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Nous sommes tous des immigrés
Michel A. est toujours là. Il surgit chaque fois que nous arrivons, Magali et moi, au foyer La Pie. Silhouette fragile, tassée dans des vêtements trop grands. Un visage cabossé par la vie, une tignasse rebelle sous une casquette à carreaux qu’il arbore en toutes circonstances et qui lui donne une allure de poulbot au sourire triste.
Michel a le temps, beaucoup de temps, entre sa chambre et le bureau de Khadidja, la directrice du foyer. Il la suit comme son ombre. Le foyer est devenu sa véritable résidence. Comme s’il y avait toujours vécu, comme s’il y était né.
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Michel est peu loquace, mais, encouragé par Amar, présent lors de notre entretien, il se livre peu à peu. Il a quitté sa Normandie natale pour trouver du travail. « Je me considère comme un émigré à Lyon depuis 1969, comme Amar… Comme ceux qui viennent de Nantes, de Strasbourg et d’ailleurs. » Il a encore des oncles, des tantes, dans la région du Calvados, non loin de Caen. Ses souvenirs du « pays » ? « La mer, la tempête, la grisaille… Pas de boulot, à part l’agriculture et la taille du granit. » Amar, péremptoire, confirme en ajoutant, comme pour décourager toute contestation : « Je le sais, j’ai une cousine qui y vit. »
La mère de Michel était couturière, mais, pour faire vivre sa famille après son divorce, elle a été obligée de faire des ménages. Il a très peu de liens avec son père.
« Je l’ai vu plusieurs fois, mais je ne le connais pas ». Il a aussi un frère qui vit en Normandie. « On se téléphone et puis c’est tout… »
Michel a tout fait, « usines, dynamo, nettoyage, manutention ». Il a travaillé pour Messidor, « une boîte d’insertion pour aider les gens à retrouver du travail ». Et puis, il y a eu ce jour où une voiture l’a renversé et où sa vie a basculé : « Tibia et col du fémur cassés… Une longue hospitalisation suivie de plus d’une année de rééducation. […] Mon patron en a profité ; il s’est dit : celui-là c’est l’occasion de le balancer. […] À mon retour de la maison de repos, j’ai été licencié. Après, j’ai été au chômage pendant 4 ou 5 ans. Et puis voilà, maintenant je suis à la retraite forcée, mais ce n’est pas gros : 4 000 francs. »
Michel a lui aussi été marié. Il vit au foyer La Pie depuis qu’il est divorcé. Sa fille habite à Lyon avec son mari et son petit garçon, Cours Gambetta. « Elle n’aime pas venir me voir au foyer, comme si elle en avait honte… » Alors, c’est lui qui va la voir. Rarement. Peur de sortir. Peur de « se faire agresser par tous ces voyous qu’on croise dans la rue ».
Michel cherche un appartement en ville pour se rapprocher de sa fille et de son petit-fils. Avec l’aide d’une assistante sociale, il a déposé plusieurs dossiers de demande d’un logement social. Cela fera bientôt huit ans qu’il attend une réponse…