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L'OBJET TÉMOIGNE, L'OBJET RACONTE.

Il dévoile des informations souvent inédites pour celui qui sait les interpréter, et plus particulièrement lorsqu’il a appartenu à un personnage identifié, dont l’existence prend soudain corps, loin des pages biographiques uniformes de l’encyclopédie ou du dictionnaire. Car l’objet est le témoin et le vecteur de la vie quotidienne de son propriétaire. Il invite à un véritable voyage dans le temps et nous fait toucher du doigt le passé, parfois tumultueux, surtout lorsqu’il s’agit de soldats qui ont risqué leur vie sur le champ de bataille, à l’image des trois généraux d’Empire originaires du Chablais : Pierre-Louis Dupas (1761-1823), Joseph-Marie Dessaix (1764-1834) et Amédée-Pierre Chastel (1774-1826)2 . Ces trois hommes, dont les noms sont gravés sur les piliers de l’Arc de Triomphe de l’Étoile, ont pour point commun d’avoir servi dans les rangs de la légion des Allobroges dès 1792 et d’avoir légué à la postérité, non seulement leurs noms et le souvenir de leurs faits d’armes, lancés dans la tourmente révolutionnaire puis dans le tourbillon des guerres napoléoniennes, mais aussi certains de leurs uniformes, de leurs armes et de leurs équipements, soigneusement préservés par les héritiers de Dessaix et Chastel qui les cédèrent au musée du Chablais. Ces quelques vestiges constituent un ensemble exceptionnel, tant en termes de qualité de conservation que, pour certains objets, de rareté. L’étude approfondie que nous avons menée dans le courant de l’année 2021, à la demande du musée, nous a permis de découvrir et de mettre en avant ces aspects. Outre les souvenirs des trois généraux, d’autres œuvres et d’autres objets conservés dans les collections retracent le contexte de la Révolution française, du Consulat et du Premier Empire, mais aussi l’histoire du Chablais à cette époque, raison pour laquelle nous avons choisi de les insérer dans le présent ouvrage, dont l’objectif est de présenter les résultats de nos analyses tout en offrant la possibilité au lecteur de pouvoir, en quelque sorte, voyager à travers les siècles en redonnant vie et, pour ainsi dire, corps et âme, à ces témoignages matériels et aux figures désormais historiques de ces généraux qui s’en servaient au quotidien.

Dessaix, Chastel, Dupas. Trois noms, célèbres autrefois, presque oubliés aujourd’hui, qui résonnent dans le fracas de batailles aussi légendaires qu’Austerlitz, Wagram, La Moskowa… De l’Italie à l’Égypte, de l’Allemagne à l’Espagne, leurs pas ont suivi ceux du général Bonaparte, devenu l’empereur Napoléon Ier, au sein de cette Grande Armée dont les exploits retentissants fascinaient et effrayaient tout à la fois les souverains d’Europe coalisés contre la France. Panache, honneur, héroïsme, mais aussi résilience et humilité : autant de qualités qui marquèrent l’existence et la carrière de ces trois soldats, animés par le souffle de l’épopée qu’ils écrivaient en lettres de feu aux côtés de leurs camarades. Les objets et les tableaux transmis par leurs héritiers témoignent, aujourd’hui encore, de leur incroyable destinée dont ils mesurèrent certainement l’ascension vertigineuse au moment où ils furent frappés de disgrâce par la Restauration, peu encline à célébrer les héros d’un régime qu’elle venait d’abattre. Le Chablais devint alors leur dernier refuge, là où tout avait commencé…

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Ces pages invitent le lecteur à découvrir la carrière militaire de ces trois généraux, retranscrite en partie grâce aux objets qui leur ont appartenu, et à plonger dans cette époque bouillonnante de la Révolution et de l’Empire. Les destins croisés de ces cousins germains3 , nés sur les bords du lac Léman, ont étroitement lié l’histoire de la Savoie et du Piémont à celle de la France et de l’Europe, contribuant en même temps au rayonnement du Chablais.

