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CARTE BLANCHE

LA CARTE BLANCHE

LE LANGAGE «INCLUSIF» POUR UNE SOCIÉTÉ NEUTRALISÉE?

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PAR ADRIEN PIRONET

« Cher.e.s étudiant.e.s»… Depuis quelques temps, il n’est pas rare de trouver dans les mails de nos professeurs cet usage assez singulier de la langue française. Cette nouvelle pratique pour le moins particulière, c’est l’écriture inclusive. Souvent divisés à son sujet, nous ne sommes pas toujours au fait qu’il s’agit d’un sujet capital de société qui cache en réalité une lutte plus profonde entre les genres. Tentons d’abord de comprendre la situation et les origines de cette pratique. Nous verrons ensuite si des alternatives sont possibles avant de terminer sur notre position.

En juillet dernier, les députés de l’Assemblée nationale ont reçu une proposition de loi «visant à interdire l’usage de l’écriture inclusive par toute personne morale publique ou privée bénéficiant d’une subvention publique». À la manœuvre, on retrouve Sébastien Chenu, député du Nord du Rassemblement national. Il est rejoint, entre autres, par le très controversé Joachim Son-Forget et Marine Le Pen qu’on ne présente plus. On remarque indéniablement que l’usage de la langue française n’est plus une question d’académie, mais bien de parlement.

L’écriture épicène et inclusive: la neutralité à tout prix…

Malgré ce terme farouche, le langage épicène n’a rien à voir avec Épictète ou d’autres consorts de la philosophie antique. Il s’agit en réalité du terme précis lorsque l’on veut désigner la pratique du langage neutre. C’est-à-dire que l’on remplace les mots au genre défini par une version neutre. Par exemple, en appliquant cette logique, «les droits de l’Homme» deviennent «les droits humains» ; ce qui, convenons-nous, n’est pas fondamentalement dérangeant. Il n’est pas à confondre avec l’écriture «inclusive». Elle a pour objectif en effet de concilier l’usage des deux genres afin de se vouloir le plus accommodant. Pour en faire usage, il faut à la fois utiliser le genre féminin et masculin (lorsque c’est possible) en séparant chaque fin de mot d’un point médian. C’est en tout cas l’adaptation majeure que nécessite l’écriture inclusive. Nous avons tous déjà vu: «cher.e.s participant.e.s» sur les réseaux sociaux (plus rarement couché sur le papier). Son objectif principal est de réduire l’iniquité en vue d’obtenir un langage neutre.

Ce nouveau procédé vient troubler l’usage de la langue de Molière. En effet, il se veut neutre, certains diront même «non sexiste», et vise donc à s’écarter de toute discrimination.

Et pour cause, le français connait deux genres grammaticaux: le masculin et le féminin. Quid du genre neutre me direzvous? Dans notre langue, il n’en existe pas à proprement parler, le masculin fait office de neutre. C’est bien cela qui peut faire défaut et qui est à l’origine de cette tension entre les genres dans la société contemporaine.

Comme le souligne Cécile Philippe, docteur en économie, «cette pratique inclusive rend l’utilisation de langue française davantage compliquée ainsi qu’assez illisible». Elle pointe également un élément important: cette correction de la langue semble être un besoin irrépressible de lutter contre les discriminations. Or, la langue française n’est pas le problème. Certaines personnes convaincues prétextent que l’usage du masculin comme genre neutre est une agression contre la gent féminine. Toutefois, cette prétendue agression morale n’est rien face à une attaque physique et de surcroit sexiste, qu’il faut absolument combattre.

En 2017, la prestigieuse Académie française s’est emparée du sujet. L’ensemble des académiciens ont voté à l’unanimité une déclaration qui, quoique courte, est pleine de bon sens: «En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme: devant cette aberration «inclusive», la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures». Dans la mesure où l’apprentissage de la langue française est déjà complexe et par le constat que sa maîtrise est par essence compliquée, on comprend les arguments avancés. On imagine difficilement la réédition de Victor Hugo en écriture inclusive. Cela ne veut pas non plus dire que les «40 immortels» sont une assemblée de vieux conservateurs qui débâtent au comptoir du coin. En effet, rappelons sa légitimité en la matière. Elle fut créée par Richelieu en 1635 pour promouvoir et élever la langue française et se compose de personnalités de haut rang: historiens, poètes, scientifiques, romanciers, etc. Dernièrement, en 2019, une avancée dans la traque au sexisme a été opérée: les titres et métiers féminisés sont désormais autorisés. C’est avant tout une décision rationnelle tout à fait normale. Dans le fond, «la langue française a tout ce qu’il faut pour parler des femmes et des hommes à égalité» dit Eliane Viennot, historienne de la littérature. Il ne faut donc pas croire que ce récent mouvement inclusif est le combat de toutes les femmes.

La sanction étatique pour seule solution?

