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Emmanuel Macron, ou l'exploit d'unir le peuple
by Le Zadig
Par Camille Lebègue
Qu’avez-vous fait de notre démocratie ? Les néerlandais te l’ont scandé lors de ta visite au Pays-Bas, le 13 avril. Qu’as-tu fait de la démocratie française ? Tu t’es trouvé bien incapable de répondre. Tu as déclaré que tu pourrais prendre le temps, si nécessaire, d’expliquer en quoi tout cela est démocratique ; chose que tu n’as pas faite. La France se déchire, les 94% d’actifs opposés à cette réforme se sentent méprisés, ton gouvernement refuse le dialogue. Mais que s’est-il passé ?
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Les institutions de la Veme république ne sont pas parfaites. Au contraire, elles regorgent d’imperfections. Le président français est idolâtré ou détesté, la fonction de la présidence de la République est entièrement personnifiée : tu as été élu en émergeant en neuf mois sur la scène politique, en créant ton parti. Les partis n’ont donc qu’un poids relatif dans la Vème République, et plus encore sous l’ère jupitérienne dont tu rêves. A titre d’exemple, qui connaît le secrétaire général de Renaissance !, le nouveau nom de la République en Marche, hormis les journalistes du service politique de BFM TV ?
La personnification des fonctions républicaines comme partisanes semble totale. La Nupes, c’est Jean-Luc Mélenchon, Sandrine Rousseau et Fabien Roussel. La droite, c’est Valérie Pécresse, Éric Ciotti, Laurent Wauquiez. L’extrême droite, c’est Marine Le Pen, Jordan Bardella, Éric Zemmour. Les partis semblent très a aiblis, ne reposent que sur quelques personnalités que l’on adore où l’on déteste, toujours peu de femmes, soit dit en passant. Et pourtant, ton gouvernement a décidé de ne pas laisser les coalitions transpartisanes s’exprimer à l’Assemblée, alors même que Renaissance dispose de la majorité relative dans l’Hémicycle. Qu’as-tu fait de notre démocratie ?
Emmanuel, laisse nous te dire une chose. Nous sommes jeunes, et nous sommes nés au pays des Lumières. Nous sommes jeunes, et nous aspirons à la liberté. Nous sommes jeunes, et nous sommes brimés, épiés, réprimés. Les institutions qui nous entourent font tout pour nous décourager d’agir. L’Etat, qui demande aux préfets de sévir, les préfets, qui demandent aux policiers de taper. Les policiers, qui tapent. Nos facs, nos écoles, nos patrons qui menacent de nous virer en cas d’absences répétés ou de blocages. Pendant que le monde institutionnel frémit de peur quand il sent le souffle de la jeunesse, nous bouillons de colère.
Emmanuel, tu es prévenu. Les gilets jaunes en 2017, c’était toi. L’œil, le bras, la jambe perdus sous les tirs de la police, c’était toi. Alexandre Benalla, c’était toi. Les manifestations contre la réforme des retraites en 2020, c’était toi. Les centaines de milliers d’euros de salaire perdus en grève, c’était toi. Les manifestations pour protéger notre agriculture de l’industrie et de ses megabassines, c’était toi. Les blessés, le chaos, la panique, c’était toi. Les manifestations contre la réforme des retraites en 2023, c’est toi !
Emmanuel, tu es prévenu. Tu t’épuises à essayer d’anéantir un mouvement protestataire qui sort renforcé à chacune de tes interventions. Une révolution est si vite arrivée. Nos cerveaux lobotomisés par nos écrans ne selaisseront pas berner longtemps. La mascarade a bien trop duré, les consciences se réveillent. Si seulement tu savais ce que tu as allumé, tu le regretterais toute ta vie. Une génération entière se joint à ses aînés et se fabrique une conscience politique. Enfin, les jeunes comprennent le pouvoir de la rue.
Vas-y, passe ta réforme. Étouffe le cri de la colère sous des coups de matraque. Explique nous la démocratie haut et fort pour masquer l’écho de ta lâcheté. Nous sommes toute ouïe. Ton 49.3, nous l’avons entendu. Ton mépris, nous l’avons ressenti. Ton orgueil, nous l’écraserons. Emmanuel, tu es prévenu. Une révolution, c’est la réunion de plusieurs facteurs. La peur. La colère. La misère. L’injustice. Des erreurs politiques.
Comme un bel apprenti tyran, tu as provoqué tous ces facteurs. La première sommation du peuple a pourtant tonné une première fois en 2017. Puis en 2019, puis en en 2023… Tu sais ce qu’il se passe, à la troisième sommation ? La charge. La violence. Les coups de matraque. Les gaz lacrymogènes, qui étou ent les poumons, brûlent la gorge, font pleurer les yeux, mais surtout, les cœurs. Les grenades de désencerclement, qui attisent les colères et font taire nos espoirs en la démocratie, nos rêves d’un monde meilleur.
Sais-tu ce que l’on ressent, lorsque que l’on fait face à des dizaines de policiers sur armés, qui nous regardent à travers leurs visières et leurs masques à gaz, qui se cachent derrière des protections disproportionnées, couvert des pieds à la tête, protégés par leur boucliers transparent, qui portent les stigmates de la colère du peuple, alors que nous ne sommes armés que de nos drapeaux et de nos chansons, protégés par notre espoir de vivre en démocratie, et qu’on se dit que non, ils ne chargeront jamais une trentaine de manifestants et de lycéens pacifistes, qui dansent, le visage découvert ? On a mal. La douleur nous assaille. On comprend que ce qu’on apprend à l’école, que la liberté, l’égalité, la fraternité, les valeurs de la République, tout ça, c’est du vent. Et puis, soudain, retentit la dernière sommation. Les boucliers avancent, les matraques sortent. On entend des cris de colère, de peur, de douleur. Les coups pleuvent, les gens courent, certains foncent dans les boucliers, d’autres au contraire fuient et sèment la panique. Le LBD contre nos rêves, les grenades contre nos drapeaux, les boucliers contre notre rage.
Emmanuel, c’est la troisième sommation. Nous aussi, on va passer en force, scandent les manifestants. Que te faut-il de plus ? Des morts ? C’est ça que tu attends, du sang ? Mais qui es-tu ? Un banquier assoi é de pouvoir ? Un énarque qui jouit à l’idée de réprimer le peuple ? Un ancien ministre complexé ? Pourquoi infliges-tu ça au pays ? A notre démocratie ?
La jeunesse gronde. Noussommes les héritiersde 1789, de 1830, de 1848, de 1871, de 1968, de 1995, de 2005, de 2017. Le pouvoir peut vaciller. Le pouvoir vacillera, si tu t’obstines. Le peuple français t’as fait confiance pour empêcher l’extrême droite d’accéderau pouvoir. En détruisant les services publics, en réduisant le nombres de fonctionnaires, en promulguant des lois scélérates sur le communautarisme et la sécurité, tu plantes les graines de l’extrême-droite sur un terrain fertile, un contexte de crise que tu alimentes ;demain, nous nous réveillerons trop tard, et l’extrême-droite aura fleuri partout.
Emmanuel, quand ton pouvoir ne tiendra plus qu’à un fil, à une poignée de policiers et de militaires qui resteront obéissants, rappelle-toi. C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien…
Le problème ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. Dis-moi, atterriras-tu sans anicroches alors que le sol sous toi sera mouvant, brûlant, puissant, prêt à te submerger ? •