Nous avertissons cependant le lecteur que l’objectif n’est pas ici de retracer la biographie classique de ces trois généraux, d’autres auteurs ont accompli cette tâche4 . Il s’agit de s’attarder sur ce qu’apprennent et révèlent de leur existence et de leur carrière les œuvres et les objets conservés, présentés dans cet ouvrage, en prenant pour approche les qualités et les vertus militaires qui en ont fait des chefs estimés. En un mot, d’évoquer, par la force symbolique et matérielle de l’objet, ces trois destins d’officiers. Car le témoignage palpable est tout aussi évocateur de ce que fut son propriétaire – comme l’affirme Sherlock Holmes au docteur Watson sous la plume d’Arthur Conan Doyle5 – que les sources conservées aux archives. La question de l’observation et de l’interprétation qui s’ensuit, grâce au faisceau d’indices fourni par l’objet étudié, est en effet fondamentale pour l’historien de l’art, peut-être plus encore lorsqu’il s’agit d’analyser des œuvres et des vestiges relevant d’un domaine aussi spécifique que celui du patrimoine militaire. Les particularités de cette discipline nécessitent en effet de recourir à des domaines qui appartiennent exclusivement à ce champ d’étude, à l’instar de l’uniformologie, de la phaléristique – la science des médailles et des décorations –, ou encore de la connaissance de l’armement, que vient compléter le recours à l’histoire militaire dans le cadre de la contextualisation des données étudiées.

L’ouvrage se compose de deux parties. La première est consacrée à l’évocation de la carrière et des qualités morales et militaires des trois généraux du Chablais à travers les objets qui leur ont appartenus. La seconde comprend les notices détaillées du catalogue, présentant une sélection d’œuvres choisies particulièrement évocatrices des personnages et du contexte étudiés.

1. Arthur Conan Doyle, La Marque des Quatre, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896, p. 10-11 (édition originale anglaise : The Sign of the Four, Londres, The Lippincott’s Monthly Magazine, 1890).

2. Prénoms portés sur son acte de baptême en date du 29 avril 1774 (Registre des baptêmes de l’église paroissiale de Veigy, archives départementales de Haute-Savoie, E DEPOT 323/GG 4 – 1754-1793, folio 84). Chastel est davantage connu sous les prénoms de Louis-Pierre-Amé et parfois aussi d’Amé-Pierre, bien que ceux-ci s’inscrivent en contradiction avec l’état-civil.

3. La mère de Pierre-Louis Dupas est la fille de Louise Chastel dont le frère, Nicolas Chastel, est le père d’Amé-Pierre. La mère d’Amé-Pierre, Marie-Josèphe, née Favrat, est la sœur de MariePhilippine Favrat, elle-même épouse de Charles-EugèneJoseph Dessaix. Tous deux sont les parents de Joseph-Marie. Données généalogiques établies d’après les registres d’état-civil des archives départementales de Haute-Savoie.

4. Sur Chastel, cf. Paul-Émile Bordeaux, Le Général Chastel, Thonon, Imprimerie Dubouloz, 1933 et Paul Guichonnet, Les Chastel : Une famille savoyarde, de l’Ancien Régime à la Révolution, de l’Empire à la Restauration, Amancy, Éditions Lolant, 2011 ; sur Dupas, cf. Ferdinand DuboulozDupas et André Folliet, Le général Dupas. Italie – Égypte – Grande Armée (1792-1813), Paris, R.

Chapelot & Cie, 1899 ; sur Dessaix, cf Joseph Dessaix et André Folliet, Étude historique sur la Révolution et l’Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire, Annecy, L’Hoste, 1879. Bien que la plupart de ces ouvrages soient aujourd’hui largement datés, à l’exception de celui de Paul Guichonnet, ils restent néanmoins les productions les plus complètes existant, à l’heure actuelle, sur ces généraux.

5. Cf. supra, note 1.

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