on peut trouver un grand nombre de pages expliquant “comment financer le loyer” d’une chambre en EHPAD. Les prix ne cessent de progresser, alors que la qualité des soins est corrélée négativement. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie a relevé un prix médian pour un hébergement permanent d’une chambre individuelle en EHPAD s’élevant à 2004€ par mois. L’addition est salée, lorsqu’on compare à des tarifs des pays limitrophes : en Belgique par exemple en moyenne un résident déboursera 1487€ pour un hébergement en Maison de repos selon l’union nationale des mutualités socialiste belge. À qui attribuer les torts, à qui en donner raison ? Certainement que l’économie a sa part de responsabilité : les enfants quittent leurs parents pour rejoindre la ville et les opportunités professionnelles qui s’en suivent, renvoient leurs responsabilités à une tierce personne, qui elle-même du fait de la défaillance du système, ne peut assurer correctement ses services. Pourtant tout le monde sait qu’une personne âgée aura une plus longue espérance de vie à son domicile, mais qui s’en occupera ? Il existe des dizaines d’alternatives à l’EHPAD : hospitalisation à domicile, l’Allocation personnalisée d’autonomie, l’Allocation Représentative de Service Ménagers ou encore le Plan d’Actions Personnalisé. Tant de prestations de l’État ou des collectivités qui sont inconnues des familles, qui pensent alors que l’EHPAD est le couloir de passage obligatoire, avant de rejoindre l’au-delà. O. a aussi effectué des PFMP en crèche, elle explique que les cas de maltraitance ne sont pas aussi violents dans le milieu de la petite enfance, notamment parce que les parents sont plus regardants, que leurs enfants une fois qu’ils sont eux même placés en EHPAD. Pour autant dans le dernier rapport de l’IGAS, intitulé “Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches” du mois de Mars 2023, pointait des « des carences dans la sécurisation affective et dans l’éveil » ou encore des cas d’enfants privés de sieste et nourris de force. Là encore le gouvernement a prévu “d’agir rapidement” comme il l’avait indiqué à la parution du premier rapport du Défenseur des droits pour les personnes âgées en EHPAD. •
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