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JOSEPH-MARIE DESSAIX,

colonel commandant la 4e demi-brigade légère au combat de Mori, le 18 fructidor An IV (4 septembre 1796)

Cette œuvre naïve, peinte dans des tonalités vives et colorées, représente le futur général Dessaix en Italie, le 18 fructidor An IV (4 septembre 1796), au moment où il s’empare d’une redoute autrichienne flanquée de plusieurs pièces d’artillerie sur l’Adige, à Mori. Le paysage reproduit la configuration topographique des lieux : à gauche, derrière le rempart hérissé de bouches à feu qui ferme l’accès de Mori, se profilent les clochers de la petite église de San Marco et, à l’arrière-plan, celui de San Biagio, au bord d’un méandre du fleuve.

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Anonyme Vers 1800

Gouache sur papier vergé marouflé sur toile. Silhouette de Dessaix découpée et rapportée. Tête peinte sur ivoire

55 cm (H) x 70 cm (L)

Inv. : 2008.18.3

Historique : Collection

Jacqueline Bruel. Achat en vente publique, Thonon, 5 octobre 2008

L’auteur de cette gouache est réputé être un témoin oculaire puisqu’il s’agirait d’un officier proche du colonel Dessaix, comme le mentionne l’abbé Joseph Pinget, nommé correspondant de l’Académie chablaisienne en 1888, dans une lettre conservée aux archives départementales de Haute-Savoie :

Ce tableau, ou mieux ce portrait du général fut fait après la bataille, par un officier, ami et aide de camp du général. Cet officier, dont on m’a souvent redit le nom, lequel pourtant m’échappe en ce moment, courtisait la sœur du général, Mademoiselle Jeannette Dessaix, qui, plus tard, épousa M. de Lachenal, mon arrière-grand-père. De retour au pays, il offrit ce portrait à celle dont il sollicitait la main, et mon arrière-grand-mère le conserva précieusement, le transmit à sa fille Adélaïde de Lachenal qui épousa en 1828 M. le Docteur Pinget, mon aïeul. C’est ainsi que ce tableau nous est parvenu 76 .

L’œuvre est également décrite par le frère de Dessaix, François, qui l’avait envoyée à leur père avec l’explication suivante, citée par Joseph Dessaix et André Folliet dans leur ouvrage paru en 1879 :

Je vous envoie la représentation de la bataille de Mori. Vous trouverez à mon frère l’air un peu méchant, mais il faut faire attention qu’il se trouve dans une chaude affaire, le sabre à la main, il vient d’être démonté, ayant eu l’épaule fracassée, s’étant fait passer un mouchoir autour du cou pour soutenir son bras gauche. Il donne l’ordre aux grenadiers d’avancer ; la route est couverte de cadavres et de mourants77 .

Celui qui est près d’un canon, ayant les deux jambes rompues, est un Genevois nommé Cubi, que j’avais engagé à Thonon78

Dessaix et Folliet précisent en note que le tableau est conservé dans la collection de madame Édouard Dessaix, à Thonon. Or, dans un article intitulé « La singulière histoire du tableau de la bataille de Mori », paru dans Le Dauphiné libéré du 4 octobre 2015, Joseph Ticon est le premier à soulever une complexité, insoupçonnée au départ, dans l’historique de provenance de l’œuvre acquise par le musée en 2008, en raison de la découverte de la lettre de Pinget aux Archives départementales de Haute-Savoie, dont l’extrait suivant apporte des précisions intéressantes :

Je me suis procuré des toiles de dimensions suffisantes, pour copier ce portrait. Si vous voulez bien me le permettre je vous offrirai l’une de ces copies, j’en remettrai une à Madame Dessaix et je garderai l’autre pour moi-même, car, à la suite de nos malheurs de famille, je n’ai pas voulu que ce tableau quittât la famille Pinget pour s’égarer chez ces abominables Piccot, et je l’ai fait donner à mon frère79 .

Ainsi, comment ce tableau a-t-il pu à la fois appartenir, à la fin du xixe siècle, au frère de Pinget et à madame Édouard Dessaix ? S’il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que l’œuvre conservée au musée du Chablais est bien l’original exécuté en 1796, provenant initialement de la collection Pinget puisque l’abbé avait envisagé d’en offrir une copie à madame Dessaix, il semblerait qu’en définitive l’exemplaire autographe ait aussi appartenu à cette dernière. La précision apportée par André Folliet et Joseph Dessaix au sujet du portrait peint sur ivoire rapporté sur la gouache conservée dans la collection Dessaix est irréfutable. Ainsi, le frère de l’abbé Pinget aurait-il finalement transmis ce portrait à Madame Édouard Dessaix ?

