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L'OBJET DE MUSÉE DE SA CONSERVATION À SA VALORISATION

Amélie Beaujouan, Responsable des musées de la Ville de Thonon-les-Bains

À l’origine, il y a le donateur ou le légataire qui par son généreux acte décide de transmettre un objet ou une collection, passant ainsi de la sphère privée à la sphère publique. En 1953, la famille Bruel-Dubouloz, descendant du général Dessaix, fait don de douze objets lui ayant appartenu. Un fonds Premier Empire est ainsi inauguré au musée du Chablais et attendra 1978 pour être complété par douze objets, quarante pièces de porcelaine ainsi qu’un fonds documentaire, légués par Jane Blanche Pauline Moriaud (1896-1977), héritière indirecte du général Chastel.

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Au moment où la Ville de Thonon en devient propriétaire, ces objets ne sont connus que par la mémoire et la tradition familiale, et commence alors leur processus de patrimonialisation à destination de tous. La première phase est leur inscription à l’inventaire, une étape essentielle tant pour identifier chaque objet, que pour gérer au mieux les collections et surtout les protéger. En effet, l’inscription à l’inventaire donne à l’objet son statut de collection publique imprescriptible et inaliénable.

Ces objets sont ensuite destinés à être mis en perspective grâce à la constitution d’un fonds, le plus cohérent possible, sur la période révolutionnaire et impériale en Chablais. C’est ainsi que les responsables successifs du musée ont accueilli en 1993 le don Dumas, mais aussi acheté d’autres souvenirs familiaux conservés par Jacqueline Bruel, descendante du général Dessaix (vente publique du 5 octobre 2008 à Thonon).

La dernière acquisition, un sabre du général Dupas, réalisée auprès d’un collectionneur, date de 2016 (vente de gré à gré).

À partir des années 2000, la pérennisation des moyens puis le cadre scientifique de la loi musées de France permettent de restaurer des objets majeurs qui avaient souffert des affres du temps. Quinze pièces vestimentaires, dont la rarissime toque du Conseil des Cinq-Cents sont ainsi confiées au soin de l’atelier de restauration du musée des Tissus de Lyon.

La conservation n’est pas tout. La mission du musée est également de valoriser, présenter, exposer au public les objets de la collection. C’est alors que se fait sentir l’impérieuse nécessité de mieux connaître les objets. Fruit d’un spécialiste, l’étude permet de vérifier, compléter voire infirmer la mémoire familiale transmise de manière nécessairement partielle à travers les mentions laconiques de l’inventaire d’une part, par la tradition orale d’autre part : au sein de l’équipe bénévole puis professionnelle, au sein de la société savante locale, ici l’Académie chablaisienne, ou plus récemment au sein de l’Association des amis du musée.

L’occasion de l’étude a été donnée en août 2020. Le maire fraîchement élu, Christophe Arminjon, confirme et lance l’un des grands projets inscrits dans son programme électoral : le redéploiement des collections du musée du Chablais vers le château de Rives. La première étape d’un musée neuf ou d’un musée remanié est la rédaction d’un projet scientifique et culturel, document fondateur qui pose le concept et les grands axes de l’équipement. Un tel document est l’occasion de replonger dans les collections, et d’en identifier les points forts. La méconnaissance de certains fonds est alors un écueil dans cette réflexion. Le maire de Thonon-les-Bains, bien conscient de cet enjeu, donne ainsi son feu vert pour le lancement de deux études externalisées et une étude en interne pour les fonds Premier Empire, Marguerite Peltzer et Ethnographie.

Aude Nicolas, docteur en histoire de l’art, spécialiste en patrimoine et archéologie militaires, a ainsi mené son étude de mars à septembre 2021. Le croisement de son expertise universitaire et de son savoir-faire muséal lui a permis d’aborder les cent soixante objets de l’étude dans leur matérialité, mais aussi dans leur histoire et leur usage.

C’est également à l’attention particulière de Christophe Arminjon, sensible au rayonnement des collections muséales, que l’on doit le présent ouvrage. À sa lecture, le néophyte en matière militaire découvre un univers codifié tant dans l’évolution des carrières que dans le vocabulaire technique. Sa curiosité est piquée par la dimension poétique que peut prendre pour le non spécialiste la description matérielle de l’objet : cannetille d’or, sequins, sergé de soie, passementerie d’argent, franges en bouillon, maroquin… Aude Nicolas rend vivant et tangible ce monde grâce aux nombreuses citations qui donnent à comprendre l’état d’esprit d’une époque et d’un corps professionnel. L’érudit ou le spécialiste, quant à lui, sera séduit par la richesse des sources citées, littéraires et iconographiques, qui sont autant d’invitations à en découvrir plus. Enfin, l’amateur de patrimoine appréciera de saisir la transmission matérielle d’un objet. Les objets les mieux conservés sont souvent des effets d’apparat, témoins de la phase ultime et donc la plus prestigieuse de la carrière, et ainsi les moins usés. On sera ému de découvrir aussi, à travers les pages du catalogue, des objets de terrain qui ont accompagné l’homme au combat et portent les stigmates de leur usage. Cette publication est autant une redécouverte des objets que du destin de ces trois officiers chablaisiens, méconnus, mais dont une partie de la mémoire a été préservée à travers cette collection Premier Empire du musée de la Ville de Thonon-les-Bains.

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