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DESSAIX LE « BRAVE44 »

Général Dessaix lithographie, inv. 1989.1.22

Je connais cet officier général depuis longtemps, et je n’ai eu qu’à me louer de son zèle, de ses talents et de son dévouement. C’est un officier du plus grand mérite. Je te réponds de lui, mon cher prince, comme de moi-même ; ainsi sois-lui utile et confie-toi en ses qualités45 .

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Ancien médecin, ce que rappelle l’habit civil à la française (cf. notice p. 34) conservé dans les collections du musée, Joseph-Marie Dessaix embrasse la carrière militaire dans la légion des Allobroges. Il est souvent confondu avec le général Louis-CharlesAntoine des Aix de Veygoux, dit Desaix (1768-1800), tué sur le champ de bataille de Marengo, le 14 juin 1800, en menant la contre-offensive qui avait grandement contribué à remporter la victoire contre les Autrichiens. Comme le souligne Joseph Dessaix dans sa notice « Dessaix et Desaix », publiée avec André Folliet dans la biographie du général Dessaix :

Une seule lettre différencie les noms de ces deux hommes de guerre que l’on confond généralement en France. La mort glorieuse du vainqueur de Marengo semble avoir effacé la personnalité de son homonyme. Je ne veux pas établir de parallèle entre eux ; car lorsque Desaix succombait dans la plaine de Marengo, il était parvenu depuis longtemps au grade de général de division, tandis que Dessaix, qui avait refusé les épaulettes de général après le siège de Toulon, n’était encore que colonel. L’illustration du premier ne porte point ombrage au second, qui, moins en évidence comme chef militaire, fut grand par ses vertus civiques et son désintéressement46

De même que son cousin Dupas, Dessaix est présent au siège de Toulon en 1793, avant de servir à l’armée d’Italie pendant la campagne de 1796-1797, au cours de laquelle il emporte, par son courage, sa loyauté, son humilité et sa probité, l’estime de ses chefs et l’adhésion de ses soldats. La gouache naïve (cf. notice p. 42) qui le représente, alors colonel, au combat du 18 fructidor An IV (4 septembre 1796), entraînant les compagnies de la 4e demi-brigade légère bis, composée d’anciens de la légion des Allobroges, à l’assaut d’une redoute d’artillerie autrichienne dominant l’Adige, met en exergue son exemplarité et sa force de caractère. En effet, blessé un mois auparavant et de nouveau le jour-même, Dessaix n’hésite pas à s’exposer et à montrer la voie à ses hommes en dépit de son bras en écharpe, faisant preuve d’autant de courage que d’abnégation, son charisme et ses qualités de meneur permettant d’emporter la décision sur l’adversaire en dépit du feu nourri des batteries qui provoquent de lourdes pertes parmi les assaillants.