C’est, dans l’état des connaissances actuelles, l’hypothèse la plus vraisemblable. Quoiqu’il en soit, cette gouache est un véritable récit circonstancié de l’événement, rapporté dans les différentes biographies du futur général, ainsi que dans l’ouvrage consacré aux volontaires de la Savoie80

Face aux grenadiers hongrois, Dessaix, en uniforme de colonel, commande les troupes de sa demi-brigade d’infanterie légère. Son cheval gît au sol derrière lui, conformément au récit rédigé par son frère dans sa lettre précitée, qui permet également d’identifier le soldat Cubi, dont les jambes déchiquetées sont coincées sous le tube d’un canon éjecté de son affût par la violence des tirs d’artillerie. Les carabiniers sont reconnaissables à leurs shakos et à leurs uniformes entièrement bleus aux distinctivest écarlate et argent.

L’unité est composée des anciens 1er et 2e bataillons de la légion des Allobroges, auxquels s’ajoute le 4e bataillon de chasseurs. Ces derniers, aux épaulettes vertes – qui paraissent bleues ici, de même que les plumets des shakos, en raison d’un vieillissement du pigment81 –, sont au contact des Autrichiens, que l’on voit se replier et franchir les ponts de bateaux provisoires jetés sur l’Adige, à l’arrière-plan, par les pontonniers du génie. Les carabiniers à pied, que l’on identifie à leurs épaulettes, à leurs plumets et aux cordons-raquettes écarlates de leurs shakos, massés au premier plan à droite, s’avancent en bon ordre, au son du tambour qui marque le pas. L’impressionnante muraille humaine qu’ils forment, à droite, et le calme qui se dégage de leur attitude imposante, destinée à impressionner l’adversaire en vue de prendre l’ascendant moral sur lui, contrastent avec la violence de la lutte et les nombreuses pertes qui en résultent. Le sol du premier plan est jonché de cadavres et de blessés. On identifie également, à travers les épais nuages de fumée provoqués par le feu nourri des fusils et des canons, les grenadiers hongrois, vêtus de leurs pantalons gris de fer, qui fournissent une résistance farouche, allant jusqu’à se battre à coups de crosse lorsqu’ils n’ont plus de munitions face aux chasseurs à pied. Ces derniers continuent, imperturbables, à recharger leurs armes et à tirer avec calme et détermination en dépit des pertes importantes qui les frappent et s’accumulent à leurs pieds.

Le peintre a cherché à montrer le mouvement autant que l’intensité du combat, auquel semblent répondre les flots impétueux de l’Adige qui dévalent le long des pentes rocheuses à la vitesse d’un torrent rugissant. La figure centrale de Dessaix est mise en valeur par sa taille plus imposante que celle des autres protagonistes et par l’effet de relief produit par l’ivoire rapporté, dont la mince épaisseur atteste une certaine maîtrise technique de la part de l’auteur. La présence d’une flèche sur l’eau indique le sens du courant et atteste l’ambition de précision topographique recherchée par l’artiste : bien que le paysage soit rendu de manière relativement naïve, la géographie a été étudiée avec soin et dessinée directement sur le motif.

Cette œuvre, en dépit de sa facture maladroite, constitue un témoignage particulièrement précieux dédié à la représentation de l’un des faits d’armes marquants de la carrière du futur général d’Empire, mais aussi de la valeur militaire des Allobroges.

76. Série 43 J 1624. Lettre retranscrite et communiquée par Joseph Ticon, président de l’Académie chablaisienne.

77. Une telle erreur d’identification venant d’un officier, lui-même acteur de l’événement, est surprenante, puisque les soldats représentés sont des carabiniers à pied et non des grenadiers. Il est possible que François Dessaix ait confondu avec les grenadiers de la 25e demibrigade de ligne, venus appuyer l’assaut de la 4e demi-brigade légère sur les batteries autrichiennes défendant la position de Mori.

78. Joseph Dessaix et André Folliet, Étude historique sur la Révolution et l’Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire, Annecy, L’Hoste, 1879 ; Martial Chablais, Le Général Dessaix, Thononles-Bains, Jules Masson, 1910 ; André Folliet, Les volontaires de la Savoie, 1792-1799, Paris, Librairie militaire de L. Baudouin et Cie, 1887.

79. Série 43 J 1624, op. cit

80. Joseph Dessaix et André Folliet, Étude historique sur la Révolution et l’Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire, Annecy, L’Hoste, 1879 ; Martial Chablais, Le Général Dessaix, Thononles-Bains, Jules Masson, 1910 ; André Folliet, Les volontaires de la Savoie, 1792-1799, Paris, Librairie militaire de L. Baudouin et Cie, 1887.

81. Ce fait est particulièrement fréquent sur les textiles de cette époque, ce que nous avons pu constater sur plusieurs uniformes du Premier Empire conservés, à l’image notamment de deux uniformes de colonel des chasseurs à cheval de la Garde ayant appartenu à Napoléon Ier dont la couleur vert foncé initiale a tourné au bleu. Ces deux habits-vestes sont respectivement conservés aux musées de Sens et au Palais Fesch, musée des Beaux-Arts d’Ajaccio.

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