Pour autant, l’usage de l’écriture inclusive doit-il être réprimé, comme le préconisent Marine Le Pen et consorts…? Bien évidemment que non. Le recours à l’outil répressif, de surcroit étatique, n’est pas toujours la solution la plus adaptée. Dans ce cas précis, il constitue une réponse forte et certainement disproportionnée. Nos valeurs libérales préfèrent régler les situations là où se trouve l’origine du problème. La sanction n’est que la dernière solution, puis vient l’incitant, qui peut régler provisoirement un mécontentement, mais n’est >>

que cosmétique. La meilleure idée étant de se pencher au cœur du disfonctionnement: le problème d’inégalité entre les femmes et les hommes. Pour ensuite en chercher les causes: l’éducation, la répétition sociale, et tant d’autres ; afin de panser la blessure à son origine. Imaginons un instant qu’un dentiste s’occupe de poser un plombage à son patient alors qu’il faudrait en réalité lui arracher la dent. L’exemple semble idiot mais le raisonnement décrit la situation où nous en sommes aujourd’hui avec des propositions législatives, dites «loi-spectacles». Celles-ci ont tout simplement pour objectif de calmer tout le monde en montrant que l’on prend le problème à bras-le-corps alors qu’en réalité ce n’est pas du tout le cas.

Le libéralisme, c’est réfléchir au contexte global avant d’ouvrir la boîte à outil législative. Albert Einstein n’a-t-il pas affirmé que l’État était notre serviteur et que nous n’avions pas à en être les esclaves. N’importe quel bon législateur sait que s’il veut que sa loi soit respectée, il doit y mettre les formes.

En l’espèce, la proposition législative de Sébastien Chenu se veut très lacunaire: on ne sait pas s’il faut imaginer une horde de fonctionnaires, renforçant la bureaucratie, qui travailleraient à repérer les personnes morales se rendant coupables d’usage de l’écriture inclusive, ou bien s’il faut s’attendre à ce que cela se fasse sous forme de dénonciation. Ensuite, une fois l’infraction constatée, est-il question de leur retirer leur subvention: ad vitam ou provisoirement? Néanmoins nous avons contacté le député français, qui a renvoyé exactement le même texte que celui présent sur le site internet de l’Assemblée nationale. Bref, nous ne le saurons pas

D’AUTRES PISTES SONT POSSIBLES!

 Une piste, tout à fait minoritaire, imagine la création d’un genre neutre. Il s’agirait par exemple de créer le «ie», pronom personnel singulier neutre (parmi d’autres suggestions). Cette solution est en réalité proposée par les personnes ne se reconnaissant pas dans un genre binaire. Très concrètement, nous aurions le choix entre: «iel est grand» et «iel est grande», ce qui, ne le cachons pas, apparaît assez compliqué. Le fait de savoir comment accorder l’arsenal d’adjectifs de la langue française deviendrait alors un casse-tête. Derrière cette simple histoire d’accords, un réel problème, notamment pour les personnes transgenres, persiste puisque même si le pronom reste neutre, l’adjectif est, quant à lui, clairement orienté vers un genre en particulier.

Même si cette parade a le mérite de solutionner la dualité entre les genres féminin et masculin, elle risquerait cependant de mettre à mal tout le fonctionnement de notre moyen de communication et d’échange culturel commun.  Notre piste privilégiée: l’éducation scolaire et familiale. À défaut de s’amuser à créer un «Pacte pour un Enseignement d’excellence», attaquons les maux de la société à l’endroit le plus opportun. Puisque l’enseignement est la place centrale de l’apprentissage de la langue, il faut l’organiser minutieusement. Pendant des générations, les enseignants ont eu pour coutume de dire à leurs élèves que le masculin l’emportait sur le féminin ; quoi de plus amer pour les petites filles qui étaient, dès leur plus jeune âge, diminuées face à leurs camarades du sexe opposé! On imagine tout à fait que cette parole «divine» du professeur venait renforcer un sentiment de force virile. Cette façon mnémotechnique permettait certes de retenir que le genre masculin fait office de neutre, mais on peut remettre son impact en doute. La période de l’enseignement obligatoire, de 5 à 16 ans, représente une période de construction fondamentale pour les jeunes élèves, c’est à ce moment-là qu’il faut empêcher la formation de stéréotypes et autres discriminations. Néanmoins, c’est aussi une question d’éducation intrafamiliale. Changeons les mentalités là où c’est possible.

La problématique de l’égalité des sexes, et à fortiori des genres, reste au centre des attentions. Même si l’utilisation de l’écriture inclusive reste une piste accommodante, elle n’est toutefois pas nécessaire. Il est inopportun d’aseptiser la langue française. C’est tout simplement inconcevable pour des raisons pratiques.

L’usage du masculin comme genre neutre n’est pas une fatalité, le nœud de la question réside surtout dans la conception mentale d’une prétendue supériorité que l’on a pu enseigner.

En définitive, l’écriture inclusive ne fait que maquiller le réel souci: les inégalités profondes de la société. On peut penser à l’écart salarial, les violences sexuelles, l’organisation du foyer, la présence des femmes dans les fonctions dirigeantes, etc. C’est donc d’abord dans nos mentalités qu’il faut opérer un changement afin que l’évolution puisse s’accompagner d’une façon normale et continue.

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