Fait prisonnier à Rivoli, il ne prend pas part à l’expédition d’Égypte et se lance brièvement dans une carrière politique. Élu député au Conseil des CinqCents, il s’oppose au coup d’État de Brumaire. Employé comme chef de brigade et envoyé prendre le commandement de la 27e demi-brigade légère, il connaît une période de disgrâce en raison de son refus d’avoir ratifié le coup d’État. Affecté en Hollande puis en Allemagne, nommé gouverneur de la place de Francfort, les témoignages répétés d’estime et d’admiration dont il fait l’objet lui valent d’être nommé général de brigade en août 180347. Il s’illustre pendant les campagnes de l’Empire, notamment à Ulm en 1805, avant d’être affecté à l’armée d’Italie, sous les ordres d’Eugène de Beauharnais (1781-1824). Son héroïsme remarqué pendant la campagne d'Allemagne de 1809, au cours de laquelle il est blessé à plusieurs reprises en se distinguant plus particulièrement au passage du Tagliamento (10 avril), à la bataille de la Piave (8 mai), puis à Wagram (6 juillet), lui vaut d’être nommé général de division, ce que rappellent les épaulettes (cf. notice p. 62) conservées par le musée du Chablais. D’un modèle fantaisie, leur corps est marqué d’un motif d’abeille stylisée affirmant la fidélité du général à l’empereur, ainsi que sa reconnaissance pour les bienfaits prodigués. De cette époque date également le cachet (cf. notice p. 70) qui lui servait à sceller ses lettres. Dessaix participe ensuite à la campagne de Russie où il se distingue une nouvelle fois en recevant une grave blessure à la bataille de La Moskowa, le 7 septembre 1812. Les fragments d’os de son bras, ainsi que le biscayen retiré de sa plaie (cf. notice p. 98), témoignent de son courage et de la violence de cet engagement : porté à l’ambulance, Dessaix s’oppose à l’avis d’amputation prononcé par le chirurgien de Joachim Murat et par Dominique-Jean Larrey (1766-1842)48 , qui avaient examiné sa blessure. Le général a, par la suite, en dépit de douleurs persistantes, conservé ces reliques extraites de son propre corps, ainsi que le biscayen responsable de ses souffrances, tel un memento mori lui rappelant peut-être la fragilité de l’existence humaine, mais plus sûrement encore l’abandon de soi à l’accomplissement de son devoir, dicté par le sens de l’honneur, du sacrifice et par l’exemplarité dont l’officier doit faire preuve en toute circonstance, conscient des responsabilités impliquées par l’exercice du commandement et la nécessité d’insuffler à ses hommes la volonté de vaincre. Exigent, voire même intransigeant avec lui-même, Dessaix est reconnu pour ses mérites et nommé gouverneur de Berlin d’octobre 1812 à février 1813. Il lutte ensuite courageusement en Savoie en 1814 pour défendre, à la tête de ses troupes, les frontières des Alpes face à l’invasion autrichienne, remportant plusieurs combats dont celui de Saint-Julienen-Genevois, le 1er mars 1814, au cours duquel ses 5 000 hommes et ses huit canons forcent les 12 000 Autrichiens du feld-maréchal Colloredo à se replier sur Genève, ce qu’illustre le canon autrichien datant de 1794 conservé au musée (cf. notice p. 108), probablement pris avec son affût pendant cette campagne49, à l’issue de laquelle Dessaix reçoit le surnom de « Bayard de la Savoie » de ses compatriotes. Désireux d’obtenir le maintien de la Savoie dans le giron de la France, alors que le retour de la région est réclamé par le Piémont-Sardaigne, Dessaix prête allégeance à Louis XVIII en 1814, après la première abdication de l’empereur à Fontainebleau. Le frac de petite tenue (cf. notice p. 110) qui lui a appartenu est typique de cette période, avec le modèle des boutons dépourvus de monogramme et d’emblème, uniquement attribué entre mai 1814 et février 1815. Ce frac est une pièce rare de cette période très brève, à laquelle les Cent-Jours mettent fin. Rallié à l’empereur en mars 1815, Dessaix se retire en Suisse puis en Savoie et, après avoir été un temps interné à la forteresse de Fenestrelles en 1816 comme suspect bonapartiste, il est relâché et mis à la retraite en 1817. Retiré à Ferney-Voltaire, il est sollicité en 1830 pour prendre le commandement de la Garde nationale de Lyon, fonction qu’il décline. Décédé à Marclaz en 1834, son nom figure sur la 1re colonne du pilier ouest de l’Arc de Triomphe de l’Étoile. Sa statue, érigée sur la place du Château de Thonon-les-Bains, est également l’œuvre du sculpteur Hubert Louis-Noël. Inaugurée par le général Jean Brun (1849-1911), ministre de la Guerre, le 6 septembre 1910, elle vient rappeler les états de service exemplaires de ce médecin devenu soldat, dévoué à la Savoie et à la France comme le furent également ses frères et ses cousins.

44. « Vous êtes un brave et un brave homme ». Propos de Napoléon Ier au général Dessaix lors du déjeuner du 24 juillet 1809, cités par Joseph Dessaix et André Folliet dans Le Général Dessaix. Sa vie politique et militaire, Annecy, A. L’Hoste, 1879, p. 204.

45. Lettre du maréchal Nicolas Oudinot, duc de Reggio adressée au maréchal Louis Davout, duc d’Auerstaedt, à propos des qualités du général Dessaix, datant de janvier 1811, Le Général Dessaix. Sa vie politique et militaire, op. cit., p. 216.

46 Joseph Dessaix et André Folliet dans Le Général Dessaix. Sa vie politique et militaire, op. cit., p. 22.

47 Le Journal de Francfort n°

137 du 16 mai 1801 salue en ces termes le départ du colonel Dessaix : « Le chef de brigade Dessaix, qui a commandé ici près de trois mois, est parti vendredi dernier. Ce militaire, aussi recommandable par les qualités de cœur que par ses talents militaires et sa bravoure, est sincèrement regretté. Sa bonté, sa douceur, sa loyauté franche, et surtout son zèle à maintenir la discipline, lui ont acquis de justes droits à l’estime générale et à la reconnaissance publique. »

48 Chirurgien en chef de la Grande Armée.

49 En dépit de la tradition orale qui prétend qu’il s’agirait de l’une des deux pièces d’artillerie offertes au général Rampon par le canton de Vaud, pour le remercier de son intervention militaire en 1798 qui avait conduit à la proclamation de l’indépendance du canton, inféodé jusqu’alors à la domination de Berne, il paraît plus que douteux que le général ait été récompensé avec une pièce autrichienne alors qu’il avait affronté des troupes suisses.

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