6 minute read

Sur la démocratie

Par Martin Ugalde

Macron, les syndicats comme les manifestants, affirment le plus souvent détenir la véritable définition de la démocratie. Alors que le premier, affublé d’une humilité digne de ses prédécesseurs monarques, n’a rempli que son devoir de représentant démocratique du peuple en imposant un « texte qui va poursuivre son chemin démocratique ». Syndicats et manifestants ne partagent pas cette même définition de la démocratie se réclamant souvent comme porteur si ce n’est détenteurs de celle-ci. Ils semblent s’atteler de cette manière à la fameuse maxime d’Abraham Lincoln « Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Or ce paradoxe repose sur l’appréhension du peuple; chaque parti s’en réclame, l’un comme l’étant lui-même, l’autre comme son émanation, mais qu’en est-il?Pour reprendre les mots de Pierre Rosanvallon, nous retrouvons un bon nombre de peuples; un peuple électeur, un peuple manifestant, un peuple opinion et j’en passe. Tous coexistent et participent à la vie démocratique et se réclament détenteur de LA démocratie « mais précisément pour cette raison, le mot (démocratie) perd son sens précis. Par le fait que, pour obéir à la mode politique, on croit devoir l’utiliser à toutes les fins possibles (…) cette notion, dont on a abusé plus d’aucune autre notion politique, prend les sens les plus divers (…), lorsque même le vide intellectuel que recouvre habituellement la langue politique vulgaire ne la dégrade pas au rang d’une phrase conventionnelle, ne prétendant plus à aucun sens précis » pour citer Hans Kelsen.Comment redonner alors un sens à des termes devenus si vagues, un leitmotiv protocolaire devenu naturel, comment les redéfinir concrètement alors que même l’article 1er de la Constitution syrienne proclame un « Etat démocratique »? Leur usage intempestif a usé les termes de démocratie et peuple. Mais au-delà de ce constat, il est manifeste que la légitimité démocratique du président de la République, puisque c’est tout l’enjeu de l’usage du terme démocratie : se légitimer grâce à la légitimité la plus légitime aujourd’hui, la démocratie vous l’aurez deviné, a décliné. Preuve que la démocratie n’est pas un attribut substantiel mais une caractérisation exogène d’un objet ou sujet donné, c’est-à-dire qu’elle se définit essentiellement à partir du regard extérieur que l’on porte sur un régime ou un acteur.La principale conséquence est, qu’au-delà du conflit de la représentation entre Macron, syndicats et manifestants, entre détenir les intérêts du peuple ou œuvrer pour l’intérêt général de la nation (formule si chère à Macron qu’il répète six fois pendant les dix premières minutes de son entretien du 22 mars 2023), ces divers acteurs ne sont pas substantiellement démocratiques. Malgré le suffrage universel souffrant de sérieuses limitations pour le premier et encore moins les revendications des syndicats qui même s’ils devaient représenter l’intérêt commun ne respectent pas toute une série de conditions que l’on attribue historiquement aux régimes démocratiques telles que la représentation d’une minorité opposée.Il semble alors absurde ou pour le moins insensé, qu’ils se réclament d’une certaine légitimité démocratique car celle-ci n’étant ni une idéologie ni l’attribut d’un groupe ou d’une personne même s’ils s’en revendique ou s’en affirme porteur, est avant tout un système de relations. Elle est un tout, on ne peut pas nécessairement s’en revendiquer, les manifestations et le gouvernement macroniste ne sont que des composantes d’un système démocratique complexe qui, s’il ne peut exister sans eux, perdrait son essence de pluralisme et démocratie en se matérialisant seulement et nécessairement en eux. Les voix de ces différents acteurs sont alors composantes et condition d’un système plus vaste qui n’est démocratique qu’en sa totalité.Or, au vu des évènements de ces derniers mois, une des composantes de ce système, que l’on considérait auparavant comme une des clés de voûtes du système de représentation, c’est-à-dire la figure du président de la République, semble avoir perdu selon les dires de certaines catégories de la population sa légitimé démocratique. Si nous envisageons la démocratie comme un système de relation entre groupes sociaux, nous pouvons alors appréhender cette situation non comme la fin d’un certain type de démocratie, la démocratie représentative mais la transformations des relations et des perceptions au sein du système. Certaines institutions sont alors délégitimisés au profit d’autres qui recherchent à incarner le système lui-même. Que la figure du président de la République soit aujourd’hui remise en cause est d’avantage le signe d’un changement d’époque et de relations du système qu’une crise de la démocratie représentative dans son ensemble. En effet, ce ne sont pas tant les dérives autoritaires de l’État qui ont amené une partie de la population française ces derniers mois à se mobiliser mais la perception de nouvelles limites au modèle représentatif à court de souffle. Paradoxalement, la démocratie française est aujourd’hui bien plus vivante que lorsque la figure du Président n’était pas remise en cause, non pas dans le sens où son fonctionnement politique soit plus efficace en termes de représentation, mais dans celui où le système est traversé par des questions sur la représentativité que l’on ne se posait pas auparavant. Un des enseignements que l’on doit tirer de ces critiques est bien la nouvelle perception de nouvelles limites à la démocratie représentative mais si nous nous concentrons au-delà du seul taux d’abstention, les mobilisations successives réclamant une meilleure représentativité voire un renouveau du système prouvent que celui-ci est toujours vivant. Et en effet, la démocratie se caractérise historiquement par sa capacité à se réformer d’elle-même par et pour répondre à des demandes sociales fluctuantes à travers le temps. Nous pourrions même affirmer qu’elle se définit par la capacité des joueurs de changer les règles d’un jeu qu’ils se sont, après nombre de difficultés, appropriés pour répondre à leurs espérances.Ces groupes réclamant alors plus d’expériences démocratique sont le levier de nouvelles représentations de la démocratie au-delà de la démocratie électoraliste. Ils facilitent l’avènement de nouvelles expériences de la démocratie. Car oui, cette dernière est avant tout une ou des expériences multiformes, des pratiques désaffectées que nous n’utilisons plus, des pratiques existantes et des pratiques à inventer, un système historique toujours vivant et que nous devons projeter vers le futur. Si son paradigme s’est profondément transformé, nous ne pouvons pas moins établir une constante à travers l’Histoire, bien que grossière mais pérenne, celle des sociétés de décider de son présent et du cap à suivre, « le plébiscite de tous les jours » en somme, si cher à Renan.•

Advertisement

This article is from: