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DUPAS L'IMPÉTUEUX

Le général Dupas était un courageux soldat. Il avait fait la guerre d’Égypte, et sa bravoure était bien plus positive que sa politesse, quoique cependant il n’eût jamais l’intention d’en manquer. Mais il jouait de malheur […]. C’était un drôle d’homme que ce général Dupas […]. Il avait surtout une manière si grave et si solennelle de faire ce qu’on est convenu d’appeler des pataquès, qu’il n’y avait pas moyen d’y tenir. Il joignait à cette façon toute digne d’errer sérieusement dans toutes ses phrases, une figure longue, jaune et blême, qui contrastait étrangement avec les paroles burlesques qui sortaient de sa bouche. Non pas qu’il voulût être drôle, il n’en avait jamais l’envie ; mais il le devenait à son insu, et cela tout innocemment30 .

La carrière de Dupas est marquée par un grand nombre d’actions d’éclat et d’héroïsme qui lui ont permis de gravir les échelons de la hiérarchie militaire jusqu’au grade de général de division, auquel il accède le 24 décembre 1805, à l’issue de la bataille d’Austerlitz (2 décembre 1805), au cours de laquelle, à la tête de sa brigade de grenadiers à pied, il parvient à faire prisonnier un corps de 5 000 hommes. Officier connu pour sa témérité fougueuse – il est surnommé le « Général Z’en avant » par ses hommes –, il essuie aussi de lourdes pertes lors des batailles de Friedland (14 juin 1807) et, surtout, de Wagram (6 juillet 1809), où près de 70 % de son effectif est tué, blessé ou porté disparu, sa division se trouvant réduite à seulement vingt-trois survivants du 5e régiment d’infanterie légère à l’issue des combats31 . Blessé à de nombreuses reprises, fatigué et souffrant, Dupas est contraint de se retirer définitivement du service actif en septembre 1813 au château de Ripaille, qu’il avait acheté en 1809 et où il décède en 1823.

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Le sabre à l’orientale (cf. notice p. 46), unique souvenir du général présent dans la collection32 , vient rappeler le destin glorieux de ce soldat qui commence sa carrière dans le régiment des gardes françaises33 , avec lequel il participe à la prise de la Bastille, puis sert constamment, dès le siège de Toulon de 1793, sous les yeux du futur empereur Napoléon Ier. Et l’empereur n’oublie pas les services de l’un de ses plus anciens compagnons d’armes puisqu’en 1809, deux jours après la victoire de Wagram, il demande au maréchal Louis-Alexandre Berthier (1753-1815), major général de la Grande Armée, d’écrire à Dupas, que « S[a] M[ajesté] me charge de vous dire qu’elle est très contente de vous, que vous êtes de son ancienne bande, et du nombre de ceux qu’elle aime, et sur l’attachement desquels elle compte34 ».

Vétéran des campagnes d’Italie et d’Égypte, au cours desquelles il se distingue particulièrement, Dupas incarne le type même de l’officier fougueux et intrépide sachant communiquer à ses hommes son enthousiasme, comme il le prouve à la bataille de Lodi, le 10 mai 1796, en tant que chef de bataillon d’infanterie légère. Lancé au pas de course sur l’unique pont permettant de franchir l’Adda qu’il traverse parmi les premiers, il entraîne à sa suite ses deux cents carabiniers de la 4e demi-brigade légère – ex-légion des Allobroges35 –, suivis par la 29e demibrigade légère, sous le feu nourri des pièces d’artillerie autrichiennes vomissant la mitraille en vue de couvrir la retraite du corps d’armée du feld-maréchal Beaulieu. L’élan et l’intrépidité de Dupas dans cette affaire contribuent à la victoire ; sa brillante conduite tout au long de la campagne lui vaut de se voir décerner un sabre d’honneur par le général en chef Bonaparte, comme le rappelle ce dernier dans une lettre adressée à Berthier, datée du 7 août 1798 :

J’ai accordé en Italie un sabre au citoyen Dupas, chef de brigade des guides à pied, pour les services signalés qu’il y a rendus et les actes multipliés de courage qu’il y a faits […]36

D’après le général Bourelly dans sa France militaire monumentale37, ce sabre a servi de modèle au sculpteur Hubert Louis-Noël (1839-1925) pour la statue du général Dupas, inaugurée à Évian le 1er septembre 190138

Le sabre conservé dans les collections du musée se réfère quant à lui à la campagne d’Égypte, à laquelle Dupas participe également. Il se signale notamment en janvier 1799 lorsque, commandant la citadelle du Caire qu’il avait remise en état quelques mois auparavant39, il résiste au siège mené par les habitants insurgés appuyés par des combattants ottomans en surnombre, auxquels il prend trois tougs40 , plusieurs drapeaux et de nombreuses armes, comme le mentionne le relevé de ses actions d’éclat dans ses états de service :

A soutenu le siège de la citadelle du Caire en Égypte presque sans aucun moyen de défense, ne disposant que d’une garnison de 200 éclopés ou amputés, et n’ayant pour vivre que des restants de magasins, point d’eau douce, et environ 3 000 habitants à contenir dans l’intérieur de la place. Il a bombardé la ville pendant 34 jours, a résisté à 10 000 Osmanlis qui étaient entrés dans la ville révoltée pour faire cause commune avec les insurgés. Il leur a pris trois queues de pachas, cinq drapeaux, plusieurs sabres, piques, etc. Ces trophées étaient encore, avant la déchéance de Napoléon, suspendus à la voûte du dôme des Invalides41 .

Le sabre à l’orientale présenté ici illustre ce passage remarqué en Égypte, bien que le futur général l’ait très probablement pris au cours d’un combat antérieur à cet épisode du siège de la citadelle du Caire, en raison de l’inscription qui figure sur la lame, désignant Dupas comme chef de bataillon, grade qu’il détient du 10 août 1793 au 12 janvier 1799 avant d’être nommé chef de brigade à titre provisoire. Doté d’un grand sang-froid et d’un courage qu’il pousse jusqu’à la témérité, payant régulièrement de sa personne au combat comme en témoignent ses états de service42 , Dupas fait partie des généraux dont le nom a l’honneur d’être gravé sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile43 , de même que ses cousins germains, Dessaix et Chastel.

30. Mémoires de Madame la duchesse d’Abrantès, op. cit., t. VII, p. 25 et 46-47.

31. Cf. Ferdinand DuboulozDupas et André Folliet, Le général Dupas. Italie – Égypte – Grande Armée (1792-1813), Paris, R. Chapelot & Cie, 1899.

32. La plupart des effets personnels de Dupas, propriété de la ville d’Évian, ont été mis en dépôt dès 1957 au musée de l’Empéri de Salon-de-Provence.

33. Fondé en 1563, le régiment des gardes françaises est une unité d’infanterie appartenant à la « garde du dehors du palais », qu’il partage avec le régiment des gardes suisses, créé en 1616. Ces deux unités font partie de la Maison militaire du Roi.

Cf. Noël Lacolle, Les Gardes Françaises, leur histoire (15631789), Paris et Limoges, HenriCharles Lavauzelle, 1901 et P. J. B. Boullier, Histoire des divers corps de la Maison militaire des rois de France, depuis leur création jusqu’à l’année 1818, Paris, Imprimerie Le Normant, 1818

34. Lettre de Berthier à Dupas en date du 8 juillet 1809, citée par Ferdinand Dubouloz-Dupas et André Folliet dans « Biographie du général Dupas », Mémoires et documents publiés par l’Académie chablaisienne, Thonon, 1897, t. XI, p. 223.

35. « C’est à Toulouse que la légion subit sa transformation en demi-brigade, en vertu de la loi d’amalgame. Elle conserva ses deux bataillons d’infanterie et en reçut un troisième. Ce nouveau corps réuni à la légion était un bataillon de volontaires nationaux créé en février 1793 sous le nom de 4e bataillon de chasseurs de montagnes. Il avait fait les campagnes de 1794 et 1795 contre les Espagnols dans les PyrénéesOrientales. […] Cet amalgame, complété en novembre 1795, eut pour conséquence le changement de dénomination de la légion. Elle reçut le nom de 4e demibrigade légère, mais elle continua à être désignée sous celui de demi-brigade allobroge, qu’elle avait illustré. » André Folliet, Les volontaires de la Savoie, 17921799 : la légion allobroge et les bataillons du Mont-Blanc, Paris, Librairie Militaire de L. Baudouin et Cie, 1887, p. 59-60.

36. Lettre n° 3 000 en date du 20 thermidor An VI adressée au général Berthier, extraite de la Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de l’empereur Napoléon III, Paris, Henri Plon, 1860, t. IV, p. 332.

37. Jules Bourelly, La France militaire monumentale, Paris, Combet, 1905, p. 111.

38. La cérémonie se déroule en présence du critique et historien de l’art Henry Jouin (1849-1913), représentant le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, et du général Louis André (1838-1913), ministre de la Guerre. Cf. Bourelly, op. cit., p. 111.

39. Action qui lui vaut d’être cité à l’ordre du jour du 22 juin 1799 :

« Le général en chef a inspecté avant-hier les fortifications de la citadelle du Caire ; il a été satisfait de l’activité prodigieuse du chef de brigade Dupas, commandant la place, qui a mis cette forteresse dans le meilleur état de défense. » N° 4204 en date du 4 messidor An VII, extrait de la Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de l’empereur Napoléon III, Paris, Henri Plon, 1860, t. V, p. 470.

40. Le toug est l’emblème des chefs mameluks et ottomans. Il se compose d’une hampe ornée de crins de queues de chevaux prises à leurs adversaires. Plus le nombre de crins est important, plus le chef est puissant.

41. États de service du général de division Pierre-Louis Dupas. Vincennes, Service historique de la Défense, dossier 7 Yd 426.

42. « Cicatrice à la main gauche sur l’articulation du petit doigt avec le 5e os du métacarpe et l’ankylose de cette articulation.

Une 2e, sur la main, qui a produit 3 cicatrices situées, une sur la 2e phalange du petit doigt, l’autre sur la 3e du doigt annulaire (celle-ci est accompagnée d’une exostose). La dernière est placée sur la même phalange du grand doigt.

Une 3e qui a produit une cicatrice sur la 1re phalange du petit doigt de la main droite.

Une 4e située sur l’extrémité inférieure et externe du cubitus de l’avant-bras droit, a intéressé cet os et y a laissé une cicatrice adhérente. (Ces différentes blessures n’ont pu être constatées, attendu que les bataillons d’élite n’avaient pas de conseil d’administration et étaient aussitôt dissous que formés. Sous les ordres du général de brigade Lannes et de division Dallemagne commandant l’avant-garde en Italie).

Une 5e, faite par une balle qui se trouve encore dans l’intérieur du corps, a produit une cicatrice d’un demi-pouce de longueur sur le flanc droit, à quatre travers de doigt de l’épine antérieure et supérieure de l’os des hanches. (An V, 22 brumaire, à Caldiero, sous les ordres du duc de Castiglione).

La 6e a été faite par une autre balle qui a traversé la cuisse droite dans sa partie postérieure de dedans en dehors et de haut en bas, à peu près au tiers inférieur de ce membre, en y laissant deux cicatrices, l’une interne et l’autre externe. (À Anghiari, 25 nivôse, an V, poursuivant le général autrichien Provera, sous les ordres du duc de Castiglione). États de service du général de division Pierre-Louis Dupas, op. cit 43. 26e colonne du pilier sud.

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